Consultez notre étude 2010 — 2011 sur les sanctions relatives à la présence des députés !

Séance en hémicycle du 8 février 2011 à 21h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • autrui
  • bioéthique
  • dignité
  • don
  • embryon
  • humain
  • procréation
  • science
  • éthique

La séance

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Balligand

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Balligand

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à la bioéthique (nos 2911, 3111).

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de huit heures vingt-quatre minutes pour le groupe UMP, onze heures treize minutes pour le groupe SRC, cinq heures huit minutes pour le groupe GDR, quatre heures dix-huit minutes pour le groupe Nouveau Centre et de cinquante minutes pour les députés non inscrits.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Balligand

J'ai reçu de M. Yves Cochet et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. François de Rugy.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État chargée de la santé, monsieur le rapporteur Jean Leonetti, mes chers collègues, nous abordons aujourd'hui un débat sur un sujet, sur des sujets en vérité, particulièrement importants et sensibles parce qu'ils touchent à l'essence même de la vie.

Si j'interviens en ce début de discussion pour soutenir une motion de renvoi en commission, c'est parce que les conditions du débat ne me paraissent pas satisfaisantes. Il y a plusieurs façons de l'aborder, et je constate malheureusement que deux procédés, différents en apparence, se conjuguent pourtant pour le neutraliser et, pour tout dire, l'évacuer.

Il y a l'attitude adoptée par le ministre des affaires sociales et de la santé, dont on a la plus parfaite illustration dans l'entretien qu'il a donné au journal Libération paru ce matin. Il évacue le débat en le déclarant quasiment nul et non avenu. Pour lui, il n'y a rien à changer et il lui suffit d'invoquer les « valeurs » – sans jamais dire lesquelles, d'ailleurs – pour clore le débat avant même qu'il commence dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale.

Ainsi, il affirme dans cet entretien : « Je sais bien que les structures familiales évoluent, mais je crois qu'il ne faut pas s'éloigner d'un certain nombre de valeurs. » Un peu plus loin, il dit encore : « Cette valeur de l'autonomie n'est pas mise de côté dans notre projet, mais il y a aussi les valeurs du vivre-ensemble », et poursuit : « Je suis persuadé que si nous n'avons pas de vrais garde-fous et de vraies valeurs, la confiance se délitera. Il faut défendre le vivre-ensemble ».

Avant d'asséner l'argument des valeurs et du vivre-ensemble, il serait quand même plus intéressant pour le débat de définir ces notions. Je le dis d'autant plus tranquillement mais non moins fermement qu'il n'y a rien de choquant à affirmer sinon des valeurs au moins des convictions et des choix de vie. S'abriter en revanche derrière l'affirmation des valeurs ou du vivre-ensemble sans les définir, c'est au mieux utiliser un argument d'autorité, au pire tenter de disqualifier les autres points de vue, comme s'ils ne s'appuyaient, eux, sur aucune valeur ou, pire, qu'ils voulaient détruire le vivre-ensemble, puisque c'est de cela qu'il s'agit. D'ailleurs, si la politique de ce gouvernement était d'abord et avant tout guidée par le souci du vivre-ensemble, on peut penser que le Président de la République s'abstiendrait d'enchaîner les déclarations à l'emporte-pièce, usant systématiquement de la technique du bouc émissaire – on vient encore d'en avoir un exemple lors d'une triste affaire judiciaire – et montant les Français les uns contre les autres. Très concrètement, il faudrait nous expliquer en quoi la recherche sur l'embryon ou la gestation pour autrui conduisent à déliter le vivre-ensemble…

Il y a une autre attitude que je voudrais dénoncer : celle qui consiste à disqualifier directement les positions ou les convictions que l'on ne partage pas. Ainsi, le 19 novembre 2009 se tenait ici même un débat sur la fin de vie et le droit à mourir dans la dignité, initié par le groupe socialiste, au travers d'une proposition de loi dont Manuel Valls était le rapporteur. Notre collègue de l'UMP Jean Leonetti est intervenu. Il a commencé par en appeler à un débat serein mais a malheureusement fini son intervention par des amalgames particulièrement éloignés du sujet et, pour tout dire, choquants. « Il y a une autre société, a-t-il dit, celle que nous appelons probablement tous de nos voeux, une société affirmant que la personne humaine ne se décline pas en fonction de sa force, que le nouveau-né, le mourant, le mendiant, l'homme mort dans les camps de concentration ne sont pas moins dignes que les autres. »

Pouvez-vous nous dire, monsieur le rapporteur, ce que la référence à l'homme mort dans les camps de concentration venait faire dans ce débat ? Quel était votre but sinon d'établir un amalgame insidieux entre euthanasie et extermination dans les camps de la mort ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Leonetti

de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique. Pas du tout !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Comment un responsable politique, aujourd'hui rapporteur du projet de loi sur la bioéthique, peut-il se laisser aller à de pareilles allusions et à des références historiques aussi hasardeuses ? Comment peut-on utiliser les pages les plus tragiques de notre histoire dans un débat parlementaire qui devrait, au contraire, requérir doigté, modération et sérénité ?

On pourrait penser, monsieur Leonetti, qu'à l'époque vous vous étiez emporté et que vous aviez, en quelque sorte, dérapé. Mais vous avez poursuivi, en affirmant cette fois : « La dignité est-elle une appréciation de soi ou une appréciation de la personne ? Pourquoi ces hommes et ces femmes, qui ont pu être torturés, connaître des situations atroces, n'ont-ils pas évoqué le suicide ? Cependant que nous, qui vivons dans une société d'opulence – au sein d'un monde où nombre de pays luttent pour la survie –, nous sommes en train de nous torturer pour savoir comment nous devons nous donner la mort. » Quel est, cette fois-ci, le but de l'évocation de la torture, qui fait référence à d'autres pages noires de notre histoire et à des pratiques policières ou militaires, qui – du moins je l'espère – sont condamnées sur tous les bancs de notre assemblée ? L'évocation de cette pratique inhumaine qu'est la torture est d'autant plus perverse et insidieuse qu'elle est double : après avoir parlé des personnes qui ont pu être torturées, vous évoquez le fait que « nous sommes en train de nous torturer pour savoir comment nous devons nous donner la mort ».

Le plus simple, pour lever définitivement toute ambiguïté et en finir avec ces amalgames, serait encore, monsieur Leonetti, que vous vous excusiez publiquement dans cet hémicycle où vous avez tenu ces propos il y a un peu plus d'un an.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Leonetti

M'excuser de quoi ? Ces propos, je vais vous les répéter et vous les expliquer !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Eh bien, répétez-les, monsieur Leonetti ! Ils seront de nouveau inscrits au compte rendu, et chacun pourra juger de la modération, du doigté et de la sérénité des uns et des autres.

Il y a une autre tentative de disqualification que je ne peux éviter d'évoquer. J'y suis d'autant plus sensible qu'elle vient, cette fois, d'une partie de la gauche. Une tribune contre la reconnaissance légale de la gestation pour autrui a été publiée en effet dans le journal Le Monde, aujourd'hui même. Elle s'intitule : « La gestation pour autrui : une extension du domaine de l'aliénation ! » Outre que je ne suis pas sûr que, sur ce sujet et vu les positionnement des signataires, l'utilisation détournée du titre d'un livre de Michel Houellebecq soit très appropriée, il y a ensuite un sous-titre : « Faire du corps une marchandise n'est ni de gauche ni féministe ». La conclusion est sans appel : « Nous appelons toutes celles et tous ceux qui sont attachés aux droits de la personne humaine à se prononcer pour le maintien de l'illégalité du marché des ventres en France […]. Tel devrait être, sur cette question, importante pour la dignité des femmes, l'engagement de tout candidat de gauche à l'élection présidentielle de 2012. »

Je vous le dis très tranquillement, très amicalement mais aussi très fermement, mes chers collègues : cette façon de faire n'est ni utile au débat sur la forme ni acceptable sur le fond.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Leonetti

En somme, n'a raison que celui qui a raison avec vous !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Est-ce à dire que, si l'on émet un avis même modéré, ouvert et absolument pas militant – ce qui est mon cas – concernant la gestation pour autrui, on est immédiatement catalogué parmi celles et ceux qui ne sont pas attachés aux droits de la personne humaine ? Est-ce à dire que l'on est antiféministe et que l'on ne peut plus se prétendre de gauche ? Est-ce à dire qu'un candidat ou une candidate à l'élection présidentielle qui ne partagerait pas ce point de vue serait automatiquement disqualifié aux yeux des signataires de ce texte ?

Outre que ce « terrorisme intellectuel » est toujours pénible, je crois profondément que nous n'avancerons jamais dans ces débats si nous commençons par nous disqualifier mutuellement. Je plaide pour ma part pour un débat apaisé, où les convictions de chacun et de chacune soient respectées. Que chacun réfléchisse, agisse et, au final, vote selon sa conscience, sa vision philosophique ou même ses convictions religieuses, cela est à mes yeux tout à fait normal. Je le dis d'autant plus tranquillement que je ne suis ni croyant ni pratiquant d'aucune religion. Je reconnais l'engagement de chacun et la valeur des convictions. Je ne crois pas que ce soit une question de gauche ou de droite.

On pourrait affirmer, comme l'a illustré Olivier Jardé en répondant à Noël Mamère, que s'affrontent une vision libérale et une vision conservatrice. Je ne le crois pas non plus. On voit bien d'ailleurs que, d'un sujet l'autre, ce ne sont pas toujours les mêmes clivages qui ressortent. Des personnes favorables à l'avortement peuvent ainsi être opposées à la gestation pour autrui.

Je défends donc l'idée selon laquelle le double préalable à ce débat est que l'on ne s'enferme ni dans la neutralisation faussement unanimiste, comme l'a fait le ministre de la santé, ni dans la diabolisation des positions adverses, à laquelle s'est livré M. Leonetti lors du débat sur la fin de vie. Soyons tout simplement à l'image des Français, qui débattent de ces questions, recherchent souvent des solutions en tâtonnant, sans se barder de certitudes.

Puisqu'il sera souvent question de dignité de la personne dans nos discussions, défendons par notre attitude la dignité du Parlement. N'oublions pas que l'essentiel de ce débat est de savoir quels espaces nouveaux de liberté et de choix on ouvre pour les Français. Il ne s'agit pas d'imposer à tout le monde une position, il s'agit d'ouvrir la possibilité d'un choix.

Deuxième point : il ne faut pas – une fois de plus – repousser à plus tard la nécessité d'avancer sur ces questions, d'autant que, nous le savons, nous le ferons sans doute par étapes successives. M. le ministre Xavier Bertrand a cru bon de dire qu'il ne fallait pas faire une révolution. Personne, en la matière, ne l'a suggéré. Ce progrès par étapes était d'ailleurs le principe des lois de bioéthique. Il était prévu de réexaminer ces questions à intervalles réguliers – tous les cinq ans, en l'occurrence.

Le gouvernement et la majorité actuels semblent rompre avec cette ligne de conduite et vouloir toujours repousser à plus tard les débats et les décisions. Ainsi, sur la question récurrente de la fin de vie, le Premier ministre a lui-même pris sa plume pour rédiger une tribune publiée dans le journal Le Monde au mois de janvier dernier.

Il y reconnaît que « sur un sujet qui touche au sens profond que nous donnons au désir de vivre ou à la volonté de mourir, il n'y a pas de débat interdit, au contraire, car le débat sur la fin de vie est un débat de nature politique, au sens le plus noble du terme. »

Il ajoute et je ne peux que souscrire à ces propos : « Il ne s'agit pas de s'envoyer des anathèmes ou de se crisper sur des positions ou des tabous, de part et d'autre. Nous devons dialoguer en confiance et entendre, avec respect, les arguments de chacun. » Mais c'est pour conclure étrangement : « Il y a une méthode à proscrire, c'est celle de la précipitation. »

Il tente un peu plus loin de justifier en ces termes le refus d'agir : « Plutôt que de légiférer dans la précipitation, plutôt que de trancher sans prudence et sans recul une question fondamentale, nous devons poursuivre le renforcement de la culture palliative en France, mettre en oeuvre scrupuleusement le programme de développement des soins palliatifs et approfondir le débat sur la prise en charge de la fin de vie. »

Autrement dit, alors qu'il affirme par ailleurs dans ce texte son hostilité à titre personnel à la légalisation d'une aide active à mourir, il enterre la question dans les profondeurs d'un débat sans fin.

La prudence – et le recul – dont il propose de faire preuve, nous la voyons à l'oeuvre aujourd'hui. Refuser le débat est indissociable du refus de toute avancée législative. Il faut en effet préciser que cette tribune a été publiée quelques jours après le vote en commission au Sénat d'une proposition de loi sur la fin de vie. Elle était pourtant issue de plusieurs textes émanant de sénateurs et de sénatrices de plusieurs sensibilités de la majorité et de l'opposition. Pour ma part, je trouve le travail de cette commission exemplaire. La prise de position du Premier ministre a malheureusement eu pour conséquence immédiate le sabordage de cette proposition de loi en séance publique et le débat s'en trouve de nouveau enterré, sans aucun doute jusqu'aux prochaines élections présidentielle et législatives de 2012.

Debut de section - PermalienPhoto de Paul Jeanneteau

Bref, le Premier ministre n'a pas le droit de s'exprimer !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Je crois pourtant utile de préciser que l'on ne peut pas attendre un hypothétique et illusoire consensus sur tous ces sujets de bioéthique. Rappelons que les débats sur l'avortement, la pilule, la peine de mort ou plus récemment le PACS, n'ont jamais été consensuels. Ils ont même malheureusement souvent donné lieu à un déchaînement de passions et, disons-le, de violence, ici-même à l'Assemblée.

Ces lois ne sont devenues consensuelles qu'après leur adoption. Même s'il reste parfois des minorités actives qui prônent leur abrogation, elles ne sont remises en cause globalement par aucune majorité, ni à gauche ni à droite, pour une raison simple : nos concitoyens, qui sont nos électeurs, ne le souhaitent pas.

Ne recherchons pas non plus une cohérence idéologique sur ces sujets. Des défenseurs de I'avortement peuvent être opposés à la gestation pour autrui. Des opposants à la gestation pour autrui peuvent être des défenseurs de l'euthanasie.

Pourquoi s'enfermer sur ces sujets dans des positions de parti alors que chaque individu – les parlementaires n'y échappent pas – est renvoyé à sa conception de la vie et de la mort ? Elle est de l'ordre de l'intime et influencée par des idées philosophiques ou des croyances religieuses. Ce n'est pas là un problème. C'est le reflet des expériences de vie de chacun.

Le Premier ministre le reconnaissait lui-même dans la tribune que je citais tout à l'heure. Étrangement, il commençait ainsi : « Je n'ai jamais été confronté personnellement à l'épreuve terrible de devoir accompagner la fin de vie d'un être aimé, réduit à une souffrance insupportable et dont le diagnostic médical est sans appel. » Cette phrase explique peut-être tout le reste de son texte.

A contrario, Roselyne Bachelot avait eu le courage de braver la position officielle de son parti en soutenant l'adoption du PACS, proposé par la majorité de gauche plurielle sous le gouvernement de Lionel Jospin. Elle n'avait pas caché que cette conviction avait été forgée par les rencontres et les discussions qu'elle avait eues auparavant avec des couples homosexuels. De la même manière, lorsqu'elle était ministre de la santé, il y a encore quelques mois, elle avait introduit dans le projet de loi dont nous débattons la levée de l'anonymat des donneurs de sperme et des donneuses d'ovocytes. C'est une femme qui a été sensible à notre demande, explique dans le journal Libération une militante qui oeuvre pour l'accès de l'enfant issu d'un don à ses origines personnelles.

Dans un autre registre, beaucoup de membres des professions médicales ont du mal à envisager l'euthanasie qu'ils perçoivent comme contraire à leur mission qui est exclusivement de soigner. Cela peut se comprendre et il n'est pas choquant que cela soit dit. Ce serait même plus sain que ce le soit ouvertement, notamment par vous, monsieur Leonetti.

Ce qui importe, pour que notre démocratie parlementaire fonctionne, c'est que tous les points de vue, renvoyant à différentes expériences de vie, soient représentés dans les débats. Nous honorerions notre mandat parlementaire et le Parlement lui-même, en prenant chacune et chacun nos responsabilités plutôt qu'en nous en remettant a une position de parti ou de groupe. C'est l'honneur, l'utilité même, de la démocratie parlementaire que de s'atteler à ces débats et d'avancer en tranchant sur ces questions. Un Parlement qui évacue systématiquement certains débats et qui s'évertue à ne pas trancher, à ne pas avancer, est un Parlement qui finit par faire douter de son utilité.

Le Parlement, plus que toute autre institution politique, est le lieu adapté pour mener ces débats et les faire avancer en prenant des décisions. Certains commentateurs ont pu dire que ces sujets étaient des sujets de campagne présidentielle. Non, je crois exactement l'inverse. Lors de la dernière élection présidentielle par exemple, les deux candidats du deuxième tour se déclaraient opposés à l'euthanasie. Cela n'enlevait rien aux qualités de ces deux candidats pour porter deux visions de l'avenir de la France. Mais au nom de quoi un président ou une présidente pourrait-il, sur la base d'une position personnelle, bloquer tout débat et toute avancée sur des sujets comme ceux-là ?

Ce serait s'enfermer dans un présidentialisme totalement décalé par rapport aux attentes des Français. L'expérience passée montre d'ailleurs qu'une élection présidentielle ne s'est jamais jouée sur des sujets de ce type, heureusement.

Charles de Gaulle n'avait pas fait de la légalisation de la pilule un thème de campagne pour son élection en 1965. C'est pourtant sous son mandat qu'a été votée la loi Neuwirth légalisant l'utilisation de la pilule.

Valéry Giscard d'Estaing n'avait pas fait du droit à l'avortement un engagement phare de sa campagne de 1974. C'est sous son mandat qu'a été votée la loi Veil légalisant l'avortement, grâce d'ailleurs à l'appui des députés de gauche de l'époque, qui fort heureusement, sous l'impulsion de François Mitterrand, n'ont pas eu un réflexe pavlovien d'opposants.

François Mitterrand n'avait pas fait non plus de la peine de mort le sujet d'affrontement principal de l'élection de 1981. Si l'élection s'était jouée là-dessus, il n'aurait d'ailleurs sans doute pas été élu. C'est cependant sous son mandat que la loi Badinter a été votée avec l'appui de parlementaires de droite comme Philippe Séguin ou Jacques Chirac. Le débat était pourtant on ne peut plus vif. Mais c'est tout à l'honneur de ces élus d'avoir su dépasser les clivages partisans pour voter en conscience et faire faire à la France un grand pas en avant dans le sens des droits de la personne humaine.

À chaque fois, les débats au Parlement, pourtant très virulents, parfois même violents – Simone Veil s'en souvient très bien –, ont montré que les clivages de partis ou de groupes étaient dépassés.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Malherbe

Comme vous l'avez fait sur la réforme des retraites !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Ne faisons pas de ces sujets des sujets d'affrontement entre droite et gauche, ni même entre partis. Toutes les positions existent à droite comme à gauche et au sein même des partis. Chez les écologistes, nous connaissons aussi cette diversité et c'est très bien ainsi. Même la commission nationale consultative des droits de l'homme avoue, dans l'avis qu'elle nous a transmis tout récemment, qu'elle était divisée sur ce projet de loi.

Les Français nous demandent de mener ces débats et de faire évoluer la législation en vigueur. La France étouffe de ne pas savoir mener ces débats au Parlement. Monsieur le rapporteur Leonetti, dans le débat du 19 novembre dernier sur la fin de vie, vous disiez : « Nous sommes face à deux projets de société. L'un relève d'une « société des individus » qui ont pour devise : « c'est mon choix ».

Oui en effet, ce que demandent les Français, ce n'est pas que nous nous transformions en guides spirituels. Ils ne souhaitent pas que nous édictions un modèle unique de vie allant de la naissance à la mort. Ils aspirent à une liberté de choix, une liberté de disposer de leur corps, qu'il s'agisse de donner la vie ou de choisir sa fin de vie. Les Français savent bien qu'ouvrir des possibilités n'a jamais obligé personne à les utiliser. Permettre le diagnostic prénatal n'oblige personne à procéder à une interruption médicalisée de grossesse. Avoir autorisé le PACS n'a empêché aucun couple hétérosexuel de se marier. Permettre l'euthanasie n'empêchera personne de préférer les soins palliatifs ou même la poursuite acharnée des soins.

En lisant les récits d'expériences, aujourd'hui semi-clandestines, de gestation pour autrui, je suis frappé par le fait que les parents qui y ont recouru ne se plaçaient pas du tout sur le terrain de l'acte militant, encore moins sur celui de la provocation. En réalité, ils font preuve d'une grande humilité et de discrétion – ils refusent d'ailleurs souvent de témoigner à visage découvert. Ils ne sont pas dans un débat idéologique. Ils aspirent seulement à un bonheur simple et privé : celui d'avoir un enfant par filiation directe, alors que leur corps ne le permet pas toujours.

De quoi avons-nous peur ? Du choix des Français ? Dans le débat sur 1'identité nationale, j'avais dit que, pour moi, le peuple français est un peuple sage. Il ne s'était pas alors laissé entraîner sur le terrain où vous vouliez l'emmener. Je le redis ici, sur ce sujet : je fais partie de ceux qui font confiance aux Français. À partir du moment où des progrès scientifiques ou des évolutions des mentalités permettent d'ouvrir de nouveaux choix, chacun jugera en conscience s'il ou elle voudra les utiliser.

Qu'il s'agisse de sujets aussi divers que la gestation pour autrui, la connaissance des origines, la recherche sur les embryons ou la fin de vie, on ne peut pas continuer à dire que la législation actuelle suffit.

Sur la fin de vie par exemple, la loi dite loi Leonetti n'a été qu'un tout petit pas en avant. En l'état, elle ne règle rien et il ne suffira pas de la faire mieux connaître pour que les problèmes soulevés soient réglés. Elle peut même conduire, reconnaissons-le, à des situations dramatiques, par exemple à ce que physiologiquement, des personnes en soient réduites à attendre, faute d'alimentation ou de perfusion, de mourir en quelque sorte de faim et de soif. En effet, il ne suffit pas de ne plus administrer de traitement médical pour mourir, l'affaire Humbert et le cas de Chantal Sébire l'ont montré. À chaque fois, on a ajouté pour les proches, à la douleur de la mort, la souffrance d'une procédure judiciaire – procédure inutile puisque, en général, elle se termine par un non-lieu.

Arrêtons de nous défausser sur les tribunaux. Par une récente décision sur le sujet du mariage homosexuel, le Conseil constitutionnel invite d'ailleurs les législateurs à prendre leurs responsabilités.

C'est le cas dans le cinquième point de sa décision, ainsi rédigé : « Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant « l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités » ; qu'il est à tout moment loisible au législateur statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel. »

Le septième point va dans le même sens : « Considérant, en second lieu, que la liberté du mariage ne restreint pas la compétence que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution pour fixer les conditions du mariage dès lors que, dans l'exercice de cette compétence, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel. »

Quoi qu'on pense des arguments de fond du Conseil constitutionnel, je considère pour ma part qu'il a fait oeuvre utile en remettant le Parlement devant ses responsabilités.

De la même manière, la cour d'appel de Paris par une décision de mars 2010, sur le lien de filiation avec un couple français de deux jumelles nées d'une mère porteuse américaine, avait invité le législateur à faire son travail en considérant que malgré cette reconnaissance, qu'il avait lui-même actée, il n'était pas possible – sans une modification de la loi – de rétablir la transcription à l'état civil de leur acte de naissance.

On pourrait encore argumenter longuement. Au-delà du renvoi en commission, j'ai surtout voulu plaider pour que nous ayons un débat apaisé, pour que chaque parlementaire prenne ses responsabilités sans se trouver enfermé dans des positions de groupe ou de parti et pour que l'Assemblée nationale n'évacue aucun débat et vote enfin les avancées législatives tant attendues. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Balligand

La parole est à M. Jean Leonetti, rapporteur de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Leonetti

J'ai écouté avec beaucoup d'attention les citations, qu'en aucun cas il ne faut renier, rappelées par notre collègue de Rugy. Je veux simplement souligner qu'il y a deux conceptions possibles de la dignité, qui sont tout aussi estimables l'une que l'autre, mais qui sont divergentes. L'une consiste à dire que la dignité, c'est l'estime de soi. L'autre conception est celle qui considère que la dignité est inhérente à l'humanité, et ne peut être altérée en aucune façon. C'est ce que j'ai voulu dire en expliquant que le mot de « dignité » ne peut être confisqué par aucune association. Et dans le même souci d'apaisement que vous, je disais simplement que la dignité mérite d'être définie avant d'être traduite dans un texte de loi.

