Consultez notre étude 2010 — 2011 sur les sanctions relatives à la présence des députés !

Commission des affaires étrangères

Séance du 20 janvier 2010 à 16h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • catastrophe
  • conférence
  • haïti
  • haïtien
  • nation
  • unies

La séance

Source

Audition de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur l'actualité internationale

La séance est ouverte à seize heures.

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Mes chers collègues, nous recevons cet après-midi M. le ministre des affaires étrangères et européennes, pour parler de la tragédie qui frappe aujourd'hui Haïti. Nous suivons l'évolution de la situation et avons pris connaissance des éléments communiqués par le Quai d'Orsay, notamment quant à l'engagement de la France et au cas des enfants en attente d'adoption.

On peut dire que les États-Unis ont pris la situation en main, ce dont on ne peut que se réjouir eu égard à l'ampleur de la catastrophe. La France, elle aussi, a réagi rapidement et efficacement. Pour ma part, je regrette simplement que l'Europe n'ait toujours pas réussi à mettre en place une unité de sécurité civile européenne, qui permette aux Européens d'intervenir massivement et de façon coordonnée. Je regrette également que Mme Ashton, à l'inverse de Mme Clinton, n'ait pas jugé utile de se rendre sur place.

Ce que je souhaiterais avant tout, monsieur le ministre, c'est que vous nous donniez votre analyse sur l'avenir politique d'Haïti et la reconstruction de ce pays. Dans quel état se trouvent aujourd'hui les institutions d'Haïti, qu'il s'agisse de l'armée, de la police, des ministères ou du gouvernement ? Quelles propositions notre pays peut-il faire au sein de l'Union européenne, pour que nous nous donnions la capacité de répondre par une action massive et coordonnée à ce type de catastrophe ?

Haïti n'est pas, hélas, notre seul sujet d'inquiétude, et si nous en avons le temps, je voudrais que nous abordions également la situation à Kaboul, au Yémen et à Gaza, sujets sur lesquels j'aurai personnellement quelques questions à vous poser.

PermalienBernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

Je ne partage pas complètement, monsieur le président, votre opinion sur l'efficacité des secours. Pour avoir connu beaucoup de catastrophes de ce genre, même si elles n'étaient pas toutes de la même ampleur, je crois qu'il faut plutôt se féliciter de la solidarité internationale, aussi imparfaite soit-elle, comme elle l'est toujours, et aussi difficile que soit la coordination.

Qui se piquerait de coordination s'infligerait d'ailleurs bien des déboires. Il arrive, du reste, que les victimes et leurs familles parviennent à improviser elles-mêmes leur prise en charge. De ce point de vue, nous avons des leçons à recevoir du peuple haïtien : face à une catastrophe aussi considérable, dans un malheur aussi extrême, il ne s'est pas abandonné autant qu'on l'a dit à la révolte et au pillage. Mais il ne s'agit pas là de se livrer à une compétition dans le malheur : il y en a toujours trop.

La France a été la première puissance à intervenir, avant la Chine et l'Islande, et son intervention a dépassé les deux autres par son ampleur et son efficacité, grâce notamment à des sauveteurs de la sécurité civile et de la défense, très compétents et expérimentés. Nous sommes donc intervenus très rapidement – jamais assez rapidement, certes – et assez efficacement face à des ravages dont on n'avait pas soupçonné l'ampleur. Les chiffres que je vais vous indiquer sont à prendre avec prudence, car il est encore impossible de connaître avec certitude le nombre de morts. Certains parlent de 70 000 victimes enterrées : je n'y crois pas et j'espère que nous pourrons apprendre que le nombre de victimes a finalement été revu à la baisse, comme c'est souvent le cas après les tremblements de terre. Mais on peut déjà tabler sur au moins des dizaines de milliers de morts.

Les blessés seraient au nombre de 250 000, mais il est très difficile de faire la part entre les blessés les plus graves, qui nécessitent une intervention immédiate, et les autres, dont le traitement est moins urgent. Quant aux sans-abri, ils seraient plus d'un million.

Le nombre de nos sauveteurs en Haïti est passé de 641 à 920 aujourd'hui, dont au moins 580 personnels du ministère de l'intérieur et près de cent gendarmes. Le corps d'un des deux gendarmes dont nous étions sans nouvelles a, hélas ! été retrouvé ce matin dans les décombres du bâtiment de la mission des Nations unies.

C'est donc environ 1 000 personnels français qui sont engagés en Haïti, dont près de 250 sauveteurs. Cette mobilisation n'est certes pas comparable avec celle d'autres États, mais je ne partage pas votre sentiment, monsieur le président : l'Europe s'est mobilisée très vite. Il faut rappeler que Mme Ashton n'est à la tête de la diplomatie européenne que depuis une dizaine de jours, et ne dispose pas encore d'un personnel suffisant.

Par ailleurs, la France contribuera à hauteur de dix millions d'euros à l'aide humanitaire d'urgence des Nations Unies, ce qui portera à au moins vingt-quatre millions le montant de l'aide humanitaire française. En tout, l'aide humanitaire d'urgence de l'UE s'élève à 122 millions d'euros, dont 30 millions débloqués par la Commission et 92 millions en provenance des États membres.

L'Union européenne mobilise également ses instruments financiers, en particulier le Fonds européen de développement, en vue d'une aide non humanitaire d'un montant de 100 millions d'euros. Cette aide est destinée à renforcer les capacités d'action de l'État et du gouvernement haïtiens, qui sont extrêmement faibles, voire inexistants. À terme, il reviendra à la réunion prévue le 25 janvier à Montréal de préciser les modalités d'une éventuelle conférence internationale des donateurs pour Haïti, laquelle devrait se tenir en mars. L'UE devrait décider à cette occasion l'octroi d'une contribution supplémentaire de 200 millions d'euros pour commencer à financer la reconstruction.

