COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION
Mercredi 13 janvier 2010
La séance est ouverte à dix heures trente.
(Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente de la Commission)
La Commission des affaires culturelles et de l'éducation entend M. Vincent Peyrègne, conseiller pour la presse au cabinet du ministre de la culture et de la communication, Mme Laurence Franceschini, directrice de développement des médias au ministre de la culture et de la communication et membre du conseil d'administration de l'Agence France Presse, et M. Bruno Bézard, directeur général de l'Agence des participations de l'Etat.
L'année passée, nous avons engagé une série d'auditions et de rencontres sur l'avenir de l'Agence France Presse (AFP) : audition des représentants de l'intersyndicale de l'AFP ; audition du président de l'AFP, Pierre Louette ; deux tables rondes réunissant des représentants des journalistes et des présidents de syndicats de presse ; rencontres avec deux anciens présidents de l'AFP et des observateurs extérieurs.
Nos invités de ce matin, que je remercie pour leur présence, aborderont cette question pour nous donner le sentiment des intervenants qui relèvent du Gouvernement ; M. Vincent Peyrègne, conseiller pour la presse au cabinet du ministre de la culture et de la communication, Mme Laurence Franceschini, directrice du développement des médias au ministère de la culture et de la communication, et M. Bruno Bézard, directeur général de l'Agence des participations de l'État.
Il ne s'agit pas de travailler sur un projet de loi ou tout autre texte, pas plus que sur le rapport de M. Louette, mais d'obtenir des informations sur le fonctionnement, les difficultés et l'avenir de l'AFP, avant qu'un texte ne soit – éventuellement – présenté à l'Assemblée.
Merci pour votre invitation, même si je me sens le moins compétent de cette salle pour parler du sujet : l'AFP ne fait pas partie du périmètre dont j'ai la responsabilité à l'Agence des participations de l'État (APE). Cela dit, je suis sans doute à même de vous livrer quelques remarques générales inspirées des enseignements que nous pouvons tirer, quelques années après la mise en place de l'APE, du rôle de l'État actionnaire.
Vue de très loin, c'est-à-dire depuis l'APE, l'AFP est une entreprise : elle a des clients, des concurrents et des projets de développement. Comment l'État, en tant qu'actionnaire, s'occupe-t-il de « ses » entreprises ?
Vous vous demandez comment promouvoir un projet d'entreprise pour l'AFP, comment développer celle-ci dans un environnement économique particulièrement difficile et changeant, et comment adapter sa gouvernance tout en préservant l'un de ses actifs principaux, sinon le principal : son indépendance éditoriale.
Quel est le rôle d'un actionnaire ? Je sais que vous en avez débattu, pour avoir lu certains de vos comptes rendus, qui étaient très intéressants. Il est frappant de constater que l'AFP n'a pas d'actionnaires. Pour moi, une entreprise sans actionnaires est un peu orpheline.
L'APE est une structure placée sous l'autorité de Christine Lagarde. Elle est en charge des entreprises de tous secteurs, dans lesquelles l'État a une participation, qui va de 1 % à 100 % : EDF, Gaz de France-Suez, Areva, La Poste, France Télévisions et bien d'autres…
Un actionnaire est d'abord un interlocuteur et un partenaire, et pas une tutelle administrative. Voilà pourquoi, toute la journée, nous recevons les dirigeants de nos entreprises pour les aider à voir comment ils pourraient développer celles-ci. Cette semaine, nous en avons rencontré une dizaine pour discuter d'acquisitions.
Un actionnaire apporte certes des moyens à l'entreprise. Mais son rôle est bien plus vaste. Nous essayons d'être un partenaire : les entreprises viennent nous voir pour discuter de leur développement et de leurs projets. Les patrons ne viennent plus, comme il y a cinq ou six ans, obtenir un vague coup de tampon, un vendredi soir, parce qu'il faut bien passer par le guichet administratif de la tutelle. La situation a beaucoup changé ; il suffit de consulter le « rapport sur l'État actionnaire », publié tous les ans à l'adresse du Parlement, pour s'en rendre compte.
Nous nous intéressons beaucoup au fonctionnement des conseils d'administration. Pour nous, la gouvernance est une des clés du succès d'une entreprise, qu'elle soit publique ou privée. Il n'y a d'ailleurs pas de leçon à recevoir du secteur privé. Il y a des entreprises de très bonne gouvernance dans le secteur public et de très mauvaise gouvernance dans le secteur privé – et inversement. Le rôle du conseil d'administration et son bon fonctionnement sont fondamentaux. Évitons les conflits d'intérêt et faisons en sorte que les membres du CA ne se préoccupent que du développement de l'entreprise concernée.
