La Commission entend, en audition ouverte à la presse, Mme Marie-Christine Lepetit, directrice de la Législation fiscale, sur la mise en oeuvre des propositions pour améliorer l'application de la loi fiscale.
Nous accueillons aujourd'hui Mme Marie-Christine Lepetit, directrice du service de la législation fiscale, pour discuter de l'application de la loi fiscale, laquelle nécessite souvent, pour sa mise en oeuvre, des instructions fiscales.
Ces instructions, qui interprètent des lois par nature concises – ou qui devraient l'être –, revêtent une importance particulière lorsque l'échelon réglementaire n'existe pour ainsi dire pas, comme c'est le cas en matière fiscale : la Constitution a réservé la totalité de la compétence fiscale au législateur, qui fixe « les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ».
Un groupe de travail créé au printemps 2009 à l'initiative de la ministre de l'Économie a fait part à cette dernière, en avril 2010, de ses propositions pour améliorer la sécurité juridique en matière fiscale. Le Parlement était représenté au sein de ce groupe par notre rapporteur général, M. Gilles Carrez.
Pour établir ces propositions, le groupe de travail a pris en compte les critiques habituellement faites aux instructions – opacité d'élaboration, publication tardive, défaut de lisibilité –, et il n'a pas oublié de s'intéresser aux « bonnes pratiques » d'autres États, tout particulièrement à celles des États-Unis et du Royaume-Uni.
Près d'une année après la remise de ce rapport, quelles sont, Madame Lepetit, les propositions mises en oeuvre, quel bilan peut-on en faire, quels sont les obstacles que vous rencontrez ?
J'aimerais par ailleurs vous interroger sur l'évolution des instructions fiscales concernant les sukûk.
Mon exposé sera assez bref : les propositions formulées par le groupe de travail sont simples et, par ailleurs, nous disposons d'un recul limité concernant leur mise en oeuvre, qui remonte à avril 2010.
L'objectif, pour le Gouvernement et ses services, est d'améliorer à la fois le processus de fabrication de la loi et sa mise en application concrète. Un premier volet est donc consacré à de nouvelles manières de construire les projets de loi, un second à l'amélioration de la rapidité de publication et de la sécurité juridique des instructions, qui n'ont d'autre fonction, j'y insiste, que de rendre plus aisée la lecture que le citoyen peut faire de textes législatifs paraissant parfois abscons ou trop généraux.
Pour ce qui est de la partie amont, la principale orientation est le renforcement de la consultation sur les projets de loi en préparation, à l'instar de ces « bonnes pratiques » anglo-saxonnes qui jusqu'à présent faisaient défaut à notre pays. Le Gouvernement a souhaité adopter une démarche plus ouverte et transparente dès la phase amont, et ce en dépit de la crainte d'être ensuite prisonnier de ses propres arbitrages.
S'il a accepté de prendre le risque de changer significativement les conditions des arbitrages et de la discussion entre le pouvoir gouvernemental et réglementaire, d'une part, et le pouvoir législatif de l'autre, c'est sans doute parce qu'il s'appuyait sur l'expérience encourageante de la réforme de la taxe professionnelle et des finances locales en 2009. En juillet, en effet, il avait soumis un texte à plusieurs acteurs concernés, tant dans le monde des entreprises que dans celui des collectivités territoriales. Cette consultation s'est révélée fort utile pour finaliser le projet présenté à la fin de septembre, pour nourrir la discussion au Parlement et pour aboutir au texte cohérent et profondément réformateur qui en est résulté.
Pour autant, les expériences menées après avril 2010 n'ont pas toujours rencontré le succès escompté. Ainsi, après que le projet de réforme de la fiscalité des sociétés de personnes eut fait l'objet d'échanges très techniques avec des praticiens fiscalistes en 2008 et 2009, le Gouvernement a ouvert une consultation publique sur l'Internet au cours du second trimestre de 2010. De nombreuses contributions, provenant d'horizons très divers, ont ainsi été recueillies. Votre commission, à laquelle nous avons fait parvenir l'ensemble des contributions en octobre 2010, a pu en constater la richesse. Néanmoins, pour des raisons de disponibilité de l'information, nous n'avons pas été en mesure de l'éclairer pleinement sur les enjeux budgétaires immédiats du projet, si bien que la représentation nationale a décidé de ne pas voter le texte.
