Audition de M. Jacques Barrot, vice-président de la Commission européenne, chargé de la justice, de la liberté et de la sécurité, sur le programme de Stockholm
La séance est ouverte à seize heures trente.
Nous avons le plaisir d'entendre cet après-midi à propos du programme de Stockholm, M. Jacques Barrot, vice-président de la Commission européenne, chargé de la justice, de la liberté et de la sécurité.
Le mandat quinquennal de l'actuelle Commission européenne touche à sa fin. Dans le même temps, s'ouvre, avec l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, une nouvelle ère pour l'Union européenne. J'espère, pour ma part, qu'elle sera davantage placée sous le signe de l'approfondissement que de l'élargissement.
Le programme de Stockholm fait suite à deux autres initiatives. À partir de l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam au printemps 1999, le programme dit de Tampere a été lancé afin de mettre en oeuvre l'espace de liberté, de sécurité et de justice voulu par les auteurs du traité. Cet espace, destiné à assurer la libre circulation des personnes, est assorti des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d'asile, d'immigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre celle-ci. Le programme de Tampere a été suivi par le programme de La Haye. Celui de Stockholm, qui va succéder à ce dernier, doit couvrir les années 2010 à 2014.
Je vous remercie, monsieur le président, de cette invitation qui me permet de revenir avec un très grand plaisir dans cette maison.
Je ferai, tout d'abord, remarquer qu'il est assez paradoxal que ce soit le commissaire en charge de la justice, de la liberté et de la sécurité que je suis, et qui termine sa mission fin janvier, qui ait dû préparer le programme pluriannuel 2010-2014.
La nouvelle Commission ne devant être installée qu'au 1er février et les commissaires devant passer un examen – un « audit » – devant le Parlement, les auditions auront lieu en janvier. Mon portefeuille ayant été divisé en deux – Justice et droits fondamentaux, d'un côté, Affaires intérieures et migrations, de l'autre – je vais être remplacé par deux femmes : les commissaires luxembourgeoise et suédoise.
Les travaux de préparation du programme 2010-2014 ont été intéressants, car nous avions en perspective l'adoption du traité de Lisbonne, qui bouleverse de nombreuses donnes. Dans le domaine de la justice, de la liberté et de la sécurité, par exemple, les conseils des ministres tant de l'intérieur que de la justice statuent désormais à la majorité qualifiée et non plus à l'unanimité, et le Parlement européen devient législateur de droit commun. La coopération policière et judiciaire, si laborieuse jusqu'à présent, en sera accélérée.
Des réunions interparlementaires ont eu lieu à l'occasion de la préparation du programme de Stockholm et le texte a été discuté avec les parlements nationaux.
La présidence suédoise a conservé l'essentiel du programme. Le projet initial de la Commission, qui vous a été distribué, a été un peu épaissi parce que les experts des États membres ont effectué de nombreux ajouts, mais les ambitions ont été, pour l'essentiel, préservées.
Le Conseil européen a adopté le programme de Stockholm jeudi dernier.
Son ambition première est de faire de la citoyenneté européenne une réalité concrète. Tout part de là.
Premier objectif : une Europe des droits.
Bien que les travaux soient laborieux, nous nous acheminons, en matière de protection des données personnelles, vers un texte assez ambitieux qui devrait servir de modèle dans le monde.
La protection consulaire sera renforcée : elle sera accordée à tous les citoyens, quel que soit l'État membre dont ils relèvent, qu'il existe ou non une protection consulaire dans le pays où ils se trouvent.
Afin de favoriser une meilleure participation aux élections en Europe, le programme de Stockholm fixe l'objectif d'une date d'élection unique pour le Parlement européen. J'ai personnellement proposé la date du 9 mai.
L'importance d'assurer le plein exercice de la liberté de circulation des personnes est réaffirmée. Des débats assez vifs ont eu lieu au Conseil concernant les risques d'abus du droit à la liberté de circulation. Nous sommes néanmoins parvenus à préserver celle-ci en montrant comment les abus pouvaient être combattus.
Deuxième objectif : une Europe de la justice.
Pour que les justiciables européens puissent faire valoir leurs droits partout en Europe, il faudrait une convergence des systèmes judiciaires. Celle-ci n'est pas facile à réaliser parce que les chancelleries et les ministres de la justice sont souvent les gardiens de la souveraineté des Etats et invoquent quelquefois la subsidiarité. Mais nous avons enregistré des progrès.
