Salle de la commission des Finances
La séance est ouverte à onze heures dix sous la présidence de M. Claude Goasguen.
– Évaluation des incidences de la Stratégie de Lisbonne sur l'économie française : examen du rapport (MM. Philippe Cochet et Marc Dolez, rapporteurs).
Pour cette dernière réunion de la législature, l'ordre du jour appelle la présentation du rapport sur l'évaluation des incidences de la Stratégie de Lisbonne sur l'économie française. Je rappelle que ce sujet a été inscrit au programme des travaux du Comité d'évaluation et de contrôle (CEC) au titre du « droit de tirage » annuel du groupe GDR.
Onze de nos collègues ont été désignés par les commissions des Affaires culturelles, des Affaires économiques, des Affaires sociales, du Développement durable, des Finances et des Affaires européennes pour participer au groupe de travail. Les deux rapporteurs sont M. Philippe Cochet, pour le groupe UMP, et M. Marc Dolez, pour le groupe GDR.
Dans l'esprit du groupe GDR, évaluer la Stratégie de Lisbonne définie par le Conseil européen de mars 2000 devait permettre d'identifier les facteurs économiques et institutionnels qui ont empêché d'atteindre les objectifs assignés à l'Union européenne pour la décennie 2000-2010 : à savoir, devenir une économie de la connaissance en consacrant 3 % de son PIB aux dépenses de recherche et développement, connaître une croissance de 3 % en moyenne de son PIB – cette croissance devant présenter un caractère durable –, et, enfin, viser une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et une plus grande cohésion sociale.
Cette évaluation nous semblait d'autant plus utile que le Conseil européen de juin 2010 a adopté pour la décennie en cours une nouvelle stratégie dénommée Europe 2020 sans avoir tiré les leçons de la précédente, et que le Programme national de réforme présenté par la France pour la période 2011-2014 s'inscrit dans ce nouveau cadre. En outre, les questions soulevées par ce bilan trouvent un écho dans la crise actuelle de la zone euro.
Le CEC ayant pour mission d'évaluer les politiques publiques menées à l'échelon national, il a été décidé de centrer notre travail sur les incidences qu'a eues la Stratégie de Lisbonne sur l'économie française – exercice non dénué de difficultés, certains de nos interlocuteurs jugeant même pratiquement irréalisable un bilan agrégé de la mise en oeuvre de cette stratégie en France.
Si nous avons travaillé, Philippe Cochet et moi-même, en excellente entente, chacun présentera successivement son point de vue, tant il est vrai que, sur ce sujet, autant nous avons pu établir d'un commun accord un certain nombre de constats et de recommandations, autant nous avons constaté nos divergences sur plusieurs points – ce qui semble normal.
Notre rapport établit que les objectifs initiaux en matière de croissance économique, de recherche et développement et d'emploi n'ont pas été atteints. C'est pourquoi nous estimons que la Stratégie de Lisbonne s'est révélée décevante.
A-t-elle néanmoins exercé une influence sur les politiques publiques ? Nous sommes d'accord pour dire que l'appel en faveur de l'innovation et de l'économie de la connaissance a exercé une réelle influence sur les politiques nationales. En revanche, nous divergeons sur l'appréciation du virage de 2005, quand, après une première évaluation, la stratégie a subi un recentrage que je qualifie pour ma part de « dérive néolibérale ». D'ailleurs, les « réformes structurelles » n'ont pas fait l'objet d'un consensus parmi les opinions publiques et les forces politiques des États membres : que l'on se souvienne des débats qui ont émaillé la décennie, sur la directive « services », sur la libéralisation du marché de l'énergie, sur le recul de l'âge de la retraite ou sur la « flexisécurité »…
Pourquoi cette « absence de réussite » – j'aurais, pour ma part, volontiers parlé d'« échec », à l'instar de nombreux observateurs, mais nous nous sommes entendus pour utiliser cette périphrase – de la Stratégie de Lisbonne ? C'est dans la réponse à cette question que nos points de vue divergent le plus. En ce qui me concerne, plutôt que dans le mode de gouvernance, j'en chercherais les causes dans l'accent mis sur la concurrence au détriment de la convergence sociale, dans l'absence d'harmonisation fiscale, dans le recul de l'investissement public et dans le soutien budgétaire insuffisant aux filières industrielles. Je ne suis pas non plus d'accord avec l'idée selon laquelle les objectifs stratégiques de Lisbonne auraient dû être assortis de sanctions ; cela n'aurait pu, à mon sens, que promouvoir une gouvernance de l'Union toujours plus autoritaire et technocratique, au détriment de l'expression de la souveraineté populaire. J'ajoute que la Stratégie de Lisbonne n'a pas permis, hélas, l'émergence d'une authentique dynamique de coopération entre les États membres, ce qui a conduit à une coordination par la concurrence, qui prévaut dans la zone euro, en matière sociale et fiscale, depuis sa création. En outre, on a fait l'impasse sur la demande et sur la relance par la consommation intérieure, et l'on n'a envisagé la croissance économique que comme le produit de facteurs considérés comme « structurels ».
Un autre point important, qui fait également l'objet d'une divergence entre nous, est de savoir s'il n'existerait pas une contradiction entre les objectifs de la Stratégie de Lisbonne et la politique monétaire conduite dans la zone euro. Selon moi, le Pacte de stabilité et de croissance, depuis 1997, et, depuis l'an dernier, le « Pacte pour l'euro plus », ont eu pour conséquences de brider les investissements et les salaires, de maintenir un chômage de masse, et de constituer un frein à la croissance, en raison du caractère récessif des politiques d'austérité et de contraction de la demande.
Nos recommandations sont de deux ordres.
