La mission d'évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes a auditionné Mme Christelle Hamel, de l'Institut national d'études démographiques.
La séance est ouverte à seize heures vingt-cinq
Merci d'avoir accepté notre invitation. Vous êtes sociologue et chercheuse à l'INED, spécialiste de la question des mariages forcés.
Nous souhaitons faire avec vous le point des données scientifiques concernant les mariages forcés que subissent les jeunes filles, françaises ou résidant habituellement en France.
Vous avez souhaité m'entendre sur l'évaluation statistique de la question du mariage forcé en France. Je vous présenterai les résultats d'enquêtes quantitatives dont nous disposons, avant d'analyser l'évaluation faite par les associations.
L'enquête la plus ancienne qui nous ait permis d'appréhender la question des mariages forcés est l'enquête statistique « mobilité géographique et insertion sociale », ou MGIS, menée en 1992.
Elle visait à étudier les parcours d'intégration des immigrés et de leurs enfants. Elle n'a été réalisée qu'auprès de certains courants migratoires : Algérie, Portugal, Maroc, Turquie, Espagne, Vietnam, Laos, Cambodge et un regroupement de pays d'Afrique subsaharienne. De la même façon, elle ne s'est intéressée qu'aux descendants d'immigrés algériens, portugais et espagnols car les jeunes, nés de parents immigrés, arrivant à l'âge adulte n'étaient alors pas suffisamment nombreux pour les autres courants migratoires. Autrement dit, les connaissances délivrées par cette enquête sont partielles, tant pour les immigrés que pour les descendants d'immigrés.
Une question permettait d'enregistrer le mariage forcé : votre conjoint a-t-il été choisi « par votre famille sans votre consentement », ou « par votre famille avec votre consentement », ou « par vous-même » ?
Les taux de mariages non consentis issus de cette enquête varient très fortement selon que le mariage a été conclu avant ou après l'entrée de la personne sur le territoire français. Dans 80 % des cas où la famille a choisi le conjoint sans le consentement de l'intéressé et dans 70 % des cas où la famille a choisi le conjoint avec ce consentement, le mariage a été contracté avant la migration. Ces résultats nous renseignent donc davantage sur les pratiques dans les pays d'origine que sur le territoire français.
Les femmes immigrées représentent 70 % des personnes qui ont été mariées sans leur consentement, à l'occasion de leur première union. Le mariage forcé ne concerne donc pas que des femmes.
Les proportions d'individus qui déclarent que leur conjoint a été choisi par leur famille sont très importantes pour les personnes originaires d'Algérie, du Maroc et de Turquie : l'arrangement des mariages par les familles constituait une norme partagée par la moitié de la population. Les taux de mariages non consentis sont nettement moins élevés mais ils demeurent très importants, particulièrement pour les femmes originaires d'Algérie : 21 % des femmes et 9 % des hommes originaires de ce pays déclarent avoir été mariés sans leur consentement.
Ces mariages concernent des personnes qui avaient entre 20 et 59 ans au moment de l'enquête et qui se sont mariées entre 1947 et 1992. Ils ont été conclus dans une période désormais assez lointaine et, surtout marquée, pour les différents pays concernés, notamment l'Algérie et le Maroc, par la décolonisation et la guerre d'indépendance. Pour la Turquie, les troubles politiques des années quatre-vingts sont certainement à prendre en considération pour expliquer des taux de violences si élevés. Les comportements face au choix du conjoint reflètent les atteintes portées alors aux droits humains.
Les choses ont beaucoup évolué dans ces pays, en particulier au Maghreb. L'âge moyen au premier mariage est passé, notamment en Algérie, de dix-huit ans en 1966 à vingt-sept ans en 1998, la probabilité de mariages non consentis devenant ainsi nettement plus faible. Cela ne signifie pas que le phénomène a disparu ; simplement, il n'a plus l'ampleur qu'il revêtait avant 1993. En Turquie, les changements démographiques concernant l'âge au premier mariage sont beaucoup plus récents, et il est probable que le taux de mariages forcés reste plus élevé.
Pour les personnes originaires d'Asie du Sud-est et d'Afrique subsaharienne, le rôle des familles dans le choix du conjoint est nettement moins important et ne constitue pas une norme au même titre que pour les trois pays précédents. Les proportions de mariages arrangés par les familles tournent autour de 20 à 30 %, selon qu'il s'agit des hommes ou des femmes.
Lorsque l'on observe les différences entre les personnes mariées lors de leur entrée sur le territoire français et les personnes entrées célibataires, on constate que le taux de mariages forcés est en nette diminution. Autrement dit, les pratiques d'imposition du choix d'un conjoint ne se reproduisent pas à l'identique sur le territoire français et les éléments de connaissance sur les pays d'origine ne s'y appliquent donc pas.
L'enquête MGIS permet d'apporter d'autres éléments sur le devenir des personnes mariées sans leur consentement. Quels que soient les courants migratoires observés, le taux de divorce de ces personnes est nettement plus élevé que chez les personnes mariées avec leur consentement. Ils restent néanmoins faibles : 14 % pour les personnes originaires d'Algérie, 6 % pour le Maroc et 12 % pour la Turquie. Autrement dit, ces mariages non consentis perdurent sur le territoire français. Cela s'explique en premier lieu par la perte possible du droit au séjour lorsque le conjoint est venu au titre du regroupement familial. Un travail législatif est sans doute nécessaire pour permettre aux personnes mariées sans leur consentement dans leur pays d'origine de mettre un terme à une union qui ne les satisfait pas.
L'enquête MGIS permet par ailleurs d'apprécier si les mariages sans consentement sont précoces.
Pour les personnes originaires d'Algérie, l'âge médian au premier mariage, lorsqu'il a été non consenti, est de dix-huit ans. Autrement dit, la moitié des personnes originaires d'Algérie mariées sans leur consentement l'a été avant dix-huit ans. L'âge médian passe à vingt-deux ans lorsque le mariage est arrangé mais consenti, et à vingt-quatre ans lorsque le mariage a été conclu par choix individuel.
On retrouve des différences analogues pour les autres courants migratoires : six années d'écart à l'âge médian au mariage entre le mariage non consenti et le mariage par choix individuel. Cela signifie que les mariages non consentis sont, dans une proportion importante, des mariages précoces – mais pas uniquement.
Pour les descendants d'immigrés, l'enquête MGIS n'enregistre pas de mariages non consentis, quelle que soit l'origine des parents des enquêtés. En revanche, pour les seuls descendants d'immigrés algériens, la proportion de mariages arrangés déclarés comme consentis atteint 3,3 %. L'absence de déclaration de mariages non consentis ne signifie pas que le phénomène n'existe pas, mais plutôt que l'échantillon était trop faible pour saisir statistiquement un phénomène qui reste rare. La question posée était aussi sans doute moins adaptée à cette nouvelle génération née en France qu'aux générations plus âgées, élevées dans les pays d'origine. Voilà qui plaide pour de nouvelles études.
Deux enquêtes plus récentes permettent d'enregistrer les situations de mariage forcé de manière un peu différente.
La première est l'enquête TIES (The integration of european second generation in Europe), réalisée dans huit pays européens sur les parcours et les trajectoires sociales des descendants d'immigrés turcs. Initiée par des chercheurs démographes rattachés à l'institut IMES aux Pays-Bas, son volet français de l'enquête a été réalisé en 2007 par l'INED sur un échantillon de 500 jeunes personnes résidant dans les agglomérations de Strasbourg et Paris.
Elle appréhende la question du mariage non consenti en demandant aux individus dans quel contexte ils ont rencontré leur partenaire, notamment en leur faisant préciser si leur conjoint leur a été présenté par leurs parents. Elle leur demande ensuite s'il y a eu des pressions exercées par la famille ou la belle-famille pour encourager le mariage. Si oui, quelle a été la décision de la personne au moment du mariage : elle voulait vraiment se marier elle ne voulait pas se marier, mais elle a accepté elle ne voulait pas se marier, mais elle y a été obligée par des pressions familiales.
Les données sont en cours d'analyse et, faute de pondérations, je ne vous livre les premiers résultats de manière indicative, même si l'ordre de grandeur ne sera pas fondamentalement modifié.
Parmi les jeunes gens interrogés, seuls 34 % des jeunes femmes et 20 % des jeunes hommes vivent en couple, dans le cadre du mariage dans 94 % des cas pour les femmes et 90 % des cas pour les hommes. Seulement 3 % d'entre eux ont déclaré que leur conjoint leur avait été présenté par leurs parents. Si l'on ne retient que cette question, on peut penser que le nombre de personnes risquant d'être confrontées à l'éventualité d'un mariage contraint est assez faible. En effet, sur l'ensemble des enquêtés, qu'ils soient ou non en couple, 6 % des hommes et 10 % des femmes ont déclaré avoir subi des pressions exercées par la famille les incitant à se marier.
Si l'on croise maintenant les réponses à ces différentes questions, 1 % des hommes et 2 % des femmes vivant en couple ont subi des pressions les incitant au mariage et déclarent dans le même temps qu'elles auraient préféré se marier plus tard ou qu'elles ont été forcées de se marier. Et 6 % des hommes et 8 % des femmes déclarent avoir subi des pressions mais avoir voulu se marier.
Cette enquête révèle à nouveau que le phénomène du mariage forcé reste minoritaire pour les jeunes issus de l'immigration turque qui résident à Paris et à Strasbourg, mais qu'il existe néanmoins. Les descendants d'immigrés turcs que nous avons interrogés étant relativement jeunes (entre vingt et vingt-cinq ans) par rapport à l'ensemble des enquêtés (entre dix-huit et trente-cinq ans), mieux vaudrait refaire cette enquête dans quelques années, quand ils seront un peu plus âgés et qu'une plus grande proportion d'entre eux aura été en situation de se poser la question de vivre en couple et de se marier.
Une autre enquête permet d'appréhender le phénomène des mariages forcés. Coordonnée par Maryse Jaspard et réalisée en 2006 en Seine-Saint-Denis auprès de 1 600 personnes âgées de dix-huit à vingt-et-un an, elle visait à étudier les comportements sexistes et les violences subies par les jeunes femmes de ce département. On y posait les questions suivantes : votre famille vous a-t-elle proposé un fiancé ? (ouinon). Comment avez-vous réagi ? (vous l'avez refusévous l'avez acceptévotre famille vous l'a imposé)
Sur les 1 600 jeunes femmes, 750 étaient soit immigrées, soit nées en France de parents immigrés, du Maghreb, d'Asie ou l'Afrique subsaharienne. Parmi ces 750, 41 soit 5,3 % ont déclaré que leur famille leur avait proposé un fiancé ; 31 d'entre elles ont refusé le mariage, 3 l'ont accepté et 4 déclarent que la famille le leur a imposé.
Même si le nombre de jeunes femmes à qui on a présenté un conjoint est assez faible et ne permet donc pas de comparaisons statistiques fiables, l'enquête montre aussi que ces jeunes femmes déclarent plus souvent avoir été giflées, frappées, enfermées, mises à la porte ou menacées avec une arme. De même, leur santé (mentale et physique) est plus dégradée. Cela invite là aussi à réaliser de nouvelles enquêtes sur des échantillons plus importants, en prenant en considération l'ensemble des violences pouvant avoir été subies, les enquêtes MGIS et TIES n'enregistrant aucune autre violence subie que le mariage non consenti lui-même.
Ces données pourront bientôt être actualisées, car j'espère que les résultats de « trajectoire et origine : enquête sur la diversité des populations en France », réalisée en 2008 par l'INED et l'INSEE pourront être analysés en fin d'année. Portant sur 24 000 personnes immigrées et issues de l'immigration, elle fournira une estimation du nombre de mariages forcés, avec un échantillon représentatif de la population immigrée et de la population issue de l'immigration. Elle ne comporte toutefois, elle non plus, aucun élément sur les autres formes de violences que le mariage forcé.
Il me semble que le travail effectué au quotidien par les associations amène peut-être leurs responsables et leurs acteurs à ne voir que les situations de violence dans la conjugalité et à oublier que si les unions non consenties sont bel et bien présentes, elles ne sont pas majoritaires pour les jeunes femmes issues de l'immigration. Les estimations de ces associations ont eu le mérite de poser la question du mariage forcé comme une question sociale dans l'espace public et l'espace politique, mais elles n'ont pas de fiabilité scientifique.
Je ne suis pas en mesure, à partir des enquêtes que j'ai présentées d'estimer le nombre de personnes confrontées à ces violences, je ne peux donner que des proportions. Il faudrait pouvoir rapporter les proportions observées pour les descendants d'immigrés au nombre de descendants d'immigrés présents en France. Or le recensement de la population n'enregistre que le pays de naissance des personnes et non celui de leurs parents. Autrement dit, on ne sait pas exactement combien il y a de descendants d'immigrés en France. En revanche, une extrapolation sera faite à la fin de l'année, à la suite des résultats de l'enquête « trajectoire et origine ».
On doit retenir que le phénomène n'est pas présent de la même manière dans les pays d'origine et en France, qu'il est certainement en régression dans les pays d'origine, spécialement dans les pays du Maghreb et qu'il concerne maintenant une génération nouvelle sur le territoire français. Si plus de personnes font appel aux associations, c'est parce que les jeunes femmes issues de l'immigration sont maintenant en âge d'entrer dans la vie adulte, donc de se marier, et qu'elles ont un profil différent des femmes immigrées. Elles connaissent bien le système de protection sociale français et leurs droits et sont donc plus en mesure de faire appel à des associations, à des avocats pour s'opposer à un mariage forcé, ce qui n'était pas le cas de leur mère. Par ailleurs, le mariage arrangé est d'autant plus vécu comme un phénomène de violence qu'il n'est plus, dans le contexte français, la norme comme dans les pays d'origine. Mais globalement le phénomène est certainement en nette baisse.
