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Commission des affaires sociales

Séance du 22 février 2012 à 16h15

Résumé de la séance

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La séance

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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 22 février 2012

La séance est ouverte à seize heures quinze.

(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission)

La Commission des affaires sociales entend, en audition ouverte à la presse, Mme Nora Berra, secrétaire d'État à la santé, sur la mise en oeuvre de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge (MM. Guy Lefrand et Serge Blisko, rapporteurs).

La séance est ouverte à seize heures vingt.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Nous entendons aujourd'hui Mme Nora Berra, secrétaire d'Etat à la santé, sur la mise en oeuvre de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge. Comme de coutume, je donnerai d'abord la parole à nos deux rapporteurs, Guy Lefrand et Serge Blisko, puis à Mme la ministre. Nous engagerons ensuite le débat avec nos collègues qui le souhaitent.

PermalienPhoto de Guy Lefrand

Nous interviendrons conjointement, Serge Blisko et moi-même, pour vous faire part de nos remarques sur la mise en oeuvre de la loi. Au-delà de certains désaccords, au demeurant peu nombreux, exprimés lors des débats parlementaires, nous nous retrouvons en effet sur l'ensemble des constats du rapport que nous vous présentons.

Nous souhaitons d'abord vous remercier, madame la ministre, de même que les services de votre ministère et ceux des établissements de santé et des agences régionales de santé (ARS), mais aussi du ministère de la justice et du ministère de l'intérieur ainsi, bien sûr, que les magistrats, pour leur mobilisation exemplaire au moment de l'entrée en vigueur de la loi, dans un contexte rendu difficile par les délais imposés par le Conseil constitutionnel.

La catastrophe redoutée n'a pas eu lieu : en dépit de quelques ratés, les saisines du juge des libertés et de la détention (JLD) ont, dans l'ensemble, pu être réalisées dans les délais prescrits par la loi et les juges ont pu se prononcer sur les mesures de soins psychiatriques sans consentement dès le 1er août 2011.

Outre les décrets d'application, qui ont été publiés avant la fin du mois de juillet, la mise en oeuvre de la loi s'est accompagnée de plusieurs circulaires comportant des fiches techniques et des documents types destinés à aider les différents acteurs à répondre aux exigences du texte, et notamment à faciliter les échanges entre administrations et à préciser les modalités de décompte des délais pour la saisine du juge ou la production des certificats médicaux. La « foire aux questions » ouverte sur le site internet du ministère a également permis de répondre, quasiment en temps réel, aux questions concrètes que se posaient les professionnels.

Le passage du cap du 1er août 2011 n'était pas gagné d'avance, étant donné la complexité du texte, l'opposition proclamée de certains acteurs à ses dispositions et le faible délai de préparation et de concertation laissé aux établissements de santé et aux tribunaux de grande instance pour mettre en place des coopérations efficaces – le tout au coeur des congés d'été. La mobilisation collective dont vous avez été un acteur majeur, madame la ministre, fut donc payante.

PermalienPhoto de Serge Blisko

Cette réussite ne doit pas oblitérer la nécessité d'attribuer des moyens nouveaux aux établissements de santé et aux tribunaux pour leur permettre de faire face à leurs nouvelles missions. L'étude d'impact de la loi avait établi des chiffrages en ce sens : ils doivent être respectés. Nous déplorons que les recrutements exceptionnels de magistrats envisagés n'aient pu être entièrement menés à bien et qu'il soit question de ne pas recruter de nouveaux greffiers – ce qui ne serait pas réaliste. Certains de nos interlocuteurs craignent désormais que le premier choc de la réforme ayant été absorbé, le Gouvernement ne finisse par considérer que celle-ci peut s'appliquer à moyens constants, ce qui serait un mauvais signal pour tous ceux qui ont oeuvré et oeuvrent encore, dans des conditions difficiles, à l'application de la loi – nous avons pu le constater sur le terrain.

Les textes d'application ont été publiés très rapidement, à l'exception du décret en Conseil d'État prévu à l'article L. 3222-1-2 du code de la santé publique relatif aux conventions visant à assurer le suivi et à favoriser la réinsertion sociale des personnes bénéficiant de soins psychiatriques sans consentement hors hospitalisation complète. Un premier projet de texte a été soumis à consultation, puis abandonné ; une nouvelle version a été élaborée. Où en est ce décret ? Pouvez-vous nous en dire plus sur son contenu ?

Nous nous interrogeons par ailleurs sur les dispositions de l'article R. 3211-1 du code de la santé publique, issu du décret n° 2011-847 du 18 juillet 2011, qui donnent au préfet la possibilité de prendre un nouvel arrêté lorsque le psychiatre propose une modification dite « substantielle » du programme de soins : comment cette compétence sera-t-elle exercée concrètement par les préfets ? Il s'agit là d'une question complexe.

Les articles 11 et 12 de la loi demandaient au Gouvernement de déposer deux rapports sur le bureau des Assemblées : le premier, dans un délai de douze mois, sur l'état de la recherche médicale française en psychiatrie, et le second, dans un délai de six mois, sur l'évolution du statut et des modalités de fonctionnement de l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris (I3P). Le délai de six mois ayant expiré, nous souhaiterions connaître le contenu de ce rapport et ses principales préconisations.

Bien qu'il ne figure pas dans la loi, il a beaucoup été question lors des débats parlementaires du futur plan de santé mentale, rendu public – si je ne me trompe – le 26 janvier dernier. Que prévoit-il en termes d'accompagnement de la mise en oeuvre de la loi ? Au-delà de la question des soins sans consentement, une réflexion globale sur l'organisation de la psychiatrie en France reste indispensable. Dans quelle mesure ce plan y contribue t-il ? Est-il une première étape avant la grande loi sur la santé mentale que nous attendons ?