S'agissant du contenu d'Europe 2020 et de son financement, nous proposons de revenir à l'esprit originel de la Stratégie de Lisbonne, en engageant un effort sans précédent en faveur de l'économie de la connaissance et en affectant à cette ambition un nouveau financement, qui reposerait sur une taxation des transactions financières. Il s'agit en effet du volet le plus consensuel de la Stratégie de Lisbonne, qui a en outre le mérite d'aborder la question des investissements publics porteurs de croissance. La nouvelle ressource permettrait de financer des projets de recherche et de développement industriel, notamment des coopérations transfrontalières, tout en s'inscrivant parfaitement dans le Programme-cadre de recherche et développement pour les années 2014 à 2020, en cours d'élaboration.
Ensuite, nous appelons de nos voeux une appropriation démocratique des agendas européens pluriannuels de croissance, tant par le Parlement que par les citoyens. Il est tout à fait anormal que notre assemblée n'ait pas été officiellement appelée à débattre de la position de la France sur la stratégie Europe 2020 ; de même, le Programme national de réforme français pour la période 2011-2014 n'a fait l'objet d'aucune présentation formelle et exhaustive devant le Parlement, ni avant, ni après sa transmission à la Commission européenne. Quant aux citoyens, ils devraient être mieux informés des enjeux de ces agendas et pouvoir influer davantage sur les décisions prises au niveau européen.
Au terme de ce rapport, nous considérons comme un impératif démocratique, et une condition du succès d'une Europe au service des peuples, de mettre fin à « l'isolement technocratique européen » tel que nous avons pu le constater avec acuité lors de notre déplacement à Bruxelles.
J'atteste que le résumé de Marc Dolez reflète bien notre démarche – même si, comme il l'a dit, sur le fond, nous ne partageons pas un certain nombre d'analyses.
Les pays européens s'étaient mis d'accord sur une déclaration de principes, comportant un certain nombre de proclamations généreuses et plutôt sympathiques. Or nous nous sommes aperçus, au cours des auditions, que les résultats concrets étaient rattachés à la Stratégie de Lisbonne uniquement lorsque les objectifs avaient été atteints ! En d'autres termes, il n'y a pas eu, de la part des États, appropriation directe d'une stratégie qui a, de surcroît, été progressivement complétée sans que l'on se soucie de son application effective. Il conviendrait que les Parlements nationaux disposent de points d'étape réguliers dans ces matières.
Nous avons par ailleurs pu constater que l'existence de la Stratégie de Lisbonne n'avait empêché personne de dormir ! Si certains partenaires, notamment les organisations syndicales, ont compris l'intérêt de la démarche, beaucoup d'acteurs institutionnels l'ont traitée de manière purement administrative. On a cependant tiré les leçons de cette expérience, et des éléments nouveaux ont été introduits dans la stratégie Europe 2020.
Un aspect positif fut d'obliger les États membres à travailler ensemble, mais jusqu'à un certain point seulement. Les élargissements successifs ont rendu l'exercice encore plus difficile.
En résumé, notre rapport montre les limites du fonctionnement actuel de l'Union européenne : on adopte des déclarations de principe sympathiques, mais dès qu'il s'agit de passer à la pratique, ça se complique ; et quand une crise survient, chacun se replie sur soi.
Néanmoins, la Stratégie de Lisbonne reste d'actualité, surtout vu la conjoncture actuelle : il est impératif d'engager des réformes structurelles pour que chaque État membre puisse en tirer bénéfice.
De fait, ce rapport est d'actualité ! Plutôt que de multiplier les propositions de loi qui compliquent la vie économique et sociale, il vaudrait mieux tirer les leçons de cette expérience ! Personnellement, j'ai cru à la Stratégie de Lisbonne. À l'époque, une majorité d'États étaient gouvernés au centre-gauche ; il faut prendre conscience que les problèmes actuels de désindustrialisation et de chômage ont leur source dans les choix stratégiques effectués en 2000-2002. Si nous avions appliqué alors les orientations de la Stratégie de Lisbonne, nous serions dans une situation différente ! Mais les uns se sont endormis sur les 35 heures quand les autres s'employaient à maîtriser leurs dépenses et adaptaient leur code du travail… Ce bilan mériterait par conséquent d'être débattu à l'Assemblée, afin que chacun sache ce qu'il ne faudrait plus faire !
En tant que vice-président du Comité, je tiens tout d'abord à souligner que ce rapport complète utilement les précédents rapports du CEC, organe encore jeune, mais dont les travaux commencent à être reconnus. Établis à chaque fois par deux rapporteurs, l'un appartenant à la majorité, l'autre à l'opposition – exercice auquel nous n'étions pas nécessairement habitués, mais dont l'intérêt s'avère indéniable –, ces rapports font la part entre le diagnostic partagé et les différences d'appréciation sur les leçons à en tirer, ce qui permet d'asseoir le débat politique sur de bonnes bases. C'est ainsi que nous avons produit des rapports sur de grandes questions transversales, comme le principe de précaution, des rapports qui font référence, sur la politique de la ville ou sur l'aménagement du territoire en milieu rural, des rapports d'évaluation de politiques publiques, comme celui sur les autorités administratives indépendantes ou celui sur les dispositifs de défiscalisation des heures supplémentaires, et des rapports de portée européenne, comme le rapport sur la performance des politiques sociales en Europe ou le présent rapport. Il serait d'ailleurs opportun que celui-ci donne lieu à un débat dans l'hémicycle, ou à tout le moins en commission : puisque la principale critique qui y est formulée est que personne ne s'est approprié la Stratégie de Lisbonne, il ne serait pas mauvais que l'Assemblée donne l'exemple de l'effort à mener !
