COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mardi 1er juin 2010
La séance est ouverte à dix-sept heures.
(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la commission)
La Commission des affaires sociales entend M. Patrick Poizat, secrétaire confédéral de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), et Mme Pascale Coton, secrétaire générale-adjointe chargée de la protection sociale, sur la réforme des retraites.
Je salue d'abord notre collègue Georges Colombier, que nous avons le plaisir de retrouver parmi nous et auquel nous adressons nos voeux de rétablissement.
Nous poursuivons aujourd'hui nos auditions sur les retraites par celle de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), représentée par M. Patrick Poizat, secrétaire confédéral, et par Mme Pascale Coton, secrétaire générale-adjointe chargée de la protection sociale, que je souhaitais interroger plus particulièrement sur la prise en compte des carrières longues et de la pénibilité, deux sujets sur lesquels nous exprimons les uns et les autres quelques différences.
Je me félicite qu'une femme puisse s'exprimer en premier lieu, car je ne vois pas beaucoup de femmes ici, alors qu'elles ont des carrières chaotiques et que les entreprises, qui se targuent pourtant d'avoir adopté une démarche de responsabilité sociétale, n'en tirent pas concrètement les conséquences.
Pour ce qui est des carrières longues, il est utile de rappeler au préalable la position de CFTC en matière d'âge de départ à la retraite : il doit s'agir d'un choix du salarié, autrement dit d'une « retraite à la carte » pouvant intervenir entre deux âges-pivots, à savoir 60 et 65 ans. Dans ce cadre, les salariés ayant eu des carrières longues doivent pouvoir partir plus tôt.
S'agissant de la pénibilité, la CFTC estimait que cette question ne devait pas être traitée en même temps que celle des retraites, mais en parallèle. En effet, le départ précoce à la retraite ne doit pas constituer un alibi qui reviendrait à déresponsabiliser les entreprises et à empêcher ainsi le développement de la prévention dans ce domaine, tout en n'améliorant pas l'espérance de vie des salariés qui continueraient à exercer ces tâches pénibles. Le ministre a mis en place un groupe de travail, mais au-delà de ceux qui partent prochainement à la retraite, il faut également s'occuper de ceux qui arrivent dans l'emploi. À EDF, par exemple, après dix ans de travail pénible, l'évolution se fait vers une fonction moins pénible ou des horaires plus normaux, tout en lissant les salaires et primes sur trois années afin de limiter les conséquences financières de ces changements de postes. Il faut, en outre, avoir à l'esprit les nouvelles formes de pénibilité pour ceux qui sont en contact avec des publics difficiles, tels que les infirmiers, les agents des services publics ou des banques. Cela fait déjà trois ans que la CFTC a suggéré la mise en place d'un « carnet de santé » qui suivrait le salarié tout au long de sa vie professionnelle et lui permettrait, au moment de son départ à la retraite, de faire valoir ses droits, compte tenu des emplois pénibles qu'il aurait précédemment exercés.
Plus généralement, parmi les quatorze engagements exposés par le Gouvernement dans son document d'orientation, la CFTC s'oppose à la remise en cause du départ à 60 ans. Souffrant en effet d'un mal-être croissant, les salariés ne sont pas disposés à travailler deux à trois années de plus. Ils craignent également de perdre le bénéfice de la surcote, qui n'est pas un luxe pour des familles devant encore entretenir des jeunes (étudiants ou sans emploi) ou des personnes dépendantes.
Je dois préciser que le second âge-pivot, soit actuellement 65 ans, constitue une garantie sociale à laquelle la CFTC demeure très attachée. En effet, pour le salarié, c'est la garantie, quel que soit son parcours professionnel, qu'il pourra bénéficier d'une retraite sans abattement et c'est donc un dispositif qui permet de rattraper beaucoup de situations difficiles. Les réformes de 1993 et de 2003 ont confirmé un système fondé sur l'équilibre entre la durée d'assurance requise et l'âge de départ à la retraite : il est essentiel de continuer dans cet esprit, afin de permettre au salarié d'avoir le choix entre partir ou rester dans l'emploi.
Si l'âge légal de la retraite était maintenu à 60 ans, conformément à vos souhaits, seriez-vous prêts à accepter en contrepartie une décote qui réduirait le pouvoir d'achat des pensions ? Quelle est par ailleurs votre position sur l'alignement entre les secteurs public et privé, qui me semble être un important élément d'équité ?