En matière pénale, des garanties minimales de procédure sont assurées à tout ressortissant de l'Union européenne, quel que soit l'État membre où il se trouve.
Le rapprochement du droit matériel est plus difficile. Le programme de Stockholm ouvre cependant des perspectives en matière de recueil de la preuve, de protection des témoins et des victimes.
Nous nous sommes également heurtés à certaines résistances. Nous souhaitions que les déchéances de droits, telles que l'interdiction de travailler avec des enfants – pour un pédophile, par exemple – ou d'exercer certaines professions après une condamnation, soient admises dans tous les États membres. Ces derniers ne sont pas allés jusque-là, ce qui est regrettable.
La reconnaissance mutuelle des incriminations est très importante. La contrefaçon par exemple est définie de manière très différente d'un État membre à l'autre, ce qui permet aux « contrefacteurs » de passer entre les mailles du filet. De même, la reconnaissance mutuelle des sanctions en matière de sécurité routière permettrait de renforcer celle-ci.
L'harmonisation du droit pénal demandera du temps. Le programme de Stockholm a néanmoins ouvert, pour la première fois, la porte à des travaux préliminaires en matière de conditions de détention et d'alternatives à la prison. C'est très important car la plupart des prisons d'Europe sont surpeuplées et sont devenues, pour beaucoup d'entre elles, des écoles du crime. La prévention commence par là, sans parler du devoir d'humanité.
En matière civile, il est prévu une disparition progressive de l'exequatur et l'accent est mis sur les questions d'exécution des jugements. Le programme de Stockholm mentionne la séparation et le divorce comme des domaines dans lesquels l'harmonisation des règles de conflits de loi doit progresser, au même titre que le droit des sociétés, des contrats d'assurance et des sûretés.
L'idée d'un vingt-huitième régime en matière de droit des contrats, qui figurait dans la contribution de la Commission, a été abandonnée. De même qu'existe un statut de société européenne, nous aurions souhaité définir un contrat qui puisse servir de référence et être utilisé dans des transactions binationales.
En matière d'état civil, le programme de Stockholm prévoit une obtention beaucoup plus facile des actes d'état civil. La question de la facilitation de la reconnaissance des actes authentiques y est reprise, ainsi que la perspective d'un acte authentique européen.
Troisième objectif : une Europe de la sécurité.
Le programme de Stockholm s'appuie, en ce domaine, sur le concept nouveau de stratégie de sécurité intérieure décloisonnée, laquelle s'articulera sur la coopération policière, la coopération judiciaire pénale et la surveillance des frontières.
Le programme de Stockholm prévoit une architecture européenne des systèmes d'échange d'informations, bâtie autour d'EUROPOL (Office européen de police) qui monte en puissance, afin d'améliorer la circulation des renseignements entre les polices européennes.
Il met l'accent sur la lutte contre les formes les plus graves de criminalité organisée, particulièrement la traite des êtres humains, la pédopornographie, la cybercriminalité, la drogue et le terrorisme. M. Brice Hortefeux réclame une stratégie européenne antidrogue. Il a raison, car les trafiquants s'en donnent à coeur joie depuis la suppression des frontières. La lutte contre la traite des êtres humains exigera aussi une coordination très étroite.
Quatrième objectif : le contrôle de l'accès au territoire.
Les moyens de L'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne (FRONTEX) seront renforcés. Cette agence, chargée de coordonner l'action des États membres pour surveiller les frontières externes, se verra, peu à peu, confier – ce qui a d'ailleurs déjà commencé – l'organisation de vols pour le retour de migrants irréguliers.
Le Système européen de surveillance des frontières (EUROSUR), permet de contrôler toutes les frontières maritimes. Un système d'enregistrement d'entrée et de sortie est en cours de mise au point. Il ne suffira pas car la migration irrégulière est, très souvent, le fait de gens qui prolongent leur séjour en Europe au-delà de la durée prévue par le visa dont ils ont bénéficié.
Nous avons avancé l'idée d'un visa pour l'espace Schengen, qui sera étudiée dans le cadre du programme de Stockholm. Nous souhaiterions que le système de visa soit fondé non plus sur l'origine géographique, mais sur la personne.
Cinquième objectif : la recherche d'une approche globale en matière d'asile et d'immigration.
