Le Président Didier Migaud : Le Gouvernement doit prendre prochainement des décisions relatives à l'évolution, à partir de 2010, des tarifs de péages versés à Réseau ferré de France – RFF –, pour l'usage du réseau ferroviaire. À cette occasion, la structure de ces péages devra être refondue, ce qui suppose une réflexion sur la vérité des coûts. Plus fondamentalement, c'est la question de l'équilibre du dispositif instauré par la loi du 13 février 1997 qui se trouve posée.
La commission des Finances ne pouvait naturellement rester à l'écart de ces questions, qui engagent l'avenir de nos infrastructures de transport. Sans remonter aux travaux de la mission d'évaluation et de contrôle en 2004, je rappellerai simplement que le rapporteur spécial sur les crédits des transports terrestres, M. Hervé Mariton, a consacré à ces thèmes une réflexion dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 2008. En mars et avril dernier, il a procédé à une série d'auditions, en vue d'un rapport d'information destiné à poser la problématique. Ce rapport a été examiné la semaine dernière par notre commission. La réunion de ce jour est destinée à ouvrir le débat sur cette base.
Notre discussion peut également s'appuyer sur l'expertise de la Cour des comptes. Celle-ci a rendu public, le 16 avril dernier, un rapport extrêmement stimulant, intitulé « Le réseau ferroviaire : une réforme inachevée, une stratégie incertaine ». Compte tenu des adjectifs utilisés, on peut considérer que le débat est effectivement ouvert.
Je suis heureux que notre table ronde se tienne en présence de représentants de la Cour des comptes, M. Christian Descheemaeker, président de la septième chambre, accompagné de MM. Gilles-Pierre Levy, conseiller maître, François Ecalle, conseiller référendaire, et Alexis Rouque, auditeur.
Notre table ronde réunit d'abord les représentants de RFF : M. Hubert du Mesnil, président, accompagné de M. Hervé de Tréglodé, directeur général adjoint en charge du pôle commercial, et de Mme Marie-Reine du Bourg, chargée des relations institutionnelles.
Il était indispensable que soit également présente la SNCF, principal utilisateur du réseau. Son président, M. Guillaume Pepy, m'a fait part de son regret de ne pouvoir être parmi nous ; il est retenu cet après-midi par une négociation à fort enjeu prévue de longue date avec les partenaires sociaux. La SNCF est représentée par MM. Jean-Pierre Menanteau, directeur financier, Pierre Izard, directeur de l'infrastructure, et Stéphane Volant, secrétaire général.
Je vous propose que M. Descheemaeker synthétise le rapport de la Cour des comptes, puis que M. Mariton nous présente ses principales propositions. Ensuite, nous pourrions entendre la réaction de RFF puis de la SNCF, avant d'ouvrir le débat.
Le temps où la Cour des comptes s'interdisait l'emploi de tout adjectif est révolu !
Notre rapport public thématique d'avril cherche à faire le point sur les relations institutionnelles entre la SNCF et RFF, dix ans après la réforme de 1997 et à l'approche de l'échéance de l'ouverture à la concurrence du transport de voyageurs, fixée à 2010.
En 1997, l'État a voulu, d'une part, appliquer la directive européenne de 1991 en séparant le réseau ferroviaire de l'entreprise gestionnaire, d'autre part, se qualifier pour l'euro en créant une structure de défaisance pour lui transférer une partie de la dette ferroviaire. Il n'est d'ailleurs pas certain que le premier motif ait été le plus déterminant. Cela dit, pour parler brutalement, RFF n'a pas été pourvu des moyens lui permettant à la fois de rembourser la dette et de gérer le réseau. La loi de 1997 lui a donc imposé de déléguer la gestion du réseau à la SNCF.
