Présentation par MM. Christophe Guilloteau, Francis Hillmeyer et Gilbert Le Bris de l'étude sur la défense antimissile balistique réalisée sous leur direction par le cercle interparlementaire d'étude air-espace de défense et le cercle interparlementaire d'étude naval de défense.
La séance est ouverte à dix heures.
Je vous prie tout d'abord d'excuser l'absence de notre président, Guy Teissier, qui est retenu dans sa circonscription.
Nous sommes réunis aujourd'hui pour entendre nos trois collègues Christophe Guilloteau, Francis Hillmeyer et Gilbert Le Bris.
Le cercle interparlementaire d'étude air-espace de défense et le cercle interparlementaire d'étude naval de défense ont récemment réalisé, sous leur direction, une étude sur la défense antimissile balistique.
Leur exposé sera, j'en suis sûr, particulièrement intéressant et nous permettra d'approfondir un sujet que nous avons déjà abordé la semaine dernière lors de l'audition du ministre de la défense.
Dans le cadre des travaux des deux cercles interparlementaires, il est apparu nécessaire de réfléchir à la défense antimissile balistique (DAMB) au vu de l'évolution du contexte militaire et géopolitique actuel. Durant neuf mois, nous avons entendu l'ensemble des acteurs de ce dossier, qu'il s'agisse des armées ou des industriels.
Lors de sa dernière audition, le ministre de la défense a fait part de sa position sur ce sujet que j'ai trouvée assez timide. Je ne partage pas son analyse car il me semble que la DAMB et la dissuasion ne sont nullement contradictoires : il s'agit bien de disposer de moyens complémentaires pour répondre à des menaces qu'il est de plus en plus difficile d'identifier précisément. Nous devons faire face à de nouveaux risques avec de nouveaux missiles de courte ou moyenne portée. Ce défi est d'autant plus important que des pays comme l'Iran ou le Pakistan n'hésitent pas à vendre ce type d'équipements à tout client potentiel.
Dans ce contexte, nous avons donc souhaité attirer l'attention des états-majors, mais aussi des politiques, sur cet enjeu crucial. Je laisse maintenant Gilbert Le Bris présenter plus précisément les grandes orientations de notre travail.
La question de la DAMB est un débat d'actualité, comme l'ont montré plusieurs événements récents : le 17 novembre 2009, les États-Unis ont annoncé avoir réussi un impact direct par missile sur un missile équivalent à ceux que détient la Corée du Nord ; le 11 janvier 2010, la Chine a assuré avoir réussi à intercepter un missile ; le 4 février, la Roumanie a accepté de s'associer au bouclier antimissile américain en ayant un site sur son territoire et, enfin, le 6 février dernier, l'Iran inaugurait deux sites de production de missiles. Ces exemples montrent bien que l'enjeu est immédiat et ne peut se résumer à un débat obscurantiste opposant le glaive et le bouclier. Je crois donc que si le choix stratégique de 2010 concerne les drones, celui de 2011 aura trait à la DAMB.
Pour autant, ce concept de DAMB revêt des conceptions très diverses selon les pays. Pour les États-Unis, il s'agit de la sanctuarisation du territoire, d'un symbole stratégique et d'une occasion de renforcer sa suprématie militaire et diplomatique. L'approche française est plus pragmatique. Elle a trait à des questions de souveraineté : même si la dissuasion reste la clé de voûte de notre dispositif, il ne faut pas renoncer à la DAMB, ne serait-ce que pour rester dans la course technologique. J'ajoute que les deux systèmes sont parfaitement complémentaires. La France disposant de ressources en la matière, elle se doit d'être à l'initiative pour proposer une alternative européenne à la doctrine américaine, faute de quoi nous serons relégués à un simple rôle de sous-traitant des États-Unis.
