La séance est ouverte à 10 heures 15.
Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.
La Commission examine tout d'abord, sur le rapport de M. Gaëtan Gorce, la proposition de loi constitutionnelle et la proposition de loi organique de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et apparentés pour une République décente (n° 2774 et n° 2775).
Ces deux propositions de loi tirent simplement les leçons de certains événements survenus depuis trois ans. Des évolutions juridiques nous semblent en effet nécessaires pour prévenir des comportements dont tous les représentants de la nation et défenseurs de ses institutions que nous sommes auraient à souffrir.
Elles concernent le régime d'incompatibilité applicable aux membres du Gouvernement. Force est en effet de constater que certaines confusions sont susceptibles de nourrir des suspicions aussi préjudiciables à notre République et à son image que certains comportements avérés faisant l'objet de poursuites pénales. Afin de prévenir de telles suspicions, il nous paraît nécessaire de mieux définir le conflit d'intérêts dans l'exercice de fonctions gouvernementales. La voie juridique pour y parvenir est escarpée puisqu'il nous faut proposer à la fois une proposition de loi constitutionnelle et une proposition de loi organique. En effet, l'article 23 de la Constitution énumère limitativement les incompatibilités applicables aux membres du Gouvernement mais, à la différence de ce que prévoit la loi fondamentale pour toutes les autres incompatibilités qu'elle énonce, concernant, par exemple, les membres du Parlement ou les membres du Conseil constitutionnel, il n'y a pas de renvoi à une loi organique permettant d'allonger cette liste. Notre proposition de loi constitutionnelle vise donc à combler cette lacune.
Notre proposition de loi organique, précisément, introduit deux nouvelles incompatibilités pour parvenir à notre objectif d'une République décente. L'article 23 de la Constitution vise à garantir l'indépendance des membres du Gouvernement vis-à-vis d'intérêts privés ou partisans. L'esprit de la Constitution a d'ailleurs conduit des décennies durant à ce que tel soit de facto le cas, le Président de la République et le Premier ministre veillant à empêcher les conflits d'intérêts. La situation a évolué, notamment depuis la cohabitation, et des personnes ont pu occuper des fonctions gouvernementales tout en conservant leurs responsabilités au sein de leur parti. Cela ne peut que susciter des contestations quand ce cumul porte sur des responsabilités mettant en jeu les intérêts financiers de ces partis ou de leurs donateurs. Je fais bien évidemment allusion à une situation particulière, que le simple bon sens aurait dû conduire à éviter mais que la loi constitutionnelle n'interdit pas aujourd'hui. Sans accuser qui que ce soit, il conviendrait au nom de l'éthique qu'il ne soit plus possible d'avoir en même temps la charge des finances de l'État et de celles du parti majoritaire.
D'où notre première proposition, simple, que la fonction de membre du Gouvernement soit incompatible avec l'exercice d'une responsabilité exécutive dans toute structure à laquelle les dons et versements ouvrent droit à une réduction d'impôt au titre de l'article 200 du code général des impôts. Le régime actuel des incompatibilités ministérielles vis-à-vis d'intérêts privés étant aujourd'hui beaucoup plus souple que celui des parlementaires, notre seconde proposition est qu'un membre du Gouvernement ne puisse, directement ou indirectement, avoir des intérêts dans des organismes soumis au contrôle de son administration, et de nature à compromettre son indépendance. Il s'agit de prévenir toute possibilité de conflit d'intérêts – le délit de prise illégale d'intérêt consistant, lui, en un conflit d'intérêts avéré ayant abouti à ce qu'un membre du Gouvernement ou l'un de ses proches tire avantage de l'exercice de ses fonctions. De façon à rendre le dispositif pleinement opérationnel, j'ai déposé un amendement exigeant des ministres qu'à leur nomination, ils transmettent une déclaration d'intérêts au Conseil constitutionnel, lequel les informera, le cas échéant, d'une prise d'intérêts incompatible avec leurs nouvelles fonctions et les invitera à la faire cesser dans un délai de deux mois.
Tout en renonçant à définir le conflit d'intérêts, tant il serait difficile d'englober sous une définition unique l'infinie diversité des situations possibles, nous proposons un dispositif clair et simple. Il ne s'agit que de prévenir les conflits d'intérêts, leur sanction, si des infractions devaient être constatées, relevant de la justice pénale.
Je forme le voeu que ces deux propositions de loi reçoivent le meilleur accueil. Je n'ignore pas que des réflexions sont engagées ici et là sur ces questions, à l'initiative notamment du Président de la République. Mais il nous a semblé utile que le Parlement se saisisse du sujet ; nos deux textes ne constituent qu'un minimum minimorum car pour garantir réellement ce que nous avons appelé une « République décente », beaucoup d'autres dispositions seraient nécessaires – mais à l'impossible nul n'est tenu.
Majorité et opposition s'honoreraient à voter ensemble ces deux propositions de loi, comme elles l'avaient fait en 1995 sur le texte proposé par le président de l'Assemblée de l'époque, Philippe Seguin, qui visait déjà à rendre plus éthique le fonctionnement de nos institutions. Comment l'article 2 de la proposition de loi organique pourrait-il ne pas recueillir un assentiment unanime ? Si, dans un cas particulier que nous avons tous présent à l'esprit – il a pu en exister d'autres, par le passé –, certaines résistances se sont manifestées, l'évidence l'a finalement emporté : on ne peut pas en même temps être membre du Gouvernement et être responsable financier d'un parti politique – non plus que de toute autre structure financée par des dons ouvrant droit à réduction d'impôt. Quant à l'article 1er, il vise à appliquer aux membres du Gouvernement un régime d'incompatibilités semblable à celui des parlementaires. N'est-ce pas une anomalie que ce ne soit pas déjà le cas ? Je souhaite donc que la sagesse l'emporte sur les arrière-pensées et que ces deux textes bénéficient d'un large soutien de notre Assemblée.
L'adoption de la proposition de loi constitutionnelle de nos collègues supposerait bien entendu un consensus politique.
Un référendum serait en outre nécessaire, s'agissant d'une proposition de loi constitutionnelle.
L'important aujourd'hui est d'abord de ne pas affaiblir la République. Depuis les années 90, l'actuelle majorité a fait adopter plusieurs textes majeurs renforçant la transparence de la vie politique – j'ai eu l'honneur d'en rapporter certains –, en se conformant aux standards internationaux. Il existe aujourd'hui une commission pour la transparence financière de la vie politique, instance indépendante chargée de surveiller l'évolution de la situation patrimoniale des parlementaires et des membres du Gouvernement, afin de vérifier qu'ils n'ont pas bénéficié d'un enrichissement anormal. Si nous suivions nos collègues de l'opposition dans leur souhait de rendre la République plus « décente », cela signifierait implicitement qu'aujourd'hui elle ne l'est pas. Le vocabulaire employé a son importance et il faut y être extrêmement attentif, notamment pour ne pas creuser encore le fossé entre la réalité et sa perception par nos concitoyens. Certaines polémiques ne font qu'affaiblir notre démocratie.
Si je partage l'objectif de nos collègues, une tout autre méthode serait nécessaire pour y parvenir dans le consensus. Mettons en place au sein de notre commission un groupe de travail, associant des représentants de tous bords, afin d'évaluer les dispositifs en place visant à la transparence financière de la vie politique et la surveillance qui s'exerce déjà. Mais ne laissons surtout pas accroire que la classe politique s'exonère des règles de la transparence et de l'éthique. Cela irait à l'encontre même de l'objectif recherché. Méfions-nous du « plus blanc que blanc » ! Pour faire avancer la réflexion, j'ai déposé deux amendements et on pourrait en présenter davantage, mais ce n'est pas le plus important. Commençons par respecter les règles en vigueur et, sans doute, par rendre plus strictes les règles d'éligibilité. Nul ne doit pouvoir être élu député ou nommé membre du Gouvernement s'il a antérieurement été condamné pour corruption, favoritisme ou prise illégale d'intérêt, condamnations qui interdisent déjà l'exercice de certains métiers, sur décision judiciaire.
Les exigences éthiques de la majorité sont aussi fortes que celles de l'opposition et nous aurions tout intérêt aujourd'hui, comme cela fut le cas par le passé, à nous retrouver sur les objectifs. Rien ne serait pire que de laisser la suspicion se répandre dans l'opinion et de faire ainsi le jeu des adversaires de la démocratie.
Ces propositions de loi sont très courtes, mais le chantier est vaste… Une large concertation serait nécessaire pour définir le dispositif.
Il reste que je partage l'objectif. Nos concitoyens souhaitent très fortement être rassurés sur le respect, par les élus comme par les ministres, de la morale et de la dignité attachées à leurs mandats et fonctions.
Cela étant, le rapporteur tient-il essentiellement au titre des deux propositions de loi qui nous sont soumises ? Certains d'entre nous seraient sans doute plus enclins à soutenir des textes qui s'intituleraient « Pour une République irréprochable » ou « Pour une République éthique ». L'emploi de l'adjectif « décente » dans ce contexte est d'ailleurs un anglicisme. Ce que l'on entend par décence en français, qui a à voir avec la morale privée, ne recouvre pas le decency anglais. Luttons contre l'invasion de ce qu'Étiemble appelait le « sabir atlantique » et trouvons un terme correspondant à la conception française.