Une entreprise progresse mieux si elle peut s'appuyer sur un actionnaire responsable, dans un esprit de responsabilité mutuelle. Et ce n'est pas manier la « langue de bois » que de dire cela, c'est du concret : un actionnaire responsable est un actionnaire qui, quotidiennement, se préoccupe du développement de son entreprise.
Être un actionnaire fort et responsable n'est pas incompatible avec l'exercice de missions de service public importantes pour le pays ni avec l'indépendance éditoriale ; il revient au Parlement d'organiser tout cela. Au reste, une partie des grandes entreprises dont nous nous occupons ont de très importantes missions de service public. Nous essayons précisément de faire en sorte que notre présence, en tant qu'État actionnaire, contribue à rendre ces entreprises encore meilleures dans l'exercice de ces missions. Nous signons avec elles des contrats, en nous appuyant sur des indicateurs précis, pour vérifier qu'elles respectent bien leurs obligations.
Telles sont les premières réflexions que je voulais partager avec vous. Ce sont des réflexions générales qui peuvent, à mon sens, s'appliquer au cas précis de l'AFP.
En conclusion, aucune entreprise dans le monde, qu'elle soit publique ou privée, ne peut se priver d'un actionnaire stable – c'est-à-dire de long terme – et responsable – c'est-à-dire qui se préoccupe du développement de l'entreprise, non pour la fin du trimestre, mais pour les cinq ou dix prochaines années –, qui joue son rôle d'interlocuteur. Moins qu'une affaire de « carnet de chèques », c'est une affaire de dialogue stratégique sans laquelle une entreprise ne peut pas se développer.
Je vais décrire brièvement le contexte économique et financier dans lequel s'inscrit la réflexion sur l'avenir de l'AFP, évoquer les limites et les freins au développement de celle-ci, et rappeler la méthode et les tentatives de réformes qui ont eu lieu dans le passé.
Les agences de presse les plus importantes sont Associated Press, l'Agence France Presse et Reuters. Depuis quelques années, le monde des agences internationales connaît des mouvements importants, de concentration notamment. Or, le rôle de telles agences est fondamental, dans la mesure où c'est vers elles que se tournent les agences nationales pour se procurer des informations européennes et internationales.
Parmi les opérations capitalistiques de grande envergure, une des plus récentes fut la fusion de Reuters et Thomson Financial, groupe au sein duquel l'activité d'agence de presse généraliste diminue : elle ne représentera plus que 5 % du chiffre d'affaires total de l'agence. De fait, les grandes agences d'envergure internationale qui veulent offrir une information diversifiée et exhaustive, comme le fait l'AFP, doivent y consacrer des moyens techniques et humains considérables.
Parallèlement à ce contexte économique et financier, le métier de l'agence de presse évolue, avec la nécessaire modernisation des outils de production et de diffusion. Le développement de l'internet nous a rendus très exigeants en matière de rapidité de l'information et d'interactivité. Pour y faire face, les agences ont dû refondre leur organisation, leur système d'information et donc consentir des investissements lourds. Par ailleurs, le rôle pris par la photo et l'importance de la vidéo ont entraîné la mutation d'un certain nombre de métiers.
Les contenus de l'information évoluent eux aussi. On a maintenant besoin d'une information spécialisée, ciblée vers des professionnels – la fusion Reuters-Thomson Financial le montre –, dans un contexte de gratuité de l'information, en particulier sur internet qui prend une place de plus en plus importante. Les moteurs de recherche, en particulier Google, banalisent, tout au moins en apparence, le rôle des agences et amènent à réfléchir autour de nouveaux modèles économiques.
Dans un tel contexte, l'AFP dispose d'atouts considérables, qu'il s'agit de conforter. Moderniser son statut l'aiderait à répondre aux défis auxquels elle est confrontée. L'absence de capital social et l'obligation d'adopter un budget en équilibre freinent en effet son développement et la conclusion de partenariats qui lui permettraient de répondre à la diversification de la demande – qui va de l'information la plus généraliste et la plus immédiate à une information très ciblée et spécialisée – et de faire face à certaines concurrences, notamment dans le secteur de l'information financière. Étant donné les atouts dont elle dispose, en particulier son professionnalisme, l'Agence a les moyens de construire des offres ciblées et diversifiées ; il serait vraiment dommage, pour l'AFP et pour son rayonnement international, de passer à côté de cette chance formidable.