Cette stratégie était au départ une démarche extrêmement technocratique : rien que pour expliquer ses objectifs – l'emploi, la cohésion sociale et l'économie de la connaissance –, il faudrait faire appel à une douzaine d'universitaires ! Alors, quand j'entends Pierre Méhaignerie embrayer tout de suite sur les 35 heures, je trouve cela un peu court – d'autant plus qu'on pourrait lui rétorquer qu'en Allemagne, où la durée du travail est plus faible, le chômage est moins élevé qu'en France. Il me semble que ce débat mérite mieux.
Il faut puiser dans ce rapport de quoi avancer. Aujourd'hui, avec la crise de la dette et la crise de l'euro, on bute sur la question de la « gouvernance » européenne, sur le fait que le gouvernement économique européen, que chacun appelait de ses voeux au moment de la création de l'euro, n'a pas été mis en place : il n'existe qu'une fausse banque centrale, qui ne joue pas son rôle. Comme le souligne le rapport, il convient de doter l'Europe d'un organe politique à la hauteur des transferts de compétences qui ont été réalisés, notamment en matière économique et monétaire.
Le rapport recommande en outre de favoriser l'appropriation institutionnelle et politique de la Stratégie de Lisbonne ; il prévoit à cette fin un financement nouveau, reposant sur une taxe sur les transactions financières.
C'est un début. Si l'on veut des résultats, il faudra une volonté politique, des institutions et des ressources ; s'il n'en est pas ainsi, on en restera au constat dressé par le présent rapport : quelles que soient les arguties sémantiques, la Stratégie de Lisbonne n'est pas une réussite, c'est même un échec !
Je souscris à l'analyse des deux rapporteurs en ce qui concerne l'appréciation de la stratégie de Lisbonne. Diplomatiquement, dans les milieux européens, on parle d'« absence de réussite », mais il s'agit bien d'un échec – pour les raisons que vous évoquez : profusion d'indicateurs et de cibles, faiblesse de la gouvernance de l'exercice, dépourvue de dispositif d'incitations-sanctions, déficit d'appropriation par les États membres.
Il conviendrait de poursuivre l'analyse sur la stratégie Europe 2020. Certes, celle-ci marque une amélioration, on a réduit le nombre des indicateurs et des cibles, mais cela reste insuffisant. Les critères de stabilité sont assortis d'un système de sanctions quasi automatiques ; ce n'est pas le cas d'Europe 2020. On peut toujours donner aux États membres des objectifs chiffrés : si l'on ne prévoit pas un mécanisme, soit d'incitation, soit de sanction, rien ne garantit que les États les respecteront !
Je crois par ailleurs qu'il convient de donner une nouvelle impulsion à la recherche et à l'innovation européennes. Les nouvelles priorités du paquet législatif, proposé par la Commission européenne, sont de ce point de vue de bon augure. La Commission des affaires européennes en a débattu la semaine dernière ; nous comptons suivre de très près ce dossier lors de la prochaine législature. Les enjeux sont énormes, notamment en raison de la concurrence des pays émergents ; il faut impérativement que l'Europe rejoigne le niveau des États-Unis d'Amérique en matière de recherche et de compétitivité.
Dans votre rapport, vous citez – et je vous en remercie – les différents travaux menés sur la Stratégie de Lisbonne par la délégation puis la commission des Affaires européennes, notamment le rapport de Michel Delebarre et Daniel Garrigue, qui concluait déjà, en 2005, à « l'échec » de cette stratégie. Vous évoquez également ma proposition de constitution d'une conférence permanente destinée à doter la gouvernance économique européenne d'un pilier interparlementaire. Il s'agit d'un enjeu capital, car nous ne pouvons pas continuer à construire l'Europe, notamment en matière budgétaire et économique, sans une profonde réforme des relations entre les parlements nationaux et les institutions européennes. Il convient d'instaurer une coopération renforcée entre le Parlement européen et les parlements nationaux ; en outre, à partir du moment où l'on décide de partager la souveraineté budgétaire, à travers le « semestre européen », il est impératif que cela se traduise par une structure de coopération entre les parlements nationaux. C'est pourquoi, avec le président Accoyer, nous avons fait introduire dans le projet de traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, la constitution d'une telle conférence, à qui il reviendra de discuter de la coopération économique et budgétaire, mais aussi d'analyser l'échec de la stratégie de Lisbonne et la mise en oeuvre de la stratégie Europe 2020. Il reste à en préciser la composition.
Pour terminer, je voudrais signaler que la Commission des affaires européennes a procédé hier à l'audition de MM. Michel Heinrich et Régis Juanico sur le rapport qu'ils ont remis au nom du CEC sur l'évaluation de la performance des politiques sociales en Europe. Je serais désireux d'auditionner également MM. Cochet et Dolez sur le présent rapport, qui est particulièrement instructif, si le calendrier le permet.
Ce rapport est éminemment d'actualité. On ne peut pas examiner la situation des pays que les marchés surveillent actuellement d'un oeil critique – en gros, les pays d'Europe du sud – sans s'interroger sur la valeur des politiques menées depuis une dizaine d'années, qui, à coups de fonds structurels, devaient rétablir les grands équilibres et favoriser la convergence avec les pays d'Europe du nord. On ne peut pas non plus nier le fait qu'au-delà des aspects strictement financiers de la crise, l'Eurogroupe, le Parlement européen et la Commission européenne ont failli à certaines de leurs missions ; les indicateurs auraient dû les alerter, non sur ce qui est constaté depuis six mois ou un an, mais sur le fait qu'au rebours de ce que prévoyaient les traités, plus l'Europe agissait, plus les divergences se creusaient.
