La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.)
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils généraux (nos 2169, 2204).
Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de 8 h 06 pour le groupe UMP, 7 h 25 pour le groupe SRC, 5 h 31 pour le groupe GDR, 3 h 55 pour le groupe Nouveau Centre, et 42 minutes pour les députés non inscrits.
Au-delà de la relative intimité de notre hémicycle ce matin, je regrette l'absence de M. Marleix. Sans mettre en doute le talent de monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, ni sa compétence pour répondre à nos questions, vous conviendrez qu'il est désolant que le secrétaire d'État en charge de ce projet de loi au nom du Gouvernement n'ait pas cru devoir être parmi nous ce matin.
Si j'avais à qualifier ce projet de loi, j'utiliserais deux mots : illusion et subterfuge. L'illusion et le subterfuge portent tout d'abord sur l'objet même du texte, puisque vous tentez de nous faire croire qu'il ne porte que sur la concomitance des élections des conseillers généraux et des conseillers régionaux, alors qu'il s'agit en fait de tout autre chose. Ayant d'ailleurs écouté les quelques députés de l'actuelle majorité qui ont bien voulu s'exprimer lors de la discussion générale de mardi, j'ai noté que leurs interventions ne portaient pratiquement pas sur la concomitance entre les deux élections, mais sur la création d'un nouvel élu, le conseiller territorial, et la création d'un nouveau mode de scrutin, qui constituent le fond de votre projet de loi. Ce saucissonnage entre quatre projets de loi qui n'en font qu'un est déjà, en lui-même, une illusion et un subterfuge.
Deuxième illusion, vous voulez faire croire aux Français que ce projet permettra de réaliser des économies. C'est l'un des arguments majeurs du Président de la République lui-même : faire des économies sur le dos des collectivités territoriales. Je n'y reviendrai pas, Laurent Fabius et Bruno Le Roux ont déjà démontré qu'il n'y avait pas d'économies, et que le coût des collectivités territoriales était dérisoire par rapport à d'autres dépenses de l'État. Je souhaiterais d'ailleurs que cet argument ne soit pas trop utilisé.
Vous prétendez également rendre plus lisible la répartition des compétences entre les deux catégories de collectivités territoriales que sont les conseils généraux et les conseils régionaux, et pour cela, vous créez un nouvel élu, le conseiller territorial. C'est une espèce d'élu hybride, qui ne représentera en fin de compte ni la proximité, ni l'anticipation nécessaire à la conduite des régions. Au final, par la fusion des deux collectivités existantes, vous créez la confusion alors que vous prétendez rendre les choses plus lisibles. Que va-t-il résulter de ce mélange d'élus qui sont actuellement porteurs de deux blocs de compétences différents, à deux niveaux distincts ? Aujourd'hui, le conseiller général est identifié comme l'élu de proximité par nos concitoyens, en zone rurale mais aussi dans bien des zones urbaines ; 75 % du budget des conseils généraux est orienté vers l'action sociale. À part le maire, qui va-t-on voir quand on a des problèmes au niveau de la petite enfance ou de l'action sociale ? C'est le conseiller général. C'est souvent lui qui accompagne les maires dans le traitement de ces problèmes. Il représente la proximité, parce qu'il est l'élu d'un territoire, et qu'il est considéré comme le porteur de la solidarité sociale. À ses côtés, élu de manière différente, et certes moins identifié – mais, à la limite, cela importe peu – le conseiller régional a la charge de l'anticipation des politiques et de la préparation de l'avenir. Et c'est au moment où nous étions en train de donner à la région une vraie identité et une vraie légitimité en matière de formation professionnelle, d'apprentissage, de développement économique, que vous cassez cette dynamique par cette fusion, source de confusion.
Troisième subterfuge, l'argument sur la nécessaire complémentarité entre les politiques du conseil général et du conseil régional. Les bras m'en tombent ! À quand une loi imposant des majorités identiques dans les différentes collectivités territoriales et à l'Assemblée Nationale ? La richesse du débat démocratique naît au contraire de la confrontation entre des collectivités qui n'ont pas forcément la même majorité politique, mais qui peuvent contractualiser un certain nombre d'actions. De fait, vous instituez un véritable verrouillage des collectivités territoriales qui trouve son expression dans le mode de scrutin. Je ne reviendrai pas sur le caractère scandaleux de ce mode de scrutin, les orateurs qui m'ont précédé à cette tribune l'ayant mis en lumière.