J'aimerais maintenant rendre compte des difficultés rencontrées par les associations qui viennent en aide aux personnes victimes de mariage forcé, et par les victimes elles-mêmes. J'ai réalisé, avec des collègues de l'INED, une enquête qualitative auprès d'une trentaine de jeunes femmes ayant subi un mariage forcé ou essayant d'y échapper, et que nous avons rencontrées par le biais d'associations.
Les associations qui viennent en aide aux victimes témoignent toutes de la difficulté à protéger les victimes, notamment à leur trouver un hébergement d'urgence. Le problème tient d'abord au manque de place dans les centres d'hébergement ; ensuite, au mélange des publics en grande vulnérabilité accueillis dans ces centres – parfois auteurs et victimes de violence se retrouvent dans un même espace ; enfin à la départementalisation de l'attribution des places dans les centres d'hébergement, ce qui peut poser problème car l'éloignement des victimes de mariage forcé de leur lieu de résidence est indispensable à leur protection : les familles recherchent activement les jeunes femmes qui se sont enfuies ou qui ont fait appel à une association.
Les associations ont mis en oeuvre des solutions alternatives. Le planning familial de l'Hérault, notamment, a créé un réseau « jeunes filles confrontées aux violences et aux ruptures familiales » qui offre un dispositif d'hébergement via des familles d'accueil. Mais cela montre le manque d'engagement de l'État en faveur de l'hébergement et de la protection des victimes de mariage forcé et de toutes les victimes de violences.
Ce dispositif des familles d'accueil semble relativement efficace. Mais, quelles que soient leur formation et leur implication, ces bénévoles doivent affronter des situations parfois dramatiques, les victimes étant elles-mêmes dans des états psychologiques difficiles à gérer, allant jusqu'à la tentative de suicide. Il semble donc important que des professionnels puissent venir en aide aux victimes.
L'association « Voix de femmes », qui vient en aide aux personnes victimes de mariage forcé, a élaboré un projet d'harmonisation des différentes structures d'aide aux victimes, qui me semble particulièrement intéressant.
En 2008, elle est venue en aide à 228 jeunes femmes. Dans 69 % des cas, le mariage avait été conclu à l'étranger. Ainsi, les mariages forcés, même quand ils concernent des jeunes femmes nées sur le territoire français, sont très souvent associés à un renvoi au pays d'origine.
Ces associations, comme les travailleurs sociaux, se heurtent à la multiplicité des interlocuteurs, lorsqu'elles tentent de prévenir le renvoi au pays d'origine, ou de faire revenir une victime qui a déjà été mariée contre son gré à l'étranger et qui y est retenue. Dès lors que la personne a été renvoyée à l'étranger, il devient particulièrement difficile de lui venir en aide. Ce constat invite à imaginer des dispositifs préventifs, avant la sortie du territoire des victimes. « Voix de femmes » propose donc la création d'une « cellule d'alerte, de veille, d'intervention en faveur des jeunes mineurs et majeurs en danger d'un mariage forcé à l'étranger ». Cette structure interministérielle spécialisée dans la prévention du mariage forcé et l'accompagnement des victimes aurait pour fonction de centraliser, organiser et systématiser les signalements faits par les travailleurs sociaux, les associations et les établissements scolaires. En effet, ces derniers sont souvent en première ligne pour signaler les risques de mariage forcé lorsqu'ils constatent la déscolarisation des mineurs de seize ans ou le retrait d'établissement scolaire des plus de seize ans.
Cette cellule aurait aussi pour objectif de permettre aux victimes, qu'elles soient mineures ou majeures, de demander elles-mêmes qu'on leur applique une interdiction de sortie du territoire. Aujourd'hui, les interdictions de sortie du territoire des mineurs ne peuvent être prononcées que par un juge des enfants sur la demande des parents. Elles sont parfois destinées à prévenir la sortie du territoire quand l'un des parents est opposé au mariage forcé – généralement la mère, qui essaie de bloquer, via la police des frontières, le renvoi de sa fille dans le pays d'origine. Les associations constatent toutefois que la sortie du territoire a parfois lieu quand même. Elles souhaitent donc que les victimes puissent elles-mêmes demander que cette interdiction de sortie du territoire leur soit appliquée. Ce serait un outil très efficace pour prévenir les mariages forcés.
Cette cellule d'alerte aurait également pour mission de faciliter et organiser le rapatriement des victimes qui ont été renvoyées dans leur pays ; de faciliter la preuve de leur identité pour obtenir leur rapatriement, notamment quand leurs papiers d'identité ont été détruits ou volés par la famille ; de faciliter l'obtention des laisser passer lorsque la victime est française et des visas de retour lorsqu'elle est titulaire d'une carte de séjour. Elle prendrait en charge le coût des billets d'avion des victimes qui dépendent souvent financièrement de leurs parents ou de leur famille.
La cellule disposerait d'un numéro vert d'urgence à destination des professionnels et des particuliers. En cela, elle remplirait une mission d'information et d'aide pour les victimes comme pour les professionnels. Elle serait en contact avec des référents « mariages forcés » dans les différents ministères concernés : immigration, éducation nationale, justice, affaires étrangères, travail et des relations sociales, ou au sein des consulats de France dans les pays d'origine.
Pour que cette cellule s'avère efficace, « Voix de femmes » préconise la mise d'un dispositif de signalement en place en amont. Confrontés à des absences prolongées et non justifiées de jeunes femmes, les établissements scolaires sont souvent démunis et ne savent pas à qui s'adresser pour venir en aide à ces victimes. Ils disposeraient ainsi d'une procédure claire et d'un interlocuteur unique. Une feuille de signalement « risque de mariage forcé » serait remplie en concertation avec la jeune femme qui, pressentant avant un départ en vacances un risque de mariage forcé, écrirait qu'elle part en vacances avec ses parents, mais qu'elle souhaite revenir en France et demande à être recherchée en cas d'absence. Un tel dispositif existe en Allemagne.
L'association rappelle aussi que la loi dispose que la carte de séjour d'un résident étranger qui a résidé plus de trois ans hors du territoire français est périmée, mais que cette carte de séjour peut être prolongée en cas de demande avant le départ ou au cours du séjour à l'étranger. La rédaction de cette lettre par la victime et le signalement fait auprès de la cellule d'alerte permettrait de témoigner de la bonne foi des victimes pour obtenir à nouveau leur carte de séjour lorsque le délai de trois ans s'est écoulé.
Il existe aujourd'hui des recours pénaux pour les victimes. Ceux qui sont utilisés aujourd'hui par la victime au niveau pénal sont : les délits de séquestration, de vol de papiers, de menaces de mort, de menaces de violences, de violences physiques, d'agression sexuelle et de viol. Toutes ces dispositions font qu'il n'existe pas aujourd'hui de vide juridique concernant…
Faire sanctionner les parents ou les conjoints est possible via ces diverses infractions. Certains ont, en outre, lancé l'idée d'une pénalisation spécifique des parents – retrait des allocations familiales ou retrait de la carte de séjour. Mais il est déjà très difficile pour les victimes de briser le silence et cette pénalisation de leurs parents ne ferait que les renfermer dans leur silence. Renvoyer les parents dans leur pays d'origine ne pourrait que signifier le renvoi, dans le même temps, des petites soeurs et des petits frères mineurs et peut-être les exposer à des situations de violence. Cela serait préjudiciable, et pour les victimes, et pour leur famille. La sanction nuirait à l'ensemble de la famille, alors que seuls les parents sont responsables des violences infligées. Il en résulterait par ailleurs une inégalité de traitement des auteurs de violences se rendant coupables d'actes comme la séquestration, les menaces, les violences, les agressions sexuelles ou les viols, selon qu'ils sont français ou étrangers.
Votre propos est d'autant plus intéressant qu'il diffère de ceux que nous avons entendus jusqu'à présent. On parle de la création d'un délit de mariage forcé. Mais il ne se traduirait pas nécessairement par le renvoi des parents dans le pays d'origine. Cela dit, je pense moi aussi que la double peine n'est sans doute pas la meilleure réponse.
Si j'entends bien votre propos, le nombre de 60 000 mariages forcés, qui est fréquemment avancé, n'est pas fondé scientifiquement ?
Les associations sont confrontées de plus en plus à cette question. Cela ne traduit pas une augmentation des mariages forcés, mais une augmentation de leur révélation.
Aujourd'hui, les victimes sont beaucoup plus en mesure que la génération de leurs parents de formuler des recours et de demander de l'aide. Elles sortent du silence, ce qui s'inscrit aussi dans le développement plus général de la lutte contre les violences faites aux femmes et de la sensibilisation de l'ensemble des femmes, sur le territoire français, à ces questions de violence. Pour autant, on ne peut pas en déduire qu'il y ait une augmentation de la proportion des mariages forcés dans ces populations, mais simplement que les jeunes femmes potentiellement concernées arrivent aujourd'hui à l'âge du mariage et qu'elles sont plus réactives.
Nous avons souvent entendu qu'un certain nombre d'hommes d'origine étrangère ayant à faire, en France, à des jeunes femmes issues de l'immigration plus évoluées que ce qu'ils ne souhaitent dans leur vie de couple, retournent dans leur pays d'origine chercher des jeunes femmes encore complètement façonnées « à l'ancienne mode », pour les épouser et les faire vivre en France. Qu'en est-il ?
Il est assez difficile de répondre à ce genre de questions, dans la mesure où nous ne disposons pas d'enquêtes quantitatives. En revanche, nous disposons d'enquêtes qualitatives.
Dans le cadre de ma recherche de thèse sur la vie amoureuse et la sexualité chez les jeunes d'origine maghrébine, j'ai pu constater que, parmi les jeunes hommes, notamment ceux qui ont des difficultés d'emploi, certains se trouvaient « déclassés » sur le marché matrimonial. Dans ce cas-là, il arrivait que les parents aient recours aux tractations familiales avec la famille restée au pays d'origine pour tenter de leur trouver une partenaire. Une partie d'entre eux se trouvait dans une situation de mariage forcé quand une autre partie y trouvait une réponse assez satisfaisante à leurs attentes : construire leur vie de couple et trouver une conjointe moins exigeante. Mais ce genre de situation était rare et la majorité des jeunes gens que j'ai rencontrés souhaitaient plutôt se mettre en couple avec un jeune homme ou une jeune femme né en France.
Pensez-vous qu'il serait possible et efficace d'envisager une action de prévention à l'école pour doter ces jeunes femmes d'outils, pour leur donner les moyens de refuser mieux encore les mariages forcés, et pour éduquer les garçons au fait que l'on doit respecter l'autre et ne pas lui imposer un époux ?
Il me semble que l'on peut nettement améliorer l'information et la prévention dans les établissements scolaires notamment, comme le préconise « Voix de femmes », en sensibilisant, les responsables de ces établissements aux risques de mariage forcé. Les établissements scolaires peuvent jouer un rôle en signalant certaines absences prolongées, qui sont parfois le fait de mariages forcés.
L'information sur l'interdiction de sortie du territoire à l'adresse des victimes potentielles devrait être développée. L'information qui circule aujourd'hui concerne plutôt les recours possibles au niveau pénal, une fois que le mariage a été conclu. Or les jeunes femmes n'ont pas forcément envie de sanctionner pénalement leurs parents. Ce qu'elles veulent, c'est éviter d'être mariées de force. Elles ne détestent pas leurs parents et ne souhaitent pas forcément qu'ils soient incarcérés. Il me semble donc indispensable d'améliorer la prévention.
Il faut travailler bien plus en amont, en luttant contre toutes les formes de violence que subissent les jeunes femmes.
Une association nous a parlé de l'excision. Elle a évoqué le fait qu'il était difficile d'en parler dans une classe car immédiatement, les yeux se tournent vers les jeunes filles qui ne sont pas d'origine française. Ne risque-t-on pas, en parlant des mariages forcés, de stigmatiser certaines populations ?
Le risque de stigmatisation est moins fort en milieu scolaire que dans les médias, quand ils donnent à penser que le mariage forcé représente la majorité des situations au sein de la population immigrée ou issue de l'immigration. De toutes façons, il n'est pas évident d'intervenir dans un établissement scolaire sur les violences faites aux femmes, qu'il s'agisse du mariage forcé, des violences conjugales, de l'inceste ou des violences sexuelles.
Je préconiserais d'intégrer la prévention sur les mariages forcés dans une information plus générale sur les violences faites aux femmes, ce qui éviterait que l'on considère que ces violences ne concernent que la population immigrée ou issue de l'immigration. De fait, les enquêtes constatent l'ampleur du phénomène dans toutes les classes sociales, quels que soient les milieux.
Il ne faut surtout pas faire du mariage forcé ou de l'excision, parce qu'ils concernent des populations spécifiques, les symboles de la violence faite aux femmes, qui n'est pas que cela.
La mission aensuite auditionné Madame Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité, auprès du ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville.
Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par l'audition de Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité, auprès du ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville.
Notre mission, madame la secrétaire d'État, a pour objectif d'évaluer la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes sous tous leurs aspects. Votre secrétariat d'État est pilote en la matière, comme il l'a été dans le passé. C'est ainsi qu'a été élaboré sous votre autorité le deuxième plan triennal de lutte contre les violences faites aux femmes, qui couvre la période 2008-2010. C'est vous également qui avez autorité sur le service des droits des femmes.
Pouvez-vous nous indiquer les grands objectifs de ce plan et leur état d'avancement ?
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité, auprès du ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville. Qu'il me soit permis, à titre liminaire, de saluer le choix du Président de votre assemblée de procéder à l'évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes : cela montre combien les députés sont attentifs à cette douloureuse question de société.
Je tiens à saluer également le travail de votre Présidente, mais aussi de votre rapporteur qui n'a cessé, depuis le vote de la loi de 2006, de rester attentif aux conditions de son application. Je ne doute pas que votre mission sera, pour le Gouvernement, une force de propositions et une aide pour faire progresser encore plus rapidement la cause des victimes.
