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Intervention de Jacques Barrot

Réunion du 16 décembre 2009 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Jacques Barrot :

Je vous remercie, monsieur le président, de cette invitation qui me permet de revenir avec un très grand plaisir dans cette maison.

Je ferai, tout d'abord, remarquer qu'il est assez paradoxal que ce soit le commissaire en charge de la justice, de la liberté et de la sécurité que je suis, et qui termine sa mission fin janvier, qui ait dû préparer le programme pluriannuel 2010-2014.

La nouvelle Commission ne devant être installée qu'au 1er février et les commissaires devant passer un examen – un « audit » – devant le Parlement, les auditions auront lieu en janvier. Mon portefeuille ayant été divisé en deux – Justice et droits fondamentaux, d'un côté, Affaires intérieures et migrations, de l'autre – je vais être remplacé par deux femmes : les commissaires luxembourgeoise et suédoise.

Les travaux de préparation du programme 2010-2014 ont été intéressants, car nous avions en perspective l'adoption du traité de Lisbonne, qui bouleverse de nombreuses donnes. Dans le domaine de la justice, de la liberté et de la sécurité, par exemple, les conseils des ministres tant de l'intérieur que de la justice statuent désormais à la majorité qualifiée et non plus à l'unanimité, et le Parlement européen devient législateur de droit commun. La coopération policière et judiciaire, si laborieuse jusqu'à présent, en sera accélérée.

Des réunions interparlementaires ont eu lieu à l'occasion de la préparation du programme de Stockholm et le texte a été discuté avec les parlements nationaux.

La présidence suédoise a conservé l'essentiel du programme. Le projet initial de la Commission, qui vous a été distribué, a été un peu épaissi parce que les experts des États membres ont effectué de nombreux ajouts, mais les ambitions ont été, pour l'essentiel, préservées.

Le Conseil européen a adopté le programme de Stockholm jeudi dernier.

Son ambition première est de faire de la citoyenneté européenne une réalité concrète. Tout part de là.

Premier objectif : une Europe des droits.

Bien que les travaux soient laborieux, nous nous acheminons, en matière de protection des données personnelles, vers un texte assez ambitieux qui devrait servir de modèle dans le monde.

La protection consulaire sera renforcée : elle sera accordée à tous les citoyens, quel que soit l'État membre dont ils relèvent, qu'il existe ou non une protection consulaire dans le pays où ils se trouvent.

Afin de favoriser une meilleure participation aux élections en Europe, le programme de Stockholm fixe l'objectif d'une date d'élection unique pour le Parlement européen. J'ai personnellement proposé la date du 9 mai.

L'importance d'assurer le plein exercice de la liberté de circulation des personnes est réaffirmée. Des débats assez vifs ont eu lieu au Conseil concernant les risques d'abus du droit à la liberté de circulation. Nous sommes néanmoins parvenus à préserver celle-ci en montrant comment les abus pouvaient être combattus.

Deuxième objectif : une Europe de la justice.

Pour que les justiciables européens puissent faire valoir leurs droits partout en Europe, il faudrait une convergence des systèmes judiciaires. Celle-ci n'est pas facile à réaliser parce que les chancelleries et les ministres de la justice sont souvent les gardiens de la souveraineté des Etats et invoquent quelquefois la subsidiarité. Mais nous avons enregistré des progrès.

En matière pénale, des garanties minimales de procédure sont assurées à tout ressortissant de l'Union européenne, quel que soit l'État membre où il se trouve.

Le rapprochement du droit matériel est plus difficile. Le programme de Stockholm ouvre cependant des perspectives en matière de recueil de la preuve, de protection des témoins et des victimes.

Nous nous sommes également heurtés à certaines résistances. Nous souhaitions que les déchéances de droits, telles que l'interdiction de travailler avec des enfants – pour un pédophile, par exemple – ou d'exercer certaines professions après une condamnation, soient admises dans tous les États membres. Ces derniers ne sont pas allés jusque-là, ce qui est regrettable.

La reconnaissance mutuelle des incriminations est très importante. La contrefaçon par exemple est définie de manière très différente d'un État membre à l'autre, ce qui permet aux « contrefacteurs » de passer entre les mailles du filet. De même, la reconnaissance mutuelle des sanctions en matière de sécurité routière permettrait de renforcer celle-ci.

L'harmonisation du droit pénal demandera du temps. Le programme de Stockholm a néanmoins ouvert, pour la première fois, la porte à des travaux préliminaires en matière de conditions de détention et d'alternatives à la prison. C'est très important car la plupart des prisons d'Europe sont surpeuplées et sont devenues, pour beaucoup d'entre elles, des écoles du crime. La prévention commence par là, sans parler du devoir d'humanité.

En matière civile, il est prévu une disparition progressive de l'exequatur et l'accent est mis sur les questions d'exécution des jugements. Le programme de Stockholm mentionne la séparation et le divorce comme des domaines dans lesquels l'harmonisation des règles de conflits de loi doit progresser, au même titre que le droit des sociétés, des contrats d'assurance et des sûretés.