Il serait hâtif d'en conclure que la consultation en amont est impossible ou inutile. En tant que responsable administrative de ces sujets, je considère au contraire que ce processus nous a beaucoup aidés à repérer l'ensemble des questions à résoudre. Lorsque l'on veut mener des réformes de grande ampleur en s'attachant à ne pas passer à côté de dispositifs mal connus ou considérés comme marginaux, c'est un outil très précieux. À l'image de la société elle-même, notre système fiscal est complexe. Il est donc utile de pouvoir opérer une vérification en amont avec l'ensemble des acteurs concernés.
Pour ce qui est de la partie aval, le Gouvernement ne prend presque aucun décret ou arrêté en matière fiscale : aux termes de l'article 34 de la Constitution, les dispositions relatives à l'imposition sont fixées par la loi. Tout au plus trouvera-t-on dans la partie réglementaire les obligations déclaratives. C'est ainsi que nous avons eu récemment des échanges avec les services de la Commission des finances à propos d'un projet de décret relatif à la déclaration par les entreprises de leurs effectifs, dans le but d'assurer une bonne territorialisation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises – CVAE –.
S'agissant des instructions fiscales, la ministre a souhaité que leur publication soit plus rapide et qu'elle permette de renforcer la sécurité juridique au bénéfice des ménages et des entreprises. Le législateur ayant décidé de rendre ces instructions opposables à l'administration fiscale, elles ont acquis plus de force que d'autres actes de l'administration dans d'autres univers publics. Mais, comme l'a souligné M. Olivier Fouquet dans un rapport de 2008 et comme l'a rappelé le groupe de travail, l'instruction n'est en aucun cas nécessaire à l'application de la loi. Pourtant, l'idée de cette nécessité persiste chez certains acteurs, peut-être entretenue par certains professionnels du droit qui en tirent profit. Il faut donc le répéter : l'instruction a pour seule fonction d'apporter de la sécurité au contribuable et de permettre une application équitable et homogène de la loi par une information transparente et connue de tous.
Avec l'opposabilité, on en est arrivé à une situation paradoxale : l'administration ayant le souci de produire des instructions exhaustives, équilibrées et aussi proches que possible de l'intention du législateur, les délais de publication se sont allongés. Pour les raccourcir sans perdre en qualité, nous avons retenu la solution de publier l'instruction dès le stade du projet, quitte à rendre ce projet opposable afin de maintenir la sécurité juridique.
Le dispositif précédent avait également l'inconvénient de privilégier les insiders – les initiés –, tandis que d'autres, moins souvent consultés, se plaignaient après coup de ce que telle ou telle difficulté n'était pas traitée. Aujourd'hui, la publication des projets sur l'Internet permet à chacun de s'exprimer et de poser des questions. Nous en tirons parti pour améliorer nos textes.
Depuis avril dernier, nous avons procédé de cette manière pour une douzaine de projets touchant à tous les domaines de la fiscalité : fiscalité des ménages, dispositifs immobiliers, bouclier fiscal, droits de mutation à titre onéreux, etc. En matière de fiscalité des entreprises, une grande partie des instructions publiées à la suite de la réforme de la taxe professionnelle ont fait l'objet de cette nouvelle procédure. Ce fut le cas de l'impôt forfaitaire sur les entreprises de réseaux – IFER – dès la mi-avril.
Il est encore un peu tôt pour porter une appréciation sur le dispositif. Je relève cependant que nous n'avons pas été « noyés » par le surcroît de contributions. Nous aurions pu être saisis, via l'Internet, de centaines ou de milliers de sollicitations, notamment pour des instructions touchant le grand public, mais cela n'a pas été le cas. Les contributions se comptent plutôt par dizaines, ce qui reste gérable. Pour l'heure, donc, la procédure fonctionne puisque les acteurs sont plus nombreux à nous écrire et que nous avons pu exploiter leurs remarques dans de bonnes conditions.
Le groupe de travail avait également évoqué la question de la lisibilité des textes. À cet égard, la direction générale des finances publiques a engagé un projet de refonte complète de la documentation administrative, afin que les contribuables disposent d'un bloc d'instructions cohérent, plus accessible, plus clair et constamment mis à jour.