Je poserai trois questions. Quelles sont les pistes nouvelles permettant de trouver des ressources supplémentaires pour l'assurance vieillesse ? Quel rôle le Fonds de réserve pour les retraites (FRR), créé pour passer le cap de 2020 mais qui est maintenant confronté à celui de 2030, doit-il jouer à court et moyen termes ? Quel bilan tirez-vous des premiers accords sur l'emploi des seniors et pensez-vous qu'il faille aller plus loin dans ce domaine ?
Êtes-vous favorables à l'équité, c'est-à-dire à une convergence progressive des taux de cotisation et des durées de référence pour les secteurs public et privé ? Dans le document qui a été remis aux commissaires, pourquoi estimez-vous que la création d'un régime par points aboutirait nécessairement à la fusion avec les régimes complémentaires et rendrait inapplicable votre proposition de « retraite à la carte » ? Si vous êtes favorables au dialogue social et au renforcement du rôle tenu par les syndicats, pourquoi ne souhaitez-vous pas qu'ils gèrent les régimes de base, comme ils le font déjà très bien pour les régimes complémentaires ? Majorer d'un point le taux de la CSG vous paraît-il suffisant pour financer la réforme, alors même que vous refusez l'augmentation du nombre des annuités et le report de l'âge de la retraite ? Au demeurant, est-il logique de financer par la CSG un système par répartition, fondé sur la solidarité entre les générations, et ne risque-t-on pas dès lors d'aller vers une étatisation de la retraite ?
Dans le document que vous avez remis aux commissaires, c'est à juste titre que vous entendez dissocier la question de la pénibilité de celle des retraites et que vous mettez en lumière la responsabilité du patronat dans l'échec des négociations sur ce thème. Pour compenser la pénibilité, êtes-vous favorables à une prise en compte individualisée et reconnue par une commission médicale ou bien à une négociation de branche permettant d'identifier les situations de pénibilité ?
J'approuve ce qui vient d'être dit par mon collègue Régis Juanico. En outre, le livret individuel dont la CFTC propose la création n'est qu'un élément de réponse à la question de la pénibilité. Si elle est à nouveau posée cette année, alors qu'elle aurait dû être réglée suite à la loi de 2003, c'est à cause du MEDEF. Pour y répondre au mieux, il faut s'interroger sur la pertinence des deux approches possibles : soit une définition globale des éléments contribuant à la pénibilité, par métier ou par branche, soit une individualisation des problématiques. Or, l'exemple de l'amiante démontre les limites d'une approche individuelle : le parcours du combattant qu'ont dû engager les victimes de l'amiante s'est traduit par une reconnaissance à la fois inégalitaire et aléatoire de leurs droits. Si un tel mécanisme devait être transposé à la prise en compte de la pénibilité en matière de retraite, il susciterait un contentieux d'un volume considérable ainsi que de nombreux déboires pour les salariés. Il faut donc s'y opposer.
Sur la question des 60 ans et de la décote, nous ne sommes évidemment pas d'accord. Je m'appuie pour cela sur une enquête réalisée auprès de nos adhérents qui déclarent être prêts à une augmentation de la CSG, de l'ordre de 1 %, à condition que celle-ci soit réellement affectée à la branche vieillesse, à la différence de ce qui s'est produit pour la vignette automobile ! Ils posent comme condition de garder la possibilité de partir à 60 ans, de conserver une surcote pour ceux qui décident de partir au-delà et de ne pas instaurer de décote.
Sur la problématique de la recherche de nouvelles ressources, il est évident qu'une augmentation de 1 % de la CSG n'est pas suffisante, mais il serait anormal que seuls les salariés comblent un déficit dont ils ne sont pas responsables. Chacun doit contribuer, dans une logique de véritable solidarité, c'est-à-dire tous ceux qui ne cotisent pas actuellement ou ne cotisent pas comme ils le devraient. Je pense en particulier aux stock-options, aux retraites chapeau et à la participation et l'intéressement, pour lesquels nos adhérents sont prêts à une contribution de 1 % également. Les entreprises, pour lesquelles on a défiscalisé les heures supplémentaires et qui font des bénéfices non réinvestis dans l'emploi, doivent en effet contribuer elles aussi.