En conclusion, ce projet de loi est à la fois stupide et dangereux. Il est stupide, car la décentralisation était devenue l'objet d'un véritable consensus national au-delà de nos divergences politiques : vous tentez de revenir en arrière sur un mouvement pourtant irréversible. Il est également dangereux, de par les arguments que vous avez utilisé pour tenter de le justifier. Affirmer qu'il y a trop d'élus dans une démocratie est dangereux, et il serait bon de ne plus utiliser cet argument à l'avenir. Voilà pourquoi, au moment où votre politique nationale casse les services publics et remet en cause ce qui pouvait apparaître comme la protection des plus faibles, la destruction ou le verrouillage des collectivités territoriales est une faute grave, car elles sont justement au plus près de nos populations. Cette loi de circonstance n'entrera pas dans l'histoire, car nous aurons la charge d'y remédier. Le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche votera donc évidemment contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La semaine passée, nous avons discuté d'un projet de loi dont l'article unique avait été supprimé au Sénat, à la suite d'un scrutin public, après son adoption par la même majorité au sein de cette Assemblée. Cette semaine, nous innovons encore. Nous discutons en effet d'un projet de loi tendant à autoriser la simultanéité des scrutins régionaux et cantonaux en 2014, et l'exposé des motifs du projet de loi vise clairement la réforme des collectivités locales à venir, ainsi que le fait que « les conseillers régionaux et généraux constitueront un ensemble unique d'élus. »
Autrement dit, nous tirons d'ores et déjà les conséquences d'un projet de loi dont nous ne connaissons ici que les orientations, dont nous n'avons pas encore discuté, et que nous n'avons pas adopté. Si la semaine passée nous discutions d'un projet de loi sans disposition, cette semaine nous discutons d'un projet de loi par anticipation. Permettez-moi de trouver la méthode étonnante.
Je me permets de vous rappeler un discours tenu par le candidat Nicolas Sarkozy à la Réunion en février 2007, dans lequel il disait : « Je respecterai le Parlement. » Il ajoutait un peu plus loin : « Je crois à la valeur du respect. » Il faut croire que ce discours n'était pas destiné à trouver une suite dans la pratique gouvernementale au Parlement…
Revenons au fond de ce projet de loi, qui ne fait pas plus de quatre-vingts mots, et dont l'unique objet est de fixer un terme au mandat d'élus qui siégeront dans les assemblées de collectivités territoriales encore existantes et distinctes. En l'absence d'autres informations, nous ne pouvons faire que des hypothèses sur les conséquences qu'auront ces projets de loi une fois adoptés et,s'ils ne subissent auparavant les foudres du Conseil constitutionnel, promulgués.
Le premier sujet qui doit retenir notre attention est celui de la parité. L'article 1er de la Constitution énonce sagement que « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales. » Avant de voter une loi qui tire les conséquences de la suppression de deux modes de scrutin, dont l'un fait toute sa place à la parité en permettant l'élection de 48 % de conseillères régionales contre 12 % de conseillères générales, il eût été bon que le Gouvernement et sa majorité disent à l'opinion ce qu'il adviendra demain de la parité, avec un nouveau mode de scrutin dont le Gouvernement anticipe non seulement l'adoption, mais aussi la constitutionnalité. Selon l'observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, il pourrait en résulter l'élection de 20 % de conseillères pour 80 % de conseillers.
Le Président de la République, dans un autre fameux discours d'avant son élection, avait déclaré à Périgueux en octobre 2006 : « Il faut passer des droits virtuels aux droits réels ». Je demande donc au ministre de nous dire si la parité sera préservée, et comment.
Ne pas répondre clairement serait insultant pour les femmes déjà engagées et celles qui pourraient le devenir, et mettre leurs compétences, leurs expériences et leurs idées au service des collectivités territoriales et de leurs concitoyens.
S'il faut en croire certains ministres, la parité progressant au niveau communal, le niveau « supérieur » pourrait en quelque sorte s'en passer ! C'est un peu comme si l'on disait que les femmes peuvent s'asseoir dans les wagons de deuxième classe occupés jusque là majoritairement par les hommes, dès lors qu'on crée une super première classe réservée principalement aux hommes… Parler de ségrégation ne serait pas loin de la réalité !
Comme je l'ai dit il y a deux jours à cette tribune lors d'un autre débat, en 2008, l'UMP a refusé de revenir sur la suppression de l'élection au scrutin proportionnel des sénateurs dans les départements comptant au moins trois sénateurs, élément pourtant déterminant pour augmenter le nombre de sénatrices élues.