Je souscris à l'opinion de Philippe Cochet sur les intentions « sympathiques ». Derrière, se cache un enjeu de taille, qui a été un peu oublié : le principe de subsidiarité. J'ai voté pour la première fois à l'occasion de la première élection au suffrage universel des membres du Parlement européen, en 1979 ; j'avais alors 19 ans, et il me paraissait évident qu'un jour, une institution représenterait les peuples européens et prendrait des décisions claires, par substitution, dans les domaines où les nations lui auraient conféré du pouvoir. C'était perçu à l'époque comme une réponse à l'émergence de grands blocs à l'échelle mondiale. Pourtant, aujourd'hui, on en est bien loin ! Le principe de subsidiarité a permis à nombre d'États de se décharger de leurs responsabilités sur les instances communautaires, éloignées des peuples. Or, quand on discute avec nos partenaires, la question de la subsidiarité revient à chaque fois : celui qui doit décider en dernier ressort, c'est le parlement national. Il faut donc que les parlements nationaux reviennent dans le jeu, parce que le dispositif imaginé à l'époque de la rédaction du traité de Lisbonne se révèle défaillant. Il s'agit d'une question d'organisation institutionnelle fondamentale.
Je terminerai par une réflexion sur la recherche de financements innovants. Si, pour financer de nouveaux investissements, on décide d'émettre des euro-obligations ou, du moins, d'ouvrir une nouvelle capacité d'emprunt, on risque de se trouver dans une situation comparable à celle que nous avons connue, en France, lorsque les intercommunalités ont été créées : un nouveau passif avait été ouvert, qui avait permis aux communes parties prenantes de financer des investissements importants sans que cela pèse sur leurs propres comptes. La même chose est en train de se produire aujourd'hui, à l'échelon européen.
Il convient donc de prévoir l'inscription, en regard, d'un actif ; un financement nouveau comme une taxe sur les transactions financières peut de ce point de vue être utile. Toutefois, on risque d'éluder ainsi la question de fond, à savoir celle de la subsidiarité, en ouvrant de nouvelles capacités d'action sans s'interroger sur la légitimité de cette action. D'où l'importance de ce rapport, qui interroge les mécanismes actuels de gouvernance – sujet qui, loin d'être ésotérique, me semble très concret ; en dépit des difficultés de mise en oeuvre, il faut absolument que, d'ici à cinq ans, on ait fait quelque chose au moins sur le plan budgétaire et économique.
Quoi qu'il en soit, ce rapport nous incite à l'humilité et à réexaminer sans concessions la manière dont ont été conçues depuis vingt ans les relations entre l'Union européenne et les États membres.
Il convient effectivement d'examiner ce rapport dans ce qu'il a de consensuel, dans la mesure où, la Stratégie de Lisbonne visant à ce que l'Union européenne et les États membres profitent au mieux de la libéralisation des marchés, on ne peut aboutir aux mêmes constats selon qu'on est pour ou contre le libéralisme !
La Stratégie de Lisbonne a peut-être échoué pour des raisons de gouvernance, d'appropriation insuffisante, d'absence de cohésion sociale et d'harmonisation fiscale, mais quid de la crise, qui a sans doute été aussi pour beaucoup dans cet échec ? L'élargissement de l'Union européenne n'a-t-il pas été un autre frein ?
Il fut un temps où l'on pensait que la priorité était de construire un marché unique, afin que l'Europe puisse, de l'intérieur, développer son économie, avec une politique énergétique et une politique industrielle communes. Cela a échoué : dans un premier temps, on a commencé par vouloir restreindre la politique énergétique commune aux États membres de l'espace Schengen ; ensuite est arrivée la crise. Parallèlement, l'idée s'est développée que l'Europe ne pouvait se réduire à cela, et que le libéralisme devait aller de pair avec une certaine régulation. Aujourd'hui, tout le monde dans l'Union, ou presque, est sur la même longueur d'onde. Mais il faut aussi se situer par rapport au reste du monde, en particulier par rapport aux pays émergents, et faire évoluer en conséquence notre stratégie pour 2020, sans se limiter à l'analyse de tel ou tel échec.
Je suis évidemment favorable à une association plus étroite entre l'Europe et les parlements nationaux. Même s'il est difficile d'adopter une stratégie commune à vingt-sept, on peut être d'accord sur les bases. Or, s'il est un domaine où l'on ne met pas tous nos atouts dans notre jeu, c'est bien la recherche. Il importe donc de nous dégager de toute considération politique et de transcender les clivages actuels pour mettre en commun les immenses ressources dont nous disposons à l'échelon européen.
Je souscris aux propos qui viennent d'être tenus. Je ne crois pas que l'échec de la Stratégie de Lisbonne soit imputable à je ne sais quelle idéologie libérale ou au libéral que serait le président de la Commission européenne. Je regrette, quant à moi, plutôt un manque d'interventionnisme et des indications trop floues de la part de cette dernière.
Le social-libéral que je suis ne peut que rappeler qu'il était question de débureaucratiser et d'alléger les procédures complexes et nombreuses entravant la créativité et l'initiative, mais que les progrès attendus n'ont guère été au rendez-vous, y compris de notre part.
Interventionnisme, libéralisme, débureaucratisation… Ne mélangeons pas trop de choses !
Au fond, c'est la question du fédéralisme qui est posée. Alors que des compétences avaient été transférées, la Stratégie de Lisbonne traçait des orientations sans qu'on ne dispose des outils politiques et budgétaires nécessaires. Il faut être cohérent : dès lors que des compétences sont transférées, à quelque niveau que ce soit, il faut organiser la décision politique en conséquence et se doter des moyens financiers adéquats. En la matière, le problème n'est pas celui de la débureaucratisation ou de la bureaucratisation : un libéral peut fort bien bureaucratiser et un centralisateur débureaucratiser.
