COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mercredi 5 mai 2010
La séance est ouverte à neuf heures trente.
(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la commission)
La Commission des affaires sociales entend M. Éric Aubin, membre de la commission exécutive fédérale de la Confédération générale du travail (CGT), sur la réforme des retraites.
Avant de commencer, je voudrais signaler que le conseil de l'Ordre des médecins vient de publier les premiers atlas régionaux de la démographie médicale, particulièrement intéressants. Ils sont disponibles sur le site internet de l'Ordre.
Nous poursuivons notre cycle d'auditions des partenaires sociaux sur la réforme des retraites. Après la CFDT et le Medef, nous recevons M. Éric Aubin, membre de la commission exécutive fédérale de la CGT, accompagné de Mme Mijo Isabey, responsable de l'activité retraite et administratrice de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS), de M. Jean-Louis Butour, chargé de mission pour l'activité retraite et administrateur de la CNAVTS et de M. Gérard Rodriguez, conseiller confédéral pour l'activité retraite, qui nous diront l'appréciation que porte la CGT sur la situation des régimes de retraite et les propositions qu'elle avance dans le cadre de la concertation menée par le Gouvernement.
Pour commencer, nous aurions préféré ne pas rouvrir le dossier des retraites avant de faire le bilan des deux derniers changements majeurs, la réforme Balladur de 1993 et la réforme Fillon de 2003. D'après nous, elles ont entraîné une baisse du niveau des pensions de près de 20 %. Deux mesures ont particulièrement pesé : la prise en compte des vingt-cinq meilleures années au lieu de dix et l'indexation sur les prix plutôt que sur les salaires. Par ailleurs, la CGT avait mesuré, dès 1993, que les réformes proposées ne réglaient pas la question du financement à moyen et long terme : le nombre de retraités et l'espérance de vie allant croissant, il faut trouver de nouvelles ressources si l'on ne veut pas baisser les droits ou le niveau des pensions. Enfin, seul un point d'étape était envisagé pour 2010 : le véritable rendez-vous était prévu initialement pour 2012. Nous regrettons qu'il ait été avancé. Nous mesurons certes l'importance des échéances politiques de 2012, mais cela n'aurait pas dû mener à réduire le temps du débat public sur un tel sujet.
Nous sommes favorables à une réforme. Pour préciser, parce que le mot est aujourd'hui galvaudé, nous sommes pour une réforme progressive. Nous avons les moyens de répondre aux deux défis qui se posent. Le premier de ces défis est de stopper la paupérisation des retraités : leur niveau de vie s'était amélioré depuis les trente glorieuses, mais le mouvement s'inverse aujourd'hui et selon Emmaüs, 15 % d'entre eux ont fait appel dernièrement à l'aide alimentaire. On cherche à les faire passer pour des nantis, mais c'est cacher l'existence d'un véritable problème de niveau des pensions.
Le second défi concerne les jeunes. Nous ne maintiendrons pas notre régime de retraite par répartition sans regagner leur confiance. Que 90 % d'entre eux considèrent, selon les sondages, que leur niveau de revenu ne sera pas suffisant au moment de la retraite pose un véritable problème : s'ils ne croient plus en la répartition, ils iront vers la capitalisation… et arrivera le moment où ils refuseront de cotiser pour les deux systèmes. Cela peut mettre la répartition en danger. La CGT fait donc de la question des jeunes une priorité. La première solution, pour leur redonner confiance, est de garantir l'âge de départ et le niveau de pension auxquels ils pourront prétendre. C'est pourquoi nous nous opposions à la réforme systémique qui avait été étudiée, semblable au système suédois de comptes notionnels : aucun de ces deux éléments ne sont connus dans un tel système, parce qu'ils sont liés à l'espérance de vie qu'atteint la génération à laquelle appartient la personne qui part à la retraite. Ces incertitudes ne favorisent pas la confiance dans le système. Nous sommes donc heureux que les travaux du Conseil d'orientation des retraites aient écarté cette possibilité de réforme, mais les propositions actuelles sur l'âge légal et la durée de cotisation ne sont pas de nature à nous rassurer.
La CGT est opposée au report de l'âge légal de départ en retraite, qui n'est pas que symbolique : il aggraverait encore les difficultés de plusieurs centaines de milliers de salariés, notamment ceux qui sont touchés par la suppression progressive de la dispense de recherche d'emploi – accordée à 57 ans et demi, elle bénéficiait au plus haut à 430 000 demandeurs d'emploi – et la suppression de l'allocation équivalent retraite – accordée à ceux qui ont fait le plein d'annuités avant d'atteindre l'âge légal de 60 ans et qui concerne aujourd'hui 40 000 salariés, puisqu'elle a été remise en place exceptionnellement pour cause de crise. Le report de l'âge légal aurait aussi des conséquences sur l'ensemble des demandeurs d'emploi contraints, par le nouveau dispositif de l'offre raisonnable d'emploi, à reprendre un emploi, y compris moins bien rémunéré, sous peine de suppression des allocations chômage. Nous y sommes donc opposés.
Nous sommes également opposés à l'allongement de la durée de cotisation, qui aura pour premier effet que de moins de moins de salariés auront accès au taux plein en arrivant à la retraite et donc de baisser le niveau des pensions – alors que le Président de la République s'est dit attaché à son maintien. Surtout, c'est la question générale de la situation de l'emploi qu'il faut considérer : comment vouloir mettre les plus de 60 ans au travail alors qu'on n'est pas capable d'en donner aux 20-30 ans et aux plus de 50 ans ?
La CGT ne se focalise donc pas sur l'emploi des seniors, car c'est le problème global de l'emploi qu'il faut régler. Les jeunes entrent en moyenne sur le marché du travail à 23 ans, trouvent un emploi stable vers 27 ans, connaissent la précarité et le chômage et sortent prématurément à 58 ans et neuf mois – âge qui n'a guère évolué depuis la réforme de 2003. La situation de l'emploi en France est catastrophique et ne permet pas de faire travailler ces personnes, qui seraient ainsi renvoyées à la solidarité nationale ou on ne sait à quoi en cas d'allongement de la durée des cotisations. Nous ne nous faisons pas à l'idée que le taux de chômage reste à 10 %, sans même parler de ceux qui le placent entre 10 et 15 % dans les prochaines décennies. Il faut mener une autre politique de l'emploi. Si l'on n'arrive pas à baisser le taux de chômage, notre régime des retraites va droit à la catastrophe, et ce ne sont pas les mesures annoncées qui y changeront quelque chose.
Une vraie politique de l'emploi, ce ne sont pas des mesurettes comme celle qui pénalise les entreprises qui ne négocieraient pas au sujet de l'emploi des seniors : on constate, en effet, que les accords ne sont absolument pas contraignants, et que la première préoccupation des employeurs en les signant était d'échapper à la pénalité de 1 % – que certains ont tout bonnement convertie en une petite augmentation de salaire ! Il y a des mesures à prendre pour permettre aux jeunes de trouver plus rapidement un emploi et de sortir de la précarité – les négociations de ces dernières années ayant systématiquement consisté à recréer des contrats précaires : contrats seniors, contrats à objet défini… La politique d'emploi doit permettre d'obtenir des emplois stables et d'augmenter le taux d'activité entre 20 et 60 ans, non de demander aux plus de 60 ans de chercher un travail qu'ils ne trouveront pas.
Troisième aspect de la question : la pénibilité, que le Président de la République veut traiter sans tabou. Nous en avons discuté avec le ministère du travail, mais force est de constater que les négociations que nous avons suivies durant trois ans et demi avec les organisations d'employeurs ont abouti à un échec. Le premier point d'achoppement est la médicalisation du dispositif de reconnaissance de la pénibilité. Le patronat souhaite que chaque salarié passe devant une commission médicale qui déterminerait si son état physique justifie qu'il quitte son activité ou non. Cela ne nous paraît pas conforme à l'esprit de l'article 12 de la loi de 2003 prévoyant la négociation entre partenaires sociaux, qui pointait l'écart d'espérance de vie – sept ans ! – entre un ouvrier et un cadre supérieur. Il nous semble que la négociation doit servir à réparer cet écart et permettre à chacun de vivre une retraite en pleine santé. Avec une commission médicalisée, il faudra que le salarié soit effectivement atteint dans sa santé pour partir ! Nous défendons donc l'idée d'un dispositif non médicalisé : à part peut-être un médecin du travail, ce sont les partenaires sociaux ou l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail, qui doivent composer la commission chargée de valider le parcours des salariés et d'accorder des bonifications liées au nombre d'années de travail pénible.