Pour ce qui concerne la question du public et du privé, on ne peut pas comparer ce qui est incomparable, car il n'y a pas de retraite complémentaire chez les fonctionnaires à part le régime additionnel de la fonction publique, qui vient d'être créé et qui ne montera en charge que progressivement. Si on parle d'inéquité à cause de la règle des six mois, des vingt-cinq ans et des bonifications plus importantes pour les femmes dans le public, alors il faudra tout mettre sur la table ! Cela va faire mal et susciter des peurs, notamment pour le public, qui comporte plusieurs sortes de régimes : on ne peut, par exemple, pas comparer un fonctionnaire de l'enseignement qui part réellement en retraite avec 75 % de son traitement et un postier, comme je le suis, qui ne touche que 63 % de son dernier salaire du fait de la non-intégration des primes. Il est vrai que la CFTC mène actuellement une réflexion sur l'augmentation de la cotisation retraite des fonctionnaires. Nous sommes en train de faire des calculs concernant l'incidence qu'aurait l'alignement sur le privé du niveau des cotisations. J'ai bien noté quelques piques sur le sujet des femmes fonctionnaires avec trois enfants. Je rappelle qu'elles ne concernent que 0,18 % des femmes, ce qui ne risque pas d'épuiser les caisses de l'État. Depuis la réforme de 2008, on a le même nombre d'années de cotisations dans le privé et le public et il n'est pas possible de faire plus !
Dans le privé, le chiffre est tout aussi important… S'agissant du départ à 60 ans, la CFTC a questionné le ministre, sans réponse pour l'instant, sur la question de savoir si le fait de repousser l'âge légal, dans un pays qui compte 38 % de salariés seniors, ne risquait pas de les conduire encore plus vers Pôle Emploi et nuire à l'ouverture des entreprises aux jeunes.
S'agissant du bilan des premiers accords, je pense qu'il est vraisemblablement trop tôt et ils ne sont pas suffisamment nombreux pour que l'on puisse tirer des conclusions claires. Le bilan est néanmoins terne, car beaucoup trop d'entreprises ont mis en avant des bonnes pratiques pour éviter de signer un accord en bonne et due forme. On attend donc davantage, notamment un engagement sur le tutorat dans les PME, sur le modèle de ce qui se fait dans les grandes entreprises.
Bien évidemment, nous souhaitons une amélioration du dialogue social. Cependant, je dirais : « chacun son métier ». La gestion actuelle du régime de base n'est pas du tout inconvenante. Les partenaires sociaux ont, par ailleurs, fait preuve de leur capacité de gérer l'AGIRC et l'ARRCO avec de bons résultats. Pour ce qui concerne la loi d'août 2008, je souhaite également un respect de la pluralité syndicale.
Sur le dossier de la pénibilité, notre souhait est de le dissocier du dossier des retraites et de l'assortir d'un volet de prévention. Il est bien sûr plus sérieux de définir la pénibilité par branches, plutôt qu'individuellement et c'est davantage porteur. Nous défendons quand même le carnet médicalisé individuel, qui permet de reconnaître la personne dans sa souffrance et d'instaurer un dialogue particulier entre le salarié et le médecin du travail. Comme on a pu le voir dans certaines entreprises, ce dialogue doit être renoué. Les deux aspects, définition par branches, et examen individuel, ne peuvent être dissociés et la position du MEDEF en 2003 n'a pas été à la hauteur sur un sujet qui pourtant le concernait au premier chef. En conclusion, je dirai que je ne vois pas comment on pourra parvenir à un accord tant que le capital financier prendra le pas sur le capital humain. Je ne vois pas comment on peut traiter la souffrance seulement par l'argent.
Le Fonds de réserve pour les retraites (FRR) a été impacté par une raréfaction de son abondement.
Certes, mais il a également été impacté par la crise, et je pense qu'il faut lui conserver son rôle de fonds de lissage. La question de l'horizon de son utilisation a été évoquée au Conseil d'orientation des retraites. Faut-il cibler 2020 ou 2025 ? C'est une question d'opportunité, qui dépendra de la nouvelle législation. Il faudra voir à quel moment déclencher un dispositif qui avait vocation à grossir, même si nous n'atteindrons pas les 150 milliards programmés au départ. Il ne faut pas non plus méconnaître le fait qu'une partie de l'abondement provient d'une partie de la CSG sur les revenus du capital. Faut-il continuer ? Probablement oui, pour le symbole, même si cela est difficile.
