La commission a auditionné M. Patrick Kron, président-directeur général d'Alstom.
J'informe les membres de la Commission qu'en raison de l'actualité, sera organisée demain après-midi, conjointement avec la Commission du développement durable, l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques et la Commission de l'économie du Sénat, une réunion sur la crise nucléaire au Japon. Y participeront les ministres Nathalie Kosciusko-Morizet et Éric Besson, ainsi que les responsables de l'Autorité de sûreté du nucléaire (ASN), de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), du CEA, d'EDF, d'Areva et du Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire. Il importe en effet que la Commission dispose d'informations techniques précises sur la situation au Japon et en France ; le débat sur le nucléaire viendra en son heure.
Monsieur le président-directeur général, je suis heureux de vous accueillir dans notre commission. Lorsque nous avons décidé de vous inviter, dans le cadre de notre cycle d'auditions sur la filière nucléaire française, le contexte était très différent. Nous avons cependant décidé de maintenir votre audition, car nous avons jugé que vous seriez à même de répondre aux questions que nous nous posons.
Votre groupe, Alstom, est le leader mondial de la construction des îlots nucléaires conventionnels ; à ce titre, vous équipez tous les types de centrales nucléaires dans le monde. Concevez-vous les circuits de refroidissement des centrales, ou seulement les turbines ? L'accident de Fukushima montre que la sûreté des centrales nucléaires ne repose pas uniquement sur la conception des réacteurs eux-mêmes, mais également sur les parties qui vous reviennent. Dans quelle mesure êtes-vous contrôlés par les autorités de sûreté nucléaire ?
Les accidents de Three Mile Island et de Tchernobyl avaient contribué, au même titre que le contre-choc pétrolier, au ralentissement du nucléaire dans le monde jusqu'au début des années 2000. L'accident de Fukushima vous semble-t-il de nature à freiner le récent regain d'intérêt pour le nucléaire, évoqué lors des auditions précédentes ? Quelles sont vos prévisions sur l'évolution de la demande au cours des prochains mois ?
Je suis heureux d'intervenir dans le cadre de ce cycle d'auditions sur la filière nucléaire française, même si le contexte a évidemment changé.
Alstom réalise un chiffre d'affaires de 24 milliards d'euros et emploie 95 000 personnes, dont un tiers d'ingénieurs, dans 70 pays. Il s'agit d'un groupe à très forte composante technologique, qui dépense quelque 800 millions d'euros par an pour la recherche et le développement.
Nous exerçons trois métiers principaux. La production d'électricité représente la moitié de notre chiffre d'affaires global. La transmission de l'électricité par les réseaux à haute tension – activité que nous avons acquise il y a un an, conjointement avec Schneider Electric, auprès d'Areva – y contribue à hauteur de 20 %. Le reste relève du domaine ferroviaire : fourniture de TGV, métro, tramways, locomotives de fret, équipements, signalisations et infrastructures de transport.
S'agissant de la production d'électricité, Alstom Power est à l'origine du quart de la capacité électrique mondiale : une ampoule sur quatre dans le monde est alimentée grâce à nos équipements et à nos technologies. Cette activité génère un chiffre d'affaires de 14 milliards d'euros, emploie 50 000 personnes et couvre l'ensemble de la gamme des équipements disponibles : centrales à charbon, turbines à gaz, îlots conventionnels des centrales nucléaires, hydroélectricité, éolien et, depuis peu, solaire thermique. Nous suivons donc de près les mouvements de fond qui affectent ces technologies.
Des turbines Alstom sont installées dans une centrale nucléaire sur trois ; nous travaillons en coopération avec les différents acteurs du secteur, comme Areva NP, Westinghouse ou les sociétés chinoises.
En revanche, nous ne sommes pas partie prenante dans la sûreté nucléaire. Une centrale nucléaire est constituée de deux grands ensembles. L'îlot nucléaire, qui comprend le réacteur et les composantes liées au fonctionnement et à la sûreté de celui-ci, est fabriqué par des sociétés spécialisées, comme Areva ou Westinghouse ; quant à nous, nous intervenons sur l'îlot conventionnel, qui regroupe les équipements permettant de transformer en électricité la chaleur produite par la réaction en chaîne. Au cas où il faudrait interrompre le fonctionnement d'une turbine, soit parce que le réseau n'aurait plus besoin d'électricité, soit parce qu'un problème serait survenu, l'îlot nucléaire n'aurait plus de raison de fonctionner et serait arrêté. La conception d'un îlot nucléaire prévoyant la possibilité de démarrer et d'arrêter à tout moment un réacteur, les équipements qui interviennent en aval ne sont donc pas directement impliqués dans les questions de sûreté. C'est pourquoi je ne m'estime pas compétent pour commenter ce qui se passe au Japon ; il est préférable que vous vous adressiez à l'ASN, à Areva et aux exploitants des centrales.
J'ignore quelles seront les conséquences des événements actuels à court et moyen terme. Quoi qu'il en soit, dans le domaine de l'énergie, on se doit de raisonner à très long terme. Comme nous intervenons sur l'ensemble des équipements de production de l'électricité, la principale question qui se pose, pour nous, est de savoir comment évoluera la demande d'électricité et, subséquemment, quel mode de production permettra d'y répondre.