Le second point d'achoppement était celui du financement. Les premiers responsables des conditions de travail et de la santé des salariés sont les employeurs. Or, le patronat a refusé de mettre un seul euro sur la table, et a renvoyé soit aux salariés, qui pourraient utiliser diverses primes pour financer un départ anticipé, soit aux pouvoirs publics. Nous sommes donc en situation de blocage.
La CGT formule trois propositions pour financer le dispositif de la pénibilité. La première, une cotisation mutualisée des employeurs, assurerait l'égalité de traitement de tous les salariés, quels que soient le secteur ou la taille de leur entreprise. Renvoyer le financement aux branches aboutirait à écarter de nombreux salariés d'un dispositif éventuel. La seconde est une cotisation qui prenne en compte la prévention. La pénibilité n'est pas un état de fait que l'on doit accepter sans réagir : elle doit être éliminée, ou du moins réduite. Il faut donc mettre en place une cotisation de type accidents du travail-maladies professionnelles, mais améliorée, pour éviter la sous déclaration que l'on constate aujourd'hui : il faut arriver à mesurer les résultats de la politique de prévention de l'entreprise. Notre troisième proposition est d'en appeler aux pouvoirs publics. Il existait douze dispositifs de départ anticipé, pour 9 milliards d'euros au total et qui ont bénéficié à 850 000 salariés, qui ont été supprimés. Les pouvoirs publics peuvent donc financer le dispositif de la pénibilité, au moins pour les salariés pour lesquels la prévention ne peut plus rien – le « stock » : ils sont usés, et il y a urgence à agir. Et quant au « flux » des nouveaux entrants, il faut organiser une traçabilité des parcours, afin de pouvoir bonifier les années d'exposition à la pénibilité. Les discussions avec le ministère n'ont pas beaucoup avancé sur ce sujet.
Plus généralement, la CGT formule cinq propositions sur le financement des retraites. D'abord, il faut élargir l'assiette des cotisations. De plus en plus de rémunérations, dans l'entreprise, n'y sont pas soumises : participation, intéressement, stock-options, bonus… La Cour des comptes estime le manque à gagner à 9 ou 10 milliards pour la protection sociale – dont 3 pour le régime des retraites. Ces rémunérations, présentées à l'origine comme extérieures au salaire, font aujourd'hui partie intégrante de la politique salariale des entreprises. Il faut donc les soumettre à cotisation, et l'Union professionnelle artisanale (UPA) notamment nous rejoint sur ce point.
Ensuite, les revenus financiers des entreprises doivent participer à la solidarité nationale. Les dividendes et les intérêts représentent 250 milliards d'euros : soumis à une cotisation de 8,2 %, soit le taux de cotisation des salariés, ils produiraient 20 milliards. C'est une source de financement à envisager.
Par ailleurs, il faut moduler les cotisations sociales en fonction du rapport entre la masse salariale et la valeur ajoutée. Actuellement, les entreprises sont toutes soumises aux mêmes règles. Les cotisations pèsent sur la masse salariale et pénalisent donc l'emploi et le niveau des salaires. Il n'est pas juste qu'un artisan paye sur la même base que Total ou Sanofi Aventis. Il faut moduler les cotisations pour les rendre plus justes et pour favoriser les secteurs à forte intensité de main-d'oeuvre.
Il faut aussi revoir les exonérations de cotisations sociales, qui représentent 30 milliards d'euros et pèsent sur le niveau des salaires, puisque l'allègement est d'autant plus important qu'on est proche du SMIC. Cette proposition doit s'articuler avec la précédente, afin de créer un dispositif propre à aider les entreprises en difficulté – qui ne sont d'ailleurs pas forcément celles qui bénéficient le plus des exonérations. La réduction des exonérations et la modulation pourraient, si elles étaient retenues toutes les deux, dégager 10 milliards d'euros de recettes nouvelles.
Enfin, il faut envisager la possibilité d'augmenter les cotisations d'abord des employeurs, qui n'ont pas bougé depuis vingt ans, et en tout dernier ressort, si cela ne suffit pas, des salariés. Les sondages montrent qu'ils préféreraient cette solution, si on leur garantissait un niveau de pension convenable à 60 ans, plutôt que de travailler plus longtemps.
Nous développons tous ces points lors de nos rencontres avec le ministère. Nous abordons aussi la question essentielle de la solidarité envers ceux qui connaissent un mauvais déroulement de carrière, et en particulier envers les femmes, qui souffrent en plus des inégalités dans l'entreprise. Cela soulève la question d'une redéfinition des carrières : les concepts d'annuités et d'âge légal ne signifient plus rien pour des jeunes qui commencent à travailler tard du fait de leurs études. Il faut introduire des éléments de solidarité dans la définition des carrières, à commencer par la validation des années d'études.
Merci. J'aimerais juste préciser que, nous aussi, nous aurions aimé maintenir le rendez-vous en 2012 : en novembre 2007, nous pensions financer le régime vieillesse par le transfert d'un point et demi de cotisation UNEDIC. C'était compter sans la crise…
Merci pour cet exposé très clair. Quel bilan tirez-vous des réformes de 1993 et de 2003 ? Quels mécanismes de solidarité vous paraissent-ils devoir être réformés ? Sur les nouvelles sources de financement disponibles, y a-t-il une hiérarchie dans vos cinq propositions ? Enfin, que pensez-vous du rôle du Fonds de réserve pour les retraites ?
Merci pour votre exposé. Vous considérez que le report de l'âge légal de départ en retraite entraînerait une diminution des pensions. Vous qui êtes en pleine négociation avec le ministère, pensez-vous que les informations parues dans la presse concernant un passage à 61, 62 et 63 ans sont une fausse fuite qui anime le microcosme, ou un ballon d'essai de la part du Gouvernement ?
Pour ce qui est de la pénibilité, les négociations n'ont certes pas abouti mais un consensus avait tout de même été trouvé avec le patronat sur des critères objectifs. Pensez-vous possible de les reprendre – malgré le signal négatif que constitue le traitement infligé par le Gouvernement aux infirmiers il y a quelques semaines ?
Que pensez-vous de la mission qui a été donnée au Fonds de réserve pour les retraites ? Enfin, la question des recettes montre une différence d'approche importante entre la gauche et la droite. Pour la droite, une cotisation pèse sur l'économie. Pour nous, elle reste dans le circuit économique, car elle sert à augmenter le pouvoir d'achat des retraités, et donc à maintenir la croissance de l'économie !
Vous n'avez pas abordé la grande question de la différence entre public et privé. Comment voyez-vous les choses ? Par ailleurs, pourriez-vous rappeler ces critères de pénibilité sur lesquels le patronat et les syndicats s'étaient mis d'accord ? Tout le monde dit que les négociations ont été un échec, mais ces critères pourraient déjà faire avancer les choses ! Enfin, s'agissant du financement des retraites, vous formulez des propositions pleines de bon sens et favorables à l'intérêt général.
Pensez-vous, dans un monde ouvert, que le coût comparatif du travail ne nous laisse qu'une faible marge d'augmentation des cotisations, face surtout à l'Allemagne ?
Pour commencer par la pénibilité, le problème est que les points d'accord n'ont pas été actés. Le Medef a refusé de signer un protocole de désaccord à la fin de la négociation, mais nous nous étions rejoints sur trois critères : efforts physiques et psychiques, environnement agressif et rythmes de travail. La crainte des employeurs et des pouvoirs publics était que tous les salariés puissent en profiter pour s'engouffrer dans la brèche du départ anticipé. Pour l'éviter, il faut s'appuyer sur le travail des chercheurs. M. Serge Volkoff, notamment, a beaucoup travaillé sur les critères qui permettent de repérer les situations de pénibilité. Il faut distinguer entre les états de pénibilité qui relèvent de l'invalidité et ceux qui peuvent être corrigés par un changement d'organisation du travail. Nous disposons de toutes les recherches nécessaires, il faut maintenant une volonté politique.
