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Intervention de Véronique Cayla

Réunion du 11 octobre 2011 à 17h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Véronique Cayla, présidente d'ARTE France :

Je vous remercie de votre accueil, monsieur le président.

Le secteur de l'audiovisuel est un peu perturbé depuis qu'a été lancée la révolution numérique, voilà une dizaine d'années. En mutation permanente, il est secoué par des bouleversements successifs, parfois même simultanés, d'une grande brutalité : explosion des offres avec l'arrivée de la télévision numérique terrestre (TNT), qui a induit un déplacement de la rareté, des canaux de diffusion à la production de programmes ; apparition de la télévision délinéarisée, qui a fait passer d'une consommation familiale et collective de la télévision à une consommation individualisée où chacun regarde les programmes qui l'intéressent à l'heure qu'il veut et sur un support personnel ; explosion d'internet et des réseaux sociaux qui, en sens inverse, redonnent à la télévision une dimension socialisatrice ; arrivée de nouveaux acteurs comme Orange et Free ou, plus récemment, irruption de Canal Plus dans la télévision en clair, nouvelle donnée qui n'a pas fini de faire bouger les lignes.

Dans ce contexte, il importait de définir au plus vite quelques axes stratégiques précis dans le cadre de la préparation du COM qui couvrira la période 2012-2016. C'est à quoi Anne Durupty, directrice générale, et moi-même nous sommes employées dès notre arrivée à ARTE France, à la fin du mois de mars – j'avais toutefois pris un peu d'avance en travaillant à ARTE GEIE, à Strasbourg, depuis le 1er janvier –, mais, également, avec l'ensemble de nos équipes ainsi qu'avec nos ministères de tutelle, Bercy et la rue de Valois. La phase de conception administrative étant maintenant achevée, le COM devrait vous être communiqué prochainement, mais je souhaite d'ores et déjà vous en faire partager les grandes lignes.

Il comporte deux axes prioritaires.

Le premier est la relance éditoriale, nécessaire à court terme afin de redresser l'audience d'ARTE. Comme toutes les autres chaînes, je l'ai dit, la nôtre a été secouée par l'apparition et le développement des chaînes de la TNT. Nous sommes ainsi passés de six à dix-neuf, voire bientôt à vingt-cinq chaînes gratuites, ce qui a induit une grande fragmentation de l'audience. À cela s'ajoute pour ARTE une baisse du budget consacré aux programmes, par rapport à ses concurrentes, en particulier publiques. En effet, sur la durée du dernier COM, la chaîne a été amenée à consacrer les 20 millions d'économies qu'elle avait réussi à réaliser sur ses propres structures, ainsi qu'une grande partie de l'augmentation de redevance qui lui avait été accordée, à couvrir l'important accroissement de ses coûts de diffusion, découlant au cours ces quatre dernières années du passage à la haute définition et à la TNT ainsi que de l'organisation de la diffusion dans les DOM-TOM. Ce sont là autant de dépenses, certes tout à fait saines, mais qui ne concernent pas les programmes. Dans le même temps, des chaînes moins pauvres ont pu, elles, développer une ambitieuse politique de programmes – je songe en particulier à France 5 qui, grâce aux recettes de France Télévisions, a bénéficié d'un accroissement de son budget de plus de 10 % par an, contre 3 % environ pour nous. Dans le contexte de concurrence effrénée que nous avons connu, il est donc normal qu'ARTE ait rencontré des difficultés plus importantes que ses concurrentes.

Dans le cadre de cette relance éditoriale, une priorité s'impose : les programmes de journée. En effet, pour la première fois à la fin de l'année, ARTE sera reçue 24 heures sur 24 par tous les téléspectateurs auxquels il est important de montrer que nous ne sommes pas seulement capables de réaliser des programmes de soirée – comme cela a longtemps été le cas puisqu'ARTE n'était diffusée qu'à partir de 19 heures. Actuellement, de 6 heures à 19 heures, nous ne diffusons encore que 20 % de programmes inédits, le reste étant constitué de rediffusions conçues pour la soirée, ce qui n'est pas idéal. J'ajoute que, au total, les investissements d'ARTE dans les programmes de journée ne s'élèvent qu'à 5 millions par an, ce qui représente le coût d'une ou deux fictions sur TF1 ! C'est ainsi que nous proposons un spectacle d'une pauvreté redoutable à l'ensemble des téléspectateurs qui, peu à peu, nous découvrent – y compris pendant la journée – grâce à la télévision numérique. À partir du 1er janvier 2012, nous axerons notre effort sur les programmes du dimanche après-midi, moment où les téléspectateurs sont évidemment plus disponibles : une véritable vitrine culturelle leur montrera ainsi à quel point ARTE peut présenter des programmes intéressants.

