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Commission des affaires économiques

Séance du 30 juin 2009 à 17h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • EDF
  • centrale
  • nucléaire
  • pointe
  • réglementé
  • tarif
  • électricité

La séance

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Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire

La commission a entendu M. Paul Champsaur sur le rapport de la commission sur l'organisation du marché de l'électricité.

PermalienPhoto de Serge Poignant

Nous avons le plaisir d'accueillir M. Paul Champsaur, qui a présidé la commission sur l'organisation du marché de l'électricité, à laquelle ont également participé nos collègues Jean-Claude Lenoir et François Brottes. Le rapport ayant été rendu public fin avril, il nous a paru d'autant plus intéressant d'entendre M. Champsaur présenter les conclusions de la commission qu'un texte de loi devrait nous être soumis à l'automne, que le Conseil européen de Luxembourg a récemment adopté le troisième paquet sur le marché intérieur de l'énergie et que trois procédures pour infraction au droit communautaire sont actuellement en cours à Bruxelles contre notre système tarifaire.

PermalienPaul Champsaur

Je ne reviendrai pas en détail sur le rapport que vous avez tous reçu. Un mot toutefois de la composition de notre commission : outre quatre parlementaires des deux bords, François Brottes et Jean-Claude Lenoir pour l'Assemblée nationale, Jean-Marc Pastor et Ladislas Poniatowski pour le Sénat, elle comptait un certain nombre de personnalités qualifiées : Jean Bergougnoux, ancien président de la SNCF et surtout ancien directeur général d'EDF, Martin Hellwig économiste allemand de très grande réputation internationale qui connaît très bien le marché de l'électricité et les questions de concurrence, Daniel Labetoulle, conseiller d'État, président de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers, ainsi que l'universitaire Jacques Percebois, auteur d'un rapport sur l'énergie pour le Conseil d'analyse économique et qui est sans doute le plus grand spécialiste français de ces questions. Nous avons eu en outre la chance de nous appuyer sur les équipes de rapporteurs conduites par Pierre-Marie Abadie, directeur de l'énergie.

De la lettre de mission, qui figure page 19 du rapport, je retiendrai surtout une phrase : « Comment garantir, dans le cadre des engagements européens de la France de l'émergence d'un marché intérieur de l'énergie, une maîtrise des prix de l'électricité ? ».

Pour bien comprendre le sujet, il faut d'abord être conscient que plus de 40 % du prix de l'électricité tiennent au transport. Ce dernier relève toutefois de ce que les économistes appellent un monopole naturel, les réseaux ne sont pas réplicables, la haute tension relevant de RTE, gestionnaire du réseau de transport d'électricité, et la basse tension d'ERDF. Dans le monde entier, les réseaux sont régulés comme des monopoles naturels. En France, le prix du transport est proposé par la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, et approuvé par le gouvernement. Les prix varient toutefois d'un pays à l'autre, sans que l'on sache très bien pourquoi, ce qui montre que même la régulation des monopoles naturels n'est pas si simple…

Ce préambule étant fait, vous comprendrez que quand je parle d'électricité, c'est de production qu'il s'agit, le prix de l'électricité étant entendu comme le prix à la sortie de la centrale.

La demande variant dans l'année, il est très important de distinguer l'électricité produite en base, lorsque la demande est basse, de celle produite en pointe, lorsque la demande est plus importante et que l'on doit faire fonctionner un nombre plus élevé de centrales. Pour la production en base, les centrales fonctionnent presque tout le temps, c'est-à-dire plus de 6 000 heures par an, tandis qu'en pointe elles ne fonctionnent que de façon occasionnelle : moins de 4 000 heures, voire quelques centaines d'heures seulement pour certaines d'entre elles.

Les coûts et les techniques sont très différents. Pour produire en base, on utilise des centrales hydroélectriques et, surtout, nucléaires, qui coûtent cher à construire mais dont le fonctionnement est très peu onéreux. En revanche, pour produire en pointe on a recours à des centrales thermiques, dont la construction est bon marché mais dont le coût de fonctionnement est élevé. Dans toute l'Europe, sauf en Scandinavie où l'on trouve beaucoup d'hydroélectricité, l'électricité en pointe est produite de la même façon et les coûts sont très semblables. En revanche, les différences sont importantes pour la production en base, notamment à cause du nucléaire, que la France utilise très largement alors que plusieurs autres pays n'en ont pas du tout et que d'autres sont en train d'en sortir.