Sur ce sujet, nous ne sommes pas disposés à reprendre les négociations avec le Medef. Nous avons travaillé à fond pendant trois ans et demi pour n'aboutir à rien. C'est aux pouvoirs publics, désormais, de prendre la main pour définir le cadre avant de renvoyer le dispositif dans les branches, pour qu'elles puissent discuter chacune de leurs particularités, mais sans leur laisser l'opportunité de repousser l'échéance.
La question du pouvoir d'achat des retraités ayant un impact direct sur les prélèvements, il faut rappeler qu'ils ne sont pas des parasites vivant aux crochets des actifs – une opinion qui transparaît parfois dans le débat d'aujourd'hui. Leur poids dans la croissance, par le biais de la consommation, et dans la vie associative et politique, est primordial.
En ce qui concerne les départs à la retraite à 61, 62 puis 63 ans, nous constatons hélas que les ballons d'essai deviennent de plus en plus monnaie courante. L'information a certes été démentie, mais le but était sans doute de préparer l'opinion à des mesures de ce type.
Enfin, pour les différences entre public et privé, la CGT propose la mise en place d'une maison commune des régimes de retraite. Il nous semble que la question est largement méconnue : on fait souvent apparaître les salariés du secteur public comme des privilégiés et ceux du privé comme des bannis, sans tenir compte des différences de carrières. Celles-ci sont linéaires dans le public, alors que dans le privé, les six derniers mois d'activité sont souvent six mois de chômage ! Parce qu'on finit souvent sa carrière à un salaire plus bas qu'auparavant dans le privé, nous sommes favorables à la prise en compte des dix meilleures années – mais pas des vingt-cinq, comme aujourd'hui.
Notre projet de maison commune des régimes de retraite vise à établir un socle de droits commun. Dans cette perspective, ce n'est pas le mode de calcul qui compte, mais le résultat en termes de taux de remplacement. Ce que nous défendons, c'est le droit au départ à soixante ans avec un taux de remplacement de 75 %. Tous les salariés doivent se le voir garantir, quel que soit le mode de calcul. L'opposition entre public et privé est un faux débat, qui vise à diviser les salariés.
Les mécanismes d'acquisition des droits sont très différents, puisqu'ils sont fondés sur la durée dans le public et sur la valeur dans le privé. Cela explique qu'on se fonde sur la fin de la carrière ou sur une moyenne selon les cas. Les comparaisons entre régimes n'ont donc aucun sens : c'est de la pure démagogie. La seule comparaison qui tienne est celle du niveau des retraites, à qualification et parcours comparables, et il s'avère qu'il est semblable : les pensions des fonctionnaires d'État et territoriaux sont un peu inférieures à la moyenne du privé, et celles des fonctionnaires hospitaliers sont dans la moyenne. Les deux mécanismes répondent à des logiques différentes, mais aboutissent à des niveaux de retraites comparables.
Pour répondre plus précisément à M. Jacquat, si ces différences de parcours entre le public et le privé justifient des mécanismes distincts, elles ne doivent pas influer en matière de solidarité. Il est fâcheux de discuter de la solidarité séparément dans le public et dans le privé. D'où l'intérêt de la maison commune des régimes de retraite que nous proposons, qui permettrait une harmonisation des droits et une meilleure coordination. Au moins trois sujets pourraient être traités assez vite de façon commune : la question des polypensionnés et des minima, afin de coordonner le minimum garanti de la fonction publique et le minimum contributif du régime général ; celle de la réversion, parce qu'il n'y a pas de raison que les veufs et veuves soient traités différemment selon le secteur ; et celle de la majoration pour enfants, puisque chaque régime a développé un système différent.
S'agissant du coût du travail et du niveau des prélèvements obligatoires, tout système de retraite s'analyse sous trois aspects : la démographie, la solidité du système et le niveau de l'emploi. Pour ce qui est des deux premiers, la France est dans une position beaucoup plus favorable que ses voisins, mais le troisième est désastreux. Or, ce sont nos mécanismes de sécurité sociale qui nous assurent ces deux bons résultats : ils sont coûteux, mais utiles. C'est pourquoi il faut assurer leur financement.
Quant à nos prélèvements obligatoires, ils sont certes élevés mais moins que dans des pays comme le Danemark ou la Suède, qui ont aussi des niveaux de retraites plus élevés. Dans les dix ou quinze dernières années, nos prélèvements ont été marqués par la baisse des cotisations employeurs et l'énorme progression des prélèvements pesant sur l'ensemble de la population, tels que la CSG. Nous avons donc des marges de progression pour les cotisations employeurs. Enfin, depuis quarante ans, la quasi-totalité des pays développés ont fortement augmenté leurs prélèvements obligatoires, beaucoup plus qu'en France où ils étaient, c'est vrai, déjà élevés. Nous avons donc encore des marges de progression. Par ailleurs, en Europe, ce n'est pas tant le niveau de prélèvements obligatoires de la France qui pose problème que celui de l'Allemagne. Ses orientations en matière de coût du travail ne semblent pas pouvoir durer. Un changement nous assurerait encore une petite marge de financement supplémentaire.
Pour ce qui est du bilan, certaines mesures des réformes précédentes ont été négatives pour l'ensemble des retraités, et encore plus particulièrement pour les femmes. C'est le cas, dans le privé, pour le calcul sur les vingt-cinq meilleures années au lieu de dix, et dans le public pour la remise en cause de la majoration de durée d'assurance pour enfants. Depuis ces deux mesures, beaucoup plus de femmes sont au minimum contributif. C'est pourquoi nous oeuvrons sur la question de la constitution de leurs droits propres. Il faut aussi essayer de corriger « à la source » les différences de traitement dans le monde du travail : ce n'est pas au système de retraite de gommer toutes les inégalités. Mais en attendant, heureusement que la solidarité s'exerce !
Il faut donc revoir la législation en la matière, avec une obligation de résultat sur l'égalité entre hommes et femmes. En attendant que le problème soit résolu, il faut revenir, dans le privé comme dans le public, sur certaines décisions. En commençant par les quatre trimestres de majoration de durée d'assurance dans le public, sachant que le déroulement de carrière des femmes n'est pas du tout de même nature… La majoration ne doit pas s'envisager par rapport à l'éducation des enfants, mais aux inégalités de traitement de la vie active.
Enfin, les périodes de chômage pèsent sur les droits à la retraite. Il faut donc réfléchir à leur prise en compte. Les premières périodes de recherche d'emploi des jeunes, qui attendent leur premier contrat à durée indéterminée huit à dix ans, ne sont pas validées aujourd'hui. Il faut faire évoluer les choses.
Vous souhaitez restaurer la confiance des jeunes dans le système par répartition : quelles sont vos propositions ? Et sur l'emploi des seniors, vous semblez contredit puisqu'il augmente depuis un an et demi, malgré la crise.
Vous êtes opposés au recul de l'âge de départ à la retraite au motif que les seniors prendraient la place des jeunes sur le marché du travail. C'est une optique de partage du travail qui avait déjà prévalu lors de l'instauration de la retraite à 60 ans ou des 35 heures. Comment expliquez-vous alors que le taux de chômage des jeunes soit resté élevé ? Quant à la question de la pénibilité, comment l'aborder sans recréer des régimes spéciaux ?
Pour ce qui est du financement du système, vous proposez d'élargir l'assiette des cotisations mais même en additionnant toutes les possibilités, on ne parviendrait pas à l'équilibre. Où trouver le complément ? Enfin, vous faites de la situation de l'emploi la cause principale du déséquilibre financier. Ce ne serait donc pas le vieillissement de la population ?
Merci pour votre exposé clair et prospectif, qui donne du sens à ce que nous défendons. Le point essentiel me semble être la relation entre vos deux propositions concernant la modulation des cotisations selon de poids de la masse salariale dans la valeur ajoutée, et les exonérations. Enfin, il est bon de faire remarquer que vous vous préoccupez aussi de la situation des entreprises.