Certes, cette perspective est encore éloignée, et nous ignorons quel sera le coût global de la reconstruction, d'autant qu'il n'est pas encore possible d'évaluer l'ampleur des dégâts et le nombre d'habitations détruites. On dit que certains quartiers sont détruits à 20 % et que, dans d'autres, la moitié des habitations sont endommagées.

Je crois que l'UE a été relativement efficace. Les pays européens ont ainsi envoyé un grand nombre d'hôpitaux mobiles, nécessaires à la chirurgie d'urgence – je pense notamment à l'Italie, à l'Espagne et aux Pays-Bas. Ces efforts nationaux ont précédé l'effort européen, parce que les réactions nationales ont été spontanées, avant d'être coordonnées. La réunion extraordinaire des ministres européens de l'Aide au développement qui s'est tenue lundi, sous la présidence de Mme Ashton et en présence de Miguel Angel Moratinos, représentant la présidence espagnole de l'UE, nous a permis de déterminer une ligne d'action commune : l'UE poursuit, au moins pour quelques jours, son aide humanitaire d'urgence, et manifeste sa volonté d'aider à la reconstruction, afin de donner de l'espoir aux Haïtiens.

L'Office d'aide humanitaire de l'UE, ECHO, était d'ailleurs sur le terrain dès vendredi, ce qui n'est pas mal. Nous étions, quant à nous, présents dès mardi soir ; le centre de crise du ministère a été sollicité de tous côtés, et pas seulement par les autres pays européens. Il est vrai que nous avons assuré une excellente coordination avec le ministère de la défense, celui de la santé, celui de l'intérieur et tous les ministères concernés.

Certes, ce ne sera jamais entièrement satisfaisant, mais c'est beaucoup mieux que ce qu'on pouvait faire il y a dix ans. Imparfait, incomplet, mais fraternel.

PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

Je ne sais pas comment cela se passait il y a dix ans, monsieur le ministre, n'exerçant pas alors les responsabilités qui sont les miennes aujourd'hui : ce que je sais, c'est que le centre de crise du ministère des affaires étrangères est un dispositif efficace qui apporte des réponses satisfaisantes.

Je mettrai cependant un bémol. Premièrement, Haïti est un pays francophone – ce qu'on ne dit pas assez – voisin de la France, qui est présente dans les Antilles. Or c'est la Chine qui a été le premier pays à intervenir : j'aurais préféré que ce soit la France. Où sont les forces françaises, où sont les structures françaises, au moment où on voit les Américains se charger du maintien de l'ordre et de l'organisation de l'aide ?

Il me semble que notre soutien à Haïti peut encore être amélioré. La France s'est-elle mise à la disposition du président haïtien dès qu'elle a su qu'il était vivant ? A-t-elle mis des fonctionnaires à la disposition de l'État haïtien, ce que la communauté de langue lui permettrait, de manière à garantir le fonctionnement de cet État. Nous savons tous que ce pays ne souffre pas seulement d'une fragilité physique, mais surtout de la fragilité de sa démocratie et de son État : nous aurions beaucoup à faire dans ce domaine. Ne peut-on pas imaginer des « Juges sans frontières », des « Fonctionnaires sans frontières » qui seraient susceptibles d'intervenir sur le terrain, sur le modèle des « Médecins sans frontières » ?

PermalienPhoto de Dominique Souchet

Selon plusieurs agences de presse, dont l'AFP, l'hypothèse d'un pilotage à trois, États-Unis, Brésil et Canada, de la coopération en Haïti aurait, de source gouvernementale brésilienne, les faveurs de l'administration américaine. Sommes-nous en présence d'un nouvel avatar de la doctrine de Monroe, ou ces informations sont-elles sans fondement ?

PermalienPhoto de Serge Janquin

Vous nous avez fait parvenir, monsieur le ministre, des documents faisant état de la situation des enfants en Haïti, qui nous préoccupent tous. Je pense notamment à la question des enfants adoptables : aussi douloureux soient-ils, ces cas doivent être traités avec une grande prudence et dans le respect du droit.

Pour ma part, mon attention se porte sur le peuple d'Haïti tout entier, et je vous donne acte, monsieur le ministre, que vous avez agi au mieux avec les moyens qui étaient les vôtres. Mais ce qui saute aux yeux, c'est l'absence de coordination entre les différents intervenants. Vous dites que les réactions, d'abord nationales, se coordonnent progressivement : fort bien. Reste que l'attitude américaine est singulière. On peut d'ailleurs le comprendre : cela fait un moment que la France, sur la demande des États-Unis, notamment sous l'administration Clinton, a consenti à perdre son influence en Haïti, en contrepartie de son maintien dans la région des Grands Lacs, ce qui n'a pas forcément été un très bon marché. On comprend aussi la position des États-Unis, qui ne peuvent se désintéresser des Caraïbes. C'est ce qui justifie la rapidité et l'ampleur de la réaction. On peut cependant s'étonner de la proposition d'une espèce de condominium Brésil-États-Unis-Canada excluant la France.

En réalité, la situation exige que nous dépassions ces vaines querelles. Le vrai problème d'Haïti réside dans l'absence d'État. Si le gouvernement Préval est plus acceptable que d'autres, il est faible. Il ressemble à un gouvernement d'opérette, qui dispose de l'apparence, mais non de la réalité du pouvoir. Dans ces conditions, que d'autres veuillent s'y substituer est assez compréhensible, même aux yeux du peuple haïtien lui-même, qui y serait apparemment disposé. En France, certains ont été jusqu'à proposer de faire d'Haïti une « pupille » des Nations unies.

Derrière ces propositions, il y a quand même l'idée d'installer en Haïti une forme de protectorat transitoire, soit des Nations Unies, soit d'un groupe d'États ayant reçu délégation des Nations Unies afin de redresser la situation et d'aider ce peuple à se constituer un véritable État. Quel est votre sentiment sur ce qui n'est pour l'instant qu'une hypothèse de travail ? Comment permettre à ce pays de disposer d'un État plus solide, plus sûr, et plus préoccupé de la situation du peuple haïtien que de l'enrichissement de certains sur fond de corruption et de trafics ?