Nous savons tous que cette violence qui touche toutes les catégories sociales et tous les âges est une réalité dévastatrice et quotidienne. Elle reste pour les femmes la plus grande violation de leurs droits fondamentaux et un obstacle récurrent à la réalisation de l'égalité entre les femmes et les hommes. Dans les faits, cela signifie que les femmes sont davantage en danger chez elles que dans la rue ou sur leur lieu de travail. Pour toutes ces raisons, il reste toujours aussi impératif de mener une politique nationale active de lutte contre ces violences.
Je reviens d'un voyage d'étude en Suède qui m'a permis de comparer l'avancement de nos législations respectives. La Suède a mis en oeuvre, ces dix dernières années, une politique globale et volontariste assurant une coordination remarquable entre l'action gouvernementale et celle des associations impliquées dans la défense des victimes de violences. Cette action développe 56 mesures pour un budget global de 90 millions d'euros dans le cadre d'un plan triannuel. Un outil statistique mesure les progrès réalisés et les objectifs qui restent à atteindre.
Cet instrument d'évaluation peut être transposé en France : nous sommes d'ailleurs en train d'élaborer le document de politique transversale en matière de droits des femmes, dont le Parlement a voté le principe et qui paraîtra pour la première fois en annexe du projet de loi de finances pour 2010. Il nous permettra d'évaluer les actions des différents ministères, chose particulièrement importante sur les violences faites aux femmes, question transversale par excellence.
S'agissant des moyens d'action du ministère, je voudrais également dissiper toute crainte quant au devenir du service des Droits des femmes et de l'égalité. Dans le cadre de la réforme de l'État, la responsable de ce service sera aussi officiellement nommée déléguée interministérielle, le service étant lui-même intégré au sein de la future Direction générale de la cohésion sociale.
La déléguée sera chargée de piloter, d'animer et de coordonner la politique publique, transversale et interministérielle, des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes, au niveau national comme au niveau local. Comme aujourd'hui, le service s'appuiera sur le réseau constitué des déléguées régionales – intégrées dans les SGAR – et des chargées de mission départementales aux droits des femmes et à l'égalité implantées sur le territoire.
En mars dernier, nous avons présenté au Sénat le rapport de mise en oeuvre de la loi de 2006 sur les violences faites aux femmes, qui dresse le bilan des actions menées pour les années 2006 et 2007, mais aussi celui de la première année de mise en oeuvre du plan 2008-2010.
Dans ce travail collectif, je souligne l'importance que joue la Commission nationale contre les violences envers les femmes, composée de représentants de l'État, des associations et de personnalités qualifiées. Renouvelée en décembre dernier, cette commission est une instance essentielle de concertation et d'animation du réseau des conseils départementaux. Je la réunirai dans les prochaines semaines.
La complémentarité des partenariats institutionnels, publics et privés, associatifs et élus locaux, est essentielle. S'il y a un sujet sur lequel la solidarité doit être au rendez-vous, c'est bien celui-là. De fait la prise en charge globale des personnes concernées s'améliore. Le rôle des acteurs de proximité, l'élaboration d'outils pertinents et les dispositions réglementaires et législatives y contribuent.
Le plan 2005-2007 prévoyait à la fois des actions de prévention et de lutte contre les violences dans plusieurs domaines, comme le renforcement de la sécurité des victimes ou l'aggravation des sanctions contre les auteurs de violences commises au sein du couple.
La loi du 4 avril 2006 a mis en application la feuille de route du premier plan : le dispositif de prévention et de protection de la victime, mais aussi de répression de l'auteur, est désormais très complet. Il prévoit des mesures spécifiques d'incitation et d'injonction aux soins destinées à prévenir la récidive.
Afin de donner un nouvel élan à cette politique, j'ai présenté en 2007, au nom du Gouvernement, un deuxième plan global triennal (2008-2010), visant à combattre les violences faites aux femmes.
Ce plan s'appuie sur quatre priorités : mesurer, prévenir, coordonner, et protéger.
Pour ce plan, nous avons souhaité porter une attention particulière à la mesure des violences : la réalisation de nouvelles études et un meilleur recueil d'informations statistiques doivent permettre d'atteindre cet objectif.
Dans le cadre de la prévention, le numéro d'appel unique 3919, mis en place le 14 mars 2007, a connu un essor important en 2008. Avec une subvention de 912 500 euros à la Fédération nationale solidarité femmes – FNSF –, 18 254 appels ont été traités sur 80 000 appels reçus. Ce numéro est facile à retenir, gratuit et n'apparaît pas sur les relevés téléphoniques, pour éviter de mettre en danger les femmes qui l'utilisent. Géré par la FNSF, il dispense une écoute de qualité, professionnelle, anonyme et personnalisée et, le cas échéant, une orientation adaptée. J'ai tenu à renforcer les moyens financiers de cette plate-forme d'écoute par un redéploiement de crédits d'intervention. Ce numéro national unique a déjà permis une avancée significative dans l'appui aux femmes victimes.
Je souhaite aussi insister sur l'importance de la mise en place progressive d'un réseau de référents locaux sur tout le territoire. Ces référents sont les interlocuteurs uniques de proximité : ils n'ont pas pour but de se substituer aux acteurs existants, mais de coordonner et faciliter les démarches de la victime.
Vingt-cinq référents ont été recrutés et sont financés par le Fonds interministériel de prévention de la délinquance – FIPD – : ils ont effectivement été mis en place dans 19 départements, s'appuyant sur un cahier des charges précis diffusé avec une circulaire du 14 mai 2008 transmise aux préfets. Dans des départements comme le Val-d'Oise et la Sarthe, la mise en place de référents s'est accompagnée d'une mobilisation remarquable des acteurs concernés, qui s'est illustrée par des réunions de coordination, de suivi et d'évaluation, ainsi que par la formalisation des procédures existantes. Vingt-quatre autres projets sont en cours dans dix-neuf départements. Notre objectif est un maillage complet du territoire.
Les observateurs éclairés que vous êtes sont unanimes à souligner que la réponse à la recherche d'autonomie des femmes victimes de violence passe obligatoirement par une solution adaptée en matière d'hébergement et de logement. De nombreuses mesures ont été prises en ce domaine. Mais il nous faut encore progresser.
C'est pourquoi j'ai souhaité diversifier les réponses offertes en lançant une expérimentation sur les familles d'accueil. Aujourd'hui, à la suite d'une circulaire interministérielle de juillet 2008, nous avons saisi les présidents des conseils généraux. Un cahier des charges national a été élaboré, fixant les principes et exigences qui fondent le développement de ce dispositif. Cette expérimentation est effective dans cinq départements : l'Indre-et-Loire, le Lot-et-Garonne, la Drôme, l'Ardèche et l'Isère. Trente-huit familles d'accueil sont déjà opérationnelles pour accueillir des femmes avec ou sans enfant. Notre objectif est d'arriver à 100 familles d'accueil d'ici à 2010. Nous évaluerons le dispositif afin de l'améliorer, voire de le pérenniser.
Plus largement, notre souhait est de favoriser l'accueil des femmes victimes de violence dans le dispositif d'hébergement, ainsi que leur accès prioritaire au logement. Une circulaire du 4 août 2008, conjointe avec le ministère du logement, rappelle que la priorité doit être donnée à l'éviction du conjoint violent et au maintien de la femme dans le logement, chaque fois que possible. À défaut, les solutions les moins désocialisantes et les plus proches du logement ordinaire sont à rechercher, sauf si une prise en charge renforcée apparaît nécessaire. Une étude de juin 2008 auprès des structures d'hébergement montre que 3 000 places sont spécialisées en faveur des femmes victimes de violences, pour un coût d'environ 46,5 millions d'euros.
La loi de mobilisation pour le logement du 25 mars 2009 prévoit que les victimes de violence conjugale sont prioritaires pour l'accès au logement social et introduit des règles plus souples d'application des conditions de ressources aux victimes de violence conjugale pour l'attribution d'un logement social.
Par ailleurs, dans les zones les plus tendues, le Gouvernement a lancé fin 2008 un programme d'intermédiation locative visant à développer la sous-location dans le parc privé au profit de personnes hébergées. Cinq mille logements sont prévus pour 2009. Ces logements temporaires pourront notamment bénéficier aux femmes victimes de violence.
Je souhaite enfin étudier, en lien avec le ministère du logement, la possibilité de développer des formules d'accompagnement au relogement permettant de sécuriser tant la femme relogée que le bailleur.
À ma demande, le Conseil supérieur du travail social a mis en place, dans le cadre d'un groupe de travail sur l'intervention sociale d'intérêt collectif, une réflexion sur le travail social en direction des femmes victimes de violence. La fin des travaux est prévue pour la fin du mois de juin.
La question des risques pour les enfants de l'exposition aux violences au sein du couple constitue une préoccupation récurrente. Les lieux sécurisés, des « points rencontre » entre le parent auteur de violence et l'enfant qui ne réside plus avec ce dernier doivent être développés. Les espaces de rencontre financés par le ministère de la justice sont au nombre de 67, et 78 structures ont une activité mixte médiation familialeespaces de rencontre.
Ces actions ciblées en fonction des situations et de la nature des violences révèlent, une fois de plus, que le Gouvernement s'attache à prendre en compte toutes les formes de violences dont sont victimes les fillettes, les jeunes filles et les femmes. Je suis convaincue de la nécessité d'intervenir à la racine du mal, dès le plus jeune âge.
Nous menons un travail partenarial avec l'Éducation nationale, notamment dans le cadre de la convention interministérielle pour l'égalité entre les filles et les garçons du 29 juin 2006, entre les femmes et les hommes dans le système éducatif, qui engage neuf ministères. Prévenir les comportements violents et combattre les stéréotypes font partie des priorités de Mme Marie-Jeanne Philippe, Rectrice de Besançon, qui préside le comité de pilotage.
S'agissant de la répression, l'arsenal législatif et juridique est plus répressif et protecteur depuis 2006. Les victimes sont encouragées à porter plainte et le taux de réponse pénale à l'encontre des auteurs de violences conjugales est passé de 68,9 % en 2003 à 83,8 % en 2008. La prise en charge des victimes dans les unités médico-judiciaires – UMJ – constitue un moment important du processus. Les UMJ accueillent, examinent et informent. Au nombre de 50, elles méritent d'être déployées. De nouveaux schémas ont été élaborés en janvier dernier avec des établissements pivots pour activer le réseau et assurer un meilleur maillage.
Les juges délégués aux victimes – JUDEVI –, institués par le décret du 13 novembre 2007 dans les tribunaux de grande instance, sont aussi des interlocuteurs référents. Une expérimentation d'un bureau d'aide aux victimes, à la tête duquel sera placé le JUDEVI, est menée actuellement dans treize juridictions, dont Marseille, Lille et Lyon, en vue de sa généralisation prochaine dans chaque tribunal de grande instance.
Du côté des auteurs, de très nombreux parquets se sont engagés dans des conventions ou protocoles visant la prévention de la récidive des auteurs, grâce à une prise en charge sociale, médicale et psychologique. De même, l'éviction du conjoint violent, mesure phare de la loi de 2006, permet d'inverser le rapport de force qui se crée lors du processus de violence et de limiter les violences indirectes dont sont victimes les enfants. Le manque de places dans les différentes structures de prise en charge thérapeutique atténue toutefois l'efficacité de la mesure.
Cette mesure a été très rapidement appliquée au pénal : prononcée dans 9,6 % des affaires en 2006, elle touchait 13 % des auteurs de violences conjugales en 2008 et concerne, depuis le début de l'année 2009, plus de 18 % des maris violents. Au civil, l'éviction du conjoint violent demandée au juge, même avant divorce, est accordée de plus en plus souvent, dans 82 % des cas.
À ce propos, nous pouvons nous inspirer des bonnes pratiques locales : c'est le cas de la politique pénale conduite par le procureur près le Tribunal de grande instance de Bobigny, qui a désigné depuis 2005 des référents spécialisés au sein du parquet, avec des résultats visibles : le taux de classement sans suite est passé de 24 % à 15 % et le recours à la médiation pénale a été interdit. C'est aussi l'exemple du dispositif mis en place par le procureur de Douai, que votre mission a auditionné.
Par ailleurs, éradiquer le phénomène des violences ne peut se concevoir sans travailler sur l'image des femmes. Le poids des clichés et des stéréotypes continue à peser et à compromettre les progrès en faveur des femmes. C'était l'objectif que j'avais assigné à la commission Reiser. Sa mission a été prolongée pour continuer le suivi des avancées relatives à l'image des femmes dans les médias. Une audition de tous les grands patrons des médias sera réalisée chaque année afin d'identifier les progrès et les mesures qu'ils auront prises pour lutter contre ces stéréotypes et améliorer l'image des femmes dans les médias, pas seulement en termes de visibilité, mais aussi sous l'angle qualitatif.
Sur le sujet connexe du respect, j'ai souhaité m'adresser plus particulièrement aux jeunes filles. Depuis le mois dernier, celles-ci reçoivent lors des journées d'appel de préparation à la défense – JAPD – un ouvrage intitulé "18 ans, Respect les filles" pour les aider à faire respecter leurs droits dans tous les domaines de la vie sociale et dans leur vie de couple.
Cet outil à destination des jeunes filles, des jeunes femmes qui entrent dans leur vie d'adulte aborde tous les domaines – égalité professionnelle, violences faites aux femmes, contraception… –, donne des adresses utiles et des exemples concrets. Il rappelle également les grands événements qui ont constitué le droit des femmes en France, faisant apparaître que l'évolution de ce droit est assez récente et qu'il faut continuer à se battre pour l'améliorer. Nous nous sommes rendus à des JAPD, où l'on nous a demandé de faire bénéficier les garçons de ce document, ou d'en concevoir un pour eux, car ils se sont montrés tout aussi intéressés. Cette question du respect touche, bien sûr, autant les garçons que les filles. Toute une classe d'âge, 500 000 jeunes chaque année, est donc concernée. Ce document a été largement débattu et diffusé, et plusieurs associations y ont travaillé, dont l'Association des femmes journalistes. Il sera à mon avis très utile.