Le rapport est très clair : avant même le début de la crise de 2008, de nombreuses indications montraient que les objectifs fixés en 2000 ne pourraient pas être atteints en 2010.
En revanche, il est vrai que nous n'évoquons guère la question de l'élargissement mais, si elle se fait jour, c'est que ce dernier s'est produit avant que l'intégration ne soit effective – d'où les importantes disparités sociales et fiscales que nous connaissons.
Le rapport, tout le rapport, rien que le rapport ! M. Cochet et moi-même vous soumettons un certain nombre de constats partagés et deux recommandations – qu'elles soient à la fois limitées et communes ne leur donne que plus de force. Le débat demeure en revanche ouvert quant aux raisons de l'échec ou de l'insuccès de la Stratégie. Nous sommes d'accord sur certaines causes, en désaccord sur d'autres, mais je prie le président Pierre Lequiller de ne pas voir dans notre rapport un plaidoyer pour un mécanisme de sanctions ou pour des atteintes à la souveraineté budgétaire de la France. En ce qui me concerne, je récuse une telle perspective, de même, d'ailleurs, que celle du fédéralisme. Il ne faut pas « tirer » le rapport dans un sens que nous ne lui avons pas donné.
Les échanges que nous venons d'avoir témoignent de l'intérêt d'une structure comme le CEC et de la nécessité qu'il y a, pour les parlements nationaux, à mieux se saisir de l'idée européenne. M. Marc Dolez et moi-même avons constaté que la technostructure peut très bien se passer de ces parlements – si une ambiguïté subsistait à ce propos, nous l'avons levée ! Il n'est donc que plus important de poursuivre ce travail sous la prochaine législature et, comme le président Pierre Lequiller, je souhaite que l'Assemblée s'approprie ces sujets en utilisant au mieux ce Comité.
Conformément aux dispositions de l'article 146-3 du Règlement, le Comité autorise la publication du rapport d'information sur l'évaluation des incidences de la Stratégie de Lisbonne sur l'économie française.
Le rapport sera distribué et mis en ligne sur le site Internet de l'Assemblée nationale. Il sera transmis au Gouvernement.
Présidence de M. Louis Giscard d'Estaing
– Rapport de suivi du rapport du CEC sur l'évaluation de l'aide médicale de l'État.
Nous allons maintenant, conformément à notre Règlement, aborder l'examen des suites données à un rapport publié par le CEC : en l'occurrence le rapport sur l'évaluation de l'aide médicale de l'État (AME), qui a été présenté au Comité le 9 juin dernier. Ce rapport de suivi a été préparé par nos deux rapporteurs, Claude Goasguen et Christophe Sirugue, mais il m'a été indiqué que ce dernier, excusé, était suppléé par Catherine Lemorton.
Le 9 juin 2011, le Comité a en effet autorisé la publication du rapport d'information que M. Sirugue et moi-même lui avions soumis sous le titre « L'aide médicale de l'État : mieux gérer un dispositif nécessaire ».
Ce rapport établissait un bilan du fonctionnement du dispositif en soulignant son intérêt incontestable en termes de santé publique mais, aussi, en s'interrogeant sur les moyens de mieux connaître et de mieux maîtriser l'origine des variations des dépenses. Nos conclusions appelaient donc à une adaptation et à une modernisation de la gestion de l'AME, notamment en ce qui concerne les modalités de tarification des soins hospitaliers.
Chacun des deux rapporteurs avait tenu à apporter sa propre contribution en mettant l'accent sur des points qu'il jugeait prioritaires. Cependant, dans le cadre consensuel qui est le nôtre, nous ne nous intéresserons aujourd'hui qu'aux six recommandations partagées.
Conformément à notre Règlement, le rapport d'information avait été transmis par le Président Bernard Accoyer au Premier ministre et aux ministres dont relève la gestion de l'AME : le ministre en charge du budget et le ministre en charge de la santé. Pour examiner les suites données par le Gouvernement à ce rapport, nous avons transmis en novembre dernier un questionnaire à M. Xavier Bertrand, ministre en charge de la santé. Aucune réponse ne nous a été apportée, ce qui est tout à fait regrettable. Il s'agit là d'un point noir dans la relation entre le travail parlementaire d'évaluation et le Gouvernement. Compte tenu de cette absence de réponses, nous avons collecté des informations, notamment extraites des débats parlementaires, afin de reconstituer l'application de nos propositions.
Une des premières décisions à prendre afin de réduire le coût du dispositif pour l'État et, surtout, pour aboutir à une certaine « vérité des prix » en remédiant à des dysfonctionnements maintes fois relevés, consistait à changer le mode de tarification des soins hospitaliers. Pour les patients relevant de l'AME, il était jugé nécessaire d'abandonner progressivement le tarif journalier de prestation (TJP) afin d'adopter la tarification de droit commun par groupes homogènes de malades. Cette recommandation centrale et partagée des rapporteurs a été appliquée dès l'été dernier. En effet, lors de la discussion au Sénat du premier projet de loi de finances rectificative pour 2011, le Gouvernement a déposé un amendement qui se fondait explicitement sur les conclusions de notre rapport et qui est devenu l'article 50 de la loi de finances rectificative.
