COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mardi 7 juin 2011
La séance est ouverte à seize heures trente.
(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission)
La Commission des affaires sociales examine sur le rapport de M. Francis Vercamer, la proposition de résolution de M. Nicolas Perruchot et les membres du groupe Nouveau Centre tendant à la création d'une commission d'enquête visant à étudier les modalités de financement des acteur du dialogue social (n° 3460)
La conférence des présidents de ce matin a inscrit à l'ordre du jour de la séance publique de demain après-midi la proposition de résolution du groupe Nouveau Centre tendant à la création d'une commission d'enquête visant à étudier les modalités de financement des acteurs du dialogue social. Cette proposition de résolution a été renvoyée à notre commission. Sur cette proposition de résolution, le groupe Nouveau Centre a décidé d'exercer le « droit de tirage » ouvert, depuis la révision constitutionnelle, aux groupes de l'opposition ou aux groupes minoritaires.
Je vous rappelle que dans ce cadre, l'inscription à l'ordre du jour de la séance publique est de droit et que le débat doit avoir lieu pendant une semaine de contrôle. Lors de la séance publique, le débat se réduit aux explications de vote des différents groupes, pour 5 minutes chacun. Le vote porte sur le texte élaboré par la commission ou, à défaut, sur le texte initial de la proposition de résolution. Seuls les députés défavorables à la création de la commission d'enquête participent au scrutin, le rejet de la création de la commission d'enquête ne pouvant alors intervenir qu'à la majorité des trois cinquièmes des membres de l'Assemblée (soit 347 députés).
Je souhaiterais formuler deux remarques préliminaires. Tout d'abord, notre groupe a choisi de ne pas déposer d'amendement visant à modifier la proposition de résolution. Nous nous l'interdisons par principe et avions vivement protesté contre cette pratique lors de l'examen de notre proposition de résolution visant à créer une commission d'enquête relative aux conséquences sur la santé des travailleurs des méthodes de gestion employées à France Télécom.
Par ailleurs, il me semble que l'inscription hâtive de ce texte à l'ordre du jour est particulièrement regrettable et indigne de notre Assemblée. Le sujet dont traite la proposition de résolution me tient particulièrement à coeur du fait de mes fonctions antérieures. Or, pour des raisons professionnelles, je ne serai malheureusement pas en mesure de participer à la discussion en séance publique de demain.
À titre personnel, je le regrette. En tant que représentant de la Nation, j'estime que cette précipitation nuit à la qualité de nos débats. Rien ne la justifiait.
Je suis d'accord avec vous. La semaine dernière en Conférence des présidents, le groupe Nouveau Centre a souhaité différer d'une semaine la question de l'inscription à l'ordre du jour de ce texte, vraisemblablement pour en modifier le contenu. Ce matin, la Conférence des présidents a tranché et nous demande de l'étudier cet après-midi. Ce n'est donc pas ma propre décision.
Je rejoins les propos de Roland Muzeau. Une telle urgence est injustifiable. J'entends que le Nouveau Centre souhaitait repousser la discussion en Conférence des présidents d'une semaine. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas l'inscrire à l'ordre du jour de la prochaine semaine de contrôle de notre Assemblée ? Nous attendons un débat sérieux sur ce sujet. L'exposé des motifs évoque des études de 2008, nous pouvons patienter quelques jours supplémentaires.
Il n'y a pas d'autre semaine de contrôle avant la fin de la présente session ordinaire. Or, il ne peut être créé de commission d'enquête pendant la session ordinaire précédant le renouvellement de l'Assemblée. Il nous faut donc examiner cette proposition de résolution cette semaine, à moins que le Nouveau Centre ne renonce à sa demande de commission d'enquête. Ceci explique cette relative précipitation, que je suis le premier à regretter.
Vous savez comme moi qu'il est possible de demander au Gouvernement d'inscrire la discussion de cette proposition de résolution à l'ordre du jour de la semaine prochaine. Nous pourrions parfaitement organiser ce débat dans des conditions plus décentes.
Je souhaiterais répondre à vos remarques. Pour commencer, nous avons déposé cette proposition de résolution en vertu du droit qui nous est conféré par le Règlement de notre Assemblée. Il est hors de question que nous y renoncions.