En 2009, la même UMP a refusé de prévoir la parité dans la composition du Bureau de l'Assemblée nationale et dans celle des bureaux de ses commissions.
En 2010, l'UMP ne dit rien sur la nécessité de maintenir le principe de la parité, et de passer de la virtualité des engagements du Président à la réalité de sa pratique.
Se déclarer en faveur de l'égalité des droits et de la parité dans la représentation reste, je le constate à nouveau, trop souvent un propos de convenance, et traduit rarement une véritable conviction.
Le deuxième sujet qui doit retenir notre attention est le mode de scrutin à adopter.
Selon le projet de loi déposé devant le Sénat, 80 % des conseillers territoriaux seraient élus au scrutin uninominal majoritaire à un tour, et les 20 % restants par une élection selon une répartition des suffrages obtenus, à l'échelon du département, par des listes.
Ce mode de scrutin d'une grande simplicité a été abandonné dans la plupart des pays. Il permet en effet l'élection d'un représentant minoritaire, une majorité d'électeurs ayant voté "contre" lui, ou n'ayant pas voté pour lui !
Surtout, il n'est pas utilisé dans les régimes politiques où, par tradition, il y a une grande pluralité de partis comme en France, à la différence de la Grande-Bretagne où, par tradition, il y a deux ou trois grands partis.
L'histoire ne peut donc servir de prétexte à l'adoption de ce mode de scrutin, surtout quand il a été d'emblée abandonné par ceux qui l'avaient un temps envisagé.
Le fait que 20 % des conseillers seraient élus selon une répartition de suffrages entre listes n'y change rien.
Enfin, ce projet de loi sert un projet d'organisation complexe et une petite manipulation électorale.
Voyons en effet quelle est l'organisation qui devrait se substituer au conseil général et au conseil régional au terme des mandats dont ce texte aligne la durée. Je l'ai dit hier, fusionner deux instances démocratiques en une organisation à deux têtes, avec d'une part des élus qui, nous dit-on, pourront être désignés comme décideurs sans être majoritaires devant le peuple, et d'autre part des élus d'opposition administrateurs dans un double conseil sans lien direct avec le territoire qu'ils représentent, c'est courir le risque d'une « déconnexion démocratique ».
Il est déjà difficile de comprendre ce que feront ces conseillers territoriaux membres de deux assemblées, occupant deux portions d'un même territoire dont l'une englobera l'autre, et ayant des compétences distinctes et qui ne pourront se recouper. Le système devient réellement complexe si l'on tient compte des élus à la proportionnelle.
Selon le texte dont on nous demande d'anticiper non seulement l'adoption, mais aussi la promulgation et donc, implicitement, la constitutionnalité, ces conseillers territoriaux seraient élus après répartition des sièges entre les listes à la représentation proportionnelle suivant la règle du plus fort reste, en fonction du nombre de suffrages obtenus dans chaque canton par ceux des candidats non élus au mandat de conseiller territorial.
Sauf erreur, ce seront en quelque sorte les voix qui n'auront pas fait élire les élus au scrutin majoritaire qui seront « recyclées » pour sauver d'autres candidats... Ainsi la proportionnelle ne sera utilisée que sur la minorité des voix qui n'auront pas servi à désigner un candidat.
L'équité aurait dû conduire à prendre en compte l'ensemble des suffrages pour les répartir sur l'ensemble des sièges à pourvoir. Il semble s'agir d'un calcul politique consistant à faire cadeau de quelques élus à de petites formations, dans une opération d'ouverture comme celles qu'affectionne le Président, à savoir de respecter les opposants lorsqu'ils ont vocation à rester minoritaires ou à reconnaître celui qui les a faits rois !
Nous l'avons bien compris, ce projet en cache un autre, plus fort, plus rapide, censé assurer des majorités dans les collectivités territoriales plus favorables à l'exécutif ou plus maniables.
Je suis toujours surprise que les hommes qui souhaitent entrer dans l'histoire, qu'ils soient de droite ou de gauche, puissent faire de si petits calculs, sachant que l'Histoire est toujours rancunière. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mon rappel au règlement se fonde sur l'article 58.
