J'en viens à nos observations concrètes sur les six premiers mois de mise en oeuvre de la loi. Sans surprise, une grande partie d'entre elles concerne les audiences devant le juge des libertés et de la détention sur les mesures de soins psychiatriques sans consentement.
Si le débat sur l'opportunité de l'intervention du juge judiciaire semble désormais apaisé, des représentants de psychiatres ayant même reconnu lors des auditions qu'elle pouvait être bénéfique au processus de soins, des questions subsistent sur les conditions dans lesquelles le juge est conduit à intervenir.
Selon les statistiques dressées par le ministère de la justice au bout de trois mois d'application de la loi, qui figurent dans le rapport, et les premiers éléments des enquêtes à six mois, qui ne sont pas encore complètement dépouillées, le nombre de saisines et de jugements rendus correspond aux extrapolations réalisées dans le cadre de l'étude d'impact – dont nous saluons à nouveau la qualité. Nous constatons néanmoins encore un certain nombre de saisines tardives – c'est-à-dire entre le douzième et le quinzième jour à compter de l'admission ou dans la dernière semaine précédant la période de six mois – ainsi que de saisines hors délai – au-delà du quinzième jour ou du sixième mois. Les directeurs d'établissements de santé et les agences régionales de santé, pour le compte des préfets, doivent être vigilants sur ce point, car les conséquences d'une saisine tardive ou hors délai sont très graves : la mainlevée de la mesure de soins est alors acquise sans qu'il soit statué au fond. Toujours selon les statistiques du ministère de la justice, il y aurait ainsi eu dans les trois premiers mois de la réforme 6 à 7 % de mainlevées prononcées par le juge. Nous ignorons malheureusement les proportions respectives de mainlevées pour des raisons de forme et pour des motifs de fond. Cela met en lumière les difficultés de fonctionnement de certaines agences régionales de santé. Beaucoup de saisines hors délai semblent ainsi liées au fait que les agences et les préfets peinent à saisir le juge dans les délais.
J'en viens au déroulement des audiences. Entre le mois d'août et le mois d'octobre, près de 65 % des audiences ont eu lieu au siège du tribunal de grande instance. Le chiffre à six mois serait hélas plutôt de l'ordre de 70 %, les audiences en visioconférence passant de 8 % à trois mois à 6 % à six mois. Le reliquat – soit environ le quart des audiences – correspond à des audiences foraines – sur le lieu d'hospitalisation.
La loi prévoit que le patient est entendu par le juge. Or, lorsque l'audience a lieu au tribunal de grande instance, les patients ne sont pas toujours transportés pour y participer, soit qu'un certificat médical précise que leur état ne leur permet pas d'être entendus, que ce motif soit fondé ou qu'il constitue un prétexte à une impossibilité matérielle ou de principe au déplacement, soit que le transport n'ait pu être organisé. Notre collègue Véronique Besse a ainsi évoqué les difficultés rencontrées à l'hôpital Georges Mazurelle de la Roche-sur-Yon.
Le patient est alors représenté par un avocat, choisi ou commis d'office – dans 90 % des cas –, qui n'a pas toujours la possibilité de s'entretenir avec lui avant l'audience, sauf lorsque des moyens de télécommunication audiovisuelle ont été installés au tribunal.
Lorsque les patients sont transportés au tribunal, leurs conditions matérielles d'accueil sont rarement adaptées : les malades patientent ainsi à côté de prévenus ou de détenus parfois menottés et encadrés par les forces de l'ordre, pour des durées qui peuvent être très longues. Nous avons vu des patients attendre dans des couloirs en mezzanine d'où ils pourraient facilement se jeter ! Cela peut expliquer les contournements de la loi auxquels on assiste parfois – sorties le quatorzième jour suivant l'admission, juste avant l'intervention du juge, refus de convocation au tribunal…
La situation est cependant contrastée. Dans le ressort de certains tribunaux, seule la visioconférence est utilisée, ni le juge ni l'établissement de santé n'ayant les moyens d'organiser un déplacement ; dans d'autres, les contacts pris très en amont du vote de la loi et la volonté de coopération des établissements de santé et des juges ont permis de prévoir un déplacement systématique du juge à l'hôpital.