PermalienPhoto de Robert Lecou

Face à l'ampleur de cette catastrophe, je voudrais, monsieur le ministre, vous donner acte de la réactivité de vos collaborateurs, qui ont répondu à toutes mes questions, même pendant le week-end. Il faut également rendre hommage aux sauveteurs venus du monde entier, particulièrement aux Français, dont vous avez rappelé le lourd tribut qu'ils payaient à cette catastrophe.

Certes, tout peut toujours être amélioré. Je m'arrêterai pour ma part sur un sujet qui nous tient à coeur, à moi et à beaucoup de mes collègues : celui de l'adoption. Pendant que des enfants errent dans les rues de Port-au-Prince, sur cette terre martyrisée, il y a ici des familles qui attendent dans la douleur le transfert d'enfants haïtiens en cours d'adoption. Je connais une maman qui n'a pas pu accueillir son fils pour une histoire de passeport, alors que le jugement d'adoption a été rendu. Ne pourrait-on pas soulager en même temps la douleur d'Haïti et celles de ces familles en mettant un terme à cette errance dans les rues de Port-au-Prince ?

Quelle est la situation, monsieur le ministre ? Quelles démarches ont été faites ? Comment peut-on accélérer ces adoptions, dans le respect, bien entendu, des droits de l'enfant – il ne s'agit pas de reproduire des scandales auxquels on a pu assister ailleurs ?

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

M. Lecou a raison d'insister sur ce qui est un sujet de grande préoccupation, monsieur le ministre. Tous les députés reçoivent énormément de courrier sur ces cas de citoyens français en attente d'adoption d'enfants haïtiens et beaucoup d'entre nous comptent vous faire suivre ces lettres.

PermalienPhoto de Loïc Bouvard

Je voudrais à mon tour saluer à travers vous l'action de la France, monsieur le ministre. Une semaine exactement s'est écoulée depuis que je vous ai interrogé dans l'hémicycle sur le drame haïtien, à un moment où nous ne soupçonnions pas l'étendue du désastre. On mesure depuis à quel point la France s'est impliquée dans le soutien à Haïti.

Mes collègues ont été un certain nombre à évoquer la présence et l'action des États-Unis. Moi qui connais bien Haïti pour m'y être rendu souvent, notamment à titre d'observateur des élections, je peux vous dire que ce pays n'avait pas de gouvernement, ni même d'État : depuis le départ de Duvalier et de ses tontons macoutes, c'est l'anarchie et la gabegie, pour ne pas parler de la corruption et de l'état de pauvreté extrême.

C'est pourquoi je me félicite pour ma part que les États-Unis aient à ce point pris en main le sauvetage d'Haïti. Eu égard à leur situation géographique, il est tout à fait légitime que les Américains s'intéressent à ce qui se passe dans les Caraïbes. Le président Obama, entouré de deux anciens présidents, a annoncé clairement qu'ils comptaient « mettre le paquet » et engager toutes leurs forces pour sauver Haïti du désastre. C'est pourquoi je ne comprends pas la polémique qui pointe déjà dans la presse, dont certains titres condamnent « l'installation » de l'armée américaine en Haïti. Encore heureux que des soldats soient là pour parer à tous les débordements ! C'est quand même l'armée brésilienne qui a maîtrisé la situation dans le bidonville de Cité-Soleil. Heureusement que nous ne sommes pas les seuls à être présents !

Pouvez-vous nous dire comment nous coordonnons notre action avec celle des autres pays, et notamment des États-Unis ?

PermalienPhoto de François Rochebloine

Je voudrais saluer à mon tour l'engagement de la France dans la tragédie que connaît Haïti. Je voudrais également souligner le rôle de la communauté haïtienne en France. Des associations se sont créées pour collecter des fonds. Elles veulent savoir comment elles pourraient aider Haïti dans le cadre de la cellule de crise.

Nous sommes aujourd'hui dans l'action d'urgence, mais quel sera le rôle de la France dans la phase de reconstruction ?

PermalienPhoto de Renaud Muselier

Vous avez semblé douter, monsieur le ministre, que les choses se fussent passées aussi bien dix ans plus tôt. Entre 2002 et 2005, au moment où j'exerçais les responsabilités que vous savez au ministère des affaires étrangères, j'ai eu la tristesse de devoir affronter le tsunami de 2004, le désastre humanitaire du Darfour, le crash de Charm- el -Cheikh et divers tremblements de terre, en Algérie, en Iran, entre autres : je ne crois pas que l'action de la France à l'occasion de ces catastrophes ait pu être à aucun moment contestée. Si j'applaudis l'action de votre ministère dans la catastrophe actuelle, je crois pouvoir dire que nous n'avons pas failli dans le passé.

J'ai eu le plaisir de me rendre en Haïti au lendemain de la chute du dictateur Aristide, que nous avions, avec les Américains et les Canadiens, légèrement poussé dehors. J'ai même été l'objet d'une tentative d'assassinat alors que je visitais l'hôpital de Cité-Soleil !

Un de ceux qui m'accompagnaient alors, mon conseiller diplomatique Marc Plum, qui travaillait à la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti, la MINUSTAH, depuis mon départ du Gouvernement, a trouvé la mort dans l'effondrement de l'immeuble des Nations Unies. Sa femme, ambassadrice au Guatemala, et ses trois enfants sont depuis dans une situation difficile. Je vous demande d'en tenir compte et de faire en sorte qu'elle puisse changer de poste.

Étant donné l'ampleur du drame haïtien, on ne peut qu'approuver l'implication de la communauté internationale. C'est normal que les Américains y soient : ce qui n'est pas normal, c'est que nous y soyons si peu, en tant que membre de l'UE comme en tant que puissance locale, compte tenu de notre position aux Caraïbes.