Prévenir, c'est aussi sensibiliser et se doter de nouveaux outils.
Je rappellerai la campagne de communication grand public lancée le 2 octobre. Cette campagne de presse et d'affichage visait trois cibles – la victime, le témoin et l'auteur – et était dédiée aux violences au sein du couple. Elle vit au quotidien grâce au site Internet gouvernemental sur l'ensemble des violences faites aux femmes, avec des témoignages directs pour que le silence se brise. Explicatif, très concret, ce site comporte nombre d'éléments d'information, d'orientation, d'outils territorialisés, permettant à chacun de savoir où trouver un accompagnement, quel que soit l'endroit où il se trouve.
Je lancerai demain matin sur toutes les chaînes généralistes une campagne télévisuelle relative aux violences d'ordre psychologique faites aux femmes, grâce à un court spot de sensibilisation. J'ai voulu aussi porter une attention particulière aux femmes et jeunes filles victimes, ou susceptibles de l'être, de mutilations sexuelles ou de mariages forcés, en diffusant une brochure rappelant leurs droits.
J'ajouterai enfin une pierre à l'édifice que nous construisons pour protéger les femmes : le label de campagne d'intérêt général attribué à la lutte contre les violences faites aux femmes en 2009, en vue de la préparation de la grande cause nationale 2010.
Il m'apparaît également important de rassembler toutes les dispositions législatives et réglementaires dans un seul et même code commenté sur les droits des femmes. Mes services travaillent à l'élaboration de ce document qui donnera une réelle lisibilité aux multiples mesures actuellement éparpillées dans plusieurs autres codes. Il permettra aux femmes de connaître leurs droits et simplifiera leurs démarches, tout en répondant à leurs interrogations. Il sera également un outil formidable à l'usage des professionnels.
Cependant, je suis aujourd'hui convaincue de la nécessité de compléter le dispositif législatif existant. Si ce dernier peut apparaître complet à bien des égards, comme je me suis attachée à vous le démontrer, il recèle encore quelques lacunes et nécessite sans doute d'être renforcé dans trois directions, afin d'en accroître l'efficacité.
Nous menons ainsi des réflexions en lien avec la Chancellerie et les acteurs de terrain dans plusieurs domaines.
Dans le domaine de la prévention, tout d'abord. L'idée est de mieux protéger les femmes contre des comportements faisant l'apologie de crimes ou de violences aggravées qui circulent sur Internet. Sur ce point, force est de reconnaître que la polémique suscitée récemment par les propos d'un rappeur n'est pas étrangère à cette réflexion.
Dans le domaine de la répression, ensuite. En fonction de l'aboutissement de la réflexion précédente, nous voulons proposer des mesures visant à réprimer les comportements les plus graves. Nous avançons également sur l'idée d'introduire dans le code pénal la notion de violence psychologique ; je crois qu'il y a une forte attente sur ce plan. Après la campagne télévisuelle que je présenterai demain, il serait logique de progresser sur cette question. Autre sujet sensible : ce qui touche au délit de dénonciation calomnieuse – L.226-10 du code pénal. Nous cherchons à atténuer les conséquences de la présomption de culpabilité qui pèse sur les victimes dont la plainte a fait l'objet d'un non-lieu ou d'un classement sans suite par le parquet.
Dans le domaine crucial de la coordination, enfin. Les dysfonctionnements viennent souvent de décisions judiciaires qui se superposent et doivent être mises en cohérence. Un décret n° 2009-398 du 10 avril 2009 complète le code de procédure civile en organisant la communication de pièces entre les juges chargés de la procédure familiale, à savoir le juge aux affaires familiales, le juge des enfants et le juge des tutelles.
Se pose aussi la question de l'opportunité d'introduire en droit français la possibilité pour le juge saisi en urgence de rendre une ordonnance de protection des victimes de violences.
Voilà en quelques mots ce que je pouvais vous dire sur nos intentions en matière législative.
En conclusion, je tiens particulièrement à vous remercier pour votre soutien à la promotion de toutes ces actions essentielles pour faire progresser encore la lutte contre toutes les formes de violences faites aux femmes.
Je vous invite à venir assister, demain, à la présentation du clip que Jacques Audiard a mis en scène pour nous, et qui aborde – c'est une première – les violences verbales et psychologiques. La violence physique, irréparable étant souvent précédée de ces violences-là, il était pour nous important d'agir sur les leviers de la prévention et de dire que toutes les formes de violences – physiques, verbales, psychologiques – sont inacceptables.
Madame la secrétaire d'État, je souhaiterais vous poser une première question : la grande cause nationale 2010 bénéficiera-t-elle de moyens supplémentaires et de quelle nature ?
Madame la secrétaire d'État, je vous remercie de votre importante contribution à nos travaux. Elle ne me surprend pas, connaissant l'attention que portent à cette question, depuis plusieurs années, les ministères concernés. Lors de notre travail de suivi de la loi de 2006, Serge Blisko et moi-même avions d'ailleurs pu constater que, pour eux, les avancées de 2006 devaient être probablement prolongées par des dispositions complémentaires. Vos propos d'aujourd'hui confirment donc que tout le monde est à l'ouvrage pour y parvenir, sur une convergence de thématiques intéressante.
Il nous est toutefois revenu une information selon laquelle un projet de loi serait en préparation, voire déjà écrit, sur les violences faites aux femmes. Or nous n'avons pas encore rendu nos conclusions, lesquelles sont appelées à nourrir soit une proposition de loi, soit un projet de loi, soit – en application des nouvelles dispositions constitutionnelles – un travail avantageusement articulé entre l'exécutif et le législatif. Est-ce le cas ? Si oui, que contient ce projet et met-il fin, d'autorité, à notre ambition de produire un rapport qui correspondrait à l'attente de tous ceux qui ont contribué au travail de notre mission depuis plusieurs mois ?
Dans le plan triennal 2008-2010, s'il est question des auteurs, j'ai le sentiment qu'on laisse encore trop l'initiative au terrain, sans véritable consigne nationale, ni moyens. Or si l'on travaille du côté des victimes, il faut aussi un travail approfondi et des moyens sur l'ensemble du territoire en direction des auteurs, ne serait-ce que pour éviter la récidive.
S'agissant des campagnes, j'attire votre attention sur l'importance de ne pas limiter le propos aux seules violences à l'intérieur du couple. Aux termes de la loi de 2006, les violences commises par les « ex » entrent dans la catégorie des violences conjugales et font, à ce titre, l'objet de circonstance aggravante. Nous le savons : des violences inouïes ont lieu après que le couple a cessé d'exister, parfois longtemps après, en particulier à propos des enfants.
Je me demande donc s'il ne serait pas opportun pour les victimes, mais aussi pour que les auteurs ne se sentent pas dédouanés, d'identifier comme entrant dans la sphère des violences faites aux femmes, ces violences commises une fois que le couple a cessé d'exister.
Madame la présidente, la grande cause nationale 2010 fera l'objet d'une discussion et d'un arbitrage budgétaire, en fonction du projet déposé et des besoins qui seront identifiés. Le projet tel qu'il sera porté par l'ensemble des associations n'étant pas encore évalué, il m'est difficile de vous répondre aujourd'hui. Nous essaierons d'avoir la vision la plus précise possible dès cet été. Les premières réunions d'arbitrage auront lieu fin juin ; la préparation des actions et le cadrage budgétaire définitif seront donc possibles au second semestre. Avant l'été, nous connaîtrons ainsi les grandes masses et les grandes orientations ; jusqu'à la fin de l'année, nous déclinerons de plus en plus précisément, avec les associations, le projet et les arbitrages.
L'intérêt de la grande cause nationale est de donner une visibilité médiatique importante à ce sujet. Pour pouvoir lutter contre les violences, il faut entrer dans les foyers : c'est par les campagnes de sensibilisation, via les médias télévisuels et audiovisuels, que l'on touche toutes les familles. La grande cause nous donne cette opportunité, difficilement accessible vu les coûts très élevés des spots télé, et aura pour premier effet cette visibilité importante tout au long de l'année dans les grands médias nationaux. C'est très important aussi pour les associations puisque ce seront les campagnes proposées, portées par le tissu associatif.
Si cela peut vous être utile pour la conclusion de vos travaux, nous pourrons vous fournir, peut-être fin juin, des éléments complémentaires à mesure que les premières grandes lignes se dégageront des arbitrages.
Monsieur Geoffroy, dès le lancement du deuxième plan triennal, nous nous sommes engagés à mener un groupe de travail avec le ministère de la justice pour améliorer l'arsenal juridique, législatif, et à travailler plus particulièrement sur l'articulation entre le civil et le pénal et sur les violences psychologiques. Cela a été demandé immédiatement par le comité de pilotage national, ce que nous avons fait.
Des documents – loin d'être consolidés – circulent, dont je viens de vous présenter les grandes lignes. L'idée est de tenir nos engagements visant à consolider l'arsenal législatif dans le cadre du comité de pilotage, comme nous le demandent les associations. Il n'est bien sûr pas question de ne pas prendre en considération les éléments qui vont ressortir de votre mission ; c'est bien un travail de coproduction qu'il nous faudra faire. Si nous avançons avec le ministère de la justice, nous avancerons aussi avec le Parlement, comme nous le faisons dans tous les domaines. Notre souci est de croiser les éléments issus de votre travail et de vos auditions et le travail que nous menons avec le comité de pilotage national et l'ensemble des acteurs que nous rencontrons de façon régulière dans ce cadre.
Nous n'avons pas de projet de loi arrêté aujourd'hui, nous travaillons sur des mesures législatives ! Un travail a été réalisé sur les trois champs que je viens de vous citer, qui correspondent à des préoccupations récurrentes, portées depuis le début du plan triennal. Je vous rassure : aucun arbitrage ministériel ou interministériel n'a eu lieu, tout simplement parce que nous voulons un travail construit, autrement dit enrichi des contributions du Parlement, pour aboutir à un projet le plus adapté possible à la réalité !
S'agissant de la politique de communication, nous menons bien une action de lutte contre toute forme de violences faites aux femmes. Nous avons d'abord lancé une campagne d'affichage grand public qui touchait les auteurs, les victimes et les témoins de violences au sein du couple, c'est-à-dire ciblant la partie la plus importante des violences conjugales.
Nous avons ensuite voulu, conformément au plan triennal, des campagnes successives sur tous les types de violences : verbales, psychologiques, physiques, mais aussi violences coutumières et violences au travail. C'est pourquoi après la première campagne globale d'affichage, nous lançons aujourd'hui une campagne ciblée sur la sensibilisation aux violences coutumières – mariages forcés, excision – et lancerons, demain, une campagne visant à mettre en exergue les violences verbales et psychologiques, cette première forme de violence étant souvent le point de départ d'un mécanisme qui, petit à petit, peut mener aux violences physiques et à l'irréparable.
Comme cela a été dit dans le cadre du lancement du plan, nous nous sommes engagés à mener de façon récurrente des campagnes ciblées sur une forme de violence. Voilà pourquoi nous serons attentifs à votre remarque sur un autre aspect des violences faites aux femmes et y reviendrons certainement par la suite dans le cadre de ce plan pluriannuel.
Sur les auteurs de violences et le traitement de la récidive, nous travaillons avec le ministère de la justice. Chaque tribunal est doté d'une enveloppe de crédits d'aide aux victimes, la logique étant que chaque territoire peut organiser et prioriser ses actions en fonction des projets qu'il souhaite mener avec les acteurs de terrain en matière de lutte contre les violences intrafamiliales. Aujourd'hui, tous les parquets bénéficient de ces crédits et le procureur de Douai, que vous avez rencontré, monte des actions dans ce cadre.
Se pose ensuite la question de la pérennisation de ces moyens au travers des budgets d'aide aux victimes. Se pose également la question de continuer à travailler en interministériel et de voir comment progresser avec le ministère de la justice.
Le document de politique transversale, qui identifiera l'action de chaque ministère en matière de droits des femmes et fera des propositions, accompagnera utilement les propositions du Parlement dans chaque champ ministériel. Ce sera un test et nous essuierons les plâtres ! Il me paraît très important que cet outil identifie bien l'effort consenti par chaque ministère en faveur des droits des femmes. Il nous sera utile pour travailler sur la question des auteurs de violences avec le ministère de la justice, et aussi avec le Fonds interministériel de prévention de la délinquance – FIPD –, qui a mobilisé des crédits sur les actions de lutte contre toute forme de violences, les violences intrafamiliales étant pour la majeure partie des violences faites aux femmes. Des cofinancements ou des fléchages de crédits peuvent donc être envisagés. Cela fait partie des pistes sur lesquelles nous allons travailler de manière interministérielle.
M. le Président de l'Assemblée nationale, recevant des parlementaires et les associations féministes, a affirmé la nécessité de mettre en place une mission parlementaire pour examiner la législation actuelle et réfléchir aux pistes éventuelles, avant d'envisager une loi-cadre, ce dont toutes les associations se sont félicitées.
Notre mission a beaucoup travaillé, entendu beaucoup d'acteurs dans tous les domaines. Or des associations nous ont appris qu'un projet de loi serait en préparation au ministère – certaines d'entre elles auraient même été reçues par des membres de votre cabinet. Pourtant, les cinq points, dont vous nous avez parlé, susceptibles de figurer dans ce projet de loi ne m'apparaissent pas couvrir la totalité des problématiques soulevées avec le mouvement associatif et les acteurs de terrain. Si un projet de loi était rédigé sur certains points, devrions-nous alors, à la fin de nos travaux, déposer une proposition de loi pour le compléter ?... Je vous demande donc que le ministère attende la fin de nos travaux pour réaliser ce travail législatif. Faute de quoi, il s'ensuivrait une incompréhension sur le rôle de l'Assemblée nationale.
Vous parlez des moyens de réprimer les appels à la violence qui pourraient circuler. Je me suis moi-même mobilisée contre le texte d'un rappeur. Comment pensez-vous agir sur ce sujet délicat compte tenu du respect de la liberté de création?