Si l'on ne tient pas compte de l'hydroélectricité, notre capacité de production de base est considérable, très largement supérieure à nos besoins en base. La France est donc structurellement exportatrice, d'environ un quart de sa production. Cette situation est appelée à durer au moins dix ans dans la mesure où les centrales nucléaires ont une durée de vie plus longue que prévu. Au-delà, il appartiendra à l'Autorité de sûreté nucléaire de donner son feu vert à une prolongation éventuelle de leur durée de vie, moyennant bien sûr des investissements. L'essentiel de mon propos va donc concerner ce qu'il convient de faire dans les dix prochaines années.

Notre production en base, supérieure à la demande, repose sur une seule technique, le nucléaire, mise en oeuvre par une seule entreprise en situation de complet monopole, EDF, qui a construit, qui possède et qui gère toutes nos centrales. Dans une telle structure monopolistique, les mécanismes de marché sont un peu compliqués à mettre en oeuvre.

Les dirigeants de petites entreprises et les consommateurs domestiques ne savent pas ce qu'ils consomment, d'autant que les compteurs ne donnent pas d'informations suffisamment précises. Ils ne sont donc équipés ni techniquement ni intellectuellement pour agir sur la structure de leur consommation. Les choses sont bien différentes pour les grandes entreprises, qui connaissent parfaitement leur consommation heure par heure et qui sont donc aptes à comprendre les offres complexes des fournisseurs d'électricité, les prix plus bas tenant à l'effacement de la consommation en pointe. Or, on le sait, les mécanismes de marché fonctionnent d'autant mieux que les acteurs sont capables de faire jouer la concurrence.

J'ajoute que, la pointe n'intervenant pas au même moment dans tous les pays, on mesure tout l'intérêt qu'a l'Europe à développer un marché intérieur de la pointe et à procéder à des échanges d'électricité.

L'originalité du système français est héritée du passé. Au départ, il y avait des tarifs réglementés – bleu pour les particuliers, jaune pour les artisans et les PME, vert pour les grandes entreprises. Aujourd'hui, l'énorme majorité des usagers en est restée à ces tarifs. Nous sommes ensuite passés au prix libre, avec dans un premier temps des prix bas, puis une remontée, puis une légère décrue. La France est le seul pays européen à avoir conservé un étonnant système irréversible qui fait que, quand on a décidé de quitter le tarif réglementé, on ne peut pas y revenir. Mais il y a quelque temps, lorsque les prix sont devenus trop élevés, les usagers s'en sont plaints auprès de vous et cela a débouché sur la création d'un système transitoire dit TaRTAM – tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché.

Ce système compliqué est source d'incohérences, à tel point que pour certains usagers et à certaines heures, le prix de l'électricité est négatif… Il est en outre impossible à défendre au niveau européen, où on ne le comprend pas et où l'on a le sentiment qu'il viole les principes posés par les directives. Beaucoup pensent donc qu'il est illusoire d'espérer que l'Europe bénisse notre système actuel, d'autant que sa pérennité n'est pas assurée puisque, si l'on veut faire converger les tarifs réglementés et le TaRTAM, on a besoin de changer la loi.

J'en viens aux recommandations de notre commission, qui sont résumées page 18 du rapport.

S'agissant tout d'abord du marché professionnel, nous sommes partis du principe qu'il existait, en raison du nucléaire, un marché français spécifique de la base, appelé à perdurer tant qu'il n'y aura pas un minimum d'homogénéisation des politiques d'investissement des États dans la production électrique. Dès lors, il paraît justifié que la France se dote de dispositions spécifiques pour organiser ce marché. Pour autant, il ne faut pas aller plus loin que nécessaire et il convient donc de se contenter d'intervenir au stade du marché de gros.

La liberté complète prévaut pour la pointe et le rapport montre que chacun peut aujourd'hui construire des centrales thermiques. Pour la base en revanche, dans la mesure où il existe une structure monopolistique, si l'on veut que la concurrence se développe, il faut que les concurrents puissent acheter l'électricité en base au prix auquel elle est produite par EDF, c'est-à-dire à un prix réglementé, l'accès à la production leur étant accordé en proportion de leur clientèle en France. Ensuite, on laissera jouer totalement la concurrence, les entreprises pouvant d'ailleurs, pour servir leurs clients, combiner l'électricité achetée à EDF et celle qu'elles produisent ou qu'elles achètent par ailleurs.

Pour leur part, tant que les compteurs ne seront pas assez sophistiqués, les consommateurs individuels ne seront pas en mesure de réagir aux signaux du marché et il est donc préférable de conserver le système des prix réglementés au stade du détail. EDF étant elle-même obligée de fournir à ce prix, tout concurrent pourra faire de même ou fournir à un prix inférieur, en achetant l'électricité de base selon le système que je viens de décrire.