Dans ce pays dont la situation était déjà épouvantable – Port-au-Prince est constituée pour moitié de bidonvilles, qui ne dispose d'eau courante que la moitié du temps, et d'électricité seulement trois heures par jour – il n'y a plus rien aujourd'hui. La vraie question est celle de la reconstruction : que fait-on ? Avec qui ? Qui reconstruit ? Où reconstruit-on ? Sur quelles bases politiques reconstruit-on, dans un pays et avec un peuple divisés et déchirés par une violence endémique ?

Les Français ne peuvent pas se tenir à l'écart de cette reconstruction. Sachant que M. Préval est le seul pouvoir politique qui subsiste, il s'agit de déterminer comment, avec les Haïtiens et l'ensemble des Américains, du Nord ou du Sud, aider le peuple haïtien. Quelle doit être notre position à l'égard des autorités haïtiennes et du pouvoir politique en place ?

PermalienPhoto de Jacques Myard

Je voudrais à mon tour insister sur la reconstruction. Depuis que je m'occupe de relations internationales, Haïti n'a pas cessé de passer de Charybde en Scylla, de subir catastrophe sur catastrophe.

C'est ce qui justifie la proposition dont j'ai saisi le Président de la République et que je vous ai soumise. Pourquoi ne pas mettre sur pied une sorte de tutelle – assistanat ou coopération – avec Haïti, afin de sortir ce pays de son face-à-face avec les États-Unis, et d'assurer sa prise en charge pendant un certain temps. Cela s'est déjà vu – je pense notamment au cas du Kosovo, que vous connaissez bien.

Je n'ignore pas que l'article 78 de la charte des Nations unies interdit la tutelle sur un pays membres des Nations unies. Mais ne peut-on pas inventer une forme d'accord-cadre d'assistance entre ce pays et les Nations Unies pour assurer de manière durable sa reconstruction.

Ne voyez dans cette proposition nul relent néocolonialiste. J'ai d'ailleurs été frappé par l'accueil favorable que certains Haïtiens ont réservé à ma proposition. Il ne s'agit évidemment pas d'imposer cette solution au président actuel. Mais la conférence internationale souhaitée par la France pourrait être l'occasion de proposer un accord-cadre de ce type.

PermalienPhoto de Jean-Paul Bacquet

Dans ce type de catastrophe, il y a l'urgence, et puis il y a la reconstruction. L'urgence provoque en général une mobilisation massive, souvent très efficace, et on ne peut que se réjouir que la France soit aux avant-postes de cette mobilisation. Mais la vraie question c'est ce qui va se passer après.

On prévoit une conférence internationale : tant mieux. Mais on ne compte plus les conférences internationales qui se sont tenues depuis 2004 sans aucune efficacité sur le terrain : les fonds débloqués alors n'ont même pas pu être entièrement utilisés faute d'interlocuteurs fiables.

C'est ce qui justifie ma question : y a-t-il en Haïti un interlocuteur susceptible de faire aboutir les décisions des conférences internationales ? Et s'il n'y en a pas, doit-on préconiser une tutelle ? Sous quelle forme et selon quelles modalités ?

PermalienPhoto de Didier Julia

« Où est l'État ? » : voilà la question que se posent les Haïtiens. Si on veut éviter que l'État haïtien sorte encore plus affaibli de cette catastrophe, et que celle-ci ne soit suivie d'une catastrophe politique, la France ne doit-elle pas considérer comme une priorité, même pour son avenir dans la région, de tout faire sur le terrain, administrativement, politiquement et médiatiquement pour que son aide contribue à la promotion de l'État haïtien ?

PermalienPhoto de Henriette Martinez

Je voudrais savoir, monsieur le ministre, quelles ONG françaises sont présentes sur le terrain. Je voudrais également savoir comment l'État français coordonne son action avec celle de ces ONG sur le terrain.

Je veux enfin souligner combien il est nécessaire que l'aide humanitaire d'urgence, qui relève de la solidarité internationale et des ONG, s'inscrive dans la perspective de la reconstruction. En effet, les ONG déplorent souvent qu'on néglige leur capacité d'assurer la transition entre l'aide d'urgence et la reconstruction et le développement.

PermalienPhoto de Hervé de Charette

Tout le monde se réjouit de constater, monsieur le ministre, combien la France en général, et le Quai d'Orsay en particulier, est présente et active sur le terrain pour traduire concrètement notre solidarité à l'égard d'Haïti. Mais ce qui nous préoccupe désormais, c'est ce qui va se passer après.

Or la situation en Haïti est sans précédent, quand la situation de ce pays n'avait déjà pas d'équivalent. La communauté internationale parviendra-t-elle à tirer d'un mal un bien, c'est-à-dire à modifier durablement les conditions politiques, économiques et sociales dans ce pays ?

Cela entraîne une multitude de questions. Il faut un mandat pour atteindre un tel objectif : quel type de mandat ? Délivré par qui ? Il faut des relations privilégiées avec des pays partenaires : on s'est demandé si la France serait l'un d'eux, ou si les États-Unis avaient déjà leur propre projet. Il faut une organisation : de quel type ? La réunion d'une conférence des donateurs est devenue un exercice quelque peu convenu et finalement peu efficace. Il s'agit surtout de savoir quel type de mandat sera délivré par l'ONU, à quel pays et selon quelle organisation. De ce point de vue, la position de la diplomatie française est cruciale.

PermalienBernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

Beaucoup de vos questions se recoupent, même si chacune d'elles est originale. Je voudrais, avant de vous répondre, remercier tous ceux qui ont manifesté leur satisfaction devant l'efficacité du centre de crise et de la coordination française.

M. Lecoq, le premier avion à arriver en Haïti venait de la Martinique. Ce département compte d'ailleurs un grand nombre de Haïtiens : 20 000, voire 40 000 si on tient compte des clandestins. Cela va d'ailleurs poser des problèmes : le conseil des ministres a évoqué ce matin la question des visas, notamment dans le cas où, comme cela serait légitime, un certain nombre des demandeurs voudraient assister aux funérailles de membres de leur famille. Pour le moment, nous faisons preuve d'une souplesse absolue en ce qui concerne les Haïtiens qui sont arrivés en France ou ceux qui devaient s'en aller avant la catastrophe : ceux-là verront leur visa prolongé.