Il y a, dans le monde, un besoin massif en infrastructures en général, et en électricité en particulier, qui soulève d'énormes enjeux en termes de développement économique, de progrès social et de protection de l'environnement, sachant que 40 % des gaz à effets de serre sont émis lors de la production d'électricité. Même si l'on améliore l'efficacité énergétique et que l'on réalise des économies d'énergie, il n'y a aucune raison que la consommation par personne de l'Inde représente durablement le quart de celle de la Chine et une fraction infinitésimale de celles de l'Europe occidentale et de l'Amérique du nord. Or la solution miracle n'existe pas : le nucléaire pose des problèmes de sûreté, le charbon émet du gaz à effet de serre, le gaz a une disponibilité limitée et pose des problèmes géopolitiques en raison de la concentration des réserves, l'hydraulique noie les vallées, les éoliennes gâchent le paysage… La vraie question est de savoir comment faire pour produire l'électricité nécessaire aux besoins futurs de la planète ; il n'y a d'ailleurs pas de raison que la solution soit la même partout dans le monde, car les besoins, l'accès aux ressources et le niveau de maîtrise technologique varient considérablement d'une région à l'autre. En dernier ressort, la réponse est de votre compétence, non de la mienne !
M. Kron a raison : à évoquer continuellement les inconvénients des différents modes de production de l'électricité, on arriverait à la conclusion que le vrai problème, c'est la présence des hommes sur la terre !
Nous aurons l'occasion de débattre sur le nucléaire ultérieurement ; au nom du groupe SRC, je remercie le président Poignant d'avoir avancé l'audition des responsables de l'ASN. La réunion de demain ne débouchera certainement pas sur des conclusions définitives, mais il importe que ce que savent les spécialistes soit transmis aux parlementaires, pour que, lorsque nous discuterons le week-end prochain avec nos concitoyens, nous soyons capables de faire la part des choses entre risque mondial et risque local et de rappeler les risques inhérents à nos propres centrales.
L'augmentation des prix du pétrole fait de plus en plus apparaître le ferroviaire comme un moyen de transport de substitution ; d'ailleurs, chaque choc pétrolier engage nos concitoyens à se tourner vers les transports en commun. Pourriez-vous évoquer ce sujet – bien que ce ne soit pas l'objet officiel de votre audition ?
Sachant que les turbines Alstom ne sont pas forcément associées à un réacteur Areva, cela renvoie au débat sur la nécessité d'un ou de plusieurs chefs de file de la filière nucléaire française. Quelle est votre position sur la question ?
Enfin, comment gérez-vous les problèmes de transfert de technologie et de licence, notamment avec la Chine ? La France s'efforce-t-elle de conserver son avance ?
Il faudra en effet, dans les 25 prochaines années, relever un défi énergétique majeur, dans la mesure où la production d'électricité mondiale va s'accroître rapidement. Les événements au Japon vont relancer le débat sur le nucléaire, mais je ne pense pas qu'il concerne l'Hexagone, car nous disposons d'un des parcs nucléaires les plus sûrs au monde et d'une expérience, issue de l'exploitation de nos 58 réacteurs pendant près de 30 ans, que le monde entier nous envie.
Toutefois, on se rend bien compte qu'il ne peut y avoir, à l'échelle de la planète, un nucléaire à deux vitesses. En outre, il faut dix à quinze ans pour qu'un pays maîtrise la technologie et acquière la culture du nucléaire. Immanquablement, le problème du charbon va donc se poser – sachant que 40 % du CO2 est émis par la production d'électricité. Le ministre indien de l'industrie soulignait encore récemment que, s'il importait de préserver l'environnement, il fallait également permettre à son pays de se développer, et au moindre coût. Avec l'apport des nouvelles technologies, pensez-vous que le charbon propre est appelé à jouer un rôle de plus en plus important sur le marché de l'énergie ?
Par ailleurs, que pensez-vous des gaz de schistes ? Serait-ce la prochaine révolution énergétique ?
Votre entreprise s'est développée, grâce à de fortes politiques publiques menées par le passé, en liaison avec d'autres grandes entreprises dont le statut a évolué – comme EDF, ancienne entreprise publique devenue société anonyme. Comment analysez-vous ce phénomène ? Comment ont évolué vos relations avec EDF depuis que celle-ci n'est plus le monopole public que l'on connaissait ?
Quelle est la part des effectifs d'Alstom qui travaillent en France ? Comment a-t-elle évolué ?
Quelle est la part du chiffre d'affaires d'Alstom réalisé en France ?
Quelle est la part des activités de recherche et de développement accomplies en France ? Qu'en est-il des transferts de technologie ?
Dans le domaine ferroviaire, c'est l'objet d'une commission d'enquête présidée par M. Alain Bocquet, faites-vous appel à des partenariats extérieurs pour affronter la concurrence – sans aller, tout au moins je l'espère, jusqu'à proposer des offres low cost ?
Par ailleurs, je partage votre avis : même si l'on fait des économies d'énergie et que l'on améliore l'efficacité énergétique, la demande mondiale d'électricité augmentera. La question du mode de production se pose dans un second temps.
Quelle part représente le nucléaire dans votre activité de production de turbines ?
Le tramway est un moyen de transport silencieux, confortable et écologique, dont les coûts de fonctionnement sont faibles. Pourtant, la plupart des tramways français utilisent des voies dont l'écartement des rails correspond au standard de la SNCF, soit 1 435 millimètres, pour un coût de l'ordre de 30 millions d'euros du kilomètre. La largeur moyenne d'un tramway français, de 2,65 mètres, et son poids, de 60 tonnes, nécessitent de réaliser des déviations de réseaux et de couler 1,5 mètre de béton sous les voies pour répondre aux normes de la SNCF. De ce fait, les agglomérations de moins de 200 000 habitants, comme Annecy, peuvent difficilement se doter d'équipements si onéreux.
En Suisse, les tramways empruntent – comme 80 % des tramways européens – des voies métriques, ce qui réduit considérablement le coût de l'investissement nécessaire : 6 millions d'euros par kilomètre au maximum – à ma connaissance, le seul tramway français encore en voie métrique est celui de Saint-Étienne. Alstom ne réalise plus ces matériels, et l'usine d'Alstom-Vevey n'existe plus. La technologie métrique ne constituerait-elle pas pour vous un moyen de gagner de nouveaux marchés, en permettant à certaines agglomérations d'accéder à ce mode de transport ?
