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Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Séance du 11 octobre 2011 à 17h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • ARTE
  • audience
  • diffusion
  • internet
  • télévision
  • émission

La séance

Source

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION

Mardi 11 octobre 2011

La séance est ouverte à dix-sept heures trente.

(Présidence de M. Michel Herbillon, vice- président de la Commission)

La Commission des affaires culturelles et de l'éducation entend Mme Véronique Cayla, présidente d'ARTE France.

PermalienPhoto de Michel Herbillon

Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Mme Véronique Cayla, présidente d'ARTE France depuis le mois de mars dernier. Il est encore temps, je pense, madame, de vous adresser nos félicitations pour vos nouvelles fonctions. Nous ne doutons pas que vous vous en acquitterez avec la même passion et le même talent que vous avez déployés lorsque vous étiez présidente du Centre national du cinéma (CNC).

Votre présence aujourd'hui est liée aux échéances importantes auxquelles la chaîne franco-allemande doit faire face cet automne : généralisation de la diffusion d'ARTE 24 heures sur 24 avec l'achèvement du passage au tout numérique et élaboration avec l'État d'un contrat d'objectifs et de moyens (COM) qui a été présenté au conseil des ministres en juillet mais qui, faisant l'objet d'un calendrier décalé par rapport à celui de France Télévisions, n'a pas encore été transmis au Parlement – notre Commission sera appelée à donner son avis le moment venu.

Vous nous direz sans doute quelles sont les orientations stratégiques que vous avez arrêtées et quels sont les moyens que l'État se propose de vous garantir pour les mettre en oeuvre. J'ajoute que nous porterons un intérêt particulier à votre présentation dans la mesure où la vocation culturelle d'ARTE concerne au premier chef les compétences de notre Commission. Je profite d'ailleurs de cette audition pour souligner la part active que prend ARTE dans l'exposition et la diffusion de la création dans tous les domaines et, notamment, dans celui du spectacle vivant – en partie à travers des canaux de diffusion innovants, sur internet, dans le cadre d'une entreprise que nous suivons avec beaucoup d'attention.

PermalienVéronique Cayla, présidente d'ARTE France

Je vous remercie de votre accueil, monsieur le président.

Le secteur de l'audiovisuel est un peu perturbé depuis qu'a été lancée la révolution numérique, voilà une dizaine d'années. En mutation permanente, il est secoué par des bouleversements successifs, parfois même simultanés, d'une grande brutalité : explosion des offres avec l'arrivée de la télévision numérique terrestre (TNT), qui a induit un déplacement de la rareté, des canaux de diffusion à la production de programmes ; apparition de la télévision délinéarisée, qui a fait passer d'une consommation familiale et collective de la télévision à une consommation individualisée où chacun regarde les programmes qui l'intéressent à l'heure qu'il veut et sur un support personnel ; explosion d'internet et des réseaux sociaux qui, en sens inverse, redonnent à la télévision une dimension socialisatrice ; arrivée de nouveaux acteurs comme Orange et Free ou, plus récemment, irruption de Canal Plus dans la télévision en clair, nouvelle donnée qui n'a pas fini de faire bouger les lignes.

Dans ce contexte, il importait de définir au plus vite quelques axes stratégiques précis dans le cadre de la préparation du COM qui couvrira la période 2012-2016. C'est à quoi Anne Durupty, directrice générale, et moi-même nous sommes employées dès notre arrivée à ARTE France, à la fin du mois de mars – j'avais toutefois pris un peu d'avance en travaillant à ARTE GEIE, à Strasbourg, depuis le 1er janvier –, mais, également, avec l'ensemble de nos équipes ainsi qu'avec nos ministères de tutelle, Bercy et la rue de Valois. La phase de conception administrative étant maintenant achevée, le COM devrait vous être communiqué prochainement, mais je souhaite d'ores et déjà vous en faire partager les grandes lignes.

Il comporte deux axes prioritaires.

Le premier est la relance éditoriale, nécessaire à court terme afin de redresser l'audience d'ARTE. Comme toutes les autres chaînes, je l'ai dit, la nôtre a été secouée par l'apparition et le développement des chaînes de la TNT. Nous sommes ainsi passés de six à dix-neuf, voire bientôt à vingt-cinq chaînes gratuites, ce qui a induit une grande fragmentation de l'audience. À cela s'ajoute pour ARTE une baisse du budget consacré aux programmes, par rapport à ses concurrentes, en particulier publiques. En effet, sur la durée du dernier COM, la chaîne a été amenée à consacrer les 20 millions d'économies qu'elle avait réussi à réaliser sur ses propres structures, ainsi qu'une grande partie de l'augmentation de redevance qui lui avait été accordée, à couvrir l'important accroissement de ses coûts de diffusion, découlant au cours ces quatre dernières années du passage à la haute définition et à la TNT ainsi que de l'organisation de la diffusion dans les DOM-TOM. Ce sont là autant de dépenses, certes tout à fait saines, mais qui ne concernent pas les programmes. Dans le même temps, des chaînes moins pauvres ont pu, elles, développer une ambitieuse politique de programmes – je songe en particulier à France 5 qui, grâce aux recettes de France Télévisions, a bénéficié d'un accroissement de son budget de plus de 10 % par an, contre 3 % environ pour nous. Dans le contexte de concurrence effrénée que nous avons connu, il est donc normal qu'ARTE ait rencontré des difficultés plus importantes que ses concurrentes.