Nous constatons néanmoins une certaine réticence du ministère de la justice et des chefs de juridiction à organiser les audiences hors les murs du tribunal. Le cahier des charges immobilier annexé à la circulaire de la direction générale de l'offre de soins (DGOS) du 29 juillet 2011 pour les salles d'audience installées sur l'emprise des établissements de santé témoigne d'ailleurs d'exigences disproportionnées, la Chancellerie réclamant davantage, pour tenir des audiences foraines, que ce qui existe dans les tribunaux.
Nous considérons pour notre part qu'il faut généraliser le plus possible la pratique des audiences à l'hôpital. Cette question a été abordée lors des débats parlementaires, mais nous redoutions une censure du Conseil constitutionnel, dans la ligne de sa décision sur la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI) 2. Pour avoir assisté à des audiences dans un établissement de santé et au tribunal, nous estimons qu'il faut être volontariste sur ce point et demander aux juges de se déplacer. Il en va du respect et de la dignité des patients.
Dans le même ordre d'idées, les juges doivent être encouragés à tenir audience en chambre du conseil, c'est-à-dire hors de la présence du public. Mais la question du respect du secret médical, y compris dans ce cadre, doit être posée : si le principe du débat contradictoire est important, il n'implique pas nécessairement la lecture in extenso des certificats médicaux à l'audience. À cet égard, une réflexion devrait être initiée chez les médecins sur le contenu des certificats et avis destinés au juge, tant du point de vue du respect du secret médical que de celui de l'utilité de l'information transmise : un diagnostic rédigé dans un vocabulaire d'initiés est sans doute moins intéressant pour ce dernier qu'un descriptif des troubles du comportement du patient. Bref, il faudra sans doute apprendre aux médecins à faire la distinction entre un certificat diagnostique descriptif et un certificat de type comportementaliste.
M. Serge Blisko, rapporteur. Des difficultés pratiques nous ont également été signalées s'agissant de la mise en oeuvre des nouvelles modalités de soins psychiatriques.
Il s'agit d'abord de l'absence de cadre juridique pour mettre en oeuvre des sorties de courte durée non accompagnées, récurrentes ou non, dans le cadre d'une hospitalisation complète. En psychiatrie, le patient peut être autorisé au bout de quelques jours ou de quelques semaines à aller prendre un café ou acheter un paquet de cigarettes ; cela fait partie du processus thérapeutique. Avant l'entrée en vigueur de la loi, ces sorties dites thérapeutiques – qui peuvent consister aussi bien en une sortie quotidienne d'une demi-heure qu'en une sortie d'une journée complète toutes les semaines, par exemple pour déjeuner en famille – pouvaient être mises en oeuvre sous le régime des sorties d'essai.
Or la loi du 5 juillet 2011 ne prévoit plus désormais, dans le cadre des hospitalisations complètes, que des sorties accompagnées de courte durée, par exemple pour pratiquer un sport ou une activité culturelle, la seule alternative consistant en l'établissement d'un programme de soins dans le cadre d'une prise en charge hors hospitalisation complète. Se pose dès lors la question du statut juridique des sorties dites thérapeutiques, qui restent une soupape des traitements et un facteur de ré-autonomisation pour la plupart des patients.
Cet écueil a conduit les établissements de santé à poser un certain nombre de questions concrètes, notamment dans le cadre de la « foire aux questions » organisée par le ministère. Ces questions administratives engagent en effet lourdement la responsabilité de l'établissement et de l'équipe soignante. Faut-il faire un programme de soins à chaque sortie non accompagnée ? Faut-il modifier la prise en charge d'un patient et passer d'une hospitalisation complète – 24 heures sur 24 – à une hospitalisation de 23 heures sur 24, pour lui permettre simplement de faire une course ou d'effectuer une démarche administrative ? Si des réponses claires ont déjà été apportées, des questions d'application continuent à se poser sur le terrain.
