Pour commencer, nous aurions préféré ne pas rouvrir le dossier des retraites avant de faire le bilan des deux derniers changements majeurs, la réforme Balladur de 1993 et la réforme Fillon de 2003. D'après nous, elles ont entraîné une baisse du niveau des pensions de près de 20 %. Deux mesures ont particulièrement pesé : la prise en compte des vingt-cinq meilleures années au lieu de dix et l'indexation sur les prix plutôt que sur les salaires. Par ailleurs, la CGT avait mesuré, dès 1993, que les réformes proposées ne réglaient pas la question du financement à moyen et long terme : le nombre de retraités et l'espérance de vie allant croissant, il faut trouver de nouvelles ressources si l'on ne veut pas baisser les droits ou le niveau des pensions. Enfin, seul un point d'étape était envisagé pour 2010 : le véritable rendez-vous était prévu initialement pour 2012. Nous regrettons qu'il ait été avancé. Nous mesurons certes l'importance des échéances politiques de 2012, mais cela n'aurait pas dû mener à réduire le temps du débat public sur un tel sujet.
Nous sommes favorables à une réforme. Pour préciser, parce que le mot est aujourd'hui galvaudé, nous sommes pour une réforme progressive. Nous avons les moyens de répondre aux deux défis qui se posent. Le premier de ces défis est de stopper la paupérisation des retraités : leur niveau de vie s'était amélioré depuis les trente glorieuses, mais le mouvement s'inverse aujourd'hui et selon Emmaüs, 15 % d'entre eux ont fait appel dernièrement à l'aide alimentaire. On cherche à les faire passer pour des nantis, mais c'est cacher l'existence d'un véritable problème de niveau des pensions.
Le second défi concerne les jeunes. Nous ne maintiendrons pas notre régime de retraite par répartition sans regagner leur confiance. Que 90 % d'entre eux considèrent, selon les sondages, que leur niveau de revenu ne sera pas suffisant au moment de la retraite pose un véritable problème : s'ils ne croient plus en la répartition, ils iront vers la capitalisation… et arrivera le moment où ils refuseront de cotiser pour les deux systèmes. Cela peut mettre la répartition en danger. La CGT fait donc de la question des jeunes une priorité. La première solution, pour leur redonner confiance, est de garantir l'âge de départ et le niveau de pension auxquels ils pourront prétendre. C'est pourquoi nous nous opposions à la réforme systémique qui avait été étudiée, semblable au système suédois de comptes notionnels : aucun de ces deux éléments ne sont connus dans un tel système, parce qu'ils sont liés à l'espérance de vie qu'atteint la génération à laquelle appartient la personne qui part à la retraite. Ces incertitudes ne favorisent pas la confiance dans le système. Nous sommes donc heureux que les travaux du Conseil d'orientation des retraites aient écarté cette possibilité de réforme, mais les propositions actuelles sur l'âge légal et la durée de cotisation ne sont pas de nature à nous rassurer.
La CGT est opposée au report de l'âge légal de départ en retraite, qui n'est pas que symbolique : il aggraverait encore les difficultés de plusieurs centaines de milliers de salariés, notamment ceux qui sont touchés par la suppression progressive de la dispense de recherche d'emploi – accordée à 57 ans et demi, elle bénéficiait au plus haut à 430 000 demandeurs d'emploi – et la suppression de l'allocation équivalent retraite – accordée à ceux qui ont fait le plein d'annuités avant d'atteindre l'âge légal de 60 ans et qui concerne aujourd'hui 40 000 salariés, puisqu'elle a été remise en place exceptionnellement pour cause de crise. Le report de l'âge légal aurait aussi des conséquences sur l'ensemble des demandeurs d'emploi contraints, par le nouveau dispositif de l'offre raisonnable d'emploi, à reprendre un emploi, y compris moins bien rémunéré, sous peine de suppression des allocations chômage. Nous y sommes donc opposés.