Sur le sujet du régime par points, la CFTC considère qu'il n'était pas opportun de faire, en même temps, une réforme systémique et une réforme paramétrique. Nous rejetons l'hypothèse d'une fusion du régime de base et des régimes complémentaires, car ceux-ci matérialisent l'originalité du système français de protection sociale. La CFTC est très attachée à ce que les régimes complémentaires (AGIRC-ARRCO, IRCANTEC) soient gérés par les partenaires sociaux. Ils ont d'ailleurs fait la preuve de leur bonne gestion et de leur courage, qu'il s'agisse des années 1993 et 1994 avec la non-revalorisation des pensions de l'AGIRC ou la baisse des taux de rendement pour l'AGIRC et l'ARRCO.
Les lois de financement de la sécurité sociale ont confirmé le rôle crucial du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) : j'irai dans le même sens. Le problème est la pérennité de son financement : celui-ci doit-il être prévu dans la loi relative aux retraites ou inscrit dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale ?
Vous avez évoqué sur la pénibilité l'exemple des trois huits et indiqué que c'était très souvent un problème de pouvoir d'achat. Ce que vous dites est humainement vrai, mais est-ce toujours techniquement vrai ? Je pense qu'on ne peut pas s'arc-bouter sur le dogme des employeurs durs et méchants face aux faibles. Je connais bien le problème : pour trouver une solution de substitution, un problème d'emploi risque de se poser. Par ailleurs, votre approche publicprivé m'a quelque peu chagriné. Vous dites ne pas vouloir rentrer dans le débat car il faudrait sinon tout remettre à plat, mais ce n'est parce qu'il y a des différences très fortes au sein de la fonction publique qu'on ne peut pas poser la question des différences entre le public et le privé. Il suffit de faire des moyennes !
Nous sommes, comme vous, très attachés à une réforme qui repose sur l'équité et la justice, et qui préserve notre système par répartition et la solidarité entre les Français qui le fonde. Dans le même temps, je ne peux que m'interroger lorsque vous affirmez ne pas vouloir mettre en regard les situations qui prévalent respectivement dans le secteur privé et dans le secteur public, alors même que l'on peut légitimement vouloir, précisément dans un but d'équité et de justice, étudier les conditions d'une éventuelle convergence de ces régimes.
Par ailleurs, j'ai été assez surpris de la présentation de la situation des jeunes qui figure dans le document récapitulant la position de la CFTC : ceux-ci ne devraient pas subir – est-il écrit – une double peine, à savoir à la fois une entrée sur le marché du travail et une sortie de ce marché plus tardives. Mais, à l'évidence, un début d'activité moins précoce, quelle qu'en soit la raison, peut justifier, là encore pour des raisons d'équité, un accès à la retraite plus tardif également.
Concernant maintenant votre proposition du maintien de l'âge pivot fixé à soixante ans, n'est-ce pas là une fausse solution ? Une fausse liberté ? Cela est d'autant plus vrai si l'on prend en compte la multiplication des situations de pauvreté qui touchent les retraités n'ayant pu atteindre des durées de cotisation suffisantes. La retraite doit être véritablement protectrice. C'était d'ailleurs le sens du dispositif des carrières longues, mis en oeuvre par la loi du 21 août 2003, qui permet à certains, entrés particulièrement tôt dans la vie active, de faire valoir leurs droits à retraite avant l'âge de soixante ans. Je rappelle que cette mesure, qui devrait subsister, a déjà profité à plus de 700 000 personnes.
Enfin, je souhaiterais recueillir l'avis de votre confédération sur les questions suivantes : la question des conditions de cumul emploi – retraite ; celle du développement de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences à laquelle, nous le savons, vous êtes très attachée : ce peut être l'occasion d'envisager la seconde partie de carrière pour les seniors et l'on peut s'interroger sur l'opportunité d'un développement de la négociation collective sur ce sujet ; en dernier lieu, la question des pensions de réversion et de l'assurance veuvage, tant l'on sait l'importance de la place des veufs et des veuves dans la société.