Je vous remercie pour cette présentation directe et objective.
Le projet de réforme de la Constitution que le Conseil des ministres examinera demain comporte un premier volet consacré à l'équilibre des comptes publics et un second volet, non moins important, tendant à réserver aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale toute disposition en matière de recettes et de dépenses fiscales ou sociales. Ce second dispositif entraînera pour nous de fortes contraintes et nous devons réfléchir à nos méthodes de travail. La réforme de la taxe professionnelle, par exemple, était incluse dans le projet de loi de finances pour 2010 : nous avons dû y consacrer toute notre énergie pendant des semaines. Si le travail s'est en définitive révélé constructif, c'est parce que tous les acteurs avaient été consultés très en amont. La somme de travail et de temps passé a néanmoins été considérable. On imagine mal que plusieurs réformes de cette ampleur puissent figurer dans une même loi de finances.
En 2010, le collectif budgétaire de fin d'année comprenait trois réformes fiscales importantes. Celle des taxes d'urbanisme avait fait l'objet d'une concertation avec les associations d'élus, sur laquelle nous avons pu nous appuyer. Celle des valeurs locatives des locaux professionnels avait également été soumise à un examen préalable. Pour ce qui est de la réforme des sociétés de personnes, il est vrai que l'on a consulté les professionnels mais l'administration n'a pu répondre, faute de délai suffisant, à notre question concernant le risque d'effet d'évaporation de recettes via des montages en sociétés de personnes.
Nous étions prêts à nous engager dans une réflexion en prenant pour horizon un collectif budgétaire au mois de juin. Mais, entre-temps, d'autres projets risquent de venir nourrir ce collectif.
Bref, dès lors que de nombreuses réformes seront concentrées dans les seules lois de finances, il devient nécessaire de modifier nos méthodes de travail. Je rejoins les conclusions du rapport du groupe de travail : nous ne pouvons plus nous passer d'un système de consultation en amont, qui doit prendre le temps nécessaire, tant pour les projets de loi que pour les instructions.
S'agissant de ce dernier aspect, le rapport que je rends en juillet de chaque année sur l'application de la loi fiscale montre que les instructions sont effectivement publiées. Au 1er juin 2010, par exemple, la moitié des instructions nécessaires à la loi de finances pour 2010 étaient parues. Pour ce qui est des nombreux collectifs de 2009, 70 % des instructions sont sorties.
Et il est faux d'affirmer que l'administration détourne la volonté du ministre ou des parlementaires dans ces textes. En revanche, le public dans son ensemble et les conseillers financiers et fiscaux en particulier ont un goût pour les instructions qui laisse parfois perplexe. La loi Scellier, par exemple, était limpide. Pourtant, les acteurs ont demandé à cor et à cri une instruction dont, à mon avis, ils n'avaient nullement besoin !
J'y insiste, nos méthodes de travail devront être modifiées. Si l'on encombre les projets de loi de finances de multiples réformes n'ayant pas été étudiées en amont, on assistera à des blocages au stade de l'examen en commission, voire à celui de la séance publique.
Se contraindre à des études d'impact et à une consultation systématique en amont conduira probablement à rendre plus stable une règle fiscale dont un des plus grands maux est d'être sans arrêt modifiée. Plus nous ferons montre de discipline en menant des consultations nourries pour mesurer l'intérêt d'une modification de la norme fiscale, plus nous interviendrons d'une main tremblante. Les acteurs économiques et les ménages souhaitent moins de changements et plus de stabilité.
Enfin, si les contribuables attendent les instructions fiscales avec impatience, c'est qu'elles sont opposables à l'administration et créent donc des droits. Lorsqu'une instruction un peu compliquée met du temps à sortir, ne pourrait-on, comme le groupe de travail le recommande, rendre public un projet d'instruction qui serait immédiatement opposable, sachant que, si l'instruction définitive se révèle moins généreuse, les décisions prises dans l'intervalle par les contribuables resteront à leur avantage ? L'administration a-t-elle utilisé cette procédure au cours des derniers mois ?
