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Intervention de Michèle Reiser

Réunion du 9 juin 2009 à 16h00
Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes

Michèle Reiser, membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel :

Le Conseil supérieur de l'audiovisuel est particulièrement attentif à sanctionner tout ce qui pourrait encourager les violences envers les femmes et tout ce qui véhicule une image dégradante de la femme, en particulier les propos sexistes. Mais au-delà de ce premier niveau facilement contrôlable, celui du respect de la dignité de la femme, il y a un autre niveau plus profond, celui de la recherche des représentations qui empêchent d'installer l'égalité des sexes comme une donnée normale et indiscutable de notre société, celui des stéréotypes qui maintiennent une domination symbolique qui, parfois, conduit à la violence. En effet, les médias jouent à la fois un rôle d'imitation et un rôle de révélation ; ils sont un miroir grossissant de notre société, de ses représentations, mais ils sont aussi le lieu de la formation de ces images partagées. Leur part est donc fondamentale dans la constitution de l'identité de chacun – les gens regardent la télévision près de quatre heures par jour – comme de sa vision du monde, des genres et de leur place. La communication n'est pas seulement un ensemble d'images, mais aussi un rapport social médiatisé par des images, chacune de ces images pouvant être porteuse d'une domination symbolique, d'un rapport de force, d'un stéréotype qui prendra corps dans la réalité.

Aujourd'hui, malgré les efforts des professionnels de la publicité, de la presse et de l'audiovisuel, malgré l'adoption de règles déontologiques, certaines images, certains messages ou propos continuent de véhiculer des représentations souvent très stéréotypées, parfois même dégradantes, de l'image de la femme. Dans le cadre de la Commission consacrée à l'image de la femme dans les médias audiovisuels, que j'ai créée à la demande de Valérie Létard, et qui regroupe la presse, la télévision, la radio, la publicité et Internet, nous avons entamé ce travail de déconstruction des stéréotypes avec les médias, les institutions et les associations. Cette Commission est devenue pérenne à la demande du Premier ministre : elle constituera un observatoire permanent de l'évolution de l'image des femmes dans les médias, un lieu de travail avec les professionnels autant qu'un espace de réflexion sur la manière de combattre les stéréotypes.

L'action du Conseil supérieur de l'audiovisuel va au-delà de la condamnation des images violentes ou des propos sexistes.

Les interventions du CSA concernant l'image de la femme sont fondées soit sur l'interdiction des propos et comportements discriminatoires ou attentatoires au respect de la dignité humaine, soit sur la protection de l'enfance et de l'adolescence. De surcroît, le Conseil a introduit dans les conventions des services de radio et de télévision des stipulations spécifiques relatives au sexisme. Ainsi, pour ce qui concerne la radio, une disposition prévoit que l'éditeur de services « doit veiller dans ses émissions au respect de la personne humaine, à l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes ». Pour ce qui concerne la télévision, une disposition prévoit que l'éditeur de services veille dans son programme « à ne pas encourager des comportements discriminatoires en raison de la race, du sexe, de la religion ou de la nationalité ». Le CSA publie chaque année un bilan des chaînes. Si elles transgressent ces principes, nous avons un support juridique pour les mettre en demeure de s'y plier, et de les sanctionner si elles récidivent.

Cette protection de l'image de la femme intervient aussi au travers du système de classification des programmes prenant en compte la sensibilité du jeune public. Dans leurs décisions de classification, les chaînes doivent prendre en compte certains critères, dont celui de l'image de la femme, l'idée étant notamment de ne pas banaliser une image dégradante de la femme ou une image la réduisant à ses attraits sexuels, en imposant que ces programmes ne soient pas diffusés en journée. Par ailleurs, font l'objet d'une interdiction totale de diffusion les programmes qui porteraient atteinte à la dignité de la femme ou qui inciteraient à la discrimination en raison du sexe. Dans un tel cas, l'intervention du Conseil ne porte plus sur les conditions de programmation mais relève l'illégalité d'un programme ou d'une séquence donnée. Ses interventions dans ce domaine ont pris la forme soit de simples courriers soit de mises en demeure.

Plusieurs exemples de ces mises en garde ou de ces mises en demeure sont intéressants à évoquer car ils montrent la pluralité des motifs sur lesquels le Conseil peut fonder son action.

Le Conseil a condamné les propos et comportements violents ou sexistes envers les femmes dans des émissions de télé-réalité comme Koh Lanta ou Star Academy.