Dans le cadre de cette relance éditoriale, une priorité s'impose : les programmes de journée. En effet, pour la première fois à la fin de l'année, ARTE sera reçue 24 heures sur 24 par tous les téléspectateurs auxquels il est important de montrer que nous ne sommes pas seulement capables de réaliser des programmes de soirée – comme cela a longtemps été le cas puisqu'ARTE n'était diffusée qu'à partir de 19 heures. Actuellement, de 6 heures à 19 heures, nous ne diffusons encore que 20 % de programmes inédits, le reste étant constitué de rediffusions conçues pour la soirée, ce qui n'est pas idéal. J'ajoute que, au total, les investissements d'ARTE dans les programmes de journée ne s'élèvent qu'à 5 millions par an, ce qui représente le coût d'une ou deux fictions sur TF1 ! C'est ainsi que nous proposons un spectacle d'une pauvreté redoutable à l'ensemble des téléspectateurs qui, peu à peu, nous découvrent – y compris pendant la journée – grâce à la télévision numérique. À partir du 1er janvier 2012, nous axerons notre effort sur les programmes du dimanche après-midi, moment où les téléspectateurs sont évidemment plus disponibles : une véritable vitrine culturelle leur montrera ainsi à quel point ARTE peut présenter des programmes intéressants.

Notre access prime time, quant à lui, sera centré sur le journal. Parce qu'il était difficile de proposer un programme solide avec une diffusion du journal télévisé à 19 heures, celui-ci sera programmé à 19 heures 45 à partir du 1er janvier prochain. Nous avons en effet convaincu nos partenaires allemands qu'il était préférable de diffuser ce programme unique à deux horaires différents afin de toucher un public plus large, en particulier en France. Même si cette tranche horaire est riche en émissions d'information, notre journal est très international et n'entre donc pas en concurrence avec ceux des autres chaînes. Il sera de surcroît encadré par des programmes inédits qui constitueront un socle solide à partir duquel nous édifierons une grille de programmation plus lisible et plus facile à mémoriser.

Pendant la journée, une programmation horizontale permettra de fixer des rendez-vous réguliers aux téléspectateurs, la programmation verticale du soir visant quant à elle à fidéliser le public du prime time afin qu'il reste sur la chaîne le plus tard possible. Nous proposerons ainsi des soirées qui seront autant de grands blocs identifiables et mémorisables : par exemple, cinéma le lundi, investigation le mardi, soirées réservées aux auteurs le mercredi… Cette grille sera également plus souple puisque nous aurons toute latitude pour innover au sein de chacun de ces blocs tout en créant des passerelles entre ce que nous faisons sur internet et ce que nous diffusons à l'antenne, alors que les deux domaines sont jusqu'ici séparés.

Même si cela ne sera pas facile, nous voulons aussi moderniser le ton des programmes. Nous avons déjà ouvert ce chantier qui nous tient à coeur en dialoguant avec les producteurs et les réalisateurs de manière à promouvoir ensemble un ton un peu moins docte et sérieux – plus joyeux.

Nous essaierons également de promouvoir des programmes plus centrés sur le présent et l'avenir. Cela n'empêchera pas de continuer à présenter des émissions historiques, mais nous ferons en sorte qu'elles entrent en résonance avec notre époque, qu'elles aident à mieux la comprendre.

Enfin, nous veillerons à ce que la diversité soit mieux représentée sur nos écrans afin que notre société métissée s'y reconnaisse.

Second axe : la stratégie de développement numérique.

Pour le dire brièvement : si ARTE a été bousculée par la TNT, c'est internet qui lui permettra de repartir de plus belle. La chaîne, en effet, a toujours été pionnière sur le web en concevant la première catch-up TV, la télévision de rattrapage ARTE+7. Le succès a été au rendez-vous en rendant un grand service au public qui n'a pas toujours le temps de regarder les émissions qu'il souhaiterait voir. ARTE est également la première chaîne pour la création de « web docs » et de « web fictions ». Nous continuerons donc notre action dans ce domaine, y compris avec des partenaires étrangers – une coproduction réalisée avec le Canada est actuellement diffusée.