Nous sommes également opposés à l'allongement de la durée de cotisation, qui aura pour premier effet que de moins de moins de salariés auront accès au taux plein en arrivant à la retraite et donc de baisser le niveau des pensions – alors que le Président de la République s'est dit attaché à son maintien. Surtout, c'est la question générale de la situation de l'emploi qu'il faut considérer : comment vouloir mettre les plus de 60 ans au travail alors qu'on n'est pas capable d'en donner aux 20-30 ans et aux plus de 50 ans ?
La CGT ne se focalise donc pas sur l'emploi des seniors, car c'est le problème global de l'emploi qu'il faut régler. Les jeunes entrent en moyenne sur le marché du travail à 23 ans, trouvent un emploi stable vers 27 ans, connaissent la précarité et le chômage et sortent prématurément à 58 ans et neuf mois – âge qui n'a guère évolué depuis la réforme de 2003. La situation de l'emploi en France est catastrophique et ne permet pas de faire travailler ces personnes, qui seraient ainsi renvoyées à la solidarité nationale ou on ne sait à quoi en cas d'allongement de la durée des cotisations. Nous ne nous faisons pas à l'idée que le taux de chômage reste à 10 %, sans même parler de ceux qui le placent entre 10 et 15 % dans les prochaines décennies. Il faut mener une autre politique de l'emploi. Si l'on n'arrive pas à baisser le taux de chômage, notre régime des retraites va droit à la catastrophe, et ce ne sont pas les mesures annoncées qui y changeront quelque chose.
Une vraie politique de l'emploi, ce ne sont pas des mesurettes comme celle qui pénalise les entreprises qui ne négocieraient pas au sujet de l'emploi des seniors : on constate, en effet, que les accords ne sont absolument pas contraignants, et que la première préoccupation des employeurs en les signant était d'échapper à la pénalité de 1 % – que certains ont tout bonnement convertie en une petite augmentation de salaire ! Il y a des mesures à prendre pour permettre aux jeunes de trouver plus rapidement un emploi et de sortir de la précarité – les négociations de ces dernières années ayant systématiquement consisté à recréer des contrats précaires : contrats seniors, contrats à objet défini… La politique d'emploi doit permettre d'obtenir des emplois stables et d'augmenter le taux d'activité entre 20 et 60 ans, non de demander aux plus de 60 ans de chercher un travail qu'ils ne trouveront pas.
Troisième aspect de la question : la pénibilité, que le Président de la République veut traiter sans tabou. Nous en avons discuté avec le ministère du travail, mais force est de constater que les négociations que nous avons suivies durant trois ans et demi avec les organisations d'employeurs ont abouti à un échec. Le premier point d'achoppement est la médicalisation du dispositif de reconnaissance de la pénibilité. Le patronat souhaite que chaque salarié passe devant une commission médicale qui déterminerait si son état physique justifie qu'il quitte son activité ou non. Cela ne nous paraît pas conforme à l'esprit de l'article 12 de la loi de 2003 prévoyant la négociation entre partenaires sociaux, qui pointait l'écart d'espérance de vie – sept ans ! – entre un ouvrier et un cadre supérieur. Il nous semble que la négociation doit servir à réparer cet écart et permettre à chacun de vivre une retraite en pleine santé. Avec une commission médicalisée, il faudra que le salarié soit effectivement atteint dans sa santé pour partir ! Nous défendons donc l'idée d'un dispositif non médicalisé : à part peut-être un médecin du travail, ce sont les partenaires sociaux ou l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail, qui doivent composer la commission chargée de valider le parcours des salariés et d'accorder des bonifications liées au nombre d'années de travail pénible.
Le second point d'achoppement était celui du financement. Les premiers responsables des conditions de travail et de la santé des salariés sont les employeurs. Or, le patronat a refusé de mettre un seul euro sur la table, et a renvoyé soit aux salariés, qui pourraient utiliser diverses primes pour financer un départ anticipé, soit aux pouvoirs publics. Nous sommes donc en situation de blocage.
