–– Audition de M. Christian Mons, président du groupement des industries françaises de défense terrestre (GICAT).
La séance est ouverte à dix heures.
Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Christian Mons, président du GICAT.
Je rappelle que le GICAT, qui a organisé le remarquable salon Eurosatory l'an dernier, représente 20 000 emplois directs et un chiffre d'affaires de plus de 5,2 milliards d'euros.
J'observe que, malgré la crise économique, les ventes d'armement ne régressent pas. Le chiffre d'affaires de l'industrie de défense terrestre et aéroterrestre a cru de 20 % en 2009 par rapport à 2008 et les performances à l'exportation sont bonnes, les exportations représentant plus de deux milliards d'euros. Vous nous ferez le point sur les résultats de 2010.
Je voudrais aussi que vous nous disiez quelles actions mène le GICAT en faveur des PME-PMI – c'est un sujet qui nous intéresse tout particulièrement, une mission d'information est en cours sur ce sujet. Je crois savoir que vos projets visent notamment à faciliter l'accès des PME aux marchés étrangers et aux programmes d'études en amont.
Le groupement est également particulièrement impliqué dans la construction de l'Europe de la défense. Vous en évoquerez sans doute les avancées. De façon plus générale, je souhaite que vous abordiez les perspectives de consolidation du secteur terrestre en Europe.
Je voudrais vous présenter le GICAT et évoquer les problématiques essentielles de l'industrie d'armement terrestre aujourd'hui. Le GICAT regroupe 213 sociétés – dont 85 % sont des ETI (entreprises de taille intermédiaire) et des PME – ayant des activités dans cinq secteurs spécifiques : électronique et systèmes, véhicules tactiques et blindés, aéroterrestre, services – qui sont en forte croissance avec, entre autres, les activités de maintien en condition opérationnelle (MCO) –, armement et munitions.
On estime que la défense terrestre et aéroterrestre génère 20 000 emplois directs, auxquels s'ajoutent environ 20 000 emplois indirects. En 2009, le GICAT a déclaré un chiffre d'affaires non consolidé de 5,26 milliards d'euros, dont 2,1 milliards d'euros à l'exportation.
Ces chiffres, tout à fait significatifs, cachent de vraies difficultés car, à la différence des secteurs naval et aéronautique, dans le domaine terrestre, la France ne peut pas prétendre à un leadership mondial. De fait, la base industrielle et technologique de défense (BITD) terrestre est aujourd'hui menacée. Les acteurs français du domaine le plus emblématique, celui des véhicules blindésartillerie – qui sont les moteurs de l'offre française pour les systèmes et les équipements – ont été progressivement distancés en volume d'activité par une concurrence étrangère très agressive. Les chiffres d'affaires de Nexter, Renault Trucks Defense (RTD) et Panhard cumulés hors munitions sont de l'ordre d'un milliard d'euros, mais aucune de ces entreprises ne dispose d'une taille significative par rapport à ses concurrents étrangers. Cette taille réduite se traduit par des capacités d'investissement insuffisantes, une perte de compétitivité et a des conséquences négatives pour l'ensemble du domaine terrestre et aéroterrestre.
D'ailleurs, le chiffre d'affaires des 213 sociétés du GICAT équivaut à celui d'un seul de nos grands concurrents anglo-saxons – BAE Systems ou General Dynamics.
Or, la préservation d'un tissu industriel terrestre national est essentielle pour deux raisons majeures. La première a trait à l'indépendance nationale, qui suppose que la France puisse engager ses forces lorsqu'elle le souhaite – dans un cadre national ou en coalition – et comme elle l'entend. La liberté d'engagement des forces terrestres est garantie par une indépendance d'accès aux technologies et aux équipements. Elle implique une autonomie dans ce domaine, qui est aujourd'hui menacée. Seule la préservation d'un tissu industriel terrestre national peut permettre de disposer d'une liberté d'action dans des secteurs clés pour l'armée de terre. Il est en particulier indispensable de limiter la dépendance vis-à-vis des matériels soumis aux règles américaines ITAR (International Traffic in Arms Regulations), qui conditionnent les autorisations d'exportation et l'usage de ceux-ci.
