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Intervention de Paul Champsaur

Réunion du 30 juin 2009 à 17h00
Commission des affaires économiques

Paul Champsaur :

Je ne reviendrai pas en détail sur le rapport que vous avez tous reçu. Un mot toutefois de la composition de notre commission : outre quatre parlementaires des deux bords, François Brottes et Jean-Claude Lenoir pour l'Assemblée nationale, Jean-Marc Pastor et Ladislas Poniatowski pour le Sénat, elle comptait un certain nombre de personnalités qualifiées : Jean Bergougnoux, ancien président de la SNCF et surtout ancien directeur général d'EDF, Martin Hellwig économiste allemand de très grande réputation internationale qui connaît très bien le marché de l'électricité et les questions de concurrence, Daniel Labetoulle, conseiller d'État, président de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers, ainsi que l'universitaire Jacques Percebois, auteur d'un rapport sur l'énergie pour le Conseil d'analyse économique et qui est sans doute le plus grand spécialiste français de ces questions. Nous avons eu en outre la chance de nous appuyer sur les équipes de rapporteurs conduites par Pierre-Marie Abadie, directeur de l'énergie.

De la lettre de mission, qui figure page 19 du rapport, je retiendrai surtout une phrase : « Comment garantir, dans le cadre des engagements européens de la France de l'émergence d'un marché intérieur de l'énergie, une maîtrise des prix de l'électricité ? ».

Pour bien comprendre le sujet, il faut d'abord être conscient que plus de 40 % du prix de l'électricité tiennent au transport. Ce dernier relève toutefois de ce que les économistes appellent un monopole naturel, les réseaux ne sont pas réplicables, la haute tension relevant de RTE, gestionnaire du réseau de transport d'électricité, et la basse tension d'ERDF. Dans le monde entier, les réseaux sont régulés comme des monopoles naturels. En France, le prix du transport est proposé par la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, et approuvé par le gouvernement. Les prix varient toutefois d'un pays à l'autre, sans que l'on sache très bien pourquoi, ce qui montre que même la régulation des monopoles naturels n'est pas si simple…

Ce préambule étant fait, vous comprendrez que quand je parle d'électricité, c'est de production qu'il s'agit, le prix de l'électricité étant entendu comme le prix à la sortie de la centrale.

La demande variant dans l'année, il est très important de distinguer l'électricité produite en base, lorsque la demande est basse, de celle produite en pointe, lorsque la demande est plus importante et que l'on doit faire fonctionner un nombre plus élevé de centrales. Pour la production en base, les centrales fonctionnent presque tout le temps, c'est-à-dire plus de 6 000 heures par an, tandis qu'en pointe elles ne fonctionnent que de façon occasionnelle : moins de 4 000 heures, voire quelques centaines d'heures seulement pour certaines d'entre elles.

Les coûts et les techniques sont très différents. Pour produire en base, on utilise des centrales hydroélectriques et, surtout, nucléaires, qui coûtent cher à construire mais dont le fonctionnement est très peu onéreux. En revanche, pour produire en pointe on a recours à des centrales thermiques, dont la construction est bon marché mais dont le coût de fonctionnement est élevé. Dans toute l'Europe, sauf en Scandinavie où l'on trouve beaucoup d'hydroélectricité, l'électricité en pointe est produite de la même façon et les coûts sont très semblables. En revanche, les différences sont importantes pour la production en base, notamment à cause du nucléaire, que la France utilise très largement alors que plusieurs autres pays n'en ont pas du tout et que d'autres sont en train d'en sortir.

Si l'on ne tient pas compte de l'hydroélectricité, notre capacité de production de base est considérable, très largement supérieure à nos besoins en base. La France est donc structurellement exportatrice, d'environ un quart de sa production. Cette situation est appelée à durer au moins dix ans dans la mesure où les centrales nucléaires ont une durée de vie plus longue que prévu. Au-delà, il appartiendra à l'Autorité de sûreté nucléaire de donner son feu vert à une prolongation éventuelle de leur durée de vie, moyennant bien sûr des investissements. L'essentiel de mon propos va donc concerner ce qu'il convient de faire dans les dix prochaines années.

Notre production en base, supérieure à la demande, repose sur une seule technique, le nucléaire, mise en oeuvre par une seule entreprise en situation de complet monopole, EDF, qui a construit, qui possède et qui gère toutes nos centrales. Dans une telle structure monopolistique, les mécanismes de marché sont un peu compliqués à mettre en oeuvre.