Mais nous n'avons jamais demandé d'examen en urgence. Ce sont les contraintes de notre ordre du jour qui nous forcent à discuter de cette proposition de résolution cette semaine. Je souhaite que cela soit clair dans les esprits.
Je transmettrai au Gouvernement vos remarques ainsi que la demande d'inscription de cette proposition de résolution à l'ordre du jour de la semaine gouvernementale à venir. Je donne maintenant la parole au rapporteur.
Le groupe Nouveau Centre estime que le dialogue social est un pilier de notre démocratie. Au cours des dernières années, le législateur a cherché à renforcer les bases du dialogue social dans notre pays.
La loi du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social a inséré dans le code du travail un article L. 1 aux termes duquel le Gouvernement doit soumettre ses projets de réforme à une concertation préalable avec les organisations syndicales en vue de l'ouverture éventuelle d'une négociation entre les partenaires sociaux. Le champ de cette concertation est particulièrement vaste, puisqu'il concerne tout projet de réforme portant sur les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle.
Les deux assemblées se sont inspirées de ces dispositions pour élaborer un protocole de consultation des partenaires sociaux lorsqu'une proposition de loi portant sur le champ défini à l'article L. 1 du code du travail est susceptible d'être inscrite à leur ordre du jour. S'agissant de l'Assemblée nationale, le protocole adopté par la conférence des présidents du 16 février 2010 a connu une première mise en oeuvre avec la proposition de loi de notre collègue Gérard Cherpion pour le développement de l'alternance, la sécurisation des parcours professionnels et le partage de la valeur ajoutée.
Élaborée sur la base d'une « position commune sur la représentativité, le développement du dialogue social et le financement du syndicalisme », signée en avril 2008 par le MEDEF, la CGPME, la CGT et la CFDT, la loi du 20 août 2008 portant réforme de la démocratie sociale et du temps de travail a donné plus de place à la négociation collective, en conférant plus de légitimité aux partenaires sociaux – leur audience sera désormais prise en compte de façon objective et à partir des résultats des élections professionnelles dans les entreprises, ce qui permettra une appréciation périodique, tous les quatre ans au plus, de leur représentativité –, et en confortant la légitimité des accords collectifs – tout accord collectif, que ce soit au niveau de l'entreprise, de la branche et au niveau interprofessionnel, devra, pour être valide, avoir été signé par des syndicats qui ont recueilli au moins 30 % des suffrages et ne pas faire l'objet de l'opposition de syndicats ayant recueilli une majorité de suffrages.
Enfin, la loi du 15 octobre 2010 complétant ces dispositions a prévu l'organisation, dans le contexte créé par la réforme de la représentativité syndicale, d'un scrutin spécifique destiné à mesurer l'audience des organisations syndicales parmi les salariés des entreprises de moins de onze salariés, au moyen d'un scrutin sur sigle.
J'ai défendu le parallélisme des formes pour la représentativité des employeurs, qui devrait à mon sens être consolidée.
En tout état de cause, il est clair que la qualité du dialogue social dans notre pays suppose un financement indépendant, pérenne et transparent de ses acteurs. C'est l'objet même de la commission d'enquête que nous souhaitons créer.
Le renforcement de la démocratie sociale nécessite une plus grande confiance des salariés et des employeurs envers leurs représentants, ce qui suppose de mettre en place un financement pérenne incontestable et d'assurer la représentativité des représentants des employeurs comme des salariés.
Comme l'a rappelé le rapport de Raphaël Hadas-Lebel de mai 2006, le financement des organisations syndicales en France est marqué par certaines spécificités : la faiblesse des cotisations, liée à la faiblesse du nombre d'adhérents des syndicats ; une certaine insécurité juridique qui pèse sur les ressources des organisations syndicales ; des contributions publiques ou parapubliques qui prennent peu en compte le critère de l'audience ; une transparence des comptes perfectible.
Le rapport Hadas-Lebel recensait ainsi les principales sources de financement des syndicats, qu'elles proviennent de leurs adhérents, de l'État, des entreprises ou des collectivités territoriales.