L'échelon européen est incontournable dans la mesure où les pays membres de l'OTAN ont déjà accepté de contribuer au système de défense des théâtres d'opération pour protéger des parties de notre territoire ou des zones où nos troupes sont déployées. Je rappelle par ailleurs que nos implantations permanentes à l'étranger et nos accords de défense renforcent encore ce besoin, notamment dans des zones susceptibles de faire face à pareille menace, comme par exemple aux Émirats arabes unis. Dans ce cadre, nous devons choisir entre une contribution financière et une contribution technologique, celle-ci étant beaucoup plus profitable à notre pays.
La menace balistique est réelle, qu'il s'agisse des SS–26 russes, des M–9 chinois, des Achoura iranien ou des nouveaux missiles nord-coréens. De nombreux pays qui n'ont pas les moyens de se doter d'une aviation s'équipent en missiles auprès de la Corée du Nord, de l'Iran ou du Pakistan. Ces trois pays constituent en effet le coeur de la prolifération, même si nous ne devons pas négliger les autres acteurs. Notre étude s'est concentrée sur les missiles d'une portée inférieure à 3 000 kilomètres, considérant que c'est cette menace qui est la plus vraisemblable dans les quinze ans à venir.
Conscients de ce risque, les États-Unis ont fait un effort de l'ordre de 8 à 10 milliards de dollars par an durant la présidence de Georges Bush. Le président Obama a infléchi la doctrine lors de son discours du 17 septembre 2009 consacrant la « Phased Adaptive Approach for Missile Defense in Europe », qui désigne une démarche incrémentale comportant trois étapes principales. Dès 2011, des missiles SM-3 seront embarqués sur des navires avec des radars de nouvelle génération. D'ici à 2015, le missile SM-3 sera perfectionné avec une version terrestre. Enfin, d'ici à 2020, l'ensemble des composantes seront renforcées avec en plus une capacité d'intervention extra-atmosphérique.
Ce discours montre bien que la triade stratégique américaine repose sur trois piliers : la dissuasion nucléaire, l'usage d'armes conventionnelles et la DAMB. Sur ce dernier point, les États-Unis utilisent clairement l'OTAN pour faire prévaloir leur doctrine sur celles de leurs partenaires. Or, à l'échelle mondiale, seuls trois pays disposent de capacités en la matière : les États-Unis, la Russie et la France. En d'autres termes, si nous ne nous positionnons pas sur ce créneau, les États-Unis vont traiter de façon bilatérale avec les pays européens en leur imposant leur technologie. On se retrouvera alors dans la même situation qu'avec le JSF, où les Européens ont payé le développement de l'avion alors même que les Américains ont conservé la maîtrise des technologies et le bénéfice de toutes les retombées.
Nous devons donc déterminer une position européenne forte avant le sommet de Lisbonne, prévu au début de 2011. Le contexte est d'autant plus favorable que les États-Unis viennent de renoncer à déployer leurs radars en République tchèque et leurs missiles en Pologne.
Quelle doit être, selon nous, la position de la France ? Nous devons tout d'abord faire confiance à la dissuasion. Pour autant, comme l'a justement rappelé le Président de la République à Cherbourg, en mars 2008, la DAMB pourrait constituer un complément utile à nos armes nucléaires. Le Livre blanc confirme d'ailleurs l'importance de la menace balistique, même s'il se contente de mettre l'accent sur l'alerte avancée et la DAMB de théâtre. La loi de programmation militaire est en revanche muette sur le sujet.
Nous devons faire évoluer notre réflexion stratégique pour rester une force de proposition et pour nous positionner sur ce segment. Notre base industrielle et technologique est déjà forte avec Astrium pour l'alerte avancée spatiale, Safran pour la propulsion, Thalès pour les radars et le contrôle-commandement (C2) et MBDA pour les missiles.
Partant de là, nous avons défini une stratégie qui s'organise autour de trois axes. Nous devons développer une DAMB de théâtre, la dissuasion étant à même d'assurer la protection du territoire national et de nos intérêts vitaux. En opérations, il nous faudrait disposer d'une capacité de riposte plus souple, ce qui permettra également de maintenir nos compétences dans ce domaine de pointe.
Il n'est pas utile d'imiter pour autant les États-Unis : nous n'avons pas les moyens, ni la nécessité, d'un système couvrant tous les risques, y compris extra-atmosphériques et sanctuarisant notre territoire.