Alors qu'aujourd'hui c'est en retranchant les tarifs d'acheminement du prix réglementé global que l'on obtient le tarif sortie d'usine, désormais on pourra distinguer clairement les tarifs de sortie d'usine et les tarifs d'acheminement ; le prix total découlera de l'addition des deux et on ne verra ainsi plus de prix négatif !

J'en viens à ce que nous avons décidé de ne pas traiter dans notre rapport. Il s'agit en premier lieu de la transition entre le système actuel et celui que je viens de décrire, qui sera compliquée et qui ressort de la compétence du Gouvernement et du Parlement.

Nous avons aussi laissé de côté l'organisation de l'exécutif – qui fera quoi dans le nouveau système – mais on peut imaginer à l'avenir des répartitions des tâches différentes, par exemple entre le gouvernement et la Commission de régulation de l'énergie (CRE).

Il nous a également semblé judicieux – je sais que cela fera plaisir à M. Brottes – de recommander à l'État d'attendre pour se préoccuper des investissements dans le nucléaire. Seule la question de la maîtrise technologique pour des raisons de politique industrielle pourrait conduire à anticiper, mais on n'a aujourd'hui pas besoin d'investir pour satisfaire la demande.

PermalienPaul Champsaur

Il ne nous a pas non plus paru nécessaire de trancher maintenant la question de la sécurité, de la sûreté, sur laquelle les avis sont très partagés. Les uns pensent que le nucléaire doit rester confié à une seule entreprise, les autres observent qu'en Europe des entreprises privées vont construire et gérer des centrales nucléaires. En fait, le moment venu, la réponse dépendra beaucoup de ce qui se passera dans le reste de l'Europe.

On a beaucoup parlé de la production d'électricité avec le nucléaire de nouvelle génération – les EPR. On connaît mal le coût de cette production, mais là encore rien n'oblige le Gouvernement à prendre position dès aujourd'hui sur ce point. Pour autant, il ne faudra pas attendre indéfiniment. En fait, tout dépendra de la durée de vie des centrales actuelles. Qui plus est, plus l'EPR aura été utilisé ailleurs, mieux on en connaîtra le coût.

On se demande bien sûr ce que dira l'Europe de ce rapport. Nos premiers contacts montrent qu'il apparaît comme une base acceptable, mais cela reste à confirmer.

Enfin, compte tenu des incertitudes qui persistent, on peut s'attendre, quelle que soit l'organisation adoptée, à d'importantes contestations juridiques.

PermalienPhoto de Serge Poignant

Merci pour cette présentation. J'aurais quelques questions à vous poser sur le signal prix, les différences entre pointe et base et sur les investissements dans le nucléaire, mais mes collègues y reviendront probablement.

PermalienPhoto de Daniel Paul

Je regrette que le ministre n'ait pas accédé à notre requête que tous les groupes politiques du Parlement soient représentés au sein de la commission sur l'organisation du marché de l'électricité.

Telle qu'elle existe depuis plus de cinquante ans, l'organisation de l'électricité en France n'a pas été prévue pour la concurrence. Le nucléaire, qui représente 80 % de la production et qui excède les besoins en base, a été confié à une seule entreprise. Nous avons ainsi un système intégré, qui a été financé par le fruit d'un effort collectif – la puissance publique assumant politiquement et financièrement les choix qui ont été faits – et qui, je le répète, n'a pas été bâti pour être ouvert à la concurrence.

Je me réjouis qu'il soit écrit à la page 18 du rapport que « certains membres de la commission soulignent néanmoins leur attachement à ce que le parc nucléaire soit opéré par un acteur public ». S'il m'avait été donné de siéger au sein de la commission, j'aurais toutefois tout fait pour que l'on supprime le mot « néanmoins ».

PermalienPhoto de Daniel Paul

Je n'en doute pas.

Dans un tel contexte, la concurrence a du mal à s'imposer, tout simplement parce qu'il est impossible lorsque l'on s'approvisionne sur le marché d'obtenir un prix inférieur au nucléaire. Aussi, dans un monde de concurrence libre, il est apparu que la solution consistait à galvauder notre parc nucléaire en vendant sur le marché l'électricité produite. Dans une autre vie, je me ferai marchand d'électricité : en achetant au tarif réglementé les mégawatts d'EDF, fruits du travail de l'entreprise publique, j'irai ensuite la concurrencer… La commission ne propose rien d'autre, en disant tout bonnement à EDF « poussez-vous de là, pour que les autres y aient accès ! ». La Commission Roulet, à laquelle j'avais pu participer, annonçait déjà cette évolution.

