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Intervention de Marc Dolez

Réunion du 16 février 2012 à 11h00
Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarc Dolez, rapporteur :

Dans l'esprit du groupe GDR, évaluer la Stratégie de Lisbonne définie par le Conseil européen de mars 2000 devait permettre d'identifier les facteurs économiques et institutionnels qui ont empêché d'atteindre les objectifs assignés à l'Union européenne pour la décennie 2000-2010 : à savoir, devenir une économie de la connaissance en consacrant 3 % de son PIB aux dépenses de recherche et développement, connaître une croissance de 3 % en moyenne de son PIB – cette croissance devant présenter un caractère durable –, et, enfin, viser une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et une plus grande cohésion sociale.

Cette évaluation nous semblait d'autant plus utile que le Conseil européen de juin 2010 a adopté pour la décennie en cours une nouvelle stratégie dénommée Europe 2020 sans avoir tiré les leçons de la précédente, et que le Programme national de réforme présenté par la France pour la période 2011-2014 s'inscrit dans ce nouveau cadre. En outre, les questions soulevées par ce bilan trouvent un écho dans la crise actuelle de la zone euro.

Le CEC ayant pour mission d'évaluer les politiques publiques menées à l'échelon national, il a été décidé de centrer notre travail sur les incidences qu'a eues la Stratégie de Lisbonne sur l'économie française – exercice non dénué de difficultés, certains de nos interlocuteurs jugeant même pratiquement irréalisable un bilan agrégé de la mise en oeuvre de cette stratégie en France.

Si nous avons travaillé, Philippe Cochet et moi-même, en excellente entente, chacun présentera successivement son point de vue, tant il est vrai que, sur ce sujet, autant nous avons pu établir d'un commun accord un certain nombre de constats et de recommandations, autant nous avons constaté nos divergences sur plusieurs points – ce qui semble normal.

Notre rapport établit que les objectifs initiaux en matière de croissance économique, de recherche et développement et d'emploi n'ont pas été atteints. C'est pourquoi nous estimons que la Stratégie de Lisbonne s'est révélée décevante.

A-t-elle néanmoins exercé une influence sur les politiques publiques ? Nous sommes d'accord pour dire que l'appel en faveur de l'innovation et de l'économie de la connaissance a exercé une réelle influence sur les politiques nationales. En revanche, nous divergeons sur l'appréciation du virage de 2005, quand, après une première évaluation, la stratégie a subi un recentrage que je qualifie pour ma part de « dérive néolibérale ». D'ailleurs, les « réformes structurelles » n'ont pas fait l'objet d'un consensus parmi les opinions publiques et les forces politiques des États membres : que l'on se souvienne des débats qui ont émaillé la décennie, sur la directive « services », sur la libéralisation du marché de l'énergie, sur le recul de l'âge de la retraite ou sur la « flexisécurité »…

Pourquoi cette « absence de réussite » – j'aurais, pour ma part, volontiers parlé d'« échec », à l'instar de nombreux observateurs, mais nous nous sommes entendus pour utiliser cette périphrase – de la Stratégie de Lisbonne ? C'est dans la réponse à cette question que nos points de vue divergent le plus. En ce qui me concerne, plutôt que dans le mode de gouvernance, j'en chercherais les causes dans l'accent mis sur la concurrence au détriment de la convergence sociale, dans l'absence d'harmonisation fiscale, dans le recul de l'investissement public et dans le soutien budgétaire insuffisant aux filières industrielles. Je ne suis pas non plus d'accord avec l'idée selon laquelle les objectifs stratégiques de Lisbonne auraient dû être assortis de sanctions ; cela n'aurait pu, à mon sens, que promouvoir une gouvernance de l'Union toujours plus autoritaire et technocratique, au détriment de l'expression de la souveraineté populaire. J'ajoute que la Stratégie de Lisbonne n'a pas permis, hélas, l'émergence d'une authentique dynamique de coopération entre les États membres, ce qui a conduit à une coordination par la concurrence, qui prévaut dans la zone euro, en matière sociale et fiscale, depuis sa création. En outre, on a fait l'impasse sur la demande et sur la relance par la consommation intérieure, et l'on n'a envisagé la croissance économique que comme le produit de facteurs considérés comme « structurels ».

Un autre point important, qui fait également l'objet d'une divergence entre nous, est de savoir s'il n'existerait pas une contradiction entre les objectifs de la Stratégie de Lisbonne et la politique monétaire conduite dans la zone euro. Selon moi, le Pacte de stabilité et de croissance, depuis 1997, et, depuis l'an dernier, le « Pacte pour l'euro plus », ont eu pour conséquences de brider les investissements et les salaires, de maintenir un chômage de masse, et de constituer un frein à la croissance, en raison du caractère récessif des politiques d'austérité et de contraction de la demande.

Nos recommandations sont de deux ordres.

S'agissant du contenu d'Europe 2020 et de son financement, nous proposons de revenir à l'esprit originel de la Stratégie de Lisbonne, en engageant un effort sans précédent en faveur de l'économie de la connaissance et en affectant à cette ambition un nouveau financement, qui reposerait sur une taxation des transactions financières. Il s'agit en effet du volet le plus consensuel de la Stratégie de Lisbonne, qui a en outre le mérite d'aborder la question des investissements publics porteurs de croissance. La nouvelle ressource permettrait de financer des projets de recherche et de développement industriel, notamment des coopérations transfrontalières, tout en s'inscrivant parfaitement dans le Programme-cadre de recherche et développement pour les années 2014 à 2020, en cours d'élaboration.

Ensuite, nous appelons de nos voeux une appropriation démocratique des agendas européens pluriannuels de croissance, tant par le Parlement que par les citoyens. Il est tout à fait anormal que notre assemblée n'ait pas été officiellement appelée à débattre de la position de la France sur la stratégie Europe 2020 ; de même, le Programme national de réforme français pour la période 2011-2014 n'a fait l'objet d'aucune présentation formelle et exhaustive devant le Parlement, ni avant, ni après sa transmission à la Commission européenne. Quant aux citoyens, ils devraient être mieux informés des enjeux de ces agendas et pouvoir influer davantage sur les décisions prises au niveau européen.

Au terme de ce rapport, nous considérons comme un impératif démocratique, et une condition du succès d'une Europe au service des peuples, de mettre fin à « l'isolement technocratique européen » tel que nous avons pu le constater avec acuité lors de notre déplacement à Bruxelles.

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