La préservation de la BITD terrestre permet également de conserver la doctrine d'emploi des forces terrestres avec ses moyens – cela vaut notamment pour les véhicules blindés, la simulation ou les systèmes de commandement. Elle permet aussi à l'armée de terre d'assurer normalement ses activités de soutien en service (MCO) dans des conditions opérationnelles et économiques acceptables.
La deuxième raison majeure est la capacité d'adaptation des forces, qui constitue un fondement important de la pérennité de la capacité opérationnelle – c'est-à-dire une adaptation réactive en fonction du théâtre d'emploi et des conditions d'évolution de notre engagement. Elle nécessite d'avoir une industrie à la disposition des états-majors, capable de répondre rapidement, en particulier aux besoins opérationnels urgents.
J'estime donc nécessaire que l'État prenne des mesures dans plusieurs domaines.
En premier lieu, il est souhaitable – le chef d'état-major de l'armée de terre le rappelle régulièrement – de conforter la part de cette armée dans le budget. L'exécution de la loi de programmation militaire (LPM) 2003-2008 s'est traduite pour elle par la perte de près de deux annuités de commandes. Ce décalage a eu un impact sur le niveau de capacité opérationnelle des forces terrestres. Depuis 2009, malgré la mise en service d'équipements majeurs, programmés de longue date (Tigre, VBCI, CAESAR…), et la réalisation d'équipements de cohérence opérationnelle en urgence (équivalents à l'équipement d'une petite brigade), l'armée de terre n'a pas bénéficié des priorités et de « l'accent particulier » prévus dans le Livre blanc.
Ces dérives ont affaibli cette armée, mais aussi le secteur industriel de l'armement terrestre. Un effort budgétaire doit donc être consenti en faveur de l'armée de terre pour lui donner les moyens d'atteindre les objectifs du contrat opérationnel définis par le Livre blanc. Sa part dans le programme 146 (Équipement des forces) doit être portée à 2 milliards d'euros dès 2012 et ce, jusqu'en 2020.
En deuxième lieu, il faut consolider le secteur terrestre, en particulier les plateformistes. Leur taille modeste se traduit là aussi par des capacités d'investissement insuffisantes et une perte de compétitivité. Il est urgent de restructurer les entreprises françaises et d'envisager des rapprochements avec nos partenaires européens.
Troisièmement, le maintien des compétences nationales nécessaires au développement des systèmes futurs passe par un soutien étatique suffisant à la R&D (recherche-développement) du secteur terrestre, ce soutien ayant été divisé par deux. Nous n'avons pas des moyens de R&D qui permettraient l'expansion d'entreprises compétitives.
Enfin, il faut améliorer le soutien à l'exportation. Les deux rapports de M. Fromion ont permis d'améliorer substantiellement les conditions administratives d'obtention des autorisations d'exportation, mais il reste encore beaucoup à faire. La réglementation en la matière contribue au risque de sous-investissement que j'évoquais.
Ainsi, la SAGEM – qui fabrique des systèmes de vision nocturne – ne peut investir dans les dernières technologies de systèmes infrarouges, faute de pouvoir amortir ses investissements par des capacités d'exportation suffisantes, les autorisations d'exportation n'ayant pas été accordées et le marché français (qui représente environ 5 % du marché mondial) étant trop limité. Les armées risquent dans ces conditions de se fournir à l'étranger – sauf à considérer ces matériels comme stratégiques et à financer la totalité de leur fabrication sur deniers publics. Pour des raisons de politique du contrôle des exportations, on affaiblit donc nos capacités industrielles. Il faut revoir la matrice pays-produits de choix et de décision des autorisations d'exportation utilisée par la direction générale de l'armement (DGA), qui est pénalisante pour notre industrie.