Il n'est pas pertinent de développer un système français, pas plus qu'un système européen : nous devons nous intégrer au sein du pilier européen de l'OTAN dans les trois domaines que sont l'alerte avancée, le C2 et les vecteurs. À nous de montrer ce que nous pouvons apporter sur le plan technologique. Nos industries sont au niveau, elles attendent juste que nous définissions notre doctrine. Pour ce qui est des financements, il ne s'agit que d'un effort initial mesuré, l'essentiel concernant la prochaine programmation militaire.
En conclusion, nous ne pouvons pas nous contenter de nous aligner sur la doctrine des Etats-Unis, car nous serions alors placés en position de sous-traitants et perdrions notre autonomie, tout en finançant leurs programmes. Pour conserver les clés du système, il nous appartient de proposer une stratégie claire avec des projets technologiques et des engagements immédiats, qui pourront être confirmés dans la prochaine LPM. Ces conclusions semblent porter puisque nous constatons depuis peu un frémissement au sein de l'exécutif. Il faut désormais l'encourager.
Nous sommes convaincus que la menace prend de l'ampleur, et que la situation d'aujourd'hui est bien différente de celle qui prévalait lors de la signature du traité ABM. À cette époque, seuls neuf pays maîtrisaient ce type de technologie, alors qu'ils sont désormais plus de trente.
En se diffusant largement vers des pays proliférants, les SS–26 russes ou M–9 chinois pourraient constituer une menace pour la paix. Face à cela, la dissuasion nucléaire ne suffit plus. Développer la défense antimissile serait un complément utile qui conforterait la crédibilité de notre dissuasion.
Il s'agit d'un enjeu technologique et industriel majeur. La France dispose des capacités technologiques nécessaires. Nous devons encourager leur développement afin que notre pays conserve son rang technologique, supérieur à son poids économique et démographique.
Voici quelques mois, les Chinois ont détruit l'un de leurs satellites afin de démontrer leur savoir-faire. Les États-Unis ont, eux aussi, procédé à des démonstrations récentes. Quel regard portez-vous sur ces derniers développements ?
Détruire un satellite est beaucoup plus simple que de détruire un missile au laser.
Il nous semble que 25 à 30 années supplémentaires seront nécessaires pour disposer de technologies fiables dans ce domaine du laser. Il ne s'agit donc pas d'une question urgente.
La nécessité de développer une défense antimissile est acquise outre-Atlantique. La question est donc de savoir si nous devons participer à ce mouvement.
Selon moi, il nous faut suivre la voie, non pas de l'autonomie complète, mais de l'insertion dans un dispositif, en privilégiant une participation davantage technologique que financière.
De ce point de vue, quelle est la position des autres pays européens ? Les Etats-Unis, souffrant aujourd'hui de difficultés budgétaires réelles, ne seront-ils pas dans une situation les contraignant à accepter une coopération avec les Européens ? Enfin, n'existe-t-il pas un risque de voir nos satellites menacés à terme par des puissances étrangères, sans que nous ne disposions des technologies défensives et offensives permettant d'y répondre ?
Les acteurs européens dialoguent déjà notamment au sein de forums, tels que le club Aster, qui regroupe des capacités industrielles militaires françaises, britanniques ou italiennes.
Tous les pays européens membres de l'OTAN ont participé au premier programme dit ALTBMD. La France finance 12,4 % des 700 millions d'euros du coût de ce programme.
Pour sa part, l'Allemagne a lancé un programme, pour l'heure modeste, en coopération avec les États-Unis. Globalement, je ne constate pas de doctrine européenne conceptualisée.
En termes de moyens, il ne nous est pas possible de suivre les États-Unis, qui consacrent dix-sept fois plus de ressources à ce domaine que nous, et ce depuis plus de quinze ans. Cependant, il nous appartient d'identifier les « briques » technologiques sur lesquelles nous devons être présents. Nous avons les moyens de compter et notre cadre de réflexion doit être européen.