PermalienPhoto de Guy Lefrand

J'en viens à nos observations concrètes sur les six premiers mois de mise en oeuvre de la loi. Sans surprise, une grande partie d'entre elles concerne les audiences devant le juge des libertés et de la détention sur les mesures de soins psychiatriques sans consentement.

Si le débat sur l'opportunité de l'intervention du juge judiciaire semble désormais apaisé, des représentants de psychiatres ayant même reconnu lors des auditions qu'elle pouvait être bénéfique au processus de soins, des questions subsistent sur les conditions dans lesquelles le juge est conduit à intervenir.

Selon les statistiques dressées par le ministère de la justice au bout de trois mois d'application de la loi, qui figurent dans le rapport, et les premiers éléments des enquêtes à six mois, qui ne sont pas encore complètement dépouillées, le nombre de saisines et de jugements rendus correspond aux extrapolations réalisées dans le cadre de l'étude d'impact – dont nous saluons à nouveau la qualité. Nous constatons néanmoins encore un certain nombre de saisines tardives – c'est-à-dire entre le douzième et le quinzième jour à compter de l'admission ou dans la dernière semaine précédant la période de six mois – ainsi que de saisines hors délai – au-delà du quinzième jour ou du sixième mois. Les directeurs d'établissements de santé et les agences régionales de santé, pour le compte des préfets, doivent être vigilants sur ce point, car les conséquences d'une saisine tardive ou hors délai sont très graves : la mainlevée de la mesure de soins est alors acquise sans qu'il soit statué au fond. Toujours selon les statistiques du ministère de la justice, il y aurait ainsi eu dans les trois premiers mois de la réforme 6 à 7 % de mainlevées prononcées par le juge. Nous ignorons malheureusement les proportions respectives de mainlevées pour des raisons de forme et pour des motifs de fond. Cela met en lumière les difficultés de fonctionnement de certaines agences régionales de santé. Beaucoup de saisines hors délai semblent ainsi liées au fait que les agences et les préfets peinent à saisir le juge dans les délais.

J'en viens au déroulement des audiences. Entre le mois d'août et le mois d'octobre, près de 65 % des audiences ont eu lieu au siège du tribunal de grande instance. Le chiffre à six mois serait hélas plutôt de l'ordre de 70 %, les audiences en visioconférence passant de 8 % à trois mois à 6 % à six mois. Le reliquat – soit environ le quart des audiences – correspond à des audiences foraines – sur le lieu d'hospitalisation.

La loi prévoit que le patient est entendu par le juge. Or, lorsque l'audience a lieu au tribunal de grande instance, les patients ne sont pas toujours transportés pour y participer, soit qu'un certificat médical précise que leur état ne leur permet pas d'être entendus, que ce motif soit fondé ou qu'il constitue un prétexte à une impossibilité matérielle ou de principe au déplacement, soit que le transport n'ait pu être organisé. Notre collègue Véronique Besse a ainsi évoqué les difficultés rencontrées à l'hôpital Georges Mazurelle de la Roche-sur-Yon.

Le patient est alors représenté par un avocat, choisi ou commis d'office – dans 90 % des cas –, qui n'a pas toujours la possibilité de s'entretenir avec lui avant l'audience, sauf lorsque des moyens de télécommunication audiovisuelle ont été installés au tribunal.

Lorsque les patients sont transportés au tribunal, leurs conditions matérielles d'accueil sont rarement adaptées : les malades patientent ainsi à côté de prévenus ou de détenus parfois menottés et encadrés par les forces de l'ordre, pour des durées qui peuvent être très longues. Nous avons vu des patients attendre dans des couloirs en mezzanine d'où ils pourraient facilement se jeter ! Cela peut expliquer les contournements de la loi auxquels on assiste parfois – sorties le quatorzième jour suivant l'admission, juste avant l'intervention du juge, refus de convocation au tribunal…

La situation est cependant contrastée. Dans le ressort de certains tribunaux, seule la visioconférence est utilisée, ni le juge ni l'établissement de santé n'ayant les moyens d'organiser un déplacement ; dans d'autres, les contacts pris très en amont du vote de la loi et la volonté de coopération des établissements de santé et des juges ont permis de prévoir un déplacement systématique du juge à l'hôpital.

Nous constatons néanmoins une certaine réticence du ministère de la justice et des chefs de juridiction à organiser les audiences hors les murs du tribunal. Le cahier des charges immobilier annexé à la circulaire de la direction générale de l'offre de soins (DGOS) du 29 juillet 2011 pour les salles d'audience installées sur l'emprise des établissements de santé témoigne d'ailleurs d'exigences disproportionnées, la Chancellerie réclamant davantage, pour tenir des audiences foraines, que ce qui existe dans les tribunaux.

Nous considérons pour notre part qu'il faut généraliser le plus possible la pratique des audiences à l'hôpital. Cette question a été abordée lors des débats parlementaires, mais nous redoutions une censure du Conseil constitutionnel, dans la ligne de sa décision sur la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI) 2. Pour avoir assisté à des audiences dans un établissement de santé et au tribunal, nous estimons qu'il faut être volontariste sur ce point et demander aux juges de se déplacer. Il en va du respect et de la dignité des patients.

Dans le même ordre d'idées, les juges doivent être encouragés à tenir audience en chambre du conseil, c'est-à-dire hors de la présence du public. Mais la question du respect du secret médical, y compris dans ce cadre, doit être posée : si le principe du débat contradictoire est important, il n'implique pas nécessairement la lecture in extenso des certificats médicaux à l'audience. À cet égard, une réflexion devrait être initiée chez les médecins sur le contenu des certificats et avis destinés au juge, tant du point de vue du respect du secret médical que de celui de l'utilité de l'information transmise : un diagnostic rédigé dans un vocabulaire d'initiés est sans doute moins intéressant pour ce dernier qu'un descriptif des troubles du comportement du patient. Bref, il faudra sans doute apprendre aux médecins à faire la distinction entre un certificat diagnostique descriptif et un certificat de type comportementaliste.