La CGT formule trois propositions pour financer le dispositif de la pénibilité. La première, une cotisation mutualisée des employeurs, assurerait l'égalité de traitement de tous les salariés, quels que soient le secteur ou la taille de leur entreprise. Renvoyer le financement aux branches aboutirait à écarter de nombreux salariés d'un dispositif éventuel. La seconde est une cotisation qui prenne en compte la prévention. La pénibilité n'est pas un état de fait que l'on doit accepter sans réagir : elle doit être éliminée, ou du moins réduite. Il faut donc mettre en place une cotisation de type accidents du travail-maladies professionnelles, mais améliorée, pour éviter la sous déclaration que l'on constate aujourd'hui : il faut arriver à mesurer les résultats de la politique de prévention de l'entreprise. Notre troisième proposition est d'en appeler aux pouvoirs publics. Il existait douze dispositifs de départ anticipé, pour 9 milliards d'euros au total et qui ont bénéficié à 850 000 salariés, qui ont été supprimés. Les pouvoirs publics peuvent donc financer le dispositif de la pénibilité, au moins pour les salariés pour lesquels la prévention ne peut plus rien – le « stock » : ils sont usés, et il y a urgence à agir. Et quant au « flux » des nouveaux entrants, il faut organiser une traçabilité des parcours, afin de pouvoir bonifier les années d'exposition à la pénibilité. Les discussions avec le ministère n'ont pas beaucoup avancé sur ce sujet.
Plus généralement, la CGT formule cinq propositions sur le financement des retraites. D'abord, il faut élargir l'assiette des cotisations. De plus en plus de rémunérations, dans l'entreprise, n'y sont pas soumises : participation, intéressement, stock-options, bonus… La Cour des comptes estime le manque à gagner à 9 ou 10 milliards pour la protection sociale – dont 3 pour le régime des retraites. Ces rémunérations, présentées à l'origine comme extérieures au salaire, font aujourd'hui partie intégrante de la politique salariale des entreprises. Il faut donc les soumettre à cotisation, et l'Union professionnelle artisanale (UPA) notamment nous rejoint sur ce point.
Ensuite, les revenus financiers des entreprises doivent participer à la solidarité nationale. Les dividendes et les intérêts représentent 250 milliards d'euros : soumis à une cotisation de 8,2 %, soit le taux de cotisation des salariés, ils produiraient 20 milliards. C'est une source de financement à envisager.
Par ailleurs, il faut moduler les cotisations sociales en fonction du rapport entre la masse salariale et la valeur ajoutée. Actuellement, les entreprises sont toutes soumises aux mêmes règles. Les cotisations pèsent sur la masse salariale et pénalisent donc l'emploi et le niveau des salaires. Il n'est pas juste qu'un artisan paye sur la même base que Total ou Sanofi Aventis. Il faut moduler les cotisations pour les rendre plus justes et pour favoriser les secteurs à forte intensité de main-d'oeuvre.
Il faut aussi revoir les exonérations de cotisations sociales, qui représentent 30 milliards d'euros et pèsent sur le niveau des salaires, puisque l'allègement est d'autant plus important qu'on est proche du SMIC. Cette proposition doit s'articuler avec la précédente, afin de créer un dispositif propre à aider les entreprises en difficulté – qui ne sont d'ailleurs pas forcément celles qui bénéficient le plus des exonérations. La réduction des exonérations et la modulation pourraient, si elles étaient retenues toutes les deux, dégager 10 milliards d'euros de recettes nouvelles.
Enfin, il faut envisager la possibilité d'augmenter les cotisations d'abord des employeurs, qui n'ont pas bougé depuis vingt ans, et en tout dernier ressort, si cela ne suffit pas, des salariés. Les sondages montrent qu'ils préféreraient cette solution, si on leur garantissait un niveau de pension convenable à 60 ans, plutôt que de travailler plus longtemps.
Nous développons tous ces points lors de nos rencontres avec le ministère. Nous abordons aussi la question essentielle de la solidarité envers ceux qui connaissent un mauvais déroulement de carrière, et en particulier envers les femmes, qui souffrent en plus des inégalités dans l'entreprise. Cela soulève la question d'une redéfinition des carrières : les concepts d'annuités et d'âge légal ne signifient plus rien pour des jeunes qui commencent à travailler tard du fait de leurs études. Il faut introduire des éléments de solidarité dans la définition des carrières, à commencer par la validation des années d'études.