Nos collègues de l'opposition, en stigmatisant les comportements de la majorité et en agitant le chiffon rouge d'une République indécente, nous tendent à l'évidence un piège grossier. Le sujet mérite pourtant mieux qu'un coup politique et médiatique. Comment renforcer la transparence ? Comment améliorer les conditions d'exercice des mandats publics ? Ce sont là de vraies questions pour tous les républicains et démocrates. Hélas, les questions abordées dans ces deux textes sont très partielles, la façon de les traiter est partiale, et l'ensemble est bien creux.
Était-il opportun d'ouvrir ce débat maintenant ? Je ne le pense pas. Le sujet mériterait d'être traité dans le cadre d'un programme présidentiel ou de législature, mais certainement pas ainsi, à la va-vite, après avoir fait « monter la mayonnaise » depuis quelques semaines pour tenter de démontrer que cette République était indécente, et cette majorité aussi. À jouer avec le feu, on risque de se brûler mais en l'espèce, ce que l'on brûle, c'est la confiance de nos concitoyens dans la démocratie. Or, notre démocratie n'est pas en danger aujourd'hui, quoi que vous en disiez.
Je partage totalement l'avis de Philippe Gosselin. Il est extrêmement dangereux d'évoquer ces sujets dans les conditions dans lesquelles on nous le propose aujourd'hui. En surfant sur ce qu'on pense être le jugement de l'opinion publique, certains voudraient faire croire que rien n'a été fait jusqu'à présent et que la situation exigerait d'agir d'urgence. Or la vérité exige de rappeler le parcours accompli. Il y a vingt ans, dans notre pays, un élu pouvait cumuler un nombre illimité de mandats, sans aucun contrôle, ainsi que les indemnités afférentes, dont aucune, de surcroît, n'était fiscalisée. Aujourd'hui, et chacun s'en félicite, le cumul des mandats est limité, les indemnités correspondantes sont plafonnées et fiscalisées. Invoquer à l'encan une « République décente » et faire miroiter une révolution par cette batterie de textes de tous ordres, c'est apporter, de manière justement bien indécente, de l'eau au moulin des contempteurs de la classe politique et fournir aux populistes des arguments inespérés. Sans tomber dans le piège qu'un camp essaie ainsi de tendre à l'autre, je n'en inviterai pas moins les gouvernements successifs à continuer de réfléchir à ces sujets. Pour l'heure, le bon sens commande de ne pas nous laisser entraîner sur ce chemin dangereux qui fait le lit de tous les populismes.
Ces propositions de loi, sans aucun intérêt sur le plan juridique, n'ont été proposées que pour leur titre. Elles représentent vraiment ce qu'on peut faire de pire dans la démocratie parlementaire. Pour nos collègues de l'opposition, l'essentiel est d'affirmer que nous sommes dans une République indécente. Cela ne peut que faire sourire ceux d'entre nous qui n'ont pas la mémoire courte et qui savent qu'on a pu, dans le passé, ne pas qualifier d'« indécente » une République qui l'était.
Ces propositions de loi s'apparentent à un mauvais tract. Partielles, elles ne traitent que des membres du Gouvernement et de certaines incompatibilités. Le problème de la transparence de la vie politique est beaucoup plus vaste. Les députés, les sénateurs, les maires, les présidents de région – tous élus dont vous ne parlez pas – sont aussi concernés. Ma première suggestion serait qu'on lève officiellement le secret de la Commission pour la transparence financière de la vie politique et que les déclarations des élus soient rendues publiques, afin de lever tout soupçon – je crois me souvenir du vol de la déclaration de revenus de M. Bertrand Delanoë. Comme dans toutes les démocraties « décentes », les revenus et le patrimoine de tous les élus, y compris des élus locaux, devraient être rendus publics, avec indication de leur variation entre le début et la fin du mandat. Ma seconde proposition serait de lever également, comme on le fait lors de recrutements à certains postes dans la fonction publique, le secret protégeant le casier judiciaire. Cela aurait permis, dans le Val d'Oise, de stopper la polémique que l'on sait, en prouvant que certaines affirmations n'étaient pas aussi fausses que certains le prétendaient. Les électeurs auraient ainsi mieux connu les candidats qui se présentaient à leurs suffrages. Si vous souhaitez véritablement la transparence, allez jusqu'au bout, plutôt que de nous soumettre ce mauvais tract rédigé à la va-vite !
Certains de nos collègues craignent que ces propositions de loi n'alimentent le populisme, mais si nos débats de ce matin étaient retransmis à la télévision, ce sont le jeu de rôles auquel ils se prêtent et leurs excès qui l'alimenteraient...
Un problème s'est posé au sujet de M. Woerth – je cite, moi, le nom des personnes –, lequel en a lui-même convenu, puisqu'il s'est démis de ses fonctions de trésorier du principal parti de la majorité. Un problème analogue pourrait toucher toutes les formations politiques. Dans n'importe quelle démocratie moderne et apaisée, notamment d'Europe du Nord, une telle situation aurait conduit à l'adoption sans délai et à l'unanimité d'un texte à caractère technique comme celui-ci, afin de régler la difficulté. Nos concitoyens seraient les premiers heureux aujourd'hui que droite et gauche, au lieu de se livrer à des surenchères et d'enchaîner les déclarations outrancières, puissent se mettre d'accord sur le moyen d'éviter à l'avenir une fâcheuse confusion des genres et faire en sorte qu'un ministre de la République, en particulier celui du budget, ne puisse pas être en même temps trésorier du parti majoritaire. Voilà ce qui serait le meilleur moyen de lutter contre le populisme. Une fois de plus, ce ne sera, hélas, pas le cas. Je le regrette.
Notre Commission déplore souvent que le Gouvernement dépose ses projets de loi à la suite de tel ou tel fait d'actualité, mais je constate que le même reproche peut être fait à certains parlementaires, chacun ayant bien compris l'origine de ces propositions de loi…
Si je suis convaincu que le mélange des genres est nocif pour la démocratie, je ne pense pas que ce type de texte permette d'améliorer les pratiques, souvent regrettables, qui ont existé sous tous les gouvernements et toutes les majorités. Mais il revient, je le crois, au Parlement de contrôler les activités parallèles des membres du Gouvernement et de garantir toute transparence en ce domaine. Si nous en avions le courage, cette transparence permettrait une régulation automatique des pratiques, comme il en existe une dans toutes les démocraties matures.
Dernière remarque : l'article premier de la proposition de loi organique interdit à tout membre du Gouvernement d'avoir par lui-même « ou par personne interposée » des intérêts dans toute structure soumise au contrôle de son administration. Femme, mari, frère, soeur, cousin pourraient ainsi se trouver visés. Cette question ne me paraît pas devoir être réglée ainsi par la loi. La transparence et le contrôle du Parlement doivent apporter les régulations nécessaires.
Dictée par l'actualité, dotée d'un mauvais titre, visant directement certaines personnes, alors que la loi se doit de fixer, dans la sérénité, un cadre général, cette proposition de loi organique a décidément bien des défauts. Le thème de la République en danger est, certes, souvent mobilisateur mais sur le fond, convenons que ce qui nous est proposé est indigent. Pas un mot des présidents de conseils régionaux, de conseils généraux, de communautés d'agglomération, ni d'ailleurs des parlementaires ! Si, plutôt que de faire un coup politique et médiatique, on souhaite vraiment ouvrir le dossier, il faut rechercher dans la sérénité, et ce serait l'honneur du Parlement, un consensus entre majorité et opposition. Mais n'intervenons pas dans ces conditions, pas ici, pas maintenant, pas ainsi !
Plutôt que de stigmatiser une situation et une seule, il faudrait assurer une plus grande transparence des revenus et du patrimoine de tous les grands élus. C'est donc plutôt sur la proposition de loi tendant à renforcer les exigences de transparence financière de la vie politique que pourrait s'engager un débat utile.
Je suis surpris des réactions suscitées par ces deux textes. Certains confondent l'effet et la cause. Vous dénoncez comme un ferment potentiel de populisme des textes visant à prévenir des situations où les élus pourraient être suspectés, alors qu'ils n'ont d'autre objet que de fixer des règles claires, de façon que de telles critiques ne puissent précisément voir le jour.
S'il suffisait de modifier l'intitulé de ces propositions de loi pour qu'elles soient votées, je serais tout à fait disposé à remplacer l'adjectif « décente », encore que celui « d'irréprochable », parfois préconisé, n'ait pas fait la preuve de toute son efficacité.
Si vous voulez.