M. Serge Blisko, rapporteur. Des difficultés pratiques nous ont également été signalées s'agissant de la mise en oeuvre des nouvelles modalités de soins psychiatriques.

Il s'agit d'abord de l'absence de cadre juridique pour mettre en oeuvre des sorties de courte durée non accompagnées, récurrentes ou non, dans le cadre d'une hospitalisation complète. En psychiatrie, le patient peut être autorisé au bout de quelques jours ou de quelques semaines à aller prendre un café ou acheter un paquet de cigarettes ; cela fait partie du processus thérapeutique. Avant l'entrée en vigueur de la loi, ces sorties dites thérapeutiques – qui peuvent consister aussi bien en une sortie quotidienne d'une demi-heure qu'en une sortie d'une journée complète toutes les semaines, par exemple pour déjeuner en famille – pouvaient être mises en oeuvre sous le régime des sorties d'essai.

Or la loi du 5 juillet 2011 ne prévoit plus désormais, dans le cadre des hospitalisations complètes, que des sorties accompagnées de courte durée, par exemple pour pratiquer un sport ou une activité culturelle, la seule alternative consistant en l'établissement d'un programme de soins dans le cadre d'une prise en charge hors hospitalisation complète. Se pose dès lors la question du statut juridique des sorties dites thérapeutiques, qui restent une soupape des traitements et un facteur de ré-autonomisation pour la plupart des patients.

Cet écueil a conduit les établissements de santé à poser un certain nombre de questions concrètes, notamment dans le cadre de la « foire aux questions » organisée par le ministère. Ces questions administratives engagent en effet lourdement la responsabilité de l'établissement et de l'équipe soignante. Faut-il faire un programme de soins à chaque sortie non accompagnée ? Faut-il modifier la prise en charge d'un patient et passer d'une hospitalisation complète – 24 heures sur 24 – à une hospitalisation de 23 heures sur 24, pour lui permettre simplement de faire une course ou d'effectuer une démarche administrative ? Si des réponses claires ont déjà été apportées, des questions d'application continuent à se poser sur le terrain.

Voici en effet ce qu'on peut lire comme réponse dans la « foire aux questions » en cas de sortie « non programmée », c'est-à-dire non comprise dans un programme de soins préexistant : que cette sortie soit exceptionnelle ou répétée, elle nécessite l'établissement d'un programme de soins ad hoc, suivi d'une ré-hospitalisation du patient à son retour, impliquant une relance à zéro de la procédure d'admission et une nouvelle saisine du juge à J15 ! Ce dispositif, juridiquement fondé, apparaît en pratique totalement désincitatif et condamne concrètement le recours, pourtant habituel, à ce type de sorties. La loi ne devrait-elle pas être révisée sur ce point, madame la ministre ?

J'évoquerai maintenant la question du nombre de certificats et d'avis médicaux imposés par la loi. Cette difficulté avait été identifiée lors des débats parlementaires, mais sous la pression du Conseil constitutionnel, qui a fait de ces certificats une garantie pour les droits des patients, leur nombre n'a pu être réduit. Il n'y a pas lieu de discuter de leur fondement : les certificats constituent depuis 1838 une indispensable barrière de sécurité pour éviter les hospitalisations indues ou les situations incontrôlables. Les psychiatres français sont d'ailleurs habitués tant à établir de nombreux certificats qu'à les faire valider par un confrère. Mais il faut raison garder : les certificats sont très nombreux, mais il est difficile de savoir lesquels sont superfétatoires.

Je reviens par ailleurs sur leur contenu. Certains certificats sont totalement incompréhensibles pour les juges, malgré la qualité de la formation professionnelle qu'ils reçoivent. Néanmoins, il est délicat d'expliquer à un médecin que la tonalité de son certificat doit varier en fonction du destinataire… Il y a là une véritable difficulté, sur laquelle nous avons tenu à attirer l'attention dans notre rapport. C'est le point de fixation numéro un pour que les psychiatres adhèrent parfaitement à l'idée d'un regard judiciaire sur leur pratique. Rappelons qu'en France, le monde de la psychiatrie est très médical. Ce n'est pas le cas dans d'autres pays, notamment les pays germaniques, où le juge est présent dès le début de la procédure. Nous avons refusé cette approche qui n'est pas dans les habitudes françaises. Même à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris, c'est au médecin que revient la vraie décision – et c'est heureux.

Nous n'avons donc pas trouvé de « solution miracle » à l'issue des auditions sur le ou les certificats qui pourraient être supprimés : les avis balancent entre celui de 72 heures et celui de huitaine. Peut-être la constitution d'un groupe de travail permettrait-elle d'avancer sur cette question.

Beaucoup a été fait pour que la réforme soit mise en oeuvre le mieux possible. L'application de la loi reste toutefois très inégale selon les territoires. Chaque territoire, voire chaque établissement, a en effet sa manière de l'interpréter. En outre, la carte des établissements de santé recevant des personnes en hospitalisation sous contrainte et celle des tribunaux ne coïncide absolument pas, des établissements importants pouvant être situés dans le ressort de très petits tribunaux. Nous citons dans le rapport l'hôpital de Clermont de l'Oise, qui dépend du tribunal de grande instance de Beauvais – lequel ne comporte que deux chambres. Cette inégalité territoriale pose de nombreux problèmes, dont la solution dépend de la bonne volonté des acteurs locaux et de leur degré de coopération, mais aussi des moyens dont ils disposent pour remplir leurs nouvelles missions.