La poursuite de la lutte contre l'immigration clandestine reste un message central. FRONTEX a un grand rôle à jouer en ce domaine mais nous ne parviendrons pas à maîtriser l'immigration irrégulière sans une négociation très poussée avec les pays d'origine.
Il faudra, dans le même temps, organiser l'immigration légale et la politique d'intégration. L'idée d'un code de l'immigration, largement inspirée par les expériences françaises, et celle d'une plateforme européenne de dialogue, destinée à faciliter la gestion de la migration légale, ont été abandonnées.
En matière d'asile, le Conseil européen s'est engagé à ce qu'un système européen d'asile soit mis en place en 2012. Le bureau d'appui qui sera créé d'ici à la fin de l'année sera chargé de travailler à la convergence des procédures d'examen des demandes d'asile.
Comme je l'ai déjà souligné, les aspects extérieurs des politiques d'immigration et d'asile de l'Union européenne vont prendre de plus en plus d'importance. Si nous n'engageons pas des négociations avec les pays de transit et les pays d'origine et si nous ne lions pas le développement de ces derniers et les problèmes migratoires, nous allons connaître, après la crise économique et financière que nous avons traversée, une crise terrible due à des mouvements migratoires non maîtrisés. Selon des chiffres qui circulent en marge du sommet de Copenhague, le nombre de migrants climatiques, qui est déjà de 20 millions, passerait à 200 millions. Les situations tragiques que connaissent les États de la Corne de l'Afrique entraînent déjà l'arrivée en Europe de nombreux réfugiés parmi lesquels il est difficile de distinguer les demandeurs d'asile authentiques des migrants économiques. Le problème des flux mixtes n'est pas facile à gérer.
En fait, toutes les politiques de sécurité devront avoir leur prolongement à l'extérieur. Nous ne pourrons pas lutter contre les grands fléaux que j'ai évoqués, notamment la pédopornographie sur le Net, la traite des êtres humains et la prostitution, sans nouer des liens très étroits avec les autres pays, notamment avec nos voisins, comme la Russie.
J'indique, enfin, que le traité de Lisbonne intègre dans le corpus juridique de l'Union la Charte des droits fondamentaux et, surtout, prévoit l'adhésion de l'Union à la Convention européenne des droits de l'homme. Cela imposera de faire converger la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne de Luxembourg (CJUE) avec celle de la Cour européenne des droits de l'homme, cette dernière devant, à mon sens, s'imposer à terme à celle de la CJUE. Le processus d'adhésion sera complexe mais il est pratiquement décidé par le Conseil européen.
Quelle idée selon vous recouvre la notion de protection consulaire européenne ? Celle de développer des consulats européens ou celle d'une citoyenneté plus approfondie ?
En matière d'immigration, la frontière grecque est considérée comme une vraie passoire, à cause, notamment, des milliers d'îles se trouvant à proximité de la Turquie. Quels remèdes peuvent être envisagés ? Prévoyez-vous de renforcer la police des frontières en Grèce ?
La question de la protection consulaire a été posée à l'occasion de l'attentat de Mumbai (ex Bombay). Les ressortissants de pays membres de l'Union qui n'avaient pas de consulat en Inde se sont retrouvés pratiquement sans protection consulaire et n'ont pas été évacués avec les autres. Nous nous sommes rendus compte que la protection apportée par l'Europe était insuffisante.
L'idée est celle d'un consulat pivot. Les présidences semestrielles du Conseil des ministres de l'Union ayant été conservées, l'État qui exerce cette présidence sera chargé d'assurer la protection de tous les ressortissants de l'Union, quels que soient les États membres auxquels ils appartiennent, qu'ils aient ou non un consulat dans le pays concerné. L'important – sans oublier le côté symbolique de la mesure – est que, partout dans le monde, un ressortissant de l'Union puisse se prévaloir de son appartenance européenne pour avoir une protection consulaire.
Un renforcement de FRONTEX est indispensable en Grèce, mais les îles grecques sont si proches de la côte turque qu'on n'arrivera jamais à empêcher les passages. Il faut nouer un partenariat avec la Turquie. Au cours de mon voyage à Ankara, il y a trois semaines, j'ai obtenu quelques avancées.