Puisque vous êtes favorables à l'équité et la justice, dans quels délais voyez-vous la convergence des régimes des fonctionnaires et des régimes spéciaux sur le privé ? Et quel est votre point de vue sur la réforme allemande, entamée en 1992, qui comprend le passage à un système de retraite par points, le report de l'âge légal de 65 à 67 ans et l'instauration d'une dose de capitalisation ? Cette réforme, et les initiatives pour le soutien à l'emploi des seniors, semblent porter leurs fruits. Peuvent-elles être appliquées en France ?
Votre exposé m'a semblé contenir quelques paradoxes. Ainsi, vous soulignez le trop faible niveau des pensions d'une partie de la population et le fait que certaines entreprises souffrent, mais vous tablez toutes vos propositions sur l'augmentation des prélèvements ! Vous vous confortez en soulignant que les Français accepteraient une augmentation de la CSG, mais ce n'est pas ce qui améliorera le niveau de vie de ceux qui gagnent le moins !
Par ailleurs, si vous voulez taxer les revenus financiers des entreprises, qui supportent déjà de lourds impôts, ne venez pas nous expliquer ensuite qu'il faut se préoccuper des problèmes de compétitivité qu'elles rencontrent !
Enfin, je sais que ma fille de 20 ans aura, à 60 ans, presque dix années d'espérance de vie de plus que moi. Or, vous ne tenez pas compte de cette évolution.
Dans une optique de rapprochement des régimes, êtes-vous favorables à un même niveau de cotisations pour les salariés du privé et les fonctionnaires ? Quelle est votre position sur la possibilité de prendre sa retraite au bout de quinze ans lorsqu'on a eu trois enfants, puis de reprendre une activité salariée génératrice de droits à retraite ? Et quelle est votre position sur le départ à 50 ou 55 ans dans la fonction publique pour les catégories dites actives ?
Merci pour votre exposé très clair. C'est la première fois au cours de ces auditions qu'on nous donne des propositions si détaillées sur le mode de financement. Elles ne sont peut-être pas toutes exploitables, mais j'espère que certaines seront étudiées dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, concernant par exemple les stock-options, les allègements sur les bas salaires ou la contribution sur l'intéressement et la participation.
Pour ce qui est du rapprochement entre le public et le privé, la confusion règne et il faut effectivement tout mettre à plat. Ce serait l'objet de la maison commune que vous proposez, et les trois sujets que vous évoquez – minimum contributif, réversion et majoration pour enfants – sont pertinents et doivent être traités de manière équitable.
Enfin, vous défendez le maintien de l'âge légal à 60 ans, mais vous avez peu évoqué l'allongement de la durée de cotisation. Les 41 annuités de 2012 sont-elles vraiment, pour la CGT, un maximum ?
Il est vrai que, sans chute importante du chômage, les mesures proposées seront insuffisantes pour sauvegarder nos retraites, puisqu'il faut le plus possible de cotisants. Vous dites aussi qu'une véritable politique de l'emploi doit permettre aux jeunes d'entrer plus tôt sur le marché du travail, de réduire la précarité et d'augmenter le taux d'emploi entre 20 et 60 ans. Quelles mesures concrètes proposez-vous en ce sens ?
Au sujet de la pénibilité, je comprends vos réticences sur la médicalisation de la commission qui doit valider les parcours des salariés. Quelle composition proposez-vous ?
Les jeunes, qui commencent à travailler tard, souffrent en outre d'une politique générale des entreprises qui les écarte du marché. Ils doivent conserver la possibilité de partir en retraite à 60 ans. Cela n'est possible que si les années d'études comptent pour les droits à la retraite. Il faut donc retravailler la notion de carrière complète pour tenir compte de l'évolution du marché du travail et du développement de la précarité. Pour l'instant, les notions d'âge de départ et d'annuités ne veulent plus rien dire.
Nous pensons que les stages, les formations et les années d'études doivent être pris en compte, mais avec un plafond : ce sont plutôt les populations favorisées qui font sept ou huit ans d'études après le bac. Une période de trois ans, qui correspond à la licence, pourrait paraître raisonnable.
Ou bien deux ans, ce qui correspond au BTS. Cela pourrait être un bon équilibre pour ne pas défavoriser non plus ceux qui commencent à travailler à 18 ans.
Pour l'instant, il n'y a rien.
Nous n'opposons pas les jeunes et les seniors : nous avons un problème global d'emploi à régler. Affirmer que les seniors doivent rester au travail ne marche tout simplement pas : malgré la légère augmentation que vous avez évoquée, ils continuent à quitter massivement les entreprises, et les accords n'auront aucun effet parce qu'ils ne posent aucune contrainte. D'après les sondages, 57 % des employeurs affirment qu'il leur serait très difficile de faire travailler les salariés après 60 ans, et le taux est beaucoup plus élevé dans la construction et le commerce. Les employeurs ne sont pas prêts, il faut prendre ce fait en considération.
On peut traiter le problème de la pénibilité sans créer de nouveaux régimes spéciaux. L'urgence est de faire partir certains salariés plus tôt. Prendre le prétexte d'un refus des régimes spéciaux permet simplement de botter en touche. La commission de validation permettrait de vérifier le parcours des salariés en reconnaissant leur nombre d'années d'exposition. Elle pourrait comprendre, outre les partenaires sociaux, peut-être un médecin du travail, un représentant de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail et un inspecteur du travail.
La modulation des cotisations selon le poids des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises, dans un premier temps, ne produira pas de gains très importants. En revanche, elle favorisera l'emploi et créera donc des ressources futures. Et il faut aussi réduire les exonérations, qui se montent aujourd'hui à 30 milliards d'euros. Les deux mesures conjuguées pourraient dégager 10 milliards d'euros.
La question de la taxation des revenus financiers appelle un véritable choix de société. Le choix fait dans les années précédentes au sujet des retraites est clair : on y consacrait 5,4 % du PIB en 1959, et 13,3 % en 2000. Oui, il faut encore augmenter la part du PIB consacré aux retraites. Ce n'est pas impossible, sachant qu'il va doubler d'ici 30 ou 40 ans. Encore faut-il le vouloir ! Depuis 2000, la part de PIB dirigée vers les dividendes a été multipliée par quatre !
La part de la valeur ajoutée affectée au travail a fortement baissé, et la rupture s'est faite en 1982.
C'est donc bien un choix de société. Une part des dividendes doit être redirigée vers les retraites.
À propos de l'importance de la démographie dans le déséquilibre financier, il faut souligner que l'évolution démographique n'est pas nouvelle et que l'augmentation de notre espérance de vie ne doit pas, comme c'est parfois le cas, être présentée comme un handicap pour le pays ! Mais l'espérance de vie n'est pas tout : il faut aussi vivre en bonne santé. D'ici à 2050, le nombre de personnes âgées de plus de 60 ans va fortement augmenter. Plutôt que de déclarer que c'est un problème insurmontable, il faut évaluer les besoins de cette population et faire en sorte qu'elle ait un revenu convenable pour faire face à ceux-ci. Certes, nous vivons plus longtemps, mais aucune loi divine n'en infère qu'il faille travailler plus longtemps. Le progrès de la civilisation, c'est que la forte augmentation de la productivité du travail qui s'est produite, et donc celle des richesses créées, serve aux besoins de financement futurs des retraites. Sinon, il faut dire à qui elles doivent profiter…
Pour ce qui est de l'alignement entre le public et le privé, avant de brandir la question des six mois, il faut analyser à fond les modes de calcul. Il y a plusieurs termes à prendre en compte. La durée n'est pas prise en considération de la même façon dans le public et le privé. Revenir sur la règle des six derniers mois, c'est vouloir sans le dire augmenter la contributivité des régimes. Je prends le pari que très rapidement, après avoir imposé un recul dans la fonction publique, on commencera à soulever la question du calcul de la durée dans le privé… qui n'est pas fondé, je le rappelle, sur les heures effectives de travail. Dans le privé, il faut 200 heures de SMIC pour valider un trimestre. Or, un rapport de la Cour des Comptes propose déjà de prendre comme référence 300 heures de SMIC, ou 450… voire la durée effective d'activité ! Ce qui conduirait à une baisse dramatique des pensions dans le privé, en particulier pour les femmes qui sont plus touchées par le temps partiel contraint. Le débat sur les six derniers mois n'est donc qu'un prétexte : dans les faits, il n'y a pas tant de différence entre les pensions du privé et du public. Je connais des cadres supérieurs sortis des grandes écoles et retraités de la fonction publique après une très belle carrière : ils ont 3 000 euros de pension ! Il y a beaucoup de fantasmes qui courent sur le sujet : il faut tout mettre sur la table.