Nous ne doutons donc pas que le Gouvernement utilise tous les leviers d'action à sa disposition pour améliorer la mise en oeuvre de ce texte, dans le sens des huit recommandations que nous formulons dans notre rapport.

PermalienNora Berra, secrétaire d'état à la sant

Le travail a été dense, puisqu'il a dû être conduit dans le court délai qui nous était imparti par le Conseil constitutionnel. Il a permis d'aboutir à une révision de la loi de 1990 qui était nécessaire pour assurer le respect de la dignité des patients et offrir une nouvelle alternative de prise en charge. Les décrets d'application ont été publiés sitôt la loi promulguée, et nous nous sommes efforcés d'apporter tout notre concours à la mise en oeuvre de la loi. La « foire aux questions » était un outil indispensable, tant la situation des territoires et la sensibilité des différents acteurs sur le sujet sont contrastées. Il était donc impératif de répondre très rapidement à leurs difficultés.

L'avancée majeure de la loi réside dans ce travail transversal entre deux mondes. L'intervention du monde de la justice dans celui de la santé est en effet une véritable novation : ils n'avaient jusqu'à présent jamais eu l'occasion de coopérer dans l'intérêt des patients. Cette évolution s'est certes opérée de façon contrastée, mais la volonté de faire un pas l'un vers l'autre était perceptible. Cette acculturation se poursuit aujourd'hui.

Le délai était court ; nous avons tous travaillé dans l'urgence. Néanmoins, la loi a été intégrée, comprise et appliquée. C'est en tout cas ce que j'ai constaté sur le terrain, en allant à la rencontre des professionnels. Globalement, les choses se passent donc bien.

Je n'ignore cependant pas qu'il subsiste des difficultés, auxquelles la montée en charge du dispositif de la loi devrait nous permettre d'apporter des réponses.

S'agissant des moyens mis en oeuvre par la justice, monsieur Blisko, je suis en mesure de vous indiquer que le projet de première circulaire de la campagne 2012 prévoit des crédits de dotation annuelle de fonctionnement à hauteur de 6,72 millions d'euros pour l'installation de la visioconférence et du réseau et de 10,23 millions d'euros pour les personnels assurant l'accompagnement des patients aux audiences. Des financements sont également prévus, à hauteur de 100 000 euros, pour les quatre cliniques privées assurant des soins sans consentement.

270 postes seront ouverts au concours de l'École nationale de la magistrature en 2012. L'impact de la réforme est pris en compte dans la localisation annuelle des emplois de magistrats et de greffiers. Les juridictions rencontrant des difficultés particulières seront donc pourvues en priorité.

La loi prévoyait en effet le dépôt par le Gouvernement, dans un délai de six mois, d'un rapport sur le processus de transformation de l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris. Ce rapport n'est pas finalisé, car la concertation entre la préfecture de police, l'agence régionale de santé d'Île-de-France et l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) est encore en cours. Il s'appuiera bien évidemment sur les recommandations du contrôleur général des lieux de privation de liberté. J'espère qu'il pourra très vite vous être transmis.

Quant au décret relatif aux conventions visant à assurer le suivi et à favoriser la réinsertion sociale des personnes bénéficiant de soins psychiatriques sans consentement hors hospitalisation complète, il est en cours d'élaboration. Nous devons éviter d'aller trop loin dans le détail, afin de laisser les acteurs libres de définir sur chaque territoire les conditions les mieux adaptées à sa situation. Le décret rappelle le dispositif de la loi et précise les éléments que doit comporter la convention – échange d'informations, indicateurs, traitement des dysfonctionnements. La concertation est en cours.

Vous avez par ailleurs évoqué la question de la modification substantielle du programme de soins et la possibilité pour le préfet de prendre un nouvel arrêté. Toute modification du programme de soins obéit à une prescription médicale ; cette indication est donc posée par le professionnel. Il peut cependant arriver que le préfet n'accepte pas cette modification. Dans ce cas de figure, c'est le programme de soins initialement prévu qui se poursuit.

J'en viens aux saisines tardives et hors délai. Compte tenu de l'entrée en vigueur rapide de la loi, chacun a dû faire au mieux. Le traitement de la période transitoire et celui des patients ayant connu plusieurs mesures successives sont souvent complexes. La loi est respectée, mais les services n'ont pas eu le temps de s'adapter pleinement à cette nouvelle donne. Je pense par exemple au logiciel dédié à la gestion des mesures, qui ne sera complètement adapté qu'en 2013. Des modifications fonctionnelles ont cependant d'ores et déjà été effectuées pour aider les agences régionales de santé. Mais dans tous les cas de figure, le critère qui prime est l'intérêt supérieur du patient. C'est dans cette optique que certains avocats ont décidé de ne pas faire appel.

Le transport des patients sur le lieu de l'audience est en effet une préoccupation des acteurs de terrain. Pour ne pas compliquer davantage la situation, les médecins doivent intégrer cette question dans l'évaluation médicale et dans leurs recommandations.

Le sujet du cadre juridique des anciennes sorties thérapeutiques de courte durée n'a pas été abordé lors des débats parlementaires. Soyons pragmatiques. Jusqu'à présent, les patients pouvaient bénéficier de « permissions » couvertes par une simple prescription médicale ou par une sortie d'essai. La loi du 5 juillet 2011 ne précise pas davantage le cadre juridique. Consigne a été donnée qu'il s'agissait d'une prescription médicale ; mais dans les situations où une contractualisation avec le patient paraît possible, on peut poser la question de la pertinence de l'hospitalisation sous contrainte. En pareil cas, l'hospitalisation libre ne devrait-elle pas être la règle ?