En ce qui concerne l'euthanasie, vous me permettrez de ne pas intervenir, puisque ce n'est pas le sujet ici. Mais je suis prêt à en débattre avec vous. Je rappelle que, même si c'est une petite avancée, des dispositions ont été votées à l'unanimité, après des travaux qui ont duré un an, et après 150 auditions. Peut-être que l'apaisement, c'est aussi d'écouter les autres, et je vous invite à le faire. Peut-être que si les sénateurs avaient procédé à 150 auditions au lieu de quatre, ils auraient présenté un texte qui serait apparu comme un texte de doute, de recherche. Je suis, avec Gaëtan Gorce, de ceux qui ont cherché, dans l'exception d'euthanasie, qui avait été évoquée par le CCNE, une issue qui n'est pas une solution, il faut bien le reconnaître, mais qui est une réflexion. Il n'y a pas de loi définitivement gravée dans le marbre. Il y a des lois qui sont appliquées à un moment de la République, mais qui traduisent aussi une volonté populaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Leonetti

Je suis très heureux que vous écoutiez aussi la volonté populaire, puisque, même si je n'ai pas totalement suivi ce que disait notre collègue Noël Mamère, c'est à lui que je dois l'idée des jurés citoyens et des conférences citoyennes. C'est quelque chose que vous verrez dans le texte, et qui me semble indispensable quand on a un débat du type de celui que nous avons aujourd'hui. Il n'est pas normal que seuls les points de vue de quelques députés soient pris en compte, des députés que l'on qualifie parfois de « spécialistes de la question », comme si l'on devait être « spécialiste » de l'éthique, ou « spécialiste » de la fin de vie, ou « spécialiste » de la morale. Je pense que ces sujets concernent tous les Français. Nous vous proposerons, et j'espère que vous adhérerez à cette proposition, que chaque fois que l'on évoque un problème de société ou un problème éthique, on soit contraint à ce débat citoyen, avec des jurés citoyens tirés au sort, qui, à mon sens, reflètent mieux l'opinion publique que telle ou telle association, que tel ou tel parti. Cela est aussi préférable au sondage d'opinion, lequel n'entraîne pas une réflexion. L'opinion, disait Bachelard, n'est pas une pensée. Et l'on voit bien la différence qu'il peut y avoir entre une réflexion de citoyens, étalée dans le temps, et une réaction à une question du type : « êtes-vous pour ou contre ? », qui n'est jamais la bonne façon d'aborder des sujets complexes.

Enfin, vous constaterez, avec plaisir ou déplaisir, que l'UMP n'a pas une totale unanimité sur l'ensemble des sujets que nous allons aborder. Vous pourrez constater nos divergences, peut-être notre diversité, qui fait aussi notre richesse, et qui en tout cas reflète le respect des convictions de chacun. Il n'y a pas eu de réunion de l'UMP définissant les positions que l'on « devait » prendre, sur un point ou sur un autre, l'UMP considérant, en tant que formation politique, qu'elle devait laisser chacun libre de son appréciation en fonction de ses convictions.

Par conséquent, je vous rassure, je suis comme vous favorable à un débat apaisé. J'ai cru comprendre, cependant, que pour vous, le débat ne pouvait être apaisé que si l'on rejoignait vos positions.

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

Ce n'est pas vrai, monsieur le rapporteur ! C'est dommage, vous étiez très bon jusqu'ici.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Leonetti

J'ai, pour ma part, une position un peu différente. Si quelques-uns d'entre nous ont fait des voyages pour aller explorer d'autres situations, d'autres propositions, et si nous en sommes revenus avec d'autres positions – comme Noël Mamère l'a très honnêtement dit tout à l'heure –, c'est peut-être parce que l'autre nous influence. Cela prouve également que quand on l'écoute, l'autre nous enrichit de la différence d'opinion qu'il apporte. Cela peut aussi nous faire changer d'avis. Et je pense que dans cet hémicycle aussi, on peut encore changer d'avis. C'est justement ce qui fait la valeur d'une démocratie vivante, apaisée, respectueuse de l'autre.

Une démocratie apaisée et moderne, ce n'est pas une démocratie où tout le monde pense la même chose. C'est une démocratie où, au contraire, chacun affirme ses convictions, se confronte à celles des autres, et prend une décision à un moment donné. Je pense que c'est la démarche qui sera suivie dans cet hémicycle. En tout cas, je suis sûr que vous y participerez de manière active, dans l'état d'esprit que vous avez décrit, monsieur de Rugy.

Vous comprenez bien que, étant totalement d'accord avec les principes que vous avez énoncés, et dénonçant par ailleurs ce que vous avez vous-même reproché à l'UMP, je ne peux pas accéder à votre demande de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Balligand

La parole est à M. Alain Claeys, président de la commission spéciale.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Claeys

Je me félicite que tout le monde soit apaisé à vingt-deux heures, ce soir. (Sourires.)

Le débat citoyen est important. Ce qui s'est passé autour des lois bioéthiques est important, même s'il ne faut pas en exagérer l'impact. Mais je ne voudrais pas qu'à travers tout cela, la démocratie représentative, dont c'est le travail, ne joue pas pleinement son rôle.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Claeys

Je voudrais y insister, en tant que président de la commission spéciale : c'est le rôle du Parlement – et un rôle essentiel – que de trancher un certain nombre de questions. Et cela ne me choque pas du tout que, au-delà des démarches individuelles, chaque groupe ait sa propre réflexion. L'UMP a eu sa réflexion, le groupe socialiste a eu la sienne, chacun d'entre nous a eu la sienne.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Claeys

Bien sûr.

Mais il faut, à un moment ou à un autre, être totalement dans la clarté. Les lois bioéthiques, ce n'est pas une série de positionnements en fonction de l'actualité. Ce sont des sujets sérieux, sur lesquels il faut trancher. Et je crois que nous sommes en mesure, les uns et les autres, de le faire dans cet hémicycle.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Balligand

La parole est à Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée de la santé.

Debut de section - PermalienNora Berra, secrétaire d'état chargée de la santé

Monsieur le député de Rugy, vous avez raison de dire que la loi bioéthique ne relève pas d'une question partisane, pas plus qu'elle n'appartient au Gouvernement. Ce projet de loi doit être débattu, en effet, dans le respect des positions des uns et des autres, comme vient de le dire le président de la commission spéciale.

Il n'est pas utile de caricaturer les différentes positions. Vous avez évoqué les valeurs du vivre-ensemble. Elles renvoient bien sûr à nos valeurs fondamentales : principe d'indisponibilité, principe de non-marchandisation, et évidemment, principe du respect de la dignité humaine. Si la bioéthique est toujours une affaire d'équilibre et de conciliation entre ces principes et valeurs, les deux principes d'indisponibilité et de non-marchandisation ne sont pas négociables. C'est bien la dignité humaine qui est à leur base. À ce titre, la gestation pour autrui ne nous paraît pas quelque chose de négociable.

J'ai eu l'occasion de le dire, et je le répète, je n'accepte pas que le moins-disant éthique, les pratiques tolérées dans d'autres États, s'imposent dans notre pays, au mépris même de nos principes.

Vous avez souhaité une évolution progressive des concepts, avec une révision régulière de la loi. Sur ce point, nous sommes d'accord, puisque nous pensons, précisément, qu'il est important de susciter des débats réguliers. Mais ils seront plus ciblés s'ils répondent à des besoins qui pourraient être exprimés par les parlementaires, par exemple à l'occasion des rapports annuels de l'Agence de biomédecine et du Comité national d'éthique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Balligand

Nous en venons aux explications de vote sur la motion de rejet préalable.

La parole est à M. Olivier Jardé, pour le groupe Nouveau Centre.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jardé

C'est vrai qu'en 2004, nous avions voté la création du Comité consultatif d'éthique, l'interdiction avec dérogation possible – pour une durée de cinq ans, je le rappelle – de la procréation médicalement assistée, et l'absence de clonage reproductif.

Nous devions cette année, eu égard aux avancées de la science, et surtout de la science médicale, dresser un état des lieux des connaissances, et nous poser la question d'une éventuelle évolution. Rappelons-le, la gestation pour autrui – ce qu'on appelle les mères porteuses – était quelque chose de totalement inconnu il y a dix ans. Ce questionnement, cette remise en cause, est donc tout à fait bénéfique.

À titre personnel, j'ai été parfaitement informé en ce qui concerne l'anonymat du don de gamète, de même que sur la procréation médicalement assistée, qui doit être considérée soit comme un traitement médical, soit comme le traitement d'une stérilité sociétale. Je l'ai aussi été sur la problématique de la gestation pour autrui, ainsi que sur les greffes. Celles-ci se multiplient, réussissent de mieux en mieux, et permettent des survies prolongées et de bonne qualité.

Se posait aussi la question de la recherche sur l'embryon : les progrès actuels de la science sont-ils tels que l'on peut abandonner cette expérimentation sur l'embryon ? La réponse est non, dans l'état actuel de nos connaissances.

J'estime, donc, avoir été informé par tout ce travail qui a été effectué en commission, et auquel j'ai largement participé. Par conséquent, je voterai contre le renvoi en commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Mariton

Nous proposerons le rejet de cette motion. Mais je pense que notre collègue de Rugy a très bien introduit le sujet. Au fond, comme il l'a dit très justement, notre débat relève de l'intime. Mais il ne relève pas de l'individuel pour autant. Les sujets qui sont abordés dans le projet de loi, comme ceux, monsieur de Rugy, que vous avez ajoutés, légitimement, à la discussion, sont des questions de société qui ne nous regardent pas individuellement. Elles constituent une dimension importante de la vie de notre société. Et justement, une société – c'est en tout cas notre conviction – n'est pas faite exclusivement d'individus. Il ne suffit pas d'ajouter des individus pour faire une société.

Pour nous, il est aussi important de rappeler que si l'engagement des personnes est nécessaire pour faire cette société, ces personnes ne sont pas constituées uniquement de cellules. L'individu n'a pas une créance dans la société, la personne se définit en relation aux autres, et elle est davantage qu'un ensemble de cellules sur lequel la recherche peut et doit porter, naturellement, mais dans un domaine où elle a une dimension particulière.

Vous avez interpellé le ministre sur la notion de valeurs. Au Gouvernement comme au groupe UMP, nous voulons répondre à ces enjeux en parlant de valeurs. L'exercice est toujours difficile. Et vous nous posez à juste titre la question : quelles valeurs ? La valeur qui s'exprime dans un débat sur l'éthique de la vie, sur la bioéthique, je la définirais volontiers comme une valeur de transmission : transmission de liberté et de responsabilité. Oui, la science est libre, et nous devons être libres devant la science, qui s'applique ici à un domaine très particulier, chacun le mesure. Dans ce domaine, nous avons parfois le droit de dire qu'il convient de faire. Mais je crois que nous avons aussi le droit, et le devoir, dans certains cas, de ne pas faire. Ce sont un certain nombre de bornes que, heureusement, les précédentes lois de bioéthique ainsi que celle-ci proposent de marquer.

Nous le faisons en liberté et en responsabilité, parce que, en tant qu'hommes, nous voulons écrire l'avenir, un avenir qui n'est pas établi d'avance, et où notre position, différente de celle que vous avez exprimée il y a un instant, est que tout possible n'est pas nécessairement une avancée.

Alors, s'il vous plaît, ne caricaturez pas nos choix en en faisant l'expression d'une volonté de statu quo. Pas plus que d'autres, nous ne sommes partisans du statu quo. Personne ne dit que la situation à un moment donné est la situation idéale. Tout doit être évalué. Beaucoup de choses peuvent être mises en cause. Et les choix qui sont devant nous ont été mûris à l'occasion de longs travaux, qui ont évalué l'opportunité de choisir telle ou telle direction, de confirmer, d'infirmer, de modifier, d'améliorer.

Cela ne ressemble en rien au statu quo. C'est simplement la préparation d'une décision responsable et mature.

Notre choix n'est pas celui du statu quo, ni celui d'un guide spirituel – je crois que c'est le terme que vous avez utilisé –, c'est simplement l'exercice de notre mission de législateur. Oui, nous sommes législateurs, et nous pensons avoir, en responsabilité, sur un sujet comme celui qui nous rassemble ce soir, une certaine vision de la société. Les lois de bioéthique ne règlent pas tout, mais nous devons assumer notre responsabilité. Nous n'avons pas le droit d'être absents sur ce sujet.

C'est en effet un sujet qui mobilise une vision. Pour la vie d'abord, parce qu'il est vrai que lorsqu'on légifère sur le diagnostic prénatal, la question de la vie est immédiatement posée. Nous avons vu, notamment dans les moments les plus difficiles des travaux de la commission spéciale, lors de l'intervention il y a quelques semaines de notre collègue Dussopt, ou lors de l'intervention d'un autre de nos collègues aujourd'hui même, que l'approche de certains de ceux qui sont ici va très rapidement et presque automatiquement du diagnostic à l'avortement.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Mariton

Relisez les comptes rendus disponibles de la commission spéciale, et prenez connaissance du compte rendu qui sera fait de la réunion qui s'est tenue aujourd'hui à 14 heures, au cours de laquelle notre collègue Touraine a exprimé un point de vue qui, envisageant l'automaticité du diagnostic prénatal…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Touraine

Vous ne m'avez pas compris, c'est le contraire ! Il faut que vous écoutiez un peu plus au lieu de parler sans cesse.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Blisko

Cela fait quarante ans que vous attendez ce moment !

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Mariton

Clairement, dans ce débat, chacun ne donne pas les mêmes conséquences au diagnostic prénatal.

Cela a été rappelé par M. de Rugy, et le rapporteur s'est également exprimé : ce n'est pas un débat opposant parfaitement UMP et opposition, mais sur un sujet comme celui de l'euthanasie, il y a globalement des positions différentes.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Mariton

Je ne me permettais pas de parler en votre nom, cher collègue.

Il y a au fond, dans la vision de M. de Rugy et d'un certain nombre de ses collègues, l'idée du droit à l'enfant.

Je crois que la plupart d'entre nous, à l'UMP, ne partage pas cette vision du droit à l'enfant, dans laquelle, simplement parce que la science le permet, toute organisation humaine, d'une personne, de deux personnes, de trois ou quatre personnes, peuvent et doivent avoir un enfant.

À l'étranger, récemment, après le décès de leur enfant, les parents d'un jeune adulte ont demandé un prélèvement de sperme, qu'ils ont obtenu après que les prélèvements d'organes aient été faits au bénéfice d'autres personnes. Ils demandent aujourd'hui à la justice qu'un enfant puisse naître du prélèvement de sperme fait sur leur fils décédé. Cela s'appelle le droit au petit-enfant.

J'attire votre attention sur ce point, dès lors que l'on sort d'un cadre historique et simple, où s'arrête-t-on ? Le droit à l'enfant, le droit au petit-enfant : quelle société construirions-nous ?

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Mariton

Oui, nous croyons à l'UMP qu'il est important de construire une société durable, où l'histoire de notre société et l'évolution anthropologique ont leur place, où la simplicité des structures est importante. Oui, la plupart d'entre nous pense que l'enfant est légitimement l'enfant d'un père et d'une mère dans la combinaison du choix biologique et du choix social. Les deux se rencontrent.

Parfois, la biologie ne suffit pas, et elle est aidée par la médecine et par la science, tant mieux. Parfois, l'adoption apporte aussi, et il est bien ainsi.

Enfin, M. de Rugy a voulu montrer qu'il pourrait y avoir des lignes fortement croisées, et que ceux qui sont pour une cause ne sont pas forcément pour une autre. Je veux bien le reconnaître. Une simple observation : l'homoparentalité masculine, avec toute la légitimité des choix conjugaux de chacun, passe nécessairement par le portage de l'enfant par une femme. Et alors, nous sommes clairement dans une configuration de gestation pour autrui. Il n'y a pas de différence fondamentale entre l'homoparentalité masculine et la gestation pour autrui, sauf à considérer que la femme qui porte l'enfant fait partie du projet familial, ce qui est loisible. Nous sommes alors dans une famille à trois. Pourquoi pas, mais est-ce la société que nous voulons construire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Mariton

M. de Rugy a critiqué l'évocation, par un certain nombre de personnalités de gauche, de L'extension du domaine de la lutte de Michel Houellebecq, dans la tribune publiée dans le journal Le Monde. Je trouve pour ma part que cette référence est excellente, car Houellebecq y décrit l'extension de l'échange marchand à la vie personnelle, sexuelle. Or je ne crois pas que ce soit notre choix.

Oui, nous affirmons des valeurs, oui, nous affirmons des convictions qu'il faut confronter aux progrès de la science et à l'évolution du monde.

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Ce n'est plus une explication de vote, c'est une véritable intervention.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Balligand

Mes chers collègues, nous sommes dans le cadre du temps programmé, par conséquent, je n'ai pas le droit d'interrompre les explications de vote.

Monsieur Mariton, si nous voulons avoir un certain ordonnancement, nous devons cependant nous autodiscipliner. Les explications de vote peuvent ainsi être relativement courtes puisque des heures et des heures de discussion sont prévues pour chacun des groupes. Si nous laissons dériver le débat, certains qui pensaient parler ce soir, quel que soit leur groupe, ne pourront pas le faire. Je vous laisse poursuivre, mais essayez de limiter votre temps de parole.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Mariton

Je conclus, monsieur le président.

Sur ce texte, chacun s'exprime en conscience et en conviction, et en effet, il peut y avoir un certain nombre de croisements. Cela étant, les travaux de la commission spéciale, et le débat public qui a eu lieu sur ce sujet ces dernières semaines, montrent qu'il y a en réalité dans la société française un vrai clivage. L'UMP, notre groupe, par ce qu'il porte de compréhension de la vie, de mobilisation de la science pour un projet de société dans lequel la vie est, non pas le choix d'un individu, mais quelque chose qui construit notre société, porte un clivage par lequel les Français peuvent voir d'un côté une vision individualiste, matérialiste, de l'autre une vision qui donne à l'individu une force supplémentaire et qui essaie de construire une société plus durable. Ce texte sur la bioéthique sera l'occasion de le dire, et c'est pour cela qu'il faut rejeter la motion de M. de Rugy. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Vuilque

Tout d'abord, puisque M. Mariton l'a évoqué, nous trouvons proprement scandaleuse l'utilisation qui a été faite des propos de notre camarade Dussopt en quatrième de couverture du Figaro ce matin par un certain nombre d'associations. C'est un détournement de propos scandaleux. Ceux qui l'ont fait n'en sortent pas grandis. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

J'en viens à l'explication de vote. Le groupe socialiste va s'abstenir sur cette demande de renvoi en commission. Nous ne sommes pas très satisfaits non plus de ce texte. Comme vous avez pu vous en rendre compte, ce n'est pas un texte révolutionnaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Vuilque

Simplement, M. de Rugy a évoqué un certain nombre de questions très intéressantes, avec grand talent, comme à son habitude. Mais je lui dirai en toute amitié que je n'ai pas eu l'impression d'avoir participé aux mêmes travaux que lui. J'ai trouvé ses propos excessifs, car la commission a effectué un travail intéressant. Nous n'étions pas tous d'accord, et sur un certain nombre de sujets, il y a eu des votes très surprenants. Nous avons abordé un certain nombre de sujets qui ne figuraient pas dans le texte, je pense notamment à la gestation pour autrui, dont nous avons pris le temps de débattre en commission. Nous avons aussi abordé des questions très difficiles, comme l'anonymat du don de gamètes, la recherche sur l'embryon, la procréation médicalement assistée, et contrairement à ce que vous dites, monsieur de Rugy, je ne pense pas qu'il y ait eu de consignes de vote partisanes sur ces différents sujets.

Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il y a eu un certain nombre de députés, très identifiés, qui ont mené une lutte que je qualifierai d'un peu particulière, pour modérer mes propos.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Vuilque

Je ne vous le fais pas dire, monsieur Brard !

Mais nous n'avions pas, dans cette commission, à aborder un des sujets qui vous tient à coeur, qui est celui de l'euthanasie et de la fin de vie. Vous avez d'ailleurs déposé un certain nombre d'amendements, dans le cadre de la réunion de la commission au titre de l'article 88 du règlement, que nous n'avons pas examinés en début d'après-midi. Mais je crois que ce débat mérite mieux que quelques minutes dans le cadre de la procédure de l'article 88. C'est un vrai débat de société qui doit être mené au fond, jusqu'au bout, et que cette commission n'avait pas à traiter.

Si nous ne sommes pas complètement satisfaits du travail de la commission, nous avons quand même globalement fait un travail relativement sérieux. Pour ces différentes raisons, nous ne souhaitons donc pas le renvoi en commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Balligand

Monsieur Le Déaut, il n'y a pas de rappels au règlement pendant le déroulement des explications de vote lorsque nous sommes en temps programmé. Je vais donner la parole à M. Noël Mamère, puis à la commission et au Gouvernement, s'ils souhaitent à nouveau intervenir. Nous procéderons ensuite au vote. Vous pourrez prendre la parole à l'issue de celui-ci.

La parole est à M. Noël Mamère, pour le groupe GDR.

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

Bien évidemment, nous voterons la demande de renvoi en commission qui a été présentée par notre collègue de Rugy. Auparavant, je voudrais dire à M. Claeys que je ne suis pas d'accord avec lui lorsqu'il prend la peine d'intervenir pour préciser que ce n'est pas au citoyen de décider à notre place. Aucun d'entre nous n'a dit cela ici. Nous ne sommes pas des fanatiques de la démocratie directe, et si nous sommes sur les bancs de cette assemblée après nous être présentés devant les électeurs, c'est parce que nous croyons à la démocratie représentative.

Cela étant et comme l'a souligné Jean Leonetti tout à l'heure, former des panels de citoyens sur des sujets aussi importants que la bioéthique n'a pas perturbé la démocratie représentative au Danemark depuis 1989. Nous avions d'ailleurs copié cette idée venant du Danemark – M. Le Déaut peut en parler – à l'occasion de la recherche sur les OGM, et de l'avis qui devait être émis par l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, sauf que la commission avait suivi un avis complètement contraire à ce qui avait été préconisé par le panel de citoyens. Cela en dit long sur la conception qui est la nôtre d'une certaine forme de démocratie participative. Solliciter les citoyens pour émettre des avis, puis aller à l'encontre de leur expertise, n'est pas forcément la meilleure des solutions.

Il faut que les citoyens soient associés – cela me paraît une nécessité et ce qu'a dit Jean Leonetti va dans le bon sens – sur des sujets aussi importants, qui ont des conséquences sur nos modes de vie, sur ce que l'on appelle, un peu trop couramment, le vivre-ensemble, sur le choix de société.

À l'occasion de la révision des lois relative à la bioéthique beaucoup de moyens ont été mis en place : les états généraux, les conférences des citoyens. On a fait beaucoup de bruit – pour reprendre le titre d'une pièce de théâtre célèbre, beaucoup de bruit, peut-être pour pas-grand-chose, je ne dis pas pour rien. La révision des lois aurait dû permettre à la représentation nationale et aux législateurs que nous sommes non pas d'accompagner le progrès scientifique et médical, mais de l'encadrer et de tenir compte de ses conséquences sur notre société et sur l'évolution de la famille, qui n'est pas la même que celle de 1994.

Lorsque nous aurons terminé nos discussions, lorsque cette loi sera votée, nous n'aurons pas tort de dire qu'il s'agit d'un statu quo par rapport à 2004. En la circonstance, le statu quo vaut recul. C'est d'une certaine manière un carcan, alors que l'on aurait pu imaginer que la révision des lois relatives à la bioéthique serve de cadre pour surveiller, en tout cas pour réguler, le progrès scientifique, puisque, nous le savons, ce n'est pas aux scientifiques de décider à notre place. Nous avons eu de manière assez elliptique, ici, un certain nombre de débats – je pense aux organismes génétiquement manipulés. Et l'on s'aperçoit d'ailleurs que les valeurs défendues par M. Mariton sont plutôt à géométrie variable, car sur les OGM, il y a effectivement une action sur le vivant avec des caractères irréversibles. Nous sommes donc en droit de nous poser les mêmes questions de société que celles qu'il soulève aujourd'hui.

Monsieur Mariton, sans vouloir donner de leçons de philosophie ou d'histoire, la question des valeurs n'est pas interchangeable. Mais les valeurs, suivant l'histoire, ont quelquefois changé de camp. Les valeurs de pacifisme défendues par les uns à une époque ont été défendues par d'autres qui étaient leurs pires ennemis idéologiques.

La question des valeurs ne peut pas se définir en quelques mots, ou en une sorte d'oraison, comme celle à laquelle vous vous êtes livré tout à l'heure. Il serait très intéressant, mais ce n'est pas le lieu, de définir le critère, le périmètre, la source, l'inspiration des valeurs.

De la même manière, il serait intéressant, monsieur Leonetti, de s'interroger sur ce qu'est la dignité. Ce monde, marqué par les tremblements, les inégalités et les injustices, nous apprend que la dignité ne peut être vécue de la même manière. Dans un pays comme le nôtre, on peut être victime de cette disgrâce que l'on appelle l'indignité. On ne se détermine pas – j'en suis désolé, monsieur le rapporteur – par rapport à l'estime ou la haine de soi.