Vous vous demandez à qui doivent profiter les gains de productivité. Jacques Delors y a répondu dans son livre : dans les quinze dernières années, ils ont été absorbés par la montée des prestations sociales et des dépenses des collectivités locales, au détriment du pouvoir d'achat du salaire direct et des investissements pour l'avenir. C'est un élément important à rappeler.
M. Jacques Delors n'a pas tout à fait tort, mais il faut reconnaître que l'augmentation de la part des cotisations sociales est revenue aux salariés et cela nous semble une bonne chose. Nous pensons que ce sont des procédures collectives, sûres et finalement assez économiques, qui doivent garantir les besoins sociaux plutôt que des procédures individuelles qui coûtent au final beaucoup plus cher.
La cotisation retraite des fonctionnaires s'élève à 7,85 %, avec des taux de cotisation implicite considérables pour l'État. Dans un contexte de non-remplacement des fonctionnaires qui partent à la retraite, ces cotisations implicites ne peuvent qu'augmenter. Certes, on peut toujours réfléchir à augmenter le taux de cotisation, mais cela revient à baisser le traitement des fonctionnaires, qui augmente beaucoup moins vite que dans le privé depuis vingt ans, alors même que le Gouvernement fait tout pour remplacer une part du traitement de base par des primes. Déjà 23 % de la rémunération des fonctionnaires prennent la forme de primes, qui ne sont pas prises en compte pour le calcul de la retraite. Le taux de remplacement de 75 % est donc en réalité à peine supérieur à 60 %. Et de même que la hausse des cotisations, le report de l'âge légal et l'allongement de la durée de cotisation reviennent tous les deux à baisser les pensions. L'effet n'est pas immédiat, mais tout de même bien réel.
Merci pour vos contributions. Les différences d'appréciation avec d'autres auditions, mais aussi certaines convergences, sont clairement apparues.
La Commission des affaires sociales entend M. Bernard Devy, secrétaire confédéral de la Confédération générale du travail - Force ouvrière (CGT-FO), sur la réforme des retraites.
Nous accueillons maintenant M. Bernard Devy, secrétaire confédéral de la Confédération générale du travail-Force ouvrière – CGT-FO – sur la réforme des retraites.
La question des retraites étant, pour nous, à la fois un dossier majeur qui engage l'ensemble des salariés et un problème de société, elle appelle une action plus dure que celles qui ont été engagées jusqu'à présent. En effet, les manifestations à répétition de 2009 n'ont pas été efficaces. Nous ne voulons pas qu'à la fin du mois de juin, on range pancartes et baskets et qu'on oublie pendant la période des vacances ce qui est un véritable sujet d'inquiétude pour les salariés. C'est pourquoi nous appelons à une journée d'action à la mi-juin. Il appartiendra ensuite aux organisations syndicales de définir leurs positions. Quant à nous, nous vivons au jour le jour : nous verrons, en fonction de la mobilisation des salariés, ce qu'il y a lieu de faire vis-à-vis de la réforme qui s'annonce.
La problématique posée en 2003 doit être revue. Nous n'avons plus la capacité aujourd'hui de régler le problème du financement par des transferts de l'assurance chômage vers l'assurance vieillesse, comme cela avait été envisagé à l'époque. Il y a aujourd'hui 5 millions de personnes en dehors du marché du travail, dont 3 millions seulement sont indemnisées. Comme je l'ai fait remarquer au cabinet du ministre il y a quelques jours, un recul de l'âge légal de départ à la retraite menacerait l'indemnisation d'une certain nombre de travailleurs qui se trouvent actuellement « dans les tuyaux », c'est-à-dire qui, licenciés par les entreprises à 57 ans et demi, bénéficient d'une garantie de trente mois d'indemnisation. On ne peut pas imaginer que ces personnes se retrouvent sans aucune indemnité en juillet 2012 ou avec les seuls secours prévus dans le cadre du revenu de solidarité active (RSA).
Pour nous, on ne peut donc pas dissocier le problème des retraites de celui de l'emploi.
Ce qu'il faudrait, bien évidemment, c'est que la croissance reprenne. Le déficit actuel de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) correspond très exactement à la baisse d'activité, soit 30 %. La diminution de la croissance économique nous a fait perdre l'équivalent de 800 000 emplois en 2009, si bien que la masse salariale a, pour la première fois depuis l'après-guerre, baissé de 1,3 %, ce qui s'est traduit par des rentrées financières moindres.
S'agissant des régimes de retraite complémentaire, les perspectives de déséquilibre ont été ramenées à 7 ans : au lieu de n'avoir à décaisser qu'à partir de 2017, comme il était prévu dans les premières estimations faites en 2006, nous allons être obligés de le faire à hauteur de 2,5 milliards d'euros pour l'Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO) et de 1 milliard d'euros pour l'Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) à cause de la perte, sur trois ans, de quelque 9 milliards d'euros de cotisations. C'est dire nos craintes si le Gouvernement décidait, comme des rumeurs persistantes le laissent penser, de reculer l'âge de la retraite pour le faire passer progressivement à 61, 62 puis 63 ans.
Démenties ou non, nous ne pouvons pas ne pas en tenir compte.
Très prochainement, des éléments complémentaires au rapport du Conseil d'orientation des retraites (COR) vont nous être apportés. Attachez-vous à regarder l'économie que l'on peut escompter d'un recul progressif, à raison d'un trimestre par an, de l'âge du départ à la retraite à 61 ans en 2015 : 3,5 milliards d'euros, alors que rien que le déficit de la Caisse nationale est estimé à 13 milliards cette même année ! Cela montre qu'il faut absolument examiner les conditions réelles du financement de notre système de retraite.
Pour Force ouvrière, il faut d'abord essayer de séparer, une bonne fois pour toutes, ce qui relève du contributif de ce qui ressortit au non-contributif, c'est-à-dire des mécanismes de solidarité auxquels nous sommes profondément attachés et qui jouent à la fois sur l'intra-générationnel, c'est-à-dire entre les professions, et l'inter-générationnel, c'est-à-dire entre les jeunes et les moins jeunes. Nous devons à tout prix éviter qu'un conflit n'intervienne entre actifs et retraités au motif que les seconds auraient un niveau de vie supérieur aux premiers.
Les mécanismes attachés à la retraite touchant aux périodes de chômage, aux périodes de maladie et à la politique familiale conduite depuis 1945 – droits familiaux et droits conjugaux – vont être progressivement à la charge de la branche famille. Mais, le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) enregistre un fort déficit : alors qu'il devait lui être affecté 1,3 point de CSG, il ne lui en est transféré que 0,85. Si l'on avait une croissance économique plus forte, il serait en équilibre, mais ce n'est pas le cas. Nous devons trouver des éléments de financement qui lui permettent de trouver son équilibre sur le long terme, sans être soumis aux aléas de la conjoncture économique.