Le nombre des certificats médicaux est une autre préoccupation. Je rappelle qu'il répond à une demande du Conseil constitutionnel. L'intervention du juge impose en effet une multiplicité de certificats médicaux. Nous pouvons envisager ensemble une évolution du dispositif. Peut-être une intervention plus précoce du juge permettrait-elle de réduire le nombre de ces certificats.

La « foire aux questions » s'est révélé être un bon outil d'accompagnement de la mise en oeuvre de la loi. Mes services recensent donc actuellement les bonnes pratiques dans le cadre d'une circulaire qui sera prochainement diffusée.

Afin d'être davantage à l'écoute des difficultés de mise en oeuvre de la loi, j'ai également décidé la création d'un comité de suivi, qui réunira l'ensemble des administrations centrales sous la houlette d'un conseiller d'État, afin de régler les questions juridiques susceptibles de se poser, et d'envisager le cas échéant des évolutions.

J'en viens enfin au plan « Psychiatrie et santé mentale ». Nous en avons parlé au cours des débats parlementaires, le cadre n'est pas celui d'une grande loi de santé mentale : d'une part, la loi du 5 juillet 2011 a révisé la loi de 1990 pour ce qui concerne les modalités de prise en charge ; d'autre part, la question de la filière de soins est intégrée à ce plan, que je présenterai en Conseil des ministres le 29 février prochain. L'objectif est de définir un cadre stratégique national, dont la lutte contre les ruptures de prise en charge constitue le fil directeur, après quoi il appartiendra aux acteurs de terrain, aux agences régionales de santé, d'en décliner les mesures les plus adaptées aux spécificités de chaque territoire, en tenant compte des projets locaux en cours.

(Présidence de M. Jean-Luc Préel, vice-président de la Commission)

PermalienPhoto de Jean-Marie Rolland

Le psychiatre est tenu de transmettre au directeur de l'établissement le programme de soins – qui définit les types de soins, les lieux de leur administration et leur périodicité –, ainsi que ses modifications le cas échéant. Le représentant de l'État dans le département doit pouvoir accepter ou refuser ces modifications. Comment cela se passe-t-il ? Plus généralement, l'organisation de l'intervention du représentant de l'État dans les départements pose-t-il des problèmes aux agences régionales de santé ?

PermalienPhoto de Michel Issindou

Je remercie les rapporteurs de ce travail très intéressant sur un sujet délicat. Il en ressort que la mise en oeuvre de la loi est satisfaisante. On ne peut que s'en réjouir, s'agissant d'un texte complexe, d'abord en ce qu'il fait intervenir trois types d'acteurs : les médecins, le juge et le préfet. J'aimerais d'ailleurs que l'on précise le rôle de ce dernier : y a-t-il déjà eu des cas de désaccord avec le psychiatre, dans lesquels le juge a dû décider en dernier ressort ?

Cela a été dit, les certificats médicaux et les sorties de courte durée, encadrées mais juridiquement fragiles, posent également des problèmes. Au demeurant, c'est souvent lors de sorties de courte durée que surviennent des événements dramatiques. N'était-ce pas le cas à Grenoble il y a quelques années ? Vous l'avez dit, madame la ministre, ces malades n'ont pas vocation à rester éternellement enfermés : s'ils se comportent correctement à l'extérieur, il faut leur donner une chance, sans se contenter de les assommer de médicaments pour les rendre moins dangereux, mais en les faisant suivre par des psychiatres. Or, on l'a dit lors de l'examen du texte, la psychiatrie publique est mal en point. Cette loi sécuritaire, décidée à la suite des événements que j'ai rappelés, a été faite dans l'urgence, alors que les patients ne peuvent être accompagnés par une psychiatrie publique de qualité.

Quant aux moyens, vous l'avez tous admis assez honnêtement, la justice s'en sort plutôt bien, mais est-ce suffisant ? On parle de faire venir le juge à l'hôpital. D'ordinaire, c'est au palais de justice que l'on juge. N'y a-t-il pas là un mélange des genres ? Si cela permet de gagner du temps, pourquoi pas ? Mais cette proposition révèle sans doute des problèmes d'organisation tant à l'hôpital que dans le monde judiciaire. Madame la ministre, le plan de recrutement de juges dont vous avez parlé permettra-t-il de les affecter spécifiquement à ces fonctions ?

Le texte a amélioré la loi de 1990, apporté quelques éléments nouveaux, mais ce n'est en rien une grande loi sur la santé mentale. Vous dites que celle-ci sera présentée en conseil des ministres le 29 février, ce qui revient à se passer de l'assentiment du Parlement en cette fin de législature.

Permaliensecrétaire d'Etat

Il ne s'agit pas d'une loi, mais du plan « Psychiatrie et santé mentale ».

PermalienPhoto de Michel Issindou

Il sera donc directement appliqué sans passer par le Parlement.

Permaliensecrétaire d'Etat

Comme tous les plans de santé publique. Il y en a trente en cours.

PermalienPhoto de Michel Issindou

Peut-être celui-ci aurait-il mérité un débat au Parlement.

Permaliensecrétaire d'Etat

Ces plans font l'objet de débats.

PermalienPhoto de Michel Issindou

Comment pourra-t-on organiser un débat si vous présentez le plan en conseil des ministres le 29 février ?

Permaliensecrétaire d'Etat

Des parlementaires, des représentants de tous les groupes politiques travaillent sur le texte, avec les associations et les autres acteurs.

PermalienPhoto de Michel Issindou

Il ne vous a sans doute pas échappé que la période est un peu particulière, madame la ministre.

Permaliensecrétaire d'Etat

Mais les travaux sur le plan ne datent pas d'hier. Ils ont débuté dès l'adoption de la loi. Le projet est public, il a fait l'objet d'une concertation. Tout cela est parfaitement transparent.