Parallèlement, nous continuerons à déployer ARTE sur tous les supports afin d'atteindre le public là où il se trouve : beaucoup de jeunes ayant abandonné le téléviseur familial au profit du micro-ordinateur, il importe de leur proposer des programmes susceptibles de les conduire sur ARTE à partir de ce dernier. D'ici à la fin de l'année, la chaîne sera ainsi diffusable en flux permanent sur notre site et au-delà.

Nous développerons également les programmes hybrides – conçus d'une façon différente mais à partir d'une même réflexion sur un même sujet –, dédiés à la fois à l'internet et à l'antenne, de façon à pouvoir utiliser simultanément ces deux vecteurs. C'est ainsi que nous nous préparerons à la télévision connectée qui, source d'inquiétude pour les chaînes privées françaises – les programmes sportifs ou américains, par exemple, risquent d'arriver directement sur l'écran du téléspectateur sans passer par elles –, constitue en revanche pour ARTE une grande chance puisque nos productions pourront être diffusées auprès du public d'une manière un peu plus large. Grâce à la télévision connectée, nous pourrons proposer sur un même écran un programme relativement grand public et des compléments destinés à un public plus spécialisé souhaitant approfondir le thème traité.

Par ailleurs, ARTE occupe un seul canal de diffusion sur la TNT. Afin de sortir de cette situation peu enviable, nous travaillons à la création d'un groupe ou d'une galaxie sur internet de manière à multiplier les contacts avec l'ensemble des publics. Nous disposons déjà de deux plateformes. La première, ARTE Live Web, est dédiée aux spectacles vivants : diffusion de spectacles passés et présents, programmation de festivals qui souhaitent accroître leur audience nationale et internationale – les artistes en sont demandeurs car ils peuvent ainsi donner rendez-vous à leurs amis du monde entier pour suivre leur spectacle ou leur concert en direct. La seconde, ARTE Creative, est consacrée aux arts numériques et fonctionne sur le même principe que la première en diffusant des programmes comme ARTE Video Night, ou d'autres qui nous sont vendus, prêtés ou donnés, ainsi que nos archives. Les plateformes thématiques les plus abouties seront relinéarisées et transformées en chaînes légères d'un nouveau genre, qui permettront d'attirer sur Internet – ce sera le cas dès 2012 ou 2013 avec ARTE Live Web – les personnes intéressées par tel ou tel thème mais qui ne recourraient peut-être pas volontiers à la vidéo à la demande (video on demand, VOD) ou à la catch-up TV. Ces « chaînes 2.0 », vaguement inspirées de ce qu'expérimente Orange – une petite vitrine linéarisée à l'intérieur de laquelle des « poches » de VOD permettent à ceux qui veulent aller plus loin d'accéder à l'ensemble de la plateforme –, ont un grand avenir devant elles.

Dans le cadre du COM à venir, nous ambitionnons également de développer deux ou trois autres plateformes sur nos thématiques privilégiées, telles que l'histoire, l'écologie ou le cinéma.

Après avoir lancé ces différents satellites, nous nous adresserons à nos voisins européens pour leur proposer de concevoir ensemble de petites chaînes de télévisons culturelles numériques, adaptées certes à leurs spécificités et comprenant donc des productions propres mais, également, des programmations de spectacle vivant, d'histoire ou d'arts numériques. C'est ainsi que nous réussirons l'européanisation d'ARTE, laquelle s'est jusqu'à présent bien développée dans les pays francophones et germanophones – Autriche, Belgique, Suisse, Allemagne et France – mais peu ailleurs.

Le Gouvernement a approuvé ces orientations stratégiques et a accordé à ARTE une augmentation de la dotation publique de 7,3 % pour 2012 avec une progression moyenne annuelle du montant de contribution à l'audiovisuel public de 3,8 % sur la durée du COM ce qui, dans le contexte que nous connaissons, est évidemment très positif. Nous lui en sommes reconnaissants car cela encourage formidablement les équipes d'ARTE à mener à bien notre virage éditorial et à établir une nouvelle grille de programmes permettant à la chaîne de renforcer ses fondamentaux tout en se rendant plus accessible.

ARTE, issue d'une initiative franco-allemande, fonctionne. Depuis le début de l'année, à Strasbourg, nous fabriquons une maison commune – dont nous ressentons chaque jour l'absolue nécessité – avec toutes les difficultés et toute la passion que cela peut représenter. Nous découvrons que bien des choses nous séparent mais lorsque nous faisons l'effort d'en comprendre les raisons, notre union n'en devient ensuite que plus solide. Après le travail remarquable réalisé pendant vingt ans par les équipes qui nous ont précédés – et que je salue – au bénéfice d'une vision commune de l'histoire de nos deux pays, nous devons maintenant travailler à élaborer une vision commune du présent et de l'avenir en faisant en sorte qu'autour d'ARTE se crée une opinion publique partageant un imaginaire susceptible de s'étendre à toute l'Europe. Acteur indispensable pour réussir le passage vers une Europe un peu plus politique, ARTE jouera un rôle essentiel pour sortir de la crise que nous connaissons.