Je reprends l'exemple des régimes complémentaires. Si les partenaires sociaux ont réussi à constituer des réserves financières (61 milliards d'euros à l'ARRCO, une quinzaine de milliards à l'AGIRC), et il est naturellement inconcevable que ces réserves quittent le giron des partenaires sociaux, c'est, d'une part, parce que nous avions, en 1993, un rapport de charge supérieur à 100 % et, d'autre part, parce que nous en avons profité pour mettre en place un certain nombre de règles. Certains ont accusé ces règles d'être trop drastiques et de faire baisser le rendement – il ne serait plus possible aujourd'hui de prendre de nouvelles mesures diminuant le rendement, car elles rendraient nos régimes moins attractifs que les systèmes par capitalisation, ce à quoi nous ne tenons pas –, mais elles ont évité à ces régimes d'être soumis, comme l'assurance chômage, aux aléas de la conjoncture économique et ont donc permis de passer les caps difficiles. Je rappelle que nous payons des retraites à échoir et que nous recevons des cotisations à termes échus, ce qui fait que nous avons besoin d'un volant de réserve d'au moins six mois pour ne pas être obligés, demain, d'emprunter sur les marchés financiers.
Notre premier objectif est donc de séparer le contributif du non contributif, car notre système bismarkien, mis en place en 1945, a atteint ses limites : si nous continuons dans cette voie – les exonérations de charges sociales se sont élevées à 31 milliards d'euros cette année –, nous ne serons plus dans un système de financement de la protection sociale par le salaire différé, ce qui signifie qu'il va falloir trouver des solutions.
Pour sa part, le financement de la partie contributive passe par le paiement des cotisations sociales, et Force ouvrière a des propositions à faire en ce domaine.
Tout d'abord, il faudra, à un moment donné, prendre en compte le fait que les revenus du travail sont actuellement plus taxés que les revenus du capital. Même si nous n'y avons pas été favorables à une certaine époque, nous pensons que la CSG peut être un moyen de rétablir un équilibre entre les deux, à condition de revoir, dans le cadre d'une réforme fiscale, son architecture, afin que cette contribution pèse un peu plus sur les revenus du capital et un peu moins sur ceux du travail. Le déséquilibre que l'on constate depuis une vingtaine d'années dans le partage de la valeur ajoutée a eu pour conséquence une stagnation des salaires, qui pèse sur les rentrées financières de notre système de protection sociale. Après avoir examiné le problème de l'assurance vieillesse cette année, c'est au dossier de l'assurance maladie auquel nous nous attaquerons l'an prochain, ce qui signifie la mise en oeuvre d'une réforme perpétuelle du système de financement de notre protection sociale.
En outre, si l'on considère que le régime dit universel de l'assurance maladie peut être, demain, financé non plus par la cotisation, mais par l'impôt, nous avons envisagé la possibilité de transférer un point de cotisation de la branche maladie à la branche vieillesse, sachant que cette dernière devra rester contributive. Comme la participation patronale au titre de la maladie est de 12,8 %, cela permettrait de récupérer 4,5 milliards d'euros au profit de l'assurance vieillesse. Enfin, il faudrait augmenter d'un point la CSG pour compenser.
Ceux qui pensent que nous pourrons sauver notre régime de retraite uniquement en jouant sur la durée de cotisation et sur l'âge du départ à la retraite font erreur. Ces mesures ne donneront des résultats qu'en 2035. Jusqu'à cette date, ce qui pourrait être bénéfique pour nos régimes, c'est le recul de l'âge de départ à la retraite. À partir de 2035, c'est la durée de cotisation qui peut jouer. Les jeunes rentrent dans la vie professionnelle aujourd'hui à 21 ans et demi ; si on leur impose une durée de cotisation de 42 ans, cela repoussera l'âge de leur retraite à 63 ans et demi. On ne pourra pas jouer continuellement sur ce levier, sous peine de pénaliser les jeunes qui font des études, à moins de valider celles-ci ou de faire cotiser pour celles-ci. À l'autre bout de l'échelle des âges, il faudra s'occuper des seniors, car les travailleurs sont licenciés à partir de 57 ou 58 ans. C'est pourquoi nous insistons, dans les discussions que nous avons avec le Gouvernement, sur la nécessité de trouver des recettes nouvelles. Mais, pour l'instant, pour ne fâcher personne, les représentants de celui-ci n'abordent ni la question du financement, ni celle de la durée de cotisation, ni celle de l'âge de la retraite.
Nous ne pourrons pas ne pas aborder ces questions.
Vous connaissez le slogan de notre organisation : « Retraites : 40 ans, c'est déjà trop ! »
Il me semble important de rappeler qu'en Allemagne, la durée de cotisation pour obtenir une retraite à taux plein est de 35 ans et que la durée moyenne d'activité en France est de 38 années.
En 1982, lorsque l'âge du départ à la retraite est passé de 65 à 60 ans, 45 % des personnes faisaient liquider leur retraite dans le cadre d'une incapacité de travail ou d'une invalidité. Aujourd'hui, il n'y en a plus que 20 % qui liquident leur retraite de cette manière.
Il faut éviter à tout prix qu'il y ait un transfert de charges sur l'assurance chômage, ce qui arriverait si l'on poussait les partenaires sociaux à réviser les conditions d'indemnisation de celui-ci, ou sur l'assurance maladie comme c'est le cas chez nos voisins du nord de l'Europe, qui ont renvoyé sur l'invalidité une partie de ce qui pourrait être pris en charge par le système de retraite.
En Europe, l'âge moyen de départ à la retraite est 61 ans. Mais, en Allemagne, par exemple, les travailleurs ont la possibilité de partir sans condition d'âge à partir du moment où ils ont cotisé pendant 45 années. Comme l'apprentissage est très développé en Allemagne, les jeunes commencent à travailler à 15 ans ; ils partent donc aussi à 60 ans.
Le problème de la retraite est indéniablement lié à celui de l'emploi. Ce que nous craignons, c'est que l'effet cumulé d'un allongement de la durée de cotisation et du recul de l'âge de départ à la retraite n'augmente le nombre de personnes qui, n'entrant pas dans le cadre des préretraites ou dans celui des indemnités de chômage, partiront à la retraite avec une décote, comme cela a été le cas lors de la réforme de 2003.
S'agissant du problème de la pénibilité, nous regrettons que les partenaires sociaux n'aient pas été capables d'aboutir à une position commune. Une bonne définition de celle-ci a été trouvée, mais nous avons buté sur la question de la réparation parce que les employeurs n'ont pas voulu « mettre un kopeck ». Comme on ne peut pas renvoyer ce dossier aux parlementaires, nous proposons de laisser le soin aux branches professionnelles de le régler. En effet, le problème ne peut être abordé uniquement sous l'angle d'un départ anticipé à la retraite. Il importe également de réfléchir à la prévention et à l'amélioration des conditions de travail, ce qui passe notamment par le renforcement des institutions représentatives du personnel et, notamment, des comités hygiène, sécurité et conditions de travail. Il convient également de revoir le rapport au travail et donc l'organisation de celui-ci et non pas seulement l'organisation du temps de travail. Il faut examiner les postes de travail ou les fonctions occupées au sein de l'entreprise et essayer, en fonction de cette analyse, de permettre aux personnes concernées de partir plus tôt à la retraite avec des bonifications. Cela étant, une difficulté se pose : si le calcul se fait à titre individuel, le cas relèvera plutôt de l'assurance maladie ; si la question est traitée dans un cadre collectif, c'est un point sur lequel nous butons actuellement. C'est pourquoi nous préconisons que ce soit les branches professionnelles qui traitent le sujet. En effet, nous souhaitons qu'une cotisation, aussi minime soit-elle, soit définie et mutualisée dans un fonds dans lequel nous puissions puiser. Le ministre a exprimé la crainte, lorsque nous lui avons exposé ce souhait, que nous lui demandions d'abonder ce fonds s'il n'était pas suffisamment alimenté ; nous lui avons répondu que nous souhaitions qu'il soit géré paritairement.
Oui. Il y aurait aussi un droit de tirage. On peut imaginer de mettre en place un mécanisme identique à celui qui existe pour les accidents du travail et les maladies professionnelles, afin de permettre à certains salariés de bénéficier d'un départ anticipé à la retraite en dehors des cas individuels qui seront traités par l'incapacité professionnelle.
Il restera toujours, cependant, des métiers pour lesquels nous ne trouverons pas de solution. Par exemple, on ne pourra pas faire travailler jusqu'à 67 ans un carreleur perclus de douleurs pour avoir posé du carrelage pendant trente ans. Les risques psychosociaux seront également moins faciles à évaluer.