Les dirigeants de petites entreprises et les consommateurs domestiques ne savent pas ce qu'ils consomment, d'autant que les compteurs ne donnent pas d'informations suffisamment précises. Ils ne sont donc équipés ni techniquement ni intellectuellement pour agir sur la structure de leur consommation. Les choses sont bien différentes pour les grandes entreprises, qui connaissent parfaitement leur consommation heure par heure et qui sont donc aptes à comprendre les offres complexes des fournisseurs d'électricité, les prix plus bas tenant à l'effacement de la consommation en pointe. Or, on le sait, les mécanismes de marché fonctionnent d'autant mieux que les acteurs sont capables de faire jouer la concurrence.

J'ajoute que, la pointe n'intervenant pas au même moment dans tous les pays, on mesure tout l'intérêt qu'a l'Europe à développer un marché intérieur de la pointe et à procéder à des échanges d'électricité.

L'originalité du système français est héritée du passé. Au départ, il y avait des tarifs réglementés – bleu pour les particuliers, jaune pour les artisans et les PME, vert pour les grandes entreprises. Aujourd'hui, l'énorme majorité des usagers en est restée à ces tarifs. Nous sommes ensuite passés au prix libre, avec dans un premier temps des prix bas, puis une remontée, puis une légère décrue. La France est le seul pays européen à avoir conservé un étonnant système irréversible qui fait que, quand on a décidé de quitter le tarif réglementé, on ne peut pas y revenir. Mais il y a quelque temps, lorsque les prix sont devenus trop élevés, les usagers s'en sont plaints auprès de vous et cela a débouché sur la création d'un système transitoire dit TaRTAM – tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché.

Ce système compliqué est source d'incohérences, à tel point que pour certains usagers et à certaines heures, le prix de l'électricité est négatif… Il est en outre impossible à défendre au niveau européen, où on ne le comprend pas et où l'on a le sentiment qu'il viole les principes posés par les directives. Beaucoup pensent donc qu'il est illusoire d'espérer que l'Europe bénisse notre système actuel, d'autant que sa pérennité n'est pas assurée puisque, si l'on veut faire converger les tarifs réglementés et le TaRTAM, on a besoin de changer la loi.

J'en viens aux recommandations de notre commission, qui sont résumées page 18 du rapport.

S'agissant tout d'abord du marché professionnel, nous sommes partis du principe qu'il existait, en raison du nucléaire, un marché français spécifique de la base, appelé à perdurer tant qu'il n'y aura pas un minimum d'homogénéisation des politiques d'investissement des États dans la production électrique. Dès lors, il paraît justifié que la France se dote de dispositions spécifiques pour organiser ce marché. Pour autant, il ne faut pas aller plus loin que nécessaire et il convient donc de se contenter d'intervenir au stade du marché de gros.

La liberté complète prévaut pour la pointe et le rapport montre que chacun peut aujourd'hui construire des centrales thermiques. Pour la base en revanche, dans la mesure où il existe une structure monopolistique, si l'on veut que la concurrence se développe, il faut que les concurrents puissent acheter l'électricité en base au prix auquel elle est produite par EDF, c'est-à-dire à un prix réglementé, l'accès à la production leur étant accordé en proportion de leur clientèle en France. Ensuite, on laissera jouer totalement la concurrence, les entreprises pouvant d'ailleurs, pour servir leurs clients, combiner l'électricité achetée à EDF et celle qu'elles produisent ou qu'elles achètent par ailleurs.

Pour leur part, tant que les compteurs ne seront pas assez sophistiqués, les consommateurs individuels ne seront pas en mesure de réagir aux signaux du marché et il est donc préférable de conserver le système des prix réglementés au stade du détail. EDF étant elle-même obligée de fournir à ce prix, tout concurrent pourra faire de même ou fournir à un prix inférieur, en achetant l'électricité de base selon le système que je viens de décrire.

Alors qu'aujourd'hui c'est en retranchant les tarifs d'acheminement du prix réglementé global que l'on obtient le tarif sortie d'usine, désormais on pourra distinguer clairement les tarifs de sortie d'usine et les tarifs d'acheminement ; le prix total découlera de l'addition des deux et on ne verra ainsi plus de prix négatif !

J'en viens à ce que nous avons décidé de ne pas traiter dans notre rapport. Il s'agit en premier lieu de la transition entre le système actuel et celui que je viens de décrire, qui sera compliquée et qui ressort de la compétence du Gouvernement et du Parlement.

Nous avons aussi laissé de côté l'organisation de l'exécutif – qui fera quoi dans le nouveau système – mais on peut imaginer à l'avenir des répartitions des tâches différentes, par exemple entre le gouvernement et la Commission de régulation de l'énergie (CRE).

Il nous a également semblé judicieux – je sais que cela fera plaisir à M. Brottes – de recommander à l'État d'attendre pour se préoccuper des investissements dans le nucléaire. Seule la question de la maîtrise technologique pour des raisons de politique industrielle pourrait conduire à anticiper, mais on n'a aujourd'hui pas besoin d'investir pour satisfaire la demande.

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