Si la question se pose aujourd'hui, et sans vouloir désigner à la vindicte qui que ce soit, c'est que nos concitoyens, alertés de situations manifestement contraires à l'éthique républicaine, portent aujourd'hui un jugement extrêmement négatif sur le fonctionnement de nos institutions. Pendant longtemps, l'esprit de la Constitution et la déontologie ont suffi à assurer une certaine régulation, et je trouve en effet dommage que nous soyons contraints de recourir à la mise en place de règles de droit. Mais si nous ne faisions rien, nous laisserions s'installer des suspicions, dont se nourrissent précisément les rumeurs et les procès d'intention que vous dénoncez.
Monsieur Goasguen, si vous aviez lu ces deux textes, vous auriez constaté qu'ils permettraient un double progrès. Le premier serait de rétablir un principe gaulliste, qui a fonctionné jusqu'à la première cohabitation, selon lequel les fonctions de membre du Gouvernement et de responsable de parti ne sont tout simplement pas compatibles. Le second serait de prévenir tout conflit d'intérêts éventuel pour les membres du Gouvernement ; il s'agit non pas de jeter la suspicion mais de l'empêcher, non pas de sanctionner mais de prévenir les faits qui pourraient être répréhensibles. Je ne comprends pas, chers collègues, pourquoi vous réagissez si violemment à des propositions dont le seul objectif est de clarifier certaines situations. Pour avoir assisté à certains débats, pour avoir entendu certains d'entre vous s'exprimer sur tel ou tel sujet, pour connaître certains parcours politiques, je pense qu'il est préférable de nous abstenir d'accusations mutuelles. Restons-en au fond du sujet – faute de quoi certains souvenirs pourraient m'autoriser à considérer que l'emploi du mot « décence » est, au regard de certaines pratiques, encore insuffisant.
Député d'un département qui fut celui de Pierre Bérégovoy, j'apprécierais de ne pas l'entendre mettre en cause ici, sachant le destin qui a été le sien. Je suis abasourdi de ce que j'entends.
Vous n'allez tout de même pas dénier à l'opposition le droit de défendre ses propositions de loi ! Pour le reste, il y a des limites à ne pas franchir. Qu'un parlementaire aussi chevronné que M. Goasguen se permette de faire référence à un ancien Premier ministre qui s'est par la suite suicidé est indécent. Nos débats doivent retrouver leur dignité.
Je n'ai nullement mis en cause Pierre Bérégovoy. J'ai simplement rappelé l'épisode où certains députés de l'époque lui avaient demandé « des noms » lorsqu'il avait laissé entendre, à la tribune de notre Assemblée, qu'il pourrait parler de certains…
La Commission en arrive à l'examen des articles de la proposition de loi constitutionnelle.
Article unique (article 23 de la Constitution) : Augmentation du nombre d'incompatibilités applicables aux ministres
La Commission examine l'amendement CL 1 du rapporteur.
Cet amendement vise à mettre en place les dispositifs permettant concrètement que les incompatibilités prévues puissent être constatées et sanctionnées.
La Commission rejette l'amendement.
Puis elle rejette l'article unique et, partant, l'ensemble de la proposition de loi constitutionnelle.
La Commission passe ensuite à l'examen des articles de la proposition de loi organique.
Article 1er (article 8 [nouveau] de l'ordonnance n° 58-1099 du 17 novembre 1958 portant loi organique pour l'application de l'article 23 de la Constitution) : Interdiction, pour les ministres, de prendre des intérêts de nature à compromettre leur indépendance
La Commission examine l'amendement CL 1 du rapporteur.
Cet amendement prévoit que tout membre du Gouvernement, après sa nomination, adresse au Conseil constitutionnel une déclaration d'intérêts. Je ne verrais pas d'objection à ce que celle-ci soit rendue publique, si tel était le souhait de la Commission.
La Commission rejette l'amendement.
Puis elle rejette l'article 1er.
Article 2 (article 9 [nouveau] de l'ordonnance n° 58-1099 du 17 novembre 1958 portant loi organique pour l'application de l'article 23 de la Constitution) : Incompatibilité des fonctions ministérielles avec certaines fonctions au sein d'associations, de fondations et d'autres organismes
La Commission rejette l'amendement rédactionnel CL 2 du rapporteur.
Puis elle examine l'amendement CL3 du rapporteur.
Cet amendement vise à aligner le régime de l'incompatibilité visée sur le droit commun des incompatibilités applicables aux ministres.
La Commission rejette l'amendement.
Puis elle rejette l'article 2.
Elle rejette enfin l'ensemble de la proposition de loi organique.
Amendements examinés par la Commission
Proposition de loi constitutionnelle
Amendement CL1 présenté par M. Gaëtan Gorce, rapporteur :
Article unique
Compléter l'alinéa 2 par les mots : « et fixe les conditions dans lesquelles peuvent être constatées de telles incompatibilités ».
Proposition de loi organique
Amendement CL1 présenté par M. Gaëtan Gorce, rapporteur :
Article 1er
Compléter cet article par les deux alinéas suivants :
« Tout membre du Gouvernement, dans le mois qui suit sa nomination, adresse au Conseil constitutionnel une déclaration d'intérêts certifiée sur l'honneur exacte et sincère. Cette déclaration comporte la liste des emplois, fonctions et mandats qu'il a exercés depuis dix ans, les revenus de toute nature qu'il a perçus durant l'année précédent sa nomination ainsi que les activités professionnelles de son conjoint et de ses descendants en ligne directe.
« Dans un délai d'un mois à compter de la réception de la déclaration, le Conseil constitutionnel informe, le cas échéant, le membre du Gouvernement qu'il doit faire cesser la prise d'intérêts incompatible avec l'exercice de ses fonctions. Cette information est également adressée au Président de la République et au Premier ministre. Si dans un délai de deux mois à compter de sa réception, le membre du Gouvernement n'a pas apporté la preuve que cette prise d'intérêts a cessé, le Conseil constitutionnel le déclare démissionnaire du Gouvernement. »
Amendement CL2 présenté par M. Gaëtan Gorce, rapporteur :
Article 2
À l'alinéa 2, après le mot : « impôts » insérer les mots : « dans sa rédaction en vigueur à la date de la publication de la loi organique n° du ».
Amendement CL3 présenté par M. Gaëtan Gorce, rapporteur :
Article 2
Compléter cet article par l'alinéa suivant :
« Pour chaque membre du Gouvernement, cette incompatibilité prend effet à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de sa nomination. Son remplacement dans ses anciennes fonctions a lieu conformément aux statuts de l'association, de la fondation ou de l'organisme concerné. »
Puis, la Commission examine, sur le rapport de M. Jacques Valax, la proposition de loi organique de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et apparentés visant à interdire le cumul du mandat de parlementaire avec l'exercice d'une fonction exécutive locale (n° 2776).
Le texte que je rapporte vise à interdire le cumul entre un mandat parlementaire et – pardonnez mon impertinence – la « détention », plus que l'exercice, d'une fonction exécutive locale. Tant la montée en puissance de la décentralisation que la réaffirmation des prérogatives des parlementaires voulues, semble-t-il, par la dernière réforme constitutionnelle, rendent impossible l'exercice à mi-temps de telles responsabilités. Le comité de réflexion sur la modernisation des institutions de la Ve République l'a rappelé en 2007 ; la doctrine, la presse et, dans une certaine mesure, l'opinion nous poussent à agir ; il est temps que le Parlement se saisisse de la question.
À travers le régime d'incompatibilités mis en place par la loi organique de 1985, modifié en 2000, on s'est efforcé de limiter le nombre de mandats électifs pouvant être détenus simultanément, plutôt que d'appréhender la réalité des fonctions politiques exercées. Le résultat a été, paradoxalement, que le cumul est devenu la norme. Comme le dit Guy Carcassonne, « s'il n'est pas juridiquement interdit, le cumul devient politiquement obligatoire ». Quelles que soient nos différences avec les systèmes politiques des grandes démocraties, aucune ne pratique le cumul des mandats à la même échelle que la France. Il est essentiel que les parlementaires eux-mêmes prennent l'initiative de mettre fin à cette exception. Il ne s'agit aujourd'hui que d'un premier pas, mais c'est celui qui coûte le plus. L'entreprise de revalorisation du Parlement et la rénovation de notre vie politique ne pourront se faire sans rompre avec une culture du cumul enracinée dans nos gènes politiques et, paradoxalement, renouvelée depuis 1985.
Cette proposition de loi organique peut être l'occasion de dépasser les clivages partisans : elle est simple, lisible et opérationnelle. Selon les règles proposées, les députés et sénateurs pourraient continuer à exercer un mandat local, mais ils ne pourraient plus avoir de fonction exécutive dans une collectivité territoriale ou un établissement public de coopération intercommunale. Contrairement à ce que l'on dit souvent, les Français souhaitent que leurs élus locaux et les parlementaires exercent leurs responsabilités à plein temps. Il faut mettre un terme aux faux-semblants et aux excuses trop longtemps avancées pour justifier le cumul.