Monsieur Mariton, il n'y a pas ici deux camps : celui de ceux qui défendraient les individualistes pragmatiques, qui n'agiraient qu'en fonction de leurs désirs et de leur bon plaisir, qui voudraient ce droit à l'enfant en fonction de leurs arrangements et de leur confort, et, de l'autre côté de l'hémicycle, celui de ceux qui défendraient une société dans laquelle il y aurait des valeurs, des projets, un encadrement.

Nous sommes pour l'individu dans la société, et non pour l'individu contre l'individu. Nous sommes pour l'individu dans la société. Nous pensons que c'est à la société de faire en sorte que l'individu se sente responsable en elle. Nous défendons – et c'est notre mission – ce que l'on appelle le destin collectif. Or lorsqu'il s'agit du destin collectif, on ne peut pas imaginer que l'action d'un individu n'ait pas de conséquences sur la société, sur sa part de société et même sur l'ensemble de la société.

Voilà pourquoi je considère que la loi qui sera votée dans quelques jours sera une loi prisonnière, otage de la biomédecine, ne tenant pas suffisamment compte de l'évolution de notre société, de l'évolution de la famille et ne prenant pas suffisamment en considération les conséquences sociétales de ce que l'on appelle la bioéthique.

Dans ce contexte, dire qu'il n'y aura pas de révision obligatoire des lois relatives à la bioéthique est un recul. C'est ce que l'on appelle – pardonnez-moi d'utiliser une expression un peu pédante – de l'essentialisme. Vous voudriez que le monde se soit arrêté aux premières lois de 1994, selon vos critères de société. Vous n'accepteriez pas ainsi que, sur des sujets aussi importants, où le progrès de la médecine, de la science et le rôle des experts ont tant d'influence, nous, législateurs, utilisions la loi pour protéger les plus faibles, les plus vulnérables et que nous soyons là comme des régulateurs.

Vous avez verrouillé de tous les côtés, par crainte de voir un certain nombre d'hommes, de femmes ayant fait tel ou tel choix d'orientation sexuelle fonder une famille. Ils ont droit, comme les autres, à pouvoir fonder une famille. Or les dispositions que vous avez prises tendent précisément à empêcher ces personnes qui veulent fonder une famille de le faire. Cela s'appelle de la discrimination, de la ségrégation.

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

Notre collègue Jardé l'a reconnu, il y a une infertilité médicale, mais aussi, de par son choix de vie et son orientation sexuelle, une infertilité sociale.

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

La question est de savoir si l'on ne répond qu'au problème de l'infertilité médicale, ou si l'on s'intéresse aussi à l'infertilité sociale et que l'on y apporte des réponses.

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

Nous ne sommes pas là pour dire qu'il faut simplement répondre à l'infertilité médicale. Il faut aussi répondre à l'infertilité sociale.

Cette conception-là ne prétend pas être totalitaire. Lorsque François de Rugy, qui est sans doute le plus modéré de nous quatre s'exprime, à la tribune,…

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

Il n'y a pas que de grandes gueules chez les Verts ! Et il y a aussi des gens posés, qui peuvent dire des choses sensées. Et il y a des gens que l'on peut écouter, même si l'on considère que ce sont des grandes gueules.

Ce soir, la grande gueule vous dit qu'il n'y a pas, d'un côté de cet hémicycle, ceux qui croient à l'individu qui pourrait faire ce qu'il veut. Il y a des élus qui croient qu'une société démocratique est une société qui prend des risques. C'est une société ouverte, qui croit à la responsabilité des individus et au rôle de la société civile. Ce n'est pas une société qui se rétracte et qui vit hors sol dans un palais doré comme le Palais Bourbon, sans regarder la réalité des choses.

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Balligand

La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut pour un rappel au règlement.

Cher collègue, vous avez la parole, puisque nous avons voté la motion de renvoi en commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Déaut

Je vous donne acte de cette disposition du règlement.

Je voulais intervenir car, une nouvelle fois, M. Hervé Mariton a mis en cause deux de nos collègues. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

J'ai bien écouté le discours du ministre Xavier Bertrand, de Mme la secrétaire d'État, du rapporteur de notre commission spéciale, M. Leonetti, et de son président. Je suis d'accord avec eux pour dire que le débat doit prendre de la hauteur, que nous devons discuter argument contre argument.

Mais, comment réagir quand nous voyons dans un journal du matin sur une page entière, un jeune trisomique déclarer : « 96 % d'entre nous sont éliminés à l'issue du dépistage massif de la trisomie 21. Au Parlement, certains s'étonnent * que nous soyons encore 4 % à survivre… », l'astérisque renvoyant en bas de page à notre collègue Olivier Dussopt ? Or cette page a été commandée entre autres par la fondation Lejeune.

Que va-t-il advenir des propos de Jean-Louis Touraine auxquels a fait allusion M. Mariton ? On sort les déclarations de nos deux collègues de leur contexte. Ils ont dit que chaque famille était libre en France de procéder ou non à une interruption volontaire de grossesse. Chacun a le droit, en fonction de ses convictions, de le faire ou non.

Si l'on pratique un test de détection de trisomie 21, on ouvre la possibilité d'aller vers une interruption volontaire de grossesse ; il ne faut pas le faire si l'on refuse qu'il y ait IVG. Vous le savez, 1 % des cas de prélèvement pour une trisomie 21 aboutit à une interruption de grossesse. Cela signifie qu'il ne faut pas qu'il y ait ce 1 % de prélèvement, si l'on refuse l'interruption de grossesse. C'est ce qu'ont dit nos collègues.

Au lieu d'accepter ce débat, M. Mariton nous renvoie au compte rendu de la commission pour vérifier les propos de M. Jean-Louis Touraine.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Déaut

M. Touraine a tenu les propos que je viens de prononcer.

Mes chers collègues, si vous voulez que nos débats prennent de la hauteur et que nous parvenions à nous comprendre, à avancer sur les thèmes de la bioéthique, il faut arrêter ce genre de sous-entendus.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Déaut

Cessez de prétendre qu'un certain nombre de nos collègues ont tenu des propos qu'ils n'ont pas prononcés. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Claeys

M. Le Déaut vient d'apporter la précision que je souhaitais faire.

Monsieur Mariton, vous avez suivi avec attention tous les débats de la commission et apporté beaucoup par vos arguments. Mais vous n'avez pas le droit, au détour d'une phrase, de dire ce que vous avez dit à propos de Jean-Louis Touraine.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Claeys

Non ! En ma qualité de président de la commission, je vous dis que vous avez simplifié de façon outrancière les propos de Jean-Louis Touraine.

C'était la seule remarque que je tenais à vous faire. Je respecte vos opinions et je suis convaincu que vous disposez d'autres arguments pour les affirmer, plutôt que de simplifier les propos d'un parlementaire aussi compétent que Jean-Louis Touraine. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Leonetti

, rapporteur. Permettez-moi de lancer un appel au calme. On peut toujours se livrer au jeu de : « Qui a dit ceci ou cela ? » Je viens ainsi d'entendre toute une série de citations tronquées par M. de Rugy, qui a laissé penser que j'amalgamais. Il me semble qu'il s'agit plutôt d'un amalgame auquel il s'est lui-même livré, associant les camps de la mort avec ceux qui veulent pratiquer l'euthanasie.

Je rappelle aussi que lorsqu'on fait une citation, il faut la situer dans sa globalité, dans son contexte. À l'occasion de la loi sur la fin de vie, dite loi Leonetti, une association a utilisé une page entière du journal Le Monde pour prétendre que j'étais archaïque et que je voulais faire souffrir les gens, en les affamant et en les laissant mourir de soif – comme vous l'avez élégamment rappelé, monsieur de Rugy

Lorsqu'on est un homme politique, on doit essayer de faire la part des choses et de ne pas accuser une partie de l'UMP ou le Nouveau Centre d'une action qui est associative. S'agissant de la fin de vie, je n'ai pas accusé alors ceux qui étaient pour ou contre l'euthanasie d'avoir fait publier par une association cette page dans un grand quotidien du soir.

J'appelle à un peu d'écoute, de tranquillité. Essayons d'éviter les caricatures. Ce n'est pas parce que l'on adopte un ton modéré, que l'on ne tient pas des propos violents. Nous devons développer ici le sens de l'écoute de l'autre, comme nous l'avons fait avec Alain Claeys en commission spéciale. Cela doit nous permettre de respecter l'autre et de ne pas le caricaturer.

Le sujet est suffisamment grave. Et les points de consensus sont paradoxalement beaucoup plus importants que ce que nous pensons. Il m'a semblé constater, lors des votes sur un certain nombre de sujets, en particulier la gestation pour autrui, qu'une immense majorité s'opposait à cette démarche.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Leonetti

En effet, chère collègue, une immense majorité, en commission.

S'agissant de la levée de l'anonymat du don de gamètes, il n'y a pas de quoi mourir sur des barricades, il suffit d'échanger des arguments. Et sur ce sujet aussi, la commission, dans sa pluralité, a rejeté cette idée à la quasi-unanimité – moins une voix.

Nous pouvons débattre sans pour autant nous disputer. Aboutir à un consensus n'est ni un péché, ni une compromission…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Brard

On ne commet pas de péché, si on ne croit pas ! (Sourires.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Leonetti

Je m'adresse aussi bien aux croyants qu'aux non croyants, mon cher collègue.

Il n'est donc pas interdit, disais-je, d'arriver à un consensus sur des sujets qui nous rassemblent. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Balligand

Avant d'ouvrir la discussion générale, j'indique que chaque orateur dispose d'un temps indicatif qu'il est invité à respecter. Je souhaite que les propos soient de qualité et que vous évitiez les attaques ad hominem, car ce n'est pas ainsi que l'on élèvera le débat. Sur un sujet à la fois philosophique et scientifique, qui transcende les clivages politiques traditionnels, il va de soi que chacun est tenu de respecter les convictions des uns et des autres.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jardé

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État chargée de la santé, mes chers collègues, de quoi devons-nous débattre ce soir ? D'une certaine conception de la société, de la construction de notre avenir et de la place de l'homme par rapport à la science. En fait, de sa dignité.

Tous ici, dans cet hémicycle, nous respectons l'homme et sa dignité. D'un côté, il y a l'homme, un homme qui refuse les contraintes naturelles, qui veut tendre vers le risque zéro et l'assurance à 100 %. Un homme qui veut tout réglementer : le début comme la fin de sa vie. De l'autre, il y a l'espoir placé dans la science : l'espoir pour que les couples stériles puissent avoir des enfants, que les personnes malades qui souffrent d'insuffisance rénale puissent vivre grâce aux greffes.

Comment définir la bioéthique par rapport à la morale ? Pour moi, morale et bioéthique sont deux choses totalement différentes. Contrairement à l'éthique, la morale est stable et n'évolue pas.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jardé

L'éthique est personnelle et progresse avec la science ; elle replace l'individu dans la société et l'interroge. J'ai des convictions éthiques. Monsieur Brard, vous avez les vôtres, tout comme M. Mamère ou M. Mariton, et je les respecte. L'éthique place l'homme devant un cas de conscience. Dans la société, elle évite les conflits, et permet de réfléchir. C'est non universel, pluraliste et évolutif.

Au terme de ce propos introductif, je souhaite rendre un grand hommage au professeur Mattei qui nous a lancés dans cette aventure pionnière nous conduisant à réfléchir sur l'éthique et la bioéthique.

En 2004, on assista à des avancées notables comme la création d'une Agence de biomédecine pour tout ce qui concerne les greffes et l'embryologie, et l'instauration du Conseil national d'éthique. Après une interdiction avec dérogation limitée dans le temps – cinq ans –, nous avions autorisé la possibilité d'une recherche sur l'embryon dans un but thérapeutique, avec une absence de projet parental. Nous avions également voté l'interdiction du clonage reproductif et la procréation médicalement assistée.

Mes chers collègues, faut-il s'orienter vers des lois bioéthiques révisables ? La question mérite d'être posée et elle a suscité des débats dans le pays – j'en parlais tout à l'heure avec Jean Dionis du Séjour. Si, demain ou après-demain, on assiste à des avancées scientifiques importantes, doit-on néanmoins attendre cinq ans avant d'en discuter dans l'hémicycle ? Je ne le pense pas. C'est la raison pour laquelle, je considère, avec Paul Jeanneteau, qu'il ne faut pas s'en tenir à ce timing. Il faut que l'on puisse, à tout moment, rouvrir un dossier.

Qu'est-ce que l'ADN, madame la secrétaire d'État ? Trois milliards de paires de base constituent 99 % des êtres humains. L'étude a coûté 3 milliards d'euros en 2001. Il faut aujourd'hui se demander si ce qui est scientifiquement faisable est nécessairement souhaitable. On touche là à l'intime. Imaginons qu'on aille très loin dans la recherche génétique, aurait-on laissé vivre Lincoln, qui souffrait de la maladie de Marfan ? Mozart aurait-il pu vivre ?

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jardé

En effet, cher collègue.

Einstein aurait-il eu le droit de vivre ? Non, car il avait une malformation : son hémisphère cérébral gauche était hypertrophié.

Est-ce que Petrucciani aurait eu le droit de vivre ? Non, car il souffrait d'une maladie osseuse majeure.

Le tout génétique touche à la limite de l'être humain. Qui a accès à notre patrimoine génétique ? Les juges, pour les questions de filiation ou de délinquance sexuelle. Le fichier national des empreintes génétiques contient 600 000 fiches, c'est-à-dire 1 % de la population. Faut-il l'étendre ? Pour ma part, j'ai voté contre l'extension du fichier génétique aux étrangers entrant en France. Je suis en outre défavorable à l'extension du fichier Edvige à tous les présidents des associations. Je suis également opposé à l'utilisation par les employeurs des fichiers génétiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Brard

Et le STIC ? Plus d'un million de personnes ne devrait pas y être !

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jardé

Concernant le diagnostic préimplantatoire, a-t-on le droit, lorsque l'on est porteur d'une maladie héréditaire grave, de faire un diagnostic préimplantatoire ? A-t-on le droit de le faire dans les cas de mucoviscidose ? Je dis oui. En revanche, lorsqu'il y a une présomption, lorsqu'il y a, comme dans le cas du gène BRCA, une possibilité de cancer du sein à cinquante ans, faut-il obligatoirement faire un diagnostic préimplantatoire ? Je dis non, car la maladie ne pourra survenir que dans une cinquantaine d'années à une période où, je l'espère, le cancer du sein sera traité.

L'actualité récente nous interroge. A-t-on le droit de faire un « bébé double espoir » ? Je dis oui. On a le droit d'être conçu par amour et, en même temps, de pouvoir sauver ses frères et soeurs. Je dois rendre hommage au professeur Fagniez, qui avait défendu un amendement ouvrant cette possibilité en 2004.

Pour ce qui est de la thérapie génique, cela fait vingt-cinq ans que l'on en parle, et vingt-cinq ans que cela n'avance pas beaucoup. En 2004, le chantier du diagnostic génétique grave avait été laissé en attente. Faut-il informer la parentèle, les familles ? Je remercie à la fois le président Claeys et le rapporteur Leonetti d'avoir trouvé un compromis qui permet d'informer tout en préservant le secret médical.

S'agissant des greffes, on a pu en réaliser 4 660 l'année dernière. Mais 277 personnes sont décédées parce qu'elles n'ont pu en bénéficier et 10 000 personnes sont sur listes d'attente. Le taux de refus de prélèvement est inférieur à 30 %, de l'ordre de 28 %. Comment faire pour améliorer ce taux de refus ? Avec mon collègue Jean-Luc Préel, nous avons déposé un amendement visant à faire mention dans le dossier médical personnalisé que la personne a été informée. Il est toujours très difficile de dire à une famille, qui vient de perdre son fils ou sa fille dans un accident de cyclomoteur, qu'on va lui prélever le coeur, les poumons et les reins. Cette nouvelle disposition va permettre de débloquer les choses.

Dans le même ordre d'idées, et j'aborde le sujet avec beaucoup de modération, se pose le problème des prélèvements sur porteurs sains. Le prélèvement d'un rein ou d'un foie est loin d'être anodin. Il y a eu, en effet, treize décès lors de prélèvements de foie. Néanmoins, je suis favorable à un don croisé, car les greffes sont de plus en plus efficientes. De plus, cela permettrait d'augmenter le nombre de donneurs et de sauver des vies.

Pour ce qui est des procréations médicalement assistées, la fin du XXe et le début du XXIe ont consacré la dissociation entre sexualité et reproduction. Ce fait est tout à fait nouveau. La procréation médicalement assistée n'est pas anodine. Actuellement, 20 000 enfants sur 800 000 naissent grâce à cette technique, ce qui est loin d'être négligeable.

La procréation médicalement assistée doit-elle être considérée comme un traitement médical de l'infertilité ou comme un traitement sociétal de l'infertilité ? Si l'on doit faire intervenir la solidarité, le remboursement, cela ne peut être qu'un traitement médical de l'infertilité. Selon moi, elle est réservée à des couples. J'ai cependant du mal à comprendre le délai des deux ans, sachant que le délai de la procréation médicalement assistée représente déjà un certain temps. Prouver que l'on a vécu en couple de façon stable pendant deux ans ne me satisfait donc pas. J'ai du reste, avec Jean-Sébastien Vialatte, déposé un amendement tendant à supprimer cette obligation de deux ans. Je vais même plus loin en disant qu'une femme célibataire et stérile doit pouvoir bénéficier de la procréation médicalement assistée.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jardé

La fécondation post mortem pose un problème d'éthique, que j'ai connu au plan professionnel. J'ai connu un couple dont le mari est décédé la veille de l'implantation, qui était programmée. La femme doit-elle perdre à la fois son mari et son enfant ? Pour ma part, je réponds non.

J'ai déposé un amendement précisant que dans le cas de décès brutaux et dans des délais courts, la fécondation post mortem pouvait être autorisée. Avec Martine Aurillac, nous avons rédigé un amendement de synthèse sur la fécondation post-mortem.

Est-ce qu'une femme ménopausée a-t-elle le droit de mettre en route une grossesse ? La procréation médicalement assistée doit uniquement concerner le traitement d'une infertilité et doit être interdite pour convenances personnelles.

Dans le même ordre d'idées, en ce qui concerne l'anonymat du don de gamètes, faut-il révéler des caractères identifiants du donneur ou son identité ? Les caractères identifiants ne satisferont nullement l'enfant issu de la fécondation en question. Quant à la révélation de l'identité, elle poserait à mes yeux de véritables problèmes aux trois parents.

Pardonnez-moi de le rappeler, mesdames, mais 15 % des enfants de troisième rang ne sont pas de leur père officiel et tout se passe pourtant relativement bien : les enfants n'ont pas le moindre problème psychologique. (Exclamations et sourires sur divers bancs.) Cela pose d'ailleurs des problèmes en réanimation, cher Jean-Pierre Brard : quand il s'agit d'un troisième enfant, on se méfie !

La gestation pour autrui – les mères porteuses – est techniquement faisable ; pour autant, est-elle souhaitable ? La grossesse est-elle une période neutre ? N'ayant jamais été enceinte (Sourires), je ne peux répondre à cette question. Mais, médicalement, à qui la GPA peut-elle s'appliquer ? Aux femmes qui n'ont pas d'utérus, ce qui est tout de même très rare ; aux femmes victimes d'accidents de la voie publique qui ont entraîné un éclatement de l'utérus ; enfin, aux femmes qui ont eu un cancer du col de l'utérus.

La GPA est interdite en France. Et vous avez parfaitement raison de parler d'un tourisme procréatif : il suffit de rechercher « mère porteuse » dans Google pour voir défiler des photos de très jolies filles – sans doute parce qu'on espère que l'apparence de la mère porteuse déterminera génétiquement celle du futur enfant.

C'est une question qu'il faut se poser. La sénatrice Michèle André, qui l'a étudiée dans le cadre d'une mission, conclut en faveur de l'autorisation de cette pratique, assortie d'un dispositif très limitatif. La gestation pour autrui serait ainsi réservée aux couples hétérosexuels, stables, dont la femme ne peut porter d'enfant et dont l'un des membres sera génétiquement le parent du futur enfant. Quant à la mère porteuse, elle ne doit entretenir aucun lien de parenté, aucun lien génétique avec les parents ; elle doit avoir déjà eu un enfant ; et elle ne peut porter plus de deux enfants. Le processus doit enfin être encadré par des associations bénévoles.

Cette pratique suscite néanmoins des interrogations. Pourquoi les jeunes couples californiens font-ils porter leur enfant par de jeunes Indiennes ? On me dit qu'il n'y a là aucun mercantilisme ; mais la question du prix devrait préoccuper ces couples. On se souvient aussi de ce couple de Japonais qui, après avoir fait porter son enfant par une Indienne, se sont séparés et ont confié l'enfant à un orphelinat. Plus récemment, une jeune Belge a prétendu avoir fait une fausse couche et a revendu l'enfant à un couple de Hollandais.

On voit que l'on peut aboutir à des dérives qui ne sont guère conformes à l'intérêt de l'enfant. Le rapport publié en 2009 par le Conseil d'État et rédigé sous l'égide de Philippe Bas insistait sur ces dérives contraires aux droits de l'enfant et sur le risque auquel la GPA expose les mères porteuses – car, il faut le dire, le nombre de fausses couches est élevé.

Qu'en pense Olivier Jardé ? (Sourires.) Au terme de ma réflexion, je me pose plusieurs questions. La grossesse est-elle une période neutre ? Le ventre d'une femme est-il un organe de production ? Est-ce conforme à l'intérêt de l'enfant ? Une femme riche portera-t-elle l'enfant d'une femme pauvre ?

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jardé

Si l'enfant présente une malformation, le couple qui a commandé la mère porteuse le prendra-t-il avec lui ?

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jardé

Enfin, d'un point de vue psychologique, quelle sera la réaction du conjoint et de l'enfant de la mère porteuse – puisque la sénatrice Michèle André préconisait que celle-ci ait déjà un enfant ?

Après m'être ainsi interrogé, je veux vous dire que je suis opposé au recours aux mères porteuses et à la gestation pour autrui.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jardé

Venons-en à la recherche sur l'embryon. Il y a sept ans, nous avons voté son interdiction, assortie de dérogations, ce qui a permis de constituer quatre-vingt-huit dossiers, concernant des recherches qui n'auraient pu être menées par d'autres moyens.

On me dit que l'on peut utiliser un matériel génétique autre qu'embryonnaire pour faire certaines expérimentations ; mais ce n'est pas vrai. C'est comme si vous me disiez qu'il s'agit toujours de la personne humaine, que l'objet de l'expérimentation soit un enfant ou un vieillard. Certes, il s'agit toujours de la personne humaine ; mais cela n'a rien à voir ! Je rappelle en outre qu'au terme du clonage reproductif dont elle est issue, la brebis Dolly est née vieille. On ne peut assimiler les cellules souches embryonnaires et les cellules souches adultes.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jardé

Peut-être seront-elles équivalentes un jour ; mais, pour l'instant, ce n'est pas le cas.

Quand on discute avec les chercheurs, il apparaît que cette interdiction – avec dérogations – n'a pas vraiment limité leurs recherches. Mais je rejoins notre président Claeys : il faut une autorisation, assortie d'un encadrement.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jardé

Parfois, un encadrement est plus sérieux qu'une dérogation. J'ai donc déposé, avec Jean-Sébastien Vialatte, un amendement en ce sens.

D'autre part, vous le savez, en France, il y a environ 200 000 embryons dans les congélateurs. À Amiens, de temps en temps, on débranche le congélateur : ce n'est pas très glorieux ! (Exclamations sur divers bancs.) Je souhaite donc qu'on limite le nombre de fécondations : nous avons également déposé un amendement en ce sens.

Je veux dire en outre à mon ami Xavier Breton que l'on a le droit de soigner l'embryon : pourquoi voter contre mon amendement visant à permettre de le faire ? Un embryon a droit à un traitement. Je déposerai donc à nouveau mon amendement, et j'espère qu'il recueillera un assentiment plus large qu'en commission.

Je demeure profondément opposé au clonage reproductif.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jardé

Sur le clonage thérapeutique, en revanche, je continue de me poser des questions, et j'ai un peu progressé en sept ans. Il y a sept ans, j'étais contre ; aujourd'hui, ma position évolue, même si je ne vous propose pas encore d'accepter cette pratique. Retirer le noyau d'un ovocyte et faire un transfert nucléaire représente peut-être un espoir. Qu'en est-il du fait de retirer le matériel nucléaire d'un ovocyte, même animal, pour créer un hybride dont on limite la durée de vie à quelques jours ? Il est assurément indispensable d'interdire le transfert utérin ; mais sur le reste, je suis en train d'évoluer.

Charles de Courson et moi-même avons déposé un amendement sur le développement des banques de sang de cordon, qui me paraît également constituer une évolution nécessaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Brard

C'est Charles-Amédée : cela ne nous rassure pas ! (Sourires.)