En conclusion, l'articulation en trois cercles de la politique industrielle par le Livre blanc se révèle dangereuse : rejetant tout le secteur terrestre dans les deuxième et troisième cercles, elle va se traduire à terme par un affaiblissement de l'indépendance nationale et des capacités de nos forces terrestres, alors que celles-ci représentent depuis de nombreuses années plus de 80 % des forces engagées en dehors du territoire national – pour moins de 20 % des budgets d'équipement de la défense – et sont la marque de l'engagement politique de notre pays dans les conflits actuels.
Une des premières mesures à faire adopter par le Gouvernement est la réintégration d'une partie du secteur industriel terrestre dans le premier cercle – ou au moins le haut du deuxième cercle – pour éviter les dépendances critiques qui s'accroissent aujourd'hui, pour préserver les capacités opérationnelles de l'armée de terre, pour maintenir l'excellence française et l'innovation, et pour soutenir l'emploi.
Face aux pays émergents, qui commencent à disposer de technologies relativement compétitives, nous allons être confrontés à un problème de concurrence sur les prix. Nexter souhaite lancer des produits à bas coût (« low cost ») en matière d'armement. Qu'en pensez-vous ? Quelles autres mesures permettraient de faire face à la concurrence internationale, notamment de pays tels que le Brésil, l'Inde la Chine ou la Russie ?
Bas coût ne veut pas dire faible qualité. Nexter a raison d'agir comme il le fait. Il n'est pas question de réduire la performance de nos matériels, mais de la maintenir pour un prix de revient très inférieur. Plusieurs industriels le font depuis longtemps, en recourant au « design to cost », consistant à fixer le prix de marché d'un produit avant de concevoir celui-ci, à la différence de l'activité de type régie où l'on alimente sans limite des projets sans se préoccuper du prix. J'ai moi-même passé douze ans chez Thomson-CSF, où l'on avait déjà ce type de préoccupations et, chez Panhard, que je dirige, on vient de concevoir et de vendre un tourelleau téléopéré qui est à 35 % du prix de nos concurrents. Il faut agir de la sorte pour faire face à la concurrence des pays émergents, mais cela suppose d'avoir les moyens d'investissement nécessaires. Or, si nous n'avons pas la taille critique, nous ne les aurons pas.
S'agissant de la taille « sous-critique » de certaines entreprises françaises, des rapprochements industriels sont-ils en cours ? La presse a évoqué notamment des discussions entre Panhard et Nexter : qu'en est-il ?
Dans un colloque récent, vous avez fait part de votre déception à propos des accords franco-anglais concernant les ventes de matériel terrestre. Peu de contrats ont en effet été signés.
Qu'en est-il, par ailleurs, des rumeurs de vente de Panhard ? Certains actifs de la société ont été vendus, immobiliers notamment : pourquoi ces cessions n'ont-elles pas été intégrées par Panhard?
Des discussions ont lieu depuis longtemps entre les différents industriels français – Nexter, RTD, Panhard – mais il est difficile de discuter avec une entreprise entièrement publique comme Nexter, qui ne dispose d'aucune liberté capitalistique d'action. Nous n'avons pas avancé.
Panhard n'est pas à vendre, mais l'entreprise est disponible pour participer à une action de consolidation des acteurs français, que ce soit sous la forme d'une vente, d'une fusion, d'une combinaison, d'une joint-venture, d'un groupement d'intérêt économique (GIE) ou de tout autre dispositif. Avec un chiffre d'affaires de 100 millions d'euros, Panhard est en effet très au-dessous du seuil critique même si elle est concentrée sur une niche (les blindés légers). Faute de consolidation entre les acteurs français, les actionnaires finiront par vendre à des sociétés étrangères.
Les cessions immobilières que vous évoquez, monsieur Guilloteau, sont marginales : l'actionnaire de Panhard, qui avait racheté à Peugeot Panhard et l'immeuble de l'avenue d'Ivry, a revendu celui-ci en imposant des conditions de préservation à l'acheteur. Il s'agit en effet d'un site historique, qui a vu naître en 1892 les premières voitures produites en série au monde. Il héberge aujourd'hui le service des gares de la SNCF.