En début d'année, vous aviez dit que les acteurs de la filière nucléaire française devaient mieux s'organiser et coopérer plus étroitement pour être plus compétitifs sur le marché mondial. Comment concevez-vous les choses ? Seriez-vous intéressé par une prise de participation dans Areva ?
Vous avez également affirmé qu'une meilleure organisation ne passait pas nécessairement par des alliances capitalistiques, en prenant pour exemple le Japon, qui a créé une structure au sein de laquelle tous les acteurs peuvent coopérer pour promouvoir l'offre japonaise. Souhaiteriez-vous la transposition de ce dispositif en France ?
L'AFP a annoncé, en février, qu'Alstom avait pour projet de délocaliser au Mexique et en Suisse la production d'un composant de centrales nucléaires jusqu'alors fabriqué sur le site de Belfort. Confirmez-vous cette information ?
Enfin, que pensez-vous du développement des réseaux intelligents ?
Alstom est une de nos très grandes entreprises ; les enjeux, en termes d'emploi, sont considérables. Il y a quelque temps, votre société a traversé des difficultés. Où en êtes-vous aujourd'hui ? Avez-vous consolidé vos positions ? La santé économique et financière de votre entreprise est-elle rétablie ?
Quelles sont vos perspectives de développement, alors que de nouveaux concurrents apparaissent et que la bataille sur les normes fait rage ? Comment voyez-vous l'avenir d'Alstom dans ce monde en perpétuelle évolution ?
Par ailleurs, le réseau ferroviaire français n'est pas entièrement électrifié : c'est notamment le cas de la ligne Paris-Amiens-Boulogne dans sa partie picarde. Pour éviter un changement de locomotive à Amiens, qui fait perdre de précieuses minutes, une solution serait d'utiliser une locomotive bi-mode suffisamment puissante. Comptez-vous vous positionner sur ce marché ?
Où en est votre projet d'ajustement des effectifs, qui prévoyait la suppression de 4 000 emplois en France ?
Plus particulièrement, Alstom Power est en passe de perdre un savoir-faire à Belfort, avec la fermeture de l'atelier de fabrication des ailettes destinées aux turbines nucléaires. Cette décision découle-t-elle d'une rentabilité insuffisante de l'atelier ou s'inscrit-elle dans une stratégie globale de délocalisation de vos activités ?
Vous avez décidé de créer avec Bouygues une société commune, dénommée « EMBIX », dont l'objet sera de développer et fournir des services de gestion et de pilotage de l'énergie destinés aux éco-quartiers. Quel sera votre investissement dans ce projet ?
Le 9 décembre, à Moscou, vous avez signé avec des entreprises énergétiques russes des accords stratégiques visant à fournir des produits et des services dans le domaine de l'hydroélectricité, des centrales thermiques et nucléaires, ainsi que dans la transmission d'électricité. Y a-t-il des risques de délocalisations et de transferts de technologie ?
Vous avez indiqué récemment que, si l'occasion se présentait, vous examineriez la possibilité d'acquisitions dans le secteur de l'énergie éolienne. Qu'en est-il ?
Quelle est votre position sur « l'équipe de France du nucléaire » ?
Selon vous, la France devrait-elle proposer une gamme de réacteurs adaptée à la diversité des situations, plutôt qu'un seul réacteur, comme c'est pour l'instant le cas avec l'EPR ?
Que pensez-vous de l'ATMEA ? Faut-il l'implanter en France pour acquérir le retour d'expérience qui nous permettrait de le commercialiser ?
Que pensez-vous des réseaux intelligents et de l'intégration des énergies renouvelables ?
Votre groupe a conclu un accord de partenariat exclusif avec EDF-Énergies nouvelles afin de répondre à l'appel d'offres sur l'éolien en mer programmé pour le second semestre 2011. Il s'agit d'une activité nouvelle pour Alstom, vos références en matière d'éolien se limitant à des turbines terrestres de puissance classique. En revanche, Areva a l'expérience de la construction de puissantes turbines pour l'off shore. Le marché est-il suffisamment porteur pour que deux entreprises françaises se positionnent sur le même créneau ? N'eût-il pas été préférable de travailler en partenariat avec Areva ?
Nous nous réjouissons du redressement de la situation d'Alstom, après les difficultés traversées il y a quelque temps.
Certes, vous n'êtes pas partie prenante dans la réalisation de l'îlot nucléaire, mais cela ne signifie pas que vous n'êtes pas concerné par la sûreté nucléaire : la turbine joue un rôle majeur en la matière, car un accident à l'aval peut avoir des répercussions importantes à l'amont.
Le problème de l'énergie renouvelable, c'est le stockage. Avez-vous des solutions à proposer ? Comment expliquez-vous le coût de raccordement très élevé de l'éolien ?
S'agissant du ferroviaire, croyez-vous en l'avenir du trolley ? Il existe en Amérique des solutions permettant une circulation sur un fil, ce qui permet de réduire les coûts d'infrastructure.
Où en est-on de l'affaire Eurostar ? On a lu dans la presse que les rames choisies ne répondaient ni au cahier des charges de l'appel d'offres, ni à la technologie souhaitée, ni aux normes en vigueur. Quel est votre point de vue sur le sujet ?
Alstom est aujourd'hui quasiment absent du fret, alors que la recherche française attend qu'une équipe travaille sur le train du futur, notamment sur le train lourd. Quand comptez-vous vous engager dans ce dossier ?
S'agissant de la filière nucléaire française, je crois qu'il faut y réfléchir en partant du marché. Les situations diffèrent selon les pays : certains clients veulent un réacteur clé en main – souvent parce qu'ils ne disposent pas des équipes techniques capables de réaliser l'interface entre les différentes composantes –, tandis que d'autres préfèrent construire leur réacteur « idéal », en assemblant tel îlot nucléaire avec tel îlot conventionnel. Les acteurs de la filière doivent donc étudier le moyen de répondre à ces demandes.