Tout cela débouchera sur une hausse des prix car il n'y aura pas d'autre solution : pour être mis en concurrence, EDF devra augmenter ses prix suffisamment pour que ses concurrents puissent vendre moins cher, c'est un comble !

Comment vérifierez-vous par ailleurs, dans un système européen intégré, que les marchands – car je me refuse à appeler « fournisseur » quelqu'un qui ne produit pas – ne vendront l'électricité produite à partir des centrales nucléaires qu'aux seuls consommateurs français ?

On sait en outre, parce qu'on l'a déjà vu avec la Poste, que tout est fait pour que les concurrents ne puissent pas proposer de tarifs réglementés.

Vous nous dites, Monsieur Champsaur, que l'on n'a pas besoin d'investir dans les centrales nucléaires, oubliant que certaines arrivent quand même en fin de vie. Mais il est finalement logique de votre point de vue de ne pas prévoir le remplacement puisque l'on produit trop et que l'on va faire des économies dès lors que le marché permettra d'acheter ailleurs. C'est parce que l'entreprise était en position dominante que le Gouvernement et la Commission européenne ont interdit à GDF de se porter candidate à la construction des ports méthaniers. Dans la même logique, on ouvrira demain la construction des nouvelles centrales nucléaires non seulement à GDF-Suez, qui a une certaine expérience, mais aussi à d'autres entreprises car, finalement, une centrale c'est un peu de nucléaire et beaucoup d'industrie et de ciment… Ce sera un pas de plus vers la désagrégation du système électrique français, qui a déjà connu la séparation en deux entités de l'entreprise publique intégrée, puis la privatisation de GDF. Nous ne l'accepterons pas davantage que nous n'avons accepté les étapes antérieures !

PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Je félicite Paul Champsaur pour le travail accompli.

Depuis la Libération, les Français sont très attachés à un système étatique avec des tarifs protecteurs jusqu'ici essentiellement fixés par les pouvoirs publics. C'est ce système qui nous a permis de nous doter d'un parc électronucléaire particulièrement compétitif. Mais les choses ont changé quand l'Europe a commencé à adopter des directives qu'il a fallu transposer en droit français.

C'est ainsi que le marché a été ouvert, en 2000, pour les gros consommateurs qui représentent 30 % du volume et dont on s'est aperçu assez rapidement qu'ils se tournaient vers les concurrents, surtout étrangers, d'EDF qui leur proposaient des prix plus attractifs.

Le deuxième segment, celui des PME, des autres professionnels et des collectivités locales, qui représente 40 % du volume total, a été ouvert à la concurrence en 2004. On a commencé à observer alors une hausse assez forte du prix d'électricité.

Mais la flambée s'est véritablement produite en 2006, avec l'ouverture du troisième segment, celui des consommateurs particuliers, qui représente 30 % du total. Ceux qui sont alors sortis des tarifs réglementés pour aller vers la concurrence s'en sont mordu les doigts et ont souhaité revenir en arrière, ce qui a conduit à l'adoption du TaRTAM dont je suis largement responsable. Le droit de repentance n'ayant pas été prévu et les textes européens interdisant d'aller au-delà, on leur a donné la possibilité de revenir à un tarif supérieur de près de 20 % à celui d'EDF. Prévu pour une durée limitée, ce dispositif a été prolongé jusqu'au 1er juillet 2010 et nous sommes donc obligés d'adopter des dispositions législatives, d'ailleurs bien avant cette date car les consommateurs ont besoin de visibilité.

D'autres dispositifs transitoires arrivent en même temps à échéance : la possibilité pour les consommateurs domestiques de revenir au tarif et celle d'avoir accès aux tarifs sur les nouveaux sites.

Aujourd'hui, deux clients seulement – RTE en tant que transporteur et ERDF en tant que distributeur – s'approvisionnent auprès d'EDF au prix du marché. La commission a donc considéré que pour développer le marché, en particulier pour les très gros consommateurs, dans le respect des règles européennes, il convenait de se tourner vers le sourcing, en le limitant toutefois à un portefeuille de clients existant.

Nous devons par ailleurs avoir un débat sur le prix de l'électricité. Le tarif proposé par EDF à ses concurrents doit correspondre au coût réel. Or, le prix de l'électricité produite par une centrale nucléaire est beaucoup plus élevé qu'on ne le croit généralement, bien au-delà de 35 euros. Il pourrait même s'accroître en raison de la nécessité de renouveler certaines centrales.