PermalienPhoto de Christian Kert

Pendant vingt ans, votre prédécesseur, M. Jérôme Clément, a eu une paix royale parce qu'ARTE était systématiquement oubliée chaque fois que s'ouvrait un débat sur l'audiovisuel ! Tel n'est heureusement plus le cas : nous pouvons aujourd'hui penser ensemble le destin de votre chaîne.

Vous avez pris conscience de deux problèmes essentiels : la faiblesse de l'audience d'ARTE, tout d'abord, alors qu'il est tout à fait possible pour une chaîne de promouvoir des programmes culturels tout en étant regardée ; la nécessité, ensuite, de conquérir un public européen et international, au lieu de s'en tenir au seul « socle » franco-allemand. Précisément, au niveau européen, comment envisagez-vous le partenariat avec Euronews sachant que vous avez bâti une stratégie pour éviter les scènes de ménage audiovisuelles ? Est-ce dans le cadre d'une division du travail – à l'une l'information, à l'autre la culture – ou peut-on concevoir un autre type de complémentarité ? Au niveau international, quelle peut être la place d'ARTE au sein du périmètre élargi de l'audiovisuel extérieur de la France – France 24, TV5 Monde, France 2, laquelle fait des efforts en la matière –, sachant que votre journal de 19 heures est déjà très orienté vers l'international ?

Enfin, n'auriez-vous pas, en partant du CNC, dérobé quelques films que vous pourriez diffuser le samedi soir sur ARTE ? Si intéressé qu'on soit par les programmes culturels, il faut tout de même s'accrocher pour rester devant cette chaîne ce soir-là !

PermalienPhoto de Patrick Bloche

Nous vous avons écoutée avec beaucoup d'attention et d'enthousiasme, madame, et nous rendons hommage à votre volonté d'enrayer la baisse d'audience d'ARTE et de vous mobiliser pour faire face à une concurrence qui ne fera sans doute que s'accroître. En effet, alors que l'audience des chaînes de la TNT augmente, que les chaînes historiques privées les colonisent et que la concurrence d'Internet est de plus en plus sensible, ARTE se doit de défendre sa « marque » et l'originalité de sa programmation.

En attendant d'examiner le COM 2012-2016 – que les députés du groupe SRC regarderont, je l'espère, d'un oeil moins critique que celui de France Télévisions –, je vous poserai quelques brèves questions.

Vous évoquez une augmentation des ressources publiques d'ARTE de 7,3 % pour 2012. Il existe peut-être un danger de rabotage, moins du fait de notre Commission que d'une commission voisine, si nous en croyons en tout cas les échos qui nous sont parvenus s'agissant des ressources publiques de France Télévisions, mais nous saurons vous défendre ! Admettons donc que cette progression soit maintenue : sera-t-elle suffisante pour mettre en place une grille de programmes de journée avec le plan de productions et d'achats que cela suppose, sachant de surcroît que vos coûts de diffusion ont augmenté de 46 % entre 2007 et 2011 pour les raisons que vous avez évoquées ?

Vous avez bien entendu raison de vouloir maintenir l'avance d'ARTE sur internet – la chaîne a été pionnière en la matière et vous êtes un modèle pour France Télévisions –, mais, là encore, disposerez-vous des moyens de vos ambitions, notamment s'agissant de la création par les téléspectateurs de leur propre chaîne web 2.0 ?

ARTE participe très fortement à la création télévisuelle et cinématographique française à travers la commande de programmes originaux et innovants mais, également, par la production de longs et courts métrages. Quel regard portez-vous donc sur le financement de cette création ? Que pensez-vous de la crise de la fiction française dont on déplore la faible audience par rapport à d'autres fictions nationales ? Tient-elle comme on le suggère à des problèmes d'écriture des scénarios ? Avez-vous les moyens de promouvoir des fictions suffisamment attractives pour assurer à ARTE les audiences dont elle a besoin ?

Enfin, je ne dirai rien du financement du CNC et du souhait qu'ont certains d'en capter les éventuels surplus…

PermalienPhoto de Françoise de Panafieu

Précisément, Madame, vous qui avez présidé le CNC et dont nous connaissons l'attachement au cinéma, comment envisagez-vous la politique cinématographique d'ARTE ?