La nouvelle tarification, applicable à partir du 1er décembre 2011, entrera complètement en vigueur en 2013. Il s'agit d'un système reposant sur la tarification à l'activité – le tarif sera équivalent à 80 % du tarif « de droit commun » – mais modulée par deux coefficients correcteurs afin de prendre en compte, d'une part, les spécificités de ces patients, et, d'autre part, de manière temporaire, les difficultés des hôpitaux lors de la transition. La facturation des soins hospitaliers dans le cadre de l'AME garde donc toujours une spécificité. Cette réforme ne s'applique pas aux soins assurés dans le cadre de la procédure des soins urgents. Selon l'intervention du ministre en séance, au Sénat, l'économie réalisée s'élèvera à 150 millions sur trois ans – dont 50 à 60 millions au cours de l'exercice 2012.
Le rapport du Comité a été présenté par un représentant de la Direction de la sécurité sociale (DSS) lors d'une réunion du « comité de pilotage de l'AME » associant les administrations de l'État et celles des organismes de la sécurité sociale – à laquelle les rapporteurs n'ont pas été conviés ! Cette réunion permet d'apporter les éléments d'information qui suivent, concernant les autres conclusions du rapport.
S'agissant de la proposition d'aménager une visite de prévention à tout nouveau bénéficiaire de l'AME, les résultats de l'expérimentation, d'ailleurs limitée à trois centres de santé, sont en cours d'analyse ; il n'est toutefois pas certain que le public qui en bénéficie effectivement soit le plus précaire.
Les administrations travaillent à la rédaction d'un arrêté qui prolongerait la conservation des données issues de la base de l'assurance maladie dénommée Erasme ; cette mesure se heurterait cependant aux réticences de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil).
Concernant l'amélioration nécessaire de la connaissance de l'état sanitaire des bénéficiaires de l'AME, une récente étude publiée par le Bulletin épidémiologique hebdomadaire de l'Institut national de veille sanitaire (INVS) fait un nouveau point sur la santé des migrants.
Pour ce qui est de la gestion, la Cnam développe actuellement un nouvel outil, en cours d'expérimentation dans certaines caisses ; le suivi restera effectué sur une base régionale en utilisant les données relatives aux refus d'admission.
Des représentants du bureau de la DSS ont effectué une mission en Guyane afin de mesurer les difficultés spécifiques à ce département – longueur de l'instruction des dossiers et pourcentage élevé de bénéficiaires de l'AME, notamment. Ce document ne nous a pas été communiqué.
Pour procéder à la budgétisation la plus précise possible des besoins de l'année n+1 en loi de finances initiale (LFI), la Cnam effectue depuis le mois de juillet dernier un rapport mensuel, et non plus seulement trimestriel, des dépenses.
Le nombre de bénéficiaires de l'AME en 2011 semble avoir diminué par rapport à 2010, du fait notamment que les associations ne peuvent plus instruire les demandes.
Le collectif de fin d'année 2011 a permis une ouverture supplémentaire de crédits de 35 millions destinée au financement de l'AME. Malgré la revalorisation de la dotation initiale – 588 millions en LFI pour 2011 contre 535 millions pour 2010 –, la dotation au titre de l'exercice 2011 s'est encore révélée insuffisante. Ce phénomène, dont l'ampleur a certes été significativement réduite, rend d'autant plus nécessaire nos recommandations d'une budgétisation la plus précise possible des besoins en LFI. Selon le rapport spécial sur les moyens de la mission « Santé » pour 2012, la croissance des dépenses ralentit : après avoir atteint 13,3 % en 2009, elle n'a plus été que de 7,5 % en 2010 et de 2 % en 2011.
Les prévisions pour 2012 sont fondées sur une dépense totale de 601 millions minorée, d'une part, des économies attendues de la réforme de la tarification et, d'autre part, du produit d'autres mesures à la portée plus réduite, soit une dépense estimée en définitive à 548 millions.
S'agissant d'un domaine aussi crucial, épineux et sujet à polémique, nous ne pourrons faire autrement qu'insister auprès du Gouvernement pour qu'il prenne en compte nos travaux d'évaluation et de contrôle et réponde aux demandes que nous présentons dans le cadre de ce suivi. En l'occurrence, il ne s'est pas montré à la hauteur de ses compétences et de ses responsabilités. Au cours des prochaines législatures, il faudra nous employer à obtenir plus de résultats.
J'insiste : alors que le co-rapporteur et moi-même avions réalisé des efforts importants pour rapprocher nos points de vue, ce comportement du Gouvernement, voire des organismes sociaux, a conduit à une certaine inefficacité. Sans doute serons-nous contraints de reprendre cette question dans un esprit beaucoup plus autoritaire. Certains secteurs de l'administration sont en effet dotés d'une carapace de résistance qu'il faudra briser un jour ou l'autre si nous voulons réussir un véritable travail d'évaluation et de contrôle.
Je ne puis que contresigner les propos qui viennent d'être tenus, le travail entre MM. Goasguen et Sirugue ayant été consensuel.
Je déplore bien sûr, moi aussi, l'absence de réaction du ministère au questionnaire qui lui a été envoyé. Néanmoins, une fois n'est pas coutume, je vais me faire l'avocate du diable et défendre le Gouvernement. S'il n'est guère difficile d'appliquer un changement de tarification, qui relève d'une décision administrative, il est en revanche un peu plus délicat de se prononcer aussi rapidement – le rapport a paru au mois de juin 2011 – dans un domaine qui touche de si près à l'humain que celui de la santé.
Cela étant, le Gouvernement aurait pu puiser une bonne part des réponses demandées dans une étude publiée par l'INVS dans le bulletin épidémiologique hebdomadaire du 17 janvier 2012. On trouve en effet là un certain nombre d'informations utiles à notre propos, notamment sur la situation en Guyane.