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jardé

Un dernier point, monsieur Brard : les neurosciences. Monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, je regrette que nous n'en ayons pas plus parlé.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jardé

C'est pourtant l'avenir. L'IRM fait maintenant partie intégrante de notre recherche. Elle permet de savoir si vous pensez à un chat qui court ou à un chat qui dort au soleil. Elle permet d'observer l'augmentation des connexions entre les neurones, et l'on constate – Mme Delaunay ne me contredira pas sur ce point – que plus vous travaillez, plus vous pensez et plus les connexions s'améliorent.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Brard

Alors il y en a qui ne doivent pas travailler souvent ! (Sourires.)

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jardé

L'IRM permet donc d'explorer notre cerveau de mieux en mieux.

Enfin, le travail sur la connexion entre les cellules neurologiques et l'ordinateur est porteur d'un espoir considérable : celui de faire marcher les paraplégiques, de les mobiliser.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jardé

Néanmoins, cela pose un problème éthique majeur : qui va se lever ? Est-ce l'ordinateur qui dira « il est sept heures, mon petit gars, il faut que tu te lèves, je mets tes jambes en route » ou est-ce l'homme qui continuera à contrôler l'ordinateur ?

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jardé

C'est un véritable enjeu éthique sur lequel nous devrons nous interroger à nouveau.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Paul

C'est pour cela qu'on doit se donner rendez-vous !

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jardé

Mes chers collègues, en commission, j'ai beaucoup apprécié la réflexion de Jean Leonetti, notre rapporteur, et du président Alain Claeys, qui a toujours fait preuve de modération, de dignité d'humanisme et d'esprit de progrès. Je leur tire un grand coup de chapeau.

Je voterai donc certainement ce texte, même s'il fera bien entendu l'objet d'amendements. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Debut de section - PermalienPhoto de Paul Jeanneteau

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis 1994, la France s'est dotée d'un dispositif législatif visant à encadrer les pratiques biomédicales sur la personne humaine, rappelant ainsi le socle de valeurs sur lequel notre société s'est construite.

En effet, l'accélération des innovations scientifiques et médicales dans les domaines de la génétique, de la procréation médicalement assistée ou de la recherche sur les embryons ont conduit le Parlement à définir les droits et les obligations des acteurs concernés par le problème du début de la vie.

Quelle conception avons-nous de l'homme et du vivant ? C'est là tout l'enjeu de la bioéthique, qui signifie étymologiquement « morale du vivant ». Toutes les sociétés sont concernées par cette question. Mais, dans le domaine de la bioéthique, aucun consensus international ne prévaut. Nous sommes seuls face à ces interrogations, et aucune loi, d'aucun autre pays, ne nous libérera de cette responsabilité. Rien ne s'impose à nous que notre propre conscience.

Certaines nations ont fait le choix d'une approche éthique moins exigeante et moins régulatrice que la nôtre. La France, quant à elle, a pris le parti de respecter certaines valeurs essentielles qui cimentent notre société.

Légiférer sur la bioéthique, c'est donc d'abord réaffirmer un ensemble de principes fondamentaux : la dignité de l'être humain, le respect dû au corps, la protection de l'embryon et l'intérêt de l'enfant. Y déroger, c'est nier l'homme dans ce qui fait son humanité, c'est quitter l'état de culture pour revenir à l'état de nature.

Le préambule de la Déclaration universelle des droits de l'homme consacre du reste l'intangibilité de ces principes en rappelant « que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ».

Ces valeurs se retrouvent dans notre droit national, notamment à l'article 16 du code civil, qui dispose que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie ».

La dignité, c'est-à-dire le fait que la personne humaine a une valeur absolue, donc qu'elle n'a pas de prix, est donnée à chaque être. Elle est intrinsèque. Voilà pourquoi il ne saurait être question de la proportionner ou de la subordonner à quoi que ce soit.

La France, pays des droits de l'homme, doit être fière de ses principes et ne pas céder à la tentation du « moins-disant » éthique par imitation, au vu de ce qu'autorisent ou non nos voisins étrangers. Car la France, pays marqué par les Lumières, jouit d'un rayonnement intellectuel important dans le monde ; ses choix et ses prises de position sont observés avec attention. Ne craignons donc pas de protéger la dignité humaine ; loin d'être en retard par rapport aux autres États, nous serons en avance sur eux d'un point de vue éthique.

Cette loi de bioéthique s'inscrit dans un contexte historique, social et culturel propre à notre pays, que nous devons respecter. Notre système juridique repose sur la recherche de l'intérêt général, c'est-à-dire que la déduction des droits émane de la communauté et qu'elle est opposée à tout individualisme.

Aussi forte que soit sa compassion, le législateur ne doit pas se laisser gouverner par ses émotions ou se contenter de transcrire mécaniquement dans la loi les évolutions techniques ou sociales, mais garder à l'esprit l'intérêt et le bien communs. Chaque expérience, chaque parcours de vie, chaque souffrance, chaque désir est éminemment respectable. Néanmoins, le devoir du législateur est de transcrire dans la loi des règles applicables à tous, fondées sur une éthique partagée. Or c'est en s'appuyant sur les principes qui fondent notre nation, sur ce qui constitue notre vivre ensemble, que la loi de bioéthique sera la traduction d'un consensus social.

Il nous faut donc rechercher, mes chers collègues, cette transcendance des valeurs qui nous unissent au-delà de nos opinions politiques, philosophiques ou religieuses.

Plus encore que de dire ce qui est permis, le rôle de cette loi consiste à fixer un cadre et à déterminer ce qui est interdit.

Ainsi, en 1994, parce que la morale commune et le droit positif ne garantissaient pas un usage non dévoyé des nouvelles techniques, le Parlement a défini plusieurs principes qui forment le socle de notre législation actuelle : l'anonymat et la gratuité du don de gamètes, le caractère libre et éclairé du don, l'interdiction des manipulations génétiques, l'encadrement de l'assistance médicale à la procréation ou encore l'interdiction de la gestation pour autrui.

La loi de 2004 s'est inscrite dans la continuité de celle de 1994.

Comme le prévoyait la clause de révision introduite dans la loi de 2004, le Parlement doit réévaluer la précédente loi de bioéthique. Afin de préparer les modifications législatives susceptibles de voir le jour, une mission d'information parlementaire a été créée en juin 2008.

Au nom du groupe UMP, je tiens à saluer l'excellent travail effectué par ses membres. Je souhaite tout particulièrement féliciter le président de la mission, notre collègue Alain Claeys, qui a dirigé les débats avec beaucoup d'intelligence, ainsi que le rapporteur, Jean Leonetti pour la qualité de sa réflexion.

Après avoir mené cent huit auditions, la mission parlementaire a présenté un rapport d'information réaffirmant les principes définis en 2004.

Elle a également émis des propositions parmi lesquelles la levée du moratoire de cinq ans concernant la recherche sur les cellules souches embryonnaires, la suppression de la clause de révision de la loi ou l'autorisation des dons croisés d'organes, préconisations reprises par le Gouvernement et présentes dans le projet de loi.

Le Conseil d'État, le comité consultatif national d'éthique, l'agence de biomédecine, l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques ont eux aussi apporté leur contribution à la question de l'avenir de cette loi de bioéthique.

Des états généraux de la bioéthique ont en outre été organisés au premier semestre 2009 afin de permettre à nos concitoyens d'intervenir dans ce débat majeur.

Le travail de préparation de la révision de la loi de bioéthique, très sérieux et important, a abouti à quelques modifications des textes précédents. Dans l'ensemble, le projet de loi présenté aujourd'hui, somme toute assez court, s'inscrit dans la lignée des lois de 1994 et 2004.

Je félicite le législateur de ne pas avoir eu l'angoisse de la page blanche et de s'être refusé à réformer à tout prix. En effet, pourquoi modifier la loi si elle est adaptée ?

Les parlementaires sont aujourd'hui confrontés à une interrogation essentielle : le rôle du droit est-il de répondre à toutes les demandes techniquement réalisables ? Doit-on alors instaurer un droit d'enregistrement que l'on pourrait qualifier de notarial ou d'hypothécaire ? Si le droit ne peut ignorer les évolutions scientifiques et sociales, il doit, avant tout, faire preuve de cohérence, car sa légitimité repose sur sa capacité à traduire et à faire respecter un système de valeurs autour duquel la société se construit.

Le droit doit encadrer les pratiques en fonction de valeurs et non de techniques. Par conséquent, prévoir un réexamen périodique des textes de bioéthique en vue de les adapter aux évolutions scientifiques apparaît tout à fait contradictoire avec l'esprit de la loi, qui a vocation à garantir le respect des grands principes qui structurent notre société.

Cela justifie qu'aucun réexamen dans les cinq ans ne soit à nouveau prévu.

Ce projet de loi est un texte équilibré, fidèle aux grands principes de notre société. Je vous propose, mes chers collègues, de l'examiner en gardant à l'esprit cette phrase de Vercors : "L'humanité n'est pas un état à subir, mais une dignité à conquérir". (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle Delaunay

Monsieur le président, monsieur le ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chers collègues, le domaine de la bioéthique agite des questions que les hommes se sont posées et se poseront de tout temps sans jamais recevoir de réponse définitive.

La première de ces questions est celle de la recherche scientifique. On la croit nouvelle, elle est immémoriale, cadrée une fois pour toutes, et de manière lumineuse, par un auteur qui ne connaissait pourtant de la science que de modestes balbutiements : « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme ». L'on ne peut qu'être sidéré d'admiration en pensant que cette formulation de Rabelais date de 1532.

Cinq siècles plus tard, il nous reste à meubler cette conscience par ce que nous appelons nos valeurs et à les confronter les unes aux autres. Cependant ce qui assurément doit constituer le fil rouge de notre réflexion, ce qui ne peut que nous réunir, c'est avant tout la vie, le respect de la vie, de ce qui va dans le sens de la vie, ce qui aide à la vie.

Tous les chapitres de la bioéthique méritent d'être mesurés à cette finalité. À tous, elle apporte une part de solution.

Un domaine est particulièrement exemplaire : celui de la recherche sur l'embryon et sur les cellules souches embryonnaires. Nous avons assisté à une audition qui m'a laissée sidérée : il y a été édicté comme un dogme le principe intangible du respect de l'embryon humain, coupant court au débat. Quel est donc ce principe ? Où donc est-il écrit ? Comment est-il devenu à ce point respectable que la vie elle-même ne tienne pas devant lui ?

Nous tous qui sommes présents dans cette enceinte aujourd'hui savons que les recherches dans ce domaine sont faites exclusivement à partir d'embryons surnuméraires, destinés à être détruits et en aucun cas de donner naissance à un petit être humain.

Quel est le but principal des recherches faites à partir de ces embryons et des cellules qui les composent ? Mieux connaître l'embryon, en particulier savoir ce qui fait qu'il peut n'être pas viable et que son développement est interrompu, expliquer aussi les cas d'assistances médicales à la procréation et par conséquent réduire le nombre d'embryons détruits.

Dans quel sens le principe du respect de la vie peut-il trancher sans ambiguïté ?

Pour notre part, c'est sans ambiguïté que nous vous demanderons d'autoriser, en les encadrant, les recherches sur les cellules souches embryonnaires sans recourir à ce faux-semblant qui consiste à les interdire en acceptant peureusement des dérogations.

Je vous parlais de la vie. La vie n'est pas la nature, l'acceptation de ses lois et de tout ce qu'elle paraît inéluctablement nous imposer, sinon il n'y aurait pas de médecins.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle Delaunay

Le médecin travaille pour la vie, bien souvent contre la nature et ses lois. La vie est le principe de la médecine comme la thérapeutique est celui du soin et nous devons saluer de ce point de vue le passage dans le texte de l'intérêt thérapeutique à l'intérêt médical.

C'est aussi au nom de ce principe que nous soutiendrons, dans des limites temporelles précises, l'autorisation de l'implantation post mortem d'embryons. Dans mon exercice de la cancérologie, j'ai été confrontée à des situations très significatives. J'aurais aimé avoir du temps, comme M. Jardé, pour les exposer ; je m'en tiendrai à une seule.

J'ai eu à affronter la rigueur d'une loi qui a privé une femme désireuse d'être mère d'accomplir le projet qu'elle avait partagé avec son mari. Son âge – et ce n'est pas un point négligeable – l'empêchait d'envisager de refaire sa vie dans des délais lui permettant d'enfanter. C'est un poids très lourd que d'avoir à refuser pour toujours la chance qu'un enfant désiré puisse naître. Personnellement, je considère que nous devrions statuer aussi sur une exception d'insémination post mortem.

Je citerai un autre exemple. Il concerne la possibilité pour les donneuses d'ovocytes de les utiliser pour elles-mêmes, après vitrification, au cas où elles deviendraient infertiles. Les hommes traités par chimiothérapie peuvent d'ores et déjà faire conserver leurs spermatozoïdes et les utiliser ultérieurement quand ils le souhaitent, à l'âge qu'ils veulent. C'est ici non seulement le principe même de la vie mais l'exigence d'équité que je vous demande de prendre en considération.

Toutes les femmes – M. Jardé l'a évoqué rapidement – deviennent infertiles, souvent très tôt et en tout cas à un âge où elles sont en pleine santé et capables sans dommage de mener une grossesse. La nature ne l'a pas voulu mais la médecine qui s'intéresse d'abord à la vie le permet dans la seule limite de l'état de santé de la femme. Je vous demande de réfléchir à cela.

J'entends ici ou là que cette révision est bien peureuse et non dénuée de contraintes que j'appellerai circonstancielles. Ce ne sera certainement plus le cas si vous nous suivez dans cette voie. Aucun de vos électeurs ne pourra vous reprocher, quelle que soit sa confession, de n'avoir pas été scrupuleusement fidèles au principe même de la vie non plus qu'au respect de la dignité humaine et au refus de toute marchandisation du vivant. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vaxès

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme le note très justement le comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé dans son avis du 9 octobre 2008 : « La recherche de la connaissance est une valeur fondamentale et la science, malgré des erreurs et des dérives, a contribué et contribue toujours à l'amélioration du bien-être de l'homme. Quelle influence peut avoir aujourd'hui la science sur les valeurs de notre société pluraliste et laïque ? »

Ce n'est effectivement pas la recherche en soi qui pose problème, mais ses applications lorsqu'elles contrarient les valeurs spécifiquement humaines qu'elles devraient pourtant servir.

Il faut donc rappeler que toutes les applications possibles de la recherche scientifique ne sauraient être nécessairement et systématiquement autorisées. Le rôle du législateur est de dégager un cadre qui concilie la libre pensée scientifique et le respect de la dignité des personnes et du bien commun.

Consentement, anonymat, gratuité et indisponibilité du corps humain, tels sont les principes qui ont constitué et constituent aujourd'hui encore le socle de notre législation relative à l'éthique biomédicale

Plus de quinze ans après les premières lois bioéthiques, nous sommes depuis plusieurs mois mobilisés pour remettre l'ouvrage sur le métier, pour nous demander si les équilibres prévalant sont toujours d'actualité compte tenu des évolutions scientifiques, médicales et juridiques intervenues depuis lors et des revendications qui se sont ça et là exprimées ces cinq dernières années.

En dehors même de l'obligation légale de révision, l'intervention du législateur se justifie donc au seul regard de ces évolutions.

L'un des enjeux de cette révision législative est de trouver, lorsque cela est possible, le meilleur équilibre entre les oppositions qui se sont fait jour autour des principales questions qui se posent en ce domaine : remise en cause de l'anonymat des dons de gamètes, autorisation de la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, élargissement de l'accès à l'assistance médicale à la procréation à d'autres indications que celles strictement médicales et gestation pour autrui.

Je reviendrai successivement sur ces questions à la fois délicates, complexes et passionnelles.

La levée de l'anonymat du don de gamètes pour les cas d'assistance médicale à la procréation avec tiers donneur soulève de nombreuses questions. Le professeur David écrivait déjà en 1984 : « La procréation demeure le refuge de l'intimité et du naturel. L'irruption, dans ce domaine, de la médecine posera peut-être plus encore qu'ailleurs des problèmes difficiles d'interférence du social et du médical. » C'est bien, me semble-t-il, ce à quoi nous sommes confrontés aujourd'hui.

Les enfants nés d'un don de gamètes représentent environ 6 % de l'ensemble de ceux conçus par AMP. L'un des principes fondamentaux sur lequel repose ce don, l'anonymat, est aujourd'hui contesté.

Face à cette contestation, il convient, tout d'abord, de constater que toutes les personnes issues de ce don n'éprouvent pas de difficultés liées aux questionnements sur leur origine. Alors que certaines souffrent, d'autres vivent parfaitement heureuses, sans que leur mode de conception ni l'anonymat de leur donneur ne les préoccupent. On peut donc, heureusement, a priori pleinement s'épanouir sans s'interroger sur les éventuels bienfaits ou méfaits du principe d'anonymat. De ce constat une première évidence s'impose : on ne peut en aucun cas généraliser le besoin de lever de l'anonymat des personnes conçues par ce don.

Dans la vie, chacun doit se construire avec ce qui est et qui n'est pas forcément ce qu'il aurait souhaité. Chacun doit s'adapter aux épreuves de la vie : séparation, deuil, handicap ou maladie. Il n'en va pas différemment pour ce qui est de la construction de sa filiation. Il me semble évident que cette filiation appartient à ceux qui ont la responsabilité effective de l'enfant, de son éducation, de ses relations affectives et que, dans ces conditions, pour reprendre l'appréciation du pédopsychiatre Lévy-Soussan, toute société, toute loi qui valoriserait le pilier biologique le ferait toujours au détriment de la certitude de la filiation psychique.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vaxès

Comme le dit très justement M. Jean-Marie Kunstmann, vice-président de la Fédération des CECOS, praticien hospitalier à l'hôpital Cochin : « L'anonymat permet de dépersonnaliser les gamètes, ce qui facilite leur réinvestissement et leur humanisation par le couple receveur ».

Gardons toujours à l'esprit que la procréation par don de gamètes résulte avant tout et principalement du désir d'un homme et d'une femme de marquer leur union en se perpétuant dans une descendance, malgré les problèmes médicaux qui les ont contraints à recourir à un tiers donneur. L'origine de l'enfant né de ce don, c'est bien la concrétisation de la volonté de ces deux personnes de devenir parents. Le principe de l'anonymat favorise cette conception du rôle irremplaçable de la filiation psychique.

L'anonymat a toujours pour corollaire de garantir la gratuité, principes qui ont, dès 1994, consacré un principe de niveau plus essentiel encore, celui de non-patrimonialité du corps humain : si mon corps est moi, par contre, il n'est pas à moi.

Les règles de l'anonymat et de la gratuité du don marquent clairement que nous refusons de faire la moindre concession à ceux qui, d'une façon ou d'une autre, nous presseraient un jour de nous situer sur le terrain de l'échange calculé quand nous avons délibérément pris le parti de nous installer sur celui de la solidarité désintéressée. Avec le don anonyme et gratuit, les éléments et les produits de mon corps ne sont pas hors usage, mais ils doivent être assurément hors commerce et plus généralement hors contrat.

En écornant si peu que ce soit le principe de l'anonymat, je suis convaincu que, tôt ou tard, et malgré nous, nous nous retrouverions confrontés à l'échange contractuel et, du même coup, à la mise à mal du principe de non-patrimonialité du corps humain.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vaxès

Au-delà de notre attachement aux principes de gratuité et d'anonymat, c'est bien le principe de non-patrimonialité du corps humain et de primat du psychique, du relationnel, sur le biologique qui fonde notre rejet de la gestation pour autrui, comme il a, du reste, fondé notre attachement au droit du sol et non à celui du sang.

Si l'on peut entendre la détresse de certaines femmes, la question est de savoir si l'on est prêt à prendre les risques importants de dérives inhérents à la GPA pour satisfaire la demande d'avoir un enfant génétiquement issu de soi, ainsi que l'a dit le professeur René Frydman en commission.

Comme le développe très bien le rapport de la mission d'information, la gestation pour autrui soulève de lourdes interrogations éthiques à plusieurs titres, au regard tant des risques, physiques ou psychologiques qu'elle implique de faire prendre à des tiers, que de l'aliénation et de la marchandisation du corps humain, à travers l'exploitation des femmes les plus vulnérables, auxquelles elle serait susceptible de conduire. Il est impossible de définir un encadrement apte à garantir l'absence de toute dérive. Enfin, la légalisation de la gestation pour autrui entraînerait d'importantes répercussions sociales, juridiques mais aussi anthropologiques

En ne garantissant ni l'anonymat ni la gratuité et, moins encore, la non-patrimonialité du corps humain, la GPA consacrerait, de mon point de vue, un véritable recul de civilisation, et ce n'est pas parce que des États n'ont pas su résister aux pressions de certains groupes qu'il faudrait à notre tour y succomber. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC.)

Depuis le siècle des lumières notamment, la France a su porter des valeurs profondément humaines en de nombreux champs de la vie sociale. Si, depuis, certaines ont souffert de reculs majeurs, n'en rajoutons pas un autre en matière d'éthique biomédicale. Ne livrons pas la médecine à une instrumentalisation qui en pervertirait la finalité.

J'en viens maintenant à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires.

Si l'embryon doit être regardé avec le respect dû à la potentialité de personne vers laquelle il peut évoluer, une des conditions impérativement nécessaire à cette évolution reste que l'embryon soit implanté dans l'utérus de la femme. S'il n'est pas implanté, il ne sera jamais la promesse d'un enfant à naître et, par conséquent, jamais une personne réelle à venir. Dès lors, je ne pense pas que l'on puisse refuser qu'il fasse l'objet de recherches dont les avancées peuvent servir à une meilleure connaissance des conditions de son développement, de sa « qualité », et par conséquent viser l'intérêt de l'embryon lui-même.

C'est l'interprétation que je fais de l'opinion du philosophe Lucien Sève lorsqu'il dit : « Il s'agit de mettre en oeuvre une démarche s'efforçant de bien saisir la logique du problème concret pour faire vivre au singulier l'exigence d'universalité. Une telle bioéthique travaille au cas par cas dans l'attention vigilante à ce que chaque cas a d'inédit, mais chaque cas est en même temps le lieu de l'universelle exigence du respect humain. Faire valoir cette exigence d'ensemble en chaque situation prise à part requiert non la conformité toujours trop sommaire à une règle mais la pertinence toujours renouvelée à une visée. »

En d'autres termes : « L'universalité de l'obligation au respect, c'est celle non d'une norme passe-partout mais d'un cap omniprésent qui peut nous conseiller des orientations bien différentes. À l'opposé de la norme, prescription concrète prétendant valoir pour la généralité des cas, le cap est expressément formel c'est-à-dire que son universalité ne prend corps qu'au singulier. »

C'est, me semble-t-il, ce type de considération qui démasque les théories de « l'animation immédiate » que portent certaines voix ou qu'illustre, d'une certaine façon et a contrario, l'appréciation que je partage avec Anne Fagot-Largeault lorsqu'elle affirme que le génome n'est pas sacré et que ce qui est sacré ce sont les valeurs liées à l'idée que nous nous faisons de l'humanité.

Du point de vue juridique, le Conseil d'État estime qu'il n'y a pas d'argument à opposer à l'introduction d'un régime d'autorisation. Rappelant la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1994, le Conseil d'État estime que : « Sous réserve que les atteintes portées à l'embryon soient justifiées par des motifs majeurs tenant à la protection de la santé, des recherches sur les cellules embryonnaires peuvent donner lieu à autorisation sans que le principe constitutionnel de protection de la dignité humaine puisse leur être opposé. »

Si le principe constitutionnel cité par le Conseil d'État porte précisément sur la sauvegarde de la dignité de la personne humaine et pourrait difficilement être invoqué dans les cas des embryons non pourvus de personnalité juridique, il apparaît clairement que l'introduction d'un régime d'autorisation n'entrerait en contradiction avec aucune norme supérieure dès le moment où le législateur peut légitimement considérer, selon le juge constitutionnel, que les embryons surnuméraires sans projet parental sortent du champ couvert par l'article 16 du code civil qui énonce le principe du respect de tout être humain dès le commencement de sa vie.

Sur la procédure, le Conseil d'État reconnaît que la méthode d'interprétation des textes pourrait différer dans le cas où une situation donnée serait incertaine mais souligne que l'instauration d'un dispositif d'autorisation sous conditions strictes ou d'un régime d'interdiction avec dérogation n'emportent pas de différences importantes dans les modalités pratiques des contrôles administratifs qui pèseront sur ces recherches. Juridiquement, la différence entre ces deux formules n'est pas fondamentale : l'un ou l'autre de ces schémas peut être indifféremment employé pour encadrer la recherche par des conditions en réalité identiques. Dans les deux cas, ce seraient les mêmes recherches qui seraient interdites, et toute recherche non expressément validée serait interdite, sous peine de sanctions pénales.