PermalienPhoto de Michel Issindou

Si vous le dites… Nous serons en tout cas très attentifs aux moyens que vous consacrerez à la mise en oeuvre de la loi, comme à l'adéquation du plan aux attentes des professionnels du secteur.

PermalienPhoto de Jean-Luc Préel

Dans mon récent rapport d'information sur la prévention sanitaire, je préconise de ramener à quatre priorités les cent objectifs quantifiés de la loi de santé publique de 2004, que tout le monde est d'accord pour simplifier. De même, les quelque trente plans qui viennent d'être évoqués devraient être coordonnés avec la loi de santé publique.

La loi du 5 juillet 2011 était nécessaire, notamment en raison de la décision du Conseil constitutionnel, qui requérait sa mise en oeuvre au 1er août. Cela n'a pas été facile mais tous ont fait des efforts pour l'appliquer dans de bonnes conditions. Des problèmes n'en demeurent pas moins, que nous avions évoqués lors des débats parlementaires et que les rapporteurs viennent de rappeler.

Tout d'abord, où le juge doit-il rendre sa décision et où voit-il le patient ? Le procureur et la présidente de mon tribunal m'ont confirmé les problèmes que pose la venue du patient, évoqués par Guy Lefrand. Avant même de côtoyer longuement en salle d'attente – lorsqu'il y en a une – les autres personnes convoquées au tribunal, le patient doit y être transporté, accompagné d'une ou deux personnes au moins, alors même que l'Assurance maladie souhaite réaliser des économies sur les transports sanitaires. La solution préconisée par le rapporteur, ce qui est logique puisqu'il est médecin et membre de la commission des affaires sociales, consiste à faire venir le juge à l'hôpital. Mais cela suppose que le greffier vienne aussi, et les juges sont très occupés. M. le garde des sceaux nous avait promis qu'il débloquerait des postes…

PermalienPhoto de Michel Issindou

Oui, il avait parlé de quatre cents postes !

PermalienPhoto de Jean-Luc Préel

… mais nous les attendons encore et je doute de toute façon qu'ils suffisent à résoudre le problème. Reste la visioconférence, peu satisfaisante et peu développée.

Le plus souvent, le juge se fonde sur les certificats médicaux car, n'étant pas médecin, il se garde d'aller contre l'avis du psychiatre. Le système est trop complexe, d'autant que les certificats requis sont trop nombreux dans un contexte de faible démographie des psychiatres. Madame la secrétaire d'État, je crois vous avoir entendu répondre à Guy Lefrand que ce problème n'avait pas été abordé lors des débats parlementaires. Nous l'avons pourtant souligné à l'époque.

La possibilité de soins en ambulatoire est l'une des nouveautés introduites par la loi. Combien de patients ont bénéficié de ce type de soins ? Et s'ils ne respectent pas leur programme de soins, qui intervient ? Le psychiatre qui les suit, le médecin traitant ? Cela ne pose-t-il pas un problème eu égard au secret médical ?

PermalienPhoto de Véronique Besse

Guy Lefrand a très bien posé le problème des audiences. Même si la justice manque de moyens, ne peut-on obliger le juge à venir à l'hôpital ? Lorsque les patients de l'établissement hospitalier que je préside se rendent au palais de justice, cela pose trois problèmes. D'abord, la déstabilisation des équipes puisque plusieurs agents doivent accompagner les patients tandis que d'autres restent à l'hôpital pour y assurer le bon fonctionnement des services. Ensuite, comme l'a dit Guy Lefrand, le traumatisme que peut représenter pour les patients une attente de plusieurs heures au côté de détenus menottés, et qui ne fait qu'aggraver leurs problèmes. Enfin, une surveillance renforcée est nécessaire – mais pas toujours suffisante – pour assurer la sécurité pendant le transport, puis en attendant l'audience.

PermalienPhoto de Guy Malherbe

Je préside le conseil de surveillance de l'établissement psychiatrique de Perray-Vaucluse, que Serge Blisko connaît bien puisqu'il fait partie de la même communauté hospitalière de territoire que l'hôpital Sainte-Anne. J'ai donc pu suivre de près l'application de la loi. J'ai dû répondre aux questions des psychiatres et des autres personnels soignants, en justifiant l'intervention du juge des libertés et de la détention, qu'ils avaient du mal à comprendre, ainsi que la date d'entrée en vigueur du texte, peu commode mais requise par le Conseil constitutionnel.

Avant le nombre de certificats, le lieu des audiences est la principale préoccupation que les médecins expriment auprès du conseil de surveillance. Il faut mobiliser des personnels pour amener les patients au tribunal sans empêcher l'établissement de continuer à fonctionner. Sur place, les patients peuvent être déstabilisés par la privation de traitement pendant de longues heures et par la présence des autres personnes convoquées. En ce qui concerne l'hôpital Perray-Vaucluse, la venue du juge est en discussion. Je précise que le palais de justice n'est pas très éloigné du site de la porte de Choisy, à Paris, où des locaux ont été libérés et aménagés pour accueillir le juge. Celui-ci devait les visiter, mais je ne sais pas encore ce qu'il en est ressorti.

Permaliensecrétaire d'Etat

Je vous remercie de vos questions et de vos remarques.

Voici, monsieur Rolland, comment on aboutit à l'arrêté modifiant le programme de soins. Le psychiatre établit une nouvelle prescription et la transmet au directeur de l'établissement, qui saisit l'agence régionale de santé, laquelle prépare le dossier destiné au préfet. Celui-ci, au vu du dossier, valide ou non la modification.