Depuis longtemps, je me sens véritablement en sympathie avec la CFTC, mais je dois avouer que j'ai du mal à reconnaître la confédération – du moins, l'idée que je me faisais d'elle – dans les propos que vous tenez aujourd'hui.
En effet, vous clamez que vous êtes attaché au système de retraite par répartition, à savoir un système au sein duquel les actifs financent la situation de ceux qui ne travaillent plus. Mais, dans le même temps, vous semblez nier la réalité démographique, puisque vous considérez que les salariés ne doivent pas payer pour une situation dont ils ne sont pas responsables. Or, qu'est-ce que la responsabilité en la matière ? Il me semble que c'est précisément la prise en compte de l'accroissement de l'espérance de vie, donc de la question démographique. Référez-vous aux études menées par le Conseil d'orientation des retraites, au sein duquel vous siégez. Je vois donc dans votre position une forme de paradoxe : comment se dire à la fois attaché au système de retraite par répartition et ne raisonner, s'agissant du financement de ce système, en se fondant uniquement sur des solutions de nature fiscale ?
J'ajoute que vous réfutez les pistes démographiques, mais que les solutions que vous préconisez procureraient tout au plus, si elles étaient mises en oeuvre, des recettes de l'ordre de 25 milliards d'euros, quand ce sont 70 à 100 milliards d'euros qui sont nécessaires pour sauvegarder notre système de retraite !
D'une certaine façon, avec cette audition, nous restons sur notre faim, alors même que votre confédération a plutôt la réputation d'être une confédération responsable.
Évoquer la question de la pénibilité, c'est ouvrir la boîte de Pandore, tant les enjeux sont multiples : il y a les métiers dangereux en raison d'une exposition à des substances toxiques, des professions comme la fonction militaire ou encore la police. On peut bien sûr citer aussi les situations de pénibilité physique, ou de pénibilité psychique, du fait des différentes formes de stress. Au demeurant, il est rare qu'un travailleur ne trouve pas son métier pénible !
Il faut prendre garde à ce que les réponses apportées à cette question de la pénibilité n'entraînent un accroissement des revendications et une forme de sinistrose. Dès lors qu'il y a une carotte, par exemple sous la forme d'une indemnisation, chacun pourra être tenté d'y prétendre.
C'est un peu ce qui se produit en matière d'accidents du travail qui, dans certains cas, donnent droit à une réparation à vie, alors qu'un accident comparable qui serait intervenu hors de la sphère professionnelle n'aurait eu que des conséquences temporaires.
La mise en place d'un dossier médical n'est pas non plus sans limites : le risque existe de mettre, d'une certaine façon, les intéressés sous écoute, dans un système où leur santé sera comme mise à la disposition du médecin du travail, du médecin traitant ou des organismes de sécurité sociale. En effet, certains désirent continuer à travailler, même au prix de certaines souffrances, et une reconversion leur semble impossible : que faire quand le médecin du travail les déclare inaptes au travail ?
Enfin, dans la mesure où les maladies professionnelles résultent de l'exercice de certains métiers pénibles, c'est davantage aux caisses de sécurité sociale chargées de l'assurance maladie de prendre en charge les personnes concernées qu'à celles qui s'occupent de l'assurance vieillesse.
Pour ma part et contrairement à Dominique Dord, j'ai été agréablement surprise par votre propos, et ce peut-être pour la première fois de ma vie politique. Sans doute, il ne doit pas y avoir de tabous et l'on peut comparer les situations qui prévalent dans les secteurs privé et public. Il reste que, historiquement, il s'agit de deux réalités très différentes, ainsi que me l'a appris notamment mon expérience de fille de cheminot. Dans les Trente glorieuses, selon le secteur d'activité, privé ou public, à travail égal, les rémunérations étaient bien différentes. Aujourd'hui encore, dans la fonction publique, le traitement constitue l'unique levier de développement du pouvoir d'achat ; en revanche, dans le secteur privé, existent d'autres formes de rémunération complémentaire, tels l'intéressement, la participation ou encore les stock options.
En tout état de cause, dans les trois mois qui nous sont impartis par le gouvernement pour notre réflexion, le travail ne peut qu'être, malheureusement, précipité, et il n'est pas possible de remettre à plat l'ensemble de ces systèmes.