En ce qui concerne la défense de nos satellites, nous avons fait le choix de ne pas trop aborder cette question dans la mesure où des attaques ne seront un risque réel que dans une vingtaine d'années, et elles seraient a priori le fait d'États, donc relevant de la dissuasion si elles touchent à nos intérêts vitaux.
Il s'agit de l'éternel débat opposant le glaive au bouclier. Historiquement, le glaive s'est toujours montré plus fort, sachant que la dissuasion a la particularité d'être un glaive servant de bouclier.
À mon sens, l'enjeu est d'éviter la mise en oeuvre de technologies balistiques sophistiquées par des groupes terroristes ou para-étatiques. L'importance numérique de ces groupes a-t-elle pu être évaluée ?
On voit qu'en Afghanistan cette menace est manifeste, même si, pour le moment, l'adversaire maîtrise mal la précision de ses tirs.
Enfin, comment s'établit l'équilibre dans cette affaire entre l'intérêt stratégique pour la France et celui de ses industriels ?
Gilbert Le Bris. La concurrence entre le glaive et le bouclier n'a jamais interdit de disposer de boucliers.
Pour le moment, les groupes non étatiques ne peuvent prétendre à guère plus qu'à des technologies du type Scud des années 1950. Mais je vous rappelle qu'une trentaine de pays disposent aujourd'hui de capacités nouvelles en matière de missiles.
Inférieure à 1 000 kilomètres pour le moment, mais dans moins de cinq ans, la portée critique devrait s'établir aux alentours de 3 000 kilomètres. Certains États, fragiles, pourraient également devenirs des « États voyous ».
En ce qui concerne l'équilibre entre l'intérêt stratégique et celui des industriels, je constate que ce qui fait la force des États-Unis aujourd'hui, c'est leur capacité à se présenter sur le marché avec des systèmes de défense complets. Nous l'avons constaté aux Émirats arabes unis. Voilà pourquoi il me semble indispensable de ne pas sortir de la course, d'autant plus qu'aujourd'hui, nos entreprises sont capables de développer des systèmes complets de défense antimissile de théâtre pour un coût de développement relativement modéré. Nous l'avons évalué à 2,5 milliards d'euros sur dix ans, à répartir entre les pays européens. Cet objectif ne semble pas hors de portée.
La France ne doit pas se contenter de sa seule doctrine de dissuasion nucléaire. Si demain l'une de nos bases, à Abou Dhabi, Djibouti ou encore en Afghanistan était attaquée, il est évident qu'elle ne nous serait que de peu de secours.
Je vous félicite pour cet exposé passionnant. Il me semble que la dissuasion nucléaire et la défense antimissile sont deux sujets distincts qui ne doivent pas être confondus. La dissuasion permet de sanctuariser le territoire national, tandis que la protection de nos troupes en opérations extérieures relève d'une autre problématique.
Dans cette affaire, la contrainte budgétaire est déterminante. Aussi, il me paraît essentiel de concentrer les efforts sur les priorités affichées par le Livre blanc, à savoir mettre l'accent sur le renseignement, les satellites ou les enjeux stratégiques. Le glaive est toujours préférable au bouclier, surtout dans un cadre budgétaire contraint. D'autant que si l'on chiffre le besoin de financement à 2,5 milliards d'euros aujourd'hui, il est possible que le solde s'élève in fine à 4 voire 5 milliards d'euros dans un dizaine d'années.
En ce qui concerne l'OTAN, vous semblez préconiser pour la France un simple rang de sous-traitant privilégié, à l'image du Royaume-Uni, qui fournit des « briques » technologiques et apporte un financement limité. De ce point de vue, nous verrons lors du prochain sommet de Lisbonne si le retour de la France dans les structures de commandement intégré a été payant.
Considérez-vous que les États-Unis ont véritablement intérêt à concéder des marges de manoeuvre aux Européens ? Disposons-nous d'un ou deux partenaires européens sur lesquels nous appuyer, tels que l'Allemagne ou le Royaume-Uni, pour construire cette « brique » européenne ? Bref, existe-t-il encore une possibilité de constituer un noyau européen au sein de l'OTAN dans ce domaine ?