Chacun connaît l'histoire de l'Agence, qui a démarré en tant qu'établissement public. Chacun se souvient de la difficulté avec laquelle fut adopté le statut de 1957 – on y réfléchissait depuis 1948 ! – et des tentatives postérieures de réformes, dans les années quatre-vingt et en 1999-2000.
La réforme de l'AFP, pour lui permettre de se moderniser, pour lui donner les moyens de son développement et de son rayonnement, doit passer par une méthode partagée au sein de l'Agence et portée par l'Agence elle-même. Mais cette méthode doit être aussi partagée par le Parlement. À cet égard, la réflexion que vous avez engagée sur l'avenir de l'AFP est très précieuse. Par ailleurs, le ministre de la culture et de la communication a, de son côté, installé un comité d'experts, dont les travaux viendront enrichir les vôtres. De fait, il s'agit de provoquer l'adhésion la plus large possible autour de cette réforme.
J'irai dans le sens de Mme Franceschi en disant que les travaux menés par l'Assemblée sont tout à fait complémentaires avec ceux que conduit le comité d'experts installé en décembre par le ministre.
On a coutume de dire que l'AFP est l'une des trois premières agences de presse mondiales. On la compare à Reuters, mais il faut remarquer que l'information générale représente 3 % du chiffre d'affaires de cette agence très diversifiée. Associated Press, de son côté, est une agence essentiellement américaine. L'AFP pourrait être considérée, de par son particularisme, comme la première agence en termes de rayonnement international, de diversité de traitement de l'information ; il est donc important de préserver ses atouts. C'est d'ailleurs pourquoi, au mois de décembre 2008, à l'occasion de la signature du contrat d'objectifs et de moyens, le Gouvernement a demandé au président de l'AFP de travailler sur un projet de modernisation du statut.
Les atouts de l'AFP sont la diversité de l'information, l'indépendance et les missions d'intérêt général. Voilà en quoi, dans un milieu concurrentiel et compétitif, cette agence est unique. Il n'est pas question de revenir sur de tels avantages.
Les marges de développement organique de l'AFP sont très limitées : on l'a vu dans le passé, puisqu'elle a été obligée, pour faire face à des besoins de trésorerie, de revendre une partie de ses filiales, qui portaient son développement externe. Avec 20 millions d'euros de marge d'exploitation, 12 millions d'euros consacrés annuellement à des investissements nécessaires au bon fonctionnement de l'agence et 7 millions au paiement de la dette, ses capacités de développement sont limitées.
Nous souhaitons tous que l'AFP conserve son rôle de leadership au niveau international, et il nous a semblé indispensable de considérer les arguments de Pierre Louette. La réflexion n'est pas nouvelle, l'enjeu n'est pas partisan, puisqu'il a été porté aussi bien par des gouvernements de droite que de gauche. La question est récurrente, alors que l'on souhaite préserver et même renforcer l'indépendance de l'Agence et ses missions d'intérêt général.
Je rappellerai que, actuellement, se constituent en quelques années, voire en quelques mois, des pôles concurrentiels, qu'il est très difficile de contrer. Je pense à Chine Nouvelle, à Getty dans le secteur de la photo, aux grandes chaînes qui ont des velléités de développer des services d'information – notamment les broadcasts américains. Le paysage concurrentiel se modifie – celui de 2010 n'est pas celui de 2009… –, la mutation du métier va en s'accélérant. Dans ce contexte, comme le faisait remarquer M. Bézard, la responsabilité de l'actionnaire est importante par rapport aux enjeux stratégiques.
La désignation d'un comité d'experts par le ministère de la culture s'inscrit dans le cadre d'une démarche assez logique. Le ministre de la culture, qui a pris ses fonctions cet été, a considéré avec beaucoup d'intérêt le rapport de M. Pierre Louette et a donc souhaité recueillir, auprès d'experts reconnus dans le domaine des médias, un diagnostic sur le marché international des agences de presse, un avis plus affiné en matière de plan de financement et des recommandations s'agissant de l'indépendance et des missions d'intérêt général de l'AFP. Enfin, je vous confirme qu'il n'y a pas d'avant-projet de loi
Il est heureux que cette audition, qui avait été annulée au mois de décembre, ait pu avoir lieu car les interventions de M. Bézard, de Mme Franceschini et de M. Peyrègne ont été très intéressantes.