Le montage retenu en 1997 était original pour la France. Il a sa logique mais place la SNCF et RFF dans une relation de client à fournisseur, avec des intérêts divergents, le « ménage » étant voué à s'élargir après l'ouverture à la concurrence. L'État, tuteur des deux organismes, s'est révélé incapable de résoudre les nombreux conflits qui ont opposé la SNCF à RFF depuis 1997. Il les a même accentués en imposant à RFF de viser l'équilibre comptable, inaccessible compte tenu de l'héritage d'une bonne partie de la dette ferroviaire, impossible à rembourser. Les relations entre RFF et la SNCF sont essentiellement fondées sur les péages. Ceux-ci doivent être suffisamment élevés pour que la moitié des ressources de RFF soient commerciales – condition fixée par Bruxelles pour le considérer comme une structure de défaisance – mais ne pas excéder la capacité contributive de la SNCF. Se référer à la capacité contributive de l'exploitant ferroviaire peut constituer un avantage ou un inconvénient pour ce dernier, selon qu'il gagne de l'argent ou qu'il en perd. Toujours est-il que le système n'est pas fondé sur des critères économiques, alors que la directive européenne évoquait le « coût marginal social ». Le problème est complexe mais on ne s'est pas donné les moyens de le résoudre. La période a même été caractérisée par des investissements importants, pas toujours économiquement rentables, contrairement à la règle fixée en 1997. La Cour des comptes souligne souvent ce paradoxe : financer un investissement non rentable semble moins grave pour un organisme déjà accablé de dettes et incapable de les rembourser.
Cependant, la SNCF s'est réorganisée. Elle a progressivement amélioré la productivité de sa branche infrastructures, mais à un rythme surtout dicté par des considérations sociales, correspondant au départ à la retraite des cheminots affectés à cette branche.
La Cour des comptes a émis des recommandations visant à améliorer les performances du système ferroviaire dans le cadre du système institutionnel actuel. La réforme de 1997 a eu des vertus mais il convient de ne pas rester au milieu du gué.
L'État doit avoir le courage de reprendre formellement à son compte la partie non remboursable – qualifiée de « non amortissable » – de la dette de RFF, qui peut être estimée à 12 ou 13 milliards d'euros. Cela n'aiderait certes en rien à son remboursement mais les documents comptables décriraient mieux la réalité car cette dette incombe en fait à l'État.
Je rappelle que 46 % des 30 000 kilomètres du réseau supportent 6 % du trafic seulement et que ces lignes, si elles sont maintenues, doivent être entretenues, parfois régénérées. Sur certaines d'entre elles, on en vient à ralentir la vitesse des trains pour éviter les accidents. La Cour des comptes recommande donc l'acceptation du débat sur l'avenir des lignes les moins fréquentées. Cette idée, qui figure aussi dans le rapport de M. Mariton, est toujours exprimée avec prudence par crainte de soulever des polémiques considérables.
Une recommandation pratiquement acquise tend à constituer une autorité de régulation du transport ferroviaire.
Sur le plan institutionnel, nous proposons deux solutions. La première consisterait à maintenir la distinction entre les deux entreprises mais à débarrasser RFF de sa dette non remboursable et à lui transférer les 55 000 agents de la SNCF travaillant dans le domaine des infrastructures : RFF deviendrait alors une structure de défaisance capable de rembourser et un organisme gestionnaire capable de gérer. La seconde solution consisterait à revenir sur le partage initial : RFF serait filialisé, sur le modèle allemand, ce qui permettrait de résoudre certains problèmes sociaux, mais il ne serait pas mis sous la coupe de la SNCF, compte tenu de la création d'une structure de régulation. La Cour des comptes n'a pas exprimé de préférence entre ces deux alternatives.
La rédaction du rapport d'information « Péages ferroviaires : pour la vérité des coûts », publié la semaine dernière, a été possible grâce aux auditions des différents acteurs concernés, en particulier de RFF et de la SNCF. Elle s'est aussi alimentée des travaux de la Cour des comptes.
La première des choses dont la commission de finances doit s'assurer est le respect de la loi et de la réglementation.