Dans le premier cas, la « maison France » doit être organisée afin de pouvoir proposer une solution clé en main sans que les différents acteurs ne perdent du temps à définir le cadre de leur intervention. C'est pourquoi le Conseil de politique nucléaire a proposé de créer une structure au sein de laquelle EDF jouera le rôle d'architecte ensemblier, c'est-à-dire de capitaine de l'équipe de France. Cette solution, à laquelle j'étais plutôt favorable va dans le bon sens. Dans un cas pareil, il faut chasser en meute.
Dans l'autre cas, il faut que chacun puisse saisir les opportunités du marché. Pourquoi Alstom se limiterait-il à l'EPR d'Areva ? Nous souhaitons promouvoir notre offre de turbines – après tout, notre part de marché se situe entre 30 et 35 % – dans la transparence, sans jouer contre notre camp, mais en bénéficiant d'une organisation souple et intelligente, qui permette de valoriser au mieux les compétences de chacun. Et si, à un moment, Suez-Gaz de France est le mieux placé pour répondre à la demande, qu'il pilote l'équipe ! C'est ce que le Conseil de politique nucléaire a acté ; il reste à voir comment cela va se mettre en place et à affronter l'épreuve du feu.
Pour ce qui est de l'offre nucléaire, cela concerne plutôt Mme Lauvergeon car nous ne vendons pas les réacteurs.
Par ailleurs, s'agissant de la sûreté en matière nucléaire, tous les acteurs de la filière nucléaire française ont souligné, bien avant l'accident de Fukushima, qu'il était hors de question pour eux de négliger la sûreté. Les débats sur une troisième enceinte, sur un tablier pour recueillir la matière fissile, prennent aujourd'hui toute leur importance.
S'agissant des turbines, l'état des réseaux variant d'une région à l'autre, notre intérêt est, avec un coeur technologique commun, de couvrir le spectre de puissance le plus large possible. Tout le monde n'a pas besoin d'un réacteur de très grande puissance ! La politique consistant à élargir la gamme nucléaire et à étudier la conception de petits réacteurs me semble donc aller dans le bon sens. Nos clients veulent que nous soyons capables de proposer des turbines à gaz de 150 à 400 mégawatts, des centrales au charbon de 300, 600 ou 1 000 mégawatts. Il n'est pas toujours nécessaire de proposer un réacteur de très grande puissance.
M. Gaubert et plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur les transferts de technologie. Notre groupe, qui consacre entre 800 millions et un milliard d'euros par an à sa technologie, est particulièrement attaché à la protection de celle-ci. Il est présent depuis une cinquantaine d'années en Chine et fêtera son centenaire en Inde au mois d'avril. Il est également implanté au Brésil depuis plus de cinquante ans. Pour l'anecdote, j'avais invité le président Lula, ancien syndicaliste de l'un de nos établissements, à participer à la célébration organisée dans notre centre de fabrication de turbines hydrauliques pour fêter notre cinquantenaire au Brésil. Je lui avais demandé s'il connaissait l'usine. Il m'a répondu qu'il en connaissait surtout l'extérieur : comme il venait y organiser des grèves, nous le laissions rarement entrer !
J'en reviens aux transferts de technologie en Chine. Si aucun officiel ne nous met le fusil sur la tempe, il est vrai que sur nombre de contrats, les Chinois souhaitent – ce qui n'est pas illégitime – acquérir certaines technologies en contrepartie de l'ouverture de leur marché. À nous de savoir jusqu'où nous voulons aller. C'est ainsi que nous n'avons pas participé au marché chinois de la très grande vitesse. Nous avons considéré qu'au-delà de 200 kilomètres heure, ce n'était pas de bonne politique pour nous. Nous avons perdu des contrats dans la signalisation ferroviaire, parce que les Chinois souhaitaient avoir accès non seulement à l'applicatif, mais aussi aux « codes source » – que nous ne souhaitions pas divulguer. Je ne nourris cependant aucun grief à leur encontre : à nous de décider si nous travaillons ensemble ou non, et comment nous procédons. En fonction des intérêts de notre société – dont la défense est notre ligne directrice –, nous avons considéré que nous pouvions faire certains types de transferts de technologie, mais non pas tous. Cela fait cinquante ans que nous nous livrons à cet exercice.
Pas systématiquement. Notre concurrent japonais et notre concurrent allemand ont une approche plus offensive et ont participé à ces projets. À chacun sa politique ! Ce n'est pas une décision facile à prendre que de laisser passer de tels contrats, mais c'est le choix que nous avons fait.
J'en viens au marché du charbon et au positionnement des différentes technologies. Il faut combiner le besoin en électricité – qui est en croissance, notamment dans les pays émergents – avec les contraintes de protection de l'environnement. Pour cela, trois moyens doivent être employés simultanément.
Il faut tout d'abord admettre que si les énergies thermiques vont continuer à progresser, les énergies non émettrices de CO2 sont appelées à croître plus vite. La crise du nucléaire remettra peut-être cette analyse en cause, mais c'est celle que nous avons faite jusqu'à présent.
D'autre part, le meilleur moyen de limiter les émissions de gaz à effet de serre consiste à limiter la quantité de fioul produite – qu'il s'agisse du gaz, du pétrole ou du charbon – par kilowattheure produit, autrement dit à améliorer le rendement des centrales. Le parc mondial de centrales au charbon a un rendement compris entre 32 % et 33 %. Celui des centrales modernes que nous vendons aujourd'hui atteint 45 %, et nous avons lancé des programmes de recherche-développement pour le porter à 50 %. Il faut savoir qu'un point de rendement gagné permet de réduire les émissions de CO2 dans une proportion comprise entre 2 % et 2,5 %. Or améliorer le rendement énergétique des centrales existantes et futures est tout à fait à notre portée : cela passe par la réhabilitation des centrales existantes, mais aussi par la mise en oeuvre de la recherche-développement, par des incitations ou par de la régulation.
