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Intervention de Jean-Louis Touraine

Réunion du 8 février 2011 à 21h30
Bioéthique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, élaborer des lois de bioéthique dans une république laïque, qui tient en grande estime les droits de l'homme, ce n'est pas simplement entériner tous les progrès scientifiques ou médicaux en rendant possible toute application thérapeutique sans réflexion préalable. Ce n'est pas non plus appliquer purement et simplement une philosophie ou une religion particulières, en écartant des conceptions plurielles, et également respectables, de la nature humaine.

Je suis d'accord sur un point avec M. Mariton – que je cite, pour ma part, de façon exacte et non déformée – il a le droit d'affirmer ici ses valeurs. Nous aussi avons ce droit. Toutefois il y a une différence : il souhaite, lui, imposer à tous ses valeurs personnelles ; pour notre part, nous estimons que, dans notre république, dans notre démocratie, le respect mutuel des valeurs est indispensable.

En un mot, sans tout permettre, il convient d'ouvrir un relatif espace de liberté, voire de diversité, et sans doute d'évolution.

Ma première étude approfondie du rôle de la bioéthique dans les choix médicaux et scientifiques remonte au milieu des années soixante-dix. Avec mon équipe, j'avais alors mis au point puis réalisé les premières greffes mondiales de cellules souches prélevées sur le foie foetal. Ces greffes ont été réalisées sur des enfants-bulles, alors voués à une mort certaine. Le traitement les a totalement guéris ; ce sont maintenant des adultes de trente-cinq ans, et, pour certains parents d'enfants sains.

Fallait-il développer ces greffes de tissus foetaux, ces greffes de cellules souches ? Je rassure MM. Breton et Mariton : à cette époque, les prélèvements de cellules étaient effectués sur des foetus décédés du fait de fausses couches spontanées.

Il n'y avait alors ni lois de bioéthique, ni comité national consultatif d'éthique, ni agence de biomédecine. Nous avons alors, pour statuer, créé à l'Université Claude-Bernard le premier comité local d'éthique ; il comprenait, outre des médecins et chercheurs, des hommes de loi et des philosophes, religieux et athées. Leur conclusion fut que des règles devaient être respectées, et que, dans le cadre de ces recommandations, il ne serait pas éthique de priver ces enfants d'une possibilité unique de guérison d'une maladie génétique mortelle.

Depuis, nous avons appliqué ces modalités thérapeutiques au traitement des foetus humains porteurs de maladies comparables. Demain, si le Parlement l'autorise, ce pourrait être le traitement des embryons humains.

Aujourd'hui, nous avons l'expérience des avis du conseil consultatif national d'éthique et des lois de bioéthique ; nous pouvons aussi nous appuyer sur le contrôle et l'action minutieuse de l'agence de biomédecine.

Dans le temps qui m'est attribué, je ne développerai que deux des thèmes de notre actuelle révision des lois de bioéthique.

Le premier concerne les transplantations.

Leur acceptation par notre société est unanime : aucun malade ne refuse jamais le traitement par une greffe. Nous sommes aussi tous d'accord sur l'existence d'un grave déficit de dons : la plus grande cause d'échec de toutes les variétés de transplantation n'est ni l'échec chirurgical ni le rejet immunologique, mais bien le décès de patients inscrits sur des listes d'attente mais n'ayant pas obtenu satisfaction.

Que faire pour y remédier ? Pour les greffes de reins et, à un moindre degré, de foie, un meilleur recours aux donneurs vivants peut améliorer quelque peu la situation. Les résultats sont, de plus, meilleurs qu'avec des greffes d'organes prélevés après le décès.

Il faut, comme plusieurs amendements le prévoient, donner des droits et offrir une reconnaissance accrue à ces donneurs vivants. Leur espérance de vie est d'ailleurs supérieure à celle de la population générale, non pas parce que le fait de donner un organe conférerait une longévité plus grande, mais parce que seules les personnes en bonne santé peuvent donner un organe. Il n'y a donc aucune raison qu'ils soient stigmatisés ni défavorisés, notamment par les assurances.

Toutefois le recours aux donneurs vivants ne permet pas de résoudre le problème constitué par le déficit important de dons d'organes. Ce déficit a d'ailleurs un coût très élevé, non seulement en vies humaines, mais aussi pour le budget de la santé dans notre pays. Pour les seules greffes de reins, l'obtention d'organes en nombre suffisant réduirait la morbidité et la mortalité, et permettrait des économies de dialyse pour un coût équivalent à celui de la construction d'un hôpital nouveau par an en France.