Le choix du non-cumul répond à trois défis : revaloriser et étendre le rôle du Parlement, dont les membres doivent notamment pouvoir se consacrer aux tâches de contrôle ; redynamiser la démocratie locale, trop souvent vue comme confisquée par une « classe politique » détachée du corps de la nation ; troisièmement, en finir avec la course d'un dossier à l'autre que pratiquent des élus qui jouent la personnalisation du pouvoir mais qui, dans les faits, sont contraints de déléguer de plus en plus les décisions mêmes politiques à la technocratie. Si nous mettons fin au cumul, les élus suivront à nouveau le cursus honorum traditionnel qui fait passer d'un mandat local à une fonction nationale, dans une respiration à la fois enrichissante et naturelle.
Deux propositions de loi organique, reprenant les mêmes dispositions que celle-ci, ont été déposées en 2009 par MM. Lionel Tardy et Jean-Marc Roubaud et cosignées par cinquante-cinq membres de la majorité. J'espère donc que l'examen de cette proposition de loi organique sera l'occasion d'un vote de conviction et non d'un affrontement partisan sur un sujet essentiel qui intéresse les parlementaires, mais au premier chef les Français.
Je voterai cette proposition de loi aussitôt que ses signataires, en particulier le président du groupe socialiste, se seront mis en accord avec elle en renonçant à cumuler les mandats.
La majorité ne votera pas ce texte, afin de ne pas mettre nos collègues du Parti socialiste en difficulté… Je n'ose imaginer le drame qui le frapperait, tel un coup de tonnerre, si cette proposition de loi était adoptée. Nous serions sûrement plus à l'aise, parce que plus cohérents, que certains de nos collègues de l'opposition. Je constate d'ailleurs que plusieurs d'entre eux, particulièrement concernés, se sont éclipsés, afin de diminuer les chances de voir ce texte aboutir…
Sur le fond, et quelque soit le talent de notre rapporteur, comment se satisfaire d'un texte aussi sommaire, aussi précipité, alors que le sujet n'est rien moins que l'organisation du débat et de l'action publique dans notre pays ? J'observe par exemple que l'article 2, tel qu'il est rédigé, obligerait un député nouvellement élu avant 2012 à renoncer à toute fonction exécutive locale, tandis que les parlementaires que nous sommes, échapperaient à cette obligation…
En outre, il faudrait cesser d'apporter de l'eau au moulin de ceux qui parlent des « cumulards » comme s'ils étaient des profiteurs de la République. Si beaucoup d'entre nous sont à la fois parlementaires et élus locaux, c'est non seulement pour suivre une tradition française qui a fait ses preuves, mais aussi parce qu'un élu local qui a fait ses preuves a toutes les chances, pour son parti et surtout pour les habitants de son territoire, d'être un bon parlementaire. Si nos concitoyens ne voulaient pas de ce système, soit ils refuseraient de donner leur confiance à leur maire aux élections législatives, soit ils refuseraient de conserver comme maire celui qu'ils ont élu député.
Mieux vaudrait que nous nous penchions sur la question de la complémentarité des mandats, surtout dans la perspective de la réforme territoriale en cours d'examen, plutôt que d'entrer dans cette démarche hâtive et populiste. Je ne voterai donc pas ce texte, et je suis sûr que mes collègues de la majorité ne tomberont pas dans le panneau.
Notre rapporteur n'a jamais parlé de « cumulards ». Ce n'est pas en montrant du doigt tel ou tel que l'on avancera dans la voie de ce que M. Guy Carcassonne considère comme la mère des réformes pour moderniser la vie politique française. Tous les socialistes ne partagent pas cette conviction mais nous sommes une grande majorité – avec certains collègues de l'UMP – à penser que la limitation du cumul des mandats est un gage de meilleur fonctionnement de la démocratie française. Le texte poursuit la route engagée. Il y a dix ans, on pouvait être à la fois parlementaire français et député européen ; président de conseil général, ou régional, en même temps que maire ; ou même cumuler trois mandats, au lieu de deux aujourd'hui. Il restait une étape à franchir, et c'est ce que vise cette proposition de loi organique.
Monsieur Geoffroy, rendez-nous service : mettez-nous en difficulté, comme vous le dites, en votant le texte ! Puisque 55 % des habitants de notre pays vivent dans une municipalité de gauche, puisque la majorité des conseils généraux sont à gauche, puisque vingt et un des vingt-deux présidents de région sont de gauche, obligez les intéressés à choisir ! Les élus socialistes ont décidé de s'appliquer la réforme, ils ont même fixé la date : au lendemain du prochain renouvellement de législature.
Chers collègues, si vous trouvez notre date trop lointaine, proposez-nous un amendement à ce texte et votons-le ensemble !
Nous ne sommes pas là pour régler un problème qui, si un parti politique le souhaite, peut parfaitement se régler en son sein. J'observe en outre que vous omettez d'évoquer les sénatoriales de 2011 : vous avez l'occasion dans quelques semaines de demander aux sénateurs socialistes qui sont en situation de cumul d'y renoncer. Il semble en fait que la souffrance est aujourd'hui telle, chez les membres du Parti socialiste, qu'ils veulent faire en sorte de ne pas être les seuls à souffrir…
Avant même d'exercer un autre mandat, j'avais la conviction, peut-être du fait de ma circonscription, que le cumul est, au moins tant qu'il n'y a pas de proportionnelle, une nécessité. Les spécialistes le savent, il y a des circonscriptions où n'importe qui, quoi qu'il dise ou fasse, peut être élu dès lors qu'il porte la bonne étiquette ; à défaut de cumul des mandats, les élus sont en fait choisis par leur parti, et en rien par les électeurs. Par ailleurs, le mandat local permet de faire remonter des informations au Parlement ; s'il n'y avait pas de cumul, les débats parlementaires seraient beaucoup plus idéologiques et souvent en décalage complet par rapport à la réalité du terrain.
Pour les centristes, le moyen de rendre le Parlement plus efficace serait d'appliquer une proportionnelle de type allemand. Les élus à la proportionnelle, étant avant tout les délégués de leur parti, ne cumuleraient pas, tandis que les élus issus d'un scrutin territorial pourraient continuer à cumuler. On combinerait ainsi la représentation des opinions et celle des territoires.
Cette proposition de loi organique va faire florès parce qu'elle est démagogique, mais la réalité politique et territoriale pousse au cumul. Pour gagner en efficacité au Parlement, il faudrait, plutôt que d'interdire le cumul des mandats, mieux organiser ses travaux. Combien de fois nos agendas sont-ils bousculés ? Si nous savions, par exemple, que nous devons siéger quinze jours par mois, nous serions beaucoup plus présents et nous serions en mesure de nous appuyer sur notre expérience locale.
Le cumul des mandats est un sujet trop complexe pour être traité indépendamment du mode de scrutin. Il faut aussi distinguer selon que les communes sont petites ou grandes, selon qu'il s'agit des fonctions de président ou de vice-président. Nos collègues socialistes sont davantage intéressés par le coup politique, par le slogan, que par la solution du problème. Nous ne pouvons donc pas voter cette proposition de loi. Néanmoins, si elle venait à être adoptée par la Commission, malgré les efforts d'exfiltration de nos collègues socialistes, je déposerais, pour la réunion en application de l'article 88, un amendement de suppression de l'article 2 pour que le texte entre immédiatement en vigueur.
Cette proposition de loi est intéressante, elle n'est pas démagogique parce que l'interdiction n'est pas générale et qu'il n'est pas question de créer une classe parlementaire coupée de la réalité. Mais elle se heurte à deux difficultés.
D'une part, l'impact de la décentralisation se trouve aujourd'hui freiné ; hélas, l'administration centrale devient de plus en plus conquérante, et il est de plus en plus difficile à celui qui exerce une fonction exécutive locale d'être absent du Parlement. Le fait pour le maire de Paris de ne pas siéger au Parlement est sans doute un handicap... Quant aux responsables de grands exécutifs de province, ils ont beaucoup de mal à gérer les relations avec les administrations centrales. D'autre part, la « cohabitation » territoriale entre des majorités différentes est extrêmement difficile à gérer.
En tout état de cause, la question mérite d'être posée et il faut absolument avancer.
On peut débattre encore longtemps des avantages et des inconvénients du cumul. La principale avancée en la matière provient des bancs de l'actuelle opposition et je lui en donne acte. Toutefois, il ne me paraît pas nécessaire de mettre l'électeur sous tutelle : c'est lui qui décide ; or ce qui lui importe, me semble-t-il, c'est, quel que soit le nombre de mandats – ou l'âge, ou tout autre critère que l'on pourrait imaginer de fixer –, que les élus fassent bien leur travail.
Ensuite, vous invoquez à l'appui de votre proposition de loi le renforcement du rôle des parlementaires qui découle de la réforme constitutionnelle alors que, depuis quelques semaines, vous prétendez qu'elle a muselé le Parlement. Il faut choisir…
Enfin, pourquoi se contenter du cumul des mandats politiques ? Vous êtes-vous interrogé, monsieur le rapporteur, sur le cumul d'un mandat local avec certaines fonctions, comme celles de magistrat dans certaines juridictions importantes, convenablement rémunérées ? Pourquoi cette autoflagellation ? À cet égard, votre proposition de loi me paraît insuffisante.