Pour un parlementaire, la discussion générale constitue un moment de confrontation, pas seulement de déclarations devant le représentant du Gouvernement. Or, à cette heure de la matinée, je tiens à faire constater à quoi aboutit l'organisation de la séance telle qu'elle résulte de l'application du temps programmé. A l'exception de l'excellent rapporteur, il n'y a aucun député de la majorité en séance. En outre, le secrétaire d'État qui a suivi tout le début de la discussion générale n'est pas présent. Certes, et je m'en félicite, M. le ministre chargé des relations avec le Parlement et Mme la ministre chargée de l'outre-mer le sont. Cette dernière, d'ailleurs, pourra peut-être nous éclairer tout à l'heure sur un point : la création du conseiller territorial dans un certain nombre de départements d'outre-mer entraînera de fait une fusion des collectivités ; théoriquement celle-ci nécessite une consultation des électeurs de ces départements, en application de l'article 73 de la Constitution. Nous attendions sa présence avec impatience pour pouvoir aborder ce point.
Pour l'heure, toutefois, en l'absence des députés de la majorité, le débat ne se déroule pas normalement. C'est pourquoi, au nom du groupe SRC, je demande une suspension de séance d'un quart d'heure afin que la majorité puisse se ressaisir et faire venir quelques-uns de ses membres et que cette discussion soit véritablement un débat parlementaire.
Rappel au règlement
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures cinq, est reprise à dix heures quinze.)
Rappel au règlement
Mon rappel au règlement se fonde de nouveau sur l'article 58. Je souhaite faire constater que, malgré la suspension de séance, aucun parlementaire de la majorité, ce vendredi matin, n'est présent pour la discussion générale. Je le regrette. Je souhaite néanmoins que le débat se poursuive quelque temps, en attendant de voir si la majorité peut se ressaisir.
Monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, madame la secrétaire d'État chargée de l'Outre-mer, permettez-moi de saluer l'arrivée dans l'hémicycle, en ce moment même, d'une de nos collègues, membre de la majorité, qui sera donc seule à siéger de ce côté de l'hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Nous lui exprimons notre gratitude car elle donne enfin à notre débat un véritable caractère démocratique.
Nous regrettons l'absence de M. Marleix. C'est par sa voix que le Gouvernement a provoqué ce débat et qu'il a inscrit ce projet de loi à l'ordre du jour : il doit être présent dans l'hémicycle.
Nous constatons que le secrétaire d'État qui présente un projet de loi aux députés, qui les interroge, en somme, s'abstient d'écouter leurs remarques et de participer à la discussion. Monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, je vous le dis, à vous qui pourriez parfois aussi écouter et porter la parole des députés de l'opposition, il y a du mépris dans cette attitude.
Je n'ai aucune qualité pour vous faire la leçon, et je sais que ceux qui entendent les sermons, puisqu'ils sont présents, sont les moins concernés, mais voilà bien l'illustration du mépris dans lequel le Gouvernement tient la nature, l'enjeu et les conséquences du débat parlementaire. C'est à ce titre que l'absence du secrétaire d'État est scandaleuse !
Célébrons donc la magnificence de la grande réforme institutionnelle et constitutionnelle : elle a conforté le caractère contradictoire des débats parlementaires, elle a conforté la réflexion citoyenne et démocratique menée par les députés ! Il n'y a qu'à voir les bancs de la majorité qui, il y a encore un instant, étaient totalement vides…
Quand on prétend que la réforme constitutionnelle a permis le retour du Parlement dans le débat démocratique, ou que l'on a réformé le Parlement pour améliorer le rôle des élus de la nation dans l'élaboration de l'action publique et de la politique gouvernementale, on se moque des citoyens !
Je regrette que l'on ne puisse pas convoquer ce matin le peuple de France dans cet hémicycle pour qu'il voie ce qu'est vraiment la réforme constitutionnelle. J'invite à nouveau les médias à venir ici regarder de plus près ce qu'est vraiment la réforme du Parlement. Ils pourront voir en quoi consiste actuellement le débat parlementaire : (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) l'opposition est tenue à l'écart d'un véritable débat, et tout est fait pour que ses interventions soient ignorées par la majorité ; il ne s'agit plus que de reporter les votes afin qu'ils aient lieu lorsque l'on sera assuré que la majorité est bien majoritaire dans l'hémicycle.
Est-ce là l'exemple que le Gouvernement veut donner d'une réforme démocratique ? Si c'est le cas, il s'agit d'un exemple minable. Le mépris est total et, chaque jour, nous sommes outragés. Chère collègue de la majorité, vous l'êtes sans nul doute autant que nous, et je vous le dis, cette manière de faire est inacceptable ! Il faudra bien que les Français en prennent conscience un jour. Il y a captation par le Gouvernement de toutes les institutions pour détourner la voix du peuple, des citoyens et des électeurs des choix qui, depuis la Révolution française, relèvent de leurs décisions !