Pour ces raisons de fond, je reste favorable à la possibilité de soumettre la recherche sur l'embryon à un régime d'autorisation sous conditions, en l'encadrant rigoureusement, ce que l'agence de la biomédecine sait très bien faire

Si l'aide médicale à la procréation est aujourd'hui considérée comme un acte médical ayant principalement pour objectif de suppléer l'altération de processus naturels de la reproduction humaine, plusieurs personnes auditionnées par la mission d'information ont suggéré d'assouplir les conditions d'accès à ces techniques, jugées trop strictes.

Ces demandes portent sur les dispositions de la loi relative à la stabilité du couple et l'âge de procréer ainsi que sur la possibilité d'autoriser la procréation post mortem ou l'accès à l'AMP pour les femmes seules et les couples de même sexe.

S'il convient de maintenir l'interdiction de l'insémination post mortem, comme l'a décidé notre commission, en revanche le transfert post mortem d'embryons pourrait être autorisé sous certaines conditions précises, comme l'a prévu la commission spéciale. Le transfert post mortem d'embryons pourrait ainsi intervenir à titre exceptionnel lorsque le projet parental a été engagé mais a été interrompu par le décès du conjoint. Le transfert d'embryons serait autorisé par l'ABM, dès lors que le père y aurait consenti. Ce transfert ne pourra avoir lieu qu'entre le sixième et le dix-huitième mois suivant le décès de ce dernier. Dans ces conditions, la filiation paternelle légitime ou naturelle, selon que le couple était marié ou non, sera établie et l'enfant sera appelé à la succession de son père. Je partage cette opinion qui a été adoptée par la commission.

S'agissant de la question de l'accès des couples homosexuels à l'AMP, je considère qu'il n'appartient pas à la médecine de répondre à cette demande. L'homosexualité n'étant pas une pathologie et l'infertilité qui en découle n'étant pas une maladie, la réponse ne peut être médicale.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vaxès

D'ailleurs, ce ne serait plus dans ce cas d'abord une assistance médicale à la procréation mais une assistance sociétale à la procréation.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vaxès

Indépendamment du fait qu'elle se pose différemment pour les couples féminins et masculins, lesquels pour être satisfaits devraient recourir à la gestation pour autrui que personnellement je réprouve car elle conduit dans tous les cas à une marchandisation ou une contractualisation du corps humain, elle soulève des interrogations sur les conséquences du glissement de la réponse médicale à la réponse sociétale, conséquences qui vont bien au-delà de la seule question de l'assistance à la procréation.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vaxès

Cette ouverture conduirait, en effet, au-delà d'une nouvelle approche de la gestation pour autrui, à celles de motivations sociétales au diagnostic préimplantatoire et par voie de conséquence à des risques d'eugénisme aux fins de convenance personnelle ou, pire, « d'amélioration » de l'espèce humaine.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Blisko

Dans ces conditions, il faut interdire l'avortement !

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vaxès

Elle conduirait sûrement aussi à celles de prélèvements et de banque de produits humains à des fins autologues donc, encore, à la remise en cause des principes de l'anonymat et de la non patrimonialité du corps humain.

Si je ne vois pas d'inconvénient à ouvrir plus tard ce débat avec la mise en place d'une mission d'information de l'Assemblée, il me paraît aujourd'hui extrêmement risqué voire dangereux d'accéder à la demande des couples homosexuels de bénéficier de l'aide médicale à la procréation. Autre chose est pour eux la possibilité d'adopter, pour laquelle je ne vois aucun inconvénient.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vaxès

Il faut en effet bien avoir conscience que, dans cette hypothèse, nous changerions fondamentalement le cadre de notre réflexion puisqu'il ne s'agirait plus de considérer l'évolution médicale dans son rapport à la santé publique mais dans son rapport à des choix sociétaux engageant notre civilisation.

Le questionnement bioéthique, parallèlement aux développements rapides de la science et des techniques médicales, apparaît de plus en plus indispensable. Il convient d'encadrer ces développements en préservant les valeurs fondamentales que sont la dignité de l'être humain, le respect dû au corps, la protection de l'embryon humain et l'intérêt de l'enfant.

Il convient aussi de s'assurer que les innovations médicales apportent des solutions aux problèmes médicaux et non aux évolutions sociétales, sauf si la représentation nationale, relayant la volonté majoritaire d'une opinion publique parfaitement éclairée, en décidait autrement. Le moment n'est cependant pas venu. Il me semble, à cet égard, que le présent texte permet un équilibre entre la libre pensée scientifique et le respect de la dignité des personnes et du bien commun.

Les députés communistes se détermineront, ce qui est bien normal, à l'issue du débat. En l'état actuel, ce texte entraînerait mon adhésion et celle d'une majorité des députés de mon groupe. Personnellement je le voterai en espérant toutefois que nos échanges permettent d'avancer en matière de recherche sur l'embryon qui n'est plus lié à un projet parental.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vaxès

Il s'agit d'une question importante car elle traduira notre volonté de ne pas céder à d'autres considérations que celles rappelées par le président de la commission spéciale dans son intervention liminaire et que je partage tout à fait. Je souhaite donc que la discussion nous permette de traiter cette question à fond et avec courage, et de la trancher avec bon sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR, sur divers bancs du groupe SRC et sur quelques bancs des groupes UMP et NC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Leonetti

Intervention de très bonne qualité, mon cher collègue !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Dionis du Séjour

Nous voici réunis pour écrire un nouveau chapitre de la législation sur la bioéthique, chapitre qui, je l'espère, adoptera le sens emprunté jusque lors, c'est-à-dire pertinent, prudent, s'appuyant à la fois sur les avancées scientifiques et le respect des valeurs fondatrices de notre société. Voilà maintenant presque vingt-huit ans que la bioéthique a fait irruption dans notre quotidien avec la création du comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé.

Nos débats seront le point d'aboutissement de travaux préparatoires qui ont mobilisé, dans toute la France, des centaines de médecins, de scientifiques, de juristes et de citoyens intéressés par ces enjeux depuis plus d'un an. Quel que soit le résultat final, la démarche qui a présidé à nos travaux honore la démocratie française.

Reste – et c'est tout de même l'essentiel – le résultat final. Or ce texte, comme ceux qui l'ont précédé, est éminemment sensible. Il concerne nos aspirations légitimes à avoir une descendance, mais aussi le droit des enfants à avoir des parents si possible « durables ». Il traite du début de la vie comme de la place du handicap et de la maladie dans notre société et, par là, mobilise nos convictions les plus profondes et les met en tension avec nos responsabilités de législateur d'une société diverse, complexe et en évolution rapide.

D'un point de vue personnel, mes convictions chrétiennes ont alimenté ma réflexion et mes positions sur ce sujet de société, même si je sais parfaitement que les chrétiens pratiquants sont une minorité et que la société française est diverse sur ces enjeux. Éthique de conviction et éthique de responsabilité, pour reprendre la problématique de Max Weber, sont également mobilisées dans ce débat et j'ai été heureux de le préparer avec des collègues partageant à la fois les mêmes convictions que moi et le même souci de vivre ensemble dans une France laïque.

Comme nous l'avons exprimé dans une tribune collective publiée dans le Figaro, mon vote dépendra des positions adoptées par le Parlement sur quatre points que je juge fondamentaux pour l'avenir de notre société.

Il faut d'abord dire clairement et fortement que la recherche d'une société de citoyens sans handicap de naissance est une illusion eugénique mortelle. Le diagnostic prénatal, en particulier le dépistage systématique de la trisomie 21, doit être rééquilibré en ce qui concerne l'information délivrée aux femmes en leur laissant une véritable liberté de choix qu'elles n'ont plus actuellement, soumises qu'elles sont à une pression constante pour effectuer des tests d'une ampleur telle qu'on peut parler de risque de dérive eugénique. Les praticiens, souvent découragés, doivent par ailleurs retrouver la liberté et la responsabilité de prescription, de dépistage, en conscience, selon les attentes et la situation de santé de leurs patientes.

Notre deuxième objectif vise à limiter les embryons surnuméraires évalués actuellement à plus de 170 000. Le texte de la commission fixe pour la première fois comme objectif législatif la diminution de ce nombre d'embryons bien peu glorieux pour notre pays. Il s'agit d'une véritable avancée. Leur congélation est, aux termes mêmes de la mission parlementaire, une « transgression première » qui pourrait pourtant être évitée. Certains pays ont agi dans le bon sens comme l'Italie, l'Allemagne où les fécondations in vitro sont réalisées sans conservation d'embryons. Les techniques d'assistance médicales de procréation doivent rester une réponse à proposer pour la stérilité de couples stables avec un véritable projet parental et, dans ce contexte, la production d'embryons surnuméraires pour optimiser le taux de réussite de ces techniques, quitte à les utiliser de manière destructrice pour la recherche, est tout simplement inacceptable à nos yeux.

Nous devons ensuite clairement accélérer le développement de méthodes alternatives à la recherche sur l'embryon. Non seulement ces recherches menées dans le monde depuis plus de vingt ans n'offrent pas la perspective de progrès thérapeutiques escomptés mais les progrès scientifiques ont suscité l'émergence de méthodes d'efficacité comparable, notamment grâce aux cellules de sujets adultes reprogrammées. L'embryon humain ne peut être un matériau de laboratoire servant des intérêts économiques et financiers. La France s'honorerait de développer ces méthodes réconciliant l'éthique et la science.

Enfin, il convient d'instaurer une bioéthique citoyenne. Didier Sicard, ancien président du Comité national d'éthique, définit celle-ci comme « un questionnement sur des conflits de valeurs suscités par le développement techno-scientifique dans le domaine du vivant ». Il a raison. Nous sommes donc condamnés à affronter ce questionnement sans cesse renouvelé. Nous devons donc nous organiser de manière démocratique pour gérer ce débat perpétuel.

Pour cela, l'agence de biomédecine a fait preuve de son utilité. Elle n'en doit pas moins demeurer à sa place. Cette modestie à retrouver passe, notamment, par un contrôle de l'agence de biomédecine à laquelle il a été laissé une délégation de pouvoir excessive, notamment en ce qui concerne les autorisations de recherche sur l'embryon. D'aussi importantes décisions ne peuvent pas être de la responsabilité de quelques scientifiques quand elles concernent la vie de tous les Français. Nous pensons qu'il revient aux citoyens et à leurs représentants de pouvoir décider des questions qui engagent l'avenir de l'homme et de la médecine. Nous ne voulons, dans ce domaine, ni une république des savants, ni une république des médecins, ni même une république des juristes. Le Parlement ne doit pas se dessaisir de son rôle.

Voilà, à grands traits, le point d'équilibre entre mes convictions personnelles et les contraintes du législateur que je suis sur les enjeux principaux de ce texte. Les avancées technologiques doivent nous permettre de dépasser certaines souffrances comme la stérilité ; en aucun cas nous ne devons les détourner à des fins qui ne donneraient pas la priorité à la vie et à 1'enfant. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Sébastien Vialatte

Nous voici à la fin du processus de révision de la loi de bioéthique. Ce projet de loi suscite de grandes attentes de la part de nos concitoyens, comme l'a montré la richesse des débats qui ont contribué à son élaboration. Ces attentes sont bien souvent contradictoires. Les avancées scientifiques fascinent. Une véritable gourmandise scientifique s'est emparée de nos contemporains à la faveur d'informations souvent sensationnelles publiées par les médias. Ces progrès rapides provoquent des angoisses, des craintes, voire des rejets. Une défiance à l'égard des sciences s'installe ici et là qui nourrit l'irrationnel. Aussi s'agit-il pour nous de faire oeuvre de pédagogie.

Les lois de bioéthique, si liées aux avancées scientifiques, interrogent chacun car elles touchent au vivant, à l'humain, aux structures familiales, au droit de la personne, à la liberté individuelle, au respect de la vie privée, à l'autonomie de la volonté, aux convictions philosophiques et religieuses de chacun. En outre, les décisions prises concernant l'assistance médicale à la procréation, la mise sur le marché de tests génétiques, l'utilisation de la neuro-imagerie et des neuro-sciences auront un impact direct sur les générations futures. Au-delà de nos appartenances politiques, il nous a fallu identifier les problématiques nouvelles posées par les développements scientifiques, afin de nous informer et de faire en sorte que les dispositions que nous adopterons soient en adéquation tant avec les découvertes scientifiques, qu'avec les attentes de la société.

Le projet de loi de bioéthique examiné aujourd'hui revêt un caractère particulier par rapport à ceux qui l'ont précédé. Il ne comporte plus de clause de révision systématique de la loi. Les principes de respect de la dignité humaine, de non marchandisation du vivant, de gratuité qui ont fondé notre démarche s'en trouvent renforcés et il y a lieu de s'en réjouir. Pourtant, rien n'est figé car en améliorant le projet de loi initial, l'on a veillé à renforcer les mécanismes d'évaluation, d'information et de contrôle par les législateurs qui, à tout moment, peuvent réviser ce texte.

Se trouvent ainsi élargies les compétences de l'agence de la biomédecine – dont je salue le travail. De même, l'importance des avis du comité national consultatif d'éthique a été accrue. Les débats au sein de la commission spéciale, ont souligné combien il était important que le Parlement soit régulièrement informé des avancées scientifiques pour évaluer, le plus en amont possible, leur impact juridique et éthique sur la société. Des procédures d'alerte de l'office parlementaire des choix scientifiques et technologiques ont été par conséquent opportunément prévues.

Des avancées importantes ont pu être faites. Elles concernent l'examen des caractéristiques génétiques d'une personne ; il ne s'agit pas d'un diagnostic classique, il touche au patrimoine génétique de toute une parentèle et peut concerner, outre l'intéressé, ses descendants, ses parents, des enfants à naître. Il vaut pour le présent comme pour l'avenir. On est enfin parvenu à résoudre la difficile question de l'information de la parentèle en cas de découverte d'une anomalie génétique grave susceptible de mesures de prévention ou de soins. Cependant la protection des données personnelles reste difficile à assurer. La commission nationale de l'informatique et des libertés s'alarme à juste titre ; certes, les dispositions nouvelles peuvent éviter que des tiers puissent s'en prévaloir mais est-ce suffisant ?

Il faut saluer la prise en compte, à partir des travaux de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques, et de ceux la commission spéciale, des défis éthiques que lancent les sciences émergentes, qui constituent un nouveau chapitre du projet de loi. Elle contribue à une prise de conscience des dangers potentiels pour les libertés publiques de la convergence des technologies.

La loi de bioéthique de 2004 n'en traitait pas. Or le développement exponentiel des nanotechnologies et des biotechnologies fait naître des interrogations, des inquiétudes et, surtout, un besoin de débattre de l'impact de telles recherches sur une société qui craint de plus en plus les manipulations et les atteintes à la vie privée et à l'autonomie de la volonté. De même, la rapidité avec laquelle les neurosciences conquièrent notre société est déconcertante. Il est donc essentiel que soit confiée à l'agence de la biomédecine une mission de veille éthique sur les neurosciences et leurs applications.

Il y a également lieu de se réjouir des avancées du projet de loi qui permettra d'accroître le nombre de donneurs d'organes et de cellules, leur conférant enfin un statut plus protecteur. Il en va de même des mesures législatives préconisées pour accroître le don et, surtout, la conservation des gamètes, notamment celles des ovocytes. Cette mesure est attendue avec impatience par des malades que les traitements rendent infertiles.

L'accès à l'assistance médicale à la procréation reste réservé aux couples médicalement infertiles. Je m'en félicite d'autant plus que les couples mariés, pacsés ou concubins sont traités sur un pied d'égalité, et que le nombre d'ovocytes fécondés est limité, leur conservation étant expressément prévue par le texte. Toutefois, je regrette que la procréation médicalement assistée ne soit pas autorisée pour les femmes célibataires médicalement infertiles.

Pour des raisons idéologiques, la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines demeure le sujet de toutes les discordes. Je rappelle que ceux qui, comme moi, sont favorables au développement de ces recherches ne considèrent pas l'embryon humain comme un matériau biologique sans importance. Il est, évidemment, une personne humaine potentielle. Néanmoins, notre position part du principe que l'embryon non implanté, et qui ne le sera pas faute de projet parental, peut faire l'objet de recherche, destin plus noble que sa destruction pure et simple. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et GDR.)

Après bien des péripéties, nous avons fini par supprimer le moratoire. Cependant, le principe d'interdiction de cette recherche est maintenu au prétexte que ce régime équivaut, dans les faits, à celui d'une autorisation encadrée. Pourtant, dans sa rédaction actuelle, le texte ne permet même pas de soigner l'embryon car de tels soins resteront assimilés à une recherche ; l'amélioration de l'assistance médicale à la procréation sera donc difficile à réaliser.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Sébastien Vialatte

Ainsi, ce régime juridique qui se veut plus protecteur de l'embryon semble clairement choisir la destruction de ce dernier plutôt qu'un don au profit de la recherche.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Sébastien Vialatte

Il est heureux que la commission spéciale se soit efforcée de limiter la production d'embryons surnuméraires, mais il en reste bien assez. Souhaite-t-on, par un texte réducteur, encourager leur destruction en l'absence de projet parental ?

Dans les faits, on a pérennisé le système existant, ce qui ne donnera pas une véritable impulsion à des recherches extrêmement utiles sur le plan cognitif et, dans le futur, sur le plan médical. Un système d'autorisation assorti de conditions strictes serait largement préférable. Il serait clair, lisible et contraignant pour les scientifiques. Telle était d'ailleurs la solution préconisée par le Conseil d'État, ainsi que par la plupart des juristes et des scientifiques.

Au contraire, on a inscrit et pérennisé dans la loi un système de transgression culpabilisant les chercheurs qui pourront, comme le prévoit le texte adopté en commission, faire jouer une clause de conscience.

La notion de « motif scientifique et médical » rendrait mieux compte de l'objectif de ces recherches, surtout de celles qui visent à la compréhension de mécanismes cellulaires complexes, comme les mécanismes conduisant à la différenciation, et de ceux concernant la pluripotence. Les recherches sur les cellules souches embryonnaires ont principalement une finalité cognitive : les applications thérapeutiques ne seront pas immédiates.

Il reste que, sans les recherches sur les cellules souches embryonnaires, celles sur les cellules souches adultes n'auraient pas connu le même développement. Des résultats majeurs des recherches fondamentales sur les cellules souches embryonnaires de ces dernières armées ont ouvert la voie à l'exploitation des propriétés de ces cellules dont les possibilités, notamment en médecine régénérative, commencent à apparaître. La compréhension plus fine de la survenue de certains cancers dépend de recherches menées tant sur les cellules souches adultes que sur les cellules souches embryonnaires. Il est absurde de vouloir opposer les recherches les unes aux autres car, en fait, elles se fertilisent mutuellement.

Seule une régulation et un encadrement adapté peuvent éviter les dérives. Nous avons tous affirmé que les interdits posés par la loi, et le rôle accru de veille dévolu à l'agence de biomédecine détermineraient les limites et les dangers de certaines pratiques autorisées à l'étranger. Toutefois, les débats l'ont montré : il existe un quasi-marché du droit biomédical, « un dumping juridique » qui exige le recours à des normes internationales communes et, si possible, contraignantes. Tel est l'enjeu de la ratification par la France de la convention d'Oviedo, qui aurait dû intervenir depuis bien longtemps. Il faut qu'enfin, au terme de cette révision, un projet de loi autorisant la ratification de cette convention soit déposé.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Sébastien Vialatte

À l'instar de mon ami Michel Vaxès, du président Alain Claeys et de M. Olivier Jardé, membre du groupe Nouveau Centre, je ne suis pas animé par un esprit partisan. Je voterai donc ce projet de loi, en espérant cependant que nous pourrons faire évoluer la recherche sur l'embryon vers un régime d'autorisation sous condition. (Applaudissements sur divers bancs du groupe UMP et sur quelques bancs des groupes SRC et GDR.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Déaut

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France des droits de l'homme a toujours été à l'avant-garde des réflexions sur l'éthique.

Depuis soixante ans, les progrès de la science ont ouvert de telles perspectives en matière médicale que le législateur a dû fixer les frontières entre le permis et l'interdit, le licite et l'illicite. À partir de la découverte de la double hélice de l'ADN par Watson et Crick, en 1954, de grandes découvertes médicales se sont succédé.

Tout d'abord, en 1962, le décryptage du code génétique a permis de comprendre pourquoi l'information d'une cellule est traduite en molécules qui permettent le développement de la vie.

Ensuite, en 1971, les chercheurs ont réussi la recombinaison de fragments d'ADN, permettant ainsi l'accès à des techniques inimaginables quelques années auparavant : la transgénèse, le clonage, le séquençage à haut débit, la médecine réparatrice ou la médecine prédictive.

Enfin, en 2003, le déchiffrage du génome humain a ouvert de nouvelles voies aux chercheurs et aux médecins.

Pour suivre ces évolutions, il a donc fallu fixer un cadre législatif. Ce furent des débats passionnants qui, par deux fois, sous deux gouvernements différents, durèrent deux ans, entre 1992 et 1994, puis entre 2002 et 2004. En tant que parlementaire, j'ai donc eu la chance d'assister aux trois étapes de la genèse de lois sur la bioéthique qui ont permis des avancées majeures.

Je me souviens de notre débat sur le diagnostic préimplantatoire, en 1994 : je ne suis pas sûr que dix-sept ans après, étant donné l'état d'esprit qui a présidé à nos échanges, nous adopterions la même mesure aujourd'hui. Même si nous nous sommes écoutés, il y a tout de même eu des tensions lors des discussions de la commission. Le président et le rapporteur ont essayé de tempérer nos débats ; je les en remercie. Toutefois, aujourd'hui, permettrait-on à des familles, déjà très éprouvées par la naissance d'enfants atteints d'une maladie génétique gravissime et mortelle, de l'éviter lors d'une nouvelle grossesse en testant la présence du gène de la maladie avant la réimplantation d'un embryon ? En tout cas, j'estime que nous avons eu raison de voter cette mesure en 1994.

La bioéthique a également permis de développer l'innovation thérapeutique. Ainsi, onze ans après les États-Unis, la France a connu la naissance d'un premier bébé dit « médicament » ; je n'aime pas l'expression et je lui préfère celle de bébé du double espoir. Le prélèvement sur un enfant, né après un diagnostic préimplantatoire, des cellules embryonnaires du sang de cordon ombilical permet de réimplanter celles-ci, en cas de compatibilité, lors d'une greffe de moelle chez un frère ou une soeur malade.

Selon Mme la secrétaire d'État, ce bébé a été conçu pour sauver son frère, mais qui peut l'affirmer ? Quel bonheur pour une famille d'éviter à un futur enfant, qui aura sauvé son cadet, une maladie génétique, à coup sûr mortelle, et, dans le même temps, de pouvoir faire échapper un de ses frères ou soeurs à une issue fatale.

Voter des lois bioéthiques, c'est une grande fierté pour un député. Il faut en permanence soupeser les bénéfices de l'innovation au regard des valeurs et des principes fondamentaux. Voter des lois bioéthiques, c'est affirmer sa vision de l'homme ; c'est donner la priorité à la vie, à l'humanisme et refuser la marchandisation et l'asservissement. Il s'agit sans doute de l'un des moments privilégiés de la carrière d'un parlementaire qui l'autorise à voter en conscience une loi qui permettra aux chercheurs de comprendre les premiers instants de la vie.

Je reste persuadé que nous aurions pu franchir une nouvelle étape cette année, et ouvrir de nouvelles voies dans le domaine de la bioéthique mais, monsieur le ministre, au point où nous en sommes, je suis déçu.

On verra ce qu'il en sera à l'issue des débats, il reste que, en commission, le rôle de votre majorité a plus souvent consisté à défendre le maintien du statu quo qu'à être une force de proposition. Je regrette que les opinons religieuses de certains aient manifestement pesé sur le débat, comme en témoignent les placards de presse publiés ces derniers jours.

Je partage votre position sur le principe du maintien de l'anonymat sur le don de gamètes, comme c'est le cas pour les dons d'organes, à l'exception des dons entre personnes vivantes. Une cellule germinale, un ovocyte ou un spermatozoïde, n'est pas un oeuf, encore moins un embryon ou un enfant. Donner un spermatozoïde n'entraîne ni droits ni devoirs. Je ne sais pas ce que signifie le terme de « nouveau modèle de responsabilité », utilisé par certains sociologues. La génétique a fait des progrès, mais le « tout génétique » est une aberration.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Déaut

Comment admettre que, vingt ans après le don d'un spermatozoïde, un enfant né de ce don puisse s'immiscer dans la vie familiale du donneur ? Comment les propres enfants de ce donneur réagiraient-ils quand arriverait dans leur vie ce demi-frère ou de cette demi-soeur génétique ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Déaut

Je n'étais pas contre la communication de données non identifiantes, mais la nature de celles-ci, consignées dans le projet de loi, m'a fait changer d'avis, comme ce fut le cas pour le président de la commission spéciale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Déaut

La suppression de cette partie du texte, initialement proposée par Mme Bachelot, est à mon sens parfaitement légitime.

En revanche, je suis en désaccord avec vous sur un certain nombre de points.