Monsieur le rapporteur, le président des Radicaux de gauche, Jean-Michel Baylet, qui est président de conseil général, sénateur, président d'une intercommunalité et président d'un grand groupe de presse, La Dépêche du Midi, soutient-il le texte ?
Nous avons tous en tête l'image d'Arnaud Montebourg, tout juste élu président de conseil général, en train de nous expliquer, avec un large sourire, qu'il était « victime du système ». La démarche d'interdiction empêche de voir la complémentarité de fonctions qui s'enrichissent mutuellement. Il y a entre nous un clivage qui n'est pas qu'idéologique. Selon le discours démagogique habituel, les parlementaires devraient passer leur semaine à Paris. Outre que l'on peut travailler ailleurs qu'à Paris, la perspective de parlementaires qui vivraient en quelque sorte cloîtrés à Paris serait inquiétante. Au-delà de nos différences politiques, nos expériences de gestionnaires, de développeurs locaux, nous rapprochent. Le cumul des mandats mérite d'être traité – notamment le cas de la présidence d'une intercommunalité –, mais pas au détour d'une petite affaire médiatique.
Mes collègues de la majorité manquent singulièrement de générosité. « L'hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu ». Cette proposition de loi est parfaitement hypocrite, mais rendons-en les auteurs vertueux malgré eux, en la votant ! Nombre d'élus socialistes seraient bien embarrassés.
Ce texte va dans le bon sens pour deux raisons. Premièrement, le rapporteur a eu raison de se référer au cursus honorum des Romains. C'est une bonne idée d'être maire avant d'être député ; être les deux en même temps pose des problèmes. Nous sommes une exception en Europe : ailleurs, il est considéré comme très inconvenant qu'un parlementaire, qui doit défendre l'intérêt général, soit aussi le représentant des intérêts particuliers de sa commune.
Deuxièmement, en tant que gaulliste, je trouve que ce texte rattrape des erreurs dont notre pays subit les conséquences depuis longtemps. Le général de Gaulle a essayé de changer la France en profondeur par une réforme des collectivités locales, mais les baronnies locales l'ont emporté. Supprimer le cumul du mandat de parlementaire et celui de responsable de collectivité, même petite, permettrait au pays d'avancer. Le texte de réforme des collectivités territoriales, que je n'ai pas voté, est l'expression même du blocage qui entrave la France depuis des décennies, et que le texte que nous examinons aujourd'hui permettrait au contraire de lever.
Cette proposition de loi est hypocrite. Je suis prête à la voter dès que tous ses signataires, à qui je tirerai mon chapeau, auront démissionné de leurs différents mandats. Que nos collègues n'imaginent pas communiquer là-dessus auprès des électeurs, qui sauront s'en souvenir. Par ailleurs, s'ils veulent être crédibles, il ne faudrait pas qu'ils oublient d'autres types de cumul, au niveau local – maire, conseiller général, président d'intercommunalité, président de communauté d'agglomération…
La question du cumul des mandats reste posée, au-delà du clivage droite-gauche. Le mandat local est assurément une bonne école, mais il faut, à un moment ou à un autre, la quitter. Ensuite, le sujet doit être abordé sous l'angle de la démocratie, et non, de façon populiste, sous l'angle du cumul des indemnités. Si les parlementaires qui cumulent font un travail de bonne qualité, cela signifie que, localement, c'est leur directeur de cabinet qui gère leur collectivité. L'interdiction du cumul permettrait que les collectivités locales soient gérées par les élus eux-mêmes. Enfin, c'est à juste titre qu'a été évoquée la question du cumul entre différents mandats locaux, ainsi que celle du cumul avec des fonctions professionnelles ; mais nous l'avons écartée dans le seul but d'éviter la polémique et de ne pas priver notre proposition de loi de toute chance d'être adoptée.
La question du cumul entre mandats locaux relèverait d'une loi ordinaire. Le statut du conseiller territorial est d'ailleurs une forme de cumul particulièrement problématique…
Les socialistes, ayant décidé le non-cumul des mandats, ont logiquement déposé une proposition de loi qui doit s'appliquer à tous – sinon, cela ne peut pas marcher. Mais ce qui me gêne, c'est que le texte s'applique à tous les parlementaires. Or, le Sénat représentant les collectivités territoriales, il serait normal de permettre aux sénateurs d'exercer une fonction exécutive locale – comme dans les pays qui ont un fonctionnement très décentralisé ou fédéral. Plus généralement, il faut s'interroger, comme Claude Goasguen l'a suggéré, sur les rapports entre les collectivités territoriales et le Parlement – et pourquoi pas sur le fonctionnement de ce dernier. Peut-être l'idée d'un non-cumul est-elle populaire dans l'opinion – même si les électeurs apprécient aussi que leur maire soit aussi député, afin de les défendre à Paris ; mais si l'on veut des parlementaires qui accomplissent véritablement leurs missions, notamment de contrôle, il faut leur donner des moyens considérables – voyez le Sénat américain. Je ne parle pas des indemnités, mais du nombre de collaborateurs et de leur qualité.
La proposition de loi reste au milieu du gué. C'est pourquoi je ne la voterai pas.
Ayant déposé une proposition de loi similaire en 2009, je ne peux que saluer l'initiative du groupe SRC. Sa proposition interdit tout cumul, quelle que soit la taille de la collectivité, ce que je regrette. À vouloir trop en faire, on risque de ne rien faire du tout. Ma proposition de loi évitait cet écueil en fixant des seuils : 50 000 habitants pour les maires et 100 000 habitants pour les présidents d'intercommunalité. Le terme de « fonction exécutive » ne concerne-t-il que les maires, ou s'étend-il aux présidents, adjoints et vice-présidents, qui font partie de l'exécutif ? Ma proposition était plus précise puisqu'elle détaillait les fonctions incompatibles – en ne visant que les fonctions de maire ou de président. Enfin, le texte concerne aussi les sénateurs, ce qui est contraire à nos traditions ; au demeurant, je rejoins la position de M. Valls : puisque les sénateurs représentent les collectivités, il serait logique qu'ils cumulent au moins deux mandats.
Bref, je crains que nos collègues n'aient présenté qu'un texte d'affichage, sans réelle volonté d'aboutir. Vous auriez été plus crédible, monsieur le rapporteur, si vous aviez préalablement renoncé à votre vice-présidence de conseil général.
Je n'exerce aucun autre mandat que celui de député : par fidélité à mes convictions, j'ai démissionné de celui de conseiller régional lorsque je suis entré à l'Assemblée. Pour autant, je n'ai pas le sentiment d'être un député de seconde zone ou de ne connaître ma circonscription qu'à partir de fiches que l'on aurait écrites à mon intention. J'invite mes collègues qui douteraient de mon ancrage local à venir passer quelques jours avec moi à Quimper : ils constateront que je n'ai pas moins d'informations, pas moins de disponibilité, et que je ne m'investis pas moins dans les dossiers locaux qu'un élu cumulant des mandats exécutifs. Je trouve assez insultant que l'on puisse penser le contraire.
Nous le répétons à l'envi dans l'hémicycle : nous sommes les élus de la nation. Je ne suis pas député de Quimper, je suis un député élu à Quimper.
Le groupe SRC n'ignorait pas, en déposant cette proposition, qu'il serait très difficile d'expliquer à une assemblée composée de parlementaires qui exercent d'autres mandats que la bonne solution est de n'en assumer qu'un ! Mais le moment est venu d'affirmer une volonté.
Du reste, nos débats seraient beaucoup plus sereins si nous adoption l'amendement que me suggère à l'instant Bruno Le Roux : « La présente loi s'applique, à compter de sa promulgation, à chaque parlementaire élu pour la première fois. » Ainsi, les parlementaires ici présents ne seraient pas concernés et trouveraient bien plus de vertus au non-cumul !
Lors de la révision constitutionnelle, nous avons saisi chaque occasion, avec René Dosière, pour relancer par voie d'amendement la question du cumul des mandats, des indemnités et des fonctions. Le fait que des députés socialistes abordent ce point n'est donc pas nouveau, pas plus que les arguments qu'on leur oppose. Il est nécessaire, nous dit-on, d'avoir un intérêt local pour comprendre un problème national. Pour ma part, je considère que l'exercice du seul mandat de parlementaire confère une grande liberté de jugement et une capacité accrue à se prononcer en toute conviction.
Pour autant, je ne suis nullement inféodé à mon parti, ayant été élu non par les socialistes, mais par la population.
Comme on n'est jamais assez vertueux, je trouve que la proposition de loi organique ne va pas assez loin et que l'on devrait interdire d'autres cumuls. Mais ce texte, que je voterai néanmoins, n'est pas tout. Lorsque nous avons débattu, dans le cadre de la réforme du Règlement de l'Assemblée, de l'excellente proposition du président Jean-Luc Warsmann concernant l'assiduité en commission, beaucoup ont mis en exergue la difficulté d'être présent en raison des nombreuses autres fonctions exercées par députés. Finalement, un amendement du président Warsmann prévoyant des pénalités financières a recueilli une majorité mais cette disposition du Règlement, on le sait bien, est détournée : la signature ne vaut pas présence pendant toute la durée de la séance.