Le principe selon lequel la sanctuarisation du territoire est assurée par la dissuasion n'est pas remis en cause. La DAMB est conçue, encore une fois, comme un complément indispensable, sur le plan stratégique comme de notre développement technologique.
L'objet du rapport n'est pas d'analyser tous les problèmes géopolitiques à venir, mais de proposer une réflexion en vue de la prochaine échéance du sommet de Lisbonne. Il montre que le coût d'un système de DAMB, dont l'évaluation est globalement fiable, est soutenable.
Nos partenaires pourraient être, dans ce cadre, les membres du club Aster, notamment l'Italie et le Royaume-Uni. L'Allemagne pourrait également en faire partie, même si elle a, semble-t-il, retenu une orientation un peu différente. Il faut, en tout cas, que l'Union européenne soit en mesure de défendre sa position au sommet de Lisbonne. C'est pour nous un enjeu de souveraineté : on voit bien combien celle-ci serait amoindrie si les États-Unis étaient maîtres d'un système antimissile en Europe. Notre politique en la matière doit s'appuyer sur le pilier européen de l'OTAN, dans le droit fil, d'ailleurs, de la position du Président de la République, prônant « Plus d'OTAN pour plus d'Europe ». Les États européens membres de l'Alliance atlantique doivent à cette fin apporter les « briques » technologiques nécessaires, que leurs entreprises industrielles sont en mesure de constituer, compte tenu des compétences de pointe dont elles disposent dans ce domaine.
Je vous remercie pour la qualité de votre rapport, qui porte sur un sujet très important et complexe. A mon sens, on ne peut parler de souveraineté européenne. La question clé qui se pose est de savoir si l'on conçoit la DAMB comme un complément de la dissuasion nucléaire – auquel cas, elle relève d'une approche nationale – ou comme un système d'armes plus classique – qui passe par une coopération internationale, avec les aléas politiques et industriels qu'elle suppose. Dans ce dernier cas, si ce système était utilisé pour la protection des forces alliées sur des théâtres d'opérations extérieures, la question se poserait de savoir qui aurait le pouvoir de décision.
Nous sommes confrontés à un choix politique. Personnellement, je suis en quelque sorte né avec la dissuasion nucléaire. Or, depuis quarante ans, on observe une diminution de nos moyens en la matière, qu'il s'agisse de la force océanique ou de la composante aéroportée. La question est de savoir à quels défis nous devrons être en mesure de répondre dans dix, vingt ou trente ans, alors que nous constatons une prolifération des menaces balistiques, pour lesquelles une trentaine d'États disposent de capacités technologiques. La constitution d'une DAMB a certes un coût, mais les menaces et les attentats terroristes aussi, comme l'ont montré notamment les attentats du 11 septembre 2001.
Je crois en effet que soit on considère que la DAMB est nécessaire pour notre dissuasion, et il faut prévoir, dans le cadre d'une stratégie nationale, des ressources budgétaires complémentaires pour la financer – qui pourraient être de l'ordre de 5 % de l'enveloppe actuelle consacrée à ce secteur –, soit on estime qu'elle constitue un système d'armes classique pour des théâtres d'opérations extérieures, et il convient de prévoir une participation éventuelle à un programme international, sans en faire une question essentielle.
Je rappelle à cet égard que le coût annuel de notre dissuasion nucléaire est de l'ordre de 4 milliards d'euros.
Je pense que la dissuasion demeure le seul véritable moyen de défense territoriale. Mais, pour les théâtres d'opérations, la DAMB constitue le meilleur et le plus rapide outil de défense.
Il ne s'agit naturellement pas de définir une souveraineté européenne, mais de faire en sorte que le pilier européen de l'OTAN assure le commandement de la DAMB en Europe. Pour l'instant, seuls les États-Unis ont la maîtrise d'un tel système. Comme celui-ci ne peut être réalisé à l'intérieur d'un seul État, cette voie est la seule alternative à une hégémonie américaine. Les États européens pourraient ainsi obtenir une clé en apportant une « brique » technologique, comme on a d'ailleurs commencé à le faire dans le cadre de l'OTAN avec l'ACCS (Air Command and Control System).