Mon premier désaccord est le plus grave. M. Jean-Sébastien Vialatte, vient de l'évoquer. En choisissant le statu quo sur la recherche sur l'embryon, vous maintenez la France dans le camp des pays les plus conservateurs sur ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Déaut

Comment justifier le régime d'interdiction des recherches en acceptant des dérogations à cette interdiction ? Comment accepter l'esprit de cette loi alors que, depuis 2004, sur les soixante-quatre autorisations demandées, cinquante-huit ont été acceptées ? Une interdiction pour laquelle beaucoup plus de dérogations sont accordées que rejetées s'appelle, en droit, une autorisation. Cependant vous utilisez cette habileté sémantique pour cacher une véritable hypocrisie.

Comme dans tous les pays développés qui se sont dotés de lois bioéthiques, vous auriez dû instaurer en France un régime d'autorisation claire pour les recherches sur les cellules souches embryonnaires tout en fixant, bien sûr, les conditions dans lesquelles celles-ci aurait été effectuées. Monsieur le ministre, vous ne l'avez pas fait parce que vous avez souhaité un compromis politique – auquel vous étiez peut-être forcé – avec ceux qui, aujourd'hui, n'acceptent ni l'interruption volontaire de grossesse ni les conditions d'accès à l'assistance médicale à la procréation.

Pourtant, comment justifier que les chercheurs n'aient pas la possibilité légale de travailler sur la compréhension des premiers instants de la vie alors que les lois Huriet-Sérusclat de 1988 ont permis, dans des conditions strictes et réglementées, de faire de la recherche sur la personne humaine à tous les instants de sa vie ? La recherche est même permise sur des cellules prélevées après le décès d'un individu.

L'argument de Mgr d'Ornellas, archevêque de Rennes, qui prétend, au nom de l'épiscopat catholique, que nous sommes aujourd'hui capables de reprogrammer des cellules adultes pour en faire des quasi cellules embryonnaires, ne tient pas. Il n'a pas tiré les leçons des expériences menées sur la brebis Dolly,…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Déaut

…qui, si elle a bien été clonée à partir de cellules adultes théoriquement reprogrammées, est sans doute née « déjà vieille ». En effet, personne ne peut dire si le compteur de la vie revient véritablement à zéro après la reprogrammation d'une cellule adulte en cellule embryonnaire ; ce sont précisément des recherches comparatives qui permettront de répondre à cette question. La nécessité de ces recherches est évidente non seulement pour l'étude du processus de la fécondation dans les mécanismes d'adhérence, de pénétration des spermatozoïdes, mais aussi pour l'étude des réussites de la fécondation après conservation des gamètes dans différents milieux ou traitement préalable de ceux-ci.

Après mes collègues MM. Claeys et Vialatte, je veux réaffirmer – car certains entretiennent cette confusion – qu'une cellule souche embryonnaire n'est pas un embryon. Nous avons d'ailleurs soutenu l'interdiction de créer un embryon pour la recherche. En revanche, aucune objection éthique ne s'oppose à ce que l'on permette à des chercheurs de travailler sur les cellules souches d'un embryon surnuméraire sans projet parental, conservées dans de l'azote liquide et qui, dans tous les cas, seraient détruites après cinq ans de conservation. Où sont le manque de respect et l'atteinte à la dignité, quand les huit ou seize cellules agrégées dans ce pré-zygote sont destinées à être éliminées ?

Il est inadmissible que le maintien du statu quo soit motivé par de strictes raisons idéologiques : la montagne des questions que nous aurions pu nous poser accouche d'une « petite souris bioéthique ».

Mon deuxième désaccord porte sur le statu quo que vous imposez en matière d'accès à l'AMP. En effet, ni le délai de deux ans ni la nature du couple – qu'il soit marié, pacsé, en concubinage ou encore homosexuel – ne doivent être pris en compte lorsqu'il s'agit de remédier à une cause d'infertilité. Une femme seule infertile ou tout couple infertile, qu'il soit homosexuel ou hétérosexuel, doit pouvoir bénéficier de l'AMP. Les amendements que nous avions déposés en ce sens ont été rejetés au titre de l'article 40, au motif qu'une assistance médicale à la procréation représente un coût pour la société. Pourtant, en autorisant celle-ci pour des couples mariés, pacsés ou vivant en concubinage et en l'interdisant à deux femmes qui ont choisi de vivre ensemble et qui sont infertiles, on crée une rupture d'égalité manifeste.

Quant au délai de deux ans, je souhaite qu'il soit supprimé, car on s'aperçoit que, lorsque le diagnostic d'infertilité est établi, souvent après plus d'un an de suivi médical, le temps joue un rôle important. En effet, l'âge moyen de recours à la procréation médicalement assistée a considérablement augmenté au cours des dernières décennies.

Enfin, le texte est lacunaire sur deux points très importants ; c'est le syndrome de la page blanche, qu'évoquait M. Jeanneteau.

Le premier concerne l'évolution des tests génétiques. Actuellement, pour quelques centaines d'euros, des « supermarchés du dépistage » vous proposent, sans contrôle médical ni contrôle de qualité de l'analyse, de connaître vos origines, de savoir si votre père est bien votre pourvoyeur de gènes ou si vous êtes susceptible de développer une maladie. Ces analyses sont, certes, réglementées, en France, mais c'est à une convention internationale qu'il faudrait confier le soin de traiter de cette question, si l'on veut éviter de voir se multiplier les charlatans de l'analyse génétique.

Le second point concerne le développement des neurosciences. Alors que la possibilité d'assujettir les pensées et les comportements n'est plus une hypothèse virtuelle, que des détecteurs de mensonges fonctionnent déjà par imagerie à résonance magnétique, il est regrettable que vous n'ayez fixé aucune frontière à l'illégalité dans ce domaine.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Déaut

Non ! C'est en tout cas mon sentiment, mais nous en discuterons.

Monsieur le ministre, nous avions fait le rêve que la France, en avance sur ces questions il y a vingt ans, puisse le demeurer après l'examen de ce projet de loi. Je crains, hélas ! que ce ne soit pas le cas et que certains chercheurs, conscients de notre instabilité juridique dans le domaine de la bioéthique, aillent mener leurs recherches à l'étranger.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Déaut

Tous nos grands scientifiques l'ont répété lors de leur audition devant la commission : ils ont été gênés dans leurs recherches au cours des dernières années. Ainsi, ils n'ont pas pu vérifier l'utilité de la congélation ultrarapide des gamètes, car le Conseil d'État a jugé qu'il s'agissait d'une recherche. Or la recherche sur l'embryon est interdite par la loi de 2004. De même, ainsi que l'ont rappelé MM. Claeys et Vialatte, les soins susceptibles d'être apportés à l'embryon, assimilés à de la recherche, seront interdits tant que nous n'aurons pas remplacer l'interdiction de la recherche par son autorisation.

Il est encore temps de faire avancer ces sujets. C'est, en tout cas, le souhait du groupe SRC. Toutefois nous restons pessimistes,…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Déaut

…car, pour la première fois, en vingt-cinq ans de débats parlementaires, je constate qu'aucun de nos amendements majeurs n'a été retenu en commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Blisko

Il y a des ordres venus d'en haut ! On approche de l'élection présidentielle !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Déaut

Ce texte devrait être ouvert ; il est verrouillé. J'espère que nous parviendrons à le faire évoluer en séance publique, car la bioéthique est l'un des socles importants de notre société. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Anny Poursinoff

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, trois principes fondamentaux ont été rappelés lors des états généraux de la bioéthique, en 2009 : le respect de la dignité humaine, le refus de toute forme de marchandisation du corps humain et le refus de son exploitation biologique. Le projet de loi dont nous débattons ne prévoit pas de réviser ces principes, qui constituent le fondement des lois de bioéthique. L'adhésion générale de l'opinion publique, des citoyens et des parlementaires à ces grands principes a été démontrée à de nombreuses reprises, et il ne saurait être question de les remettre en cause.

Mes collègues Noël Mamère, Yves Cochet et François de Rugy soutiendront des amendements en vue de faire évoluer la législation applicable à des pratiques qui, elles, ne font pas consensus dans notre société. Je veux parler des mères porteuses et de l'euthanasie. Sur ces sujets, les positions des uns et des autres transcendent les traditionnels clivages politiques. Le législateur a pour devoir d'affronter la réalité, d'appréhender les questionnements qui agitent la société. Je ne partage pas les positions de mes collègues en faveur de la gestation pour autrui, mais je tiens à saluer leur courage politique, car, en imposant ce débat au législateur, ils pratiquent une forme de militantisme et se battent publiquement pour leurs idées. C'est, pour eux, une manière de prendre acte de l'évolution de notre société et de l'affronter publiquement.

Sur tous les enjeux auxquels notre société est confrontée, je n'ai de cesse d'appeler au dialogue constructif et transparent, au débat ouvert avec les citoyennes et les citoyens, les institutions concernées, les représentations syndicales et associatives. Les conférences citoyennes éclairent les décideurs, qui tranchent en conscience. L'écoute participe du respect de la vie démocratique. La question des mères porteuses et celle de l'euthanasie touchent l'intime, suscitent des débats, des confrontations, des désaccords. C'est pourquoi je souhaite vous faire part de mes convictions ; elles sont le fruit d'une réflexion qui tient compte de l'intérêt général et du long terme et tente d'envisager les risques de dérives.

S'agissant de la gestation pour autrui – la GPA –, je veux dire ma profonde opposition à la légalisation de cette pratique, dont le refus par une grande partie des féministes, dont je fais partie, est connu. En effet, il nous paraît inenvisageable d'autoriser ou d'encadrer une quelconque forme de marchandisation du corps des femmes, fut-ce à des fins procréatives. On ne saurait accepter la vente d'un oeil ou d'un rein. Alors, comment accepter la location d'un ventre ?

Debut de section - PermalienPhoto de Anny Poursinoff

Comment faire fi des conséquences physiques et psychologiques d'une grossesse qui a pour finalité un abandon ? N'est-ce pas là une nouvelle forme de domination et d'expression de l'argent-roi ? En effet qui, aujourd'hui, loue son ventre, sinon des femmes soumises à la nécessité économique, des femmes des pays dits du sud, qui portent, moyennant rétribution, les futurs bébés des riches occidentaux ? Il n'y a pas d'altruisme dans cet échange inégal. Le développement d'un marché procréatif mondial est à craindre.

Je tiens à préciser que les femmes qui portent un enfant pour autrui ne sont pas coupables ; elles sont victimes d'un système qui les soumet à une domination d'ordre moral ou financier. La grossesse ne peut être perçue comme un travail social. Rétribuer une grossesse, c'est aussi une façon de fixer le prix d'un enfant, qui devient ainsi une marchandise. Encore une fois, l'enfantement ne peut être considéré comme un service social.

La GPA soulève également la question du droit à l'enfant, voire du droit de posséder un enfant issu de ses gènes. Elle pose donc la question de la capacité de chacune et de chacun de se sentir un être humain dans sa complétude sans transmettre ses gènes à un autre être humain : le désir d'être parent peut-il être réduit à celui de transmettre ses propres gènes ? D'autres formes de parentalité existent, qui permettraient d'enrayer la demande de GPA. On pourrait notamment étendre à l'ensemble des femmes, indépendamment de leur statut, la possibilité d'accéder à la PMA. C'est pourquoi j'ai cosigné l'amendement de Noël Mamère, qui propose de sortir d'un modèle familial unique et stéréotypé qui ne correspond plus à la réalité sociale.

De même, il conviendrait d'élargir l'accès à l'adoption, notamment aux couples homosexuels, afin de répondre au souhait d'une société qui donne à tous et toutes les mêmes droits. Le retard de la législation française dans la reconnaissance des droits des individus indépendamment de leur orientation sexuelle est intolérable ; il maintient des discriminations et des souffrances qui devraient être évitées.

La révision des lois bioéthiques soulève également la question de l'anonymat du don de sperme et de gamètes. Si le sujet est moins aigu que celui des mères porteuses, il pose, là encore, la question de la transmission génétique et de la connaissance de ses origines pour construire son identité. Conditionner l'équilibre personnel au droit de connaître l'origine de ses gènes est-il indépassable ? L'acceptation de sa condition d'enfant adopté, d'enfant issu d'une fécondation anonyme, peut, si elle n'est pas mise en concurrence avec le droit aux origines, être, au contraire, un élément constitutif de l'identité.

S'agissant du droit de choisir le moment de sa mort et d'exiger la participation du corps médical pour mettre en oeuvre ce choix, je tiens à dire que, sous couvert de mots bienveillants, le droit de mourir dans la dignité – droit que personne ne remet en cause – défendu par certains de nos collègues consiste à exiger une aide médicale au suicide. Certes, les amendements qui ont trait à ces sujets présentent l'intérêt de poser la question de la souffrance des personnes en fin de vie et de l'application des lois existantes sur les soins palliatifs. Cependant je ne peux m'y associer, car transformer la fonction du soignant, qui doit soulager la souffrance, en porteur de mort ne me semble pas acceptable. Donner la mort ne peut pas être considéré comme un soin. En outre, la légalisation de l'euthanasie peut être source de graves dérives, comme celles que l'on a pu constater notamment aux Pays-Bas, où des euthanasies sans demande du patient ont été dénoncées. Le risque existe également de voir cette pratique étendue aux malades mentaux.

Par ailleurs, la question de l'utilité d'un être humain qui coûte aux finances publiques et à sa famille risquerait d'être confrontée au droit de donner la mort. En plein débat sur la prise en charge de la dépendance et sur la remise en cause du service public hospitalier, ne prend-on pas le risque – même si ces mots sont un peu durs – d'une nouvelle peine de mort pour raison économique ? Je plaide en faveur d'un service public de la santé disposant de réels moyens. Les services de soins palliatifs doivent ainsi faire l'objet de toute l'attention des décideurs politiques et des milieux hospitaliers. Ils doivent bénéficier de personnels en nombre suffisant, formés, encadrés, soutenus dans leur tâche. La loi de 2005 doit donc être mieux connue et mieux appliquée.

Avant de conclure, je souhaite évoquer rapidement quelques autres sujets.

Tout d'abord, la demande de création d'un fichier positif des dons d'organes, accompagné de la publicité indispensable permettant de répondre aux besoins de greffe, me semble une solution équilibrée.

Par ailleurs, en ce qui concerne la recherche sur cellules souches embryonnaires, je pose la question d'une véritable recherche publique sans dérive mercantile. La situation actuelle n'est pas pour nous rassurer, mais ne justifie pas pour autant que l'on bloque les travaux d'équipes scientifiques sérieuses ne tombant pas dans des dérives chimériques.

Je conclus en regrettant que les lois bioéthiques ne soient plus révisées régulièrement, et en vous remerciant de l'attention que vous avez portée à mes propos. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Véronique Besse

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte dont nous débattons aujourd'hui est, je le crois, l'un des plus importants, si ce n'est le plus important, de notre législature, car il touche à ce qu'il y a de plus précieux et de plus fondamental : la place de l'homme dans la société et la dignité de la personne.

Les états généraux ont démontré que l'enjeu de la bioéthique est au coeur des préoccupations des Français. On a pu constater, à cette occasion, que l'opinion est bien moins revendicatrice que l'on veut bien nous le faire croire. Au contraire, les états généraux ont permis aux Français de réaffirmer la primauté de la dignité de la personne humaine.

Rappeler la valeur cardinale de ce principe n'est pas inutile, à l'heure où la science met au point, chaque jour, de nouvelles techniques d'expérimentation sur l'embryon. À travers la protection des espèces animales, la préservation de la biodiversité ou la lutte contre la pollution, la nature est aujourd'hui de plus en plus sacralisée. S'il faut s'en réjouir, il convient également de s'interroger. L'homme ne mérite-t-il pas d'être protégé de manière spécifique ?

De même que le développement économique et industriel peut, dans certains cas, nuire à l'écologie environnementale, le développement scientifique et technique peut nuire à l'écologie humaine s'il est détourné de sa finalité. Le progrès ne peut avoir de sens que s'il est mis au service de l'homme et s'il respecte l'impératif catégorique du principe de précaution.

En réalité, la question qui se pose à nous est la suivante : les lois de bioéthique doivent-elles légitimer les différentes transgressions de la science en tentant de les inscrire a posteriori dans la loi ? Pour ma part, je considère que la loi doit au contraire nous servir à rappeler ce qui ne doit pas être transgressé a priori, c'est-à-dire l'intégrité et la dignité de la personne humaine.

Quelles sont donc les limites à ne pas franchir ? Et quelles sont les pistes concrètes qui permettraient de mettre en oeuvre cette « écologie de l'homme » ? La première est de réorienter la recherche sur l'embryon vers des recherches conformes à l'éthique. Cette précision a été apportée suite à l'examen en commission, mais elle se heurte au régime dérogatoire qui, en réalité, signifie le contraire.

On sait aujourd'hui que certaines cellules sont capables d'offrir les mêmes potentialités que les cellules souches embryonnaires : le sang ou le cordon ombilical, entre autres, contiennent ce genre de cellules. La science peut également, à partir de cellules souches reprogrammées, obtenir des résultats identiques à ce qu'elle peut obtenir à partir de cellules embryonnaires.

La deuxième piste concerne la procréation médicalement assistée et le diagnostic préimplantatoire. Nous devons, là aussi, rappeler un certain nombre de principes. Le risque est grand, en effet, de fonder ces techniques sur des considérations subjectives qui donneraient lieu à toutes les dérives. Un individu peut-il raisonnablement s'attribuer le droit de juger pour un autre de la qualité de sa vie ? Décider pour autrui que la vie ne vaut pas la peine d'être vécue entraîne nécessairement des dérives eugéniques dont certaines sont contenues dans le principe même du DPI.

Or le risque est de passer d'un dépistage généralisé à une forme d'éradication sociale. Permettez-moi de reprendre les exemples frappants donnés par le professeur Didier Sicard, président du comité consultatif national d'éthique, qui nous a mis en garde contre la sélection des embryons : « Aujourd'hui, Mozart, parce qu'il souffrait probablement de la maladie de Gilles de la Tourette, Einstein et son cerveau hypertrophié à gauche seraient considérés comme des déviants indignes de vivre ».

Cette éradication dont font l'objet les embryons jugés « non conformes » doit nous interpeller. Elle doit, et ce sera mon dernier point, nous inviter à corriger le profond déséquilibre dans ce domaine de la politique du handicap. Je veux en effet aborder plus particulièrement le sujet de la trisomie 21 qui, étant l'anomalie chromosomique la plus répandue en France, est en première ligne dans le processus de sélection qui frappe aujourd'hui les embryons. Elle constitue une maladie emblématique des dérives que l'on constate, comme le professeur Israël Nisand l'a lui-même rappelé en parlant de « véritable eugénisme ».

Je crois qu'il est devenu urgent de financer la recherche sur la trisomie 21 plutôt que d'organiser son dépistage systématique ; c'est pourquoi, avec plusieurs d'entre vous, je proposerai des amendements allant dans ce sens. Il n'est ni juste ni acceptable que tous les moyens soient actuellement orientés vers le dépistage de la trisomie avant la naissance, et qu'aucun effort ne soit fait dans la recherche de traitements pour accompagner, soigner, voire guérir un jour les personnes handicapées.

Seules les fondations privées, dont les avancées sont pourtant très encourageantes, participent à cette mission de soin des personnes atteintes de trisomie 21. Leurs moyens demeureront insuffisants tant que la France restera l'un des rares pays d'Europe à ne pas accorder de financements publics pour la recherche sur la trisomie 21. À l'inverse, sa participation serait un signal fort et un formidable espoir pour les personnes atteintes par ce handicap et pour leurs familles.

Je crois malheureusement que les raisons du refus de ce financement public ne sont pas budgétaires, mais bien politiques : on fait le choix délibéré de privilégier le dépistage et l'élimination ; et cela marche, puisque 96 % des trisomiques dépistés sont aujourd'hui supprimés !

J'insiste sur le fait que le diagnostic par amniocentèse n'a rien d'anodin. Requis obligatoirement pour confirmer un risque de trisomie 21 décelé par le dépistage, il comporte des risques qui entraînent, chaque année, la disparition de plusieurs centaines d'enfants à naître, en réalité porteurs d'aucun handicap. Que ne ferait-on pas pour avoir des enfants « zéro défaut » ! Que ne ferait-on pas pour avoir la certitude que nos générations à venir seront « génétiquement conformes » !

Certes, la recherche coûte cher et le temps nécessaire pour trouver des solutions médicales efficaces est long. Cependant, à moins de s'orienter vers une société dans laquelle les personnes n'ont de valeur qu'en fonction de leur patrimoine génétique, l'argument financier est irrecevable dès lors que le sujet engage la vie et la dignité de la personne humaine.

J'ajoute que, selon une enquête récente, 97 % des Français estiment quel'État doit intervenir financièrement dans la recherche sur la trisomie 21. Et comme ils l'ont rappelé en conclusion des états généraux de la bioéthique : « La solution au handicap passe exclusivement par la recherche sur les maladies et non par l'élimination ». Il est encore temps d'agir pour que cet objectif ne reste pas un voeu pieux.

Telles sont, mes chers collègues, les pistes qui, je le crois, sont respectueuses de l'éthique universelle et que nous pouvons suivre. Je souhaite que le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui soit l'occasion de les mettre en oeuvre, afin de placer au coeur de notre société le principe inaliénable de dignité de la personne humaine et de promouvoir cette écologie véritable dont l'homme a aujourd'hui tant besoin.

Debut de section - PermalienPhoto de Xavier Breton

Très bien !

(Mme Catherine Vautrin remplace M. Jean-Pierre Balligand au fauteuil de la présidence.)

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Mariton

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsqu'il est question de science et d'éthique, il est bien que sur nos différents bancs, nous formulions tous des exigences, à la fois pour la science et pour l'éthique. Pour autant, ce n'est pas parce que nous n'aboutissons pas aux mêmes conclusions qu'il y aurait d'un côté les défenseurs de l'éthique, de l'autre, les partisans de la science. Acceptons qu'il puisse y avoir différentes visions du progrès, et ne qualifions pas hâtivement de statu quo ce que certains d'entre nous considèrent comme un progrès.

L'opinion peut être légitimement fondée sur des convictions, notamment religieuses, et contrairement à ce qu'ont affirmé ou sous-entendu certains orateurs, je ne vois pas en quoi cela serait une incongruité. Le texte comporte certains points qu'il me paraît important de souligner.

Sur la nature du diagnostic prénatal, beaucoup se sont rendus compte, à la lecture du texte, qu'il fallait prendre garde à ce que représenterait le caractère obligatoire et systématique de ce diagnostic. Il est essentiel de bien éclairer le consentement de la femme afin que celle-ci dispose d'un véritable choix : s'il peut être décidé, l'avortement ne doit pas être obligatoire, et sa fréquence ne doit pas constituer un critère d'évaluation de la performance de la politique de diagnostic, comme on a pu, à tort ou à raison, le comprendre.

Le deuxième point délicat est celui de la recherche sur l'embryon. Nombre d'entre nous insistent pour que ce texte affirme de manière claire et précise un choix politique, cohérent avec une démarche scientifique de limitation du nombre d'ovocytes fécondés et d'embryons. D'une part, cela permet de mieux considérer les conditions de l'assistance médicale à procréation ; d'autre part, cela évite de lier l'assistance médicale à procréation, la présence d'embryons surnuméraires et ce qui serait perçu, à tort ou à raison, comme le risque d'une dérive dans la recherche sur l'embryon, l'activité de cette recherche pouvant être stimulée par l'assurance de disposer d'un nombre élevé d'embryons utilisables à cette fin.

Il est important d'améliorer la compréhension de l'assistance médicale à procréation et de ses conséquences, notamment en termes d'embryons disponibles. Par ailleurs, il importe également de bien cadrer les conditions de la recherche sur l'embryon. Nous sommes, en effet, nombreux à être attachés au maintien du dispositif proposé par le Gouvernement, à savoir l'interdiction avec dérogation, et souhaitons que ce dispositif soit bien différencié de celui de l'autorisation encadrée, car certains confondent parfois les deux notions.

Le troisième point important est celui de l'encouragement aux recherches alternatives. À ce sujet notre réflexion est basée sur le principe d'une recherche libre, sauf sur l'embryon, ce principe pouvant à son tour faire l'objet d'une exception, aussi limitée que possible. Dès lors que nous sommes dans le cadre d'une démarche scientifique positive et dynamique, cela n'a de sens que si nous soutenons une vraie politique d'encouragement aux recherches alternatives.

Enfin, sur la gouvernance, je fais partie de ceux qui sont favorables à ce que la loi n'ouvre pas une nouvelle période à l'issue de laquelle un texte fragile pourrait être à nouveau discuté. Cela suppose un dispositif rigoureux en termes de comptes rendus à notre assemblée, de débats parlementaires et, comme l'avait précisé Jean Leonetti dans sa proposition de loi, de vérification d'une large ouverture aux citoyens de toute initiative législative nouvelle, le modèle des états généraux de la bioéthique ayant démontré son intérêt.

Je conclurai en évoquant des questions transversales, qui apparaissent tout au long de ce débat.