Dans le même esprit, il est intervenu à propos de séquences humoristiques mettant en scène une violence exercée à l'encontre des femmes en se fondant, cette fois, sur l'atteinte à la dignité humaine en raison de la gravité de l'atteinte à l'image de la femme. Il a fait part de ses remarques à Canal Plus à propos de séquences à caractère misogyne portant atteinte à l'image de la femme et à sa dignité : scène de viol collectif d'une mère sous les yeux de son enfant, femme fouettée par un dresseur.

Les propos sexistes ou violents envers les femmes sont, bien sûr, régulièrement condamnés. L'émission Loft Story a suscité de nombreuses réactions dans la presse et le public. Deux radios ont été mises en demeure par le CSA en raison de propos très violents tenus à l'encontre des participantes. Plus récemment, le Conseil a mis en demeure la radio Droit de Cité en raison des propos tenus lors d'une émission diffusée le 8 mars 2008 et présentant les victimes de viols comme ayant une responsabilité dans les agressions.

Le traitement égalitaire des hommes et des femmes est aussi un motif d'intervention du Conseil. Par exemple, en 2001, il a constaté une discrimination sexiste dans l'émission Campus diffusée sur France 2 le 6 septembre du fait du « floutage » systématique des hommes et non des femmes dans un des reportages consacrés à la prostitution aux Philippines.

En ce qui concerne l'apposition d'une signalétique, le Conseil intervient régulièrement. C'est notamment le cas pour les clips, de rap notamment, où l'image de la femme peut être particulièrement dégradée. Nous avons récemment convoqué le patron d'une chaîne qui avait diffusé un clip de rap particulièrement humiliant pour la femme, afin de lui faire prendre conscience de sa nocivité. Il a arrêté de le diffuser. Le Conseil est également intervenu en 2003 pour demander la signalisation « déconseillé aux moins de 10 ans » à l'encontre de l'émission de télé-réalité Opération Séduction aux Caraïbes, qui avait suscité de nombreuses plaintes de téléspectateurs choqués par l'image de la femme qui y était représentée.

Enfin, le Conseil constate une banalisation de la pornographie sur certaines chaînes. Il a ainsi engagé une procédure de sanction à l'encontre de la chaîne Planète No Limit le 20 novembre 2007, en raison de la diffusion de séquences tournées sur le lieu de tournage de films pornographiques, lesquelles auraient dû être déconseillées aux moins de 18 ans, et alors même que la chaîne n'est pas autorisée par sa convention à diffuser des programmes relevant de cette catégorie. Le Conseil a relevé que ces documentaires banalisaient la soumission de la femme.

Ces exemples montrent un glissement de l'action du Conseil d'une conception limitée au respect de la dignité humaine à une vision prenant davantage en compte le danger de certains stéréotypes.

Désormais, la compétence du Conseil va s'étendre aux services de médias audiovisuels à la demande, à la suite du vote de la loi du 5 mars 2009. C'est un premier pas important vers une meilleure prise en compte de la déontologie des programmes présents sur Internet, lequel n'est pas régulé aujourd'hui.

Au-delà de ces dérives évidentes sur lesquelles le CSA peut agir, il est nécessaire de mener un travail plus profond sur l'image des femmes dans les médias.

Les politiques d'égalité entre les femmes et les hommes ne peuvent se concevoir sans une réflexion approfondie sur l'image de la femme, sur l'image des femmes et, partant, sur l'image de l'homme. Que l'on aborde le sujet de la parité dans la vie politique, de l'égalité professionnelle, ou celui de l'articulation des temps de vie personnel ou professionnel, une même impression se dégage : il y a quelque chose d'inacceptable dans le décalage qui perdure entre les stéréotypes qui continuent de s'appliquer à l'image des femmes et la pluralité de leurs rôles familial et social, de leurs activités et de leurs aspirations.

Cette réflexion est essentielle. En effet, les stéréotypes ont des conséquences bien réelles : pour ne prendre qu'un seul exemple, celui de l'éducation, dès la fin de la classe de troisième, les parcours des filles et des garçons divergent et, à l'issue de la terminale, 65 % des garçons obtiennent un bac scientifique, contre 39,8 % des filles. On a fait croire aux femmes qu'elles n'étaient pas faites pour les mathématiques. Les chiffres parlent d'eux-mêmes, et l'on connaît la survalorisation de cette section pour l'orientation ultérieure dans l'enseignement supérieur.

Pour faire évoluer ces chiffres, les lois, nous le savons bien, ne suffiront pas. C'est pourquoi nous devons agir sur les représentations des femmes dès le plus jeune âge, puis dans le milieu professionnel, tout au long de la vie. Or ces représentations proviennent bien souvent des médias. C'est à travers les images que leur renvoient les médias que les jeunes filles se construisent.