Nous aurons à gérer un « stock » et un « flux » qui nécessiteront chacun des mesures spécifiques.
Je vous remercie, monsieur Devy, pour cet exposé très clair et comme d'habitude très proche du terrain et de nos préoccupations.
Quel bilan tirez-vous des réformes de 1993 et de 2003 ? Souhaitez-vous revenir sur celles-ci ?
Quels sont les mécanismes de solidarité qu'il vous semble nécessaire de réformer ?
Quelles nouvelles sources de financement vous semblent disponibles ? Lesquelles privilégiez-vous ?
Que pensez-vous du Fonds de réserve pour les retraites ? Quel rôle le voyez-vous jouer dans le futur ?
J'aimerais connaître votre sentiment sur la méthode employée par le Gouvernement. Nous aurions besoin de beaucoup plus de temps pour trouver des solutions à la fois justes humainement et efficaces économiquement, éloignées des solutions simplistes avancées. Or, j'ai l'impression que, dans le débat qui nous est proposé, les choses sont déjà écrites : en effet, nous venons d'apprendre que le texte serait présenté en conseil des ministres le 13 juillet et que la discussion du texte débuterait début septembre.
Deuxièmement, avons-nous les moyens de mettre fin au scandale des petites retraites et de mettre un terme aux souffrances des retraités qui ne disposent que de quelques centaines d'euros par mois – et ce alors que la France est un pays riche ?
Le slogan de votre organisation « Retraites : 40 ans, c'est déjà trop ! » me semble relever d'une stratégie sinon de blocage, tout au moins de freinage. En trente ans, les choses ont évolué. Je souhaiterais que le débat soit plus ouvert et que l'on approfondisse la comparaison de notre système de retraite avec ceux de nos pays voisins.
Deuxièmement, la réforme en cours des cotisations accidents du travail-maladies professionnelles semble avoir l'aval de tous les partenaires sociaux. Pouvez-vous le confirmer ?
Comment vous situez-vous dans la bataille pour plus de justice et d'égalité entre les salariés du secteur public et ceux du secteur privé ?
Existe-t-il un travail collectif mené par les organisations syndicales sur la réforme des retraites ? Cherchez-vous à définir une plateforme commune ?
J'apprécie votre position sur la CSG. C'est un impôt assez juste puisqu'il taxe à la fois le capital et le travail, même si on peut regretter qu'il ne taxe pas plus le premier.
Il faut avoir conscience que, avec l'allongement de la durée de cotisation, presque plus personne ne touchera une retraite à taux plein. Il faut donc veiller à ce que les décotes ne soient pas trop violentes. La presse a relayé des rumeurs où il était question de décotes allant jusqu'à 20 ou 30 %. Quelle est votre position à ce sujet ?
Avez-vous des solutions spécifiques pour relever le niveau des retraites indignes évoquées par Patrick Roy ?
La question de la pénibilité aurait pu être traitée indépendamment de la réforme des retraites, si les partenaires sociaux étaient parvenus à un accord ou si le Gouvernement l'avait traitée par voie législative après 2008. Elle est maintenant un volet de la réforme des retraites. Connaissez-vous les intentions du Gouvernement à ce sujet ? Y aura-t-il un volet prévention et un volet réparation ? L'exposition à des conditions de travail pénibles au cours du parcours professionnel devrait figurer dans un curriculum laboris mais nous ne sommes pas, pour l'instant, capables de le maîtriser techniquement.
S'agissant de la question de la pénibilité, je ne peux rien vous dire sur les intentions du Gouvernement, bien que cette question nous soit apparue comme sa préoccupation première lors de la réunion que nous avons eue dernièrement avec le cabinet du ministre.
La pénibilité.
Les mesures pour prendre en compte les longues carrières vont se tarir. En raison du durcissement des conditions de départ, le nombre des départs a décru de 100 000 à 20 000 : seuls ceux qui ont 59 ans peuvent en bénéficier. Ce dossier me semble donc clos.
Dans le domaine de la pénibilité, le législateur ne pourra pas tout faire, il devra se contenter de reprendre ce qu'ont fait les partenaires sociaux. Si ceux-ci étaient parvenus à un accord, cela aurait été plus facile pour le législateur de le traduire dans la loi. C'est pourquoi j'estime que ce dossier doit être renvoyé aux branches professionnelles.
Je n'ai pas évoqué toutes les corrections à apporter à la réforme de 2003. Notre système comporte encore des inégalités mais il faut savoir que tout système de retraite, quel qu'il soit, créera toujours ses propres inégalités.
La méthode employée par le Gouvernement est-elle trop rapide ? En fait, la priorité de ce dernier est de dégager des économies pour passer sous le cap des 3 % de déficits publics en 2013. Les marges sont étroites. La question des retraites, pour importante qu'elle soit, passe au second plan. C'est pourquoi elle est étudiée dans l'urgence et qu'il n'est proposé qu'une réforme paramétrique.
Cela étant, il ne faut pas, à chaque rendez-vous, dramatiser le problème de la retraite. Je m'inscris en faux contre la croyance selon laquelle il serait possible de réformer une bonne fois pour toutes notre système de retraite. Cela ne pourrait se faire en fixant le taux de cotisation à 22 ou 25 % et en passant d'un débat politique à un débat purement technique dans lequel les ajustements nécessaires seraient quasi-automatiques. Dans le système de comptes notionnels mis en oeuvre par les Suédois, c'est la croissance qui vient revaloriser le capital et c'est l'espérance de vie de la génération à laquelle on appartient qui définit le moment où on peut prendre sa retraite, un coefficient de conversion jouant le rôle de la décote dans notre système actuel.
Nous ne sommes pas favorables à une réforme systémique. Il y a 38 régimes en France. Le général de Gaulle n'a pas réussi à les unifier en 1945. Je ne vois pas comment nous pourrions le faire aujourd'hui, alors qu'ils ont des règles et des paramètres différents.
En ce qui concerne les différences public-privé, l'application, par exemple, aux enseignants – qui appartiennent à la catégorie A de la fonction publique – et aux postiers – catégorie C – des règles de prise en compte des vingt-cinq meilleures années, plutôt que des six derniers mois, pour le calcul de la pension conduirait à une diminution respectivement de 20 % et de 25 % du montant de leur retraite. Par ailleurs, des pratiques se sont développées dans la fonction publique dont il faut tenir compte. Des commissions paritaires revalorisent en fin de carrière les rémunérations des fonctionnaires qui n'ont pas eu une évolution de carrière à la hauteur de ce qu'ils auraient pu prétendre ou en retrait par rapport à celle qu'ils auraient eue s'ils étaient allés dans le privé. En outre, les primes s'étagent entre 15 % et 75 % des traitements. Donc, il faudrait non seulement revenir sur le statut de la fonction publique mais encore sur toute la grille indiciaire, comme est en train de le faire la SNCF à l'occasion de la réforme des régimes spéciaux puisqu'elle conserve ses salariés un peu plus longtemps en activité. Cela nécessiterait donc de revoir les évolutions professionnelles. Je livre ces éléments à votre réflexion.
On peut toujours prendre des exemples caricaturaux et citer les écarts qui peuvent exister entre les retraites de certains hauts fonctionnaires et les petites retraites réduites au minimum vieillesse pour stigmatiser les inégalités existant entre le public et le privé. Mais, je ne pense pas que cela doive être l'objet de notre réflexion, surtout quand on saura que le taux moyen de remplacement de la retraite dans le public est de 61 %.
Inversement, on verra qu'il serait tout aussi absurde d'appliquer au secteur privé la règle du secteur public – prise en compte des six derniers mois – quand j'aurai précisé que six salariés sur dix ne sont plus en activité quand ils prennent leur retraite, ce qui fait que les six derniers mois sont les plus mauvais de toute la carrière. Donc, il faut bien trouver une moyenne pour permettre au futur retraité de disposer, comme c'est l'objectif de tout système de retraite, d'un revenu de substitution lui permettant de vivre avec un minimum de décence et d'indépendance financière.
On ne peut plus bâtir un système sur les solidarités familiales d'antan ni sur les systèmes d'assistance d'avant guerre.