Le troisième moyen de combiner le besoin en électricité et les contraintes de protection de l'environnement, c'est le stockage et la capture de CO2. Nous y travaillons, mais les Français et les Européens doivent être plus offensifs dans ce domaine : il faut encourager le développement de nouvelles technologies et de nouvelles filières en favorisant les démonstrateurs, dont le nombre est aujourd'hui insuffisant, ne serait-ce que pour des raisons économiques – rappelons qu'un démonstrateur à taille industrielle coûte plusieurs centaines de millions d'euros.
Le charbon a toute sa place dans ce dispositif. Même si cette part est appelée à diminuer, 40 % de l'électricité produite dans le monde l'est encore à partir du charbon. Alstom se positionne sur le charbon propre – ce qui passe pour nous par la limitation au maximum des polluants traditionnels que sont les oxydes de soufre ou l'azote, la préparation de la capture et le stockage de CO2 de demain, et l'amélioration de l'efficacité énergétique.
Les schistes bitumineux et les gaz de schiste sont une autre voie. Les Américains s'y sont résolument engagés, mais on mesure encore mal ses impacts sur l'environnement. Il y a là un enjeu pour les années à venir, mais il faut s'assurer que le mode d'extraction de ces gaz ne pose pas de problèmes en matière d'environnement. Il consomme en effet de grandes quantités d'eau – ressource qui n'est pas inépuisable – et utilise des adjuvants chimiques qui peuvent entraîner un risque de pollution. Il s'agit en tout cas d'un sujet très intéressant et important en termes d'indépendance énergétique.
Parlons maintenant de la France, puisque M. Paul m'y invite ! Je n'entrerai pas dans le débat sur les effets du changement de statut d'EDF. Pour ma part, je ne ressens pas d'évolution notable.
Cette donnée est plus liée aux contrats que nous remportons qu'au changement de statut.
Alstom est un groupe mondial, présent dans plus de 70 pays. Il est coté à la Bourse de Paris, mais la France ne représente que 10 % de son chiffre d'affaires et 20 % de ses effectifs. Un salarié sur deux travaille donc à l'exportation. L'efficacité de la « maison France » et de notre outil industriel en France doit nous permettre de résister à la concurrence. Alstom est aussi un groupe européen – les deux tiers de ses effectifs se trouvent en Europe – qui exporte hors d'Europe un tiers de ce qu'il y produit. Bref, notre groupe a su participer à la mondialisation sans sacrifier sa base industrielle française, au prix d'efforts de compétitivité, d'investissement et de recherche-développement.
Nous employons 17 994 salariés en France, dont plus de la moitié d'ingénieurs et de cadres. La France est notre base industrielle la plus importante. Nous y comptons 21 sites, dont ceux de Belfort, la Rochelle, Valenciennes, Tarbes, Grenoble, Reichshoffen, Ornans, le Creusot, Villeurbanne, Saint-Ouen, Massy, La Courneuve, La Défense, Aix-les-Bains ou le Petit-Quevilly. Nous avons recruté 5 000 salariés en France au cours des trois dernières années. La part de recherche-développement réalisée en France est importante : elle se situe entre 20 et 50 % – je vous communiquerai le chiffre précis.
Quoi qu'il en soit, les quelques entreprises publiques françaises ne sauraient régler à elles seules le problème du plan de charge d'Alstom. En revanche, il est clair que lorsque nous perdons un marché « sensible » en France, il nous est très difficile de vendre le produit à l'étranger. Je ne sais pas si Alstom a vécu à l'ombre des politiques publiques, mais il serait de mauvaise foi de ma part de prétendre que nos compétences dans le TGV ou le nucléaire sont sans lien aucun avec les politiques menées depuis une cinquantaine d'années dans notre pays. On ne peut d'ailleurs que se réjouir que le développement d'infrastructures modernes et sûres se soit accompagné de celui d'une filière industrielle qui a non seulement répondu aux besoins du marché français, mais a aussi été bien au-delà.
Le nucléaire représente entre 8 % et 10 % du chiffre d'affaires de notre activité électricité, lequel représente lui-même la moitié du total. Il représente donc entre 4 % et 5 % de notre chiffre d'affaires total, qui correspondent pour une bonne moitié à du service et à de la réhabilitation de centrales existantes, et pour le reste à la réalisation de nouveaux équipements, principalement en Chine et à Flamanville.
Je suis bien entendu à la disposition de la commission d'enquête sur l'industrie ferroviaire, comme à celle de toutes les commissions d'enquête et commissions permanentes. Nous nouons des partenariats lorsqu'ils nous permettent d'accéder à un marché donné. Pour prendre un exemple, nous n'avions jusqu'à présent aucun marché en Russie. Nous avons signé un partenariat avec un acteur local important, TransMash Holding, qui s'est traduit par un premier contrat de 1,3 milliard d'euros – dont plusieurs centaines de millions d'euros pour Alstom Transport – avec RZD, les chemins de fer russes. C'est notre usine de Belfort qui va participer à ce projet. Nous venons également de signer un accord au Kazakhstan. Ces partenariats sont donc nécessaires. Il en va de même dans le domaine de l'hydroélectricité – nous avons signé en décembre des accords avec les Russes. Il faut en passer par là pour accéder à un certain nombre de marchés. On ne peut pas être présent sur le marché russe de l'hydroélectricité en restant à Grenoble : pour avoir une chance de nous développer, nous devons nous y installer – en utilisant bien entendu notre centre de recherche et développement de Grenoble et l'ensemble de notre dispositif industriel.