Pour les consommateurs domestiques, la commission a arrêté une position très claire puisqu'ils pourront rester au tarif réglementé. Le problème se pose d'ailleurs assez peu puisqu'un faible nombre de particuliers s'est tourné vers la concurrence.

PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Il ne s'agit pas du nombre de ceux qui sont allés vers la concurrence mais de ceux qui ont changé de contrat auprès d'EDF.

Quoi qu'il en soit, la commission a marqué son attachement à ce que 30 % des consommateurs n'entrent pas dans un système où les prix seraient volatils.

PermalienPhoto de François Brottes

Le président Champsaur, en dépit de ses penchants libéraux, a mené son travail dans une réelle indépendance d'esprit. À la différence du secteur des télécommunications dont il vient, le marché de l'énergie n'est plus en expansion. Outre que l'objectif est bien de réduire la consommation, la crise est passée par là et la consommation a baissé, sans compter les entreprises qui ont fermé parce que l'énergie était trop chère. La papeterie, la chimie ou l'acier ont souffert de la dérégulation et de l'ouverture du marché. Parce que, le constat est fait, le marché ne marche pas…

Toute idéologie mise à part, nous avons dans cette affaire le choix entre la peste et le choléra : soit nous sommes obligés d'introduire de la concurrence à tous les niveaux – production, distribution, transport… – et pour tous les clients ; soit nous acceptons le dispositif Champsaur, avec ses dispositions relatives au marché des particuliers, aux tarifs industriels et à l'acceptabilité du nucléaire, dont je ne pense pas qu'elle soit définitivement acquise : il suffirait d'éparpiller le parc entre plusieurs opérateurs privés pour que les Français se ravisent. Il convient aussi de ne pas laisser nos opérateurs publics persévérer dans leurs errements car aucun des intervenants, qu'il soit public ou privé, ne se comporte convenablement : pour dire les choses clairement, on organise la pénurie en période de pointe pour faire monter le tarif moyen, au détriment des consommateurs, alors que la qualité de service diminue.

Nous sommes en outre dans un contexte de baisse des consommations, conformément à l'objectif du Grenelle et du protocole de Kyoto, alors que nous devons trouver le moyen de valoriser l'économie d'énergie.

La proposition qui nous est faite consiste à dissocier la production du transport et de la distribution. En outre, elle distingue nettement la production en base et la production en pointe, ce qui constitue une spécificité française, qui justifie une régulation particulière. La commission Champsaur nous présente donc un modèle aussi « eurocompatible » que possible – ce n'est pas gagné pour autant –, qui sauvegarde à peu près notre système. Faute d'en prendre conscience, nous risquons demain de tout perdre. Politiquement, la décision n'est pas facile mais, de quelque bord que l'on soit, nous savons tous que l'électricité est un bien de première nécessité, vital pour notre industrie déjà fragilisée. Si on n'offre pas de visibilité et de stabilité aux gros consommateurs, on court à la catastrophe. Le TaRTAM ne peut pas durer indéfiniment, je le dis alors que je suis à l'origine de sa prolongation. Nos engagements étant ce qu'ils sont, si nous ne réagissons pas par une contre-proposition, nous nous verrons imposer une solution qui balaiera notre système.

J'expose non pas tant le point de vue de mon groupe, que celui de quelqu'un qui a essayé de travailler honnêtement au sein de la commission avec laquelle je diverge sur deux points : premièrement, l'opérateur du nucléaire doit être public et unique pour être accepté des Français ; deuxièmement, la production de base hydraulique au fil de l'eau, c'est-à-dire à une électricité produite à partir des grands fleuves, qui sont des biens publics, qui ne coûte pas cher et qui est dans les mains de GDF-Suez, doit être prise en compte comme le nucléaire.

PermalienPhoto de Jean Dionis du Séjour

N'ayant pas participé à la commission, mes questions seront celles d'un novice. Qu'en est-il exactement de la concurrence ? J'ai entendu ce matin à la radio nationale qu'un million de personnes avaient un autre fournisseur qu'EDF. Sur 40 millions de foyers, ce n'est tout de même pas négligeable. Il nous faudrait un état des lieux précis avant de décider quoi que ce soit.

François Brottes a raison : la France est un cas spécifique. Les textes européens distinguent deux métiers régulés – le transport et la distribution – et deux métiers qui ne le sont pas – la production et la vente. En prétendant réglementer la production de base, nous nous écartons des directives européennes. Je ne suis pas contre mais l'Europe risque de réagir. Par ailleurs, intégrer dans le schéma l'hydraulique au fil de l'eau est cohérent, à défaut d'être conforme aux règles européennes.