Pour autant, nous nous interrogeons sur la méthode et sur le calendrier adoptés pour mener cette réforme de l'AFP. Nous nous interrogeons surtout depuis la nomination de ce comité d'experts, qui est intervenue alors même que nous procédions à des auditions sur le sujet. À aucun moment nous n'avions été informés de l'éventualité de la nomination de ce comité d'experts, si ce n'est in fine, et plutôt subrepticement ; et nous avions alors fait part, si comité d'experts il y devait y avoir, du souhait de la représentation nationale d'y être associée.
En outre, s'il convient de « donner du temps au temps », il est également nécessaire, lorsque l'on mène une réforme, de suivre un certain calendrier, avec le dynamisme que cela suppose. La réforme est sur le chantier depuis plus d'un an : le président de l'AFP, M. Pierre Louette s'est vu confier une mission de réflexion en décembre 2008 dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens. Il a présenté au mois de mars 2009 des propositions, conformément à la demande qui lui en avait été faite ; le dépôt d'un projet de loi a été évoqué, puis démenti ; le ministre a indiqué lors de l'examen du budget de la presse qu'il souhaitait prendre son temps en la matière ; un des membres de la Commission a demandé la création d'une mission d'information, avant que l'on convienne de procéder à une série d'auditions sur le sujet. Et maintenant, un comité d'experts a été nommé !
Loin de moi l'idée de mettre en cause la composition de ce comité d'experts et sa qualité, non plus que le fait que le ministre, venant de prendre ses fonctions, décide de réunir un tel comité. Toutefois, je ne trouve absolument pas normal, alors que la Commission avait commencé à procéder à une série d'auditions, que nous n'ayons pas été informés par le Gouvernement de la nomination de ce comité d'experts et que la représentation nationale, Assemblée et Sénat, en ait été écartée. Certes, si je reprends « en creux » le discours qu'a prononcé le ministre lorsqu'il a installé ce comité d'experts, les parlementaires que nous sommes, membres de la commission qui s'occupe notamment des médias, ne sont pas des « experts particulièrement éminents et indiscutables », nos savoir-faire ne sont pas « complémentaires » et n'ont pas été « acquis dans des parcours riches et variés ». Il est vrai que nous ne sommes que de modestes élus du peuple, élus de territoires très différents, et que nos expériences sont par définition très limitées… Pour autant, je regrette que les parlementaires aient été écartés de ce comité d'experts, et ce non pour une question de susceptibilité, mais pour une raison d'efficacité : nous connaissons ici le sort réservé à certains rapports d'experts.
Et si, in fine, un projet de loi relatif à l'AFP est proposé, le Parlement – et en particulier notre commission – sera associé à sa discussion. Jusqu'à plus ample informé, c'est encore le Parlement qui vote les lois ! Il n'a pas échappé au Gouvernement que cette nouvelle commission des affaires culturelles et de l'éducation, éminemment présidée par Mme Michèle Tabarot, créée à la suite de la réforme constitutionnelle, se préoccupait plus particulièrement de la culture, des médias, de l'audiovisuel et de la presse ! Et c'est au nom de cette commission que j'ai eu l'honneur de présenter un avis sur le budget de la presse, examiné cette année pour la première fois de façon spécifique dans le cadre du projet de loi de finances pour 2010 ! Enfin, l'un des objectifs de la réforme constitutionnelle n'était-il pas de redonner des responsabilités et du pouvoir au Parlement ?
Encore une fois, ce que je mets en cause, ce n'est pas la qualité des experts, mais la méthode utilisée. D'autant qu'il s'agit maintenant de se mettre d'accord, si possible de façon « consensuelle ». Il convient de susciter l'adhésion de tous, et en particulier celle du personnel de l'AFP – nous y sommes très attachés.
Le Gouvernement nous a fait l'honneur de lire les comptes rendus des auditions auxquelles nous avons procédé. Il a pu constater que, sur un certain nombre de points, nous étions d'accord, toutes tendances politiques confondues : maintenir l'indépendance de l'AFP ; doter celle-ci des moyens nécessaires à son développement ; conforter son statut de grande agence internationale, représentative de l'image de la France.