Je pense en particulier à l'article 4 du décret du 5 mai 1997, relatif aux conditions du financement des infrastructures. Ce point, qui préoccupe aussi la Cour des comptes, concerne les petites lignes tout autant que des infrastructures importantes, notamment un certain nombre de lignes à grande vitesse. Le système de 1997 n'est pas mauvais mais doit être appliqué, en particulier l'engagement de RFF de concourir aux investissements dans la mesure où les financements publics qu'il reçoit lui permettent de ne pas alourdir sa dette. Or, ce n'est pas convenable, mais l'État triche : il a triché dans le passé et il s'apprête à le faire davantage dans l'avenir. Les projets dont la liste a été établie à l'occasion du Grenelle de l'environnement obligent à envisager un niveau d'investissement public suffisant pour les infrastructures, voire à imaginer d'autres formes de financement que celles prévues à l'article 4. À cet égard, nos travaux doivent porter non seulement sur la régénération des infrastructures existantes mais aussi sur la construction de lignes nouvelles. Et je me permets d'insister : ce n'est pas un peu plus de moyens qui sont nécessaires, mais beaucoup plus.
Respecter la loi, c'est aussi faire en sorte que les acteurs du système puissent assumer les fonctions qui leur ont été assignées, notamment la régénération. Cela m'amène à la question des péages. Ceux-ci peuvent contribuer au financement des infrastructures nouvelles. Toutefois, compte tenu du choix politique ferroviaire français et de l'élasticité de la demande au prix, ils ne doivent pas dépasser un certain niveau. Bref, les infrastructures nouvelles ne peuvent être financées ni en violant l'article 4 ni en portant les péages à un niveau déraisonnable.
Deuxièmement, avant d'envisager de renverser le système existant, il convient de chercher à l'optimiser.
Le rapport d'information propose des pistes pour améliorer le niveau et la cohérence des péages. La question de la répartition des actifs entre RFF et la SNCF, que nous avions étudiée en 2004 dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle, sous la présidence d'Yves Deniaud, ici présent, ne semble toujours pas complètement réglée, si l'on en croit en particulier la Cour des comptes ; pourtant, nous étions alors très fiers, car nous avions le sentiment d'avoir contribué à une accélération sensible du processus.
Dans le rapport, j'ai soulevé un autre sujet, déjà évoqué en 2004 : celui des gares. À la création de RFF, le niveau de ses actifs avait été défini en fonction de son endettement. Si sa dette non amortissable apparaît irréversiblement supérieure à sa valorisation initiale, il n'est pas interdit d'envisager une augmentation de sa dotation. La perspective de l'ouverture à la concurrence et l'homogénéité des lieux militent également pour que les gares passent du patrimoine de la SNCF à celui de RFF.
Nous proposons aussi le déplacement de certaines fonctions. Les horairistes pourraient être affectés à RFF. La Cour des comptes est moins timide puisqu'elle suggère le transfert de l'ensemble de la fonction infrastructures, avec ses 55 000 agents, ce qui modifierait totalement la physionomie de RFF, au risque de le déstabiliser. Il n'en demeure pas moins que cette fonction recèle des marges de productivité considérables.
L'État, absent de cette audition, joue lui aussi un rôle. Il devra évidemment prendre ses responsabilités et nous proposer des actions. La reprise de la dette non amortissable de RFF serait peut-être difficile à assumer.
Mais l'État y était obligé ! Deux raisons ont motivé la création de RFF : une raison ferroviaire et une raison purement financière de transfert de dette, qui n'a pas disparu.
Au moment où l'autorité de régulation se met en place, il n'est pas judicieux de trop la charger, au risque de lui donner une fonction industrielle. Il lui est demandé d'effectuer de la régulation de principe, d'apporter des réponses aux problèmes soulevés par les acteurs du système ferroviaire, pas de se comporter en opérateur industriel.