Se profile aussi le débat, qui nous a déjà beaucoup occupés, sur le coût de revient de l'électricité nucléaire en base. Faudra-t-il y inclure le coût de démantèlement et de renouvellement des centrales ? Le président Champsaur peut-il nous donner son avis sur le prix à retenir, qui varie considérablement selon la définition qu'on en prend ?

Le rapport qui nous est soumis suggère l'attentisme au motif que nos centrales peuvent être prolongées. Mais il faudrait se prononcer sur ce que devra être la production de base à moyen terme. Seuls deux EPR ont été autorisés alors que nous avons cinquante-huit tranches électronucléaires. Faut-il garder, ou non, le ratio de 80 % d'origine électronucléaire ? Au-delà du dispositif de transition qui nous est proposé, où voulons-nous aller ?

PermalienPhoto de Jean Gaubert

L'obligation de service public s'impose à ERDF ainsi qu'à EDF dans son activité de commercialisation, mais pas aux autres. Il faut s'interroger sur cette différence de traitement.

Les collectivités locales seront-elles concernées si un tarif réglementé est éventuellement maintenu ? Seront-elles considérées comme de grosses entreprises ou comme de petits clients ? Les petites communes devront-elles procéder à des appels d'offres ?

Le système actuel est extrêmement compliqué et il était difficile à la commission d'en sortir, confrontée qu'elle était au dilemme de donner satisfaction aux tenants d'un marché libre et de prendre acte que la loi de l'offre et de la demande ne fonctionne pas quand la première est très inférieure à la seconde. C'est d'ailleurs ce qui se passe au niveau européen, où la logique libérale fait monter les prix. Les opérateurs ont tout intérêt à ne pas satisfaire durablement la demande. On en reparlera mais il n'est pas facile de faire le grand écart entre le service que nous devons à nos concitoyens et l'objectif de libéralisation du marché de l'électricité.

PermalienPhoto de Michel Piron

Monsieur le président, votre exposé me laisse perplexe, voire inquiet. Au-delà de l'échéance de 2010, nous nous interrogeons sur notre stratégie de long terme dans un monde devenu si incertain qu'il en vient à demander de la régulation. Il faut préparer l'après TaRTAM en tenant compte de la crise qui se déroule sous nos yeux.

La concurrence est-elle une fin en soi ? Ne faut-il pas d'abord privilégier la sécurité des approvisionnements, à un certain prix ? Le prix est-il au service de la concurrence ou l'inverse ?

Par ailleurs, vous nous avez dit à plusieurs reprises qu'il suffisait de réfléchir à dix ans, que nous avions le temps d'attendre. Mais si notre situation est particulière et, disons-le, plutôt privilégiée, n'est-ce pas parce que nos précurseurs ont eu une vision de très long terme ?

L'électricité n'est-elle pas devenue à l'échelle mondiale un formidable outil de politique industrielle ? Et faut-il s'en déposséder à un moment où des voix réclament une politique industrielle, y compris à l'échelle européenne ? En ne faisant rien pendant dix ans, ne risquons-nous pas d'être largement dépassés par des pays d'autres continents qui n'ont pas les états d'âme de certains commissaires européens ?

PermalienPhoto de André Chassaigne

Je partage les propos de Daniel Paul, et, à la lecture des synthèses de la commission, je comprends pourquoi une certaine sensibilité en a volontairement été écartée... L'absence de stratégie à long terme ne dissimule-t-elle pas la volonté d'organiser le désordre pour ouvrir le marché à la concurrence qui prendrait alors le pas sur le service public, au risque de compromettre à terme l'indépendance énergétique de notre pays ?

Le rapport ne dit rien de nos objectifs énergétiques, notamment en matière d'énergies renouvelables. Quid du développement des champs éoliens qui a un impact sur les prix à cause de l'obligation d'achat ? Pourquoi n'y avoir fait aucune allusion alors que nous avons pris des engagements ambitieux ? On ne peut pas faire pareille impasse.

PermalienPhoto de Claude Gatignol

Je vous remercie, monsieur le président Champsaur, d'avoir rappelé que la loi repose sur un trépied : la sécurité des approvisionnements, la compétitivité et le respect de l'environnement. La seule typologie qui vaille en matière d'énergie est celle qui distingue celles qui sont carbonées et celles qui ne le sont pas.

Néanmoins, je reste perplexe sur certains points. Lorsqu'il est question d'électricité, il faut envisager le long terme. J'ai vu se construire des barrages sur la Dordogne, dans le Massif central, qui fournissent une énergie qui a l'immense mérite d'être stockée. Nous bénéficions aussi des décisions prises il y a quarante ans, après le refus du CEA d'acheter la licence Westinghouse. Or bien lui en a pris.