La première de ces questions est celle de la parentalité : est-elle biologique ou sociale ? Le politiquement correct conduit à affirmer qu'elle n'est que sociale. Pour ma part, je ne dirais pas qu'elle n'est que biologique : je pense qu'elle est les deux à la fois. Cependant ne sacrifions pas le droit de l'enfant au seul bénéfice du droit à l'enfant. Je plaide pour un schéma simple du couple et je récuse la critique, faite tout à l'heure, d'un modèle familial unique, qui constituerait un stéréotype ne correspondant pas à la réalité sociale.

Les couples sont libres ; les liens conjugaux se définissent librement et la politique n'a pas grand-chose à voir là-dedans. Le modèle familial, c'est autre chose et on a le droit, mais aussi je pense le devoir, d'avoir une vision de ce que j'appelle la famille durable et de schémas simples de couple.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Mariton

Il y a d'un côté la famille et, de l'autre, les couples.

Je vous ai dit tout à l'heure, madame Dumont, que, dès lors que l'on sort de schémas simples, ordinaires, on se retrouve dans des configurations difficiles, à deux, trois, voire quatre personnes, qui rendent extrêmement compliquée la compréhension de la famille et qui, je pense, ne contribuent pas à la stabilité et à la durabilité de notre société.

Attention aussi à l'intrusion du tiers dans l'homoparentalité, mais aussi dans le débat sur l'anonymat. Je rappelle à cet égard deux sujets que j'avais abordés autour de l'anonymat du don de gamètes.

Premièrement, demande-t-on l'avis des parents ? On m'a d'abord répondu qu'on n'y avait pas pensé. En effet, le projet du Gouvernement exigeait, ce qui est normal, la demande de l'enfant et l'accord du donneur. Mais qu'en est-il du parent ?

Deuxièmement, on m'a dit que l'enfant est majeur. Néanmoins ce n'est pas parce qu'il est majeur qu'il n'a pas de parents !

Faisons donc attention, dès lors que l'on va chercher un tiers dans ces matières, à ne pas oublier les éléments importants que sont les parents.

Je suis heureux, à ce stade du débat, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, qu'un grand nombre de députés, probablement plus qu'en 2004 et en 1994, se soient intéressés à ces matières et pas nécessairement des spécialistes des questions de médecine ou de procréation.

Je crois aussi – je ne m'en réjouis pas mais ne m'en attriste pas non plus – que les clivages, comme l'ont dit certains collègues à gauche, sont plus affirmés. Cela peut aider à éclairer une décision importante où, en effet, se jouent des questions de valeurs. Le ministre l'a souligné cet après-midi : il n'y a pas, quand on parle d'affirmation de valeurs, de mépris à l'égard de valeurs différentes. D'ailleurs, la différence n'est pas totale car nous ne sommes pas ici dans le noir et le blanc, même s'il existe des différences significatives entre les différents bancs de cet hémicycle.

Certains expriment des valeurs à leur manière. Eh bien, nous aussi et ce ne sont pas toujours les mêmes ! Cela fait partie de la vie ; cela témoigne également de l'importance de ce texte, de même que de son caractère politique. En effet, si c'est un texte de bioéthique, il est aussi politique ; il dit notre vision de la société. (Applaudissements sur divers bancs des groupes UMP et NC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Dumont

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, chers collègues, les avancées techniques, si elles sont porteuses d'espoirs, suscitent également des inquiétudes.

Pourquoi est-ce plus vrai que jamais ? Parce que l'innovation technique ne traite plus seulement de la machine, comme cela a été longtemps le cas, mais aussi du corps humain. Les manipulations du vivant issues de cette innovation, dans leur complexité et dans leurs résultats, peuvent donner le vertige, mais également susciter l'enthousiasme. À nous de savoir maîtriser ce vertige, de construire les garde-fous qui permettent à la science de se dépasser sans menacer l'humanité. En effet si ces manipulations conduisent à l'espoir d'une meilleure maîtrise de notre corps, elles suscitent aussi l'inquiétude de voir ce même corps dominé par la technique et soumis à tous les commerces.

Aujourd'hui, dans le cadre de ce débat, nous sommes amenés à remettre l'ouvrage sur le métier afin d'évaluer si les garde-fous que nous avons érigés en 2004 demeurent pertinents au regard des évolutions de la science et de la société. Notre rôle consiste à définir le champ des pratiques autorisées pour permettre à nos concitoyens de bénéficier des progrès scientifiques et des traitements nouveaux, sans mettre en cause les valeurs sur lesquelles notre société est fondée.

Je souhaite, dans ce cadre et en introduction à nos débats, évoquer deux sujets qui sont a priori – et tout en cas à ce stade – exclus du texte qui nous est proposé. Il s'agit de la gestation pour autrui et du maintien de l'anonymat des dons de gamètes.

Sur la gestation pour autrui, sans nier la situation ô combien difficile dans laquelle se trouvent les personnes dans l'incapacité d'avoir des enfants, il me semble que l'intérêt de la femme, de l'enfant et de la société commande de ne pas légaliser la pratique des mères porteuses.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Dumont

Pour moi, elle sous-tend une aliénation du corps humain que notre législation a refusée jusqu'ici.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Dumont

Porter un enfant pour quelqu'un d'autre a des conséquences qu'il est difficile de mesurer en matière psychique et même physique, pour la mère biologique et pour l'enfant.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Dumont

Cette pratique sous-tend par ailleurs la mise en place d'un commerce du ventre, avec de forts risques d'exploitation de femmes en difficultés et l'assimilation de l'enfant à un objet de transaction.

De nombreuses institutions se sont prononcées contre cette légalisation en pointant les risques, tant pour la mère porteuse que pour l'enfant et sa famille d'accueil ; et je devrais même ajouter les enfants déjà nés de la mère porteuse.

De plus, la primauté du lien génétique qu'elle prône pose une hiérarchie entre les modes de parenté, au détriment par exemple de l'adoption, et relève d'une vision génétique de la filiation qui m'inquiète.

Enfin, la légalisation de cette pratique, même si ce n'est évidemment pas la volonté d'un certain nombre de défenseurs de la GPA, ouvrirait la voie à d'autres remises en cause en donnant un pouvoir à autrui sur la grossesse d'une femme, menaçant ainsi le droit à l'avortement.

De même, en reconnaissant le droit par contrat d'aliéner son corps à autrui, on faciliterait l'émergence d'un cadre légal qui serait immanquablement utilisé par les promoteurs de la prostitution.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Dumont

La maternité pour autrui – expression que je préfère à celle de GPA parce qu'elle me semble plus exacte –…

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Dumont

…constitue en réalité une aliénation profonde de la personne tout entière, et pendant longtemps, et une marchandisation de son corps et de celui de l'enfant.

Elle est, en ce sens, contraire aux droits fondamentaux de la personne et à la dignité de celle-ci ; elle est contraire au principe d'indisponibilité du corps humain et de l'état des personnes, comme l'a énoncé la Cour de cassation en 1989.

Loin d'être un progrès, toute légalisation de cette pratique représenterait une régression du droit et une extension du domaine de l'aliénation car, comme le disait Kant, si l'homme a une dignité, c'est qu'il n'a pas de prix, et s'il n'a pas de prix il doit être traité comme une fin, non comme un moyen.

Sur le second sujet, l'anonymat des dons de gamètes, je serai attentive à nos débats car, si je suis contre la levée de l'anonymat, c'est un sujet sur lequel la réflexion mûrit.

La sacralisation du lien génétique qui existe pour moi dans la GPA est aussi la cause ou l'explication de la volonté de certains de lever l'anonymat sur le don de gamètes. De nombreux rapports et de nombreuses institutions se sont prononcés pour le maintien de l'anonymat.

Notre commission, vous l'avez dit, a fait tomber l'ensemble du titre V de ce projet de loi, contre l'avis du Gouvernement, car elle souhaite que soit maintenue la législation actuelle, qui privilégie l'histoire parentale à la généalogie biologique. J'espère, monsieur le ministre, que nos travaux seront respectés et que vous ne passerez pas en force. J'ai cru comprendre que tel serait bien le cas en vous lisant ce matin dans la presse.

En effet, lever l'anonymat répondrait certes à la demande de certains enfants nés à partir de dons, et je ne sous-estime pas la souffrance de quelques-uns d'entre eux, mais les conséquences analysées tant sur les enfants et les familles ayant eu des enfants issus du don que sur les donneurs me semblent problématiques.

De plus, les baisses de dons qui risquent d'en découler priveraient des familles de la possibilité d'avoir des enfants.

Enfin, cette levée de l'anonymat risquerait – même si je n'ai pas de certitude – d'avoir pour conséquence l'installation du secret sur la conception de l'enfant, alors que l'ensemble des professions médicales préconisent une information de l'enfant pour son équilibre. Cette crainte, si l'on en croit certaines des auditions que nous avons faites – mais l'exemple de la Suède semble controversé – ne relève pas du fantasme. Elle ressort des expériences étrangères et des études, notamment celles conduites par les centres d'études et de conservation des oeufs et du sperme, les CECOS.

Des parents ont ainsi avoué qu'ils renonceraient à informer leur enfant sur son mode de création s'il avait par la suite la possibilité de rechercher son père ou sa mère biologique. Cela conduirait à une perturbation trop importante qui pourrait se solder de surcroît par un refus d'identification de la part du donneur, ce qui me semble encore plus destructeur.

Le don de gamète, s'il permet d'avoir un enfant, ne constitue pas l'origine de celui-ci. Cette origine se trouve dans la seule rencontre de ses parents et dans leur décision de mener à bien un projet parental, de se donner une descendance commune. L'histoire de cet enfant n'est pas celle du donneur, mais celle des récits, des silences, de tout ce que lui transmettent ses parents. Elle est imprégnée de leur histoire, de leur culture, de leurs valeurs. Permettre à l'enfant né grâce au don de poursuivre la quête d'une autre histoire, d'une autre origine, est peut-être plus porteur de frustration et de déséquilibres que de certitudes rassurantes pour l'enfant et sa famille comme pour les donneurs.

Ces derniers, d'ailleurs, n'ont pas donné un enfant ; ils ont contribué à aider des familles qui ne pouvaient en avoir.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Dumont

Cette contribution était réfléchie et basée sur leur anonymat et celui de l'enfant. En effet, ils ne savent pas si leur don a donné lieu ou non à la naissance d'un enfant, et ne veulent pas le savoir.

Bouleverser cet état de fait remettrait en cause la famille des donneurs et celles des receveurs en introduisant un tiers dans chaque cellule familiale. Un donneur disait : « J'ai effectué ce don car je ne crois pas au lien du sang. Je crois aux liens de l'amour, de l'éducation, mais absolument pas à la génétique. »

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Dumont

Lever l'anonymat risquerait de briser ou de fragiliser cette filiation sociale au bénéfice de la filiation génétique, avec des conséquences que les familles comme les donneurs redoutent, tant sur l'éducation de l'enfant que sur son équilibre psychologique.

Enfin, cela a été également évoqué, permettre l'accès à quelques données, même non identifiantes, est peut-être, selon moi, la pire des solutions. Je ne vois pas quel sens cela pourrait avoir, pour un enfant en quête de ses origines, de connaître la taille de son père ou sa couleur de cheveux. Je pense que ces enfants, quand ils sont dans une telle quête, sont demandeurs d'un récit et non d'un curriculum vitae.

Ces deux sujets – GPA et anonymat du don de gamètes – n'étant plus dans le texte, j'ai voulu donner mon point de vue, mais je souhaite que nous nous concentrions sur l'ensemble des autres dispositions de cette loi, afin que le progrès scientifique permette le progrès médical au bénéfice de l'homme.

Encourager la recherche est la condition du progrès et, dans le moment où la science est quelquefois regardée avec méfiance – on l'a entendu ce soir –, il est décisif que la France réaffirme sa confiance dans le travail des chercheurs. Au stade actuel de ce texte, je ne crois pas que l'on en soit là. Or ce texte et nos débats doivent aussi servir à cela. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Martine Aurillac

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, vous nous présentez aujourd'hui une révision de la loi de bioéthique qui était attendue depuis longtemps.

Je dois dire que, dans ce qu'il faut bien appeler l'amoncellement de textes que nous sommes conduits à voter ou à rejeter, il en est bien peu qui sollicitent autant nos convictions, nos valeurs et notre conscience. Il y eut bien sûr l'abolition de la peine de mort, la loi sur l'avortement et, plus proche de nous, cette loi de 2004 qui touche précisément notre sujet, sans compter la loi sur la fin de vie, qui doit tant au talent et à l'humanisme de notre rapporteur, loi malheureusement encore mal connue et pas assez appliquée.

Je me réjouis aussi du climat parfois passionné mais très constructif dans lequel a pu travailler notre commission spéciale. Que son président, Alain Claeys, et Jean Leonetti en soient ici remerciés.

Ce travail, fruit d'une longue concertation, largement éclairé par le rapport de la mission qui nous a occupés pendant pratiquement une année, mais aussi par les états généraux de la bioéthique, a essentiellement porté sur certains points.

La levée du moratoire, d'abord, qui gênait, il est vrai, les chercheurs par une remise en cause régulière, a été retenue à la quasi-unanimité. Si la gestation pour autrui, qui n'est pas abordée dans notre texte, a fait l'objet d'un large rejet, deux points ont en revanche suscité quelques débats.

Je pense d'abord à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires. La finalité médicale – et non plus seulement thérapeutique – de la recherche ne soulève pas d'opposition. La discussion entre l'interdiction avec dérogation, ou l'autorisation très encadrée, peut paraître un peu byzantine ; compte tenu du remarquable travail effectué par l'agence de la biomédecine, en mon âme et conscience, et après beaucoup d'hésitations, je me rallie pour ma part à la première formule, celle de l'article 23 du projet de loi. C'est vrai, monsieur le président de la commission, il s'agit d'un compromis ; mais il correspond peut-être mieux à nos valeurs.

Dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation, il faudra bien sûr chercher à réduire les embryons surnuméraires, et accomplir des progrès rapides sur les cellules souches adultes.

Je pense ensuite à la levée de l'anonymat du don de gamètes. C'est une question difficile, qui peut soulever une cascade de difficultés ultérieures. Certes, le droit à l'accès aux origines est défendable, et le projet du Gouvernement sur ce point restait assez prudent. Néanmoins il est à craindre que cette levée ne conduise à une raréfaction du nombre de donneurs, ainsi qu'à un renforcement du secret de la conception, ce qui peut être très préjudiciable à l'enfant.

Après réflexion, je crois, comme finalement la commission, qu'il faut y renoncer, tant il est vrai que la parenté par le coeur et l'éducation me paraît largement l'emporter sur la parenté génétique.

Je n'ai ici voulu, ni pu en quelques minutes, qu'évoquer ces deux points essentiels, et encore bien rapidement.

Enfin, j'ai déposé un amendement sur le transfert d'embryon post-mortem. Ce sont, certes, des situations tout à fait exceptionnelles : il s'agit de permettre le transfert d'embryon après le décès du père, dès lors qu'il avait donné son consentement, et qu'un processus de transfert correspondant à un véritable projet parental d'assistance médicale à la procréation était donc entamé. Cela n'a rien à voir avec l'insémination, qui demeure interdite.

Rappelons que, à l'heure actuelle, comme le président Claeys l'a fort bien rappelé, la femme n'a, dans cette situation – encore une fois rarissime – que le choix cruel entre la destruction de l'embryon, ou paradoxalement l'offre à un autre couple, et enfin, si la loi est votée en l'état, le don à la recherche : trois situations qui me paraissent en fait constituer un deuil supplémentaire.

Quant à l'embryon, n'est-il pas préférable de lui permettre de vivre, avec sa mère, qui a aimé son père au point d'accepter de l'élever seule ?

Cet amendement introduit bien sûr des garde-fous. Je suis convaincue depuis longtemps – conviction que je partage d'ailleurs avec le président de notre commission spéciale – qu'il s'agirait là d'une bonne mesure.

Des critiques se sont élevées contre ce qu'elles dénoncent comme l'immobilisme, voire le conservatisme de ce projet. Mais la loi de 2004 n'était peut-être pas si mal faite ; elle a été appliquée avec doigté et intelligence par l'agence de la biomédecine.

En réalité, notre commission spéciale a, me semble-t-il, réussi à atteindre le juste équilibre, si délicat, si ténu souvent, entre ce que nous devons permettre à la science, instrument au service de la dignité de tous, et ce à quoi nous ne pouvons consentir au regard de nos valeurs les plus profondes, philosophiques, laïques ou religieuses.

C'est pourquoi je voterai ce texte, en souhaitant qu'il puisse réunir le plus large des consensus. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Touraine

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, élaborer des lois de bioéthique dans une république laïque, qui tient en grande estime les droits de l'homme, ce n'est pas simplement entériner tous les progrès scientifiques ou médicaux en rendant possible toute application thérapeutique sans réflexion préalable. Ce n'est pas non plus appliquer purement et simplement une philosophie ou une religion particulières, en écartant des conceptions plurielles, et également respectables, de la nature humaine.

Je suis d'accord sur un point avec M. Mariton – que je cite, pour ma part, de façon exacte et non déformée – il a le droit d'affirmer ici ses valeurs. Nous aussi avons ce droit. Toutefois il y a une différence : il souhaite, lui, imposer à tous ses valeurs personnelles ; pour notre part, nous estimons que, dans notre république, dans notre démocratie, le respect mutuel des valeurs est indispensable.

En un mot, sans tout permettre, il convient d'ouvrir un relatif espace de liberté, voire de diversité, et sans doute d'évolution.

Ma première étude approfondie du rôle de la bioéthique dans les choix médicaux et scientifiques remonte au milieu des années soixante-dix. Avec mon équipe, j'avais alors mis au point puis réalisé les premières greffes mondiales de cellules souches prélevées sur le foie foetal. Ces greffes ont été réalisées sur des enfants-bulles, alors voués à une mort certaine. Le traitement les a totalement guéris ; ce sont maintenant des adultes de trente-cinq ans, et, pour certains parents d'enfants sains.

Fallait-il développer ces greffes de tissus foetaux, ces greffes de cellules souches ? Je rassure MM. Breton et Mariton : à cette époque, les prélèvements de cellules étaient effectués sur des foetus décédés du fait de fausses couches spontanées.

Il n'y avait alors ni lois de bioéthique, ni comité national consultatif d'éthique, ni agence de biomédecine. Nous avons alors, pour statuer, créé à l'Université Claude-Bernard le premier comité local d'éthique ; il comprenait, outre des médecins et chercheurs, des hommes de loi et des philosophes, religieux et athées. Leur conclusion fut que des règles devaient être respectées, et que, dans le cadre de ces recommandations, il ne serait pas éthique de priver ces enfants d'une possibilité unique de guérison d'une maladie génétique mortelle.

Depuis, nous avons appliqué ces modalités thérapeutiques au traitement des foetus humains porteurs de maladies comparables. Demain, si le Parlement l'autorise, ce pourrait être le traitement des embryons humains.

Aujourd'hui, nous avons l'expérience des avis du conseil consultatif national d'éthique et des lois de bioéthique ; nous pouvons aussi nous appuyer sur le contrôle et l'action minutieuse de l'agence de biomédecine.

Dans le temps qui m'est attribué, je ne développerai que deux des thèmes de notre actuelle révision des lois de bioéthique.

Le premier concerne les transplantations.

Leur acceptation par notre société est unanime : aucun malade ne refuse jamais le traitement par une greffe. Nous sommes aussi tous d'accord sur l'existence d'un grave déficit de dons : la plus grande cause d'échec de toutes les variétés de transplantation n'est ni l'échec chirurgical ni le rejet immunologique, mais bien le décès de patients inscrits sur des listes d'attente mais n'ayant pas obtenu satisfaction.

Que faire pour y remédier ? Pour les greffes de reins et, à un moindre degré, de foie, un meilleur recours aux donneurs vivants peut améliorer quelque peu la situation. Les résultats sont, de plus, meilleurs qu'avec des greffes d'organes prélevés après le décès.

Il faut, comme plusieurs amendements le prévoient, donner des droits et offrir une reconnaissance accrue à ces donneurs vivants. Leur espérance de vie est d'ailleurs supérieure à celle de la population générale, non pas parce que le fait de donner un organe conférerait une longévité plus grande, mais parce que seules les personnes en bonne santé peuvent donner un organe. Il n'y a donc aucune raison qu'ils soient stigmatisés ni défavorisés, notamment par les assurances.

Toutefois le recours aux donneurs vivants ne permet pas de résoudre le problème constitué par le déficit important de dons d'organes. Ce déficit a d'ailleurs un coût très élevé, non seulement en vies humaines, mais aussi pour le budget de la santé dans notre pays. Pour les seules greffes de reins, l'obtention d'organes en nombre suffisant réduirait la morbidité et la mortalité, et permettrait des économies de dialyse pour un coût équivalent à celui de la construction d'un hôpital nouveau par an en France.

Il est donc nécessaire de faire progresser les dons d'organes prélevés après le décès. En vérité, pour cela, il faudrait faire appliquer la loi, qui dispose qu'en l'absence de refus exprimé par une personne de son vivant, le prélèvement peut être effectué ; elle prévoit également de demander à la famille si un tel refus a été notifié. En pratique, malheureusement, on demande l'avis de la famille et non pas de la personne elle-même. Cela aboutit à des refus, qui représentent plus d'un tiers de dons potentiels.

Pourquoi ne pas revenir à l'esprit et au texte de la loi ? Une sollicitation de chaque citoyen adulte pourrait être organisée, en précisant que l'absence d'inscription sur le registre des refus vaut approbation. Ce serait juste : ainsi, la volonté du défunt, de la personne elle-même, serait respectée et on ne troublerait pas, par des questions souvent jugées inopportunes, des familles dans le deuil.

Notre société n'est d'ailleurs pas défavorable à une telle organisation des prélèvements d'organes : dans le cas des autopsies médico-légales, les prélèvements post-mortem sont réalisés sans s'enquérir du consentement des familles.

Le second sujet que je veux développer concerne les cellules souches.

Il me paraît important de rappeler que, sous le même vocable, on englobe des réalités biologiques très disparates : une cellule souche embryonnaire n'a que peu en commun avec une cellule souche adulte, ni même avec une cellule pluripotente induite, dite cellule iPS.

La cellule souche embryonnaire est la seule qui n'ait pas encore entamé son processus de vieillissement : elle seule possède des capacités infinies de renouvellement, de multiplication, de différenciation. La recherche et ses applications, doivent naturellement concerner les unes et les autres variétés de cellules souches.

C'est d'ailleurs ce qu'ont considéré le comité consultatif national d'éthique, le Conseil d'État, et l'office parlementaire de l'évaluation des choix scientifiques et technologiques. C'est ce que pensent les chercheurs et les médecins concernés. C'est ce que la pratique oblige, en définitive, à réaliser, mais dans des conditions difficiles, avec des inerties injustes, et alors que des messages très négatifs sont adressés aux chercheurs.

En effet, l'interdiction assortie de dérogations conduit bien à suivre le mouvement mondial vers une meilleure connaissance de ces cellules. Malheureusement, comme l'a précisé le professeur Cavazzana-Calvo de l'hôpital Necker, l'absence d'une réelle autorisation a déjà fait prendre à la France un retard de dix à quinze ans dans ce domaine. Si notre loi demeure aussi restrictive et pénalisante, ce retard s'aggravera.

Après six ans d'une telle législation, il apparaît à tous – en France comme à l'étranger – incompréhensible que notre pays soit toujours incapable de dire soit oui, soit non. Bien sûr, si l'autorisation était votée – ce que, vous l'avez compris, j'appelle fortement de mes voeux –, il serait tout à fait possible d'encadrer ces pratiques de façon efficace, pour éviter absolument toute dérive regrettable.

La recherche sur l'embryon lui-même, comme sur toute personne humaine, peut également être envisagée : toute personne humaine, du début à la fin de la vie, fait l'objet de recherches comme de soins. Il est important que cette recherche soit conduite pour connaître beaucoup mieux la biologie cellulaire fondamentale, la biologie moléculaire et génétique, les processus d'auto-renouvellement, la différenciation, l'embryogenèse et la fertilité. Ainsi, d'ailleurs, nous pourrions réduire le grand nombre d'embryons voués à la destruction, car la production des embryons pourrait être beaucoup mieux dimensionnée lorsque le taux important d'échec des fécondations in vitro diminuera.

Je veux enfin revenir sur l'incompréhension démontrée par notre collègue Hervé Mariton des propos qu'Olivier Dussopt et moi-même avons tenus. Entendons-nous : lorsque l'on réalise un diagnostic prénatal, la femme enceinte dialogue avec l'équipe médicale. Au cours de ce dialogue, cette femme est informée que le procédé permettant ce diagnostic prénatal lui fait courir un risque d'interruption de grossesse, d'environ 1 %. Il serait donc illégitime de courir ce risque si cette femme souhaitait conduire sa grossesse à terme quel que soit le résultat du diagnostic prénatal.