D'autres schémas sont possibles, comme celui en vigueur en Allemagne, qui sera soumis au contexte nouveau de la privatisation partielle de la Deutsche Bahn. Le schéma créé en France par la loi de 1997 est très imparfait, à cause du non-respect de certains éléments essentiels de sa conception et non de sa conception elle-même. Peut-il être amélioré ? Oui, évidemment ; le rapport comporte un certain nombre de pistes.
Je vous remercie de nous donner l'occasion de participer à ce débat sur l'évolution du secteur ferroviaire, qui intervient à un moment assez crucial. Les deux contributions qui viennent d'être décrites par leurs auteurs apportent un éclairage tout à fait remarquable. Nous nous exprimerons très directement et en toute confiance, sans craindre que nos propos soient mal compris ou mal interprétés, bref, sans langue de bois.
Revenons sur l'acte fondateur de 1997. Il a été question de séparation et de défaisance. Défaisance ? Il s'agissait en réalité de sauver la SNCF en extrayant une dette qui la menaçait. Séparation ? Nous nous sommes mis en règle avec la politique européenne, qui consistait à rétablir la santé financière des infrastructures ferroviaires et à créer un marché européen du réseau ferroviaire. La voie choisie par la France a-t-elle permis d'atteindre ces deux objectifs ?
La loi de 1997 n'indiquait pas très clairement ce que l'État attendait de nous. La formule « gestionnaire d'infrastructure » en est absente. RFF a très rapidement dû déléguer ses prérogatives. Tout cela se comprend pour des raisons historiques. Notre mission consiste toujours à poursuivre trois objectifs : moderniser le réseau ; l'ouvrir à la concurrence ; l'équilibrer sur le plan économique. Notre action devrait être mesurée à l'aune de ces trois critères, y compris par le Parlement.
Nous sommes là pour soumettre au jugement de la Cour des comptes, du Parlement et du Gouvernement des éléments de compréhension et d'évaluation économiques. L'objectif de l'équilibre financier du réseau devrait s'imposer à tous. Mais comment y parvenir ?
S'agissant de la dette, deux options sont possibles. Puisque l'activité portée par le réseau ferroviaire n'a pas et n'aura pas les moyens de couvrir la dette historique, il faudra bien que l'État s'en occupe, soit en nous la laissant et en nous donnant les moyens de la couvrir, soit en en reprenant une partie. Notre préférence va évidemment à la clarification, mais la question de la dette ne doit pas nous empêcher de travailler aux autres dossiers ; ce n'est pas un préalable à la mise en équilibre du réseau. Je suis toujours étonné de lire que la dette historique de RFF serait un instrument utilisé pour peser sur les péages de la SNCF, car pas un euro de péage ne sert à la rembourser.
L'équilibre du réseau porte sur le passé, avec la dette, sur le présent, avec l'exploitation, et sur l'avenir, avec les projets de développement. Cette équation est entièrement entre les mains de l'État, maître des péages et des subventions. Si le réseau est considéré comme utile au pays, il faut que l'ensemble des coûts soient couverts par les recettes, péages plus subventions. Si l'État continue à compenser chaque euro supplémentaire de péage par un euro en moins de subvention, le système ne peut pas fonctionner, car les coûts progressent.
Contrairement à ce qui se dit, si RFF et la SNCF n'ont pas toujours les mêmes perceptions, nous ne sommes pas pour autant en conflit permanent. Il convient de distinguer le sujet du péage de tout le reste.
S'agissant du péage, nos intérêts sont contradictoires. Je ne connais pas d'infrastructure dans laquelle le sujet du péage n'est pas un motif de conflit entre le gestionnaire, en situation de monopole, et le transporteur, soumis à la concurrence. L'arbitre est le régulateur etou l'État. En tout cas, il est illusoire d'attendre un compromis. La confrontation est saine et souhaitable ; elle permet à chacun de présenter ses chiffres et de défendre ses intérêts.