Je souscris aux propos du rapporteur général. Dans le cas de la fiscalité écologique, le projet de loi de finances pour 2010 a donné lieu à un épisode douloureux pour la majorité, celui du rejet par le Conseil constitutionnel des dispositions relatives à la taxe carbone. Il semblerait maintenant que des modifications importantes en matière de fiscalité de l'eau soient en préparation pour le projet de loi de finances pour 2012. Il conviendrait que ce débat soit ouvert à la Commission des finances, à la Commission des affaires économiques et à la Commission du développement durable, car c'est toute l'architecture de l'organisation de l'eau en France qui est en jeu : place des agences de l'eau, rôle de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques, etc. Le dispositif dépasse le strict cadre fiscal.
Les parlementaires devraient disposer des avant-projets de circulaires ou d'instructions qui éclaireraient les textes en examen.
On éviterait ainsi de nombreux amendements, le débat serait clarifié, et peut-être les ministres réfléchiraient-ils un peu plus lorsqu'ils rendent leurs arbitrages !
Vous avez parlé des instructions, qui créent des droits pour les contribuables même lorsqu'elles violent la loi, mais pas des rescrits. Pourquoi ne pas publier ceux-ci après les avoir anonymisés, afin d'illustrer l'application de la loi ?
Malgré les 80 ou 85 % d'instructions publiées, le rapporteur général recense dans son rapport annuel sur l'application de la loi fiscale quelques cas de textes inappliqués – et du reste inapplicables – mais que le Parlement a votés. Ne pourriez-vous nous saisir d'un toilettage annuel des textes en question ?
Je siège depuis 2007 au Comité consultatif de la législation et de la réglementation financière – CCLERF –, où je représente l'Assemblée nationale. Cette instance, qui réunit tous les acteurs du secteur financier, est consultée en amont sur tous les projets législatifs et réglementaires intéressant ce secteur. C'est ainsi que j'ai pu prendre connaissance du projet d'ordonnance créant l'Autorité de contrôle prudentiel. Existe-t-il une structure équivalente en matière fiscale ? Une telle structure ne serait-elle pas une manière de répondre aux remarques formulées par le groupe de travail en matière de consultation ?
Par ailleurs, quelle est la valeur des réponses aux questions écrites que les parlementaires adressent au Gouvernement ? Si, comme nous le pensons, elles valent interprétation de la législation fiscale, elles sont opposables à l'administration.
Il arrive parfois que l'instruction fiscale vienne limiter les ambitions de la disposition voulue et votée par le législateur. Il y a quelques années, j'avais ainsi fait adopter en commission mixte paritaire un amendement tendant à alléger la taxe d'habitation sur les locaux d'habitation aménagés à la suite de la reconversion d'anciens immeubles commerciaux ou industriels.
À ceci près qu'il n'est toujours pas entré en application ! La rédaction adoptée indique qu'il suffit que la collectivité délibère pour que l'allègement s'applique. Dans l'esprit du législateur, chaque collectivité devait délibérer pour sa partie. Traduit dans les faits, ce dispositif impose une délibération convergente des quatre échelons de collectivités – commune, intercommunalité, département et région. Dans ma région, la mesure achoppait au niveau du département. Comme la taxe d'habitation est entre-temps passée à l'intercommunalité, elle aurait dû pouvoir s'appliquer, avant qu'une instruction fiscale ne vienne limiter l'application du dispositif à l'année n + 1.
J'avoue être un peu amer de voir la loi ainsi interprétée par instruction fiscale. Comment une intention clairement exprimée a-t-elle pu être encadrée à un point tel que, quatre ans plus tard, elle ne s'applique toujours pas ? Quelles précautions comptez-vous prendre en aval de la procédure législative pour que les dispositions votées s'appliquent réellement ?
Disposez-vous d'un état de l'évolution des contestations et des recours ? Par ailleurs, comment votre direction s'assure-t-elle de la cohérence de la mise en oeuvre des dispositions fiscales, dont l'application peut varier d'un département à l'autre ?
Monsieur le rapporteur général, le projet de loi constitutionnelle vise à modifier l'organisation du vote des textes fiscaux. Cette disposition, en vigueur pour les textes d'origine gouvernementale depuis la circulaire de juin 2010, a déjà commencé à produire ses effets : la proportion des dispositions fiscales adoptées en lois de finances est passée de 67 % en 2009 à 75 % en 2010.