La DAMB pose plusieurs questions, de nature politique, ainsi que celle des limites entre les armements stratégiques, opérationnels ou d'ordre tactique.
Sur le plan stratégique, la situation des États-Unis, entourés par deux océans, n'est pas la même que celle de l'Europe continentale. Je pense que nous n'échapperons pas à une réflexion avec la Fédération de Russie, qui est, ne l'oublions pas, en première ligne dans la lutte contre le terrorisme. De plus, ce pays – qui ne pourra abandonner son système de missiles – est confronté au problème de changement de surface de ses missiles sur ses bâtiments de la classe Typhon et au maintien de sa flotte de bombardiers stratégiques. Par ailleurs, l'Iran, dont je pense qu'il aura une capacité de dissuasion, ne constitue pas vraiment une menace. En revanche, votre exposé n'évoque pas l'avenir de l'Afrique du Nord, ni le Japon, qui dispose de la deuxième flotte de surface et du système américain Aegis. Je rappelle qu'un bateau antimissile fait partie du territoire national de l'État auquel il appartient.
Sur le plan militaire, la question est de savoir ce que l'on met dans le vecteur : ce peut être des armes chimiques ou tout autre produit. Que ferons-nous face à un missile envoyé d'Afrique du Nord ? Ce scénario me paraît plus préoccupant que celui de la menace iranienne.
Vous n'avez pas, dans votre propos, évoqué la défense européenne, mais le pilier européen de l'OTAN. Pour moi, la DAMB est une question de souveraineté nationale. On peut concevoir un projet de DAMB destiné à maintenir à flot notre industrie nationale. Plutôt que de songer à un partenariat avec les États-Unis, voire avec l'Allemagne, dont la bonne volonté n'est pas assurée, une coopération avec la Russie serait opportune. À cet égard, la dimension maritime du problème est essentielle : il faudra poursuivre la réflexion sur ce point.
Le rapport n'avait, encore une fois, pas vocation à embrasser toutes les questions géostratégiques, mais à apporter une réponse au regard des menaces balistiques dans les dix à quinze ans à venir. On peut penser en effet que, d'ici dix ans, un missile en provenance d'Afrique du Nord pourrait toucher le territoire national. Mais cette menace relève plus de la dissuasion. Il en est de même des vecteurs chimiques ou bactériologiques, qui exigent de fortes capacités et ne sont pas à la portée de tout le monde.
Quant au Japon, il dépend largement des États-Unis. C'est donc justement l'exemple à ne pas suivre. Je voudrais bien que la DAMB puisse être bâtie dans le cadre de l'Europe de la défense, mais il faut être réaliste : pour l'instant, celle-ci est embryonnaire et la seule référence, pour la plupart des États européens, est l'OTAN. C'est donc dans le cadre du pilier européen de l'OTAN qu'il faut avancer, en souhaitant naturellement que cela fera progresser aussi l'Europe de la défense.
Je n'ai pas la même vision concernant le Japon. Avec le F2, qu'il a construit, ce pays récupère les technologies et des capacités scientifiques remarquables. Il retrouve sa fierté nationale, alors qu'il se sent abandonné par les États-Unis, à qui il arrive de laisser tomber leurs alliés.
Il n'y a presque rien à ajouter aux propos de notre collègue Nicolas Dhuicq. S'imaginer que des nations comme le Japon ou l'Allemagne ne recouvreront pas un jour leur entière souveraineté serait une erreur. Le Japon demande aux États-Unis d'évacuer certaines bases qu'ils occupent sur son sol depuis la Libération. Une force de libération est devenue une force d'occupation si soixante ou soixante-dix ans plus tard elle est toujours présente. L'Allemagne aura un jour la même démarche. Elle sera plus tournée vers les pays d'Europe centrale ou la Russie que de l'autre côté de l'Atlantique.