Sur les autres sujets, mon appréciation est différente. Nos relations ont certes beaucoup souffert du conflit sur le patrimoine, que l'État et les deux entreprises ont mis trop de temps à traiter et à propos duquel un petit effort reste à accomplir pour aboutir à un règlement définitif. Pour le reste, nous devons ensemble moderniser et ouvrir le réseau. Il est aujourd'hui en danger car il a un besoin urgent de maintenance et de rénovation, la Cour des comptes l'a constaté et nombre d'élus le savent. Sans effort supplémentaire, nous ne pourrons faire mieux que continuer à ralentir sa dégradation. La modernisation a pris des années de retard, qu'il s'agisse des petites lignes à bout de souffle comme du réseau de l'Île-de-France, l'un des plus fréquentés au monde mais qui ne dispose pas des moyens de gestion, de pilotage et de supervision correspondant à cet enjeu. Avec la SNCF, nous avons adopté un projet commun et nous sommes parfaitement capables de le mettre en oeuvre. L'ouverture à la concurrence est plus difficile et la situation de la SNCF, à cet égard, mérite sans doute encore des clarifications. L'effort a commencé mais nous pensons qu'il peut se poursuivre et que nous pouvons y contribuer.
Deux conditions sont nécessaires pour que RFF poursuive le cheminement dans lequel il s'est engagé.
Premièrement, l'État doit assumer pleinement ses responsabilités, prendre une décision en ce qui concerne la dette, nous fixer une feuille de route comportant des engagements sur les subventions et les péages et nous assignant des objectifs, sur la base desquels je serais heureux de rendre compte devant le Parlement. Jusqu'à présent, rien n'était contractualisé, mais nous négocions actuellement avec l'État un contrat de performance.
Deuxièmement, RFF et la SNCF doivent vivre leur relation de partenaires obligés non pas comme une crispation ou une souffrance permanente mais comme une prise de responsabilité. La SNCF est notre premier client et le sera probablement pendant longtemps encore. Il nous appartient de trouver conjointement la réponse à nos problèmes. L'avenir du secteur ferroviaire doit être plus fort que nos divergences. Nous sauverons le réseau ensemble.
Je confirme que nos intérêts communs sont importants et que ce qui nous rapproche est plus fort que ce qui nous oppose.
Nous nous réjouissons profondément qu'autant de travaux de fond aient été conduits ces derniers mois à propos des systèmes ferroviaires. Nous saluons tout particulièrement le rapport d'information d'excellente facture qui vient d'être rendu public, même si nous ne sommes pas d'accord avec toutes les propositions qu'il contient.
L'organisation actuelle s'inscrit dans un cadre communautaire que je ferai volontiers partir non pas de 1991 mais de 1969 : l'Europe avait alors décidé de procéder à un premier désendettement des opérateurs ferroviaires historiques. En 1991, l'Europe structure le paysage ferroviaire en optant pour une formule extrêmement originale, inspirée des expériences britannique et surtout suédoise. Pour l'anecdote, le président des chemins de fers suédois raconte que le nombre de salariés de son entreprise est passé de 45 000 en 1986 à 6 aujourd'hui…
La réforme de 1997 trouve ses gènes dans la directive de 1991, qui prône la séparation, au moins sur le plan comptable, des activités économiques relevant respectivement de l'infrastructure et du transport. Les 20 milliards d'euros de dette transférés à RFF étaient d'ailleurs imputables à la construction des lignes à grande vitesse, c'est-à-dire à des dépenses d'infrastructure. De même, entre 1997 et 2007, les péages ont triplé alors que le chiffre d'affaires de la SNCF n'a augmenté que de 45 % ; notre excédent brut d'exploitation est passé de 1,9 à 4,4 milliards d'euros avant péage et de 1 à 1,7 milliard d'euros après péage.
La situation financière de la SNCF est assainie, puisque le dernier exercice déficitaire date de 2003. Cette amélioration intervient sur un fond de croissance très dynamique du marché, notamment du marché voyageur, qui n'avait pas été anticipée par les opérateurs ferroviaires européens, ce qui explique le manque d'investissements et par conséquent la saturation actuelle.