Pour sa part, le Conseil d'État estime que les réformes fiscales de grande ampleur devraient être présentées dans le cadre des collectifs budgétaires, qui pourraient être plus nombreux, plutôt que dans celui des lois de finances initiales, dont la durée d'examen est limitée. Le temps de préparation de ces réformes en serait allongé et les débats gagneraient en sérénité.
Effectivement, les études d'impact et les consultations sont utiles et peuvent faire office de levier. Les évaluations, qui permettent d'analyser a posteriori si ce qui était anticipé s'est produit et s'il y a lieu d'infléchir un texte, contribuent à l'élaboration de normes fiscales de qualité. À l'occasion de la dernière loi de finances, nous avons observé que l'Assemblée nationale avait commencé à développer cette activité, avec des conséquences visibles sur le travail parlementaire dans le domaine fiscal.
Les annonces de Mme Lagarde ont bien été suivies de la publication d'une demi-douzaine de pré-instructions, des projets précédant le texte définitif.
Nous avons eu tort de considérer l'année dernière que la consultation sur Internet nous dispensait de consulter de manière informelle, comme nous le faisions auparavant et comme nous continuons de le faire pour les projets d'instruction, des interlocuteurs choisis pour leur implication et leur compétence. Sans doute le texte aurait-il été mieux compris, et les débats plus sereins, si nous n'avions péché par optimisme.
Monsieur Launay, je ne ferai pas de commentaires sur la taxe carbone ou sur la TGAP, vous renvoyant à cet égard aux travaux de la Cour des comptes. Quant à la fiscalité de l'eau, elle n'est pas de mon ressort ; je ne peux donc vous faire part de l'état des réflexions sur le sujet.
Monsieur de Courson, le groupe de travail devait réfléchir à la possibilité d'accompagner le projet de loi de projets d'instruction. Nous n'y sommes pas parvenus jusqu'à présent. Il faut dire que les lois de finances ont été d'une telle densité en 2010 que nos services, qui ont réussi à produire des études d'impact de qualité, ont éprouvé quelques difficultés à tout mener de front. Néanmoins, ces projets d'instruction ne peuvent porter que sur les articles initiaux. Or sur les 233 articles promulgués en 2010, seuls 64 étaient d'origine gouvernementale. L'écart est de taille entre le nombre d'articles qui vous sont présentés et le nombre d'articles adoptés par le Parlement.
Vous ne me laisserez pas croire que la créativité fiscale n'a pas sa place à l'Assemblée nationale !
Monsieur de Courson, les rares rescrits qui ne confirment pas la règle générale mais apportent un point complémentaire d'intérêt général sont publiés, étant anonymisés. Ils ne sont pas publiés lorsqu'il s'agit – ce sont des cas exceptionnels – de situations qui seraient, malgré l'anonymisation, reconnues de tous.
Monsieur Giscard d'Estaing, les réponses aux questions écrites sont créatrices de droit : comme les instructions, elles sont opposables à l'administration fiscale.
Lorsque les textes paraissent inapplicables, il nous arrive de vous proposer quelques modifications. La taxe « roulotte » ou la taxe « balayage » ont ainsi nécessité, les années suivant leur adoption, l'apport de compléments techniques. Sans doute faut-il attribuer ces imperfections aux conditions de fabrication de la loi fiscale, élaborée de façon rapide. Je vous accorde que nous devrions faire preuve de davantage de vigilance et recenser plus largement ces textes mal adaptés ou comportant des difficultés intrinsèques.
Si je me souviens bien, monsieur Baert, la disposition visant à alléger la taxe sur les locaux commerciaux reconvertis en habitation n'a pu entrer en vigueur à cause d'un problème concernant le texte littéral. Mais la réforme de la taxe professionnelle devrait permettre, incidemment, de résoudre ce problème.
La consultation est désormais plus large, via l'Internet. L'idée d'un comité spécifique, évoquée par M. Giscard d'Estaing, va dans le même sens. Il faudrait que les suggestions de M. Carrez portant sur l'organisation du travail trouvent à se concrétiser. Mais il est difficile d'anticiper, tant la fabrication de la loi fiscale est rapide, et chacun pressé de parvenir à l'étape suivante : la réforme de la fiscalité sur le patrimoine, à peine les travaux de réflexion lancés, en est une illustration. Même si l'année 2010 a marqué une étape importante, nous avons encore des progrès à faire dans ce domaine.