Voici en effet ce qu'on peut lire comme réponse dans la « foire aux questions » en cas de sortie « non programmée », c'est-à-dire non comprise dans un programme de soins préexistant : que cette sortie soit exceptionnelle ou répétée, elle nécessite l'établissement d'un programme de soins ad hoc, suivi d'une ré-hospitalisation du patient à son retour, impliquant une relance à zéro de la procédure d'admission et une nouvelle saisine du juge à J15 ! Ce dispositif, juridiquement fondé, apparaît en pratique totalement désincitatif et condamne concrètement le recours, pourtant habituel, à ce type de sorties. La loi ne devrait-elle pas être révisée sur ce point, madame la ministre ?
J'évoquerai maintenant la question du nombre de certificats et d'avis médicaux imposés par la loi. Cette difficulté avait été identifiée lors des débats parlementaires, mais sous la pression du Conseil constitutionnel, qui a fait de ces certificats une garantie pour les droits des patients, leur nombre n'a pu être réduit. Il n'y a pas lieu de discuter de leur fondement : les certificats constituent depuis 1838 une indispensable barrière de sécurité pour éviter les hospitalisations indues ou les situations incontrôlables. Les psychiatres français sont d'ailleurs habitués tant à établir de nombreux certificats qu'à les faire valider par un confrère. Mais il faut raison garder : les certificats sont très nombreux, mais il est difficile de savoir lesquels sont superfétatoires.
Je reviens par ailleurs sur leur contenu. Certains certificats sont totalement incompréhensibles pour les juges, malgré la qualité de la formation professionnelle qu'ils reçoivent. Néanmoins, il est délicat d'expliquer à un médecin que la tonalité de son certificat doit varier en fonction du destinataire… Il y a là une véritable difficulté, sur laquelle nous avons tenu à attirer l'attention dans notre rapport. C'est le point de fixation numéro un pour que les psychiatres adhèrent parfaitement à l'idée d'un regard judiciaire sur leur pratique. Rappelons qu'en France, le monde de la psychiatrie est très médical. Ce n'est pas le cas dans d'autres pays, notamment les pays germaniques, où le juge est présent dès le début de la procédure. Nous avons refusé cette approche qui n'est pas dans les habitudes françaises. Même à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris, c'est au médecin que revient la vraie décision – et c'est heureux.
Nous n'avons donc pas trouvé de « solution miracle » à l'issue des auditions sur le ou les certificats qui pourraient être supprimés : les avis balancent entre celui de 72 heures et celui de huitaine. Peut-être la constitution d'un groupe de travail permettrait-elle d'avancer sur cette question.
Beaucoup a été fait pour que la réforme soit mise en oeuvre le mieux possible. L'application de la loi reste toutefois très inégale selon les territoires. Chaque territoire, voire chaque établissement, a en effet sa manière de l'interpréter. En outre, la carte des établissements de santé recevant des personnes en hospitalisation sous contrainte et celle des tribunaux ne coïncide absolument pas, des établissements importants pouvant être situés dans le ressort de très petits tribunaux. Nous citons dans le rapport l'hôpital de Clermont de l'Oise, qui dépend du tribunal de grande instance de Beauvais – lequel ne comporte que deux chambres. Cette inégalité territoriale pose de nombreux problèmes, dont la solution dépend de la bonne volonté des acteurs locaux et de leur degré de coopération, mais aussi des moyens dont ils disposent pour remplir leurs nouvelles missions.
Nous ne doutons donc pas que le Gouvernement utilise tous les leviers d'action à sa disposition pour améliorer la mise en oeuvre de ce texte, dans le sens des huit recommandations que nous formulons dans notre rapport.