Reste à savoir si la DAMB est un appoint indispensable à la souveraineté nationale et un complément à la dissuasion. Lorsqu'il avait été proposé à la France une place dans le système de dissuasion américain, le général de Gaulle avait décliné l'offre, estimant que devoir solliciter l'autorisation de déclenchement du feu aux États-Unis n'était pas compatible avec le principe de souveraineté et d'indépendance nationales. La France a constitué sa propre force de frappe, dont elle a la totale maîtrise.
L'OTAN est une alliance qui a été construite contre l'URSS, mais des évolutions stratégiques majeures sont intervenues depuis, notamment après la chute du mur de Berlin. L'opposition était idéologique : il ne s'agissait pas d'une confrontation des peuples. Nous avions, d'une part, le pacte de Varsovie, sous l'hégémonie de l'URSS, et, d'autre part, les États-Unis avec l'OTAN et l'occupation de certains pays au travers de bases militaires. Or, celles-ci existent toujours en Italie, en Espagne, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne, par exemple, jusqu'au déploiement de missiles patriot en Pologne. La Russie a, quant à elle, retiré toutes ses troupes et ses bases de ses anciens satellites.
Si nous avions fait des choix différents de ceux de 1965 - retrait du commandement intégré de l'OTAN, constitution de notre propre force de frappe -, n'aurions-nous pas encore le siège de l'OTAN à Fontainebleau et les plus grandes bases américaines en Europe sur notre propre sol ?
La notion de souveraineté européenne est incongrue. Cela n'existe pas. Tout au plus peut-on croire que les États-Unis accepteront un jour une forme de partage et qu'il existera un pilier. L'Europe ne devrait-elle pas essayer de trouver un juste équilibre plutôt que laisser la Russie et les États-Unis débattre seuls entre eux ? La question de la défense balistique est depuis longtemps l'un de leurs sujets de discussion et nous risquons de nous positionner comme un pourvoyeur de moyens sans maîtriser quoi que ce soit. La question de la souveraineté et de l'indépendance nationales est centrale dans ce domaine.
L'objet du rapport était justement de mettre en évidence une capacité européenne en la matière pour éviter une hégémonie américaine. Le Japon dispose de systèmes américains (missile SM-3, radar THAAD). L'Allemagne a également un système MEADS américain. Nous pensons qu'il existe en Europe, plus particulièrement entre la France, la Grande-Bretagne et l'Italie, des moyens d'apporter des « briques » technologiques permettant à notre continent de disposer de son propre système, compatible avec celui des États-Unis. Le rapport vise à redonner une certaine liberté à l'Europe dans ce domaine plutôt que de la cantonner dans un rôle supplétif.
La somme nécessaire de 2,5 milliards d'euros sur dix ans que vous annoncez est à rapprocher du budget annuel d'environ 4 milliards d'euros consacré à la dissuasion. Si la volonté politique est au rendez-vous, l'effort financier est acceptable. À chaque fois que la France n'a pas consenti les efforts nécessaires en matière de recherche technologique, elle s'est économiquement effondrée.
Si seule une stratégie européenne permet de peser au sein de l'OTAN, quelle est la position actuelle de nos principaux partenaires, notamment l'Allemagne et l'Italie ?
L'Italie fait partie du club Aster. Elle serait plutôt encline à trouver une solution européenne. L'Allemagne commence à réfléchir à des systèmes mais n'a pas précisé l'état d'avancée de ses travaux. La France est actuellement en pointe dans ce domaine et doit jouer un rôle moteur, quitte à rassembler ensuite autour d'elle l'Allemagne, la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas, par exemple.
S'agit-il d'une volonté de la France ou des industriels français ? Je ne vois pas d'autres pays investir en la matière faute d'intérêts pour leurs industriels. Ce sujet étant lié à la dissuasion, il n'intéresse que la France. Je ne crois pas non plus à une solution européenne. Le coût estimé annoncé est abordable et il ne me semble pas y avoir d'autre solution que française.