En principe, le Bulletin officiel des impôts, le BOI ne peut écrire un droit différent de celui du législateur, monsieur Baert. De fait, nous ne connaissons que très peu de recours pour excès de pouvoir. Je dois confesser un cas où nous avons délibérément interprété de manière extensive le vote du législateur. Pour traiter de la prise en compte des contrats d'assurance-vie multisupports dans le bouclier fiscal, nous avions transposé une règle existante et considéré que le multisupport ne pouvait être un contrat en unités de compte en deçà d'une proportion d'actions que nous avions fixée à 20 %. Le juge a considéré qu'en « incarnant » de manière précise une règle qualitative, nous avions été trop loin. En revanche, le Conseil d'État nous a donné raison dans un recours exercé par des associations d'anciens élèves, lesquelles nous reprochaient de ne pas avoir pris en compte le versement de cotisations à leur école au titre du mécénat, considérant que cela ne relevait pas de l'intérêt général.
Monsieur Bouvard, si le gracieux évolue en fonction de la conjoncture économique – 2009 a connu un surcroît de procédures, concernant notamment les impôts locaux – le contentieux, lorsque la législation fiscale est « routinière », croît en même temps que le nombre de contribuables. Une disposition fiscale problématique, en revanche, peut entraîner un « pic » : ce fut le cas en 2006 avec l'allégement de l'impôt sur les revenus fonciers en cas de mobilité professionnelle, qui a donné lieu à un grand nombre de redressements. Par ailleurs, nos services ont été très sollicités lors de l'instauration de la prime pour l'emploi et reçoivent encore de nombreuses questions sur la mise en oeuvre du crédit d'impôt dédié au développement durable.
Le contentieux est un baromètre des difficultés rencontrées par les contribuables, difficultés dont l'administration centrale a par ailleurs connaissance grâce aux échanges avec les services.
Il arrive que l'application des dispositions ne soit pas toujours homogène. Toutefois, les contribuables peuvent avoir recours aux conciliateurs locaux, au médiateur du ministère et au Médiateur de la République et, grâce à une disposition que vous avez adoptée il y a deux ans, bénéficier d'une sorte d'appel sur les rescrits : si la réponse ne leur convient pas, ils ont droit à un second examen. Ils se trouvent ainsi prémunis contre des décisions de nature individuelle ou subjective.
Les artisans peuvent fournir à leurs clients deux types d'attestation afin qu'ils bénéficient de la TVA à taux réduit sur les travaux d'entretien de leur habitation : une attestation « simplifiée » et une attestation « super-simplifiée ». Comment se fait-il que l'administration ait mis en circulation deux documents de même nature, le second portant par ailleurs un titre quelque peu trompeur, puisqu'il est nettement plus détaillé ?
La jurisprudence du Conseil constitutionnel sur l'incompétence négative du législateur est très protectrice. Ainsi, le juge du Palais-Royal a annulé une disposition que nous avions votée dans le cadre de la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, renvoyant à un décret les modalités de fixation du prélèvement sur les organismes HLM. L'article 34 de la Constitution prévoit en effet que le législateur doit fixer le taux, l'assiette et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures. L'administration, elle-même, veille à ne pas outrepasser cette limite dans ses analyses.
Je crains de ne plus me souvenir de la différence entre les deux attestations que vous avez évoquées, monsieur Giscard d'Estaing. Je me rappelle seulement les échanges avec les associations d'artisans, qui étaient très nourris. L'incompréhension mutuelle avait nécessité un « second tour », d'où, peut-être, l'apparition d'un nouveau document. L'objectif était de sécuriser le dispositif, afin de protéger les artisans, et de distinguer de la manière la plus concrète et la plus pragmatique possible les travaux d'entretien des travaux taxés à 19,6 %. Je prends note de votre remarque et me propose d'examiner avec mes services s'il est possible d'améliorer la situation.
Comme l'a souligné M. Carrez, l'administration demeure vigilante quant au partage entre loi et règlement.