Premièrement, la Turquie est d'accord pour signer un accord de réadmission, par lequel des irréguliers qui seront partis des côtes turques pourront être renvoyés en Turquie. Ce pays limite cependant cet accord aux ressortissants des pays avec lesquels nous avons un accord de réadmission, comme par exemple le Pakistan.
Deuxièmement, la Turquie va accepter de mettre en oeuvre une politique d'asile et d'ouvrir quelques bureaux à cet effet, ce qui permettra à la police turque de traquer les passeurs. Actuellement un demandeur d'asile en Turquie n'a pas d'autre choix que de partir à la recherche d'un passeur qu'il paiera grassement pour aller en Grèce, où d'ailleurs il ne trouvera pas asile. J'ai été obligé de mettre la Grèce en situation d'infraction car il n'existe aucune instruction sérieuse des demandes d'asile dans ce pays. Même si celui-ci a des excuses du fait qu'il est submergé par l'arrivée d'immigrants, je ne peux pas accepter que les demandeurs d'asile soient reçus n'importe comment à Athènes.
Il est illusoire de croire pouvoir rendre les frontières totalement étanches. Nous ne parviendrons à lutter contre les migrations massives que par des partenariats intelligemment organisés avec les pays de transit comme la Turquie.
Je devais me rendre en Libye la semaine dernière, mais ce déplacement n'a pu se faire. Le problème libyen est beaucoup plus grave car ce pays a installé des camps de détention inacceptables à tous égards. Un accord libyo-italien a été passé qui est, à mon avis, très contestable. Il reviendra, à un moment donné, à l'Union européenne de mettre au clair cette politique.
À quel stade en est l'élaboration d'un mandat européen d'obtention de preuves ? Quels actes de procédure recouvrira-t-il ? Concernera-t-il la totalité du droit pénal ou seulement certaines catégories d'infractions ?
Qu'est-ce qui fait le plus obstacle à l'idée d'un vingt-huitième régime en matière de droit des contrats, qui avait déjà été évoqué dans le rapport Lamassoure ? Les réticences des États ou la difficulté de bâtir un régime juridiquement consensuel ?
Je dois avouer qu'en matière d'obtention des preuves, nous n'avons pas beaucoup progressé. Nous avons simplement un engagement du Conseil européen : parmi les 175 recommandations de celui-ci, figure celle de faire des progrès dans le domaine de la recherche et de l'obtention des preuves. Le mandat européen en la matière devrait couvrir le droit pénal pour les incriminations les plus graves.
Il faut savoir que nos amis allemands ont été très réticents sur ce sujet et ce n'est qu'à l'arrachée que nous avons obtenu un mandat pour procéder à des études en ce domaine. L'Europe a néanmoins à son actif le mandat d'arrêt européen, qui a permis pratiquement 4 000 arrestations, l'année dernière. Cela évite d'attendre deux ans pour obtenir le transfert d'un suspect.
Pratiquement tous les États membres ont émis des doutes sur la nécessité d'un vingt-huitième régime. Les chefs d'État se sont mis d'accord sur la recherche de lignes directrices en matière de politique contractuelle, dont pourraient s'inspirer les législations sur les contrats dans chaque État membre. Ce n'est qu'au stade de projet mais l'idée est intéressante.
Le but est de simplifier la vie des Européens et la vie des affaires. Je suis frappé par le nombre de gens qui se déplacent au sein de l'Europe. Le marché unique a produit ses effets. Les gens ayant de plus en plus besoin de conclure des contrats, il faut réfléchir aux simplifications souhaitables sur le plan juridique et judiciaire.
Estimez-vous possible de parvenir à une convergence des délais de prescription en matière judiciaire entre les différents États ?
Les couples binationaux et leurs enfants rencontrent encore beaucoup de difficultés, d'autant que l'enfant naît souvent dans un troisième pays et vit dans un quatrième.
Tant qu'on ne sera pas parvenu à une certaine harmonisation des législations des différents pays en matière de drogue, peut-on organiser une vraie lutte contre celle-ci, notamment avec la position des Pays-Bas que la France n'est pas près de rejoindre aujourd'hui ?
Dans le cadre de la coopération et du développement nécessaires pour réguler l'immigration, comment la France peut-elle améliorer sa présence, non pas sur le plan budgétaire, mais sur le terrain, avec les ONG ?