Toutes les équipes concernées, indépendamment de toute philosophie et de toute religion, considèrent qu'il n'est pas opportun qu'une femme désirant poursuivre sa grossesse sollicite un diagnostic prénatal. Il lui suffit en effet d'attendre quelques mois supplémentaires pour obtenir un diagnostic beaucoup plus complet que dans cette phase précoce de la grossesse.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Touraine

C'est ce que j'ai dit, vous le constaterez à la lecture du procès-verbal !

Je suis sûr que, à ce moment-là, vous m'accorderez de faire publiquement les excuses auxquelles je peux prétendre.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Mariton

Le procès-verbal de l'intervention de M. Dussopt est assez clair : il ne dit pas ce que vous venez de dire.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Vautrin

Mes chers collègues, je vous en prie. Seul M. Touraine a la parole.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Touraine

Je ne veux pas polémiquer, monsieur Mariton.

Je pense, en conclusion, que nous pourrons ainsi substituer une approche guidée par la raison à des considérations fondées sur trop d'a priori, de passion ou d'idéologie. C'est ainsi que nous pourrons avancer.

Il ne faut pas perdre confiance dans la recherche, il ne faut diaboliser ni le progrès ni les chercheurs. N'en doutons pas, mes chers collègues, le texte que nous analysons aujourd'hui sera amené à évoluer dans le futur, même si ce n'est pas à une rythmicité de cinq ans précisément.

Nous pouvons avoir dès aujourd'hui deux attitudes : soit une attitude frileuse, craintive, avec une défiance vis-à-vis de tout progrès et de toute recherche, en nous laissant gagner par le pessimisme ambiant, si particulier à la société française, et donc en définitive en ne regardant que vers le passé, en n'ayant pas confiance dans l'avenir ou dans ce que peut apporter la progression de la recherche, soit, au contraire, une attitude responsable, qui accepte que tout progrès puisse apporter sa part de bénéfice et sa part de nuisance, avec la grande chance aujourd'hui de pouvoir écarter les effets adverses car nous les connaissons beaucoup mieux pour ne garder que le progrès positif. Ne nous privons pas de ce progrès, ne soyons pas excessivement frileux, voyons l'avenir avec optimisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Xavier Breton

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis plus de deux ans maintenant, la révision des lois de bioéthique est au coeur de nombreuses réflexions.

Plusieurs rapports et études ont apporté des éclairages scientifiques, juridiques ou sociologiques sur des sujets délicats et souvent complexes. De leurs côtés, les états généraux de la bioéthique organisés par le Gouvernement, ont donné lieu à un débat riche et animé au sein de notre société. Enfin, la mission d'information parlementaire, qui nous réunissait autour d'Alain Claeys et de Jean Leonetti, a publié, en janvier 2010, un rapport très complet après avoir procédé à plus de cent auditions.

Avec l'ensemble de ces travaux préparatoires, qui vont largement nourrir nos débats, notre pays reste fidèle à l'esprit des lois de 1994 et de 2004 : oui, notre pays est à l'avant-garde dans la réflexion éthique. Je crois que, collectivement, nous pouvons en être fiers.

La préparation de la révision des lois de bioéthique a donc été une formidable occasion de débats. Elle doit nous conduire d'ailleurs à nous interroger sur l'abandon de la clause de révision automatique et périodique de cette loi. Certes, la contrainte d'une révision peut susciter ce que nous pourrions appeler l'angoisse de la feuille blanche et conduire ainsi à l'adoption précipitée de mesures quelque peu spectaculaires mais, d'un autre côté, nous ne pouvons, en tant que parlementaires, nous dessaisir de ce sujet et déléguer la question bioéthique aux seuls scientifiques, l'abandonner entre les mains d'une technocratie scientifique qui concentrerait, autour de sa seule expertise, les enjeux bioéthiques.

Nous pourrions chercher au cours de ce débat à améliorer la gouvernance de la bioéthique en favorisant la participation permanente des citoyens à la réflexion bioéthique et en formalisant une implication plus forte des parlementaires dans nos missions tant de débat que de contrôle.

Le bilan de l'application de la loi de 2004 que nous avons pu établir a montré que si certaines dispositions de cette loi n'appellent pas d'évolutions majeures, d'autres nécessitent que nous nous interrogions sur les améliorations qui pourraient être apportées.

Quatre grandes questions ont ainsi progressivement émergé :

La première concerne le don d'organe. Comment pouvons-nous favoriser la mobilisation de nos concitoyens en faveur de cette grande cause ? La commission spéciale propose que des efforts importants soient consacrés à l'amélioration de l'information sur les différents dons et je souhaite que nos débats confirment ces orientations.

La deuxième question a trait au diagnostic prénatal. Pouvons-nous raisonnablement, c'est-à-dire avec raison, continuer à cautionner l'évolution du DPN qui conduit aujourd'hui à programmer l'élimination du handicap plutôt qu'à privilégier sa prise en charge collective par une société véritablement solidaire ? Je crois que nous adresserions un signal fort si nous amendions le projet de loi pour refuser la systématisation du diagnostic prénatal.

La troisième question concerne l'assistance médicale à la procréation. Allons-nous raisonnablement, c'est-à-dire avec raison, poursuivre la production d'embryons surnuméraires, production qui place les parents devant des choix impossibles tout en attisant dans le même temps les convoitises de la recherche pharmaceutique, ou, au contraire, allons-nous afficher clairement un objectif de diminution des embryons conservés et nous donner véritablement les moyens d'atteindre cet objectif ?

Enfin, nous devrons débattre, une nouvelle fois, de la recherche sur l'embryon. Raisonnablement, c'est-à-dire avec raison, saurons-nous privilégier les recherches alternatives à la recherche sur l'embryon et sur les cellules souches embryonnaires ? Nous savons en effet que ces dernières, outre les problèmes éthiques qu'elles posent, n'ont aucunement fait la preuve de leur intérêt thérapeutique et de leur pertinence scientifique.

Nous allons donc avoir de nombreuses occasions de débattre, de confronter nos conceptions et nos convictions mais aussi nos doutes et nos interrogations. Il me semble que nous devrions avoir à coeur d'éviter au cours de nos débats deux écueils :

D'une part, l'écueil de l'individualisme, du chacun pour soi, qui consisterait à organiser notre société autour du seul désir des adultes. Notre société doit avoir le courage de savoir dire non à la demande de tel ou tel, le courage de savoir dire non à un prétendu droit à l'enfant car ce qui est en jeu avec cette loi de bioéthique ce n'est pas la satisfaction de désir particulier mais l'expression d'une volonté partagée dans la recherche du bien commun.

D'autre part, l'écueil de la pression affichée ou dissimulée de ceux qui ont un intérêt, notamment financier, à l'utilisation de tel ou tel procédé scientifique. À plusieurs reprises au cours de l'examen de ce texte, nous aurons l'occasion de constater que, derrière des arguments prétendument scientifiques, se cachent parfois des intérêts particuliers, bien éloignés de toute préoccupation éthique.

Pour conclure, cette loi de bioéthique peut être une formidable occasion de dire dans quelle société nous voulons vivre et chacun d'entre nous mesure sans aucun doute la lourde et noble charge qui nous est confiée. Pour ma part, je souhaite que, tout au long de ce débat, nous sachions conserver au sein de notre société une place pour les plus fragiles et les plus vulnérables. Avec ce texte, nous avons l'occasion de traduire avec des choix forts et courageux cette éthique de la vulnérabilité que nous sommes beaucoup ici à appeler de nos voeux. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Lemorton

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, mon intervention concernera la levée de l'anonymat des donneurs et donneuses de gamètes. Même si le texte adopté par la commission a levé le doute a priori, c'est un débat qui animera encore longtemps notre société.

Ceux et celles qui sont contre la levée de l'anonymat, et j'en suis, utilisent souvent la raison d'une éventuelle baisse du nombre des donneurs. Pourtant, ce n'est pas cette raison qui me pousse à être contre la levée de l'anonymat.

L'histoire d'un enfant issu d'un don de gamètes est différente de celle d'un enfant adopté. Je ne suis pas sûre, à entendre certains propos dans notre pays, que cela soit si évident. Dans le cas de l'enfant issu du don de gamète, il n'y a pas de rupture. Dans le second cas, un enfant a été conçu et abandonné, donc il y a une rupture qui peut parfois générer un besoin criant et douloureux de savoir la ou les raisons de cet abandon, même s'il est adopté, éduqué, élevé avec tout l'amour de ses parents.

Revenons au premier cas : quelle est l'histoire de l'enfant conçu avec don de gamètes ? Elle peut être compliquée pour les futurs parents avant la conception de l'enfant mais simple à vivre une fois l'enfant arrivé. Il faut mettre toutes les conditions pour que cette histoire soit simple et « naturelle ». Un maître mot doit guider la démarche : « La vérité, rien que la vérité », au fur et à mesure que les questions sont posées par l'enfant.

Comment imaginer qu'un individu puisse se construire, s'épanouir dans le mensonge, le non-dit ou, pire, dans la découverte soudaine des conditions de sa conception ? Si on ne me l'a pas dit, c'est qu'il y avait quelque chose à me cacher, si la vérité est dite, l'histoire est somme toute assez simple à raconter.

On a, d'un côté, un couple désirant un enfant avec défaut de gamètes chez l'un des deux parents, de l'autre, un donneur ou une donneuse qui, avec le consentement de la mère ou du père de ses enfants, vient donner ce que j'appelle du « matériel biologique ». Ce don gratuit, anonyme et volontaire permet de faire aboutir un projet parental mûrement réfléchi. L'enfant sait et sent qu'il n'est pas l'enfant du hasard, qu'il est un enfant désiré, ardemment attendu, que, dans sa conception, tout est don et générosité. Point de rupture dans cette vie-là !

Il ne s'agit pas de nier les questions et les problèmes que se posent certains enfants, conçus ainsi, qui souffrent de n'avoir pas accès à leurs origines. Alors que, dans la grande majorité des cas, cela se passe bien, et avant de se lancer dans la levée de l'anonymat comme certains le voudraient, s'est-on penché réellement sur la raison de cette souffrance : comment les parents ont-ils été préparés à ce projet ? L'ont-ils appris à leur enfant ? Quand l'ont-ils informé ? Comment et avec quels mots ?

Se pose évidemment la question des moyens d'accompagnement avant et après l'arrivée de l'enfant. J'en profite pour répondre à certains spécialistes, sociologues pour lesquels j'ai le plus grand respect. Je n'accepte pas qu'ils puissent dire que la France est un pays sourd et fermé, pas plus que je n'accepte l'idée que nous serions des sexagénaires – je n'ai d'ailleurs pas soixante ans moi-même – disposant avec arrogance de la vie des trentenaires que nous serions incapables d'écouter.

J'ai l'intime conviction que donner la possibilité de lever l'anonymat serait une régression philosophique et intellectuelle, bien loin de la pensée de Lucien Malson qui disait « L'homme est une histoire » ou encore « L'homme n'est pas né mais construit ».

Ramener l'individu à ses origines génétiques, c'est remettre en cause ce qui relève de l'inné et ce qui relève de l'acquis. C'est créer une certaine confusion entre l'être génétique et l'être social. C'est emprunter un chemin dangereux sur lequel un candidat aux présidentielles, devenu Président de la République, s'était honteusement aventuré en 2007, en laissant supposer que la pédophilie ou l'homosexualité seraient d'origine génétique. Comme si cela ne suffisait pas, la majorité présidentielle, quelques mois plus tard, envisageait des tests ADN pour définir le périmètre familial. La personne, l'individu, l'être humain est avant tout l'addition d'acquis affectifs, culturels, sociaux, éducatifs.

Et si j'en parle aujourd'hui avec conviction à cette tribune, c'est parce que c'est l'histoire de ma famille, de mes enfants et des six donneurs que nous avons amenés il y a près de vingt ans au CECOS de Toulouse. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Souchet

En ouvrant ce débat parlementaire sur la révision des lois de bioéthique, un débat pas comme les autres parce qu'il met en jeu, vous l'avez rappelé cet après-midi, monsieur le ministre, notre conception de la condition humaine, nous mesurons la responsabilité individuelle et collective qui est la nôtre.

Nous sommes dans un domaine qui est encore un domaine de souveraineté. Les états généraux l'ont rappelé dans leur rapport final : « la France est un pays souverain qui ne doit pas se soumettre à la pression internationale en matière éthique ». Cela ne doit pas nous empêcher de nous inspirer des régulations les plus responsables adoptées par d'autres pays européens, l'Allemagne et l'Italie par exemple, pour ce qui est du refus de créer des embryons surnuméraires, et de refuser les législations les plus transgressives. Ce n'est pas parce que la Grande-Bretagne fait n'importe quoi en matière d'eugénisme qu'elle est en avance et que nous devons la copier.

Nous serons en avance en matière bioéthique lorsque nous disposerons de la législation la plus protectrice de la dignité de la personne humaine, ce qui n'est nullement contradictoire avec les avancées de la recherche. Les Français nous ont rappelés à nos devoirs à travers les états généraux : « Les citoyens attendent de l'État qu'il soit en mesure de protéger chacun, en particulier les plus vulnérables, contre les dérives mercantiles, les expérimentations et les pratiques qui bafouent le principe d'intégrité du corps humain ».

Dans ce domaine de compétence souveraine, qui touche au coeur de la vie humaine, notre responsabilité est donc inaliénable. Nous ne pouvons la déléguer à personne, à aucun corps d'experts, à aucune agence, fût-elle de biomédecine. Nous ne devons pas nous laisser déposséder de nos responsabilités propres d'élus législateurs au profit de personnalités technoscientifiques désignées.

Je voudrais insister sur un point essentiel sur lequel notre effort éthique doit se porter pour que les intérêts de la science n'entrent pas en conflit avec le service de l'homme. Il s'agit de la recherche sur les cellules souches et de l'inquiétude que suscitent les ruptures avec l'encadrement législatif de 2004 introduites par le projet de loi en matière de recherche sur l'embryon humain, qui apparaissent en décalage avec les résultats et les perspectives de la recherche.

Certes, la loi de 2004 avait un caractère schizophrène dans la mesure où, aussitôt après avoir posé le principe de l'interdiction de la recherche sur l'embryon humain, elle posait la transgression de ce principe. Du moins la dérogation prévue par la loi était-elle strictement encadrée dans le temps, avec la mise en place d'un moratoire de cinq ans, et dans son objet, puisqu'elle était subordonnée à une perspective exclusive d'application thérapeutique et à l'absence d'alternative d'efficacité comparable. Ce moratoire avait le mérite de reconnaître l'importance du principe du respect de l'embryon. La possibilité de déroger à ce principe avait un caractère provisoire, expérimental et sous bénéfice d'inventaire.

Or, que nous a appris ce moratoire de cinq ans ? Même si aucun bilan évaluatif des recherches sur les cellules souches, pourtant explicitement prévu par la loi de 2004, ne nous a été présenté, nous savons que les perspectives thérapeutiques que l'on avait fait miroiter aux yeux des parlementaires en 2004 se sont révélées illusoires. C'est au contraire la découverte des cellules reprogrammées qui a ouvert les perspectives les plus fécondes. Elles répondent aux besoins de modélisation de pathologies que recherchent les industriels du médicament. Elles sont plus accessibles et n'entraînent aucun dommage éthique.

Je rappelle d'ailleurs que les citoyens, lors des états généraux, ont regretté de « n'avoir pas été assez informés de l'existence des recherches prometteuses sur les cellules issues du sang de cordon, et les cellules pluripotentes induites ». Ils souhaitent « pouvoir disposer d'un bilan comparatif des résultats des différentes applications thérapeutiques ». Ils « attendent des pouvoirs publics qu'ils soutiennent ces recherches qui ouvrent des perspectives thérapeutiques prometteuses et innovantes ».

On comprend mal, dans ces conditions, pourquoi l'on s'acharne à toute force à vouloir maintenir la recherche sur l'embryon humain, alors que scientifiquement, jamais il n'a été moins nécessaire qu'aujourd'hui d'y avoir recours. S'agirait-il pour le marché de la fécondation in vitro et de l'industrie du médicament d'une question de différentiel de coût ?

L'UNAF, dont chacun connaît la représentativité, a tiré les conséquences de cette situation. « Puisque de nouvelles techniques apparaissent et rendent de moins en moins utiles les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines, l'UNAF considère que le régime dérogatoire sous condition n'a plus lieu d'être. En alternative, elle demande que soit inscrite dans la loi l'absolue nécessité de développer les recherches sur les cellules souches embryonnaires animales, ainsi que les recherches sur les cellules reprogrammées en cellules pluripotentes et sur les cellules du sang de cordon et du sang placentaire ».

Il est donc paradoxal que ce projet de loi s'inscrive non pas dans cette perspective ouverte par les états généraux, l'UNAF, mais au contraire dans celle d'un élargissement, d'une libéralisation de l'expérimentation sur l'embryon humain. Le texte propose en effet la suppression du moratoire et donc la disparition de l'encadrement dans le temps de la dérogation. Mais inscrire dans la loi une dérogation à titre pérenne n'équivaut-il pas à son inscription comme principe ? En outre, le texte prévoit non seulement le maintien, mais l'extension de la dérogation. On passe de la perspective de « progrès thérapeutiques majeurs » à celle de « progrès médicaux », ce qui ouvre la porte à des pratiques telles que le criblage de molécules et la modélisation de pathologies utilisées par la recherche pharmaceutique ou encore les recherches visant à améliorer les techniques d'assistance médicale à la procréation pouvant déboucher une véritable industrie de fécondation d'embryons.

La notion d'efficacité comparable cède la place à celle de recherche similaire qui ouvre la voie à l'autorisation de recherche sur l'embryon humain en vue d'objectifs qui pourraient être atteints grâce à d'autres cellules souches que les cellules embryonnaires humaines.

Ces discordances entres les propositions législatives et les perspectives de la recherche suscitent une interrogation majeure. Pourquoi vouloir pérenniser une transgression, alors qu'aucune raison scientifique ne peut plus le justifier ? Au lieu de poser l'apparence d'un principe d'interdiction, puisqu'il est aussitôt remis en cause par une multitude d'exceptions, le législateur ne devrait-il pas plutôt proposer que l'effort de recherche se concentre désormais sur les cellules non embryonnaires qui sont à la fois les plus prometteuses sur le plan thérapeutique et celles qui ne posent pas de problèmes éthiques ? Ainsi la recherche la plus susceptible d'aboutir à des résultats cliniques serait-elle encouragée en même temps que serait enrayé le risque de voir l'embryon humain devenir progressivement un matériau de laboratoire banalisé au service d'intérêts économiques et financiers.

Nous ne pouvons accepter que l'embryon en vienne, par glissements, à être considéré comme un simple tas de cellules à partir duquel pourraient être recherchés des brevets juteux en occultant sa qualité d'être humain au nom d'une hypothétique complémentarité entre cellules souches embryonnaires et non embryonnaires, qui n'est ni pertinente scientifiquement ni acceptable éthiquement.

L'amendement à l'article 23 du projet de loi introduit en commission a le mérite de rappeler la nécessité de réorienter la recherche, mais je crains qu'il ne soit largement déclaratif tant que demeureront les dérogations concernant la recherche sur les embryons.

En tout état de cause, il ne paraît pas acceptable d'adopter un régime d'autorisation élargi de manière permanente. Ses résultats doivent pouvoir être évalués par le législateur à une échéance fixée par lui. Cet examen doit avoir lieu dans le cadre d'une clause de revoyure inscrite dans la loi. Une durée de cinq ans paraît raisonnable, comme le prévoient plusieurs amendements. En l'absence d'une telle clause de rendez-vous, l'Agence de biomédecine aura naturellement tendance à se substituer progressivement au législateur, alors qu'il nous appartient au contraire de contrôler très strictement les pouvoirs et les décisions de cette agence et notamment les autorisations qu'elle délivre.

Un rendez-vous régulier est indispensable pour harmoniser enjeux éthiques et progrès de la connaissance. Il devra chaque fois être précédé, comme ce fut le cas pour le projet de loi que nous examinons, d'états généraux permettant de soustraire le débat au seul cercle des experts.

Il est indispensable, comme le souligne l'UNAF, « que s'engage selon des échéances régulières un véritable débat citoyen sur les valeurs que la société veut porter. Cette révision de la loi mobilise la société civile, les institutions comme les citoyens qui la composent. Il est impératif qu'une telle réflexion sur l'avenir de notre société se fasse collectivement et non pas uniquement à travers des experts, aujourd'hui comme demain ».

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Vautrin

La parole est à M. Jacques Remiller, qui sera le dernier orateur à intervenir cette nuit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Remiller

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le débat qui nous occupe ce soir est éminemment délicat car il touche à l'intime, à ce qu'il y a au coeur des couples, au coeur de nos familles, ce qui est à l'origine même de nos vies. Et nous parlons d'embryons en oubliant trop souvent que chacun de nous en a été un il y a quelques années, que nous sommes nés d'un homme et d'une femme qui ne cherchaient pas à avoir un enfant parfait.

Je vois certains médias titrer « Bioéthique, le statut quo », comme si sur ces sujets délicats, il était impératif d'avancer. Mais je vous le demande, d'avancer vers quoi ? À quoi sert le progrès s'il n'est au service de l'Homme, c'est-à-dire pas nécessairement au service des couples, car l'intérêt de l'enfant à naître et le respect de principes de bon sens sont également à prendre en compte.

Ces principes communs à un grand nombre de sociétés sont assez simples : respect de la vie et de la dignité humaine, non-instrumentalisation du corps humain, et, en un mot, vigilance face à des apprentis sorciers prêts à tout au nom de la science.

Les sujets dont nous allons discuter sont graves, et il va nous falloir garder à l'esprit, à chaque instant, que nous parlons d'embryon ou de foetus, ce que nous avons tous été avant de naître. Le diagnostic prénatal va nous être présenté par certains comme un test qui va rassurer les parents et leur permettre un choix éclairé. Mais il serait naïf de penser qu'on peut choisir librement lorsqu'on est confronté à la maladie d'un enfant.

Chaque parent souhaite pour son enfant la vie la meilleure possible, mais en quoi la vie d'un enfant atteint de trisomie 21 aurait-elle moins de valeur que celle d'un enfant qui n'en est pas atteint ? Et si, au lieu de rendre un tri-test très coûteux obligatoire, l'État finançait enfin la recherche pour soigner cette maladie qui n'est pour l'instant que dépistée ?

Je regrette que ceux qui s'acharnent à vouloir faire de la recherche sur l'embryon – cela fait vingt ans qu'ils n'obtiennent aucun résultat ! – ne soient pas aussi motivés lorsqu'il s'agit de recherche sur les cellules souches adultes et du sang de cordon ombilical grâce auquel des chercheurs étrangers ont déjà obtenu des résultats probants pour guérir des malades atteints de pathologies du sang comme la leucémie ou des maladies génétiques. Il y a plus de 800 000 naissances en France par an, et donc autant de cordons ombilicaux collectables, sans aucun problème éthique. C'est un formidable espoir pour les malades et leurs familles !

Le 26 janvier dernier, le premier « bébé médicament » est né en France. Il a été conçu par fécondation in vitro après un double diagnostic génétique pré-implantatoire permettant le choix des embryons, et le sang de son cordon ombilical a été transmis à son grand frère dans l'espoir de le guérir de sa maladie, forme grave d'anémie génétique.

Si l'on peut se réjouir de cet espoir de guérison d'un petit garçon, il ne faut pas oublier que ce type de pratique, qui a été légalisée en France par un amendement lors de la discussion du projet de loi sur la bioéthique en 2004, pose des interrogations éthiques importantes.

Je tiens à rappeler que cette sélection embryonnaire ne se fait pas au profit de l'enfant à naître : le bébé médicament est investi d'un espoir qui fait peser sur lui l'injonction de sauver son frère aîné. Il doit sa vie non plus au seul désir le concernant, mais à la mission pour laquelle il a été conçu. S'il n'arrive pas à accomplir sa mission de sauveur, il risque de se sentir défaillant et coupable, voire inutile et indigne de vivre.

Cette instrumentalisation constatée au travers du tri embryonnaire fait du bébé médicament une victime, et les psychiatres envisagent logiquement des troubles spécifiques pour ces personnes. Notre excellent collègue Nicolas Dhuicq, seul psychiatre de notre assemblée, pourrait sûrement nous en parler longuement.

Je comprends les espoirs et attentes des couples qui souffrent d'infertilité, mais plutôt que de financer des recherches infructueuses sur les embryons, pourquoi notre pays ne décide-t-il pas de lancer une grande politique nationale de lutte contre la stérilité ? En effet, la FIV ne règle pas le problème de ces couples qui doivent, à chaque désir d'enfant, revivre un parcours difficile. En cette heure avancée de la nuit, je vous remercie de votre attention. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Vautrin

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Vautrin

Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Explications de vote et vote, par scrutin public, sur la proposition de loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit ;

Suite de la discussion du projet de loi relatif à la bioéthique.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 9 février 2011, à une heure quarante-cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,

Claude Azéma