Bref, un texte ne suffit pas, il faut une volonté. La majorité n'ayant pas cette volonté, le texte ne sera pas adopté. Nous nous en doutions un peu ! Quoi qu'il en soit, mes chers collègues, la bataille pour défendre le cumul est historiquement perdue. Vous êtes à contre-courant aussi bien de ce que pensent les électeurs que de ce qui se pratique dans l'Union européenne. Les Allemands, les Britanniques, les Luxembourgeois, les Espagnols, les Italiens, les Portugais, les Polonais, les Hongrois, ne sont pas moins intelligents que les Français. Si vous n'êtes pas battus maintenant, vous le serez la prochaine fois, par la loi ou par voie de référendum. Vous êtes du côté des perdants !
Puisque l'on a évoqué les moyens dont dispose le Sénat américain, je tiens à préciser que, rapporté à la population, le nombre de députés français ne serait que de vingt si on le mettait au même niveau que celui des sénateurs américains. Comparons ce qui est comparable.
Il faudrait, ici encore, tout mettre sur la table – non seulement la question des moyens mis à la disposition des élus, mais aussi celle du cumul avec des présidences d'organismes publics ou parapublics comme les sociétés d'économie mixte, les offices HLM ou les hôpitaux. Ce sujet, très peu connu de l'opinion, doit absolument être approfondi.
Vous le savez, je suis un parlementaire « non-cumulard ». N'avoir jamais occupé de fonctions dans un exécutif local ne m'a pas empêché d'être élu à l'Assemblée nationale cinq fois de suite. Pourtant, je viens d'une circonscription rurale, où le poids des élus locaux est indéniable.
Je considère comme vous tous que je suis un élu de la Nation, représentant l'ensemble de nos compatriotes. Je ne suis pas ici pour défendre les intérêts d'une collectivité locale. Certains objectent qu'un mandat territorial favorise le lien avec la population. Mon expérience, comme celle de nombreux collègues, montre que l'on peut être réélu plusieurs fois député sans exercer un tel mandat. Le mandat parlementaire constitue à lui seul un lien fort. Chaque année, j'assure environ 400 permanences réparties dans les communes de ma circonscription et je participe à environ 600 réunions avec les élus ou manifestations avec les associations. Les citoyens ont donc 1 000 occasions par an de rencontrer leur député.
Un parlementaire travaille avec tous les élus. En réunissant autour d'une table quatre ou cinq personnes – le maire, le conseiller général, le président de l'intercommunalité, le sénateur, le député... – pour régler un problème local, on est beaucoup plus efficace qu'avec une seule tête coiffée de trois casquettes. Les interventions quelque peu outrancières de certains collègues montrent qu'ils ne vivent pas sans doute pas la même réalité.
Je pense en tout cas moi aussi que l'évolution vers le non-cumul est quasiment inéluctable.
Non seulement certains collègues se permettent de donner des leçons, mais ils se complaisent dans des propos longs et inutiles !
Moi qui cumule avec bonheur de nombreuses fonctions, je ne peux m'intéresser à cette question que si on l'élargit. Il faut cesser de mettre la classe politique au centre du débat. Je veux qu'il concerne tout le monde, à commencer par les fonctionnaires. Étant donné le nombre des cumuls qui existent en France actuellement, on donnera du travail à beaucoup de gens !
M. Urvoas a raison : le maintien du cumul est un combat d'arrière-garde qui sera perdu à terme. Pour ma part, je voterai ce texte.
Cette proposition de loi organique a le mérite de poser la question du rôle du député. Le parlementaire est-il seulement le représentant de sa circonscription ou est-il, aux termes de la Constitution, porteur d'une part de la souveraineté nationale, avec pour mission de construire et d'améliorer l'État de droit ?
Le cumul a contribué à l'affaiblissement du Parlement depuis des décennies. On ne peut exercer pleinement une fonction exécutive locale et une fonction de législateur. MM. Lambert et Urvoas ont une certaine légitimité pour s'exprimer à ce sujet. Il est vain et irresponsable d'affirmer qu'un député doit avoir un ancrage local par le biais d'un mandat.
Oui, mais je ne pense pas pour autant qu'un député ne peut pas être au contact de la population ! Il suffit d'organiser l'emploi du temps de l'Assemblée pour cela, comme ce fut le cas pendant de nombreuses années.
En tant que membre d'un parti largement sous-représenté par rapport à son poids politique, je considère qu'une proposition de loi comme celle-ci aurait une bien plus grande valeur politique si elle s'intégrait dans une révision plus générale introduisant la proportionnelle dans le système majoritaire.
En 1997, bien qu'ils aient remporté 7,5 % des suffrages aux élections législatives, les Verts français n'ont eu que 7 députés ; avec un score strictement identique, les Verts allemands en ont eu 51.
Chacun sait que la réforme censée renforcer le pouvoir du Parlement ne le renforce en rien – on l'a encore vu à l'occasion du débat sur les retraites. Les parlementaires français ne peuvent pas remplir réellement leur rôle, faute de moyens suffisants.
Comme l'a dit Jean-Jacques Urvoas, ce qui figure dans cette proposition de loi organique est inéluctable. En outre, les dispositions proposées sont les moins dures que l'on puisse imaginer ; nous pourrions être conduits à aller bien au-delà dans quelques années.
Entendons-nous bien, ce n'est pas le travail des parlementaires qui est en question. Il est impossible d'établir un classement selon que l'on cumule ou non. Je ne me risquerai pas à affirmer que le cumul ôte une capacité d'investissement. C'est bien souvent le contraire, et pas toujours pour de bonnes raisons : il est bien connu que de nombreux parlementaires mobilisent des moyens afférents à leurs responsabilités locales pour aider à l'exercice de leur mandat national. Pensez, mes chers collègues, aux collaborateurs que vous payez au titre d'un mandat local et qui vous assistent dans vos travaux parlementaires.
Ce n'est pas non plus le lien avec le terrain qui est en question, puisqu'il est garanti par le mode d'élection actuel des députés. Du reste, nous ne proposons nullement de passer à un système de proportionnelle intégrale.
Ce qui est en cause, c'est le fonctionnement même de notre Assemblée et plus généralement la question du renouvellement en politique. À cet égard, la coupure entre le mandat parlementaire et les fonctions exécutives locales est inéluctable.
Deux possibilités s'offrent à nous : soit nous attendons qu'une nouvelle majorité, demain, avance dans cette direction, soit le Parlement avance dès maintenant de sa propre initiative. À ceux qui ironisent sur le prétendu embarras des parlementaires socialistes en cas de vote positif, je veux dire ma certitude que la proposition de loi organique, si elle est votée en Commission des lois, sera adoptée dans l'hémicycle – car certains parlementaires de la majorité la voteront.
Si nous proposons ce texte, ce n'est pas pour faire un coup. Nous souhaitons que la Commission et, demain, l'Assemblée l'adoptent car nous savons que ce sera un bien pour la vie parlementaire.
Je suis prêt à entendre tous les reproches mais je ne peux accepter que l'on nous qualifie de démagogues, de moralisateurs ou d'hypocrites. Ce texte correspond à ma conception du rôle de député : faire la loi et contrôler son application, au nom de la souveraineté nationale.
Peut-on exercer correctement un métier en ne lui consacrant que deux jours par semaine, voire moins ?
Je ne me sens pas concerné…
M. le rapporteur. Tout conseil général a au moins mille salariés. Or vous paraît-il concevable que le chef d'une entreprise de cent salariés s'absente pendant deux jours pour se livrer à une autre activité ?
À l'occasion du débat parlementaire sur la réforme des collectivités territoriales, n'avez-vous pas vu, au-delà des clivages politiques, des conseillers généraux défendre le département comme la chose la plus importante du monde, et des conseillers régionaux rétorquer que la région était l'échelon essentiel du fonctionnement des collectivités territoriales ? Abandonnant toute objectivité, chaque parlementaire a raisonné en fonction de sa collectivité d'élection. Le cumul des mandats nous empêche de raisonner à l'échelle de la France.
Par quelle démagogie, chers collègues de la majorité, demandez-vous aux députés socialistes de démissionner d'abord de leurs mandats locaux ? Vous nous prenez pour des benêts ! Autant nous demander de nous jeter à l'eau en promettant de nous rejoindre si l'eau n'est pas trop froide et si vous n'avez pas changé d'avis entre-temps ! C'est le système que je vous propose de changer : la loi sera la même pour tous.
Enfin, on reproche au texte son caractère sommaire. Or c'est volontairement que nous l'avons réduit à une seule question. Il ouvre ainsi une brèche. J'ai bien conscience que de nombreuses questions restent en suspens, mais je vous invite à commencer d'avancer.
La Commission en vient à l'examen des articles de la proposition de loi organique.