En matière de délais de prescription, nous ne sommes qu'au début d'un rapprochement des législations. Mais c'est un domaine où le traité de Lisbonne va porter ses fruits : comme les décisions au sein du Conseil des ministres de la justice sont dorénavant prises à la majorité qualifiée, les progrès en la matière devraient être rapides. Les délais de prescription doivent être, à l'évidence, les mêmes dans tous les États. C'est un bon exemple du rôle que peut jouer le Parlement européen.
En cas de divorce de couples binationaux, nous avons déjà réglé le problème de la garde des enfants. Reste à déterminer quelle loi doit s'appliquer et quel tribunal doit juger. Actuellement, c'est souvent le conjoint qui s'en va qui choisit et le tribunal et la loi.
Nous avions proposé que ce soit la loi du pays de résidence du couple binational qui s'applique et que ce soit également un tribunal compétent de l'État de résidence qui juge l'affaire. Notre proposition s'est curieusement heurtée à une opposition très dure de l'État suédois pour lequel il n'est pas question qu'un de ses ressortissants soit jugé selon une autre loi que la loi suédoise.
La France pousse à ce qu'une solution soit trouvée, car c'est un sujet important. Une coopération renforcée a même été envisagée. Mais il faut faire attention aux coopérations renforcées dans le domaine du droit car elles risquent d'aboutir à une Europe très complexe dans laquelle il faudra presque un petit manuel pratique pour savoir si votre conjoint ou votre conjointe est bien dans le pays dont la loi s'applique.
Bien que les formules soient très diplomatiques – les experts sont surtout des diplomates –, nous nous orientons tout de même vers un rapprochement des incriminations pour les crimes les plus graves. La lutte contre la drogue doit en être l'exemple. Comme pour la contrefaçon, qui est punie de manière très différente d'un État membre à l'autre, la drogue doit être soumise à une législation à peu près homogène. Les Pays-Bas sont, d'ailleurs, en train de durcir leur position à ce sujet.
La coopération et le développement sont fondamentaux. La France doit, dans ce domaine, être exemplaire et jouer un rôle d'aiguillon pour parvenir à une approche globale.
Au Forum mondial sur la migration et le développement qui s'est tenu à Athènes, j'ai proposé que soit établi le profil migratoire des pays, offrant une vue d'ensemble sur les régions d'où viennent les migrations irrégulières. Ce faisant, on peut essayer d'impliquer la diaspora de ces pays pour développer les régions concernées et également ouvrir des contingents de migration légale. L'Europe en aura bien besoin parce que, si elle est touchée par le chômage à cause de la crise, elle va connaître une crise démographique.
Il faut lier tous les phénomènes entre eux. Le profil migratoire permet aussi d'introduire l'immigration circulaire, c'est-à-dire l'octroi d'un permis de séjour de dix ans, avec engagement de la personne de rentrer dans son pays d'origine au bout des dix ans pour partager son expérience et son savoir-faire.
Je suis heureux, cher Jacques Barrot, que la galère bruxelloise ne vous ait pas empêché de garder votre verve, votre passion et vos convictions, même si je ne les partage par toutes.
Cela étant, vous enfoncez, me semble-t-il, des portes ouvertes en ce qui concerne la protection consulaire. La Convention de Vienne sur les relations consulaires permet déjà d'exercer la protection consulaire pour un État tiers. Ce n'est pas la peine d'inventer une usine à gaz à cet effet.
Je suis d'accord avec vous : l'immigration sera, comme le montrent les rapports de l'OCDE, un défi majeur du XXIe siècle. Les déplacements Sud-Nord et Sud-Sud vont déstabiliser de nombreux États.
Le Parlement européen est tout à fait dans son rôle dans l'harmonisation des relations transnationales : reconnaissance des actes authentiques, amélioration du recueil de la preuve, reconnaissance mutuelle des incriminations et des peines. Mais le fait que la justice française vienne de refuser d'exécuter un mandat d'arrêt européen lancé par l'Allemagne montre qu'il subsiste des difficultés. Les raisons tiennent à la fois à des considérations d'ordre public et au fait que nous n'avons pas confiance dans les jugements de certains États. La coopération ne fonctionnera que le jour où la norme juridique dans ces États sera à la hauteur de la nôtre. Tout le reste n'est que littérature.