Dans le cadre de nos auditions, des associations ont émis beaucoup de doutes sur les familles d'accueil, notamment parce qu'elles plaçant les femmes victimes dans une dépendance, elles ne garantissent pas une reconstruction de leur autonomie. Je suis donc étonnée de la poursuite de ce dispositif.
Enfin, intégrer le service des droits des femmes dans une grande mission « cohésion sociale » – RGPP oblige – ne revient-il pas à nier la spécificité du combat pour les droits des femmes face à la domination patriarcale ?
Comme je viens de le dire à M. Geoffroy, aucun dossier n'a fait l'objet d'arbitrage ministériel ou interministériel. Un travail est mené dans le cadre du deuxième plan triennal de lutte contre les violences faites aux femmes. Il faisait partie des axes demandés dans ce cadre et si un groupe de travail nous a été réclamé par les associations, c'est bien celui-là ! Nous l'avons immédiatement mis en oeuvre, et les sujets revenant de façon récurrente touchaient aux violences psychologiques et à l'articulation entre le civil et le pénal. Nous n'avons fait que tenir notre engagement de commencer à travailler avec le ministère de la justice sur ces voies ! Bien avant le démarrage de votre mission, ce groupe de travail était déjà à l'oeuvre. Cela ne signifie pas, madame Buffet, que nous soyons déterminés à déposer un projet de loi avant les conclusions de votre mission. Cela n'a jamais été mon intention, ni ma façon de travailler. Mon intention est d'écouter les associations et le Parlement pour trouver la meilleure voie : c'est ainsi que je conçois le travail. Je suis attachée à la coproduction législative, autrement dit au travail du Gouvernement et du Parlement, qu'il faut élaborer ensemble, confronter, pour, ensuite, procéder aux arbitrages. Vous avez été ministre et savez que les arbitrages existent, que chacun doit prendre ses responsabilités. Le Gouvernement respectera le travail du Parlement, ce qui ne l'empêchera pas de répondre à ses engagements pris précédemment.
S'agissant de la liberté d'expression, les fournisseurs de site qui ont des chartes éthiques, ont consulté leurs services juridiques et nous ont expliqué que si la loi leur permet aujourd'hui de ne pas relayer ou de filtrer des propos racistes, elle ne leur permet pas d'éviter d'autres excès. Ainsi, si une chanson intitulée « Sale arabe » ou « sale juif » est écartée d'office, rien dans la loi n'interdit d'en diffuser une autre intitulée « sale pute ».
Un message bandeau indiquant l'interdiction de consultation par les mineurs n'a qu'une efficacité relative. J'ai demandé aux fournisseurs s'ils pouvaient, au travers de leur charte, ne pas se retrancher derrière la loi, mais ils nous ont répondu que ce n'était pas à eux de prendre cette responsabilité et qu'ils attendaient sur ce point un cadre législatif leur permettant d'agir.
Aujourd'hui, nous sommes en train de travailler avec le ministère de la justice. J'ai moi-même saisi le procureur général pour examiner si la législation actuelle nous permet d'avoir un angle d'attaque et, au vu de ses conclusions, nous ferons plusieurs propositions. Je ne peux vous en dire plus aujourd'hui, mais sachez que notre souci est de donner une traduction législative adaptée – comme pour le racisme – aux situations inqualifiables et inacceptables.
Si une grande majorité des jeunes est capable de prendre du recul face à un tel message, certains le prennent au premier degré, non comme une oeuvre artistique, mais comme un message qui s'applique. Même si ces jeunes-là sont peu nombreux, il faut prendre des précautions pour éviter que des situations de cette nature ne se multiplient. Nous travaillerons de façon très mesurée et respectueuse de la liberté d'expression, car j'y suis très attachée.
Je sais que les associations considèrent les structures d'accueil, d'hébergement d'urgence et les maisons relais plus responsabilisantes, moins infantilisantes que des familles d'accueil. Mais nous ne voulons pas des familles d'accueil comme celles dédiées à la protection de l'enfance : nous souhaitons travailler sur un cahier des charges spécifique, avec des règles du jeu différentes et, surtout, expérimenter le dispositif – que nous n'avons pas généralisé – au travers de 100 familles d'accueil.
Nous n'avons pas l'intention de les déconnecter des structures d'hébergement, composés de professionnels avertis, aptes à accompagner les femmes victimes et leurs enfants de façon responsabilisante. Les familles d'accueil peuvent permettre un maillage, certains territoires moins urbanisés ayant besoin de solutions alternatives, en lien avec les structures.
Notre objectif est de trouver des solutions nouvelles pour compléter les outils existants et répondre à des réalités différentes, car on ne pourra pas créer les mêmes structures partout. Mon sentiment est qu'il faut expérimenter cette voie et écouter ce qu'en diront les professionnels. Si elle fonctionne, tant mieux, et s'il faut l'améliorer, nous le ferons ; dans le cas contraire, nous l'abandonnerons.
J'en viens au Service des droits des femmes. Dans le cadre de la Révision Générale des Politiques Publiques, d'autres délégations interministérielles sont rattachées à de grandes directions. Mais nous avons été très attentifs à ce que l'équipe SDFE reste au complet et soit pilotée par une déléguée interministérielle qui, je l'ai dit, aura toujours cette mission transversale. Le document de politique transversale lui demandera de travailler en ce sens, ce qu'elle fait déjà. Elle bénéficiera d'ailleurs de la machine administrative d'une grande direction, qui lui donnera certainement beaucoup plus de moyens de fonctionnement.
Madame la secrétaire d'État, les unités médico-judiciaires – UMJ – sont très importantes : elles sont, dans les hôpitaux, un lieu d'accueil, de droit, d'orientation pour les femmes victimes de sévices.
Le GIP « violences et santé », que j'ai créé en Picardie composé de huit UMJ en face d'un TGI, a connu un déficit de 600 000 euros en 2008 du fait du système de cotation de la T2A. Quant à l'hôpital de Lagny, en région parisienne, il a dû supprimer les gardes des UMJ ! Il va maintenant falloir être une femme battue sur rendez-vous et aux heures ouvrables…
Le fonctionnement des UMJ coûte 52 millions d'euros par an au total. En 2007, nous avons voté pour 2008, un financement de 22 millions d'euros puis, en novembre 2008, 52 millions d'euros pour 2009. Le fonctionnement des UMJ français semble donc être sauvé. Mais le ministère de la justice devait verser 7 millions d'euros en janvier 2009, ce qu'il n'a pas fait. Il y a un mois, j'ai interpellé Mme la garde des sceaux, qui m'a promis que les 30 millions d'euros manquants seraient versés. Ils ne le sont toujours pas.
Que pouvez-vous faire pour que cette somme, votée par le Parlement et actée par le ministère de la justice, soit enfin versée pour sauver le réseau des UMJ français et donc la prise en charge des femmes battues dans notre pays ?
Je suis allée visiter l'UMJ de Créteil, où le docteur Soussy fait un travail formidable. Les UMJ sont des outils remarquables qu'il faut maintenir. Elles garantissent une prise en charge globale, en lien avec les associations et le judiciaire. Elles apportent une vraie réponse globale, permettant de mener à bien la procédure en toute sécurité et de la meilleure façon possible.
Sur la question du financement du ministère de la justice, le document de politique transversale (DPT) est utile, car il permettra de faire un point sur l'effort que peut consentir l'ensemble des ministères. En tout cas, je reviendrai vers Rachida Dati pour voir comment on peut avancer.
Enfin, le texte Hôpital, patients, santé, territoires comporte un important volet prévention. La prévention, la santé et l'accès aux soins de tous font partie de la politique portée par les Agences Régionales de Santé. Peut-être faudrait-il chercher aussi dans cette voie, sans que bien sûr la santé se substitue à un engagement budgétaire pris par le ministère de la justice.
Le ministère de la santé paie tout le volet médical de la prise en charge des femmes battues : cela est budgété. Le ministère de la justice doit aussi assumer sa part.
Concernant le maillage du territoire, il y a un manque crucial de logements d'urgence. Quelle action de proximité comptez-vous développer avec les collectivités, communes et départements ?
Les besoins de formation, notamment en direction des personnes chargées d'accueillir, d'écouter et de suivre les victimes, sont importants. Quels partenariats envisagez-vous de développer en ce sens ?
Enfin on ne parle pas assez de l'image de la femme. La valorisation de cette image pourrait être une piste, pour voir comment on peut donner de l'ambition aux femmes au travers de l'exemple de celles qui réussissent. La place de la femme dans la vie associative et dans l'entrepreneuriat, par exemple, pourrait être mise en valeur. Il faut aussi positiver les choses !
Sur l'hébergement d'urgence, un premier sujet se pose celui de l'accès au logement social. Il ne faut pas tout miser sur la création de structures d'accueil, car elles sont saturées faute d'accès au logement social. Il faut veiller au maillage sur le territoire et ne pas créer des structures d'urgence seulement pour répondre à notre incapacité d'aider les femmes victimes, qui ont souvent la capacité d'être autonomes, à avoir accès à un logement social !
Je souhaite travailler avec le ministère du logement sur un repérage des structures existantes et des manques sur le territoire, pour agir par priorité. Créons des places nouvelles, mais surtout assurons-nous – et la dernière loi présentée par Mme Boutin le prévoit – que les femmes victimes soient réellement un public prioritaire en matière d'accès au logement social.
Dans leurs commissions d'attribution de logements avec les bailleurs, les élus locaux devront prendre en compte cette priorité parmi d'autres. Les conseils intercommunaux de prévention de la délinquance, qui ont souvent un volet sur les violences intrafamiliales ou conjugales, ont un rôle à jouer. Il faut une action équilibrée : les acteurs de proximité doivent aussi prendre en main ce problème, car la loi ne va pas tout régler.
Ensuite, il faut faire des efforts pour créer des places supplémentaires. Peut-être faut-il réfléchir à la façon dont on peut, avec une enveloppe déterminée, s'assurer qu'un pourcentage des places créées sert à accueillir spécifiquement les femmes victimes. Encore une fois, le DPT, même s'il ne sera pas la panacée, peut être un outil très utile, car il nous permettra d'agir auprès des différents ministères.
La formation est effectivement très importante. Elle est d'ores et déjà prise en compte dans les services de police et de gendarmerie. Dans le cadre des réunions de la commission nationale de lutte contre les violences, les représentants des ministères nous présentent les efforts effectués, qui n'avancent pas partout au même rythme. Nous essayons donc, avec eux de nous assurer que les professionnels pourront bénéficier de formations adaptées à la prise en compte de cette forme de violences.
Sur l'image et la valorisation des femmes, j'ai parlé tout à l'heure de la commission Reiser qui travaille sur l'image des femmes dans les médias. La lutte contre les stéréotypes de genre est un objectif européen, repris dans le cadre de toutes les présidences ; nous essayons d'avancer et de soutenir toutes les initiatives en ce sens.
Dans les domaines de l'égalité professionnelle et de l'entrepreneuriat, beaucoup de choses existent en matière de valorisation, comme le label égalité, ou encore des prix remis, par exemple, à la Cité des sciences à des jeunes femmes engagées dans des voies scientifiques et techniques au plus haut niveau et arrivées à des formations de chercheurs dans des domaines où on ne trouvait que des hommes.
Des initiatives sont également portées par la Fédération du bâtiment et des travaux publics pour changer l'ergonomie des travaux de BTP : des sacs de plus petite taille, des matériaux du second oeuvre facilement utilisables par les femmes, etc. Par la même occasion, on lutte contre les risques professionnels, et finalement travailler pour rendre des métiers accessibles aux femmes bénéficie à tous les salariés. Il faut maintenant relayer au niveau des grands médias cet effort et cette mise en valeur opérée par la Fédération du BTP. Vous avez raison, Monsieur Pérat, il faut davantage mettre en valeur toutes les initiatives.
Madame la secrétaire d'État, l'interrogation posée d'emblée par Guy Geoffroy et reprise par Marie-George Buffet est partagée sur tous les bancs de notre mission.
Nous ne pouvons que vous encourager à procéder à une meilleure coordination entre le travail du Parlement et le vôtre. Vous avez peut-être eu une expression malheureuse en parlant « d'enrichissement » de la loi par l'apport du Parlement. Je vous rappelle que faire la loi et la voter font partie des attributions de celui-ci ! Il y a donc peut-être un effort non pas de coproduction, mais de coordination à mener.
J'aimerais savoir si, suite aux travaux menés sous votre autorité et en liaison avec le ministère de la justice, vous envisagez de systématiser la création de pôles de la famille dans les TGI. Vous avez évoqué le nouveau rôle du JUDEVI et j'avoue être un peu perplexe sur le contenu du décret que vous avez évoqué sur la coordination de l'action judiciaire.
En matière de prévention, je suis très intéressé par le petit livret « 18 ans, respect les filles ». La journée d'appel de préparation à la défense étant très courte, je ne saurais trop vous inciter à vous rapprocher de Martin Hirsch dans le cadre de la réflexion sur le devenir du service civique. Ce thème du respect mériterait, en effet, de devenir un module de formation dans le cadre du service civique, pour ne pas se limiter à deux petites demi-journées de JAPD.
Madame la secrétaire d'État, je ne mets pas en cause la qualité de la déléguée interministérielle aux droits des femmes, mais vous ne me contredirez pas : un appui et une visibilité politique est indispensable. En d'autres termes, je regrette très fortement l'absence d'un ministère ou d'un secrétariat aux droits des femmes ! Je vous le dis chaque fois que je vous rencontre et n'attends pas de réponse sur ce point, mais je tenais à dire ici qu'une déléguée interministérielle n'a pas un poids politique de même nature qu'un ministère, sans compter que la transversalité peut parfois noyer la problématique.