Je m'exprime avec force aujourd'hui, et je ne cesserai pas de le faire, pas plus que mes collègues de l'opposition. Nous protestons aussi au nom de tous les membres de la majorité qui n'osent pas le faire mais qui n'en pensent pas moins. Nous rejoignons ainsi les sévères critiques que le président de l'Assemblée exprime chaque jour sur la manière dont cette assemblée est traitée par le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Avant de traiter du fond du projet de loi, permettez-moi de revenir sur ce calendrier bien singulier que nous impose le Gouvernement. Il me paraît pour le moins incohérent, si ce n'est qu'il témoigne fortement, concrètement et démonstrativement de la préemption partisane de nos institutions.
En effet, comment ne pas s'étonner d'être amenés à discuter d'un projet de loi réduisant la durée des mandats des futurs conseillers régionaux seulement deux mois avant leur élection ? La modification des règles du jeu, à peine deux mois avant le début de la partie, ne semble pas vous troubler. Il s'agit pourtant de la marque très expressive du peu de considération dans laquelle ce Gouvernement, qui capte et qui privatise l'État et ses instruments, tient le suffrage universel, les élus, les formations politiques, instruments de la démocratie dans notre pays, et les électeurs-citoyens.
Comment ne pas s'étonner d'avoir à se prononcer sur l'hypothèse d'un mandat de conseiller dit territorial, alors même que ce dernier n'a pas encore été créé et que son mode d'élection n'a pas été discuté ? Pourtant, cela ne trouble pas le Gouvernement, ni manifestement cette majorité, alors qu'il s'agit d'un véritable déni de démocratie. Modifier les règles du jeu quand la partie a déjà débuté relève d'un incontestable mépris de la démocratie.
Comme nous en avons l'habitude depuis deux ans et demi, le Gouvernement s'évertue à confisquer le débat, et il se précipite pour couper court à toute discussion ; nous le constatons encore ce matin. Le but de la manoeuvre est sans surprise : faire passer en force et en catimini des réformes partisanes que peu acceptent ou défendent, parce qu'elles sont contraires à l'intérêt général.
La discussion de ce projet de loi est d'autant plus incongrue qu'elle anticipe la réforme des collectivités territoriales, dont la discussion vient tout juste de commencer au Sénat, et qui ne sera soumise à notre assemblée que dans les mois qui viennent.
Alors pourquoi cette précipitation ?
En faisant ce choix, le Gouvernement démontre une nouvelle fois clairement, et de façon irréfutable, le peu de considération qu'il a pour les parlementaires, seulement voués à valider les réformes clé en main qui leur sont proposées par l'exécutif.
En détachant, en isolant la discussion de ce projet de loi des autres volets de la réforme des collectivités, le Gouvernement a voulu relativiser la portée de ce texte, qui serait un simple ajustement du calendrier électoral. Il a même affirmé que si la réforme future n'était pas adoptée, il suffirait de ne pas appliquer le projet de loi dont nous discutons ! Qu'est ce que cela veut donc dire ?
Nous ne sommes pas dupes de cette approche séquentielle. Je dénonce cette manoeuvre qui tronque le débat. Elle montre bien que le Gouvernement tient les fondements du suffrage universel dans un mépris total.
Ce projet de loi annonce également une remise en cause insidieuse de la décentralisation. C'est donc à l'aune de la réforme des collectivités territoriales dans son ensemble que ce texte doit être apprécié, évalué, discuté et, enfin, combattu.
Depuis quelques mois, les collectivités territoriales sont la cible d'attaques répétées du Gouvernement. Elles font l'objet, aujourd'hui, d'une remise en cause sans précédent de sa part du Gouvernement et de la part, du même coup, du service servile de sa majorité.
Alors que la décentralisation instaurée en 1982, et renforcée en 2003, avait insufflé un véritable renouveau démocratique dans nos territoires en replaçant les citoyens, leurs élus, leurs besoins et leurs préoccupations au coeur des politiques locales, les réformes que vous nous proposez marquent un retour en arrière, une régression coupable, qui va léser considérablement les habitants de nos territoires et détériorer leur quotidien.
En inscrivant dans la Constitution la nature décentralisée de la République, la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 avait renforcé le caractère impérieux des principes régissant le droit des collectivités territoriales. Je fais notamment référence à l'autonomie financière des collectivités territoriales, à la clause générale de compétence des collectivités, à l'impossibilité de tutelle d'une collectivité sur une autre, et à la libre administration des collectivités par un conseil élu.