Nous avons la chance, à la SNCF, de disposer d'une feuille de route établie par le Président de la République, qui cadre totalement l'exercice d'élaboration stratégique en cours.
Nous sommes totalement convaincus par la proposition n° 1 du rapport, la hausse progressive des péages. Au demeurant, par le seul effet de l'inflation, une augmentation de l'ordre de 500 millions d'euros se produira entre 2010 et 2015. Nous soulignons cependant qu'une hausse excessive aurait immanquablement des conséquences sur notre calcul microéconomique, notre plan d'amortissement, nos tarifs, notre yield – l'optimisation du remplissage des trains – et notre modèle de grande vitesse populaire et massive, original en Europe et auquel nous tenons beaucoup.
Nous serions extrêmement favorables à un raisonnement en dividendes, qui présenterait le mérite de ne pas perturber notre modèle économique. Nous avons accueilli favorablement le versement d'un dividende pour la première fois cette année, et nous avons obtenu qu'une partie soit consacrée au réseau. Nous acceptons le principe d'information des voyageurs posé par la seconde partie de la proposition n° 2 mais nous sommes sceptiques quant à sa mise en oeuvre car indiquer systématiquement le prix du péage sur les billets de TGV serait particulièrement complexe.
C'est curieux, car l'idée vient de la SNCF ; je me suis contenté, modestement, de la reprendre.
La SNCF raisonne en ordre de grandeur ou en pourcentage, non pas en montant par billet.
La proposition n° 3 s'adresse directement à RFF.
Il ne nous appartient pas davantage de nous prononcer sur la proposition n° 4 selon laquelle le système ferroviaire doit se désendetter par ses propres moyens. Toutefois, au regard des données financières, il ne nous semble pas que le système ferroviaire soit en mesure de dégager annuellement une richesse économique suffisante.
La proposition n° 5 n'appelle pas de remarque de notre part. Si RFF l'accepte, nous nous mettrons à sa disposition pour qu'il puisse fournir cette information.
Nous sommes défavorables à la proposition n° 6, le transfert des gares à la SNCF. Nous nous préparons activement depuis plusieurs années à l'arrivée de concurrents et d'un régulateur, y compris pour les gares, dont la comptabilité analytique sera complètement adaptée au monde concurrentiel d'ici au 1er janvier 2009. Dans un monde idéal, nous souhaiterions que ce régulateur ait peu ou prou les attributs du modèle le plus achevé, celui de la CRE – la commission de régulation de l'énergie –, qui ne possède aucune compétence de gestion mais s'exprime d'une voix indépendante sur des sujets structurants.
Nous sommes évidemment tout à fait favorables à la partie de la proposition n° 7 concernant la modernisation des systèmes d'aiguillage et des voies, à laquelle nous travaillons d'arrache-pied. Quant à la question des horairistes, elle est très complexe, le ferroviaire étant l'assemblage au quotidien de quarante-six prestations élémentaires pour amener un train d'un point A à un point B. M. Pierre Izard peut vous apporter des précisions à ce propos.
Il y a un an, RFF et la SNCF ont mandaté l'École polytechnique fédérale de Lausanne pour un audit sur les horaires des trains. L'ensemble des entreprises ferroviaires constatent en effet que le système ne fonctionne pas correctement, dans un contexte où les transporteurs nous demandent de plus en plus de sillons et où le nombre de chantiers s'accroît.
L'audit a mis en évidence, d'une part, des pratiques assez éloignées de celles des pays environnants, d'autre part, un continuum dans la construction des horaires, en fonction des besoins de déplacement exprimés au jour le jour. La complexité de l'élaboration des horaires nous met en garde contre l'élaboration de nouvelles frontières entre les acteurs mais nous entendons bien le risque – pointé par les nouvelles entreprises ferroviaires – que représenteraient des opérateurs juge et partie. Les 14 400 agents qui assurent la conception des horaires, la régulation du trafic et la gestion des postes d'aiguillage seront pourvus d'un management unique. Parallèlement, le régulateur veillera à l'indépendance véritable de cette entité.