Il est donc nécessaire de faire progresser les dons d'organes prélevés après le décès. En vérité, pour cela, il faudrait faire appliquer la loi, qui dispose qu'en l'absence de refus exprimé par une personne de son vivant, le prélèvement peut être effectué ; elle prévoit également de demander à la famille si un tel refus a été notifié. En pratique, malheureusement, on demande l'avis de la famille et non pas de la personne elle-même. Cela aboutit à des refus, qui représentent plus d'un tiers de dons potentiels.

Pourquoi ne pas revenir à l'esprit et au texte de la loi ? Une sollicitation de chaque citoyen adulte pourrait être organisée, en précisant que l'absence d'inscription sur le registre des refus vaut approbation. Ce serait juste : ainsi, la volonté du défunt, de la personne elle-même, serait respectée et on ne troublerait pas, par des questions souvent jugées inopportunes, des familles dans le deuil.

Notre société n'est d'ailleurs pas défavorable à une telle organisation des prélèvements d'organes : dans le cas des autopsies médico-légales, les prélèvements post-mortem sont réalisés sans s'enquérir du consentement des familles.

Le second sujet que je veux développer concerne les cellules souches.

Il me paraît important de rappeler que, sous le même vocable, on englobe des réalités biologiques très disparates : une cellule souche embryonnaire n'a que peu en commun avec une cellule souche adulte, ni même avec une cellule pluripotente induite, dite cellule iPS.

La cellule souche embryonnaire est la seule qui n'ait pas encore entamé son processus de vieillissement : elle seule possède des capacités infinies de renouvellement, de multiplication, de différenciation. La recherche et ses applications, doivent naturellement concerner les unes et les autres variétés de cellules souches.

C'est d'ailleurs ce qu'ont considéré le comité consultatif national d'éthique, le Conseil d'État, et l'office parlementaire de l'évaluation des choix scientifiques et technologiques. C'est ce que pensent les chercheurs et les médecins concernés. C'est ce que la pratique oblige, en définitive, à réaliser, mais dans des conditions difficiles, avec des inerties injustes, et alors que des messages très négatifs sont adressés aux chercheurs.

En effet, l'interdiction assortie de dérogations conduit bien à suivre le mouvement mondial vers une meilleure connaissance de ces cellules. Malheureusement, comme l'a précisé le professeur Cavazzana-Calvo de l'hôpital Necker, l'absence d'une réelle autorisation a déjà fait prendre à la France un retard de dix à quinze ans dans ce domaine. Si notre loi demeure aussi restrictive et pénalisante, ce retard s'aggravera.

Après six ans d'une telle législation, il apparaît à tous – en France comme à l'étranger – incompréhensible que notre pays soit toujours incapable de dire soit oui, soit non. Bien sûr, si l'autorisation était votée – ce que, vous l'avez compris, j'appelle fortement de mes voeux –, il serait tout à fait possible d'encadrer ces pratiques de façon efficace, pour éviter absolument toute dérive regrettable.

La recherche sur l'embryon lui-même, comme sur toute personne humaine, peut également être envisagée : toute personne humaine, du début à la fin de la vie, fait l'objet de recherches comme de soins. Il est important que cette recherche soit conduite pour connaître beaucoup mieux la biologie cellulaire fondamentale, la biologie moléculaire et génétique, les processus d'auto-renouvellement, la différenciation, l'embryogenèse et la fertilité. Ainsi, d'ailleurs, nous pourrions réduire le grand nombre d'embryons voués à la destruction, car la production des embryons pourrait être beaucoup mieux dimensionnée lorsque le taux important d'échec des fécondations in vitro diminuera.

Je veux enfin revenir sur l'incompréhension démontrée par notre collègue Hervé Mariton des propos qu'Olivier Dussopt et moi-même avons tenus. Entendons-nous : lorsque l'on réalise un diagnostic prénatal, la femme enceinte dialogue avec l'équipe médicale. Au cours de ce dialogue, cette femme est informée que le procédé permettant ce diagnostic prénatal lui fait courir un risque d'interruption de grossesse, d'environ 1 %. Il serait donc illégitime de courir ce risque si cette femme souhaitait conduire sa grossesse à terme quel que soit le résultat du diagnostic prénatal.

Toutes les équipes concernées, indépendamment de toute philosophie et de toute religion, considèrent qu'il n'est pas opportun qu'une femme désirant poursuivre sa grossesse sollicite un diagnostic prénatal. Il lui suffit en effet d'attendre quelques mois supplémentaires pour obtenir un diagnostic beaucoup plus complet que dans cette phase précoce de la grossesse.

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