Je suis très heureux d'apprendre que l'Union va adhérer à la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH). Cela signifie que la Cour de justice de l'Union européenne y sera soumise, ce dont je me réjouis. Rayez donc le mauvais texte qui a été annexé au traité de Lisbonne, qui contient des notions que personne ne connaît. La CEDH, elle, est bien rédigée.
Enfin, il faut regarder la réalité en face : le système Schengen a atteint ses limites et doit être remis à plat. La Grèce est une passoire. De toute façon, elle va sortir de l'euro ! Il est complètement aberrant d'avoir permis la libre circulation dans l'espace délimité par les frontières extérieures de l'Union européenne. On sait très bien qu'il ne sera jamais possible d'établir un cordon sanitaire autour des pays de l'Union. Il faut rétablir des contrôles partout.
Il est exact que la Convention de Vienne permet d'accorder la protection consulaire à un autre État. Mais ce que j'ai vraiment découvert à Bruxelles, c'est que la différence entre une convention internationale et le droit interne européen réside dans le fait que ce dernier permet de sanctionner les États qui ne respectent pas leurs obligations. Ce qu'un principe de protection consulaire pour les États membres changera pour la commissaire qui me succédera, c'est qu'elle pourra traduire devant la Cour de justice l'État qui n'aura pas respecté ce principe. C'est beaucoup plus difficile dans le droit international public.
L'ordre juridique européen a une supériorité sur le droit international public.
Au contraire, cela touche à la pratique.
La reconnaissance par un Etat membre des actes judiciaires réalisés dans un autre État membre ne sera possible – je suis obligé de reconnaître que Jacques Myard a raison – que si nous parvenons à créer une grande confiance mutuelle. C'est pourquoi le programme de Stockholm comporte un impératif de formation des professionnels. Nous avions été très ambitieux : nous voulions que la moitié des magistrats soient formés aux questions relatives au droit de l'Union. Le Conseil a maintenu l'impératif de formation, mais sans le chiffrer. Il est essentiel que les juges et les procureurs non seulement se forment au droit européen, mais également se forment ensemble, dans la mesure du possible, afin qu'ils se connaissent. Sans connaissance, il n'y a pas de confiance. Sans confiance, il n'y a pas de reconnaissance mutuelle.
Un effort majeur est à réaliser pour décloisonner nos magistratures.
L'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme permettra effectivement de se référer en matière de droits de la personne à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg.
Je crois, cher Jacques Myard, que, si on rétablissait les frontières entre les États de l'Union, les citoyens trouveraient ce retour en arrière vraiment regrettable. Ce qu'il faut, c'est sécuriser Schengen. Je regrette à ce sujet de ne pas avoir pu finaliser le système d'information Schengen de deuxième génération, SIS II, qui permettra aux policiers de tous les États membres de disposer en temps réel, dans leur système informatique, des informations disponibles sur toutes les personnes recherchées. SIS II sera complexe mais très complet et permettra une sécurisation accrue de Schengen. Je reste convaincu que la libre circulation au sein de l'Union est un atout majeur.
Je précise que la Roumanie et la Bulgarie ne sont pas dans Schengen et que, tant qu'un véritable changement de leur part n'aura pas été noté, ils n'y seront pas admis.
Un sujet agite le landerneau politique et de nombreux Français : le port de la burqa. Quel rôle peut jouer l'Europe en la matière ? Cette pratique relève, en effet, des faits de société et de la culture européenne.
Les problèmes d'immigration aggravent sans doute ces difficultés mais celles-ci sont réelles, comme l'ont montré les auditions de la mission d'information que je préside sur le rayonnement de la France par l'enseignement et la culture.
Ma question porte sur l'échange avec les Américains des fichiers SWIFT, du nom de la société proposant ces services, la Society for worldwide interbank financial telecommunication. Si j'ai bien compris, les Européens ont donné leur accord aux Américains pour qu'ils puissent, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, vérifier l'état de nos comptes bancaires ou, en tout cas, des flux bancaires internationaux. La réciproque ne me paraît pas être vraie, ce qui crée un déséquilibre entre l'Europe et les États-Unis que je trouve préjudiciable.
Hier soir, était débattue au Parlement européen la question des crucifix sur les murs. Le débat, quelque peu animé m'a ramené en arrière de quelques années en France. Ma réponse en la matière est que de telles questions relèvent du droit interne des États membres. Le Parlement européen ne peut pas se substituer à ces derniers. Ce n'est pas dans ses compétences.