Article 1er (art. L.O. 141-1 [nouveau] du code électoral) : Incompatibilité du mandat parlementaire avec une fonction exécutive locale
La Commission rejette l'article 1er.
Après l'article 1er
La Commission rejette l'amendement CL 1 du rapporteur.
Article 2 : Entrée en vigueur :
La Commission rejette l'article 2.
Puis, elle rejette l'ensemble de la proposition de loi organique.
Amendement examiné par la Commission
Amendement CL1 présenté par M. Jacques Valax, rapporteur :
Après l'article 1er
Insérer l'article suivant :
« I. – Au deuxième alinéa de l'article L.O. 151 du même code, les mots : « à l'article L.O. 141 » sont remplacés par les mots : « aux articles L.O. 141 et L.O. 141-1 ».
« II. – Au premier alinéa de l'article L.O. 151-1 du même code, le mot : « propre » est remplacé par les mots : « ou une fonction exécutive propres » et les mots : « à l'article L.O. 141 » sont remplacés par les mots : « aux articles L.O. 141 et L.O. 141-1 ». »
Enfin, la Commission examine, sur le rapport de M. Régis Juanico, la proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et apparentés visant à renforcer les exigences de transparence financière de la vie politique (n° 2777).
Bien loin d'être « irréprochable », notre démocratie souffre encore d'un manque de transparence en matière de financement des partis politiques. Le législateur a pourtant élaboré, par touches successives à compter de 1988, une législation sur le financement des partis et des campagnes électorales, qui permet à la fois d'apporter une aide publique aux partis, d'encadrer les financements privés dont ils peuvent bénéficier et de plafonner les dépenses électorales des candidats – mis à part les sénateurs.
Une récente affaire a toutefois donné une actualité nouvelle à la question des financements privés des partis politiques, et appelle une réponse du législateur.
En vertu de l'article 4 de la Constitution, les partis et groupements politiques « se forment et exercent leur activité librement ». Il ne saurait être question de restreindre l'exercice de cette liberté constitutionnellement garantie, qui est un gage de vitalité pour notre démocratie.
Néanmoins, les failles de la législation sur le financement des partis politiques méritent d'être corrigées.
Alors que le plafonnement à 4 600 euros des dons pour les campagnes électorales vaut pour toutes les campagnes organisées pour la même élection, le plafonnement à 7 500 euros des dons de personnes physiques aux partis politiques s'applique parti par parti ; ainsi, il est tout à fait possible à une même personne de verser plusieurs fois 7 500 euros, à autant de partis politiques qu'elle le souhaite. Dès son rapport d'activité pour l'année 1995,la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques s'était inquiétée de cette faille.
La faculté de donner plus de 7 500 euros par an aux partis politiques a des effets pervers. Elle contribue à favoriser la création de micro-partis – on est passé en vingt ans de 28 à 296 formations politiques enregistrées à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Ces micro-partis peuvent être d'au moins deux types : les micro-partis dits « satellites », qui reversent les sommes recueillies au parti central et permettent ainsi à un même parti de percevoir indirectement de la même personne un montant supérieur à celui du plafond autorisé ; les micro-partis « prétextes », qui ont simplement pour vocation de recueillir des fonds afin d'en faire bénéficier soit un candidat aux élections, soit un élu dans ses activités politiques locales ou nationales. Je rappelle que le recueil de fonds par l'intermédiaire d'un parti permet d'obtenir des dons plus conséquents que la création d'une association de financement de la campagne électorale : dans ce deuxième cas, les dons sont limités à 4 600 euros par personne physique.
La possibilité de verser des cotisations, lesquelles ne sont pas plafonnées, offre un autre moyen de contourner l'objectif de la loi. Dès 1995, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques recommandait que le plafond des dons aux partis politiques s'entende cotisations éventuelles incluses.
L'article 1er de cette proposition de loi tend à ce que l'enveloppe de 7 500 euros soit appréciée pour l'ensemble des dons d'une personne physique à un ou plusieurs partis. Cette modification n'interdirait pas à une même personne de faire des dons à plusieurs partis si elle le souhaite, mais elle présenterait la vertu d'empêcher que le cumul de ces dons dépasse 7 500 euros.
De la même manière, l'article 2 a pour objet de faire entrer les cotisations acquittées par les adhérents dans l'appréciation du respect du plafond global de 7 500 euros. La rédaction de cet article pourrait être améliorée, comme l'ont montré les auditions menées hier, et je vous présenterai un amendement en ce sens en vue de la réunion au titre de l'article 88 du Règlement. Mais l'intention est claire : plafonner à 7 500 euros par an l'ensemble des dons et cotisations versés aux partis par une personne physique, tout en laissant hors plafond les cotisations versées par les élus.
Nous avons procédé hier à l'audition du président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, ainsi qu'à celle des trésoriers des principaux partis politiques – UMP, PS, PCF, Nouveau Centre et Modem, les Verts nous promettant une contribution écrite. Les personnes auditionnées ont porté un jugement plutôt positif sur les deux dispositions de la proposition de loi.
Non seulement celles-ci permettraient de corriger des failles de la législation actuelle, mais elles seraient économes des deniers publics puisqu'elles contribueraient à limiter le montant des réductions d'impôt résultant de dons ou cotisations versés à des partis politiques. La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a chiffré la dépense fiscale résultant de ces réductions d'impôt ainsi que de celles liées aux dons pour des campagnes électorales à plus de 30 millions d'euros par an.
Par ailleurs, dans un objectif de transparence, l'article 3 tend à rendre publique la liste des principaux donateurs de chaque parti, c'est-à-dire des personnes ayant donné à un même parti plus de 3 000 euros au cours de l'année. Le bilan de la journée d'auditions d'hier fait apparaître un scepticisme, et même une réticence, de la plupart des formations politiques vis-à-vis d'une telle disposition, qu'il conviendrait donc sans doute d'abandonner.
Enfin, je vous présente une série d'amendements, portant articles additionnels, qui visent à améliorer les règles relatives aux campagnes électorales en reprenant des propositions formulées par M. Pierre Mazeaud dans le cadre de la mission de réflexion sur la législation relative au financement des campagnes électorales qu'il a conduite en 2008. Je vous propose ainsi l'instauration d'une même date de dépôt pour tous les comptes de campagne à une même élection, que le candidat soit élu au premier ou au deuxième tour ; l'obligation pour les établissements bancaires d'ouvrir un compte et de mettre à disposition les moyens de paiement pour les mandataires et associations de financement désignés par les candidats à une élection ; l'absence d'obligation de déposer un compte de campagne quand le candidat a obtenu moins de 1% des suffrages exprimés et n'a reçu aucun don de personne physique ; l'obligation de désigner un mandataire avant de déposer sa déclaration de candidature en préfecture.
Deux autres propositions résultent des recommandations de l'ordre des experts-comptables : la possibilité de faire certifier par un seul commissaire aux comptes, au lieu de deux, les comptes des partis dont le bilan ou les produits ne dépassent pas 153 000 euros à la clôture de l'exercice ; la possibilité de ne pas comptabiliser comme des immobilisations les biens d'une valeur inférieure à 150 euros acquis au cours d'une campagne électorale.
La dernière disposition que je vous soumets vise à interdire aux parlementaires de métropole de se rattacher à un parti éligible à l'aide publique au seul titre de ses résultats outre-mer. De tels rattachements ont pour seul but de bénéficier de l'aide publique accordée au titre de la deuxième fraction, sans s'adosser à un parti ayant droit à la première fraction au titre de ses résultats en métropole. Il s'agit manifestement d'un détournement de l'esprit dans lequel l'aide publique doit être accordée aux partis politiques.
J'espère que l'ensemble de ces propositions, dont la plupart correspondent à un réel consensus et peuvent apporter une amélioration notable en matière de transparence financière de la vie politique, recueilleront l'approbation de la Commission.
Je serai beaucoup moins négatif que je ne l'ai été au sujet des propositions de loi précédentes.
Le texte présenté tend à traiter tout particulièrement le problème des micro-partis. Dans la mesure où le plafond deviendrait global, et dès lors qu'il n'a pas été relevé depuis 1990, ne conviendrait-il pas de le porter de 7 500 à 10 000 euros ? C'est une question qu'il faudra se poser.
Le reproche que l'on peut vous faire est de laisser de côté beaucoup d'autres problèmes, qui sont apparus au fil des auditions. De plus, il s'agit d'une proposition de loi ordinaire, alors que certains sujets relèvent d'une loi organique.