C'est la raison pour laquelle Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité, m'a confié en février 2008 la présidence d'une commission consacrée à l'image de la femme dans les médias, composée de chercheurs, de professionnels des médias – comme Marcel et Mercedes Erra pour la publicité, Frédéric Taddeï pour la télévision, Isabelle Falque-Pierrotin, la journaliste Annette Lévy-Willard –, d'entrepreneurs, de femmes et d'hommes libres qui ont pu aborder en profondeur la question de la représentation des trois enjeux fondamentaux de la modernité des femmes que sont l'accès au travail et au savoir, l'articulation des vies professionnelle et familiale, le rapport au corps et au désir.

Un important travail a été accompli en six mois. La télévision, la radio, la presse et la publicité ont été analysées par des chercheuses spécialisées en sémio-linguistique, qui ont repris des éléments de monitorage canadien. Les travaux de la commission se sont également appuyés sur l'audition de professionnels des médias, d'institutionnels, d'associations et de chercheurs spécialisés dans les médias. Enfin, des comparaisons ont été faites avec des expériences faites dans d'autres pays.

La conclusion du rapport remis à Valérie Létard en septembre 2008 montre que, en dépit des avancées notables, les femmes demeurent souvent « invisibles », « inaudibles » ou « secondaires » dans les médias. On a l'impression qu'elles sont partout, mais la façon dont elles sont représentées laisse à désirer. Sur le plan quantitatif, alors que les femmes composent 51 % de l'humanité, elles ne forment que 37 % des personnes présentes dans les médias, et les femmes ont moins de temps de parole que les hommes. En libre antenne, les femmes ont 7 % de temps de parole sur NRJ ! Autre exemple, dans la presse écrite hebdomadaire, 10 % d'articles sont consacrés aux femmes contre 50 % aux hommes, qui font aussi l'objet de trois fois plus de photos. Les hommes n'ont pas besoin d'avoir une presse masculine parce que la presse mixte est déjà masculine. Les femmes sont également davantage désignées par leur prénom : « Hillary » et son mari « Bill Clinton », « Ségolène » et « François Hollande ».

Lorsqu'elles interviennent dans une émission, c'est moins souvent en tant qu'expertes et plus souvent comme témoins ou victimes. Les experts sont à 85 % masculins alors qu'il y a aujourd'hui énormément de femmes qui sont des experts. Dans les débats, il y a une majorité d'hommes et, souvent, uniquement des hommes. Frédéric Taddeï fait remarquer que, souvent, les femmes hésitent à se retrouver seules dans un débat parce que leur parole est alors prise en compte comme la parole d'une femme. Il suffit qu'il y ait 30 % de femmes dans un débat pour que, tout d'un coup, il ne s'agisse plus de la parole des femmes, mais tout simplement de celle d'une personne s'exprimant sur le sujet abordé.

Face à ce constat, la commission a fait plusieurs propositions d'actions, qui privilégient le dialogue et la pédagogie avec les professionnels des médias. Elle a également formulé des propositions en termes d'éducation aux médias, pour que l'analyse des stéréotypes féminins en fasse partie intégrante.

La politique de prévention et de sensibilisation est un enjeu important. C'est pourquoi la commission a suggéré qu'un volet de décryptage des stéréotypes dans les médias soit intégré dans la convention interministérielle pour la promotion de l'égalité entre les filles et les garçons. Sur le plan communautaire, la Commission avait suggéré le lancement d'un projet de monitorage des médias européens, afin d'analyser les messages et images télévisuels, à l'instar du projet « screening gender » lancé par la Finlande en 1998. Cette proposition a été portée par Valérie Létard durant la présidence française de l'Union européenne.

Enfin, le rapport a débouché sur la création d'une mission permanente d'observation et de suivi des stéréotypes féminins, que je préside. Elle sera chargée de suivre les avancées réalisées, sur la base d'un rapport annuel des responsables des médias. Ces derniers devront nous rendre compte, chaque année, à partir d'indicateurs de suivi que nous leur fournirons, et nous les encouragerons aussi à une autorégulation. Un correspondant sera désigné dans chacun des médias afin d'établir un contact pérenne.

Grâce à ces outils, il va être possible de suivre régulièrement l'évolution de l'image de la femme dans les médias audiovisuels, de mener un travail de fond avec les professionnels, et de sensibiliser et prévenir davantage sur cette question, notamment grâce à l'éducation aux médias. Au niveau de la régulation, les lois existent et les régulateurs sont là. Mais il faut aujourd'hui essayer de changer les mentalités.

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