PermalienPhoto de Martine Martinel

À propos du contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions, sur lequel la Commission était appelée à donner son avis la semaine dernière, il a souvent été question de rajeunissement de l'audience. Est-ce aussi un de vos objectifs sachant que l'âge moyen du public d'ARTE – si l'on exclut les utilisateurs du site arte.fr – serait compris entre 55 et 60 ans ?

Quel regard portez-vous sur l'audiovisuel extérieur de la France ?

PermalienPhoto de Muriel Marland-Militello

Il vous faut résoudre la quadrature du cercle. De toute évidence, vous souhaitez développer votre audience, ce qui signifie, je suppose, la diversifier. Mais ce faisant, n'allez-vous pas perdre votre âme ? Le risque, si vous parvenez à capter un public plus important, est de devenir une chaîne comme les autres.

Le ton très sophistiqué employé par certaines présentatrices éloigne peut-être beaucoup de jeunes téléspectateurs – même si, personnellement, il me séduit plutôt – mais le rôle d'ARTE est de démocratiser l'accès à la culture en suscitant le désir de culture, pas en abaissant le niveau de qualité des programmes.

Dans un autre ordre d'idées, il est regrettable que des films coproduits par ARTE puissent être tournés dans d'autres pays que la France ou l'Allemagne. Ne pourriez-vous convaincre vos partenaires de ne pas délocaliser les productions ? Quel est votre pouvoir dans ce domaine ?

PermalienPhoto de Marie-Hélène Thoraval

Je note trois points importants dans vos propos : une érosion de l'audience, un écart grandissant entre la structure du public d'ARTE France et de celui de la télévision en général, et le développement du site Internet, qui permet, je crois, de revoir 65 % des programmes diffusés.

Vous proposez, dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens, une nouvelle stratégie destinée à donner à un plus large public l'accès aux programmes de la chaîne. Quelle importance attribuez-vous à la télévision à la demande par rapport à la télévision traditionnelle ? Disposez-vous d'un outil permettant de mesurer si la diffusion cumulée sur la télévision et Internet a permis d'élargir votre public ?

Les programmes diffusés sur ces deux supports touchent-ils des publics si différents ?

Enfin, comment vous préparez-vous à l'arrivée de la télévision connectée ?

PermalienPhoto de Alain Marc

Pour élargir la plage horaire de diffusion, vous souhaitez forcer l'allure sur les programmes de journée, mais ce n'est pas le nombre de mots qui fait la qualité d'une dissertation. Ne prenez-vous pas le risque de diluer la qualité des programmes ?

PermalienPhoto de René Couanau

Vos orientations ont le mérite de la clarté : c'est une bonne stratégie, car il faut éviter de courir plusieurs lièvres à la fois. J'apprécie aussi votre intention de prolonger la diffusion grâce à l'internet et, en particulier, de compléter les émissions diffusées à la télévision par des programmes plus spécialisés.

Contrairement à certains de mes collègues, je ne suis pas favorable à un élargissement de la base franco-allemande d'ARTE. D'abord, nous avons vu ailleurs quels pouvaient en être les résultats ; ensuite, les liens entre les deux pays ont plutôt besoin d'être consolidés.

Vous avez énuméré les points forts de votre ligne éditoriale : spectacle vivant, cinéma, histoire, art lyrique… Qu'en est-il du livre ? Il n'y a plus d'émission littéraire sur la plupart des chaînes. Comment familiariser le public avec le livre, moderne ou ancien ?

Vous sentez-vous une vocation pédagogique, notamment à travers les prolongements que vous souhaitez donner aux émissions de jour ? Le public scolaire me paraît très demandeur. Alors que les écoles sont le lieu d'innombrables projets, les professeurs restent laissés à eux-mêmes et n'ont pas beaucoup la possibilité de s'appuyer sur des médias.

Se rapprocher des jeunes, vulgariser ne signifie pas tomber dans la vulgarité ; dès lors, vous pouvez garder votre spécificité tout en rajeunissant votre audience.

Enfin, votre ligne éditoriale pourrait-elle inclure une politique des territoires ? La France et l'Allemagne sont diverses, mais la culture peut être très centralisatrice. Avez-vous une vocation de décentralisation culturelle ?

PermalienPhoto de Jean-Jacques Gaultier

ARTE est plébiscitée par les Français : d'après des sondages récents, une personne sur deux la considère comme la meilleure chaîne de documentaires et de reportages, loin devant France 5 et France 3. Elle doit donc améliorer ses points faibles, mais surtout conforter ses points forts, afin de garder une bonne visibilité.

Quel est le coût de votre grille de programmes par rapport aux dépenses totales de la chaîne ?