Vous nous enjoignez de nous mettre à la disposition des Haïtiens : nous sommes déjà à la disposition de la représentation des Haïtiens, que vous êtes quand même un certain nombre à juger plus démocratique qu'auparavant : comment faire autrement ? Voudriez-vous une mainmise sur le pays ? Selon quel mandat ? Le seul mandat, c'est celui des Nations Unies, fixé par les résolutions du Conseil de sécurité. C'est plutôt au risque de compétition entre les Nations Unies et les États-Unis que nous devons prendre garde. En effet, 9500 Casques bleus étaient déjà présents en Haïti, 3000, puis 4 000 à Port-au-Prince, sous la direction aujourd'hui décapitée, de nos amis, de Marc Plum en particulier. Ce sont en effet 43 cadres des Nations Unies qui ont péri dans le séisme, et plus de 600 ont disparu.

Le mandat existe donc bien : nous n'allons pas le réinventer. À mon avis, c'est l'occasion de renforcer le système des Nations Unies. Je ne vois pas d'autre solution.

Notre excellent ambassadeur en Haïti – j'avais été l'installer il y a deux mois et demi, et j'avais rencontré à cette occasion Hedi Annabi, représentant spécial pour Haïti, et son adjoint Luis da Costa, M. Coates et bien sûr M. Plum – a pris contact avec le Premier ministre, Jean-Max Bellerive, M. Préval n'étant pas encore accessible, pour se mettre à la disposition de ce qui subsistait de l'autorité et de la réalité du gouvernement haïtien.

Il faut se féliciter de la réaction nationale de chacun des vingt-sept membres de l'UE, d'autant que certaines ont été très efficaces, même si nous ne nous sommes coordonnés que dans un deuxième temps. La coordination des secours, c'est bien sûr notre objectif à tous, mais c'est aussi la bouteille à l'encre, et si vous avez une solution pour accorder les ONG entre elles, allez-y, ne vous gênez pas ! Je pense, moi, que ce n'est pas possible. Si on parvient à assurer leur complémentarité, c'est déjà un succès formidable.

En tout état de cause, on ne peut pas les coordonner par avance, s'agissant de catastrophes par nature imprévisibles. Il est vrai que ce n'est pas la première fois, comme vous avez raison de le remarquer, monsieur Muselier, que nous devons faire face à de telles catastrophes, et une expérience de quarante ans me fait penser que nous faisons des progrès en la matière.

Je pense, monsieur Lecoq, que les Haïtiens ne se font pas d'illusion sur nos intentions. Ils ont besoin de secours : on ne crache pas sur la main qui se tend. Il n'y a aucune arrière-pensée dans notre soutien. Mais il est vrai que l'influence française n'est pas absente d'une région où la France compte deux départements. Cela nous a été utile : tous les avions sont passés par la Martinique pour rallier la métropole, et l'accueil de la Martinique a été formidable.

Je ne vais pas établir un classement des premiers ministres haïtiens, mais Michèle Pierre-Louis, qui a précédé Jean-Max Bellerive à ce poste et que nous avons reçue il y a quelque temps, était une représentante exceptionnelle de la société civile. Et si cette dernière s'est d'emblée mobilisée, l'intervention dès les premiers jours de Mme Pierre-Louis n'y est pas étrangère.

« Fonctionnaires sans frontières » existe déjà, de même qu'« Architectes sans frontières », « plombiers sans frontières », tout ce que vous voulez « sans frontières » : encore faut-il qu'ils soient acceptés. Ils le seront, mais pour l'instant, l'urgence est de parer au plus pressé, c'est-à-dire soigner. Nous sommes à quelques jours près : ensuite, il est déjà trop tard.

Je viens de recevoir, monsieur Souchet, un appel téléphonique de mon homologue brésilien Celso Amorim, qui m'a demandé de venir à Montréal, alors que cette conférence ne devait théoriquement réunir que des experts : il semble vouloir être conforté dans son approche, sans doute quelque peu différente de celle des Américains. Je pense que je me rendrai au moins à la première réunion, dite « technique ». Mais il y a une réalité géographique : l'Europe est loin, tandis que le Canada, les États-Unis et le Brésil sont aux avant-postes.

J'étais le seul représentant de l'Europe dans les conférences téléphoniques que nous avons tenues avec Mme Clinton, Lawrence Cannon, ministre canadien des affaires étrangères, Celso Amorim et beaucoup d'autres ministres des affaires étrangères d'Amérique Latine, notamment des Caraïbes : quoi d'étonnant, puisque c'est chez eux que cela se passe ? Cela ne veut pas dire que nous nous effaçons : certains pensent même que nous avons tendance à nous imposer.

Le manque de coordination que vous soulignez, monsieur Janquin, nous le dénonçons à chaque catastrophe. Reconnaissons cependant que les choses s'améliorent. Il fut un temps où l'épidémiologie des désastres, discipline que j'ai eu l'honneur d'enseigner, qualifiait les secours de deuxième catastrophe, tant ceux-ci étaient marqués par la concurrence, le chaos et la précipitation.

Je ne dis pas que ceux-ci étaient totalement absents en Haïti, d'autant que le seul accès était l'aéroport dévasté de Port-au-Prince, dont le personnel avait été décimé par le tremblement de terre. Atterrir dans de telles conditions était quand même un exploit !

Nous sommes arrivés le mercredi 13 janvier à douze heures cinq locales. Le 14 janvier notre deuxième vol est arrivé une demi-heure après les Chinois – je ne sais s'ils venaient de Cuba, de Saint-Domingue ou de la Guyane. Ils étaient cinquante, et je ne pense pas que leurs conditions d'installation égalaient celles dont nous avons bénéficié grâce à l'admirable travail de notre ambassadeur, Didier Le Bret. Celui-ci, dans l'énorme pagaille qui suit tout tremblement de terre et bien que lui-même blessé, a assuré la centralisation des secours et le regroupement des Français, alors que la résidence et l'ambassade de France étaient entièrement détruites, et avant que nous parvenions à rétablir la communication téléphonique avec lui.