L'idée d'un vingt-huitième régime en matière de droit des contrats, qui figurait dans la contribution de la Commission, a été abandonnée. De même qu'existe un statut de société européenne, nous aurions souhaité définir un contrat qui puisse servir de référence et être utilisé dans des transactions binationales.

En matière d'état civil, le programme de Stockholm prévoit une obtention beaucoup plus facile des actes d'état civil. La question de la facilitation de la reconnaissance des actes authentiques y est reprise, ainsi que la perspective d'un acte authentique européen.

Troisième objectif : une Europe de la sécurité.

Le programme de Stockholm s'appuie, en ce domaine, sur le concept nouveau de stratégie de sécurité intérieure décloisonnée, laquelle s'articulera sur la coopération policière, la coopération judiciaire pénale et la surveillance des frontières.

Le programme de Stockholm prévoit une architecture européenne des systèmes d'échange d'informations, bâtie autour d'EUROPOL (Office européen de police) qui monte en puissance, afin d'améliorer la circulation des renseignements entre les polices européennes.

Il met l'accent sur la lutte contre les formes les plus graves de criminalité organisée, particulièrement la traite des êtres humains, la pédopornographie, la cybercriminalité, la drogue et le terrorisme. M. Brice Hortefeux réclame une stratégie européenne antidrogue. Il a raison, car les trafiquants s'en donnent à coeur joie depuis la suppression des frontières. La lutte contre la traite des êtres humains exigera aussi une coordination très étroite.

Quatrième objectif : le contrôle de l'accès au territoire.

Les moyens de L'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne (FRONTEX) seront renforcés. Cette agence, chargée de coordonner l'action des États membres pour surveiller les frontières externes, se verra, peu à peu, confier – ce qui a d'ailleurs déjà commencé – l'organisation de vols pour le retour de migrants irréguliers.

Le Système européen de surveillance des frontières (EUROSUR), permet de contrôler toutes les frontières maritimes. Un système d'enregistrement d'entrée et de sortie est en cours de mise au point. Il ne suffira pas car la migration irrégulière est, très souvent, le fait de gens qui prolongent leur séjour en Europe au-delà de la durée prévue par le visa dont ils ont bénéficié.

Nous avons avancé l'idée d'un visa pour l'espace Schengen, qui sera étudiée dans le cadre du programme de Stockholm. Nous souhaiterions que le système de visa soit fondé non plus sur l'origine géographique, mais sur la personne.

Cinquième objectif : la recherche d'une approche globale en matière d'asile et d'immigration.

La poursuite de la lutte contre l'immigration clandestine reste un message central. FRONTEX a un grand rôle à jouer en ce domaine mais nous ne parviendrons pas à maîtriser l'immigration irrégulière sans une négociation très poussée avec les pays d'origine.

Il faudra, dans le même temps, organiser l'immigration légale et la politique d'intégration. L'idée d'un code de l'immigration, largement inspirée par les expériences françaises, et celle d'une plateforme européenne de dialogue, destinée à faciliter la gestion de la migration légale, ont été abandonnées.

En matière d'asile, le Conseil européen s'est engagé à ce qu'un système européen d'asile soit mis en place en 2012. Le bureau d'appui qui sera créé d'ici à la fin de l'année sera chargé de travailler à la convergence des procédures d'examen des demandes d'asile.

Comme je l'ai déjà souligné, les aspects extérieurs des politiques d'immigration et d'asile de l'Union européenne vont prendre de plus en plus d'importance. Si nous n'engageons pas des négociations avec les pays de transit et les pays d'origine et si nous ne lions pas le développement de ces derniers et les problèmes migratoires, nous allons connaître, après la crise économique et financière que nous avons traversée, une crise terrible due à des mouvements migratoires non maîtrisés. Selon des chiffres qui circulent en marge du sommet de Copenhague, le nombre de migrants climatiques, qui est déjà de 20 millions, passerait à 200 millions. Les situations tragiques que connaissent les États de la Corne de l'Afrique entraînent déjà l'arrivée en Europe de nombreux réfugiés parmi lesquels il est difficile de distinguer les demandeurs d'asile authentiques des migrants économiques. Le problème des flux mixtes n'est pas facile à gérer.

En fait, toutes les politiques de sécurité devront avoir leur prolongement à l'extérieur. Nous ne pourrons pas lutter contre les grands fléaux que j'ai évoqués, notamment la pédopornographie sur le Net, la traite des êtres humains et la prostitution, sans nouer des liens très étroits avec les autres pays, notamment avec nos voisins, comme la Russie.

J'indique, enfin, que le traité de Lisbonne intègre dans le corpus juridique de l'Union la Charte des droits fondamentaux et, surtout, prévoit l'adhésion de l'Union à la Convention européenne des droits de l'homme. Cela imposera de faire converger la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne de Luxembourg (CJUE) avec celle de la Cour européenne des droits de l'homme, cette dernière devant, à mon sens, s'imposer à terme à celle de la CJUE. Le processus d'adhésion sera complexe mais il est pratiquement décidé par le Conseil européen.

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