Il convient maintenant de doter l'Agence de moyens suffisants et de réfléchir à son statut. Mais pourquoi écarte-t-on le Parlement de cette façon ? Sans doute allez-vous nous convaincre qu'il n'était pas utile d'associer les parlementaires au processus qu'ils avaient eux-mêmes engagé…
Quelle sera la suite du calendrier ? Cette affaire dure depuis plus d'un an. J'ai compris que le rapport des experts serait remis en mars prochain. Il y a tout de même un timing à respecter dans la conduite d'une réforme, à moins de vouloir la voir se déliter avec le temps qui passe…
Nous sommes assez largement d'accord avec ce que vous nous avez dit, madame Franceschini, monsieur Bézard et monsieur Peyrègne, mais nous nous interrogeons sur la méthode, sur le calendrier et, in fine, sur ce sur quoi cela va déboucher.
J'ai cru que Michel Herbillon était intervenu au nom du groupe SRC… en tout cas, nous partageons ses propos.
Le dossier de l'AFP est un dossier particulier. En raison de son histoire, de son statut, qui date de 1957 et qui a nécessité neuf ans de préparation, du rôle qu'elle joue et de sa dimension internationale, on ne peut pas traiter le changement de statut de l'AFP comme on le ferait pour n'importe quel autre organisme. Dans notre paysage républicain et démocratique, l'AFP occupe une place à part. Et même si le terme de « consensus » a sans doute ses limites, comment parvenir à emmener tout le monde vers un objectif qui nous rassemble spontanément : assurer le développement économique de l'AFP, avec des bases financières solides et pérennes, tout en préservant sa dimension internationale et son indépendance ?
Nous avons beaucoup de critiques à formuler, nous aussi, sur la méthode adoptée. Alors que le groupe SRC avait saisi Mme Michèle Tabarot d'une demande de création d'une mission d'information, nous sommes convenus de procéder d'abord à des auditions. Quoi qu'il en soit, à l'automne dernier, nous avions jugé, de manière collective et consensuelle, qu'il fallait que nous nous saisissions de ce dossier à l'écart duquel on nous avait tenus. Je remarque que la démarche avait été menée en synergie avec les partenaires sociaux, notamment les syndicats. Ce sont ces derniers qui, à la suite d'une journée de grève, nous avaient saisis pour que le débat sur l'avenir de l'AFP acquière un caractère public – ce qui n'était pas le cas jusqu'alors. Certes, nous connaissions la mission qui avait été confiée à M. Pierre Louette, nous connaissions les prémices de son rapport et de ses préconisations, mais tout cela gardait un caractère confidentiel. En outre, à la fin de l'automne, le calendrier était tel qu'on pouvait penser qu'un projet de loi serait déposé sur le bureau du Parlement avant la fin de l'année et que l'on serait amené à boucler la réforme de l'AFP d'ici au printemps de l'année suivante. Visiblement, le calendrier a bougé, ce qui est une bonne chose. Reste qu'à partir du moment où nous nous sommes saisis de cette question, nous aurions voulu « rester dans le mouv' ». Mais l'on connaît cette propension du monde de la culture à créer des groupes de travail, des comités d'experts…
Finalement, il faut que nous ayons collectivement une capacité d'imagination. En effet, nous avons retenu des auditions, aussi bien de celle des syndicats que de celle de Pierre Louette, qu'il nous fallait résoudre une équation qui n'est pas évidente : assurer dans la durée à l'AFP un financement solide, qui ne soit pas soumis aux aléas conjoncturels, qui lui permette de relever les défis commerciaux, et ce dans un contexte marqué par la crise de la presse écrite.
Le fait qu'un partie des clients de l'AFP soient membres de son conseil d'administration conduit à une situation schizophrénique : en conseil d'administration, ils fixent des tarifs, qu'ils négocient ensuite à la baisse, comme clients. La composition actuelle du conseil d'administration est d'une autre époque. On se rend bien compte qu'il faut sortir de cette situation.
Nous avons été collectivement sensibles à ce que nous ont dit, notamment, les syndicats. Certes, l'AFP, l'une des trois grandes agences de presse au niveau mondial, doit conserver son indépendance et son rôle international – et francophone. Mais son indépendance et l'argent qu'elle peut tirer de sa surface internationale tiendront aussi au fait qu'elle n'apparaîtra pas comme une agence d'État. Voilà pourquoi son statut et la composition de son conseil d'administration constituent un enjeu essentiel. En effet, si au terme du processus, il ressort que c'est l'État actionnaire qui entre en masse dans le conseil d'administration, on court un risque manifeste de déficit d'image, lequel peut conduire à une sorte de préjudice commercial.