Concernant enfin la question de l'emploi des seniors, à laquelle vous consacrez un développement dans votre document de présentation, quelles pistes concrètes proposez-vous ? Il y a là de réelles difficultés, lorsque l'on a été carreleur ou couvreur toute sa vie durant. Indépendamment de la question de l'allongement de l'espérance de vie, il est difficile, dans de telles professions, de continuer de travailler au-delà de 50 ou 55 ans.
Dans le document que nous avons sous les yeux, vous écrivez : « Lorsque la prévention échoue, un principe de réparation doit trouver à s'appliquer. Les personnes ayant exercé un emploi particulièrement pénible doivent pouvoir accéder à leur retraite proportionnellement plus tôt (…) ». Quelle application pratique de ce principe : qui ? Comment ? À quelles conditions ?
S'agissant de la question des situations respectives du secteur privé et du secteur public, nous avons été désagréablement surpris de voir, en particulier par la presse, aborder le débat de manière un peu binaire, en opposant, d'une certaine façon, les gentils et les méchants.
Pour ma part, je suis fonctionnaire et heureuse de l'être. Je reconnais qu'il s'agit d'un statut qui constitue, de fait, une garantie de vie et d'emploi, ce qui n'a pas de prix, en particulier en période de crise. La CFTC est très attachée à cette réalité. Du reste, nous n'avons jamais interdit à quelqu'un de devenir fonctionnaire : c'est un choix de vie. On ne peut pas systématiquement opposer les situations ou les personnes les unes aux autres.
Il n'est pas possible de tout comparer : par exemple, l'Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) et le régime additionnel de la fonction publique ne sont pas dans des situations comparables, compte tenu du caractère très récent de ce dernier. Une comparaison sera envisageable dans une dizaine d'années seulement. De même, la présentation uniforme par la presse d'un taux de remplacement des rémunérations des fonctionnaires une fois à la retraite à hauteur de 75 % de leur dernière rémunération repose sur un certain nombre de simplifications, concernant notamment la question des primes.
De fait, le temps imparti par le gouvernement pour la réforme ne permet pas de mettre à plat l'ensemble du système, ni de mettre en évidence les efforts qui sont demandés à chacun : or, les fonctionnaires, comme tous les citoyens, ont envie de contribuer à la solidarité nationale. Mais, encore une fois, gardons-nous d'une description trop simplifiée des situations en présence. Peut-être ai-je été tout à l'heure rapide dans ma présentation mais, si des efforts doivent être accomplis, la fédération des agents de l'État de la CFTC ne fuira pas ses responsabilités.
J'en reviens à la question des jeunes et à la « double peine » : il n'est vraiment pas normal que le fait d'accomplir de longues études soit pénalisant et contraigne à travailler plus longtemps. C'est pourquoi il est important de favoriser, par-delà les seuls dispositifs de rachat d'années d'études, la valorisation et la reconnaissance des périodes d'études, telles celles accomplies par les médecins, pour l'accès à la retraite. On peut aussi penser à la situation de ceux qui cessent de travailler et reprennent un cursus d'études, ou passent par la validation des acquis de l'expérience : il faudrait également favoriser la reconnaissance de ces situations.
Notre confédération est, par ailleurs, attachée à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. De ce point de vue, l'idée avancée dans le document d'orientation gouvernemental d'un rendez-vous à 45 ans en matière de retraite, qui doit intégrer la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, peut être approuvée. En pratique, certaines personnes se sentent, à un moment donné, cassées, et sont désireuses de transmettre leur expérience en faisant du tutorat ou en se rendant dans des lycées, par exemple. Ce sont en particulier les représentants des professions manuelles qui le disent : la transmission des savoir-faire est absolument indispensable, car l'apprentissage à l'école ne suffit pas. La dimension relationnelle, au sein de l'entreprise, est irremplaçable. Il faut ajouter que, parmi les jeunes entrant tardivement dans la vie active, figurent de nombreuses personnes en situation de chômage, sans indemnisation, qui se trouvent également dans des situations d'attente difficiles.
Pour en revenir aussi à la question de la pénibilité et du dossier médical, il est vrai qu'il peut exister un risque que certains salariés soient écartés de la vie professionnelle à la suite d'avis médicaux. C'est pourquoi il faut veiller à une bonne construction du dossier médical, qui doit rester au service de la seule protection du salarié.