Le rapporteur général a effleuré le débat sur le projet de loi constitutionnelle. Je vous remercie de nous avoir donné des indications prouvant que, lorsqu'il s'agit de réserver aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale l'exclusivité des dispositions fiscales ou sociales, une instruction du Premier ministre suffit dès lors que celui-ci a l'autorité politique pour cela. Pour le reste, le Gouvernement conserve la possibilité de s'opposer à une disposition qu'il ne souhaiterait pas voir adopter, en ne levant pas le gage, par exemple.
Par ailleurs, nous sommes devant l'alternative suivante : soit l'état des finances publiques exige l'adoption immédiate du projet de loi constitutionnelle, soit il n'y a pas urgence. Dans le premier cas, pourquoi reporter l'effet des dispositions après 2012 ? Dans le second cas, présenter une réforme constitutionnelle à moins d'un an d'échéances électorales nationales me semble pour le moins discutable.
Vous avez publié le 25 février 2009 une instruction fiscale précisant le régime fiscal applicable à ces deux principaux outils de la finance islamique que sont les sukûk et les contrats de murabaha. Peut-être mes collègues se souviennent-ils qu'un amendement à la proposition de loi de Mme Brunel tendant à favoriser l'accès au crédit des PME avait été adopté afin de rendre le régime de la fiducie, tel que prévu par notre code civil, « compatible avec la loi coranique », selon les propos de la rapporteure. D'autres instructions fiscales ont-elles été publiées ou existe-t-il des projets d'instruction qui permettraient de contourner le problème délicat du régime de la fiducie ? D'après les défenseurs de ces produits, un tel schéma juridique empêcherait le développement de la finance islamique.
Pour autant, celle-ci devrait prospérer : en 2007, BNP Paribas a obtenu le premier agrément pour un fonds charia-compatible, suivie par la Société générale, qui a lancé deux types de contrat de murabaha à la Réunion. Une première banque islamique devrait également voir le jour en France en 2011, sur le fondement d'un accord signé entre la Qatar Islamic Bank et le groupe Banque Populaire-Caisse d'épargne.
Nous avons publié quatre instructions sur les différentes organisations patrimoniales ou formes de gestion d'opérations à caractère financier, telles qu'elles peuvent exister entre acteurs du monde musulman. Ces instructions, qui se bornent à expliquer comment les règles de droit interne communes s'appliquent à ces cas concrets, sont élaborées en étroite concertation avec les acteurs financiers et les autorités religieuses. Les premiers confirment qu'un projet est conforme aux opérations concrètes qu'ils ont envisagées, les secondes que ces opérations sont compatibles avec la charia. La description souvent incomplète ou imprécise de l'opération, ou le fait que les autorités religieuses peinent à nous donner une seule réponse peuvent entraîner de nombreuses itérations avant la publication de l'instruction.
Pour des personnes habituées au droit latin laïque, il peut sembler ardu d'appliquer un droit de portée générale à des situations d'espèce. Celles-ci diffèrent tellement que nous nous trouverons sans doute face à des instructions multiples, complémentaires ou modificatrices. Mais nous sommes parvenus à établir des parallélismes entre les opérations de financement et les opérations classiques d'emprunt que nous connaissons en France. Nous avons rencontré davantage de difficultés en tentant d'appliquer les normes de droit latin aux situations de trusts, qui ne se marient pas commodément avec nos règles civiles, notamment en ce qui concerne la propriété.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mardi 15 mars 2011 à 16 h 30
Présents. - M. Dominique Baert, M. Michel Bouvard, M. Jérôme Cahuzac, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. René Couanau, M. Charles de Courson, M. Jean-Yves Cousin, M. Richard Dell'Agnola, M. Yves Deniaud, M. Michel Diefenbacher, Mme Aurélie Filippetti, M. Jean-Claude Flory, M. Jean-Michel Fourgous, M. Marc Francina, M. Louis Giscard d'Estaing, M. Marc Goua, M. Laurent Hénart, M. Jean Launay, M. Marc Le Fur, M. Richard Mallié, M. Jean-Claude Mathis, M. Pierre-Alain Muet, M. Henri Nayrou, M. Hervé Novelli, M. Nicolas Perruchot, M. François Scellier, M. Philippe Vigier
Excusés. - M. Jean-Pierre Balligand, M. Pierre Bourguignon, M. Thierry Carcenac, M. Victorin Lurel, M. Michel Vergnier