D'ailleurs, dans l'objectif numéro 7 du plan de lutte contre les violences que vous nous avez fourni, vous voulez développer la politique partenariale, la coordination nationale et locale. Je m'interroge car si les départements comportaient des commissions spécifiques sur le suivi des violences faites aux femmes, aujourd'hui, ce sont les Conseils départementaux de prévention de la délinquance qui englobent cette action au sein d'un ensemble plus vaste de politiques. De même, vous parlez de « mobiliser les financements dont ils disposent au titre du fonds interministériel de prévention de la délinquance ». Autrement dit, il faut partager une enveloppe globale, alors qu'on sait que les arbitrages ne seront pas toujours favorables aux politiques en faveur des femmes. Sans mettre en cause les préfets, certains sont moins sensibles à cette cause que ne l'étaient les délégués aux droits des femmes et les commissions spécifiques.
Ce qui se fait au sommet de l'État est décliné dans les départements et les régions. Nous ne sommes pas à la hauteur de la politique que nous souhaitons voir mise en place.
Madame la secrétaire d'État, les auditions nous l'ont confirmé : des disparités importantes existent sur le territoire en matière de formation des acteurs impliqués dans la lutte contre les violences faites aux femmes, notamment des policiers. S'il y a une réflexion et un véritable travail de terrain à Douai, il y a des réticences dans certains départements où les choses ne suivent pas.
Comment contraindre les acteurs à avoir des actions identiques dans chaque département, de façon que les associations ne supportent pas le travail qui devrait être fait par la police et la justice ?
En matière de logement, malgré l'amendement voté dans le cadre du projet de loi Boutin des verrous sont toujours en place chez les bailleurs sociaux. Il faut par exemple une séparation effective reconnue par le tribunal pour pouvoir bénéficier d'une attribution directe du logement en cas de violences ; sinon, le bail doit être établi au nom des deux conjoints. C'est un véritable problème. Se pose aussi celui des commissions d'attribution. Il faut rappeler aux bailleurs sociaux que les femmes victimes de violences sont prioritaires. Il nous faudra réfléchir à cette question complexe, pour que l'octroi de l'appartement se fasse rapidement.
Enfin, les acteurs de terrain craignent que la spécificité des foyers accueillant les femmes victimes de violences soit remise en question. Il faudra être très vigilant sur ce point.
Je vais répéter ce que j'ai déjà dit deux fois.
Une chose est certaine : Gouvernement et Parlement sont légitimement amenés à travailler de façon responsable dans le champ qui leur est dévolu. Cette nécessité de travailler dans la coproduction législative me paraît très importante. Effectivement, il n'y a pas enrichissement dans un seul sens, la coproduction étant un enrichissement mutuel, un travail réalisé de part et d'autre pour finir par s'agréger dans un texte de loi qui se rapprochera certainement plus de la vérité s'il est partagé, pour, ensuite, être arbitré.
Nous travaillons bien sûr – puisque c'est une des missions du plan triennal – sur des aspects législatifs. D'ailleurs, si nous n'avancions pas sur des mesures législatives, on nous le reprocherait ! Pour autant, aucun texte n'a fait l'objet d'arbitrage. Nous écrivons des mesures législatives ; pour certaines d'entre elles, nous attendons encore des éléments. Nous sommes donc loin d'avoir terminé.
À la demande du président de l'Assemblée nationale, le Parlement fait aussi son travail, que nous respectons. Il n'a jamais été question de ne pas prendre en considération vos travaux dont nous attendons les conclusions pour voir comment elles pourront s'articuler avec les nôtres.
Le pôle de la famille dans les TGI n'est pas à l'ordre du jour. Il n'est pas à l'étude au ministère de la justice, ni dans le mien.
Si les JAPD sont très courtes, elles sont le seul vecteur qui touche une classe d'âge dans son ensemble – 250 000 filles, 250 000 garçons –, et c'est pourquoi nous l'avons choisi. Mais rien n'interdit d'utiliser comme support dans l'éducation nationale, ou pour des modules dans le cadre du service civique, ou dans tout autre cadre, ce livret très clair, très simple, qui est disponible en ligne sur le site du Gouvernement.
Madame Coutelle, il faut bien, sur le terrain, un lieu où l'on détermine qui est autour de la table pour définir les besoins des territoires et les actions prioritaires. L'action du Gouvernement, comme celle du Parlement, des élus, de toutes les institutions est plutôt de définir des outils et des moyens qui manquent à l'arsenal juridique ou dans des plans d'action, avec des financements à la clé. Mais il n'est pas judicieux d'avoir un programme clé en main pour tous les territoires, car il faut aussi faire confiance aux élus et aux acteurs de terrain pour mettre en place les dispositifs correspondants.
Dans certains territoires, on trouve trois structures spécialisées dans l'accueil et l'hébergement d'urgence des femmes victimes ; dans d'autres, aucune, mais des associations. Dans certains encore, c'est le centre d'information du droit des femmes qui est spécialisé sur cette question ; dans d'autres, c'est telle ou telle association. De la même façon, certains procureurs sont très moteurs sur cette question ; d'autres le sont sur un autre sujet.
Il faut que les structures intercommunales de prévention soient le lieu qui permette d'avoir une commission spécifique sur les violences intrafamiliales, qu'elles puissent s'assurer qu'un programme d'action soit mis en place, qu'elles puissent identifier les besoins pour monter des plans d'action annuels en mobilisant les moyens alloués à l'aide aux victimes du ministère de la justice, ceux du FIPD, mais aussi ceux des contrats urbains de cohésion sociale et de l'ensemble des politiques publiques. Il faut essayer de mutualiser les moyens, d'avoir des cofinancements des collectivités locales. Vous êtes tous des élus de terrain et savez que cela peut fonctionner ainsi !
M. de Lagune, en charge du fonds interministériel de prévention de la délinquance, a décidé, à la demande de Mme Alliot-Marie pour qui les violences faites aux femmes sont prioritaires dans les violences intrafamiliales, de « mettre le paquet » sur un véritable plan d'action via des crédits qui seront réservés à l'accompagnement des actions de lutte contre les violences faites aux femmes. Il aura l'occasion dans les semaines à venir de présenter les grandes orientations qu'il mettra en oeuvre.
Passer par le FIPD ou par des conseils intercommunaux permettra de mieux coordonner sur le terrain les actions des différents acteurs –– police, justice, associations, travailleurs sociaux, centres d'hébergement –– et de bien cibler l'effort pour obtenir le meilleur maillage possible sur tout le territoire. C'est pour moi la meilleure clé.
En face, il faut des référents. Ces référents locaux doivent prendre en charge les situations les plus lourdes et assurer un accompagnement individuel tout au long du parcours de la victime, jusqu'à sa réinsertion. On le sait : les femmes sont dans un parcours du combattant et beaucoup d'entre elles finissent par abandonner et reviennent chez elles, faute d'un accompagnement individuel.
Enfin, madame Crozon, mon ministère et celui du logement donneront des indications, si nécessaire par voie de circulaire, aux commissions d'attribution afin qu'une interprétation trop stricte du texte de loi ne crée des obstacles à l'attribution de logements aux femmes victimes de violences.
Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs, je vous remercie.
La mission a enfin auditionné Mme Michèle Reiser, membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), Mme Martine Brousse, membre de la commission de classification des oeuvres cinématographiques, et M. Pierre Zisu, chargé du secteur « protection des personnes » à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'Intérieur.
Les médias jouent un rôle majeur dans la prévention des violences mais peuvent, malheureusement, également inciter à des comportements violents, comme, dernièrement, les chansons d'un rappeur sur Internet. La place qu'occupent les médias justifie que nous leur consacrions une table ronde.
Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Michèle Reiser, membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et auteur d'un rapport remarquable sur l'image de la femme dans les médias ; Mme Martine Brousse, membre de la commission de classification des oeuvres cinématographiques ; et M. Pierre Zisu, chargé du secteur « protection des personnes » au bureau des questions pénales du ministère de l'intérieur et concerné par le pôle « contrôle des DVD, des vidéocassettes et des revues ».
Nous vous saurions gré de faire le point sur les contrôles qui s'exercent dans vos champs de compétences respectifs, notamment quant aux contenus relatifs à la question qui nous concerne : les violences faites aux femmes.
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel est particulièrement attentif à sanctionner tout ce qui pourrait encourager les violences envers les femmes et tout ce qui véhicule une image dégradante de la femme, en particulier les propos sexistes. Mais au-delà de ce premier niveau facilement contrôlable, celui du respect de la dignité de la femme, il y a un autre niveau plus profond, celui de la recherche des représentations qui empêchent d'installer l'égalité des sexes comme une donnée normale et indiscutable de notre société, celui des stéréotypes qui maintiennent une domination symbolique qui, parfois, conduit à la violence. En effet, les médias jouent à la fois un rôle d'imitation et un rôle de révélation ; ils sont un miroir grossissant de notre société, de ses représentations, mais ils sont aussi le lieu de la formation de ces images partagées. Leur part est donc fondamentale dans la constitution de l'identité de chacun – les gens regardent la télévision près de quatre heures par jour – comme de sa vision du monde, des genres et de leur place. La communication n'est pas seulement un ensemble d'images, mais aussi un rapport social médiatisé par des images, chacune de ces images pouvant être porteuse d'une domination symbolique, d'un rapport de force, d'un stéréotype qui prendra corps dans la réalité.
Aujourd'hui, malgré les efforts des professionnels de la publicité, de la presse et de l'audiovisuel, malgré l'adoption de règles déontologiques, certaines images, certains messages ou propos continuent de véhiculer des représentations souvent très stéréotypées, parfois même dégradantes, de l'image de la femme. Dans le cadre de la Commission consacrée à l'image de la femme dans les médias audiovisuels, que j'ai créée à la demande de Valérie Létard, et qui regroupe la presse, la télévision, la radio, la publicité et Internet, nous avons entamé ce travail de déconstruction des stéréotypes avec les médias, les institutions et les associations. Cette Commission est devenue pérenne à la demande du Premier ministre : elle constituera un observatoire permanent de l'évolution de l'image des femmes dans les médias, un lieu de travail avec les professionnels autant qu'un espace de réflexion sur la manière de combattre les stéréotypes.
L'action du Conseil supérieur de l'audiovisuel va au-delà de la condamnation des images violentes ou des propos sexistes.
Les interventions du CSA concernant l'image de la femme sont fondées soit sur l'interdiction des propos et comportements discriminatoires ou attentatoires au respect de la dignité humaine, soit sur la protection de l'enfance et de l'adolescence. De surcroît, le Conseil a introduit dans les conventions des services de radio et de télévision des stipulations spécifiques relatives au sexisme. Ainsi, pour ce qui concerne la radio, une disposition prévoit que l'éditeur de services « doit veiller dans ses émissions au respect de la personne humaine, à l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes ». Pour ce qui concerne la télévision, une disposition prévoit que l'éditeur de services veille dans son programme « à ne pas encourager des comportements discriminatoires en raison de la race, du sexe, de la religion ou de la nationalité ». Le CSA publie chaque année un bilan des chaînes. Si elles transgressent ces principes, nous avons un support juridique pour les mettre en demeure de s'y plier, et de les sanctionner si elles récidivent.
Cette protection de l'image de la femme intervient aussi au travers du système de classification des programmes prenant en compte la sensibilité du jeune public. Dans leurs décisions de classification, les chaînes doivent prendre en compte certains critères, dont celui de l'image de la femme, l'idée étant notamment de ne pas banaliser une image dégradante de la femme ou une image la réduisant à ses attraits sexuels, en imposant que ces programmes ne soient pas diffusés en journée. Par ailleurs, font l'objet d'une interdiction totale de diffusion les programmes qui porteraient atteinte à la dignité de la femme ou qui inciteraient à la discrimination en raison du sexe. Dans un tel cas, l'intervention du Conseil ne porte plus sur les conditions de programmation mais relève l'illégalité d'un programme ou d'une séquence donnée. Ses interventions dans ce domaine ont pris la forme soit de simples courriers soit de mises en demeure.
Plusieurs exemples de ces mises en garde ou de ces mises en demeure sont intéressants à évoquer car ils montrent la pluralité des motifs sur lesquels le Conseil peut fonder son action.
Le Conseil a condamné les propos et comportements violents ou sexistes envers les femmes dans des émissions de télé-réalité comme Koh Lanta ou Star Academy.
Dans le même esprit, il est intervenu à propos de séquences humoristiques mettant en scène une violence exercée à l'encontre des femmes en se fondant, cette fois, sur l'atteinte à la dignité humaine en raison de la gravité de l'atteinte à l'image de la femme. Il a fait part de ses remarques à Canal Plus à propos de séquences à caractère misogyne portant atteinte à l'image de la femme et à sa dignité : scène de viol collectif d'une mère sous les yeux de son enfant, femme fouettée par un dresseur.
Les propos sexistes ou violents envers les femmes sont, bien sûr, régulièrement condamnés. L'émission Loft Story a suscité de nombreuses réactions dans la presse et le public. Deux radios ont été mises en demeure par le CSA en raison de propos très violents tenus à l'encontre des participantes. Plus récemment, le Conseil a mis en demeure la radio Droit de Cité en raison des propos tenus lors d'une émission diffusée le 8 mars 2008 et présentant les victimes de viols comme ayant une responsabilité dans les agressions.
Le traitement égalitaire des hommes et des femmes est aussi un motif d'intervention du Conseil. Par exemple, en 2001, il a constaté une discrimination sexiste dans l'émission Campus diffusée sur France 2 le 6 septembre du fait du « floutage » systématique des hommes et non des femmes dans un des reportages consacrés à la prostitution aux Philippines.
En ce qui concerne l'apposition d'une signalétique, le Conseil intervient régulièrement. C'est notamment le cas pour les clips, de rap notamment, où l'image de la femme peut être particulièrement dégradée. Nous avons récemment convoqué le patron d'une chaîne qui avait diffusé un clip de rap particulièrement humiliant pour la femme, afin de lui faire prendre conscience de sa nocivité. Il a arrêté de le diffuser. Le Conseil est également intervenu en 2003 pour demander la signalisation « déconseillé aux moins de 10 ans » à l'encontre de l'émission de télé-réalité Opération Séduction aux Caraïbes, qui avait suscité de nombreuses plaintes de téléspectateurs choqués par l'image de la femme qui y était représentée.