Dans un contexte de basculement vers le média global, de porosité entre la télévision et Internet, alors que se développe une consommation délinéarisée de la télévision, pouvez-vous préciser vos projets en matière de développement de la création sur les canaux de diffusion alternatifs – domaine dans lequel la chaîne est également bien placée, notamment grâce aux web-documentaires ?

PermalienPhoto de Bernard Debré

Beaucoup, ici, se posent la même question : en voulant vous rajeunir, adopter un autre langage, ne risquez-vous pas de vous rapprocher des autres chaînes, dans ce qu'elles ont de bien, mais aussi de pire – comme la téléréalité ? Ce qui fait la spécificité d'ARTE, c'est justement son sérieux, son souci didactique, la place qu'y occupe l'histoire. Rajeunir, oui ; regarder vers le futur, bien entendu. Mais allez-vous rester une chaîne à part ?

Beaucoup ne comprennent pas qu'il puisse y avoir deux catégories de public selon le canal de diffusion. À vous écouter, regarder ARTE sur internet ne serait pas la même chose que la regarder sur la télévision. Pourquoi ? La différence est-elle si importante ?

PermalienPhoto de Michel Herbillon

Comment la nouvelle stratégie d'ARTE va-t-elle se traduire dans le contenu des programmes, et leur permettre d'évoluer tout en préservant la spécificité de la chaîne ?

En tant que présidente d'ARTE France, quel regard portez-vous sur ARTE Allemagne ? Quels sont les points de divergence et les synergies entre les deux entreprises ?

PermalienVéronique Cayla, présidente d'ARTE France

Je commencerai par l'essentiel : ARTE est une chaîne culturelle, une chaîne européenne, une chaîne franco-allemande, et il n'est pas question que cela change. Ce sont ces spécificités qui font que j'ai été choisie, et c'est ce qui m'intéresse. Il n'y a donc pas l'ombre d'un doute sur le fait – peut-être aurais-je dû commencer par là – qu'ARTE doit rester fidèle à ses fondamentaux et, par exemple, à une composition de ses programmes qui, avec 40 % de documentaires, n'a rien à voir avec celle des autres chaînes.

Nous ne sommes pas moins en droit de nous inquiéter – comme d'ailleurs les autres chaînes historiques – de la baisse de l'audience et de son vieillissement. À ce phénomène, il est possible d'apporter des éléments de réponse grâce à la révolution numérique, sans pour autant toucher aux équilibres fondamentaux. Nous avons donc réfléchi, en préparant le contrat d'objectifs et de moyens, aux possibilités de développer ARTE tout en lui conservant sa spécificité dans le paysage audiovisuel.

Mais les autres chaînes de la TNT se ressemblent toutes, et se ressembleront d'autant plus qu'elles seront plus nombreuses. C'est donc en cultivant notre différence que nous montrerons combien joyeux est notre avenir : soyez rassurés sur ce point.

Même si nous ne diffusons pas d'émissions pédagogiques en tant que telles, les programmes d'ARTE Junior, diffusés pendant deux heures le samedi, le dimanche et le mercredi matin, offrent des émissions remarquables, qui n'ont rien à voir avec ce que les autres chaînes proposent aux enfants. Cela fait partie des efforts consentis pour améliorer les programmes de journée. On me dit d'ailleurs qu'ARTE Junior est autant regardée par des grands-parents que par des enfants : tant mieux !

Dans le même esprit, on peut citer « Le dessous des cartes », une émission réalisée depuis vingt ans par Jean-Christophe Victor. Bien qu'elle ne soit pas classée comme telle, elle est très pédagogique et instructive.

Plus pointue, mais tout aussi passionnante est l'émission « Philosophie », dont le premier coffret de DVD vient d'être publié. Son objectif est de rendre la philosophie accessible au public, ce à quoi parvient parfaitement Raphaël Enthoven – même s'il parle un peu trop vite à mon goût…

Du côté des programmes plus « unitaires », nous avons également proposé « Le destin de Rome », une émission réalisée avec d'importants moyens numériques permettant de reconstituer la ville à l'époque des empereurs, avec des acteurs parlant latin. Rappelant combien cette langue a été vivante, l'émission a bénéficié d'un succès d'audience remarquable : près d'un million de téléspectateurs. Je continuerai à encourager le plus fortement possible des projets de ce type.

Mais cela ne veut pas dire que l'on ne peut pas chercher à intéresser tous les publics. Plusieurs d'entre vous se sont demandé s'il fallait ou non tenter de rajeunir l'audience. Grâce au site internet et à la télévision de rattrapage, les mêmes émissions peuvent être diffusées sur la télévision et sur l'ordinateur. Elles sont donc susceptibles de toucher des gens qui ne regardent plus beaucoup la télévision classique. Et il est vrai que si, sur la TNT, la moyenne d'âge du public est d'un peu moins de 60 ans, elle est de 40 ans pour les mêmes programmes diffusés sur Internet. La conclusion est simple : ce ne sont pas les programmes qui attirent un public jeune ou vieillissant, mais les supports. Il ne sert donc à rien de tenter de toucher les plus jeunes sur la télévision classique : ils sont déjà partis ailleurs. Ceux qui essaient de rajeunir leur audience vont perdre les vieux sans atteindre les jeunes.

