Le texte que je rapporte vise à interdire le cumul entre un mandat parlementaire et – pardonnez mon impertinence – la « détention », plus que l'exercice, d'une fonction exécutive locale. Tant la montée en puissance de la décentralisation que la réaffirmation des prérogatives des parlementaires voulues, semble-t-il, par la dernière réforme constitutionnelle, rendent impossible l'exercice à mi-temps de telles responsabilités. Le comité de réflexion sur la modernisation des institutions de la Ve République l'a rappelé en 2007 ; la doctrine, la presse et, dans une certaine mesure, l'opinion nous poussent à agir ; il est temps que le Parlement se saisisse de la question.
À travers le régime d'incompatibilités mis en place par la loi organique de 1985, modifié en 2000, on s'est efforcé de limiter le nombre de mandats électifs pouvant être détenus simultanément, plutôt que d'appréhender la réalité des fonctions politiques exercées. Le résultat a été, paradoxalement, que le cumul est devenu la norme. Comme le dit Guy Carcassonne, « s'il n'est pas juridiquement interdit, le cumul devient politiquement obligatoire ». Quelles que soient nos différences avec les systèmes politiques des grandes démocraties, aucune ne pratique le cumul des mandats à la même échelle que la France. Il est essentiel que les parlementaires eux-mêmes prennent l'initiative de mettre fin à cette exception. Il ne s'agit aujourd'hui que d'un premier pas, mais c'est celui qui coûte le plus. L'entreprise de revalorisation du Parlement et la rénovation de notre vie politique ne pourront se faire sans rompre avec une culture du cumul enracinée dans nos gènes politiques et, paradoxalement, renouvelée depuis 1985.
Cette proposition de loi organique peut être l'occasion de dépasser les clivages partisans : elle est simple, lisible et opérationnelle. Selon les règles proposées, les députés et sénateurs pourraient continuer à exercer un mandat local, mais ils ne pourraient plus avoir de fonction exécutive dans une collectivité territoriale ou un établissement public de coopération intercommunale. Contrairement à ce que l'on dit souvent, les Français souhaitent que leurs élus locaux et les parlementaires exercent leurs responsabilités à plein temps. Il faut mettre un terme aux faux-semblants et aux excuses trop longtemps avancées pour justifier le cumul.
Le choix du non-cumul répond à trois défis : revaloriser et étendre le rôle du Parlement, dont les membres doivent notamment pouvoir se consacrer aux tâches de contrôle ; redynamiser la démocratie locale, trop souvent vue comme confisquée par une « classe politique » détachée du corps de la nation ; troisièmement, en finir avec la course d'un dossier à l'autre que pratiquent des élus qui jouent la personnalisation du pouvoir mais qui, dans les faits, sont contraints de déléguer de plus en plus les décisions mêmes politiques à la technocratie. Si nous mettons fin au cumul, les élus suivront à nouveau le cursus honorum traditionnel qui fait passer d'un mandat local à une fonction nationale, dans une respiration à la fois enrichissante et naturelle.
Deux propositions de loi organique, reprenant les mêmes dispositions que celle-ci, ont été déposées en 2009 par MM. Lionel Tardy et Jean-Marc Roubaud et cosignées par cinquante-cinq membres de la majorité. J'espère donc que l'examen de cette proposition de loi organique sera l'occasion d'un vote de conviction et non d'un affrontement partisan sur un sujet essentiel qui intéresse les parlementaires, mais au premier chef les Français.