S'agissant du tramway, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas en construire un à Annecy. Ce mode de transport connaît un développement dont je me réjouis. Ce n'est plus celui d'il y a cinquante ans, puisqu'il circule désormais sur des voies dédiées. Bref, c'est un produit qui marche, parce qu'il répond à un besoin. Nous en avons vendu dans plus de trente villes – dont une quinzaine en France – sur les cinq continents, et nous avons encore des opportunités de développement. Notre développement sur le 1435 – l'écartement de voies dit international – est une bonne chose, car il nous permet d'avoir la taille critique pour baisser les coûts, tant sur le marché français qu'à l'international. Passer à un écartement métrique ne résoudrait donc pas le problème, même s'il faut peut-être travailler à une offre spécifique sur ce point. Quoi qu'il en soit, je vais regarder de plus près vos remarques sur le coût du kilomètre. Comme pour le TGV, ce sont en effet les infrastructures qui coûtent le plus cher.
Pour ce qui est de l'organisation de la filière nucléaire, la coordination me semble plus importante que l'actionnariat. J'ai été à une époque partisan de la fusion avec Areva. Cela ne s'est pas fait – dont acte : on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif... Mais la coordination va dans le bon sens.
Ce n'est pas encore fait. Pour ma part, je considère que le meilleur moyen de renforcer une filière est de ne pas l'amoindrir. Je ne vois pas en quoi l'entrée de Mitsubishi – concurrent direct d'Alstom – dans le capital d'Areva – qui est l'un de nos partenaires traditionnels – renforcerait la filière. Certes, ils développent ensemble l'ATMEA ; mais General Electric a des activités nucléaires communes avec un certain nombre d'acteurs japonais comme Hitachi, et celui-ci n'est pas à son capital pour autant ! Il peut y avoir un partenariat entre les deux concepteurs de l'ATMEA, mais l'entrée d'un concurrent direct d'Alstom dans le capital d'Areva n'est pas une bonne idée. Je me félicite donc qu'elle n'ait pas eu de suite pour l'instant.
L'exemple japonais me paraît avoir été repris par le Conseil de politique nucléaire. Les Japonais ont en effet organisé, à l'intérieur d'une « coquille » dont le statut importe finalement peu, un ensemble qui vise à promouvoir le Japon et associe l'État, les électriciens et les différents acteurs industriels de la filière. Cette structure coordonne les actions des différents acteurs, afin de pouvoir formuler dans les meilleures conditions une offre collective dès lors que celle-ci a du sens. C'est l'idée que va mettre en oeuvre M. Besson avec le comité stratégique de l'énergie nucléaire. Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse…
J'en viens aux délocalisations de Belfort, qui concernent aussi bien les diaphragmes, que nous fabriquons depuis quelques années au Mexique, que les ateliers d'ailettes. Je le redis, notre centre d'excellence et d'expertise est à Belfort. Mais lorsque nous ne sommes pas compétitifs sur une activité donnée, nous en tirons les conclusions. Je n'entrerai pas dans le détail des projets, puisqu'ils font l'objet de concertations avec les partenaires sociaux. Sachez en tout cas que le site de Belfort est largement exportateur ; les programmes nucléaires de ces dernières années ont surtout été lancés hors de France, et c'est principalement depuis Belfort que nous avons répondu à la demande. Notre objectif est d'être compétitif. Lorsque tel n'est pas le cas, nous devons nous adapter. Nous avons huit ou neuf ateliers d'ailettes – nous sommes en train de diminuer ce nombre. C'est dans ce cadre que s'inscrivent les ajustements dont nous discutons avec les partenaires sociaux.
Les réseaux intelligents ou « smart grids » sont un autre sujet très intéressant. Durant longtemps, il y a eu de gros centres de production d'électricité et des centres de consommation. La situation est aujourd'hui bien différente : les centres de production sont beaucoup plus diffus, avec les énergies renouvelables intermittentes, comme le soleil ou le vent, et les bâtiments deviennent « intelligents » – car les smart grids ne sont pas de simples compteurs. Les réseaux sont donc plus complexes à gérer en termes de sûreté et d'efficacité globale. Cela signifie qu'il y aura beaucoup plus de technologie demain. C'est une voie prometteuse sur laquelle nous mobilisons des moyens humains et financiers significatifs. Nous avons de très bonnes positions dans la gestion des réseaux, et nous entendons nous développer encore.
L'un d'entre vous a évoqué les éco-quartiers. Bouygues, actionnaire à 30 % d'Alstom, s'est impliqué dans les quartiers. Pour notre part, nous avons développé des systèmes de transmission. Nos clients dans l'électricité nous avaient d'ailleurs demandé depuis longtemps de les aider à optimiser l'utilisation des centrales que nous leur livrions par rapport aux besoins du réseau et des utilisateurs. Nous avons donc été conduits à avancer dans cette direction.
En acquérant les activités transmission d'Areva T&D, nous avons constitué en notre sein un nouveau secteur dénommé Alstom Grid, qui nous permet désormais d'aller jusqu'aux sous-stations électriques. Nous nous sommes aperçus que les logiciels et les moyens que nous avions développés pour ces applications-là – notamment software – étaient aussi utilisables pour répondre à la problématique de l'optimisation des bâtiments. Nous avons donc décidé de nous développer dans ce domaine. Nous collaborons notamment avec Schneider, qui intervient sur la moyenne tension et la basse tension. Il est évidemment intéressant de développer une offre française dans ce domaine.
