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Intervention de Jean-Yves Le Bouillonnec

Réunion du 22 janvier 2010 à 9h45
Concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux — Reprise de la discussion

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Yves Le Bouillonnec :

Ceux qui attendaient des économies de votre réforme risquent d'attendre longtemps ! D'autant que cette nouvelle organisation territoriale va imposer des investissements supplémentaires pour accueillir dans des conditions de confort au moins élémentaires les nouveaux conseillers territoriaux au sein des conseils régionaux.

Non seulement cette réforme n'engendrera donc pas la moindre économie, mais elle sera aussi à l'origine de moins de démocratie citoyenne. La création d'un conseiller territorial ne résoudra en rien le problème des déficits publics ; elle risque même, au contraire d'être créatrice de déficit supplémentaire.

La création du conseiller territorial pose la question de la tutelle d'une collectivité sur un autre, pratique contraire à la Constitution. Car, contrairement à ce que vous affirmez, la création d'un conseiller unique, qui siégera à la fois au conseil régional et au conseil général, risque de créer une confusion entre ces deux collectivités.

Je ne suis pas certain qu'une telle confusion satisfasse les citoyens. À terme, l'un des échelons prendra inévitablement le dessus sur l'autre. Ainsi, dans les régions où l'exécutif régional a une forte autorité, les départements seront relégués au rang de simples arrondissements chargés d'appliquer les politiques adoptées par la région. À l'inverse, certaines régions se transformeront en autant de fédérations départementales, où chaque élu défendra les intérêts de son département au détriment de la cohésion régionale. En tout état de cause, il est certain que votre réforme contribuera à instaurer la tutelle d'un échelon sur l'autre.

Par ailleurs, la jurisprudence et la doctrine constitutionnelles ont rappelé à plusieurs reprises que l'alinéa 3 de l'article 72 de la Constitution interdit que deux collectivités distinctes soient administrées par une collectivité unique. En d'autres termes, il faut un élu pour chaque échelon, conformément à la tradition républicaine de notre pays.

Je ne m'attarderai pas sur les motifs d'inconstitutionnalité du projet de loi, dont nous exciperons devant le Conseil Constitutionnel. Vous avez contesté la référence que plusieurs de mes collègues, notamment Laurent Fabius dans sa motion de rejet préalable, ont faite au rapport du Conseil d'État, qui émet plusieurs réserves sur votre réforme. Soit, mais il faudra bien que vous teniez compte de la censure du Conseil Constitutionnel lorsqu'elle sera prononcée, car nous ne doutons pas un seul instant que vos textes seront déclarés inconstitutionnels. Il faudra bien, alors, que vous vous conformiez à ces décisions, à moins qu'une fois encore, la majorité ne décide de recourir à de nouveaux subterfuges pour tenter d'aboutir à une confiscation partisane de l'instrument que constitue le suffrage universel.

J'en viens enfin à l'aspect le plus problématique de votre projet : le mode d'élection du futur conseiller territorial. Unique dans l'histoire de nos institutions, l'instauration d'un scrutin uninominal à un tour créera un décalage entre la volonté exprimée par nos concitoyens et le résultat final des élections. Alors que, dans cet hémicycle, vous nous demandez constamment de tenir compte du fait majoritaire, que personne ne peut nier, vous vous apprêtez à le malmener dans le cadre de la gestion des territoires. La majorité issue de l'élection des conseillers territoriaux serait en effet élue avec moins de la moitié des suffrages exprimés. Mesurez-vous réellement les enjeux d'un tel bouleversement démocratique, qui permettrait à une minorité d'assumer la gestion territoriale ? Êtes-vous prêts à assumer les conséquences du déficit de légitimité d'un conseiller territorial non représentatif ?

Nous l'avons souvent rappelé, si le Gouvernement prive l'Assemblée de tout débat démocratique, si l'activité législative ne permet plus de porter la contradiction, d'exprimer des réflexions et des convictions divergentes, c'est dans la rue que celles-ci s'exprimeront ; or, la rue, personne ne la contrôle. Croyez-vous sincèrement que, dans les départements et les régions, les débats auront lieu dans les assemblées si la majorité qui les tient représente une minorité de nos concitoyens ? Quel progrès politique, social, républicain apporterait cette loi par rapport à ce qu'ont construit les générations précédentes, qui ont voulu faire du suffrage universel le mode d'expression le plus parfait et le meilleur possible du voeu de la majorité des citoyens ?

Lors des dernières élections cantonales, près de 10 % des résultats auraient été modifiés si ce mode de scrutin avait été appliqué : plus d'un quart des conseillers généraux n'auraient pas été élus. Voilà quelles seront les conséquences concrètes de votre réforme, au-delà de vos annonces démagogiques et erronées sur l'économie escomptée. C'est bien notre démocratie locale qui est en péril !

De même que le redécoupage des circonscriptions électorales, adopté mardi dernier dans les conditions que l'on connaît, a été élaboré de façon partisane, de même, le projet dont nous discutons actuellement a pour seul objectif de permettre à la majorité de récupérer par des artifices juridiques les mandats locaux qu'elle a perdus dans les urnes.

Les élus locaux et, à travers eux, les collectivités territoriales sont la figure emblématique et éminemment humaine de nos institutions républicaines. Je ne peux que m'opposer à un texte, manoeuvre électoraliste et politicienne, qui va détruire le lien étroit que tissent, depuis plus de vingt ans, les élus locaux avec les habitants. Si une réforme des collectivités territoriales est nécessaire, elle doit être audacieuse et répondre à un objectif de taille : améliorer l'efficacité de l'action publique et le quotidien des habitants, grâce à une gestion de proximité assumée par une majorité que les citoyens ont placée aux responsabilités, et dans le respect de l'opposition.

En conclusion, le grand absent de votre réforme, c'est précisément le citoyen, que vous malmenez après avoir malmené les élus et que vous écartez délibérément du débat démocratique. Vous en assumerez la responsabilité. Ainsi que l'a dit tout à l'heure, à juste titre, Marietta Karamanli, l'Histoire est rancunière ; elle marquera au fer rouge ceux qui, et ils ne doivent pas en être fiers, sont à la manoeuvre pour porter ce coup à la démocratie. Nous voterons contre ce projet de loi et contre tous les textes qui entament l'expression du suffrage universel et la loyauté de l'élection. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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