S'agissant de la question du transport, dans le cadre juridique actuel, les professionnels de santé devraient mieux intégrer cette question à l'évaluation médicale, afin d'anticiper les risques.

Faut-il rendre obligatoire l'intervention du juge dans les établissements hospitaliers ? Aujourd'hui, nous n'en avons pas les moyens. En outre, nous avons voulu laisser aux acteurs de terrain toute liberté d'agir dans l'intérêt des patients. En la matière, les pratiques sont variables, mais l'essentiel est que le patient soit au coeur des préoccupations. Outre le transport, dont je viens de parler, je n'ignore pas les problèmes d'organisation des services hospitaliers et de sécurité, non plus que les conditions de l'audience, potentiellement traumatisantes pour les patients. Mais, ne pouvant rendre obligatoire la venue du juge, nous devons user des moyens dont nous disposons pour assouplir son intervention.

Monsieur Préel, l'inobservance du programme de soins en ambulatoire est traitée comme l'était l'échec des anciennes sorties d'essai. En d'autres termes, si le programme n'est pas respecté, le médecin en parle avec le patient, tente de comprendre pourquoi, s'efforce de réadapter les modalités de prise en charge, et, si l'état de santé du patient se dégrade, décide de l'hospitaliser à nouveau.

Monsieur Issindou, on ne recrute pas des magistrats au poste de juge des libertés et de la détention évaluant la privation de liberté des patients atteints de troubles psychiatriques : le recrutement est général, après quoi certains juges seront affectés à ces fonctions.

PermalienPhoto de Jean-Luc Préel

Messieurs les rapporteurs, qu'avez-vous observé en matière de suivi en ambulatoire ? Vous n'en parlez pas dans votre rapport.

PermalienPhoto de Serge Blisko

Je laisserai Guy Lefrand vous répondre sur ce point.

En ce qui concerne l'évaluation par le juge, le contrôleur général des lieux de privation de liberté nous a beaucoup éclairés. D'abord, le droit de regard de la justice sur le monde de la santé n'est pas une nouveauté. Ainsi, avant cette loi, les patients pouvaient, même s'ils le faisaient peu, saisir le juge du tribunal de grande instance lorsqu'ils étaient « détenus » contre leur gré. En outre, le procureur de la République, autorité judiciaire, était censé passer dans les hôpitaux. Enfin, depuis plusieurs années, en particulier depuis les lois relatives aux droits des malades, toute personne entrant à l'hôpital, psychiatrique ou général, peut demander à voir un avocat, conformément au règlement intérieur ou au dossier d'accueil remis aux patients. D'autre part, le juge d'instance intervient déjà dans les maisons de retraite ou dans les hôpitaux psychiatriques accueillant des personnes âgées démentes, même si c'est uniquement au titre de la protection juridique des majeurs sous tutelle.

L'intervention du juge voulue notamment par le Conseil constitutionnel est différente. Dans l'esprit de la loi, le juge ne saurait se substituer au médecin, mais ne se contente pas non plus de vérifier que les certificats médicaux sont correctement remplis. Il s'assure de la proportionnalité de la mesure de privation de liberté décidée à la demande d'un tiers ou du représentant de l'État, mesure extrêmement lourde de conséquences, notamment professionnelles et familiales. Il ne s'agit donc pas, monsieur Issindou, d'un juge qui juge, si l'on peut dire. Son rôle est de vérifier non seulement que le dossier est bien constitué et que la saisine a eu lieu à temps, mais aussi et surtout que la liberté du patient n'est pas altérée à tort. Nous préconisons d'ailleurs une formation, à l'École nationale de la magistrature ou au fil de l'eau, pour les juges des libertés et de la détention, qui ne sont pas très nombreux et qui ont d'autres activités.

Cette réforme alourdit la charge administrative des médecins, impose beaucoup de contraintes techniques aux équipes, notamment dans les petits hôpitaux, et donne plus de travail à la justice.

PermalienPhoto de Michel Issindou

Il faudrait donc beaucoup plus de moyens !

PermalienPhoto de Serge Blisko

En effet, il faudrait bien plus de moyens humains, notamment de greffiers et de magistrats, et bien plus de matériel, sans parler des problèmes de transport.

En outre, dans l'imaginaire collectif, le tribunal est un lieu où l'on punit. Or les malades ne doivent pas être punis. D'ailleurs, ils ne comprennent pas qu'on les conduise au tribunal : « Je n'ai rien fait ! Je suis malade, je suis déprimé, j'ai peut-être dit des choses que je n'aurais pas dû dire, j'ai trop bu, mais je ne veux pas être puni ! » disent-ils.

Voilà pourquoi nous recommandons que les audiences se déroulent autant que possible dans les hôpitaux, conçus comme des lieux de soins, des lieux de repos. Elles ne se tiendraient pas dans le service où séjourne le patient, mais dans une salle aménagée à cet effet – même si, comme le disait Guy Lefrand, la Chancellerie demande des aménagements qu'elle ne requiert pas de ses propres tribunaux. Mieux vaut rapprocher la justice du malade que le malade de la justice, surtout lorsque l'on sait dans quelles conditions il est accueilli au tribunal. Je précise toutefois qu'il existe des tribunaux où les salles d'attente sont séparées. Même au palais de justice de Paris, où l'on attend dans un couloir dédié, on ne risque pas d'être reconnu par son voisin ; il n'en va pas de même dans les petites villes où tout le monde se connaît.

En somme, le juge doit pouvoir travailler dans de bonnes conditions, ce qui suppose de le former et de tenir compte du fait qu'une décision privative de liberté n'a rien d'anodin.

Le manque de moyens dévolus à la psychiatrie, le fait qu'il manque huit cents psychiatres dans le secteur public hospitalier aggrave les difficultés. Je souhaite donc une forte augmentation des crédits alloués à la psychiatrie.