À terme, y aura-t-il étatisation ou privatisation ? Y aura-t-il une étatisation aujourd'hui puis une privatisation demain – l'actionnaire principal étant amené à vendre ses participations ? Tout cela peut susciter des craintes, en partie justifiées. Mais au-delà, il s'agit de savoir comment assurer un actionnariat stable à l'AFP tout en faisant en sorte qu'elle n'apparaisse pas demain comme une agence d'État ou, après-demain, comme une agence dépendante d'intérêts industriels et financiers puissants. Il s'agit de se demander comment assurer l'indépendance de l'Agence, qui est une des conditions essentielles du rôle international qu'elle joue.
Il est ressorti de nos auditions qu'il fallait que nous soyons capables de faire preuve d'imagination et de créativité, pour inventer quelque chose de spécifique à l'AFP. Jusqu'à présent, les propositions qui nous été faites ne sont pas satisfaisantes.
Ce dossier pose surtout un problème de fond. Comme Marie-George Buffet l'a souligné dans un courrier adressé au ministre de la culture – demeuré sans réponse –, nous craignons que la modification du statut de l'AFP en société par actions publique ne remette en cause son indépendance.
Les députés communistes et du parti de gauche soutiennent les salariés, qui agissent pour un service public de qualité et de meilleures conditions de travail – nombre d'entre eux connaissent en effet une précarité grandissante. Les organisations syndicales adhèrent à l'idée d'une réforme et souhaitent la mise en place de tables rondes.
L'accroissement des moyens est au coeur du sujet. Nous redoutons cependant une étatisation de l'Agence, qui lui ferait perdre, en même temps que son indépendance, une grande partie de sa crédibilité. Nous craignons qu'à la suite, dans le mouvement général de réduction des dépenses publiques, un désengagement de l'État entraîne une privatisation. L'Agence connaîtrait alors, comme les principaux groupes de presse, une dépendance vis-à-vis de ses actionnaires privés.
Les organisations syndicales proposent un plan d'investissement qui inclue une dotation en capital de l'État, comme cela s'est déjà fait à deux reprises. Elles envisagent aussi un emprunt à taux 0 auprès de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) ou un financement par l'introduction d'une taxe sur les recettes publicitaires de la presse. Ce sont des pistes sérieuses, qui doivent être débattues.
Les députés et les sénateurs doivent participer à cette réflexion, que ce soit au sein du comité d'experts ou dans un groupe de travail parallèle. Les propositions faites aujourd'hui sont inacceptables ; il nous faut réfléchir à d'autres solutions qui garantissent l'indépendance de l'AFP, à laquelle nous sommes tous attachés et qui est le fondement de l'une des trois plus grandes agences de presse du monde.
Qu'attend-on d'une agence de presse ? Je ne suis pas persuadé que nous répondions tout de la même façon à cette question ; j'ai même cru déceler certaines divergences chez les personnes que nous venons d'auditionner.
Pour un archaïque comme moi, une agence de presse est avant tout le journal des journaux. Si nous retenons cette acception, l'AFP est la première agence de presse au monde. S'il s'agit de diversifier pour progresser encore dans cette voie, je suis d'accord. Mais s'il s'agit de copier Reuters et d'assigner comme objectif à l'AFP de se consacrer avant tout aux entreprises, je m'y opposerai.
Je constate qu'il est question de changer le statut de l'AFP au moment où elle se porte le mieux : les déficits ont été réduits, un certain équilibre a été trouvé. Sans doute doit-on faire évoluer les structures, mais pourquoi de façon précipitée – dans les quinze jours –, sans une réflexion préalable à laquelle les journalistes seraient associés ?
Comme l'a dit Patrick Bloche, ce sont les clients qui décident de tout. Il est curieux de voir que la presse quotidienne régionale, qui a suscité la création de l'Agence mais a fait en sorte de freiner son évolution, réclame aujourd'hui un changement.
Il est certain que l'AFP doit se diversifier pour maintenir son rayonnement international. Mais je ne pense pas qu'elle soit en danger, encore moins que la modification de son statut puisse régler tous les problèmes. Ce statut est peut-être ringard, mais il n'a jamais empêché l'État d'aider l'AFP à redresser la barre. Au contraire, c'est lorsque l'État n'a pas joué son rôle que les choses n'ont pas fonctionné. La question du statut n'est pas centrale. Il faut avant tout se mettre d'accord sur l'essentiel : une agence de presse doit être le journal des journaux.
En ces temps de voeux, j'ose espérer que le Président de la République demandera au Gouvernement de mieux traiter le Parlement en 2010. Ainsi les parlementaires pourront-ils travailler et légiférer normalement, sans avoir à examiner de projets de loi en urgence. Je rejoins en cela les propos de M. Herbillon.