Quant aux difficultés d'Alstom, elles sont derrière nous. Si nous avons été près du dépôt de bilan en 2003, elles ont été résolues entre 2003 et 2006. Nous restons cependant une société à forte inertie, car nous sommes sur des métiers longs. Le problème que nous avons affronté à l'époque était celui d'une crise de confiance – les clients se demandaient si Alstom allait survivre assez longtemps pour réaliser les projets qu'ils voulaient lui confier. Comme ils n'osaient pas le faire, la société allait mal. Bref, c'était un cercle vicieux dont nous sommes heureusement sortis. L'entreprise s'est redressée et a recruté 40 000 personnes dans les cinq dernières années. Nous n'en affrontons pas moins – avec retard – les conséquences de la crise internationale. Nous sommes ce que l'on appelle une société de fin de cycle. Nous avons un carnet de commandes compris entre 40 et 50 milliards d'euros – soit environ deux ans de chiffre d'affaires, ce qui est dans la norme pour nos métiers. L'avantage est donc que lorsque les commandes s'arrêtent, nous continuons à travailler. Alors que nous étions en pleine crise, 2009 a été notre meilleure année ! A contrario, nous subissons aujourd'hui les conséquences de la baisse des commandes entre 2008 et 2010.
Phénomène un peu inquiétant, nous semblons désormais vivre dans un monde à deux vitesses. Les commandes que nous avons prises entre le 1er avril et le 31 décembre indiquent que la demande a repris dans les pays émergents, mais pas dans nos marchés traditionnels – Union européenne, Amérique du Nord. Ce n'est d'ailleurs pas illogique : en Europe, la consommation d'électricité n'a pas encore atteint les niveaux d'avant la crise. Les acteurs ont donc de la marge de manoeuvre, d'autant que des centrales commandées avant la crise ont été livrées pendant celle-ci.
Nos marchés « classiques » représentaient traditionnellement 70 % de nos commandes, et le reste du monde – Asie, Amérique latine, Moyen-Orient, Afrique – 30 %. Nous sommes aujourd'hui respectivement à 35 % et 65 % ! Cela montre que nous sommes capables de remporter des marchés dans ces pays, ce qui tient beaucoup à notre présence historique – nous avons tout de même 10 000 personnes en Chine, 6 000 en Inde, 4 000 dans le reste de l'Asie et 5 000 au Brésil. Ces commandes ne contribuent cependant que de manière marginale au plan de charge de nos usines françaises et européennes. Il faut en tenir compte et nous ajuster lorsque c'est nécessaire.
La concurrence asiatique s'est développée. Nous y ferons face, comme nous faisons face à celle de General Electric, de Siemens ou des Japonais. Il faut en revanche s'assurer que cette concurrence soit loyale et que les financements associés aux offres de nos concurrents asiatiques répondent aux règles du commerce international. C'est la raison pour laquelle je suis très attaché à un principe que j'estime fondamental, celui de la réciprocité. Je m'étonne donc de voir nos concurrents japonais vendre des trains en Europe alors qu'ils détiennent quasiment 100 % du marché japonais. Je suis pour une économie ouverte – pour des raisons idéologiques mais surtout professionnelles – mais à condition d'encourager l'ouverture de toutes les frontières. Les entreprises non européennes doivent être traitées en Europe comme le sont les entreprises européennes dans les pays dont ces entreprises étrangères sont originaires. Pourquoi les directives sur la réciprocité dans les marchés publics ne sont-elles toujours pas transposées dans le droit des pays européens ? Pourquoi les règles de l'OMC sont-elles si mal appliquées ? Certes, cela commence à être le cas, mais cela se fait très lentement.
J'ai déjà répondu sur les questions qui touchent aux délocalisations comme aux partenariats. Je le répète, ces derniers sont positifs pour l'ensemble de l'entreprise. Nous ne sommes pas dans un jeu à somme nulle. Il faut rompre avec la logique d'inspiration malthusienne qui veut que toute création d'activité hors de nos frontières se fasse au détriment d'une activité en France. Je passe mon temps à essayer de l'expliquer aux partenaires sociaux, qui s'inquiètent de nous voir tant investir hors d'Europe. L'histoire nous a plutôt donné raison. Nous venons de remporter un contrat en Inde : pensez-vous que l'on puisse vendre des métros là-bas depuis Valenciennes ? Non : il faut savoir s'adapter et se mettre à proximité des clients lorsque c'est nécessaire.
En ce qui concerne l'énergie éolienne, nous n'avons que de faibles parts de marché – entre 1 % et 2 %. Nous nous y sommes intéressés assez tard, en raison des problèmes financiers auxquels nous étions confrontés. Nous avons beaucoup travaillé pour développer une offre on shore ou terrestre, avec des turbines qui vont jusqu'à 3 mégawatts. Nous avons investi, racheté une société espagnole ; nous sommes désormais présents aux États-Unis, en Amérique latine, au Japon et dans les pays du sud de la Méditerranée. Nous travaillons maintenant au développement d'une offre off shore qui utilise nos propres technologies. Après avoir examiné la possibilité de travailler avec Multibrid préalablement à son acquisition par Areva, nous avions en effet considéré que cette cible ne répondait pas à nos objectifs dans les domaines technique et financier.
Ce n'est pas une solution unique qui permettra de régler les problèmes d'électricité de la planète, mais une somme d'éléments. Nous ne négligeons donc aucune de ces sources. C'est pourquoi nous avons investi en recherche-développement et sommes en train de travailler à une offre dans ce domaine, plus précisément dans celui des hydroliennes, qui vise à utiliser les courants sous-marins pour produire de l'électricité. Nous avons donc une activité dans le domaine des énergies renouvelables, à commencer par l'hydraulique – domaine dans lequel nous sommes leader mondial et continuons à nous développer. N'oublions pas que l'hydraulique est la première source des énergies renouvelables, avec 20 % de la capacité totale.
Nous n'en travaillons pas moins aussi sur l'éolien on shore et off shore et sur le solaire thermique. S'agissant du photovoltaïque, en revanche, nous ne voyons pas quelle valeur ajoutée nous pourrions apporter à l'acheteur de panneaux solaires : ce sont des technologies que nous ne maîtrisons pas. Nous pouvons cependant – et nous le faisons – intervenir sur la partie gestion des réseaux et pilotage. Mais nous préférons, comme pour l'éolien, essayer de développer des offres intégrées. C'est ainsi que nous ambitionnons de proposer – notamment pour l'off shore – des technologies « clés en main ». Nous développons actuellement pour 2014 des éoliennes avec une turbine à 6 mégawatts. Notre idée est de pouvoir proposer des systèmes globaux qui permettraient de raccrocher ces éoliennes off shore au réseau.