Ce sont bien ces principes qui permettent une action locale de proximité, répondant au plus près aux attentes des citoyens. Ils garantissent aussi la transparence et la clarté des politiques menées par les collectivités territoriales. Voilà ce que vous aller casser avec votre projet de loi aux ambitions électoralistes et partisanes !
Les termes de la Constitution sont pourtant sans équivoque, mais comme l'ont démontré les critiques ouvertes exprimées dans les récentes décisions constitutionnelles, les projets que vous soumettez à notre assemblée depuis quelques mois ne cessent de violer sans vergogne ces principes.
Prenons l'exemple de l'autonomie financière des collectivités territoriales, déjà mise à mal par les incessants transferts de compétences et de charges jamais accompagnés des ressources afférentes. Elle est plus que compromise, et elle est désormais devenue, en quelque sorte, une espèce en voie d'extinction, puisque votre majorité a adopté la réforme de la taxe professionnelle dans le cadre du projet de loi de finances pour 2010. Cette réforme majeure augure d'un bouleversement de l'économie des collectivités et de leur rapport avec l'État.
En remplaçant une partie de cette ressource fiscale dynamique par une dotation de l'État, le Gouvernement a privé unilatéralement et autoritairement les collectivités de leur autonomie fiscale, pierre angulaire de leurs actions.
Autre exemple : le projet de loi sur le Grand Paris adopté à l'automne par l'Assemblée nationale a amorcé la reprise en main par l'État des compétences qu'il avait transférées en matière d'aménagement urbain et de développement économique. J'avais alors parlé d'acte I de la recentralisation, et je persiste. Rien ne justifie que les Franciliens et leurs collectivités soient exclus des avancées démocratiques de la décentralisation. L'Île-de-France, la métropole capitale ne peuvent pas être une exception territoriale.
Votre projet de loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils régionaux et généraux s'inscrit dans le même état d'esprit, dans la même logique antidémocratique.
En fusionnant les mandats des conseillers régionaux et généraux dans un mandat unique de conseiller territorial, vous posez les jalons d'un véritable hold-up démocratique que vous opérez sans même, à présent, vous donnez la peine de masquer vos intentions. Vous justifiez cette réforme en invoquant la nécessité de faire des économies. La France aurait trop d'élus locaux, ce qui serait directement à l'origine de l'accroissement des déficits publics. L'argument est fallacieux ; nous le savons tous et vous le savez bien. Notre collègue Élisabeth Guigou a rappelé, à juste titre, le décalage qui existe entre les économies attendues par le Gouvernement et le coût estimé de votre réforme, notamment celui de l'instauration des conseillers territoriaux. Les 3 000 conseillers régionaux et généraux que vous prévoyez de supprimer ne représentent que 1 % des élus locaux, et leurs indemnités correspondent à moins d'un millième du budget des régions et des départements.
Ceux qui attendaient des économies de votre réforme risquent d'attendre longtemps ! D'autant que cette nouvelle organisation territoriale va imposer des investissements supplémentaires pour accueillir dans des conditions de confort au moins élémentaires les nouveaux conseillers territoriaux au sein des conseils régionaux.
Non seulement cette réforme n'engendrera donc pas la moindre économie, mais elle sera aussi à l'origine de moins de démocratie citoyenne. La création d'un conseiller territorial ne résoudra en rien le problème des déficits publics ; elle risque même, au contraire d'être créatrice de déficit supplémentaire.
La création du conseiller territorial pose la question de la tutelle d'une collectivité sur un autre, pratique contraire à la Constitution. Car, contrairement à ce que vous affirmez, la création d'un conseiller unique, qui siégera à la fois au conseil régional et au conseil général, risque de créer une confusion entre ces deux collectivités.
Je ne suis pas certain qu'une telle confusion satisfasse les citoyens. À terme, l'un des échelons prendra inévitablement le dessus sur l'autre. Ainsi, dans les régions où l'exécutif régional a une forte autorité, les départements seront relégués au rang de simples arrondissements chargés d'appliquer les politiques adoptées par la région. À l'inverse, certaines régions se transformeront en autant de fédérations départementales, où chaque élu défendra les intérêts de son département au détriment de la cohésion régionale. En tout état de cause, il est certain que votre réforme contribuera à instaurer la tutelle d'un échelon sur l'autre.
Par ailleurs, la jurisprudence et la doctrine constitutionnelles ont rappelé à plusieurs reprises que l'alinéa 3 de l'article 72 de la Constitution interdit que deux collectivités distinctes soient administrées par une collectivité unique. En d'autres termes, il faut un élu pour chaque échelon, conformément à la tradition républicaine de notre pays.