Notre access prime time, quant à lui, sera centré sur le journal. Parce qu'il était difficile de proposer un programme solide avec une diffusion du journal télévisé à 19 heures, celui-ci sera programmé à 19 heures 45 à partir du 1er janvier prochain. Nous avons en effet convaincu nos partenaires allemands qu'il était préférable de diffuser ce programme unique à deux horaires différents afin de toucher un public plus large, en particulier en France. Même si cette tranche horaire est riche en émissions d'information, notre journal est très international et n'entre donc pas en concurrence avec ceux des autres chaînes. Il sera de surcroît encadré par des programmes inédits qui constitueront un socle solide à partir duquel nous édifierons une grille de programmation plus lisible et plus facile à mémoriser.

Pendant la journée, une programmation horizontale permettra de fixer des rendez-vous réguliers aux téléspectateurs, la programmation verticale du soir visant quant à elle à fidéliser le public du prime time afin qu'il reste sur la chaîne le plus tard possible. Nous proposerons ainsi des soirées qui seront autant de grands blocs identifiables et mémorisables : par exemple, cinéma le lundi, investigation le mardi, soirées réservées aux auteurs le mercredi… Cette grille sera également plus souple puisque nous aurons toute latitude pour innover au sein de chacun de ces blocs tout en créant des passerelles entre ce que nous faisons sur internet et ce que nous diffusons à l'antenne, alors que les deux domaines sont jusqu'ici séparés.

Même si cela ne sera pas facile, nous voulons aussi moderniser le ton des programmes. Nous avons déjà ouvert ce chantier qui nous tient à coeur en dialoguant avec les producteurs et les réalisateurs de manière à promouvoir ensemble un ton un peu moins docte et sérieux – plus joyeux.

Nous essaierons également de promouvoir des programmes plus centrés sur le présent et l'avenir. Cela n'empêchera pas de continuer à présenter des émissions historiques, mais nous ferons en sorte qu'elles entrent en résonance avec notre époque, qu'elles aident à mieux la comprendre.

Enfin, nous veillerons à ce que la diversité soit mieux représentée sur nos écrans afin que notre société métissée s'y reconnaisse.

Second axe : la stratégie de développement numérique.

Pour le dire brièvement : si ARTE a été bousculée par la TNT, c'est internet qui lui permettra de repartir de plus belle. La chaîne, en effet, a toujours été pionnière sur le web en concevant la première catch-up TV, la télévision de rattrapage ARTE+7. Le succès a été au rendez-vous en rendant un grand service au public qui n'a pas toujours le temps de regarder les émissions qu'il souhaiterait voir. ARTE est également la première chaîne pour la création de « web docs » et de « web fictions ». Nous continuerons donc notre action dans ce domaine, y compris avec des partenaires étrangers – une coproduction réalisée avec le Canada est actuellement diffusée.

Parallèlement, nous continuerons à déployer ARTE sur tous les supports afin d'atteindre le public là où il se trouve : beaucoup de jeunes ayant abandonné le téléviseur familial au profit du micro-ordinateur, il importe de leur proposer des programmes susceptibles de les conduire sur ARTE à partir de ce dernier. D'ici à la fin de l'année, la chaîne sera ainsi diffusable en flux permanent sur notre site et au-delà.

Nous développerons également les programmes hybrides – conçus d'une façon différente mais à partir d'une même réflexion sur un même sujet –, dédiés à la fois à l'internet et à l'antenne, de façon à pouvoir utiliser simultanément ces deux vecteurs. C'est ainsi que nous nous préparerons à la télévision connectée qui, source d'inquiétude pour les chaînes privées françaises – les programmes sportifs ou américains, par exemple, risquent d'arriver directement sur l'écran du téléspectateur sans passer par elles –, constitue en revanche pour ARTE une grande chance puisque nos productions pourront être diffusées auprès du public d'une manière un peu plus large. Grâce à la télévision connectée, nous pourrons proposer sur un même écran un programme relativement grand public et des compléments destinés à un public plus spécialisé souhaitant approfondir le thème traité.

Par ailleurs, ARTE occupe un seul canal de diffusion sur la TNT. Afin de sortir de cette situation peu enviable, nous travaillons à la création d'un groupe ou d'une galaxie sur internet de manière à multiplier les contacts avec l'ensemble des publics. Nous disposons déjà de deux plateformes. La première, ARTE Live Web, est dédiée aux spectacles vivants : diffusion de spectacles passés et présents, programmation de festivals qui souhaitent accroître leur audience nationale et internationale – les artistes en sont demandeurs car ils peuvent ainsi donner rendez-vous à leurs amis du monde entier pour suivre leur spectacle ou leur concert en direct. La seconde, ARTE Creative, est consacrée aux arts numériques et fonctionne sur le même principe que la première en diffusant des programmes comme ARTE Video Night, ou d'autres qui nous sont vendus, prêtés ou donnés, ainsi que nos archives. Les plateformes thématiques les plus abouties seront relinéarisées et transformées en chaînes légères d'un nouveau genre, qui permettront d'attirer sur Internet – ce sera le cas dès 2012 ou 2013 avec ARTE Live Web – les personnes intéressées par tel ou tel thème mais qui ne recourraient peut-être pas volontiers à la vidéo à la demande (video on demand, VOD) ou à la catch-up TV. Ces « chaînes 2.0 », vaguement inspirées de ce qu'expérimente Orange – une petite vitrine linéarisée à l'intérieur de laquelle des « poches » de VOD permettent à ceux qui veulent aller plus loin d'accéder à l'ensemble de la plateforme –, ont un grand avenir devant elles.

Dans le cadre du COM à venir, nous ambitionnons également de développer deux ou trois autres plateformes sur nos thématiques privilégiées, telles que l'histoire, l'écologie ou le cinéma.

Après avoir lancé ces différents satellites, nous nous adresserons à nos voisins européens pour leur proposer de concevoir ensemble de petites chaînes de télévisons culturelles numériques, adaptées certes à leurs spécificités et comprenant donc des productions propres mais, également, des programmations de spectacle vivant, d'histoire ou d'arts numériques. C'est ainsi que nous réussirons l'européanisation d'ARTE, laquelle s'est jusqu'à présent bien développée dans les pays francophones et germanophones – Autriche, Belgique, Suisse, Allemagne et France – mais peu ailleurs.

Le Gouvernement a approuvé ces orientations stratégiques et a accordé à ARTE une augmentation de la dotation publique de 7,3 % pour 2012 avec une progression moyenne annuelle du montant de contribution à l'audiovisuel public de 3,8 % sur la durée du COM ce qui, dans le contexte que nous connaissons, est évidemment très positif. Nous lui en sommes reconnaissants car cela encourage formidablement les équipes d'ARTE à mener à bien notre virage éditorial et à établir une nouvelle grille de programmes permettant à la chaîne de renforcer ses fondamentaux tout en se rendant plus accessible.

ARTE, issue d'une initiative franco-allemande, fonctionne. Depuis le début de l'année, à Strasbourg, nous fabriquons une maison commune – dont nous ressentons chaque jour l'absolue nécessité – avec toutes les difficultés et toute la passion que cela peut représenter. Nous découvrons que bien des choses nous séparent mais lorsque nous faisons l'effort d'en comprendre les raisons, notre union n'en devient ensuite que plus solide. Après le travail remarquable réalisé pendant vingt ans par les équipes qui nous ont précédés – et que je salue – au bénéfice d'une vision commune de l'histoire de nos deux pays, nous devons maintenant travailler à élaborer une vision commune du présent et de l'avenir en faisant en sorte qu'autour d'ARTE se crée une opinion publique partageant un imaginaire susceptible de s'étendre à toute l'Europe. Acteur indispensable pour réussir le passage vers une Europe un peu plus politique, ARTE jouera un rôle essentiel pour sortir de la crise que nous connaissons.

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