Je propose donc que la Commission aborde l'ensemble de ces questions dans le cadre de la discussion sur le projet de loi organique relatif à l'élection des députés, que le Gouvernement a déposé l'année dernière. Ce texte traite de questions techniques ; en particulier, il met à jour la liste des incompatibilités et des causes d'inéligibilité afin de tenir compte de l'apparition de certaines fonctions et de l'avancée de la décentralisation. Nous rendant compte de son caractère très partiel – il ne reprend ni les suggestions du groupe de travail présidé par M. Pierre Mazeaud, ni celles de M. Logerot, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, ni celles de la Commission pour la transparence financière de la vie politique –, le président Jean-Luc Warsmann et moi-même avons prévu de le compléter par des amendements ainsi que par une proposition de loi ordinaire. En matière de transparence financière de la vie politique, nous suggérons que les élus astreints à déposer une déclaration de patrimoine soient également astreints, dans leur déclaration de fin de mandat, à indiquer leurs revenus, afin que l'on puisse comprendre ce qui s'est passé pendant leur mandat. Nous proposons des sanctions pénales très sévères en cas de fausse déclaration ou d'omission de déclaration. Enfin, nous proposons que les déclarations fiscales soient communiquées à la Commission pour la transparence financière de la vie politique.
Une vue d'ensemble, donc, me semble préférable. La discussion du projet de loi organique et de la proposition de loi ordinaire que le président Warsmann et moi-même avons cosignée en fournira l'occasion. C'est pourquoi je souhaiterais que nos collègues socialistes retirent leur proposition de loi.
Cette proposition de loi est de bon sens.
L'article 1er vise à empêcher les contournements de la loi sur le financement de la vie politique auxquels on assiste aujourd'hui en matière de dons. En limitant ces dons à un maximum de 7 500 euros par personne physique quel que soit le nombre de partis destinataires, on fait perdre de son intérêt à la création de micro-partis.
La question du relèvement de ce plafond – couplé à son maintien à 7 500 euros pour l'avantage fiscal – a été évoquée dans presque toutes les auditions menées hier. Si nous n'avons pas voulu le proposer, c'est par souci de lisibilité, et aussi parce que nous considérons que 7 500 euros de dons annuels représentent déjà une somme conséquente. En tout état de cause, le sujet ne devrait pas faire clivage car peu de dons – à l'exception de ceux adressés à un parti en particulier – atteignent ce plafond.
J'insisterai également sur l'amendement visant à interdire à un parlementaire élu en métropole de se rattacher à un parti qui n'aurait présenté des candidatures que dans les DOM-TOM. On connaît bien le parti qui est particulièrement concerné par un montage lui permettant de disposer de financements publics alors qu'il n'était pas éligible à la première fraction de ces financements. On nous a expliqué hier qu'il s'agissait essentiellement d'erreurs matérielles sur les déclarations de candidature. On sait aussi que si le Gouvernement avait inscrit à nouveau à l'ordre du jour un texte dont la discussion n'avait pu aboutir du fait de l'adoption d'une motion de procédure, lors d'une séance d'initiative parlementaire consacrée il y a quelques mois au financement des partis politiques, cette difficulté aurait été levée. Quoi qu'il en soit, il nous paraît normal d'empêcher de tels rattachements.
L'article 3, qui est susceptible de ne pas être retenu, prévoit la publication du nom des personnes ayant fait plus de 3 000 euros de dons. Ce montant est également celui à partir duquel les contribuables sont tenus d'indiquer le parti politique bénéficiaire lorsqu'ils utilisent la réduction fiscale. Les partis craignant que la disposition de l'article ne se révèle dissuasive, nous sommes prêts, comme l'a indiqué le rapporteur, à reporter la discussion sur ce point, tout au moins si l'article 1er est adopté.
Nous n'ignorons pas l'existence du projet de loi organique et de la proposition de loi ordinaire. Mais, ne voyant rien venir à l'ordre du jour de l'Assemblée, nous saisissons l'occasion d'une niche parlementaire du groupe SRC pour faire un premier pas, ce qui n'obère en rien le travail réalisé par M. de La Verpillière et par le président Warsmann sur les autres points. Nous souhaiterions que notre proposition de loi puisse être adoptée par l'Assemblée dès la semaine prochaine.
Je partage tout ce qu'a dit M. de la Verpillière. Nous mettrons rapidement les deux textes à l'ordre du jour de la Commission. Il faut qu'avant la fin de la législature, nous ayons donné une suite aux recommandations faites dans le rapport Mazeaud ou émanant de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Il n'est pas correct que le Parlement n'ait jamais donné écho à des propositions remontant à plusieurs années.
Je ne sais quel sera, à la fin de la législature, le nombre des propositions de loi présentées par l'opposition qui auront été adoptées… Après tous les discours que nous avons entendus sur la revalorisation du Parlement et du rôle de l'opposition, ne vous vient-il pas à l'idée, chers collègues de la majorité, que l'on pourrait parfois, en amendant nos propositions, arriver à un consensus ? En quoi le fait d'amender cette proposition de loi priverait-elle la majorité de je ne sais quel bénéfice politique ?
Mieux vaudrait dire tout de suite que les propositions de loi de l'opposition ont vocation à être toujours repoussées, pour être éventuellement intégrées, lorsqu'elles ne vous posent pas de problèmes, dans un texte émanant de la majorité !
Lorsque j'étais ministre des relations avec le Parlement, il arrivait à l'Assemblée de voter des textes venant du RPR. Ce matin, vous vous êtes opposé à quatre propositions de loi, tout en promettant de reprendre dans vos propres textes les dispositions qui vous agréent. Ce n'est pas de bonne méthode.
Je n'irai pas jusqu'à formuler l'idée que certaines des propositions examinées ce matin avaient pour objectif d'être repoussées...
En ce qui concerne le financement de la vie politique, nous avons commencé un travail de longue haleine. Ne jouons pas au petit jeu de savoir qui prend à qui car j'ai constaté aujourd'hui certains emprunts. Pour le reste, je n'ai aucune objection à ce que nous nous voyions en amont de l'examen de textes du groupe SRC, si cela peut permettre de faire avancer certains sujets. Encore faut-il s'entendre sur une manière de travailler. Dans le cas d'espèce, nous découvrons aujourd'hui des amendements qui font suite à des auditions menées hier.
Déjà, la proposition de loi issue du travail qui avait été mené conjointement par un député UMP et une députée SRC sur les fichiers de police n'avait pas abouti… À chaque fois qu'un consensus politique est possible, vous trouvez une bonne raison d'y renoncer, même s'il s'agit de questions qui devraient être réglées depuis longtemps.
S'agissant du plafond applicable aux dons de personnes physiques, je ne suis pas, sur le principe, opposé à une réévaluation de nature indiciaire, le montant actuel ayant été fixé il y a vingt ans. Mais proposer un relèvement du plafond à l'occasion de ce texte serait, je crois, donner un mauvais signal politique. Notre collègue Dominique Dord, nouveau trésorier de l'UMP, est d'accord pour que, en cas de relèvement du plafond de dons, on maintienne à 7 500 euros le plafond applicable à ceux qui peuvent donner lieu à une réduction d'impôts. Il faut en effet maîtriser le coût, pour le budget de l'État, de cet avantage fiscal.
Nous ne retirerons pas cette proposition de loi car le projet de loi organique qui a été évoqué est ensablé dans l'ordre du jour. Il nous paraît utile de la voter aujourd'hui et de la laisser poursuivre son chemin législatif, afin qu'elle puisse éventuellement être applicable dès le 1er janvier 2011.
Avez-vous réfléchi au cas des associations qui, sans être des partis politiques, ont un but politique et soutiennent telle ou telle personnalité, et qui bénéficient parfois de la mise à disposition de locaux coûteux, notamment à Paris, dont le loyer excède largement les 7 500 euros ?
Soit on se déclare en tant que formation politique, et l'on a le droit de recevoir des dons de personnes physiques, lesquels, en raison de l'avantage fiscal qui est accordé, font l'objet d'un contrôle de la Commission nationale des comptes de campagne ; soit on choisit le statut d'association de la loi de 1901 et alors, très logiquement, il n'y a pas de contrôle de la Commission.
Il serait, par ailleurs, je le précise, totalement illégal qu'une association permette à quelqu'un de crever le plafond de financement. Si cela se produisait dans une période de campagne électorale, je pense que la personne serait déclarée inéligible.
Il demeure néanmoins un biais dans la suggestion qui a été faite de distinguer plafond des dons et plafond des dons donnant lieu à avantage fiscal.
Notamment sur ce point, il faudra approfondir la réflexion. En revanche, j'observe que la proposition de loi assimile les cotisations d'adhérent aux dons, ce qui corrige une faille du système actuel.
La Commission en vient à l'examen des articles de la proposition de loi.
Avant l'article 1er
La Commission rejette successivement les amendements CL 9 et CL 6 du rapporteur.
Article 1er(article 11-4 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988) : Plafonnement des dons annuels consentis par des personnes physiques aux partis politiques :
La Commission rejette l'article 1er.
Article 2 (article 11-4 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988) : Prise en compte des cotisations versées aux partis politiques :
La Commission rejette l'article 2.
Article 3 (article 11-4 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988) : Publication de la liste des principaux donateurs des partis politiques :
La Commission rejette l'amendement CL 1 du rapporteur.
Puis elle rejette l'article 3.
Après l'article 3
La Commission rejette successivement les amendements CL 5, CL 2, CL 10, CL 4 et CL 8 du rapporteur.
La Commission rejette l'ensemble de la proposition de loi.
La séance est levée à 12 h 45.