Nous travaillons également sur la géothermie. Nous sommes présents dans les grands pays géothermiques – Mexique, Indonésie. Bref, il n'y a pas de « petit » marché.
S'agissant de l'off shore, j'ai dit que nous avions choisi la voie du développement autonome. Nous avons décidé de nouer un partenariat avec EDF-Énergies nouvelles – qui a la possibilité de choisir des acteurs référencés sur ce marché – pour répondre à l'appel d'offres qui sera lancé prochainement en France. Nous avons réussi – ce dont je me félicite – à convaincre EDF-Énergies nouvelles que notre offre représenterait un saut technologique qui faisait sens. Nous souhaitions aussi vérifier avec un exploitant que nous étions dans la bonne voie – bref, tester le marché le plus en amont possible. Nous nous intéressons d'ores et déjà à d'autres appels d'offres, notamment en Grande-Bretagne.
Le stockage de l'électricité est un domaine sur lequel nous sommes en veille. Le moyen de stockage le plus significatif est aujourd'hui le stockage dans les barrages : on utilise l'eau retenue dans les barrages pour alimenter le réseau lors des pics de consommation, tandis que la nuit, on utilise de l'électricité nucléaire disponible à bas prix. Nous travaillons, y compris avec des partenaires asiatiques, sur d'autres technologies comme les batteries – mais nous n'en sommes encore qu'au stade amont – ou le solaire thermique – avec une technologie qui permet de stocker de l'électricité solaire.
J'en viens au trolley, marché sur lequel nous sommes absents – comme sur celui des bus d'ailleurs – mais qui peut, pourquoi pas, répondre à un besoin. Cela dit, dans une ville comme Bogota – dont j'ai rencontré le maire, il y a quinze jours –, qui compte 9 millions d'habitants et dont le réseau de transports en commun n'est composé que de bus, il se trouve que ces derniers sont complètement bloqués aux heures de pointe… Les villes qui ont bien réussi sont finalement celles qui ont trouvé le bon équilibre entre les différents modes de transport, autrement dit la bonne plurimodalité en matière de transports urbains : métro pour assurer le transport des plus gros flux de passagers ; tramway pour drainer certains flux vers les centres ; bus pour contribuer à la flexibilité. Je ne sais si le trolley a sa place dans ce dispositif. Ce qui est certain en tout cas, c'est que la solution au problème de la mobilité urbaine réside dans la bonne combinaison entre métro, tramway et bus.
M. Léonard a évoqué le sujet qui fâche – je veux parler d'Eurostar. Le client est roi. Il reste que nous avons perdu l'appel d'offres contre Siemens. Je le regrette, car il portait tout de même sur la fourniture de dix trains doubles, ce qui représente un an et demi de plan de charge pour le site de La Rochelle, sans parler du problème d'image. Je considère surtout que cet appel d'offres n'est pas conforme aux règles des appels d'offres européens, et c'est pourquoi nous l'avons contesté. Il a en outre été conduit dans des conditions particulières, puisque le choix qui a été fait suppose un changement dans la réglementation de la sécurité dans le tunnel. C'est pour le moins atypique : d'habitude, on adapte les équipements aux règles de sécurité, et non l'inverse. Beaucoup a été dit en ce domaine, le débat étant même parasité par le thème du protectionnisme et des rivalités nationales. Or, tant Siemens qu'Alstom sont capables de construire aussi bien des trains à motorisation dite concentrée – c'est-à-dire avec des locomotives placées aux deux extrémités du train –, qui répondent aux règles de sécurité actuelles, que des trains à motorisation répartie, dont la traction des locomotives est répartie entre les boogies. Pour la dernière génération de TGV, l'AGV, que nous construisons actuellement pour l'Italie, nous avons fait le choix d'une technologie à motorisation répartie. Ce qui est vraiment surprenant, c'est que le choix final n'ait pas pris en compte les règles du jeu qui prévalaient au moment de l'appel d'offres. Comment peut-on choisir un train sans connaître les conditions dans lesquelles il va circuler ? Nous avons malheureusement perdu, mais nous nous sommes battus – certes, cela donne de nous une image de mauvais perdants, mais je l'assume.
Je vous remercie pour cette audition fort intéressante. Vous avez pris le temps de répondre longuement et concrètement aux questions de nos collègues. Il est important pour notre commission d'auditionner des présidents-directeurs généraux de grands groupes comme le vôtre : votre connaissance de la France, de ses atouts et de ses difficultés nous est précieuse.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mardi 15 mars 2011 à 17 heures
Présents. - Mme Corinne Erhel, M. Albert Facon, M. Daniel Fasquelle, M. Jean Gaubert, M. Henri Jibrayel, M. Jean-Marc Lefranc, M. Jean-Louis Léonard, M. François Loos, M. Jean-René Marsac, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Marie Morisset, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Daniel Paul, M. Serge Poignant, M. Franck Reynier, M. Francis Saint-Léger, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Michel Villaumé
Excusés. - M. Jean Auclair, M. Thierry Benoit, M. Louis Cosyns, M. Jean-Michel Couve, M. William Dumas, M. Yannick Favennec, Mme Geneviève Fioraso, Mme Pascale Got, M. Michel Lejeune, M. Philippe Armand Martin, Mme Josette Pons, Mme Anny Poursinoff, M. Jean Proriol, M. Michel Raison, M. Bernard Reynès
Assistait également à la réunion. - M. Jean-Claude Flory