Il me semble que ni RFF ni la SNCF n'ont répondu complètement à la question du transfert de l'ensemble de la fonction infrastructures. Il existe trois solutions : le statu quo ; le transfert de 55 000 agents, proposé par la Cour des comptes ; une position plus modérée, le transfert des seuls horairistes nationaux et régionaux. Si cet ensemble de 14 400 agents peut être numériquement isolé, pourquoi ne pourrait-il pas être placé sous l'autorité de RFF ?
Le Président Didier Migaud : Monsieur Descheemaeker, les réponses sont-elles à la hauteur des attentes de la Cour des comptes ?
Je conçois qu'il ne soit pas facile de répondre. Mais j'ai cru discerner, dans les observations de la SNCF, l'idée d'une entité regroupant un ensemble d'agents contribuant à la même tâche.
Je cite notre feuille de route, fixée par le Président de la République : « La modernisation du réseau ferroviaire français fait l'objet d'un plan ambitieux. Cette rénovation s'accompagnera d'une simplification des relations avec Réseau ferré de France. Une adéquation plus claire des moyens et des compétences devra être définie, dans une relation reposant sur la confiance. »
La concession d'exploitation du réseau qui nous lie à RFF pour quatre ans nous délègue la responsabilité de la conception du détail des horaires mais aussi de la régulation du trafic ainsi que de la conduite des postes d'aiguillage. L'audit montre, premièrement, qu'il existe une chaîne de responsabilité continue de 14 400 agents pour construire les horaires et les adapter au jour le jour, deuxièmement, que le découpage de processus aussi complexes présenterait des risques importants, surtout dans un contexte d'augmentation du nombre de sillons – qui a atteint 685 000 en 2007, soit un triplement par rapport à 2004.
Cette analyse comme l'exemple des autres pays européens nous conduisent à préconiser la création d'une entité regroupant ces 14 400 personnes, dirigée par un management, une chaîne de commandement unique. Elle assurerait l'égalité de traitement entre tous les opérateurs, sous le contrôle du futur régulateur.
Il est totalement inadmissible que, onze ans après la loi, la répartition des actifs ne soit toujours pas achevée. Le respect de la loi est essentiel mais il n'est pas inutile non plus d'appliquer les recommandations du Parlement. Avec Hervé Mariton, nous suivons cette affaire depuis quatre ans. L'achèvement de la répartition des actifs nous a d'abord été promis pour 2004, puis pour 2006.
Je ne comprends pas non plus qu'une filiale de RFF dédiée à l'immobilier ait été créée en loi de finances, alors que l'entreprise pourrait très bien réaliser elle-même ses actifs immobiliers. Pour moi, c'est un aveu d'échec.
La nouvelle étape de l'organisation du système ferroviaire doit consister à le doter d'outils performants. Le rattachement à RFF de l'ensemble de la gestion des infrastructures n'est pas stupide. Quant aux gares, leur situation serait effectivement clarifiée si elles étaient remises à RFF. Lors des auditions de la mission d'évaluation et de contrôle, nous avions été surpris d'apprendre que les bâtiments appartenaient à la SNCF mais les verrières à RFF, que les quais revenaient à la SNCF mais les souterrains à RFF ! La plaisanterie a assez duré. Il faut un exploitant unique pour assurer une gestion dynamique et plus rémunératrice de l'espace des gares.
Le découpage actuel entre les quais et les bâtiments n'a en effet aucun sens.
RFF n'a pas pris à bras-le-corps le dossier du basculement massif des infrastructures parce que nous sommes toujours animés par la recherche de l'équilibre économique. Quant à la rémunération de ces 55 000 cheminots, elle est déjà assurée par RFF, notre contrat de gestion avec la SNCF couvrant l'ensemble des charges de la branche infrastructures.
