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Intervention de François de Rugy

Réunion du 8 février 2011 à 21h30
Bioéthique — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois de Rugy :

Ne faisons pas de ces sujets des sujets d'affrontement entre droite et gauche, ni même entre partis. Toutes les positions existent à droite comme à gauche et au sein même des partis. Chez les écologistes, nous connaissons aussi cette diversité et c'est très bien ainsi. Même la commission nationale consultative des droits de l'homme avoue, dans l'avis qu'elle nous a transmis tout récemment, qu'elle était divisée sur ce projet de loi.

Les Français nous demandent de mener ces débats et de faire évoluer la législation en vigueur. La France étouffe de ne pas savoir mener ces débats au Parlement. Monsieur le rapporteur Leonetti, dans le débat du 19 novembre dernier sur la fin de vie, vous disiez : « Nous sommes face à deux projets de société. L'un relève d'une « société des individus » qui ont pour devise : « c'est mon choix ».

Oui en effet, ce que demandent les Français, ce n'est pas que nous nous transformions en guides spirituels. Ils ne souhaitent pas que nous édictions un modèle unique de vie allant de la naissance à la mort. Ils aspirent à une liberté de choix, une liberté de disposer de leur corps, qu'il s'agisse de donner la vie ou de choisir sa fin de vie. Les Français savent bien qu'ouvrir des possibilités n'a jamais obligé personne à les utiliser. Permettre le diagnostic prénatal n'oblige personne à procéder à une interruption médicalisée de grossesse. Avoir autorisé le PACS n'a empêché aucun couple hétérosexuel de se marier. Permettre l'euthanasie n'empêchera personne de préférer les soins palliatifs ou même la poursuite acharnée des soins.

En lisant les récits d'expériences, aujourd'hui semi-clandestines, de gestation pour autrui, je suis frappé par le fait que les parents qui y ont recouru ne se plaçaient pas du tout sur le terrain de l'acte militant, encore moins sur celui de la provocation. En réalité, ils font preuve d'une grande humilité et de discrétion – ils refusent d'ailleurs souvent de témoigner à visage découvert. Ils ne sont pas dans un débat idéologique. Ils aspirent seulement à un bonheur simple et privé : celui d'avoir un enfant par filiation directe, alors que leur corps ne le permet pas toujours.

De quoi avons-nous peur ? Du choix des Français ? Dans le débat sur 1'identité nationale, j'avais dit que, pour moi, le peuple français est un peuple sage. Il ne s'était pas alors laissé entraîner sur le terrain où vous vouliez l'emmener. Je le redis ici, sur ce sujet : je fais partie de ceux qui font confiance aux Français. À partir du moment où des progrès scientifiques ou des évolutions des mentalités permettent d'ouvrir de nouveaux choix, chacun jugera en conscience s'il ou elle voudra les utiliser.

Qu'il s'agisse de sujets aussi divers que la gestation pour autrui, la connaissance des origines, la recherche sur les embryons ou la fin de vie, on ne peut pas continuer à dire que la législation actuelle suffit.

Sur la fin de vie par exemple, la loi dite loi Leonetti n'a été qu'un tout petit pas en avant. En l'état, elle ne règle rien et il ne suffira pas de la faire mieux connaître pour que les problèmes soulevés soient réglés. Elle peut même conduire, reconnaissons-le, à des situations dramatiques, par exemple à ce que physiologiquement, des personnes en soient réduites à attendre, faute d'alimentation ou de perfusion, de mourir en quelque sorte de faim et de soif. En effet, il ne suffit pas de ne plus administrer de traitement médical pour mourir, l'affaire Humbert et le cas de Chantal Sébire l'ont montré. À chaque fois, on a ajouté pour les proches, à la douleur de la mort, la souffrance d'une procédure judiciaire – procédure inutile puisque, en général, elle se termine par un non-lieu.

Arrêtons de nous défausser sur les tribunaux. Par une récente décision sur le sujet du mariage homosexuel, le Conseil constitutionnel invite d'ailleurs les législateurs à prendre leurs responsabilités.

C'est le cas dans le cinquième point de sa décision, ainsi rédigé : « Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant « l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités » ; qu'il est à tout moment loisible au législateur statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel. »

Le septième point va dans le même sens : « Considérant, en second lieu, que la liberté du mariage ne restreint pas la compétence que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution pour fixer les conditions du mariage dès lors que, dans l'exercice de cette compétence, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel. »

Quoi qu'on pense des arguments de fond du Conseil constitutionnel, je considère pour ma part qu'il a fait oeuvre utile en remettant le Parlement devant ses responsabilités.

De la même manière, la cour d'appel de Paris par une décision de mars 2010, sur le lien de filiation avec un couple français de deux jumelles nées d'une mère porteuse américaine, avait invité le législateur à faire son travail en considérant que malgré cette reconnaissance, qu'il avait lui-même actée, il n'était pas possible – sans une modification de la loi – de rétablir la transcription à l'état civil de leur acte de naissance.

On pourrait encore argumenter longuement. Au-delà du renvoi en commission, j'ai surtout voulu plaider pour que nous ayons un débat apaisé, pour que chaque parlementaire prenne ses responsabilités sans se trouver enfermé dans des positions de groupe ou de parti et pour que l'Assemblée nationale n'évacue aucun débat et vote enfin les avancées législatives tant attendues. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe SRC.)

1 commentaire :

Le 23/02/2011 à 11:42, Karl Civis (retraité) a dit :

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Sur le thème de la fin de vie, lire sur http://www.mediapart.fr/club/blog/Denis%20Meriau

- trois chroniques relatives au débat de 2004 :

FIN DE VIE_rétro-débat 2004_(1) vue d’ensemble (le rapporteur/J.LEONETTI)

FIN DE VIE_rétro-débat 2004_(2) éléments de consensus

FIN DE VIE_rétro-débat 2004_(3) éléments de dissensus : le non-dit de l’euthanasie

une chronique relative à la discussion au sénat d’une proposition de loi (janvier 2011)

Assistance médicalisée pour mourir : une proposition de loi qui fait flop ?

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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