Notre stratégie est au contraire de mettre tous nos programmes à disposition sur tous les supports : télévision, micro-ordinateurs, tablettes, etc. Ainsi, si les jeunes n'ont plus envie de regarder la télévision le soir avec papa et maman – ce qui me paraît probable –, ils la regarderont dans leur chambre, sur leur ordinateur. Ce qui m'importe, c'est qu'ils regardent ARTE. De fait, un foyer dont les membres regardent ensemble la télévision, c'est une situation en train de disparaître.

Nous n'allons donc pas modifier nos programmes, mais je voudrais seulement que le ton en soit un peu plus joyeux, moins austère, que l'on entre plus vite dans le sujet, afin que le spectateur ne zappe pas au bout de quelques minutes.

S'agissant de la télévision connectée, nous réalisons ce mois-ci une première expérience à partir d'un programme que je vous recommande, « Les combattants de l'ombre », consacré à la Résistance dans quatorze pays d'Europe. Les rares personnes disposant d'une télévision connectée pourront, en plus de cette émission, visionner des compléments, comme l'intégralité des entretiens avec les témoins apparaissant dans le film. Ils pourront ainsi, sur le même écran, approfondir le sujet proposé. C'est pour nous une perspective extrêmement intéressante, et une importante piste de travail. Nous sommes d'ailleurs les premiers à mener des expériences de ce genre.

Pour ce qui est de l'international, nous sommes actionnaires de TV5, chaîne avec laquelle nous avons des relations étroites. C'est par son intermédiaire que nous jetons des passerelles – échanges et coproductions – avec l'Audiovisuel extérieur de la France. Quant aux journaux, ils sont consacrés exclusivement à l'international et à la culture. Ils ne durent, sur ARTE, qu'un quart d'heure par jour mais nous y tenons, car ils permettent à la chaîne de conserver un ancrage dans l'actualité à un moment où nous souhaitons qu'elle regarde un peu moins vers le passé.

J'en viens à la question du financement. L'augmentation de 7,3 % de la dotation publique représente un effort notable dont nous remercions l'État, mais il faut savoir que cela ne représente que 18 millions d'euros. Grâce à cette somme et aux économies de structure que nous parvenons encore à réaliser, nous allons ajouter 20 millions d'euros au budget de programmes en 2012, afin de financer la nouvelle grille. Cette relance éditoriale nous paraît indispensable, ne serait-ce que pour rattraper les chaînes qui ont bénéficié par le passé de moindres coûts de diffusion.

Bien sûr, plus on a d'argent, mieux c'est. Avec plus de moyens, nous pourrions proposer davantage de programmes inédits pendant la journée, développer la programmation du dimanche, consolider ARTE Junior, et peu à peu faire reculer ce désert que constituent durant la journée les rediffusions de programmes de soirée. Mais je suis sensible à l'effort consenti, et je remercie ceux qui nous ont compris et soutenus.

La crise de la fiction est un problème délicat, pour lequel nous n'avons guère d'autre solution que faire preuve d'audace – car, s'agissant de séries, ARTE n'a pas grand-chose à perdre. La série s'impose en effet comme le genre premier, le programme-roi de la télévision, mais, avec nos pauvres moyens, nous n'avons la possibilité d'investir que dans une par an. Nous ne pouvons donc pas réaliser de nombreuses expériences et, au vu des résultats obtenus depuis un peu plus d'un an, on ne peut pas dire qu'ARTE ait trouvé la solution miracle. Nous devons toutefois persévérer, faire preuve d'audace, accroître les crédits de développement, d'écriture. Cela signifie aussi savoir arrêter quand le résultat n'est pas convaincant.

PermalienPhoto de Françoise de Panafieu

Combien coûte une série comme « Les Borgia » ?

PermalienVéronique Cayla, présidente d'ARTE France

C'est un budget considérable. Nous sommes à des années-lumière de ces possibilités d'investissement. Ce n'est d'ailleurs pas notre vocation.

La politique cinématographique d'ARTE est totalement différente de celle des autres chaînes de télévision françaises et, probablement, étrangères. ARTE est connue dans le monde entier comme la chaîne qui produit des films d'auteur : il n'y en a pas d'autre. Canal Plus, elle, ne produit pas de telles oeuvres : elle les pré-achète, d'ailleurs pas très souvent. La réputation d'ARTE en la matière est excellente et, bien entendu, nous ne changerons rien à cette politique.