Permaliensecrétaire d'Etat

Elle est incluse dans l'objectif national des dépenses d'assurance maladie.

PermalienPhoto de Guy Lefrand

Je suis tout à fait d'accord avec mon collègue Serge Blisko. Madame la secrétaire d'État, vous avez dit que c'était l'intérêt du patient qui vous importait le plus. Nous partageons ce sentiment. Or il n'est pas dans l'intérêt du patient de se déplacer au tribunal. Les magistrats de Pontoise, qui se rendent à l'hôpital d'Argenteuil, nous ont dit eux-mêmes que ce n'était ni plus long ni plus coûteux à condition d'être bien organisé. Naturellement, on ne peut pas en dire autant de Créteil où de nombreux établissements psychiatriques sont situés dans le ressort du tribunal. Mais quand on peut le faire, la dignité du patient est respectée, conformément à l'intention du législateur.

Monsieur Rolland, les agences régionales de santé dans leur ensemble se sont donné beaucoup de mal pour que la loi soit applicable au 1er août 2011. Néanmoins, on peut craindre que parfois les préfets ne se déchargent sur elles de leurs prérogatives. Les soins à la demande du préfet relèvent du trouble grave à l'ordre public : ils ne sont pas du ressort du médecin de l'agence régionale. Nous devons éviter cette dérive. S'y ajoute un problème d'efficacité. En effet, nombre de saisines hors délai sont liées à des soins sans consentement à la demande du préfet, ce qui montre que les agences régionales, plus que les directeurs d'établissement, ont du mal à respecter les délais légaux.

Monsieur Issindou, en cas de discordance entre le psychiatre et le préfet, la loi dispose, d'une part, qu'un second avis est demandé à un autre psychiatre et, d'autre part, que le juge est saisi. Cette dichotomie s'explique par le fait qu'une décision du Conseil constitutionnel en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité est intervenue le 9 juin 2011, entre la deuxième et la troisième lecture. Voici ce qui se passe aujourd'hui en pareil cas, selon le Gouvernement : un second psychiatre est sollicité ; si son avis rejoint celui du premier, le préfet le suit ; s'il est discordant, le juge est saisi.

Michel Issindou a également évoqué la médication lors du transport des patients. Selon certains soignants, il arrive que les patients soient « surmédiqués » avant d'être emmenés au tribunal, ce qui les empêche de comprendre ce qui se passe et de défendre convenablement leurs droits. L'ampleur du phénomène n'a pas été évaluée, mais nous devons tenir compte de cette information.

Comme l'a rappelé Serge Blisko, le rôle du juge reste important pour évaluer la proportionnalité de la mesure de privation de liberté. On l'a dit, au cours des trois premiers mois, 6 à 7 % des patients entendus par le juge ont bénéficié d'une mainlevée. Nous aimerions pouvoir faire rapidement la part des raisons de forme – une saisine trop tardive ou non conforme aux règles, par exemple – et des motifs de fond – la mesure n'était pas justifiée.

Tous les établissements publics peuvent-ils accueillir les patients qui bénéficient de mesures de soins sans consentement ? Peut-être pourrait-on envisager une organisation différente, par exemple dans le cadre du plan de santé mentale : seuls accueilleraient ce type de patients les établissements qui ont réellement les moyens humains de le faire.

Dans un climat désormais apaisé, la loi fonctionne. Toutefois, les statistiques semblent montrer qu'elle fonctionnait mieux après trois mois qu'au bout de six. Le Gouvernement ne doit pas croire qu'elle continuera de donner satisfaction à moyens constants, car cela démobiliserait tout le monde. Les moyens alloués aux juges et aux greffiers doivent être accrus comme vous vous y êtes engagée, madame la secrétaire d'État, si l'on veut que cette loi, utile aux patients qui bénéficient – j'insiste sur ce terme – de soins sans consentement, soit un succès.

Permaliensecrétaire d'Etat

J'ai conscience des problèmes qui vous conduisent à demander que le juge vienne à l'hôpital. Mais, en inscrivant cette obligation dans la loi, on renoncerait à la souplesse d'intervention des acteurs dans les territoires. Or chaque territoire a ses spécificités et les rapports entre les acteurs n'y sont pas nécessairement les mêmes qu'ailleurs. S'il est facile au juge de se rendre à l'hôpital, comme dans l'exemple cité par M. Lefrand, qu'il le fasse. Mais il peut aussi être amené à intervenir dans plusieurs établissements. Quoi qu'il en soit, il ne serait pas prudent que la loi l'y oblige.

PermalienPhoto de Jean Mallot

La loi n'est pas le seul moyen. Pourquoi pas une circulaire ou une instruction ?

Permaliensecrétaire d'Etat

Je défends une application souple de la loi. Il faut laisser aux acteurs la liberté de s'organiser, au plus près des patients. L'agence régionale de santé, soucieuse de proximité et de l'intérêt du malade, a su nouer des relations avec les acteurs de la justice dans les territoires. Pour l'instant, cela se passe bien. Ce dialogue doit se poursuivre, de même que le suivi au niveau centralisé, qui sera assuré par le comité de suivi dont j'ai parlé. Une loi n'est pas un dispositif figé, c'est un processus qui doit vivre. À nous de le rendre plus efficace. L'enjeu est d'améliorer les modalités de prise en charge des patients. Tout ce qui y concourt doit être pris en considération et doit être évalué dans un cadre juridique.

Enfin, la circulaire dont j'ai parlé, qui entérine les bonnes pratiques et permettra de les diffuser, ira dans le sens que vous souhaitez, monsieur le rapporteur.

La commission autorise, en application de l'article 145-7 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

La séance est levée à dix-sept heures quarante.