Les négociations concernant la vente des bâtiments de projection et de commandement (BPC) Mistral à la Russie seraient bloquées, selon des informations parues dans la presse. Alors que le coût unitaire de chaque BPC est estimé à un montant de 500 à 700 millions d'euros, la France pense vendre les deux navires pour 1 150 millions et la Russie ne serait disposée à les acheter que pour moins de 980 millions. Ne s'oriente-t-on pas vers un nouveau contrat de vente à perte, comme celui des chars Leclerc aux Émirats arabes unis il y a quelques années ?
La menace pesant sur la BITD terrestre a, comme vous l'avez rappelé, des répercussions importantes en termes d'emplois et de politique de défense : quelles mesures – au-delà des regroupements nationaux et des partenariats internationaux – permettraient de développer les activités duales et, plus largement, de favoriser la croissance de nos entreprises dans ce domaine ?
Je ne peux vous répondre sur les navires Mistral, qui relèvent du secteur naval. Mais je peux vous dire que Panhard discute avec la Russie pour lui vendre des véhicules blindés légers (VBL). À ce sujet, on a autorisé DCNS à vendre à ce pays quatre Mistral avec toute la technologie associée, alors que Panhard n'a été autorisé à vendre que 10 VBL.
Parce qu'il ne faut pas « agiter le chiffon rouge », que le ministère des affaires étrangères est réticent, que les VBL sont considérés comme plus dangereux que les BPC…, je ne sais pas exactement. En tout cas, nos partenaires russes ont été surpris car ils en veulent plusieurs milliers !
C'est un domaine où la France a un avantage compétitif, la Russie n'ayant jamais fabriqué de blindés légers – ce qui est assez complexe, surtout s'agissant de blindés amphibies. Nous avons évoqué avec nos partenaires russes la possibilité de les copier, mais ils nous ont répondu que leur industrie n'avait pas l'expérience de ce type de blindés ; que pour la développer, il leur faudrait cinq à dix ans, et que, comme ils en avaient besoin rapidement, ils préféraient les acheter.
Cela dit, le VBL fait l'objet de plus de cinq copies dans le monde, notamment par les Chinois, les Slovènes ou les Turcs.
Il n'est pas facile de développer les activités duales dans le domaine de l'électronique, mais on y arrive quand même. Dans celui des armements terrestres, peu d'activités de ce type sont envisageables. Chez Panhard, par exemple, on étudie la fabrication de camions civils pour des missions spéciales, mais les matériels que l'on développe pour l'armée de terre sont relativement peu transposables dans le domaine civil.
Les différences de capacités financières entre les entreprises françaises et américaines que vous avez évoquées fragilisent nos PME-PMI, confrontées à des risques de perte de savoir-faire et de rupture en matière d'approvisionnement : quel rôle pourrait jouer dans ce domaine l'Agence européenne de défense (AED) ?
Nous disposons du meilleur char au monde – le Leclerc –, du meilleur hélicoptère d'attaque – le Tigre –, du meilleur canon – le CAESAR – et pourtant nous rencontrons des difficultés à exporter : quelles mesures concrètes permettraient de faciliter nos exportations ?
Les révolutions en cours dans le monde arabo-islamique auront-elles des conséquences à court terme sur nos capacités d'exportation vers les pays de la région ?
L'AED ne joue aucun rôle à l'égard de nos PME – si tant est que celles-ci en connaissent l'existence – et vis-à-vis de nos grands groupes son rôle est relativement modeste. On peut regretter à ce sujet la difficulté que rencontre l'Europe de la défense à se construire.