L'assurance retraite a été conçue à une époque où l'espérance de vie était de 65 ans, donc pour un risque qui ne devait pas arriver. Aujourd'hui, elle ouvre des droits. C'est pourquoi, il faut poursuivre notre effort en direction des petites retraites. Des dispositions ont été prises en 2003 pour augmenter le minimum vieillesse, mais elles sont limitées aux personnes seules.
L'une des mesures sur lesquelles nous souhaiterions revenir sont les plafonds fixés pour les pensions de réversion. Nous souhaiterions également que les polypensionnés dans le secteur agricole ou dans le secteur privé relevant de la CNAVTS puissent faire liquider leur retraite par l'une ou l'autre caisse, en neutralisant par des opérations comptables entre caisses. Ce serait plus juste et cela éviterait que certaines personnes ne soient pénalisées.
En cas de veuvage précoce, il est inutile de prévoir, comme dans la réforme de 2003, le versement d'une pension de réversion sans condition de ressources, car la pension de réversion serait très faible. En revanche, il faudra probablement revoir l'assurance veuvage pour permettre aux personnes qui se retrouvent en situation de veuvage précoce d'avoir un revenu leur permettant de se retourner. Enfin, il faudra réfléchir à un dispositif permettant de mettre en place une rente éducation pour les personnes qui se retrouvent seules avec des enfants en bas âge.
Concernant notre appréciation sur la réforme de 2003 ? En 1993, nous avons laissé passer les trains. Les salariés sont aujourd'hui effarés d'apprendre la baisse régulière du niveau des pensions. Une personne qui a travaillé pendant vingt-cinq ans au plafond de la sécurité sociale ne peut plus prétendre à 50 % de retraite mais au maximum à 43 %. Il n'y a plus une retraite de base supérieure à 1 250 euros pour un cadre. L'AGIRC et l'ARRCO comptent désormais respectivement pour 65 % et 33 % du montant de la retraite totale. Ce ne sont plus des compléments, mais des éléments majeurs de la retraite.
La réforme de 2003 a obligé certains fonctionnaires à supporter la décote, ce qui a entraîné une baisse progressive du niveau de leur retraite. Or, on n'a pas trouvé de solution à cette baisse. Si l'on veut donner confiance aux futures générations, il faut éviter de leur dire que le manque de financement, une démographie défavorable et l'allongement de l'espérance de vie nous mènent dans le mur.
Il faut d'ailleurs relativiser cet allongement de l'espérance de vie. L'espérance de vie en bonne santé est aujourd'hui de 63 ans. L'évolution que nous avons connue au cours des trente dernières années résulte de l'élévation du niveau de vie des retraités qui a entraîné celle de leur niveau de bien-être. La paupérisation d'une partie des retraités – un million d'entre eux vivent actuellement en dessous du seuil de pauvreté et 3 millions vivent avec moins de 900 euros par mois – montre que l'on est en train de détricoter tous les efforts qui ont été réalisés. Il serait dommage que, dans un pays comme le nôtre, on ne s'attache pas à conserver tout ce qui a fait la valeur de notre système de retraite par répartition.
Je suis effaré par la campagne de communication du Gouvernement. En dehors du fait que les 123 photos ne montrent en réalité que 40 personnes différentes portant des tenues vestimentaires différentes – ce qui est un aspect anecdotique amusant –, elle n'a d'autre but que d'appeler l'attention sur le fait que l'espérance de vie n'est pas la même qu'avant. On ne va tout de même pas tuer nos parents ! Si elle avait mis en avant les éléments de solidarité de la retraite par répartition, nous aurions souscrit à la démarche car les retraités doivent être conscients que, si on ne défend pas le système de retraite actuel, leurs retraites en seront également fragilisées. Il faut créer un lien intergénérationnel.
Les mécanismes de solidarité auraient également besoin d'être revus, mais nous marchons là sur des oeufs.
La politique familiale doit être revisitée, car la structure de la famille a évolué depuis 1945 et certaines corrections seraient sans doute justifiées. Mais cela ne peut se faire en deux mois.
Au-delà de ce qui va se passer en juillet, septembre et octobre, il sera donc nécessaire de revoir en permanence le dossier retraite, ne serait-ce que parce que personne n'est capable de prévoir le nombre des naissances ou le taux de croissance économique en 2040 ou en 2050. Il est déjà suffisamment difficile de faire des prévisions au-delà de 5 ou 10 ans !
J'ajouterai aux pistes de financement que j'ai citées tout à l'heure la compensation à 100 % des exonérations de charges sociales. Le fait qu'elles ne le soient qu'à 90 % coûte, chaque année, un milliard d'euros à la CNAVTS.
Comme je l'ai déjà indiqué, nous ne sommes pas opposés à un point de cotisation supplémentaire. Le fait de vivre plus vieux impose de payer un peu plus. Les retraites représentent actuellement 13,2 % du PIB : nous ne sommes pas sûrs que ce taux soit un plafond indépassable. En 1960, les retraites représentaient 5,3 % du PIB, qui s'élevait alors à 370 milliards d'euros. À l'heure actuelle, le PIB atteint 1 700 milliards d'euros. On nous dit que le PIB va doubler d'ici à 2040 ; eh bien, je le souhaite car si c'est le cas, cela signifiera que la France aura encore eu la capacité de se développer.
Nous sommes contre les scénarios catastrophes. Il nous est reproché, ainsi qu'au Conseil d'orientation des retraites, de présenter des chiffres éloignés de la réalité, comme un taux de chômage à 4,5 %. Mais, si vous dites que le taux de chômage va rester à 9 % pendant quarante ans ou que le taux de productivité va stagner à 1,2 % – ce qui signifie, en fait, qu'on fait une croix sur l'industrialisation du pays –, vous allez désespérer complètement la population française.
D'autant que le taux de 4,5 % résulte d'une enquête commandée par des membres du conseil d'orientation il y a quatre ou cinq ans, soit avant la crise.
Il est actuellement difficile de parvenir à une position commune des organisations syndicales sur la question du financement. Au reste, il ne vous a pas échappé que l'une d'elles est actuellement en période de réflexion avant la tenue de son congrès au mois de juin. J'ajoute que le dossier de la représentativité a quelque peu gêné la communication avec les autres organisations. Cela étant, nous continuons à nous parler et nous organisons des rencontres bilatérales qui permettront de mettre en commun les positions de chacun. Mais j'ai cru comprendre que la dernière intersyndicale qui réunit les référents retraite n'avait pas débouché sur des prises de position significatives.
Quels rapprochements pourrait-on faire encore entre le secteur public et le secteur privé ?
La procédure de rapprochement a déjà été plus ou moins engagée. Ce qui est important aux yeux des gens du privé, ce sont les paramètres les plus significatifs, à savoir l'âge de départ à la retraite, la durée de cotisation, la surcote et la décote, qui sont des éléments qui fédèrent d'une certaine manière les régimes. Il me paraît difficile de faire plus.
En 1945, on a laissé les régimes chercher leur propre voie. Ils ont cheminé en parallèle et ont défini des règles permettant à leur système d'être solvable. Chaque régime n'est pas renfermé dans sa coquille, mais il verrait d'un assez mauvais oeil de devoir revoir des règles pour lesquelles il a dû consentir des efforts.
Cela étant, il faut certainement favoriser certaines convergences. De ce point de vue, le dispositif GIP Info Retraite, mis en place par la réforme de 2003, constitue une avancée significative. Il permet à toute personne qui le souhaite d'avoir des indications plus précises sur sa carrière et de pouvoir opérer un choix cinq ans avant la retraite, notamment sur les paramètres qui commandent le montant de sa pension.
Nous refuserions, par contre – parce que cela reviendrait à mentir aux gens –qu'un quatrième paramètre – sous la forme d'un âge pivot – soit introduit en même temps qu'on affirmerait ne pas toucher au droit à la retraite à 60 ans. On reproche souvent aux régimes de retraite d'être difficilement lisibles. Il faut donc que le législateur, dans sa grande sagesse, définisse des règles claires pour les salariés.
La séance est levée à douze heures dix.