Enfin, le Conseil constate une banalisation de la pornographie sur certaines chaînes. Il a ainsi engagé une procédure de sanction à l'encontre de la chaîne Planète No Limit le 20 novembre 2007, en raison de la diffusion de séquences tournées sur le lieu de tournage de films pornographiques, lesquelles auraient dû être déconseillées aux moins de 18 ans, et alors même que la chaîne n'est pas autorisée par sa convention à diffuser des programmes relevant de cette catégorie. Le Conseil a relevé que ces documentaires banalisaient la soumission de la femme.
Ces exemples montrent un glissement de l'action du Conseil d'une conception limitée au respect de la dignité humaine à une vision prenant davantage en compte le danger de certains stéréotypes.
Désormais, la compétence du Conseil va s'étendre aux services de médias audiovisuels à la demande, à la suite du vote de la loi du 5 mars 2009. C'est un premier pas important vers une meilleure prise en compte de la déontologie des programmes présents sur Internet, lequel n'est pas régulé aujourd'hui.
Au-delà de ces dérives évidentes sur lesquelles le CSA peut agir, il est nécessaire de mener un travail plus profond sur l'image des femmes dans les médias.
Les politiques d'égalité entre les femmes et les hommes ne peuvent se concevoir sans une réflexion approfondie sur l'image de la femme, sur l'image des femmes et, partant, sur l'image de l'homme. Que l'on aborde le sujet de la parité dans la vie politique, de l'égalité professionnelle, ou celui de l'articulation des temps de vie personnel ou professionnel, une même impression se dégage : il y a quelque chose d'inacceptable dans le décalage qui perdure entre les stéréotypes qui continuent de s'appliquer à l'image des femmes et la pluralité de leurs rôles familial et social, de leurs activités et de leurs aspirations.
Cette réflexion est essentielle. En effet, les stéréotypes ont des conséquences bien réelles : pour ne prendre qu'un seul exemple, celui de l'éducation, dès la fin de la classe de troisième, les parcours des filles et des garçons divergent et, à l'issue de la terminale, 65 % des garçons obtiennent un bac scientifique, contre 39,8 % des filles. On a fait croire aux femmes qu'elles n'étaient pas faites pour les mathématiques. Les chiffres parlent d'eux-mêmes, et l'on connaît la survalorisation de cette section pour l'orientation ultérieure dans l'enseignement supérieur.
Pour faire évoluer ces chiffres, les lois, nous le savons bien, ne suffiront pas. C'est pourquoi nous devons agir sur les représentations des femmes dès le plus jeune âge, puis dans le milieu professionnel, tout au long de la vie. Or ces représentations proviennent bien souvent des médias. C'est à travers les images que leur renvoient les médias que les jeunes filles se construisent.
C'est la raison pour laquelle Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité, m'a confié en février 2008 la présidence d'une commission consacrée à l'image de la femme dans les médias, composée de chercheurs, de professionnels des médias – comme Marcel et Mercedes Erra pour la publicité, Frédéric Taddeï pour la télévision, Isabelle Falque-Pierrotin, la journaliste Annette Lévy-Willard –, d'entrepreneurs, de femmes et d'hommes libres qui ont pu aborder en profondeur la question de la représentation des trois enjeux fondamentaux de la modernité des femmes que sont l'accès au travail et au savoir, l'articulation des vies professionnelle et familiale, le rapport au corps et au désir.
Un important travail a été accompli en six mois. La télévision, la radio, la presse et la publicité ont été analysées par des chercheuses spécialisées en sémio-linguistique, qui ont repris des éléments de monitorage canadien. Les travaux de la commission se sont également appuyés sur l'audition de professionnels des médias, d'institutionnels, d'associations et de chercheurs spécialisés dans les médias. Enfin, des comparaisons ont été faites avec des expériences faites dans d'autres pays.
La conclusion du rapport remis à Valérie Létard en septembre 2008 montre que, en dépit des avancées notables, les femmes demeurent souvent « invisibles », « inaudibles » ou « secondaires » dans les médias. On a l'impression qu'elles sont partout, mais la façon dont elles sont représentées laisse à désirer. Sur le plan quantitatif, alors que les femmes composent 51 % de l'humanité, elles ne forment que 37 % des personnes présentes dans les médias, et les femmes ont moins de temps de parole que les hommes. En libre antenne, les femmes ont 7 % de temps de parole sur NRJ ! Autre exemple, dans la presse écrite hebdomadaire, 10 % d'articles sont consacrés aux femmes contre 50 % aux hommes, qui font aussi l'objet de trois fois plus de photos. Les hommes n'ont pas besoin d'avoir une presse masculine parce que la presse mixte est déjà masculine. Les femmes sont également davantage désignées par leur prénom : « Hillary » et son mari « Bill Clinton », « Ségolène » et « François Hollande ».
Lorsqu'elles interviennent dans une émission, c'est moins souvent en tant qu'expertes et plus souvent comme témoins ou victimes. Les experts sont à 85 % masculins alors qu'il y a aujourd'hui énormément de femmes qui sont des experts. Dans les débats, il y a une majorité d'hommes et, souvent, uniquement des hommes. Frédéric Taddeï fait remarquer que, souvent, les femmes hésitent à se retrouver seules dans un débat parce que leur parole est alors prise en compte comme la parole d'une femme. Il suffit qu'il y ait 30 % de femmes dans un débat pour que, tout d'un coup, il ne s'agisse plus de la parole des femmes, mais tout simplement de celle d'une personne s'exprimant sur le sujet abordé.
Face à ce constat, la commission a fait plusieurs propositions d'actions, qui privilégient le dialogue et la pédagogie avec les professionnels des médias. Elle a également formulé des propositions en termes d'éducation aux médias, pour que l'analyse des stéréotypes féminins en fasse partie intégrante.
La politique de prévention et de sensibilisation est un enjeu important. C'est pourquoi la commission a suggéré qu'un volet de décryptage des stéréotypes dans les médias soit intégré dans la convention interministérielle pour la promotion de l'égalité entre les filles et les garçons. Sur le plan communautaire, la Commission avait suggéré le lancement d'un projet de monitorage des médias européens, afin d'analyser les messages et images télévisuels, à l'instar du projet « screening gender » lancé par la Finlande en 1998. Cette proposition a été portée par Valérie Létard durant la présidence française de l'Union européenne.
Enfin, le rapport a débouché sur la création d'une mission permanente d'observation et de suivi des stéréotypes féminins, que je préside. Elle sera chargée de suivre les avancées réalisées, sur la base d'un rapport annuel des responsables des médias. Ces derniers devront nous rendre compte, chaque année, à partir d'indicateurs de suivi que nous leur fournirons, et nous les encouragerons aussi à une autorégulation. Un correspondant sera désigné dans chacun des médias afin d'établir un contact pérenne.
Grâce à ces outils, il va être possible de suivre régulièrement l'évolution de l'image de la femme dans les médias audiovisuels, de mener un travail de fond avec les professionnels, et de sensibiliser et prévenir davantage sur cette question, notamment grâce à l'éducation aux médias. Au niveau de la régulation, les lois existent et les régulateurs sont là. Mais il faut aujourd'hui essayer de changer les mentalités.
Vous écrivez, dans le préambule de votre rapport, que cette mission vous a fait découvert l'ampleur du problème. Vous ne vous en doutiez pas auparavant…
Quand Valérie Létard m'a contactée, j'ai trouvé que le sujet était très délicat. Je n'étais même pas sûre qu'il y ait un réel problème. Nous avons joué le jeu et nous n'en sommes pas restées à notre intuition première. Les chercheuses ont travaillé et nous avons été surprises des réponses et de l'ampleur du problème. Il y a beaucoup de travail à faire !
Je remercie Mme Reiser car elle a bien dressé la toile de fond et présenté les différences qui existent entre la réalité de la place et du rôle de la femme dans la société et son image dans les médias.
J'interviens devant vous en tant que membre de la commission de classification des oeuvres cinématographiques et également en tant que directrice de La Voix de l'Enfant. C'est à ce titre que je siège dans un des collèges – celui du ministère de la famille – de la commission.
La question des violences faites aux femmes est omniprésente dans notre travail au sein de La Voix de l'Enfant. Au sein de la commission de classification, nous prenons position sur les images données de la femme par les médias à travers le regard des enfants et par rapport à l'incidence qu'elles peuvent avoir sur eux. Nous avons un peu renversé les choses : c'est l'enfant qui va révéler qu'il y a une atteinte à la dignité de la femme. La commission de classification se prononce donc, en fait, sur des films qui risquent de porter atteinte à l'enfant.
Elle fonctionne à deux niveaux : de très nombreux films sont projetés en sous-commission. Lorsqu'ils ne font pas l'objet d'un vote unanime, ils sont également diffusés en plénière. Il y a deux assemblées plénières par semaine, au cours desquelles sont visionnés deux films. Après avoir vu les films, nous décidons d'une classification : « tous publics », « tous publics avec avertissement », «interdit aux moins de 12 ans », « interdit aux moins de 12 ans avec avertissement », « interdit aux moins de 16 ans », « interdit aux moins de 16 ans avec avertissement », « interdit aux moins de 18 ans ». Cette dernière classification regroupe, en général, les films pornographiques, à l'exception d'un ou deux films, dont Quand l'embryon part braconner.
La commission de classification est composée de réalisateurs, de producteurs, de membres de différents collèges – collèges du ministère de l'intérieur, du ministère de l'éducation nationale, du ministère de la famille –, d'étudiants d'écoles de cinéma et d'un représentant de la protection judiciaire de la jeunesse. Elle a pour but la protection de l'enfant mais révèle, en même temps, tous les mauvais traitements que peuvent subir les femmes, notamment dans le domaine sexuel. En plus des actes de barbaries ou de tortures, il peut y avoir des scènes très violentes d'humiliation de la femme et d'atteinte à son intégrité morale. C'est ce qui détermine le classement du film. Nous nous sommes demandés, dernièrement, après avoir classé un premier film « interdit aux moins de 12 ans » et le suivant « interdit aux moins de 16 ans » ce qui avait fait basculer le classement du second à moins de seize ans : c'était la présence de violences sexuelles. Une réflexion serait sans doute à mener sur le fait qu'on est moins sévère pour des films montrant des femmes battues ou violentées au niveau de la parole que pour des films comportant des scènes sexuelles. Nos avis sont toujours précédés de discussions qui sont, parfois, assez rudes parce que les producteurs se positionnent par rapport à la vente des films et que des engagements ont souvent été pris au niveau international. Nous sommes là pour leur rappeler que chaque image du film va être aussi reçue par des enfants. Quel impact sur le mineur telle image de violence sur la femme va-t-elle avoir ? On ne mesure pas assez que l'image banalise un certain nombre de scènes et donc d'actes qui se vivent par la suite au quotidien.
Mme Reiser a fait référence à des passages à l'acte. La Voix de l'Enfant est partie civile dans des procès pour violences, non seulement sur des enfants, mais aussi sur des femmes car l'on s'aperçoit que les violences intrafamiliales ont des conséquences sur les enfants. Or il y a une banalisation des scènes de violence dans les médias. Il y a souvent passage à l'acte après le visionnage d'un film de grande violence.
Aujourd'hui, on peut dire que la commission de classification joue vraiment son rôle. Elle permet, d'abord, d'informer les familles sur l'âge à partir duquel leurs enfants peuvent regarder un film. Je regrette, cependant, un manque d'information sur la classification des films : celle-ci n'est pas indiquée dans les magazines. C'est quand vous arrivez au cinéma que vous voyez à partir de quel âge le film peut être visionné. J'ai vu, dans un grand cinéma, des parents devoir choisir un autre film que celui qu'ils avaient projeté de voir parce que celui-ci était interdit à leurs enfants. Si votre Mission pouvait imposer une visibilité plus grande de la classification des films, ce serait un pas important.
Au cinéma, je suis parfois étonnée quand je vois défiler, au générique, les cofinancements : je me demande comment des conseils généraux, des conseils régionaux et autres institutions peuvent financer des films où l'on montre la femme dans des situations de dégradation et d'atteinte à sa dignité morale et physique.
En veillant à protéger les enfants, la commission fait également ressortir à quel point la femme peut être maltraitée dans les films. Au-delà de l'étude de ce que peut transmettre l'image, nous devons travailler à la manière de faire évoluer les mentalités pour montrer une autre image de la femme. Dans les films policiers très violents, de crimes et de mafia, il n'y a pas confusion entre violence et sexe. Pour la femme, si la violence physique, la sexualité et la dégradation morale, c'est-à-dire les trois dimensions – physique, sexuelle et morale – de la femme, sont toujours liées. C'est un élément qui frappe souvent notre commission.
En préparant cette intervention, je me disais qu'il n'y avait pas réellement de protection de l'image de la femme aujourd'hui. Cela étant, nous ne sommes pas dans une démarche répressive, ni d'interdiction. Nous cherchons plutôt à trouver des moyens pour faire évoluer les mentalités car, avec les nouvelles technologies, il sera toujours possible d'avoir accès à l'oeuvre de son choix.
Les producteurs revendiquent la liberté d'expression et de création. Nous prônons en ce qui nous concerne le respect de la dignité de la femme. À l'occasion du contrôle qui pourra être exercé, on devra vérifier le juste équilibre entre le principe de protection de la dignité de la femme et de la personne humaine en général et le principe de la liberté d'expression. Là est la grande difficulté ! En tant que femme, je crois qu'il y a des limites à ne pas dépasser, qu'il y a un moment où il faut dire stop à ce qui peut porter atteinte à la femme, à son intégrité et à sa dignité !