J'ai personnellement beaucoup travaillé la question des conditions de travail et de la médecine du travail, et je crois pouvoir affirmer que les médecins sont loin de multiplier les déclarations d'inaptitude, dont ils sont bien conscients des conséquences pour les intéressés et leurs familles.
Concernant le cumul emploi-retraite, auquel nous sommes favorables, il faudra particulièrement veiller à protéger ces nouveaux salariés contre une généralisation de la précarité, avec le risque de contentieux prud'homal que cela implique.
Pour répondre plus précisément à M. Dord, je tiens à préciser que les positions de la CFTC concernant la réforme des retraites ont été validées à deux reprises par le conseil fédéral : une première fois en octobre, une seconde fois en avril, quand les premières orientations du Gouvernement ont été connues. Il ne me semble pas que ses positions soient plus dures que d'habitude. Elles partent du principe que la question démographique ne peut pas être l'alpha et l'oméga de cette réforme. Il est en tout cas regrettable que le temps du débat ait été aussi court.
Je tiens à préciser que, compte tenu de la concurrence existant entre les différentes organisations syndicales, jamais aucune centrale ne se serait engagée en faveur d'une quelconque réforme, quand bien même elles auraient disposé de huit mois de plus. Il revient donc au pouvoir politique de prendre les mesures nécessaires.
Il est vrai que la loi de 2008 relative à la représentativité nous oblige à retrouver notre place au sein du paysage syndical et à trouver les mots pour être entendus.
Vous confirmez ce que je soupçonnais, à savoir que votre positionnement est lié à la réforme de 2008. Mais, je pense qu'il s'agit là d'une erreur stratégique, car votre discours se différencie, au final, assez peu des autres organisations syndicales.
Je m'inscris en faux avec cette assertion. Dans le document que nous avons élaboré, nous faisons de nombreuses propositions concernant l'emploi des seniors, la pénibilité, etc. Notre seul point majeur d'opposition avec le Gouvernement est la barrière des 60 ans, et c'est d'ailleurs, avec le financement, le seul point sur lequel nous nous retrouvons avec les autres organisations syndicales. Sur toutes les autres questions, nous n'avons pas réussi, lors des réunions inter-syndicales, à trouver de point d'accord.
Je souhaiterais avoir des informations sur la position de votre centrale concernant, d'une part, les pensions de réversion, d'autre part, les petites retraites, en particulier celles des commerçants et des agriculteurs.
Je souhaite rappeler que nous avons été toujours très favorables à la libéralisation du cumul emploi-retraite décidé en 2008. Nous avons d'ailleurs fait en sorte qu'elle soit prise en compte dans les régimes complémentaires en apportant néanmoins quelques exigences supplémentaires : par exemple, un âge minimum de 60 ans et le paiement d'une cotisation non génératrice de droits. Concernant l'âge de 60 ans, nous avons toujours équilibré notre discours en joignant à cette défense de l'âge légal l'exigence d'une durée d'assurance minimale, afin que la retraite se fasse au choix du salarié.
Concernant les petites pensions, lors de la réforme de 2003, nous avions demandé que les retraites ne puissent être inférieures à 100 % du SMIC si l'assuré a cotisé la durée d'assurance nécessaire. Rappelons qu'à l'époque, ce taux était de 76 %. Il a été porté par la réforme de 2003 à 85 % et c'est là son niveau actuel. Nous maintenons notre revendication de 100 % aujourd'hui, car nous estimons qu'il faut donner aux retraités les moyens financiers de faire vivre dignement sa famille.
Concernant les pensions de réversion, il est bien sûr indispensable de les maintenir. Aujourd'hui, les femmes, qui sont les principales bénéficiaires de la réversion, n'ont pas suffisamment de droits propres pour l'on renonce à ce dispositif. Nous nous sommes d'ailleurs toujours opposés, malheureusement sans succès, à l'instauration d'une condition de ressources dans les régimes de base. Par contre, nous avons empêché qu'une telle condition soit instaurée dans les régimes complémentaires. Encore une fois, supprimer ou restreindre ce dispositif risquerait d'aboutir à une paupérisation d'une partie de la population.
La séance est levée à dix-huit heures quinze.