Monsieur Bézard, envisagez-vous d'être le général du conseil d'administration de l'AFP ? Quelles seraient alors les exigences que vous formuleriez à l'égard de l'Agence ?
Madame Franceschini et Monsieur Peyrègne, vous avez évoqué à plusieurs reprises la fusion Reuters-Thomson : est-ce à dire que vous souhaitez une telle évolution pour l'AFP ? Je ne le crois pas, mais je souhaiterais que vous nous disiez comment le ministère envisage l'avenir de l'Agence et si la vision de Pierre Louette est la vôtre. Pensez-vous qu'il s'agisse uniquement d'une question de structure ou de conseil d'administration ? Les atermoiements de ces derniers mois ont nuit à l'ambiance et au fonctionnement de l'Agence : il serait temps que le Gouvernement nous présente sa position.
Il est vrai que les parlementaires ont le sentiment de n'être pas pleinement associés aux travaux sur l'avenir de l'AFP. Quant au groupe installé par le ministère, j'avoue ma méfiance : le passé nous a montré que les experts pouvaient faire montre d'une vision très « sectorielle ».
Monsieur Bézard, vos propos ont avivé certaines de mes craintes. Vous avez rappelé que l'AFP, parce qu'elle avait des clients, était une entreprise. Il ne s'agit pourtant pas d'une entreprise ordinaire : l'AFP traite de l'information, qui plus est en toute indépendance et objectivité – un élément de démocratie, mais également, de crédibilité commerciale.
Par ailleurs, je ne peux faire mienne votre vision optimiste et généreuse des actionnaires. Hélas, ceux-ci n'ont pas toujours comme intérêt prioritaire l'avenir de l'entreprise, mais celui de leurs portefeuilles.
Je partage l'indignation contenue – mais « ferme » – de Michel Herbillon. Je souhaiterais que soient précisées les missions qui ont été confiées au groupe d'experts et dire ma perplexité quant à la nomination de M. Henri Pigeat à sa tête. C'est en effet sous la présidence de M. Pigeat que l'AFP a connu les plus grandes grèves de son histoire : celui-ci avait prévu un plan de licenciement de 150 salariés et la fermeture du service photo, qui s'avère aujourd'hui le service le plus rentable de l'Agence.
M. Pierre Louette a révélé dans un entretien au Monde qu'il souhaitait toiletter le statut d'indépendance de l'AFP et transformer l'Agence en société nationale à capitaux publics, dont les actionnaires principaux seraient la CDC, le fonds stratégique d'investissement ou bien encore l'Agence des participations de l'État.
L'AFP ne dispose pas pour le moment d'actionnaires, simplement de dotations en fonds propres. Son statut lui interdit d'être subventionnée directement par l'État. Comment le statut peut-il être modifié ? Comment garantir que les capitaux publics resteront majoritaires ? Une fois le statut particulier liquidé au profit d'une société de droit commun, il sera aisé de modifier la composition de l'actionnariat, de manière réglementaire ou par un simple amendement.
Vous m'avez demandé, Monsieur Rogemont, quelles seraient les contraintes qu'un actionnaire public imposerait à l'entreprise. Il exigerait d'abord que le conseil d'administration fonctionne et que chaque administrateur ait pour seul objectif l'avenir de l'entreprise. Il vérifierait ensuite que l'AFP exerce bien les missions de service public que le Parlement lui fixe. Enfin, il s'assurerait que l'entreprise se développe et dispose des moyens nécessaires pour ce faire, qu'ils proviennent de ses activités propres ou qu'ils soient apportés, le cas échéant, par son actionnaire.
Monsieur Roy, vous avez mille fois raison de souligner que l'AFP n'est pas une entreprise comme les autres, son « produit » étant directement lié à l'exercice de la démocratie. Certes, une entreprise sans actionnaires est une entreprise orpheline, mais l'on peut faire en sorte que les parents ne soient pas trop encombrants ! Le rôle de l'actionnaire est de veiller au développement de l'entreprise, non de s'immiscer dans sa gestion quotidienne. La loi peut mettre en place des barrières infranchissables pour éviter cela. Enfin, vous m'accusez de dresser un tableau idyllique des actionnaires. Je ne parlais que de l'État actionnaire… je suis le premier à constater que certains actionnaires ne jouent pas leur rôle !