Nous avons effectivement, M. Folliot, certains des meilleurs matériels du monde – qui nous ont d'ailleurs coûté très cher à développer. Le Tigre ne s'est pas mal vendu, mais on peut se demander s'il fallait produire seuls un char de combat de la taille du Leclerc : alors que le Léopard 2 a été vendu à quatorze pays, le Leclerc l'a été à un seul et dans des conditions économiques contestables. On fabrique de très bons matériels qu'on n'arrive pas toujours à vendre : on dit que le char Leclerc est très cher et, malgré la vente de 400 exemplaires aux Émirats arabes unis, non seulement nous n'avons pas fait de bénéfices, mais nous avons perdu de l'argent. Le dossier a probablement été mal géré et je ne crois pas qu'on aurait dû accepter de changer de moteur. En tout cas, le char aurait dû être vendu à d'autres pays, tels l'Arabie Saoudite, avec qui cela n'a pas été possible pour des raisons politiques diverses. S'il est difficile de refaire l'histoire, il faut éviter qu'elle se répète et que le futur soit pire que le passé !
Il est difficile d'apprécier les conséquences des révolutions dans le monde arabe. En Libye, les perspectives d'exportation sont remises en cause pour un certain temps. L'Égypte ne constituait pas un de nos marchés privilégiés. La Tunisie est un marché marginal. Dans les pays du Golfe, nos clients éprouvent certaines inquiétudes, mais il est trop tôt pour savoir si les effets seront positifs ou négatifs.
Quelle est la part du chiffre d'affaires du GICAT consacrée respectivement aux ventes d'équipements à l'armée française et aux exportations ?
Quels sont par ailleurs les principaux clients étrangers des industriels du secteur ?
Au cours d'une visite d'une délégation de la Commission aux Émirats arabes unis – à laquelle j'ai participé – nous a été exposé le système des offsets (compensations) – ou des joint-ventures ou co-entreprises – donnant lieu à des plans sur sept ans entre les entreprises exportatrices et les autorités des Émirats. Cette pratique existe-t-elle dans d'autres pays ? Constitue-t-elle une réelle contrainte ou un partenariat « gagnant-gagnant » pour nos industriels ? Doit-elle selon vous être corrigée ?
Le chiffre d'affaires de nos ventes d'équipements à l'armée de terre française représente environ 3 milliards d'euros, contre 2 milliards pour les exportations. Nos principaux clients sont les autres pays européens et les pays du Golfe.
Quant aux offsets, ils sont très répandus, y compris en Europe – la Grèce par exemple en exige d'importants. De plus en plus de pays exigent des offsets difficiles à réaliser, ce qui pose de grandes difficultés. Il faut s'en accommoder, mais nous pourrions également en réclamer lorsque nous achetons du matériel à l'étranger, ce que nous nous interdisons de faire.
Dans le cadre des règles actuelles et futures du commerce international, il n'y aura pas d'autre échappatoire. Si auparavant, l'Europe et les États-Unis disposaient d'une suprématie écrasante, ne laissant pas d'autre choix possible à nos partenaires commerciaux, ce n'est plus le cas aujourd'hui : les pays en développement ont besoin de faire travailler leurs ressortissants ; il faudra donc partager de façon équilibrée cette préoccupation d'emploi. Vous avez dû accepter ces offsets pour obtenir votre contrat, mais n'est-ce pas mieux que de n'avoir eu aucun contrat ?
C'est une question de survie : il faudra trouver les modalités acceptables pour remplir nos obligations d'offsets. Nous y sommes parvenus en Grèce, où nous avons satisfait 95 % des conditions. Aux Émirats, ce sera plus compliqué, dans la mesure où ils ne veulent plus qu'on investisse dans l'hôtellerie ou dans les fermes aquatiques mais dans notre secteur – la construction mécanique – et exigent qu'on emploie de la main-d'oeuvre émiratie.
La population nationale des Émirats, qui est officiellement de 18 %, serait en réalité de l'ordre de 15 %, ce qui en effet ne facilite pas les choses ; mais on ne peut en vouloir à cet État de préparer son avenir.
Face à la concurrence étrangère agressive que vous avez évoquée, quels sont les critères de choix de votre clientèle ? Comment entendez-vous la développer ?
Par ailleurs, la politique française internationale a-t-elle des conséquences sur vos ventes à l'étranger ?
Le lien étroit entre les matériels et la doctrine de nos armées que vous avez rappelé crée une difficulté non négligeable pour nos exportations, les pays ayant une doctrine différente n'étant pas amenés à acheter nos matériels. Il faut donc que les produits destinés à l'exportation aient une capacité de polyvalence et d'adaptation suffisante.