Nous produisons un peu plus de vingt films par an, et nous en diffusons environ 300. Nous sommes le premier diffuseur de cinéma à la télévision en France, car les autres chaînes s'en désintéressent. En outre, 30 % des films diffusés sont des films européens non français, alors que cette proportion est proche de zéro sur les autres chaînes. Enfin, depuis quelques mois, nous diffusons tous nos films en version originale sous-titrée, car la langue constitue l'ADN d'une chaîne culturelle.

En revanche, la diffusion de films est, à mon grand regret, interdite certains jours à la télévision, notamment le samedi soir. Je ne désespère pas, cependant, de voir ces règles modifiées un jour.

PermalienPhoto de Michel Herbillon

On pourrait imaginer de faire une exception pour ARTE.

PermalienVéronique Cayla, présidente d'ARTE France

C'est en effet une hypothèse dont nous discutons avec les professionnels du secteur du cinéma, d'autant que cette interdiction ne résulte pas de la réglementation, mais d'un gentleman's agreement. À l'heure où la télévision se consomme de manière délinéarisée, le maintien de ce genre d'interdit est ridicule.

Dans la mesure où nous produisons de nombreux films européens, il est difficile d'échapper à la délocalisation. Comment demander à Lars von Trier de tourner en France ? Pourtant, Aki Kaurismäki, un des meilleurs auteurs de cinéma finlandais, vient de terminer le tournage, en France et en français, d'un film appelé Le Havre. Raoul Ruiz a de même tourné dans notre pays une partie des Mystères de Lisbonne. Nous faisons tout ce que nous pouvons en la matière, mais notre vocation européenne nous incite à respecter la logique des auteurs, qui tiennent légitimement à montrer le pays où ils ont leurs racines.

L'une des raisons pour lesquelles il y a aussi peu d'émissions littéraires sur ARTE – ce que je regrette comme le regrettait également Jérôme Clément – est que nous sommes une chaîne franco-allemande et que tous nos programmes sont diffusés dans les deux pays. Il est dès lors difficile de trouver une formule permettant de parler du livre en surmontant l'obstacle linguistique. Lorsqu'on lit des extraits d'un livre, le doublage devient vite insupportable. Nous cherchons donc la bonne façon de présenter des oeuvres littéraires.

Pour la même raison, ARTE ne peut pas proposer des débats comme le fait France 5 : il est difficile de mettre quatre personnes autour d'une table si la moitié des propos échangés doit être doublée dans une autre langue.

Vous m'avez interrogée sur la politique des territoires. Plusieurs régions françaises se sont manifestées depuis la mise en place d'ARTE Live Web, la plateforme de spectacle vivant, afin de nous demander de diffuser les festivals de musique ou de théâtre qu'elles subventionnent. Certaines régions ont ainsi proposé de passer des accords de conventionnement pour développer une politique commune en ce domaine.

PermalienVéronique Cayla, présidente d'ARTE France

Le Nord-Pas-de-Calais, le Centre, le Languedoc-Roussillon – des régions avec lesquelles nous avions déjà passé des conventions lorsque je dirigeais le CNC. Je suis évidemment favorable à cette politique, dont j'ai pu voir les effets bénéfiques pour le cinéma.

Nous pourrions prendre une heure entière pour évoquer les rapports entre ARTE France et ARTE Allemagne, un sujet très compliqué. Tous les jours, je découvre de nouvelles différences entre les deux entreprises. Et elles sont fortes, ne serait-ce que parce que ARTE Deutschland est une filiale de l'ARD et de la ZDF, tandis que nous avons conservé, par rapport à France Télévisions ou à l'Audiovisuel extérieur de la France, une autonomie qui garantit la particularité de notre ligne éditoriale.

Tout est différent en Allemagne. Rien ne se passe à Berlin, mais tout dans les Länder ; les institutions défendent toujours le secteur privé contre le secteur public, alors qu'en France, c'est plutôt l'inverse ; on s'y méfie beaucoup de l'État, du centre… Les deux démarches sont très différentes et les deux entreprises ne fonctionnent pas de la même façon. Je préférerais toutefois que nous en reparlions lorsque j'aurai une année d'expérience de l'Allemagne et d'ARTE Deutschland.

PermalienPhoto de Michel Herbillon

Nous aurons de toute façon plaisir à vous entendre à nouveau – et, d'abord, lorsque viendra pour nous le moment de nous prononcer sur le contrat d'objectifs et de moyens d'ARTE. Je vous remercie pour cet exposé passionnant sur la nouvelle stratégie de la chaîne, ainsi que pour vos réponses.

La séance est levée à dix-huit heures cinquante.