Il est vrai, monsieur Janquin, que le Brésil, le Canada et l'Amérique constituent pour le moment l'armature. Mais les pays nous ont conviés et nous comptons bien faire entendre notre voix. Il ne s'agit pas de faire preuve d'arrogance et de jouer les « techniciens de la catastrophe », mais de rappeler les rapports historiques et affectifs qui nous lient au peuple haïtien.

Je ne qualifierai pas de gouvernement d'opérette le gouvernement que s'est choisi le peuple haïtien : c'est toujours mieux qu'avant.

Quant aux Américains, que vous critiquez tant, n'oubliez pas que la dernière fois que nous sommes intervenus dans ce pays, pour mettre fin à la dictature d'Aristide en attendant l'intervention de l'ONU, c'était avec eux. Le président Obama n'ayant rien d'un impérialiste, nous ne pouvons que nous féliciter que ceux qui sont le plus capables d'assurer la coordination l'imposent. Cela ne veut pas dire que nous partageons les mêmes vues politiques. Nous, nous sommes venus de loin pour coloniser ; eux de plus près. Mais je ne crois pas qu'il faille leur jeter la pierre.

Quand Régis Debray recommande de faire d'Haïti la « pupille de l'humanité », il enjolive d'un beau nom la tutelle que les Nations Unies exercent depuis des années sur Haïti, même si on peut s'interroger sur son efficacité. On peut remettre en cause les méthodes employées – fallait-il passer par les gangs ? – mais on ne peut nier les progrès accomplis par la MINUSTAH sous la direction d'Hedi Annabi, notamment en matière de sécurité. La France a ainsi fourni, en moins de trois semaines, des armes aux policiers formés par les Nations Unies. On avait le sentiment que tout irait mieux, avant cette double catastrophe du séisme et de la décapitation de la mission des Nations Unies.

Monsieur Lecou, le centre de crise a reçu 11 500 appels hier soir, qui ont été traités par cinquante personnes travaillant jour et nuit à apporter une réponse personnalisée à chaque appel.

Demain matin, l'avion qui transporte en Tunisie la dépouille d'Hedi Annabi, accompagnée par Alain Leroy, secrétaire général adjoint des Nations Unies, faisant escale à Roissy, je m'y rendrai pour la saluer.

Quant à notre ami Marc Plum, sa mort, qui fait partie du lourd tribut payé à la mission des Nations Unies, nous concerne au premier chef, et j'ai été en contact permanent avec son épouse.

Je tiens très largement compte de la douleur des familles adoptantes. Mais je vous en prie : tous les bébés se ressemblent, et la souffrance est la même, qu'il s'agisse d'un bébé sans nom, d'un bébé en voie d'adoption, ou d'un bébé dont la famille est haïtienne. Je vous le dis très sereinement : la seule manifestation populaire suscitée par ce drame a eu lieu devant les grilles du Quai d'Orsay, non pour nous féliciter d'avoir été rapides ou nous reprocher d'avoir été incompétents : il s'agissait pour les familles adoptantes de se plaindre de ne pas recevoir leur bébé immédiatement….

Il faut distinguer entre l'adoption internationale et l'adoption individuelle. Nous avons amélioré la première : plus de 200 enfants vont arriver très vite en France parce que dossiers sont au stade du jugement et que les autorités haïtiennes y consentent. Mais les adoptions individuelles passent par des circuits qui sont exactement le contraire de ce que nous souhaitons. Ceux qui ont choisi cette voie protestent aujourd'hui parce qu'ils n'ont aucune garantie. Je comprends l'émotion d'adoptants qui sont parfois restés plusieurs semaines auprès de l'enfant. Nous nous efforcerons de retrouver le plus rapidement possible les documents en cause.

Tout autant que vous, je déplore de voir le malheur s'acharner sur ce pays. Que reste-t-il du Gouvernement ? Je l'ignore encore. J'espère que beaucoup de disparus vont réapparaître.

Monsieur Bouvard, je suis en contact avec Hillary Clinton depuis mercredi, et depuis jeudi l'Operations Center de Washington et notre centre de crise sont en contact une bonne dizaine de fois par jour pour coordonner leurs actions. C'est ainsi que nous pouvons joindre la tour de contrôle de l'aéroport de Port-au-Prince dès que nous en avons besoin. Tout n'est certes pas parfait et nous avons été débordés. Mais 650 avions sont quand même parvenus à se poser sur l'aéroport de Port-au-Prince.

Il n'y a évidemment pas de compétition entre nous, monsieur Muselier. Mais vous reconnaîtrez que le centre de crise est bien utile et que, dans cette affaire, le mouvement diplomatique était déconnecté des réalités.

Haïti se reconstruira sur la base du pouvoir haïtien, mais ce serait une erreur d'exclure les Nations Unies du processus. Par ailleurs, les Nation Unies ne s'opposent pas à la prise en charge technique par les Américains. Il s'agit maintenant de distribuer les rôles, mais on ne pourra pas, de toute façon, se passer d'un leadership : en l'occurrence il est sans aucun doute exercé par les États-Unis. Cela ne signifie pas que la France est absente, pas plus que le Brésil.

Quant à savoir sur quels terrains on reconstruira, mon expérience m'a enseigné qu'après un séisme on reconstruisait toujours au même endroit, tout simplement parce que les gens ne veulent pas renoncer à leur terre. On a voulu déplacer les villes qui avaient été détruites par les tremblements de terre les plus récents, au Pérou ou au Honduras, mais on s'est vite aperçu que ce projet était une vue de l'esprit. Les personnes qui ont un peu de terres, et a fortiori celles qui en possèdent beaucoup, reconstruisent au même endroit, même si c'est sur une faille.