En matière d'industrie de défense, nous sommes aujourd'hui en train de perdre des capacités, de l'autonomie dans d'autres domaines. La réponse que nous pourrons apporter doit être globale. Nous devons déterminer les blocs de compétence que nous devons conserver ou privilégier pour garantir notre autonomie. Ces réflexions ont déjà eu lieu dans le cadre de l'élaboration du Livre blanc.
Nous pensons que la dissuasion et la DAMB sont absolument complémentaires au regard de la nature des menaces actuelles. Des missiles ont été utilisés sur différents théâtres ces dix dernières années. Nos ressortissants en Afghanistan, sur la base d'Abou Dhabi, ou nos spécialistes de la piraterie maritime peuvent être sous la menace de missiles. Peut-on nous atteindre depuis l'Afrique du Nord ? Je n'en sais rien. La France ne peut, en tout cas, être absente de la réflexion sur la DAMB.
Le Livre blanc invitait à prendre en compte les menaces balistiques, mais se limitait à l'alerte avancée et à la DAMB de théâtre. Le sujet a pris une plus grande importance ces dernières années : le rythme s'est accéléré sous le pression des États-Unis, qui imposent leur cadence. Ils développent la politique qu'ils entendent mener dans le cadre de l'OTAN. Nous, Français, Européens, devons avoir une réflexion doctrinale pour apporter une complémentarité à ce que souhaitent les États-Unis, sans les laisser dans une situation monopolistique.
Votre rapport montre que la situation internationale a significativement évolué depuis la rédaction du Livre blanc. Il nous est donc désormais impossible de nous référer exclusivement à ses conclusions puisqu'elles sont déjà dépassées.
Vous avez indiqué que la France a les capacités technologiques lui permettant de participer au débat sur la défense anti-balistique, voire de le conduire. Nous ne devons pas nous priver d'une telle opportunité ; ne reproduisons pas les erreurs passées qui nous ont conduit à renoncer à développer des programmes stratégiques ou à les retarder.
J'observe enfin que nos déploiements hors du territoire allant croissant, il sera de plus en plus nécessaire de disposer d'outils de protection de ces zones. Ne pas avancer sur ce dossier serait en contradiction avec nos engagements internationaux.
Nous partageons le sentiment et les conclusions de notre collègue. Il est effectivement urgent d'établir une doctrine claire en la matière. Je note d'ailleurs que lors du sommet de Strasbourg-Kehl, il a été décidé que cette question serait tranchée lors du prochain sommet de Lisbonne.
Votre réflexion montre que les industriels français sont soucieux d'assurer leur pérennité et leur développement, EADS Astrium et MDBA étant sans doute les plus directement concernés. Disposez-vous d'éléments sur leur avenir ? Pensez-vous que ces deux acteurs pourraient s'associer pour constituer un pôle français d'excellence ?
Lors de sa dernière audition, le ministre de la défense a ouvert des pistes en ce qui concerne le maintien des compétences et des savoir-faire avec un investissement de plusieurs dizaines de millions d'euros. Comment avez-vous ressenti cette annonce ?
Je me félicite de la réponse du ministre qui montre que les enjeux que nous avons identifiés commencent à être pris en considération. C'est une avancée significative par rapport aux éléments qu'il avait apportés lors du dernier débat budgétaire.
Nous ne défendons aucun industriel dans ce rapport. Nous considérons simplement que la France dispose d'une base technologique et industrielle à même de répondre aux défis soulevés par la défense anti-missile. Une fois que nous aurons défini notre doctrine, il appartiendra aux industriels de s'associer ou de constituer les sociétés les plus adaptées. D'ores et déjà Astrium s'est positionné sur l'alerte avancée avec le démonstrateur Spirale, tout comme Thalès avec les possibilités de développer un radar GS 1000. MBDA est quant à lui déjà un groupe européen, doté de compétences reconnues pour les missiles ; peut-être pourrait-il servir de base à la constitution d'un acteur industriel plus global. Quoi qu'il en soit, la position industrielle européenne doit évoluer de façon à ce que nous puissions couvrir tous les champs. Il faut mettre fin au morcellement actuel et proposer une réponse globale.
La séance est levée onze heures trente.