Nous sommes très hostiles à toutes formes de discrimination. Mais, si un État membre décide, par exemple, que, pour des raisons de sécurité, il préfère ne pas voir de burqa, je ne vois pas comment l'Union européenne pourrait considérer cela comme une discrimination. Reconnaître les gens dans la rue me paraît important pour un État. Les États membres sont souverains dans ce domaine.
M. François Rochebloine a mille fois raison : nous devons faciliter l'attribution de visas aux étudiants. J'ai accordé aux étudiants ukrainiens et aux étudiants biélorussiens la possibilité d'avoir des visas moins cher et plus facilement. On ne pourra pas sortir les jeunes Biélorussiens de leur système politique, proche de la dictature, s'ils n'ont pas le goût de l'Europe et ne peuvent pas la découvrir.
Un des moments les plus émouvants de mon mandat de commissaire européen reste celui où j'ai supprimé les visas pour la Serbie, le Monténégro et l'Ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM). Les Serbes sont tellement heureux que, la veille de Noël, ils viennent à Paris pour me remercier.
M. Boucheron a également posé une question très intéressante sur les fichiers SWIFT. Les Américains, après avoir découvert ce système interbancaire basé en Belgique, qui facilitait les transactions financières, ont décidé, après le 11 septembre 2001, que le Trésor américain exercerait une surveillance sur les données transitant par ce système. À un moment donné, le Conseil européen s'en est alerté et a envoyé le juge Bruguière vérifier l'usage que les Américains faisaient de cet accès aux transferts bancaires internationaux transitant par SWIFT. Celui-ci est revenu en disant que, selon lui, les États-Unis n'utilisaient pas les données à d'autres usages que la lutte antiterroriste.
Depuis, SWIFT a modifié son organisation. Outre les données en Belgique, un nouveau centre de stockage de données sera construit en Suisse en remplacement du centre actuel situé aux Etats-Unis. Le système étant uniquement en Europe, les Américains sont obligés de passer un accord avec nous. Un accord provisoire, de neuf mois, a été conclu, qui n'a pas encore, d'ailleurs, été complètement ratifié par le Parlement européen. Une négociation s'engagera ensuite en vue d'un accord définitif.
Nous voulons, monsieur Boucheron, une réciprocité complète. Or, les Américains ont des règles très contestables en matière de protection des données. Le Privacy act leur donne la possibilité de faire rectifier les fausses données sur leur compte devant n'importe quel tribunal aux États-Unis. Un Européen ne le peut pas. La négociation s'annonce donc très dure.
Dans un tel domaine, nous devons pouvoir procéder, nous aussi, à des contrôles inopinés pour vérifier que le Trésor américain utilise ce moyen uniquement pour la lutte antiterroriste et ne conserve pas les données éternellement. Une durée de conservation de cinq ans nous paraît justifiée, mais elle ne doit pas dépasser ce délai.
Pour avoir aidé un peu les Américains à fermer Guantanamo – je le dis devant l'ex-président du groupe d'amitié « France-Amérique », Axel Poniatowski –, pour avoir facilité un certain nombre d'opérations avec l'administration Obama, pour avoir réussi l'accord de l'Open Sky avec les États-Unis, j'estime ne pas avoir recueilli les fruits de notre bonne coopération. L'administration américaine reste très réservée et la partie est très difficile dans ce domaine de la justice, de la liberté et de la sécurité. S'agissant de la protection des données, nous ne sommes pas d'accord. J'ai obtenu, non sans mal, que soit supprimée l'obligation de déclaration de la séropositivité, qui n'a jamais été une maladie contagieuse, sur les documents que doivent remplir les personnes qui se rendent aux États-Unis. Mais c'est mon seul exploit. Une bonne coopération transatlantique nécessite un climat de coopération et de réciprocité. C'est fondamental.
Comme vous le voyez, l'espace de liberté, de sécurité et de justice prend maintenant une dimension extérieure très importante. C'est pourquoi je vous remercie de m'avoir invité. Toutes vos suggestions seront les bienvenues.
C'est nous qui vous remercions, monsieur le vice-président, d'avoir accepté notre invitation. Au nom de mes collègues, je veux vous féliciter pour la façon dont vous avez tenu vos fonctions de commissaire à Bruxelles et dont vous nous avez représentés.
La séance est levée à dix-sept heures trente.