Je ne m'attarderai pas sur les motifs d'inconstitutionnalité du projet de loi, dont nous exciperons devant le Conseil Constitutionnel. Vous avez contesté la référence que plusieurs de mes collègues, notamment Laurent Fabius dans sa motion de rejet préalable, ont faite au rapport du Conseil d'État, qui émet plusieurs réserves sur votre réforme. Soit, mais il faudra bien que vous teniez compte de la censure du Conseil Constitutionnel lorsqu'elle sera prononcée, car nous ne doutons pas un seul instant que vos textes seront déclarés inconstitutionnels. Il faudra bien, alors, que vous vous conformiez à ces décisions, à moins qu'une fois encore, la majorité ne décide de recourir à de nouveaux subterfuges pour tenter d'aboutir à une confiscation partisane de l'instrument que constitue le suffrage universel.
J'en viens enfin à l'aspect le plus problématique de votre projet : le mode d'élection du futur conseiller territorial. Unique dans l'histoire de nos institutions, l'instauration d'un scrutin uninominal à un tour créera un décalage entre la volonté exprimée par nos concitoyens et le résultat final des élections. Alors que, dans cet hémicycle, vous nous demandez constamment de tenir compte du fait majoritaire, que personne ne peut nier, vous vous apprêtez à le malmener dans le cadre de la gestion des territoires. La majorité issue de l'élection des conseillers territoriaux serait en effet élue avec moins de la moitié des suffrages exprimés. Mesurez-vous réellement les enjeux d'un tel bouleversement démocratique, qui permettrait à une minorité d'assumer la gestion territoriale ? Êtes-vous prêts à assumer les conséquences du déficit de légitimité d'un conseiller territorial non représentatif ?
Nous l'avons souvent rappelé, si le Gouvernement prive l'Assemblée de tout débat démocratique, si l'activité législative ne permet plus de porter la contradiction, d'exprimer des réflexions et des convictions divergentes, c'est dans la rue que celles-ci s'exprimeront ; or, la rue, personne ne la contrôle. Croyez-vous sincèrement que, dans les départements et les régions, les débats auront lieu dans les assemblées si la majorité qui les tient représente une minorité de nos concitoyens ? Quel progrès politique, social, républicain apporterait cette loi par rapport à ce qu'ont construit les générations précédentes, qui ont voulu faire du suffrage universel le mode d'expression le plus parfait et le meilleur possible du voeu de la majorité des citoyens ?
Lors des dernières élections cantonales, près de 10 % des résultats auraient été modifiés si ce mode de scrutin avait été appliqué : plus d'un quart des conseillers généraux n'auraient pas été élus. Voilà quelles seront les conséquences concrètes de votre réforme, au-delà de vos annonces démagogiques et erronées sur l'économie escomptée. C'est bien notre démocratie locale qui est en péril !
De même que le redécoupage des circonscriptions électorales, adopté mardi dernier dans les conditions que l'on connaît, a été élaboré de façon partisane, de même, le projet dont nous discutons actuellement a pour seul objectif de permettre à la majorité de récupérer par des artifices juridiques les mandats locaux qu'elle a perdus dans les urnes.
Les élus locaux et, à travers eux, les collectivités territoriales sont la figure emblématique et éminemment humaine de nos institutions républicaines. Je ne peux que m'opposer à un texte, manoeuvre électoraliste et politicienne, qui va détruire le lien étroit que tissent, depuis plus de vingt ans, les élus locaux avec les habitants. Si une réforme des collectivités territoriales est nécessaire, elle doit être audacieuse et répondre à un objectif de taille : améliorer l'efficacité de l'action publique et le quotidien des habitants, grâce à une gestion de proximité assumée par une majorité que les citoyens ont placée aux responsabilités, et dans le respect de l'opposition.
En conclusion, le grand absent de votre réforme, c'est précisément le citoyen, que vous malmenez après avoir malmené les élus et que vous écartez délibérément du débat démocratique. Vous en assumerez la responsabilité. Ainsi que l'a dit tout à l'heure, à juste titre, Marietta Karamanli, l'Histoire est rancunière ; elle marquera au fer rouge ceux qui, et ils ne doivent pas en être fiers, sont à la manoeuvre pour porter ce coup à la démocratie. Nous voterons contre ce projet de loi et contre tous les textes qui entament l'expression du suffrage universel et la loyauté de l'élection. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, je veux vous exposer les raisons pour lesquelles, au nom du groupe socialiste, je vais vous demander une suspension de séance de deux heures.