Votre projet de tutelle-assistanat est déjà réalisé, monsieur Myard : comment voulez-vous qu'on assiste davantage un pays, sauf à tomber dans l'impérialisme absolu ? Par ailleurs, il ne faut pas confondre avec le Kosovo, où deux communautés luttent pour un territoire. Il valait mieux les séparer, au moins dans un premier temps, en espérant que l'Europe les réunirait. Ici, la rivalité ancestrale oppose les deux États d'Haïti et de Saint-Domingue, qui se partagent la même île, et les deux ont connu la dictature. Par parenthèses, Saint-Domingue s'est immédiatement proposée pour accueillir la conférence des donateurs, alors que nous avons proposé la Martinique.

Certaines conférences internationales ont été couronnées de succès, monsieur Bacquet : les deux conférences internationales des donateurs qui se sont tenues à Paris, celle pour les territoires palestiniens et celle en faveur de l'Afghanistan, ont rapporté des sommes considérables. Si nous n'avons pas encore dépensé les fonds destinés à la Palestine, c'est pour les raisons que vous imaginez, et qui ne sont pas seulement économiques. Une conférence des donateurs peut être utile, pourvu qu'on y implique la société civile. Si nous ne le faisons pas, nous n'aurons pas suffisamment d'argent pour la reconstruction. Ceci étant dit, nous avons doublé notre contribution au développement d'Haïti, qui était de 27 millions d'euros en 2008 pour l'aide bilatérale nette (54 millions d'euros, s'agissant de l'aide totale française, bilatérale et multilatérale, au titre de l'aide publique au développement).

Nos interlocuteurs sont, pour le moment, le président Préval et le Premier ministre Bellerive, ainsi que le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui a décidé ce matin l'envoi en Haïti de 3 500 casques bleus supplémentaires : le contingent de l'ONU sera désormais plus nombreux que celui des Américains. Il est vrai qu'ils n'ont pas exactement la même finalité.

Les ONG présentes en Haïti, madame Martinez, étaient notamment les suivantes : l'Association Enfants soleil, le Secours catholique, le Comité catholique contre la faim et pour le développement, Initiative développement, Inter Aide, Aide médicale internationale, Action contre la faim, ATD-Quart-monde, le Fidesco, le GER, le Groupe de recherche et d'échanges technologiques, le GRET, Médecins du monde, Pharmaciens sans frontières, le Service de coopération au développement, le SCD, et l'Association française des volontaires du progrès, l'AFVP. Avant la catastrophe, nous les subventionnions à hauteur de 223 000 euros s'agissant de mon ministère, de 465 000 euros pour les projets transférés à l'agence française de développement, et enfin de 378 000 euros s'agissant des volontaires de solidarité internationale. Par définition, ces ONG, dont l'utilité est incontestable, sont indépendantes, et la coordination ne peut pas leur être imposée.

Notre contribution multilatérale s'élevait à 32 millions d'euros pour la période juillet 2008-juin 2009. Nous avons sur place près de cent gendarmes. Ce contingent devrait être maintenu : l'ONU ayant demandé à l'Europe l'envoi d'une mission de maintien de l'ordre, Mme Ashton a proposé d'y envoyer 140 personnes. Mon expérience m'a appris qu'il fallait envoyer des gendarmes plutôt que des policiers, les premiers pouvant se coordonner rapidement dans le cadre de la force de gendarmerie européenne.

Il est vrai, monsieur Julia, que le séisme est également une catastrophe sur le plan politique : mais comment l'éviter ? Nous avions déjà essayé d'agir à titre préventif, en vain. Nous sommes également intervenus après coup, ce qui est encore plus difficile. La dernière fois, c'était pour renverser Aristide, prêtre d'abord au service des pauvres, avant de devenir dictateur et narco-trafiquant. M. Préval est le premier président élu de façon relativement transparente.

La coordination française est assurée par Didier Le Bret, assisté d'une quinzaine d'agents consulaires envoyés pour l'occasion, dont six chargés des adoptions. Je crois pouvoir dire qu'elle est assez satisfaisante. Nous avons visité toutes les crèches de Port-au-Prince, dont il faut savoir que la moitié sont détruites, et pris contact avec toutes les ONG.

La suite, monsieur de Charrette, relève de l'ONU : nous n'avons aucune autre solution. L'ONU est la seule organisation internationale à même d'assumer ce rôle, pourvu qu'on la réforme. Le G20 n'a rien à y voir ; l'Organisation des États américains peut en revanche participer à cette tâche. C'est ce que demandent les Américains et ce que souhaitent les Brésiliens. Même si elles laissent à désirer sur le plan organisationnel, administratif et politique, les Nations Unies avaient accompli un gros travail en matière de sécurité : un certain nombre de chefs de gangs avaient été arrêtés, dont l'un vient d'être extradé en France parce qu'il est accusé d'avoir assassiné des Français.

PermalienPhoto de François Rochebloine

Vous ne m'avez pas répondu à propos des associations telles que Les Enfants avant tout, qui entretenaient avant la catastrophe des relations régulières avec Haïti, notamment avec des orphelinats, et qui veulent faire davantage mais ne savent pas à qui s'adresser.

PermalienBernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

Il est trop tôt pour répondre à votre question : il faudrait pour cela enquêter sur chaque cas, et nous n'en sommes pas capables pour le moment, et encore moins les Haïtiens, les correspondants locaux de ces associations ayant souvent disparu. Mais le centre de crise publiera une liste des associations avec lesquelles nous travaillons, en indiquant leur adresse afin qu'on puisse les contacter. Jusqu'à nouvel ordre, nous agirons à travers les services renforcés de l'ambassadeur Didier Le Bret, désormais assisté d'un préfet chargé de coordonner la sécurité civile et toutes les activités relevant de l'intérieur et de la défense. Elles peuvent s'adresser au centre de crise.

PermalienPhoto de Geneviève Colot

Je voudrais d'abord vous interroger, monsieur le ministre, sur le sort des trois Français détenus depuis début décembre au Brésil, pour avoir refusé de rester dans un avion immobilisé sur le tarmac pour des problèmes techniques. Sortis de prison en échange du versement d'une caution, ils sont depuis détenus dans une maison de retraite. Je tiens à signaler que la compagnie aérienne n'a pas porté plainte contre ces personnes.

J'ai reçu hier la famille et les amis de Mme Camus, qui fait partie de ces trois Français. Ils souhaitent remercier les services du ministère, notamment le consulat de São Paulo, pour l'aide qu'ils leur avaient apportée depuis le début de cette affaire. En dépit de ce soutien, les trois personnes en cause sont plongées dans une profonde détresse et Mme Camus est en passe de perdre son emploi.

Pouvez-vous, monsieur le ministre, faire pression sur les autorités brésiliennes, pour qu'elles statuent rapidement sur le cas de ces ressortissants français et qu'ils retrouvent leur liberté le plus vite possible ?

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Je vous rappelle que les auditions du ministre ne sont pas faites pour soumettre des cas personnels au ministre, mais pour évoquer des sujets internationaux.

PermalienPhoto de Geneviève Colot

En juillet, j'ai soumis un projet de rapport sur les enfants soldats à l'Assemblée parlementaire de la francophonie. Ce sont 250 000 enfants qui sont concernés par ce crime : souvent arrachés à leur famille, ils sont contraints de commettre les crimes les plus odieux, et les petites filles asservies sexuellement. Ce rapport préconisait de requalifier, par voie d'amendement au traité de Rome, ce crime en crime contre l'humanité, et non plus en crime de guerre.

Je vous avais envoyé au mois d'octobre un courrier argumenté à ce sujet, monsieur le ministre, et j'attends toujours la réponse.

PermalienPhoto de François Loncle

Trois mille sept cent cinquante soldats et 150 gendarmes français se trouvent actuellement en Afghanistan. Le Président Obama a annoncé l'arrivée progressive de 30 000 soldats durant les prochains mois, et a demandé à la France de fournir 1 500 soldats supplémentaires.

Selon diverses sources, le Président de la République serait disposé à envoyer 600 à 700 hommes. Pourtant, auditionné le 9 décembre par notre commission, comme je vous demandais si la France augmenterait l'effectif de ses troupes en Afghanistan, vous me répondiez par un non catégorique.

Quelle sera l'attitude de la France dans ce domaine ? Quelle position défendra-t-elle lors de la conférence internationale sur l'Afghanistan, prévue le 28 janvier à Londres ? On peut d'ailleurs s'interroger sur l'intérêt de ces conférences internationales sur l'Afghanistan, depuis celle organisée à Bonn par Lakhdar Brahimi, d'autant que l'argent récolté lors de ces gigantesques « Téléthon » disparaît on ne sait où.

Enfin, quel est le poids véritable de la France au sein de la coalition militaire ?

PermalienBernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

Je découvre cette affaire de São Paulo, madame, mais je vous promets de faire ce que je peux. Je suis heureux d'apprendre que le consul de France est intervenu. Nous allons nous renseigner sur ce qu'on leur reproche. Il existe une justice au Brésil : il faut savoir à quel titre ils sont ainsi retenus. Le centre de crise pourrait se saisir de cette affaire.

Quant aux enfants soldats, madame, je suis d'accord avec vous : il faut condamner ce crime contre l'humanité. Je connais un grand nombre de crimes contre l'humanité qui ne sont pas poursuivis, et je m'emploie de toutes mes forces à changer cet état de chose. Sur cette question, la France collabore étroitement avec les Nations Unies, notamment dans le cadre de l'Assemblée générale. Si la France doit montrer l'exemple sur cette question, elle le fera sans aucun doute. Je vous demande enfin de me pardonner de ne pas avoir répondu à votre lettre car je réponds aux lettres de cette importance.

Je n'ai pas changé d'avis, monsieur Loncle. La conférence de Londres devant réunir une trentaine de pays, chacun ne disposera que de quelques minutes. Pour ce que j'en sais, le projet de texte qui nous sera soumis n'a rien de révolutionnaire. En tout cas, il ne prévoit pas de consignes strictes, notamment quant aux effectifs. Si on nous propose un changement de stratégie, nous le considérerons, mais pour le moment on ne nous demande que des ajustements : ainsi, si nous parvenons à confier la Surobi-Kapisa aux Afghans, nous serions amenés à augmenter le nombre de nos gendarmes afin d'assister les populations de cette région.

Il n'y a donc aucune raison d'accéder à cette demande, sauf si on nous propose d'adopter une stratégie d'« afghanisation ». Proposée par la France dans le cadre de la conférence de Paris, cette stratégie consiste à faire des populations civiles l'objet de toutes nos attentions, et de leur laisser le soin de décider si nous devons partir ou rester.

Pour le moment, il n'y a rien à changer à ce que j'ai dit, et je ne souhaite rien en changer.

PermalienPhoto de François Loncle

Confirmez-vous qu'il n'y a pas de concertation au sein de la coalition, ou en tout cas qu'elle ne partage pas notre position ?

PermalienBernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

Il est vrai qu'elle ne partage pas exactement nos vues, mais elle est loin d'être unanime, certains membres se montrant encore plus réticents que nous.

Ne dites pas qu'il n'y a pas de concertation : les Quatre, Anglais, Allemands, Français et Américains, et l'ONU se concertent en permanence, les Italiens s'y ajoutant parfois. De même, le général Stanley Mac Cristal est en contact permanent avec les représentants des forces alliées. Il y a une vraie coordination sur le terrain, qui s'est manifestée à l'occasion de l'enlèvement des deux journalistes français. Quant à la question de savoir s'il y a une vraie stratégie, nous en discuterons une autre fois.

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Je vous remercie, monsieur le ministre, de ces réponses très complètes.

La séance est levée à dix-sept heures trente-cinq.