Je regrette que le rapport du CEC se soit limité à la question de l'AME et n'ait pas traité de la CMU aussi, comme il était initialement prévu : cela nous aurait sans doute amenés à conclure d'un commun accord que les bénéficiaires de la première ne sont pas mieux soignés que les bénéficiaires de la seconde. Le chapitre du bulletin de l'INVS consacré à l'observatoire de l'accès aux soins de Médecins du Monde, qui couvre une trentaine de centres, montre en effet combien ceux qui ont besoin de l'AME éprouvent de difficultés à l'obtenir. Les trois quarts des demandeurs, étrangers en situation irrégulière, y ont droit en théorie mais se heurtent à toute une série d'obstacles pour accéder effectivement aux soins : méconnaissance de leurs droits, barrière linguistique – les associations n'ont plus le droit de demander l'AME à leur place –, difficultés administratives et financières et, enfin, peur des arrestations. Une telle situation ne manque pas d'avoir des conséquences en matière de santé publique.
Cette étude comporte, je le répète, bien des réponses aux questions que nous nous posons. Lorsqu'une autorité sanitaire publie un travail de ce genre, les parlementaires, en particulier ceux qui sont membres de la commission des Affaires sociales, ont tout intérêt à en prendre connaissance : cela éviterait de lancer des phrases à l'emporte-pièce ou de proférer des mensonges qui, répétés, finissent par devenir des vérités pour l'opinion.
Enfin, je regrette que le Gouvernement n'ait pas répondu à la question qui portait sur la publication du décret d'application de l'article 54 de la loi « hôpital, patients, santé et territoires » (HPST) interdisant les refus illégitimes de prise en charge par des professionnels de santé. Nous saurions ainsi ce qu'il en est vraiment de l'accès effectif aux soins des bénéficiaires de l'AME dont le statut, a priori, est toujours stigmatisant. C'est un fait : beaucoup de médecins refusent de les soigner. Je regrette, de ce point de vue-là, que le testing prévu par Mme Bachelot dans la loi HPST n'ait pas été mis en place.
Le pouvoir exécutif, d'une façon générale, ne s'est pas encore habitué à l'idée qu'il existe un CEC qui entend se faire respecter. Le Gouvernement n'attache guère d'importance au suivi de nos travaux mais on peut penser que le seul fait qu'il éprouve des difficultés à répondre à nos conclusions prouve leur bien-fondé. C'est en renforçant la mission d'évaluation du Parlement que nous contribuerons à améliorer le débat démocratique et à rendre les politiques publiques plus pertinentes !
Je rappelle au passage que, déjà, lors du débat budgétaire de l'automne 2010, le Gouvernement n'avait rien trouvé de mieux que de cacher délibérément à la représentation nationale l'existence d'un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). Ce comportement est inadmissible.
La réforme de la tarification hospitalière méritera d'être poursuivie car elle répond vraiment aux problèmes budgétaires qui se posent. Mais nous pouvons nous accorder sur le fait que l'AME ne donne pas lieu à une fraude particulière : notre collègue Dominique Tian, qui ne peut être suspect de laxisme en la matière, l'a démontré dans le rapport qu'il a rédigé sur la fraude sociale pour le compte de la MECSS.
D'ici quelque temps, il conviendra d'évaluer les effets du fameux droit d'entrée de 30 euros. Nous avons des raisons de penser que ce timbre contraint des familles à choisir un de leurs membres pour bénéficier de l'AME. Une telle somme représente en effet beaucoup pour qui n'a que le plafond de revenus prévu pour bénéficier de l'AME, soit quelque 600 euros par mois, pour vivre.
Mme Lemorton a évoqué ce point essentiel qu'est la suppression de la possibilité d'instruire les demandes par les associations ; je n'y reviens pas.
Le travail d'évaluation et de suivi devra donc être poursuivi, de manière à ce que cette importante politique publique soit menée de façon plus conforme à ses objectifs initiaux.
L'antagonisme est réel entre les impératifs budgétaires et les objectifs de santé publique. Néanmoins, le Gouvernement et les organismes de santé ont le devoir d'être à la hauteur sur ces deux plans.
En matière d'AME, les abus sont peu nombreux. La principale difficulté résulte du non-respect de la séparation entre les règles budgétaires et la pratique hospitalière. En d'autres termes, pour des raisons sans doute louables, les hôpitaux ont tendance à « tirer » sur un budget qui n'a pas fait l'objet d'une gestion très rigoureuse de la part de ses ordonnateurs. Le budget de l'AME, en définitive, a été évalué artificiellement d'année en année, puis souvent réévalué en cours d'exercice alors qu'il importerait de limiter les collectifs de façon à ne pas encourager les dépenses.
La seule réforme qui soit allée dans le bon sens, même si elle suscite des critiques dans le milieu hospitalier, a consisté à transférer un financement qui était à l'origine budgétaire vers d'autres fonds – ce qui ne suffit d'ailleurs pas, et c'est regrettable, à diminuer les dépenses publiques sociales globales.
Il faudra donc clarifier cette situation en faisant en sorte que le secteur de la santé publique accepte de se conformer à des critères budgétaires de gestion convenables au regard des besoins. L'AME constituant un système à part au sein de l'État, j'avais suggéré qu'une caisse de sécurité sociale lui soit dédiée afin d'unifier la gestion et de faciliter les contrôles. Cette idée, hélas, n'a pas été retenue. Quoi qu'il en soit, comme M. Mallot, je souhaite que notre travail de suivi soit poursuivi dans le cadre de la prochaine législature afin de parvenir à une harmonisation.
Une caisse dédiée ne permettrait pas de mieux contrôler l'AME. Je le sais en tant que pharmacienne : toutes les demandes de remboursement transmises à la sécurité sociale à ce titre par les professionnels de santé sont contrôlées une à une. De plus, elles ne sont pas envoyées dans les mêmes enveloppes que les autres demandes – on y voit donc d'ores et déjà très clair.
