La question de la DAMB est un débat d'actualité, comme l'ont montré plusieurs événements récents : le 17 novembre 2009, les États-Unis ont annoncé avoir réussi un impact direct par missile sur un missile équivalent à ceux que détient la Corée du Nord ; le 11 janvier 2010, la Chine a assuré avoir réussi à intercepter un missile ; le 4 février, la Roumanie a accepté de s'associer au bouclier antimissile américain en ayant un site sur son territoire et, enfin, le 6 février dernier, l'Iran inaugurait deux sites de production de missiles. Ces exemples montrent bien que l'enjeu est immédiat et ne peut se résumer à un débat obscurantiste opposant le glaive et le bouclier. Je crois donc que si le choix stratégique de 2010 concerne les drones, celui de 2011 aura trait à la DAMB.
Pour autant, ce concept de DAMB revêt des conceptions très diverses selon les pays. Pour les États-Unis, il s'agit de la sanctuarisation du territoire, d'un symbole stratégique et d'une occasion de renforcer sa suprématie militaire et diplomatique. L'approche française est plus pragmatique. Elle a trait à des questions de souveraineté : même si la dissuasion reste la clé de voûte de notre dispositif, il ne faut pas renoncer à la DAMB, ne serait-ce que pour rester dans la course technologique. J'ajoute que les deux systèmes sont parfaitement complémentaires. La France disposant de ressources en la matière, elle se doit d'être à l'initiative pour proposer une alternative européenne à la doctrine américaine, faute de quoi nous serons relégués à un simple rôle de sous-traitant des États-Unis.
L'échelon européen est incontournable dans la mesure où les pays membres de l'OTAN ont déjà accepté de contribuer au système de défense des théâtres d'opération pour protéger des parties de notre territoire ou des zones où nos troupes sont déployées. Je rappelle par ailleurs que nos implantations permanentes à l'étranger et nos accords de défense renforcent encore ce besoin, notamment dans des zones susceptibles de faire face à pareille menace, comme par exemple aux Émirats arabes unis. Dans ce cadre, nous devons choisir entre une contribution financière et une contribution technologique, celle-ci étant beaucoup plus profitable à notre pays.
La menace balistique est réelle, qu'il s'agisse des SS–26 russes, des M–9 chinois, des Achoura iranien ou des nouveaux missiles nord-coréens. De nombreux pays qui n'ont pas les moyens de se doter d'une aviation s'équipent en missiles auprès de la Corée du Nord, de l'Iran ou du Pakistan. Ces trois pays constituent en effet le coeur de la prolifération, même si nous ne devons pas négliger les autres acteurs. Notre étude s'est concentrée sur les missiles d'une portée inférieure à 3 000 kilomètres, considérant que c'est cette menace qui est la plus vraisemblable dans les quinze ans à venir.
Conscients de ce risque, les États-Unis ont fait un effort de l'ordre de 8 à 10 milliards de dollars par an durant la présidence de Georges Bush. Le président Obama a infléchi la doctrine lors de son discours du 17 septembre 2009 consacrant la « Phased Adaptive Approach for Missile Defense in Europe », qui désigne une démarche incrémentale comportant trois étapes principales. Dès 2011, des missiles SM-3 seront embarqués sur des navires avec des radars de nouvelle génération. D'ici à 2015, le missile SM-3 sera perfectionné avec une version terrestre. Enfin, d'ici à 2020, l'ensemble des composantes seront renforcées avec en plus une capacité d'intervention extra-atmosphérique.
Ce discours montre bien que la triade stratégique américaine repose sur trois piliers : la dissuasion nucléaire, l'usage d'armes conventionnelles et la DAMB. Sur ce dernier point, les États-Unis utilisent clairement l'OTAN pour faire prévaloir leur doctrine sur celles de leurs partenaires. Or, à l'échelle mondiale, seuls trois pays disposent de capacités en la matière : les États-Unis, la Russie et la France. En d'autres termes, si nous ne nous positionnons pas sur ce créneau, les États-Unis vont traiter de façon bilatérale avec les pays européens en leur imposant leur technologie. On se retrouvera alors dans la même situation qu'avec le JSF, où les Européens ont payé le développement de l'avion alors même que les Américains ont conservé la maîtrise des technologies et le bénéfice de toutes les retombées.
Nous devons donc déterminer une position européenne forte avant le sommet de Lisbonne, prévu au début de 2011. Le contexte est d'autant plus favorable que les États-Unis viennent de renoncer à déployer leurs radars en République tchèque et leurs missiles en Pologne.
Quelle doit être, selon nous, la position de la France ? Nous devons tout d'abord faire confiance à la dissuasion. Pour autant, comme l'a justement rappelé le Président de la République à Cherbourg, en mars 2008, la DAMB pourrait constituer un complément utile à nos armes nucléaires. Le Livre blanc confirme d'ailleurs l'importance de la menace balistique, même s'il se contente de mettre l'accent sur l'alerte avancée et la DAMB de théâtre. La loi de programmation militaire est en revanche muette sur le sujet.
Nous devons faire évoluer notre réflexion stratégique pour rester une force de proposition et pour nous positionner sur ce segment. Notre base industrielle et technologique est déjà forte avec Astrium pour l'alerte avancée spatiale, Safran pour la propulsion, Thalès pour les radars et le contrôle-commandement (C2) et MBDA pour les missiles.
Partant de là, nous avons défini une stratégie qui s'organise autour de trois axes. Nous devons développer une DAMB de théâtre, la dissuasion étant à même d'assurer la protection du territoire national et de nos intérêts vitaux. En opérations, il nous faudrait disposer d'une capacité de riposte plus souple, ce qui permettra également de maintenir nos compétences dans ce domaine de pointe.
Il n'est pas utile d'imiter pour autant les États-Unis : nous n'avons pas les moyens, ni la nécessité, d'un système couvrant tous les risques, y compris extra-atmosphériques et sanctuarisant notre territoire.
Il n'est pas pertinent de développer un système français, pas plus qu'un système européen : nous devons nous intégrer au sein du pilier européen de l'OTAN dans les trois domaines que sont l'alerte avancée, le C2 et les vecteurs. À nous de montrer ce que nous pouvons apporter sur le plan technologique. Nos industries sont au niveau, elles attendent juste que nous définissions notre doctrine. Pour ce qui est des financements, il ne s'agit que d'un effort initial mesuré, l'essentiel concernant la prochaine programmation militaire.
En conclusion, nous ne pouvons pas nous contenter de nous aligner sur la doctrine des Etats-Unis, car nous serions alors placés en position de sous-traitants et perdrions notre autonomie, tout en finançant leurs programmes. Pour conserver les clés du système, il nous appartient de proposer une stratégie claire avec des projets technologiques et des engagements immédiats, qui pourront être confirmés dans la prochaine LPM. Ces conclusions semblent porter puisque nous constatons depuis peu un frémissement au sein de l'exécutif. Il faut désormais l'encourager.