En matière d'exportation, nous allons examiner prochainement un projet de loi transposant deux directives communautaires, qui devraient faciliter les ventes à l'étranger. Mais, s'agissant de l'impossibilité pour la SAGEM d'exporter ses viseurs, il faut savoir que nos armées ne souhaitent pas que certains de nos matériels, notamment les plus sophistiqués, soient exportés, de peur de les retrouver dans les armées ennemies face à nos soldats.
Enfin, concernant la consolidation de nos industries d'armement terrestre, il est clair que si rien n'est fait, elles mourront. Face à l'éparpillement de notre industrie d'armement, seriez-vous d'accord pour que soit constitué autour de Thalès un regroupement de nos principales industries, en particulier Nexter, Panhard, RTD, comme je le suggère depuis une dizaine d'années ? Ce serait la seule perspective crédible car elle permettrait de fédérer des savoir-faire et de constituer une véritable force de frappe à l'international.
La compétitivité de nos entreprises dépend de notre accès au marché. Si cet accès est réduit, notre compétitivité diminuera, dans la mesure où l'amortissement des études pèsera trop lourdement sur le prix des matériels, comme le montre l'exemple des systèmes infrarouges de la SAGEM.
On vend des matériels de défense, non seulement parce qu'on est compétitif, qu'ils sont techniquement bien conçus, mais aussi pour des raisons politiques et de similarité de doctrine. À cet égard, notre armée de terre est notre meilleure vitrine : si nos partenaires voyaient que nous acquérions des matériels étrangers, ils n'achèteraient plus les nôtres. Cela dit, comme l'a indiqué M. Fromion, notre industrie militaire terrestre – notamment en ce qui concerne les plateformes et l'artillerie – est en danger de mort.
Je suis ouvert à un regroupement des industriels autour de Thalès : encore faut-il qu'on nous le propose ! Il y a cinq ans, lorsque j'ai conduit le rachat de Panhard, j'en ai discuté étroitement avec ce groupe. Deux conditions sont nécessaires pour cela : que le conseil d'administration de Thalès exprime clairement son accord et que l'État se prononce sur la mise en vente de Nexter – un tel regroupement impliquant que Thalès rachète tout ou partie de cette entreprise. Les industriels que vous avez cités ne seraient pas hostiles à une proposition qui ne les spolierait pas.
Monsieur Hillmeyer, la politique internationale de la France a naturellement des conséquences en termes d'exportation : c'est notamment le cas, de façon négative, lorsqu'elle conduit à placer un pays sous embargo ou, de façon positive, quand elle tend à créer une base militaire à Abou Dabi. Par ailleurs, la direction du développement international de la DGA nous aide beaucoup à développer nos exportations, mais je regrette l'absence, au sein du cabinet du ministre de la défense, d'un conseiller chargé des exportations des matériels de défense.
Les comparaisons que vous avez évoquées entre le chiffre d'affaires des sociétés du GICAT et celui du concurrent britannique BAE Systems sont éloquentes…
Le centre de décision de cette entreprise est aux États-Unis.
Oui, mais elle fait l'objet d'un contrôle par le Gouvernement britannique… Si un regroupement de nos industries est probablement indispensable, parmi les 213 entreprises du GICAT, quelle est la proportion des PME ?
Chargé avec Dominique Caillaud d'un rapport sur l'accès des PME aux marchés de la défense, je souhaiterais savoir ce qu'il en est pour ces PME : ont-elles un accès facile à ces marchés ou sont-elles obligées de passer par de grands maîtres d'oeuvre ?
S'agissant de la transposition des deux directives communautaires, qui mettent en cause l'ancien article 296 du traité de Rome, que pensez-vous de la libre concurrence ainsi introduite sur le marché européen et du principe qui pourrait être retenu d'une sorte de préférence communautaire ?
La DGA a lancé un appel d'offres européen pour 2 500 camions et IVECO, société italienne, a remporté le marché. Certes, une partie de la fabrication est prévue dans notre pays, mais le fait qu'une société italienne comme IVECO ou que certaines sociétés allemandes ne respectent pas toujours la législation sur les appels d'offre européens pose problème.
Le Conseil des industries de défense françaises (CIDEF) – qui regroupe le GICAT, le Groupement industriel des constructions et armements navals (GICAN) et le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) – s'est exprimé à ce sujet. Nous avons fait des recommandations : nous sommes favorables à la préférence communautaire et nous sommes opposés à une ouverture au monde entier. Cette ouverture communautaire doit se faire dans un esprit de réciprocité or certains pays comme l'Allemagne ou l'Italie ont tendance à privilégier leur industrie nationale.
S'agissant du porteur polyvalent terrestre que vous évoquez, monsieur Voisin, j'ai interrogé le délégué général pour l'armement, qui m'a indiqué qu'IVECO était nettement plus compétitif en termes de prix. Il est normal que la DGA cherche à limiter la dépense publique et à obtenir le meilleur rapport qualité-prix. Elle a bien pesé le pour et le contre avant de prendre sa décision. Par ailleurs, IVECO est aussi un grand opérateur en France : une part importante du contrat sera traitée par le groupe Lohr en Alsace et une partie des moteurs sera fabriquée à Bourbon-Lancy. Donc entre IVECO et Volvo, qui détient environ 80 % des actions de RTD, sachant que les moteurs de cette société auraient été fabriqués par Volvo à l'étranger, le choix était évident. Mais on peut exiger en retour que la prochaine fois que l'Italie fera un appel d'offres, elle prenne honnêtement en compte les candidatures françaises et ne fausse pas la concurrence.
Vous avez indiqué précédemment que nous vendions des matériels en raison de leur excellence et parce que nos armées apportaient la preuve de celle-ci : n'est-ce pas contradictoire avec ce que vous venez de dire au sujet d'IVECO ? Nos acheteurs éventuels ne seront-ils pas tentés de se tourner vers cette société ?
Qu'est-ce que cela change pour nous s'ils se tournent vers IVECO plutôt que vers Volvo ? Le marché du camion est mondial : or ces deux entreprises fabriquent en France dans des proportions à peu près identiques ; tout dépend du modèle. Sur ce type de produits, proches de ceux des gammes civiles, il faut raisonner au niveau européen : les camions ne constituent pas un enjeu de suprématie ou stratégique, tout au plus un enjeu économique.
Je pense que, compte tenu de la réponse de M. Mons concernant un éventuel regroupement industriel autour de Thalès, de la situation critique dans laquelle nous nous trouvons et de l'immobilisme qui semble se faire jour en la matière, la commission pourrait solliciter les plus hautes autorités de l'État pour que ce projet avance.
Il faut réfléchir à la manière dont la commission pourra agir, avec l'aval, bien évidemment, de notre rapporteur budgétaire « terre ».
Compte tenu du statut de Nexter, qui est une entreprise nationale, il faudrait peut-être interroger au préalable le ministre de la défense.
La réponse de M. Mons nous a bien éclairés sur le handicap que ce fait pouvait constituer. Il nous faut avant tout démontrer qu'une volonté commune existe et que le projet est réalisable.
L'État pourra difficilement être proactif – on lui a posé plusieurs fois la question : il a convenu que nous avions raison, mais il n'a rien fait ! Une volonté entrepreneuriale de la part de Thalès ou de l'entreprise qui fédérerait le regroupement est nécessaire.
26 % !
Tout à l'heure on semblait stigmatiser l'État en tant que propriétaire d'une grande d'entreprise : or, lors de la constitution d'EADS, il a vendu ses parts et on s'aperçoit que les deux actionnaires majoritaires – allemand et français – sont prêts à revendre leur participation en cherchant ailleurs leur rentabilité.
Il faut, selon moi, que l'État conserve dans cette société une participation de l'ordre de 30 à 35 %.
La séance est levée à onze heures quinze.