Nos cinquante-huit réacteurs ont une capacité de 63 000 mégawatts – en réalité de 54 000, compte tenu de la maintenance et des réparations. Or notre pointe se situe à 94 800 mégawatts, ce qui nous oblige à acheter hors de nos frontières à 1 000 euros le mégawatt, et en été encore. Comparativement, le mégawatt produit par les éoliennes en mer – cas de figure fâcheux – coûte au pire 150 euros, contre 82 euros à terre – cas de figure à peine moins fâcheux. Oui, nous devons construire des centrales sans CO2 et des autoroutes électriques pour faire face aux pics de consommation. Le Président de la République lui-même a déclaré chez moi, à Flamanville, que plus nous aurons de capacité de production, plus nous pourrons exporter un produit qui a l'avantage de ne pas être délocalisable. Ce serait bon pour notre balance commerciale.

Par ailleurs, que pensez-vous du futur compteur intelligent qui est plus ou moins en service en Italie et qui sera expérimenté dans deux de nos départements ?

Enfin, le volume de la production influe directement sur le prix même si je n'irai pas jusqu'à dire que je soupçonne EDF d'organiser la pénurie. Cependant, l'ouverture du marché, nous en avons vu le résultat grandeur nature en Californie : coupures d'électricité et flambée des prix. Au final, qui a trinqué ? Les petits consommateurs, qui ne peuvent pas se défendre. L'Europe elle-même a fini par valider enfin le fameux contrat Exceltium, destiné aux utilisateurs électro-intensifs.

Il faut progresser dans la transparence des coûts en distinguant la production et le transport notamment. Mais la multiplication des normes peut avoir des effets pervers.

L'électricité a de beaux jours devant elles car ses usages sont multiples. La SNCF et la RATP sont aussi de très bons clients qui doivent bénéficier des prix les plus bas possible. La consommation domestique devrait continuer d'augmenter, quels que soient les efforts réalisés pour la maîtriser. À cet égard, un parc de 1,2 million de voitures hybrides rechargeables aurait besoin d'une tranche nucléaire. Il est temps que la programmation pluriannuelle des investissements de production d'électricité – la PPI – soit plus réaliste. Mais comment le serait-elle si les parlementaires en sont totalement exclus ?

PermalienPhoto de Marie-Lou Marcel

Pourquoi ne pas avoir envisagé d'étendre aux étudiants, dont certains vivent en dessous du seuil de pauvreté, le bénéfice des tarifs réglementés, qui permettent d'atténuer les inégalités ? Le maintien du tarif réglementé est prévu jusqu'à ce que le consommateur puisse se retrouver dans la jungle de la concurrence, notamment grâce au compteur intelligent. Mais, au-delà, comment défendre l'héritage du service public de l'électricité et empêcher une nouvelle atteinte au pouvoir d'achat ?

PermalienPhoto de Frédéric Cuvillier

Ce rapport est le fruit d'un exercice compliqué qui consiste à se mettre en conformité avec la réglementation européenne en limitant les dégâts. Après les usines à gaz, voici les usines à électricité !

Si l'on place EDF en position d'infériorité, comment l'entreprise pourra-t-elle rembourser les emprunts qu'elle a souscrits et continuer à investir dans la recherche ? À la veille du big bang de la libéralisation du marché de l'électricité, il ne faut surtout pas évacuer la question de la qualité de l'électricité. On en veut beaucoup à l'Europe, mais le Gouvernement n'est pas en reste. Le décret du 29 décembre 2007 a provoqué un séisme dans les départements qui, comme le mien, expérimentent la qualité du transport de l'électricité. Les critères retenus sont totalement insuffisants pour préserver la référence de qualité nationale et les entreprises en paient les conséquences.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Nicolas

Je félicite le président Champsaur pour sa clarté sur un sujet aussi compliqué. La question centrale est celle des prix. Dans le système tel qu'il est présenté, la rente du nucléaire en France serait totalement gommée. Ne pas en laisser, au moins pendant quelques années, le bénéfice à l'opérateur historique, qui a investi et convaincu nos concitoyens, créerait, me semble-t-il, une inégalité. Sinon, qui renouvellera le parc et qui investira dans les nouvelles capacités de production ? Quelles orientations préconisez-vous en matière de prix ?

