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Intervention de Véronique Besse

Réunion du 8 février 2011 à 21h30
Bioéthique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVéronique Besse :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte dont nous débattons aujourd'hui est, je le crois, l'un des plus importants, si ce n'est le plus important, de notre législature, car il touche à ce qu'il y a de plus précieux et de plus fondamental : la place de l'homme dans la société et la dignité de la personne.

Les états généraux ont démontré que l'enjeu de la bioéthique est au coeur des préoccupations des Français. On a pu constater, à cette occasion, que l'opinion est bien moins revendicatrice que l'on veut bien nous le faire croire. Au contraire, les états généraux ont permis aux Français de réaffirmer la primauté de la dignité de la personne humaine.

Rappeler la valeur cardinale de ce principe n'est pas inutile, à l'heure où la science met au point, chaque jour, de nouvelles techniques d'expérimentation sur l'embryon. À travers la protection des espèces animales, la préservation de la biodiversité ou la lutte contre la pollution, la nature est aujourd'hui de plus en plus sacralisée. S'il faut s'en réjouir, il convient également de s'interroger. L'homme ne mérite-t-il pas d'être protégé de manière spécifique ?

De même que le développement économique et industriel peut, dans certains cas, nuire à l'écologie environnementale, le développement scientifique et technique peut nuire à l'écologie humaine s'il est détourné de sa finalité. Le progrès ne peut avoir de sens que s'il est mis au service de l'homme et s'il respecte l'impératif catégorique du principe de précaution.

En réalité, la question qui se pose à nous est la suivante : les lois de bioéthique doivent-elles légitimer les différentes transgressions de la science en tentant de les inscrire a posteriori dans la loi ? Pour ma part, je considère que la loi doit au contraire nous servir à rappeler ce qui ne doit pas être transgressé a priori, c'est-à-dire l'intégrité et la dignité de la personne humaine.

Quelles sont donc les limites à ne pas franchir ? Et quelles sont les pistes concrètes qui permettraient de mettre en oeuvre cette « écologie de l'homme » ? La première est de réorienter la recherche sur l'embryon vers des recherches conformes à l'éthique. Cette précision a été apportée suite à l'examen en commission, mais elle se heurte au régime dérogatoire qui, en réalité, signifie le contraire.

On sait aujourd'hui que certaines cellules sont capables d'offrir les mêmes potentialités que les cellules souches embryonnaires : le sang ou le cordon ombilical, entre autres, contiennent ce genre de cellules. La science peut également, à partir de cellules souches reprogrammées, obtenir des résultats identiques à ce qu'elle peut obtenir à partir de cellules embryonnaires.

La deuxième piste concerne la procréation médicalement assistée et le diagnostic préimplantatoire. Nous devons, là aussi, rappeler un certain nombre de principes. Le risque est grand, en effet, de fonder ces techniques sur des considérations subjectives qui donneraient lieu à toutes les dérives. Un individu peut-il raisonnablement s'attribuer le droit de juger pour un autre de la qualité de sa vie ? Décider pour autrui que la vie ne vaut pas la peine d'être vécue entraîne nécessairement des dérives eugéniques dont certaines sont contenues dans le principe même du DPI.

Or le risque est de passer d'un dépistage généralisé à une forme d'éradication sociale. Permettez-moi de reprendre les exemples frappants donnés par le professeur Didier Sicard, président du comité consultatif national d'éthique, qui nous a mis en garde contre la sélection des embryons : « Aujourd'hui, Mozart, parce qu'il souffrait probablement de la maladie de Gilles de la Tourette, Einstein et son cerveau hypertrophié à gauche seraient considérés comme des déviants indignes de vivre ».

Cette éradication dont font l'objet les embryons jugés « non conformes » doit nous interpeller. Elle doit, et ce sera mon dernier point, nous inviter à corriger le profond déséquilibre dans ce domaine de la politique du handicap. Je veux en effet aborder plus particulièrement le sujet de la trisomie 21 qui, étant l'anomalie chromosomique la plus répandue en France, est en première ligne dans le processus de sélection qui frappe aujourd'hui les embryons. Elle constitue une maladie emblématique des dérives que l'on constate, comme le professeur Israël Nisand l'a lui-même rappelé en parlant de « véritable eugénisme ».

Je crois qu'il est devenu urgent de financer la recherche sur la trisomie 21 plutôt que d'organiser son dépistage systématique ; c'est pourquoi, avec plusieurs d'entre vous, je proposerai des amendements allant dans ce sens. Il n'est ni juste ni acceptable que tous les moyens soient actuellement orientés vers le dépistage de la trisomie avant la naissance, et qu'aucun effort ne soit fait dans la recherche de traitements pour accompagner, soigner, voire guérir un jour les personnes handicapées.

Seules les fondations privées, dont les avancées sont pourtant très encourageantes, participent à cette mission de soin des personnes atteintes de trisomie 21. Leurs moyens demeureront insuffisants tant que la France restera l'un des rares pays d'Europe à ne pas accorder de financements publics pour la recherche sur la trisomie 21. À l'inverse, sa participation serait un signal fort et un formidable espoir pour les personnes atteintes par ce handicap et pour leurs familles.

Je crois malheureusement que les raisons du refus de ce financement public ne sont pas budgétaires, mais bien politiques : on fait le choix délibéré de privilégier le dépistage et l'élimination ; et cela marche, puisque 96 % des trisomiques dépistés sont aujourd'hui supprimés !

J'insiste sur le fait que le diagnostic par amniocentèse n'a rien d'anodin. Requis obligatoirement pour confirmer un risque de trisomie 21 décelé par le dépistage, il comporte des risques qui entraînent, chaque année, la disparition de plusieurs centaines d'enfants à naître, en réalité porteurs d'aucun handicap. Que ne ferait-on pas pour avoir des enfants « zéro défaut » ! Que ne ferait-on pas pour avoir la certitude que nos générations à venir seront « génétiquement conformes » !

Certes, la recherche coûte cher et le temps nécessaire pour trouver des solutions médicales efficaces est long. Cependant, à moins de s'orienter vers une société dans laquelle les personnes n'ont de valeur qu'en fonction de leur patrimoine génétique, l'argument financier est irrecevable dès lors que le sujet engage la vie et la dignité de la personne humaine.

J'ajoute que, selon une enquête récente, 97 % des Français estiment quel'État doit intervenir financièrement dans la recherche sur la trisomie 21. Et comme ils l'ont rappelé en conclusion des états généraux de la bioéthique : « La solution au handicap passe exclusivement par la recherche sur les maladies et non par l'élimination ». Il est encore temps d'agir pour que cet objectif ne reste pas un voeu pieux.

Telles sont, mes chers collègues, les pistes qui, je le crois, sont respectueuses de l'éthique universelle et que nous pouvons suivre. Je souhaite que le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui soit l'occasion de les mettre en oeuvre, afin de placer au coeur de notre société le principe inaliénable de dignité de la personne humaine et de promouvoir cette écologie véritable dont l'homme a aujourd'hui tant besoin.

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