Le bulletin de l'INVS consacre un chapitre aux trois pathologies dont souffrent principalement les migrants : le VIH, l'hépatite B et la tuberculose – en 2009, 50 % des personnes infectées par le bacille de Koch étaient issues de ces populations. Or la tuberculose, qui avait disparu en France, est une maladie caractéristique des périodes où la misère refait son apparition. Si le législateur veut continuer de se regarder dans un miroir, il serait bien avisé de tout faire pour que ces populations soient prises en charge dès leur arrivée, d'autant qu'il s'agit d'une pathologie relativement facile à guérir.
Précisément, je regrette que le Gouvernement n'ait pas utilisé les centres de prévention !
Enfin, ce sont de mauvaises raisons, pseudo-économiques et en réalité idéologiques, qui ont présidé à l'institution d'un « droit d'entrée » de 30 euros. N'est-on pas allé jusqu'à prétendre qu'un bénéficiaire de l'AME s'enrichissait en se faisant soigner ? Or, puisqu'il n'avance pas les frais, il ne perçoit pas non plus de remboursement. Mais un mensonge martelé finit par devenir une vérité pour nos concitoyens...
Je note que nos rapporteurs soulignent l'un et l'autre l'intérêt du travail conduit par le CEC sur un tel sujet, mais aussi que le Comité, institution récente, se heurte à certaines difficultés pratiques dans ses activités de suivi, d'investigation et d'évaluation. Je rappelle donc au Gouvernement et aux représentants des organismes que vous avez contrôlés qu'ils doivent réserver un meilleur accueil aux demandes formulées par des rapporteurs du CEC. Les administrations contrôlées ou évaluées sous le contrôle du Parlement doivent prendre pleinement la mesure des prérogatives de ce Comité, créé après la révision constitutionnelle de 2008 et associant à parité majorité et opposition dans ses travaux. Mais ces résistances sont aussi la démonstration de la nécessité où nous nous trouvons encore, après une législature d'existence, de faire progresser partout la culture de l'évaluation et du contrôle.
Je ne constate aucune opposition à la publication du rapport.
Conformément aux dispositions de l'article 146-3 du Règlement, le Comité autorise la publication du rapport de suivi du rapport du CEC sur l'évaluation de l'aide médicale de l'État (n° 3524).
Le rapport sera distribué et mis en ligne sur le site Internet de l'Assemblée nationale. Il sera transmis au Gouvernement.
Avant de conclure cette ultime séance de la législature, je donne la parole à Jean Mallot, qui souhaite évoquer succinctement les travaux engagés par la Cour des Comptes sur les deux sujets qui lui ont été confiés par le CEC pour un rendu après les élections.
Nous voulons tous développer les activités d'évaluation et de contrôle au sein de l'Assemblée nationale, en démontrant aux uns et aux autres leur intérêt, y compris pour la qualité de nos travaux législatifs.
La majorité à venir décidera de la composition et des travaux du CEC, lequel décidera souverainement de son programme de travail – au passage, monsieur le président, je signale que ce Comité aurait parfaitement pu être créé sans révision constitutionnelle. Néanmoins, notre attachement à ces missions est tel qu'il nous a semblé opportun de préparer le travail à venir, afin de faciliter la tâche de nos successeurs.
Sous l'autorité du Président Accoyer, contact a donc été pris avec la Cour des comptes, dont l'assistance a été demandée pour travailler sur deux thèmes : l'évaluation des politiques publiques en faveur de la création d'entreprises et celle des politiques publiques de lutte contre le tabagisme – sujets sur lesquels d'ailleurs la Cour a déjà rassemblé quelques éléments.
M. Pascal Brindeau et moi-même, représentant le bureau du Comité, avons rencontré les membres de la Cour. Nous avons discuté ensemble du contenu, du périmètre et du délai de réalisation de ces deux études, les rapports pouvant être remis au CEC au mois de décembre prochain.
Le premier thème demandera la contribution de plusieurs chambres régionales des comptes, des actions en faveur de la création d'entreprises étant également conduites par nombre de collectivités territoriales.
Le second thème embrassera quant à lui plusieurs dimensions dans une perspective d'évaluation pluridisciplinaire : santé publique, aspects budgétaires et économiques, prévention – à ce propos, je signale que la MECSS vient de publier un rapport présenté par M. Jean-Luc Préel sur la prévention sanitaire dont je vous recommande la lecture et dont les 36 préconisations peuvent servir de base à une véritable politique de prévention sanitaire.
Les deux rapports précités attendus de la Cour des comptes permettront donc au CEC de commencer ses travaux sans délai et, espérons-le, avec l'efficacité souhaitée par nos concitoyens.
J'en prends bonne note.
Si la création du CEC ne nécessitait pas, en effet, une révision constitutionnelle, le rôle d'assistance au Parlement dévolu à la Cour des comptes en matière d'évaluation des politiques publiques l'imposait.
Ayant fait partie, comme Claude Goasguen ou Olivier Carré, de ceux qui soutinrent cette réforme constitutionnelle, je ne peux que souhaiter, comme M. Mallot, la meilleure synchronisation possible des travaux de la Cour et du Parlement, qu'il s'agisse des missions d'évaluation et de contrôle et de la programmation des travaux de la Cour à l'initiative de la commission des Finances dans le cadre de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001, ou à l'initiative de la commission des Affaires sociales, ou encore des travaux du CEC.
Je remercie M. Mallot de son propos prospectif. Les travaux du CEC, dont la richesse a été soulignée lors de cette réunion, sont donc clos pour la présente législature. Je remercie chaleureusement ceux qui y ont participé.
La séance est levée à douze heures quarante.