Tout d'abord, un certain nombre de textes du Gouvernement sont personnifiés. Ainsi, quand on parle de découpage électoral, on pense : Marleix ; quand on parle de concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, on pense : Marleix ; quand on parle de la création des conseillers territoriaux, on pense : Marleix. Nous demandons donc une suspension de séance de deux heures pour permettre à celui qui a assisté à la quasi totalité de la discussion générale et qui, avec le Président de la République, que nous ne pouvons pas entendre dans cette enceinte,…
…est la cheville ouvrière de toutes les réformes – pour ne pas employer un autre mot – liées aux modes de scrutin, de nous rejoindre. Son absence est en effet une mauvaise manière faite au Parlement.
Par ailleurs, un seul député de la majorité, Mme Greff – qui s'apprête d'ailleurs à partir –, étant présent en séance, nous souhaitons nous prémunir contre une nouvelle utilisation par le Gouvernement de la réserve du vote. Au reste, le Président de l'Assemblée nationale lui-même s'inquiète du dévoiement de cette procédure, qu'il attribue à des défaillances majoritaires. Or, je rappelle que la procédure de réserve du vote – qui est, certes, permise par notre règlement, mais qui n'a aucune valeur constitutionnelle et qui dénature nos débats – a été conçue, non pas pour pallier les défaillances majoritaires, mais pour permettre d'attendre, avant de statuer sur une disposition en discussion, l'examen d'une disposition ultérieure qui la conditionne. Mais, compte tenu de l'absence des députés de la majorité, nous craignons que le Gouvernement ne recoure, une fois de plus, à cette procédure qui, je le répète, dénature la discussion parlementaire. Telle est la seconde raison pour laquelle nous demandons une suspension de séance de deux heures.
J'ajoute, madame la présidente, qu'il serait évidemment équitable que celle-ci soit décomptée du temps du groupe UMP,…
…puisque c'est l'absentéisme des députés de la majorité qui nous oblige à vous la demander pour éviter que le Gouvernement ne demande la réserve du vote.
Monsieur Le Roux, il va de soi que cette suspension de séance sera décomptée du temps de parole du groupe SRC.
Rappel au règlement
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures quarante, est reprise à douze heures vingt-huit.)
Rappel au règlement
Nous avions demandé une suspension de séance afin de tenter de trouver des députés pouvant participer à l'élaboration de la loi, c'est-à-dire décidés à assumer une confrontation. Or, je remarque que la majorité est toujours totalement absente du débat parlementaire, ce qui fait peser un certain nombre de risques sur les délibérations qui vont avoir lieu cet après-midi. Je répète que, pour nous, cette façon de travailler n'est pas satisfaisante.
Je remarque par ailleurs que le ministre chargé de ce dossier, dont nous avons sollicité la présence, n'est toujours pas parmi nous – nous avons même perdu un autre ministre. Par courtoisie, nous allons écouter les réponses qu'a dû préparer Mme la ministre chargée de l'outre-mer qui, elle, est présente. En revanche, nous refusons que la séance de cet après-midi se déroule selon ce qui commence à devenir une habitude, c'est-à-dire avec des votes réservés et une absence de confrontation. Nous souhaitons qu'il y ait un vrai débat, constitué de questions et de réponses et de l'élaboration de la loi par une succession de votes, comme cela doit se faire naturellement.
Je veux simplement faire une observation. Vous savez que je suis habituellement un homme plutôt serein et modéré, mais là, je trouve que la plaisanterie a assez duré !
On ne vous le fait pas dire ! Pourquoi n'y a-t-il toujours aucun député de la majorité ?
Monsieur Le Roux, vous n'êtes pas chargé de convoquer les parlementaires du groupe UMP. Votre groupe joue le rôle de l'arroseur arrosé : vous avez, sur un texte de quelques lignes, déposé 5 200 amendements, ce qui fait un peu plus de mille par député socialiste présent ! Alors n'exagérons pas.
Vous savez très bien que la situation de ce matin est le résultat de votre interprétation du règlement et du dépôt d'un nombre d'amendements à l'évidence totalement excessif. Je tenais à le rappeler en ayant, comme vous, le sourire ; mais, pas plus que vous, je ne suis dupe de ce qui se passe.
Rappel au règlement
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à douze heures cinquante.)
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Suite de la discussion du projet de loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux.
La séance est levée.
(La séance est levée à douze heures cinquante.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma