Je voudrais vous présenter le GICAT et évoquer les problématiques essentielles de l'industrie d'armement terrestre aujourd'hui. Le GICAT regroupe 213 sociétés – dont 85 % sont des ETI (entreprises de taille intermédiaire) et des PME – ayant des activités dans cinq secteurs spécifiques : électronique et systèmes, véhicules tactiques et blindés, aéroterrestre, services – qui sont en forte croissance avec, entre autres, les activités de maintien en condition opérationnelle (MCO) –, armement et munitions.
On estime que la défense terrestre et aéroterrestre génère 20 000 emplois directs, auxquels s'ajoutent environ 20 000 emplois indirects. En 2009, le GICAT a déclaré un chiffre d'affaires non consolidé de 5,26 milliards d'euros, dont 2,1 milliards d'euros à l'exportation.
Ces chiffres, tout à fait significatifs, cachent de vraies difficultés car, à la différence des secteurs naval et aéronautique, dans le domaine terrestre, la France ne peut pas prétendre à un leadership mondial. De fait, la base industrielle et technologique de défense (BITD) terrestre est aujourd'hui menacée. Les acteurs français du domaine le plus emblématique, celui des véhicules blindésartillerie – qui sont les moteurs de l'offre française pour les systèmes et les équipements – ont été progressivement distancés en volume d'activité par une concurrence étrangère très agressive. Les chiffres d'affaires de Nexter, Renault Trucks Defense (RTD) et Panhard cumulés hors munitions sont de l'ordre d'un milliard d'euros, mais aucune de ces entreprises ne dispose d'une taille significative par rapport à ses concurrents étrangers. Cette taille réduite se traduit par des capacités d'investissement insuffisantes, une perte de compétitivité et a des conséquences négatives pour l'ensemble du domaine terrestre et aéroterrestre.
D'ailleurs, le chiffre d'affaires des 213 sociétés du GICAT équivaut à celui d'un seul de nos grands concurrents anglo-saxons – BAE Systems ou General Dynamics.
Or, la préservation d'un tissu industriel terrestre national est essentielle pour deux raisons majeures. La première a trait à l'indépendance nationale, qui suppose que la France puisse engager ses forces lorsqu'elle le souhaite – dans un cadre national ou en coalition – et comme elle l'entend. La liberté d'engagement des forces terrestres est garantie par une indépendance d'accès aux technologies et aux équipements. Elle implique une autonomie dans ce domaine, qui est aujourd'hui menacée. Seule la préservation d'un tissu industriel terrestre national peut permettre de disposer d'une liberté d'action dans des secteurs clés pour l'armée de terre. Il est en particulier indispensable de limiter la dépendance vis-à-vis des matériels soumis aux règles américaines ITAR (International Traffic in Arms Regulations), qui conditionnent les autorisations d'exportation et l'usage de ceux-ci.
La préservation de la BITD terrestre permet également de conserver la doctrine d'emploi des forces terrestres avec ses moyens – cela vaut notamment pour les véhicules blindés, la simulation ou les systèmes de commandement. Elle permet aussi à l'armée de terre d'assurer normalement ses activités de soutien en service (MCO) dans des conditions opérationnelles et économiques acceptables.
La deuxième raison majeure est la capacité d'adaptation des forces, qui constitue un fondement important de la pérennité de la capacité opérationnelle – c'est-à-dire une adaptation réactive en fonction du théâtre d'emploi et des conditions d'évolution de notre engagement. Elle nécessite d'avoir une industrie à la disposition des états-majors, capable de répondre rapidement, en particulier aux besoins opérationnels urgents.
J'estime donc nécessaire que l'État prenne des mesures dans plusieurs domaines.
En premier lieu, il est souhaitable – le chef d'état-major de l'armée de terre le rappelle régulièrement – de conforter la part de cette armée dans le budget. L'exécution de la loi de programmation militaire (LPM) 2003-2008 s'est traduite pour elle par la perte de près de deux annuités de commandes. Ce décalage a eu un impact sur le niveau de capacité opérationnelle des forces terrestres. Depuis 2009, malgré la mise en service d'équipements majeurs, programmés de longue date (Tigre, VBCI, CAESAR…), et la réalisation d'équipements de cohérence opérationnelle en urgence (équivalents à l'équipement d'une petite brigade), l'armée de terre n'a pas bénéficié des priorités et de « l'accent particulier » prévus dans le Livre blanc.
Ces dérives ont affaibli cette armée, mais aussi le secteur industriel de l'armement terrestre. Un effort budgétaire doit donc être consenti en faveur de l'armée de terre pour lui donner les moyens d'atteindre les objectifs du contrat opérationnel définis par le Livre blanc. Sa part dans le programme 146 (Équipement des forces) doit être portée à 2 milliards d'euros dès 2012 et ce, jusqu'en 2020.
En deuxième lieu, il faut consolider le secteur terrestre, en particulier les plateformistes. Leur taille modeste se traduit là aussi par des capacités d'investissement insuffisantes et une perte de compétitivité. Il est urgent de restructurer les entreprises françaises et d'envisager des rapprochements avec nos partenaires européens.
Troisièmement, le maintien des compétences nationales nécessaires au développement des systèmes futurs passe par un soutien étatique suffisant à la R&D (recherche-développement) du secteur terrestre, ce soutien ayant été divisé par deux. Nous n'avons pas des moyens de R&D qui permettraient l'expansion d'entreprises compétitives.
Enfin, il faut améliorer le soutien à l'exportation. Les deux rapports de M. Fromion ont permis d'améliorer substantiellement les conditions administratives d'obtention des autorisations d'exportation, mais il reste encore beaucoup à faire. La réglementation en la matière contribue au risque de sous-investissement que j'évoquais.
Ainsi, la SAGEM – qui fabrique des systèmes de vision nocturne – ne peut investir dans les dernières technologies de systèmes infrarouges, faute de pouvoir amortir ses investissements par des capacités d'exportation suffisantes, les autorisations d'exportation n'ayant pas été accordées et le marché français (qui représente environ 5 % du marché mondial) étant trop limité. Les armées risquent dans ces conditions de se fournir à l'étranger – sauf à considérer ces matériels comme stratégiques et à financer la totalité de leur fabrication sur deniers publics. Pour des raisons de politique du contrôle des exportations, on affaiblit donc nos capacités industrielles. Il faut revoir la matrice pays-produits de choix et de décision des autorisations d'exportation utilisée par la direction générale de l'armement (DGA), qui est pénalisante pour notre industrie.
En conclusion, l'articulation en trois cercles de la politique industrielle par le Livre blanc se révèle dangereuse : rejetant tout le secteur terrestre dans les deuxième et troisième cercles, elle va se traduire à terme par un affaiblissement de l'indépendance nationale et des capacités de nos forces terrestres, alors que celles-ci représentent depuis de nombreuses années plus de 80 % des forces engagées en dehors du territoire national – pour moins de 20 % des budgets d'équipement de la défense – et sont la marque de l'engagement politique de notre pays dans les conflits actuels.
Une des premières mesures à faire adopter par le Gouvernement est la réintégration d'une partie du secteur industriel terrestre dans le premier cercle – ou au moins le haut du deuxième cercle – pour éviter les dépendances critiques qui s'accroissent aujourd'hui, pour préserver les capacités opérationnelles de l'armée de terre, pour maintenir l'excellence française et l'innovation, et pour soutenir l'emploi.