Les médias et la publicité sont invités à respecter l'image des femmes et des hommes et l'égalité hommes-femmes, en évitant les discriminations fondées sur le sexe et l'orientation sexuelle. Une image diversifiée et réaliste des compétences et des potentialités des femmes et des hommes dans la société est souhaitable. Mais il n'existe pas de textes contraignants qui obligent les médias à respecter cette image plurielle. Peut-être y a-t-il une réflexion à mener à ce sujet.
Il est également intéressant de voir ce qui se fait dans les autres pays européens. Ainsi, un membre d'une commission allemande nous a expliqué que l'Allemagne était beaucoup plus sévère que la France parce que, dans ce pays, montrer une image dégradante de la femme, c'est également montrer une image dégradante de la mère. Les Allemands se placent, eux aussi, du point de vue de l'enfant.
C'est sous l'angle de la protection des mineurs, en limitant et en contrôlant l'accès à certains documents, que le ministre de l'Intérieur participe à la prévention des violences faites aux femmes.
Le ministre de l'Intérieur est représenté au sein de la commission de classification des oeuvres cinématographiques. C'est le ministre de l'Intérieur qui est l'autorité administrative chargée de prononcer les mesures d'interdiction et de restriction de vente de certaines publications au titre de l'article 14 de la loi du 16 juillet 1949, dont nous célébrons cette année le soixantième anniversaire.
Enfin, c'est auprès du ministre de l'intérieur qu'est placée la commission d'homologation des systèmes de signalétique pour les jeux vidéos et les DVD, dont le principe a été posé par le législateur dans le cadre de la loi sur la prévention de la délinquance le 5 mars 2007.
Vous avez montré à quel point nous sommes confrontés aujourd'hui, non seulement à des images dégradantes et avilissantes des femmes, mais aussi à des rôles figés et à des stéréotypes qui bloquent toute évolution. En dehors de l'aspect commercial des choses, ce phénomène n'est-il pas lié à l'absence de législation contraignante en France dans ce domaine ? Le dialogue et l'éducation que vous prônez, madame Reiser, vous semblent-ils des moyens suffisants pour faire évoluer les mentalités ?
Les enseignants ont-ils la volonté et les outils nécessaires pour se charger de l'éducation aux médias, c'est-à-dire le décryptage des images ? Cela exige qu'ils soient formés par des professionnels, ce qui demande beaucoup d'argent et de temps.
Je pense que nous sommes tous d'accord pour reconnaître l'importance d'une éducation aux médias. Elle est insuffisante aujourd'hui et doit être développée. C'est ce que nous avons demandé, avec les moyens correspondants.
Les lois existent. Trop de lois tuent la loi. Nous avons dit dès le départ au ministre que nous ne ferions aucune proposition d'ordre législatif parce que nous estimons que l'arsenal législatif actuel est suffisant, entre les régulateurs et les associations.
Un membre de l'éducation nationale siège dans la commission : Pascal Charvet, agrégé de lettres et inspecteur général, qui vient d'être nommé directeur de l'ONISEP. Vous voyez qu'il y a des ponts et que beaucoup de choses peuvent se faire. Mais il faut des moyens.
D'un point de vue strictement juridique, je signale que les violences faites aux femmes ne sont pas du tout visées par les dispositifs. Le champ d'intervention de la police administrative couvre soit le terrain des violences, soit celui de la discrimination, mais dans aucun des motifs qui permettent l'intervention de la police administrative ne sont les violences faites aux femmes. Il y aurait peut-être place pour une rédaction normative sur ce point.
Je partage ce qui vient d'être dit par Mme Reiser et M. Zisu. Pour ma part, je pense que l'on pourra faire évoluer les mentalités par l'éducation. On observe aujourd'hui un manque de déontologie de la part d'un certain nombre de médias en matière de transmission d'images, en particulier de la femme, de la jeune fille et de la petite fille. Il y a là un travail à faire mais, selon moi, il ne relève pas de la loi. Avec les générations d'aujourd'hui, plus on édictera de lois répressives et plus elles seront transgressées.
Ce qu'il faut, c'est rechercher ensemble ce qui permettra un équilibre. Pour nous, cet équilibre passe avant tout par l'éducation, laquelle exige, comme vous l'avez souligné, madame la présidente, des moyens. Nous avons de très bonnes lois de protection de l'enfance qui, faute d'argent, sont inappliquées et inapplicables.
Plus l'image sera plurielle et plus chacun trouvera une possibilité de s'identifier. La majorité des femmes en France sont aujourd'hui brunes et s'habillent au-delà du 44. On ne retrouve pas du tout cela dans les médias. S'il est important de montrer une image sublimée de la femme – car les gens n'aiment pas se voir représentés tels qu'ils sont –, il est non moins important de montrer des images diversifiées de femmes, dans lesquelles les jeunes filles puissent trouver à s'identifier.
Je vois plusieurs paradoxes dans la situation actuelle.
Premier paradoxe : les outils juridiques existent et sont suffisants, mais ils ne peuvent pas, faute de moyens, être pleinement efficaces.
Deuxième paradoxe : l'éducation au respect doit commencer dès le plus jeune âge et elle est programmée tout au long de la scolarité, mais elle ne nous donne pas, dans l'immédiat, les moyens de lutter contre les violences, notamment contre les femmes.
Dans ces conditions, comment pouvons-nous avancer ?
Faut-il, comme vous le suggérez, Monsieur Zisu, mentionner, dans les missions du CSA, la lutte contre les violences faites aux femmes ? Ce type de violences n'est pas aujourd'hui spécifiquement visé. Faut-il le prévoir dans la loi ?
Madame Brousse, comment allons-nous pouvoir changer les mentalités ? Quels sont les outils qui nous manquent aujourd'hui pour le faire ?
Un premier moyen est de parvenir à une égalité de traitement entre la femme et l'homme dans les médias. La femme est, actuellement, très peu présente dans les médias. Si elle est traitée de la même façon que l'homme, les jeunes qui regardent énormément la télé et surfent sur Internet le verront. Le temps de présence n'est pas le seul point à améliorer. Je suis frappée, quand je circule dans Paris, de voir le nombre d'affiches de femmes en sous-vêtements. Ces affiches sont regardées par les enfants. Demander de plus en plus à des femmes qui sont experts dans un domaine de donner leur point de vue sera également facteur de progrès : leur avis ne sera plus considéré comme celui d'une femme, mais comme celui d'une personne à part entière.
Il faut également développer l'information aux familles et aux parents. À La Voix de l'Enfant, nous travaillons sur les questions d'Internet. Pour travailler avec un partenaire qui intervient dans les écoles en direction des enseignants le matin, des enfants dans la journée et des parents le soir, nous nous sommes rendu compte que bon nombre d'enfants ont accès à des films pornographiques parce que les parents, ne sachant pas télécharger, demandent à leur enfant de le faire pour eux. L'enfant voit le film pendant le téléchargement puis télécharge ensuite pour lui. Nous sommes en train de faire une étude sur ce phénomène. Ce sont souvent les enfants qui vont chercher les films dans les magasins de location ou au distributeur automatique de ceux-ci.
Tout en respectant le rôle essentiel des enseignants, qui est d'abord de transmettre et de partager un savoir, nous pensons que cette information revient à l'Education nationale au sens large : elle doit englober les intervenants scolaires et les centres de documentation au sein des établissements.
Il faut, par ailleurs, veiller à l'application des lois existantes. De nombreux passages à l'acte de jeunes sur des jeunes filles sont dus au fait que, à la maison, s'exerce une sorte de toute-puissance qui, alors que la loi existe, n'est pas sanctionnée.
Il faut, enfin, se pencher sur l'utilisation des nouvelles technologies et prendre en compte, en particulier, le fait que les nouveaux portables peuvent servir à prendre des photos et à filmer. Nous avons vu apparaître une nouvelle forme de racket dans les établissements scolaires : des relations sexuelles sont filmées et l'on oblige la jeune fille à pratiquer les mêmes actes avec les autres copains de la classe en la menaçant de diffuser à tout le monde le petit film qui a été tourné. Les filles n'auraient pas l'idée de traiter un garçon de cette manière.
Souvent, le relais est assuré, et merveilleusement, par les associations. Mais cela ne suffit pas : une volonté politique doit accompagner l'ensemble des initiatives et des travaux menés sur le terrain.
Sur Canal Plus, une unité de programme consacrée à des innovations produit des fictions d'un genre nouveau. J'ai assisté, la semaine dernière, à la projection d'une série en trois épisodes, intitulée Sweet Dream, où des films de d'ébats sexuels filmés sur portable et le chantage exercé à partir de ceux-ci sont au centre de la fiction.
Quant à préciser dans les missions du CSA la lutte contre les violences faites aux femmes, on peut y réfléchir, mais la notion de respect de la personne humaine suffit pour intervenir dans le cadre des violences faites aux femmes. Dans les conventions que les chaînes privées gratuites signent avec nous, celles-ci sont contraintes de veiller dans leurs émissions au respect de la personne humaine et à l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes. Au fond, tout est une question de respect. C'est pourquoi l'éducation au respect est importante à l'école. C'est pourquoi j'ai dit que les outils législatifs existaient.
J'ajoute qu'il en est de même pour les autres corps de réglementation, qu'il s'agisse de la loi sur la prévention de la délinquance de 2007 ou de la loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse.
Les concepts de violence, de discrimination et d'atteinte à la dignité sont autant d'outils juridiques qui nous permettent d'ores et déjà d'intervenir sans préciser davantage la catégorie sociale concernée.
Comme les conventions que signent les chaînes ne produisent pas d'effets, j'ai le sentiment que, tant qu'il n'y aura pas de sanctions, nous en resterons aux bons sentiments, aux bonnes intentions, à la bonne parole.
Tous les cas de violences faites aux femmes ont été sanctionnés. Quand il y a une atteinte à la dignité humaine, le CSA joue son rôle.
Pour ce qui est de l'image des femmes véhiculée dans les médias, les choses sont beaucoup plus sournoises. Aucune loi ne pourra changer quoi que ce soit. Il ne s'agit pas de quotas. Un travail plus en profondeur s'impose.
Il y a une sorte de maïeutique qui doit se faire : il faut une prise de conscience. Grâce à la mission de suivi, nous allons pouvoir organiser des rendez-vous annuels avec les présidents de chaîne, élaborer avec eux des outils et, même, confier des missions au CSA. Un élément du bilan des chaînes pourrait porter sur la manière dont elles ont traité la femme au cours de l'année.
Tout le monde est convaincu de l'importance de l'école, même si elle est aujourd'hui concurrencée par des moyens technologiques périphériques, auxquels vous n'avez pas systématiquement accès, et qui peuvent aussi dériver.
Il serait bien qu'en plus de l'enseignement dispensé, l'école puisse donner aux jeunes filles l'envie d'être actrices et les moyens de se prendre en main et de réagir afin de ne plus subir passivement.
Des familles éduquent et accompagnent, alors que d'autres, prises notamment par leurs obligations professionnelles, laissent l'enfant devant la télévision. Or l'éducation que les médias vont lui donner induit tous les travers que vous avez dénoncés.
Il serait souhaitable que vous ayez les moyens de susciter des reportages et des films dans lesquels la femme apparaisse valorisée. Comme je l'ai rappelé lors de l'audition précédente, il est important de montrer des femmes qui réussissent dans le monde du sport, de l'entreprenariat ou de la recherche.
Je suis absolument d'accord. Cela va faire partie de notre action : nous comptons montrer que des femmes sont aussi des scientifiques ou des chefs d'entreprise. Il y a très peu de femmes ingénieurs dans les fictions et, quand, dans un film, une femme est à la tête d'une entreprise, elle est méchante et ambitieuse. Il importe de montrer des personnes actives, qui prennent leur destin en main.
Les chaînes sont maîtresses de leur ligne éditoriale. Le CSA ne peut pas leur en imposer une. Mais la mission peut faire prendre conscience de ces problèmes aux gens qui sont à la tête des médias.
Nous sommes en pleine mutation. Il faut profiter des changements qui interviennent dans l'audiovisuel, les modes, les supports pour revoir les contrats de lecture entre les diffuseurs et la presse, et les récepteurs et les lecteurs.
Le stéréotype est un élément bloquant. Prenons l'exemple des sciences, où il y a une pénurie de chercheurs. On a fait croire aux filles qu'elles étaient fâchées avec les mathématiques, ce qui est complètement faux. De même, souvent, les femmes n'osent pas s'engager en politique. Il y a aujourd'hui un manque de confiance inquiétant. Il faut que les fictions redonnent confiance aux jeunes générations.
Il y a eu une crise de la fiction sur certaines chaînes importantes. On revoyait les mêmes héros depuis vingt-cinq ans et les représentations des femmes ne correspondaient plus du tout aux femmes d'aujourd'hui. Les chaînes ont bien compris qu'il y avait quelque chose à changer. C'était, d'ailleurs, dans l'intérêt du diffuseur parce que les émissions étaient contre-productives. Les publicitaires l'ont compris, eux qui déconstruisent en permanence les stéréotypes.
En plus de déconstruire les stéréotypes, les médias ont vocation à permettre à la société d'aller plus loin. Elles doivent la faire évoluer. Il est donc nécessaire qu'il y ait aussi une projection. C'est pourquoi il importe qu'il y ait des programmes innovants. Les médias ont une sorte de responsabilité civile : ils sont soumis à une sorte de dialectique, ce qu'ils montrent étant à la fois l'image de ce qui est et l'anticipation de ce qui peut être.
Monsieur Zisu, selon les associations, la commission de contrôle à laquelle vous avez fait allusion ne serait toujours pas opérationnelle puisqu'il manquerait des membres. Est-elle aujourd'hui au complet ?
Les derniers membres viennent d'être désignés. Leur nomination nécessitait, de la part des ministres chargés de les présenter, un travail de consultation. Les noms nous ont été communiqués récemment. L'arrêté officialisant leur nomination sera signé dans les tout prochains jours.
La séance est levée à vingt heures quinze.