Nous sommes mal placés pour nous prononcer sur l'idée du partage péage-dividende suggérée par M. Mariton. Par instinct professionnel, nous estimons néanmoins que le bon moyen de rémunérer l'utilisation d'un réseau est de payer un péage. Après l'ouverture du réseau à la concurrence, nous voyons mal comment le dividende pourrait être réparti équitablement entre les entreprises. Enfin, je rappelle que les péages ne couvrent toujours pas le coût de fonctionnement du réseau : ce que nous payons à la SNCF en vertu de la convention de gestion, d'entretien et d'exploitation atteindra le montant des péages pour la première fois en 2008. Les péages devront obligatoirement couvrir une partie de la charge de renouvellement du réseau.
Enfin, l'ensemble de 55 000 cheminots englobe trois activités différentes qu'il convient de distinguer. Nous ne sommes pas sûrs que l'entretien serait mieux assuré si nous détenions la maîtrise directe de ces moyens ; la sous-traitance de cette activité semble préférable, dès lors qu'elle est opérée dans le cadre d'un vrai contrat industriel. Le sujet de l'exploitation, avec la partie circulation et la partie sillons, est plus délicat et doit encore faire l'objet de réflexions. Dans ce domaine, la sous-traitance est moins intéressante car elle ne revêt pas de caractère industriel. Nous souhaiterions par conséquent maîtriser les moyens, mais nous préconisons une démarche progressive – horairistes nationaux, horairistes régionaux puis gestion de la circulation – plutôt qu'un raisonnement du tout ou rien, qu'il serait difficile de mettre en application, du point de vue social comme du point commercial.
La proposition sur les dividendes est d'autant plus légitime que les hausses de péages devraient porter uniquement sur l'économie de la grande vitesse, secteur pour lequel nous raisonnons déjà à coûts complets. Les dividendes ne doivent pas être considérés comme une recette commerciale de RFF mais comme une contribution à l'effort public de stabilisation de sa structure financière. Nous sommes donc prêts à verser des dividendes, mais la décision incombe à l'État.
Par ailleurs, si les péages sur la grande vitesse augmentent trop, les nouveaux entrants risquent de contester en justice le barème français dès leur arrivée sur le marché – c'est exactement ce que nous faisons au Royaume-Uni pour l'Eurostar. La France doit saisir la dernière occasion de fixer le bon niveau de péage, sensé économiquement et défendable juridiquement.
En ce qui concerne les gares, nous avons bâti une comptabilité analytique qui résistera à la mise en concurrence. Les gares doivent être dirigées dans un esprit de valorisation. Leur gestion doit par conséquent être confiée à la structure qui a l'esprit commercial le plus développé, qui travaille au plus près du marché concurrentiel.
Le projet de loi « LME » de modernisation économique ne contient-il pas des dispositions à ce propos ?
Je l'ignore. Mais l'ambition de notre principal concurrent pour les dix ans à venir, Die Bahn, est assez impressionnante : devenir un gestionnaire de plateformes tous modes. Die Bahn a ainsi réfléchi à l'acquisition de l'aéroport historique de Berlin intra muros ou d'autres types de hub de transport. Je suis intimement convaincu que cet enjeu industriel deviendra stratégique, pour nos entreprises, dans les années 2010. Cela dit, le monde des gares a beau être extrêmement varié – certaines ressemblent à des aéroports, d'autres fonctionnent presque dans une logique de bureau de poste, d'autres encore sont de taille intermédiaire –, elles font partie du même réseau et il ne faut surtout pas créer de barrières administratives.
Je n'ai guère entendu parler de gains de productivité. Mais n'oublions pas que, derrière les enjeux financiers, il y a des questions sociales.
Le Président Didier Migaud : Des clarifications sont manifestement nécessaires ; l'audition du secrétaire d'État chargé des transports dans les prochaines semaines n'en sera que plus intéressante. Ensuite, il faudra avancer et faire en sorte, notamment, que l'État cesse de « tricher » !
Je vous remercie.