Madame Langlade, il est totalement impossible de modifier l'appartenance au service public par voie réglementaire. Le Parlement saura obtenir les garanties permettant de rester dans le cadre d'une société à capitaux uniquement publics.
Monsieur Herbillon, il me semble évident que les travaux menés par votre commission et ceux que conduira le groupe d'experts s'enrichiront mutuellement. Vos cheminements ne doivent pas être parallèles, vous devez pouvoir confronter vos réflexions.
Madame Amiable, monsieur Bloche, vous avez bien montré la difficulté de l'équation. Nous devons concilier des valeurs aussi essentielles que l'indépendance avec les exigences du développement économique. Il nous faut trouver le juste chemin entre les deux extrêmes que seraient l'étatisation et la privatisation et faire en sorte que cette réforme soit partagée par tous et portée par l'entreprise.
Monsieur Françaix, c'est précisément parce que cette réforme est ardue que nous ne voulons pas l'effectuer dans les quinze jours. Chacun d'entre nous y travaille intensément, et je ne doute pas qu'un jour, nous aurons le sentiment d'avoir trouvé cet équilibre.
L'AFP fonctionne bien aujourd'hui, mais elle ne doit pas se contenter de ses bons résultats. Elle doit anticiper sur les défis qu'il lui faudra relever demain, liés à la mutation du paysage et des métiers. Demeurer la première agence sur un plan généraliste demande un mouvement et une ambition, notamment en termes de moyens.
C'est la première fois qu'une réflexion est menée sur une réforme de l'AFP alors que l'Agence dispose d'un plan stratégique et d'un contrat d'objectifs et de moyens. C'est un atout : l'entreprise et son personnel abordent ces évolutions dans un cadre sécurisé.
Le problème est si complexe que deux approches complémentaires – et non parallèles – ne seront pas de trop. La richesse vient de la diversité, et je ne vois pas en quoi ces deux méthodes seraient incompatibles. Je ne doute pas qu'Henri Pigeat cherchera à rencontrer les parlementaires.
En installant ce groupe de travail, le ministère de la culture a fait la preuve qu'il entendait mener à son terme cette réflexion débutée il y a dix ans. En un an se sont succédé la signature d'un contrat d'objectif et de moyens, la remise d'un rapport par M. Louette et l'installation du groupe de travail.
Il existe un consensus sur la nécessaire évolution de l'Agence, mais encore des divergences sur la méthode. Je suis certain que nous trouverons des points d'accords. Le groupe de travail n'a pas vocation à rédiger un projet de loi mais à éclairer le Gouvernement sur des enjeux d'une grande complexité.
Monsieur Françaix, aucun expert n'est en mesure de dire ce que sera demain le rôle des agences de presse. La conservation du coeur de métier – être le journal des journaux – passe forcément par la diversification et le développement externe. Ce sont les autres activités de Reuters qui lui permettent de consacrer aujourd'hui 700 millions d'euros à son secteur généraliste.
En aucune manière le Gouvernement n'a cherché à écarter la représentation nationale de ses travaux. Même si les objectifs diffèrent, je suis certain que ces approches complémentaires donneront lieu à une discussion commune d'une grande richesse.
Précisément, la recherche de cette complémentarité aurait dû amener le Gouvernement à associer les parlementaires à ce comité. Ce sont les actions qui importent, et non les bonnes paroles.
Par ailleurs, vous n'avez pas répondu à ma question. Certes, la réflexion a débuté il y a dix ans, mais elle est entrée dans une phase plus active l'année dernière, avec la mise en place du plan stratégique et du contrat d'objectifs et de moyens, la remise du rapport de Pierre Louette, et les réactions de l'intersyndicale et des personnels que celui-ci a suscitées. Vous devriez donc être en mesure de nous dire si les travaux du comité d'experts, qui devraient se clore au printemps, déboucheront sur un projet de loi.
Je ne peux préjuger de ce que seront les conclusions du groupe de travail. La possibilité d'un projet de loi a été évoquée, mais aussi celle d'un toilettage. Sur ce point, le travail de votre commission sera fondamental.
S'agissant du calendrier, la seule information que je puisse vous fournir est que le ministre a demandé à ce que le groupe lui remette ses conclusions en mars-avril. Quant aux rumeurs concernant un avant-projet de loi, elles sont infondées.
Je vous demande, madame, messieurs, de bien vouloir informer le Gouvernement de notre volonté, exprimée sur tous les bancs, d'être associés à cette réflexion. Je vous remercie.
La séance est levée à douze heures cinq.