PermalienPhoto de William Dumas

Dans ma région, les fermes photovoltaïques et éoliennes remplacent la vigne et se développent très vite car les tarifs de rachat par EDF sont garantis. S'agissant du nucléaire, vous écrivez dans votre synthèse : « le prix devrait couvrir l'ensemble des coûts présents et futurs (charges d'exploitation, investissements de maintenance et d'allongement de la durée de vie des centrales)… » Le prix de cession aux concurrents d'EDF intégrera-t-il le coût de cette garantie ? Je rappelle que l'éolien et le photovoltaïque coûtent entre dix et douze fois plus cher.

PermalienPhoto de Serge Poignant

M. Champsaur ne peut pas répondre aux questions concernant la composition de la commission ! Je souligne à nouveau que, dans la mesure où nous devons légiférer rapidement, son rapport est le bienvenu.

PermalienPaul Champsaur

Certaines questions mériteraient d'être posées plutôt au Gouvernement. Et sur d'autres, comme le photovoltaïque, j'avoue mon incompétence.

Les contraintes de service public vont-elles disparaître ? Non. Rien n'est changé. Par exemple, les tarifs sociaux de l'électricité resteront fixés par l'État. Mais vous devrez réfléchir aux moyens : une seule entreprise sera-t-elle sollicitée ou plusieurs ? En tout cas, le système décrit est parfaitement compatible avec le maintien des obligations de service public, ou du service universel.

Quant aux collectivités territoriales, rien ne change pour elles en tant que clientes puisqu'elles ne seront pas traitées comme des électro-intensifs. Ensuite, le schéma proposé est compatible avec leur activité de distributeurs et, dans une moindre mesure, de producteurs, par l'intermédiaire des régies d'électricité. Mais elles ne représentent qu'une très faible part du marché.

J'ai cru déceler une nuance péjorative dans le terme « marchands », mais, sur certains segments du marché de l'électricité, il faut introduire d'autres entreprises que l'opérateur historique. Cela ne peut pas se faire du jour au lendemain, il faut procéder par étapes et la régulation doit faire preuve de réalisme. On organise le marché sans imposer un ticket d'entrée qui serait la construction de centrales nucléaires. Les concurrents d'EDF devront donc commencer par devenir marchands pour avoir une clientèle. Une fois cette phase réalisée, ils pourront se procurer de l'électricité nucléaire à un prix convenable et, si la régulation est intelligente, la structure des prix sera telle qu'ils seront incités à investir, d'abord dans l'électricité de pointe. Mais nous n'en sommes pas là. La question de l'investissement dans le nucléaire ne se posera que si la transition est correctement organisée. Nous avons conçu un mécanisme de transition qui peut fonctionner dans le contexte français pendant une petite dizaine d'années.

Vous avez raison de vouloir vous préoccuper du long terme. Mais il faut absolument hiérarchiser l'ordre des décisions. En France, compte tenu de la qualité des gestionnaires de l'électricité, elles ne sont pas urgentes. Ensuite, pour prendre les bonnes décisions, il faut une bonne information. L'État, c'est merveilleux, mais il ne sait pas tout. Je viens des télécommunications, et ce qui m'a le plus surpris a été que les équipementiers, qui échappaient à la régulation, et partant qui étaient plus bavards, nous tiennent à une semaine d'intervalle des discours radicalement contradictoires. Ne vous imaginez pas que l'État dispose d'une information parfaite. Nous faisons donc le pari que, dans cinq, dix, voire quinze ans, on en saura un peu plus, notamment sur les prix. En France, il existe plus ou moins un accord pour continuer le nucléaire. Mais dans quelle proportion ? Nous sommes partis de l'idée de le réserver à la production de base et d'utiliser l'énergie thermique en période de pointe, mais il s'agit d'une analyse simplificatrice. Quelle option prendre pour les centrales qui tournent 5 000 heures ? Si on opte pour le charbon ou pour le renouvelable, on n'aura pas besoin d'autant de nucléaire. Le souci du long terme n'implique pas de précipiter la décision.

Pour le compteur intelligent, les technologies existent et nous ne sommes pas en avance. Quelle que soit la régulation qui sera adoptée, il faudra progresser dans ce domaine, ne serait-ce que pour favoriser les économies d'énergie. Il n'existe pas de lien automatique entre l'ouverture à la concurrence du marché des particuliers et la diffusion du compteur intelligent, mais la diffusion du compteur intelligent est une condition nécessaire à une plus grande ouverture à la concurrence de ce segment du marché. Cela étant, cette diffusion peut se faire tout en conservant un marché domestique de détail régulé.

PermalienPhoto de Serge Poignant

Nous vous remercions pour ce rapport qui va nourrir notre réflexion.