L'analyse des mécanismes de financement des partenaires sociaux ne doit pas être considérée comme une marque de défiance ou d'agressivité à leur égard.
En effet, ceux-ci reconnaissent qu'il s'agit d'une question parfaitement légitime. En témoigne la position commune d'avril 2008, évoquée précédemment, qui comportait un titre III, intitulé « Financement des organisations syndicales de salariés ».
Il n'est pas inintéressant d'en citer le contenu : « Les organisations syndicales de salariés et les organisations d'employeurs affirment leur attachement à la définition de règles de certification et de publicité des comptes qui respectent les spécificités des organisations concernées. Ceci contribuera à la transparence de leur activité. Les principes déclinés dans ce chapitre doivent également s'appliquer aux organisations d'employeurs ». L'article 15 de la position commune affirme que « les cotisations provenant de leurs adhérents doivent représenter la partie principale de leurs ressources car elles constituent la seule véritable garantie d'indépendance » et qu'il y a lieu « de préciser les fondements juridiques [des] dotations, de renforcer le lien avec leur objet et d'en préciser le formalisme afin de rendre toute sa transparence à ce mode de financement.
L'article 16 demande même « aux pouvoirs publics de faire procéder à un recensement exhaustif de l'ensemble des financements existants tant au niveau des entreprises, des branches et de l'interprofession, que des différents échelons locaux, départementaux, régionaux, nationaux et internationaux ».
La loi du 20 août 2008 précitée a, comme on l'a vu, a partiellement mis en oeuvre les éléments de cette position commune. Elle a inséré, dans le code du travail, un ensemble de dispositions destinées à établir une procédure de certification et de publication des comptes des organisations syndicales et professionnelles. Elle a créé un dispositif de mise à disposition des salariés d'une organisation syndicale ou d'une association d'employeurs, afin de sécuriser, au plan juridique, les pratiques existantes.
S'agissant du financement du paritarisme, il convient de rappeler que l'UPA avait conclu avec les cinq organisations syndicales de salariés, le 12 décembre 2001, un accord prévoyant le financement du dialogue social au moyen d'une cotisation de 0,15 % de la masse salariale versée par les entreprises.
Cet accord a fait l'objet d'un arrêté d'extension, le 25 avril 2002. Sa mise en oeuvre s'est heurtée à l'hostilité du MEDEF et de la CGPME qui ont engagé des recours en justice. Fin 2007, la Cour de cassation a considéré que l'accord était légal et qu'il avait été négocié régulièrement.
A l'occasion d'une réunion de concertation rassemblant, en avril 2009, les signataires de cet accord, l'UPA a indiqué que l'ensemble des secteurs relevant de son champ était en mesure de le mettre en oeuvre. En effet, les « accords de déclinaison » ont fait l'objet des arrêtés d'extension nécessaires, qu'il s'agisse des branches de l'artisanat de l'alimentation, du bâtiment, des services et de la production. Par ailleurs, l'UPA recensait en 2008 42 accords ou avenants instituant un financement du dialogue social.
En définitive, la réflexion sur le financement des partenaires sociaux est toujours en cours. Si le législateur a mis en oeuvre le principe de transparence des comptes des organisations syndicales et professionnelles, le travail sur le recensement des dotations et sur leurs fondements juridiques est resté inachevé. C'est la raison pour laquelle le groupe Nouveau Centre souhaite la création d'une commission d'enquête.
Le champ d'investigation proposé par la présente proposition de résolution apparaît trop réduit puisqu'il ne porte que sur deux catégories de recettes des syndicats, alors que comme on l'a vu, celles-ci sont plus diversifiées. Il conviendrait donc de retenir une formulation plus générale et donc d'amender l'article unique afin que la commission d'enquête soit chargée d'étudier « les mécanismes de financement des organisations syndicales d'employeurs et de salariés, afin de présenter des propositions permettant de garantir leur indépendance et leur légitimité ».
Nous sommes aujourd'hui saisis d'une question importante sachant que nous sommes tous partisans d'une meilleure participation des syndicats. Je suis toujours étonnée du faible taux de syndicalisation en France par rapport à ce que l'on observe dans les pays du nord de l'Europe. Il est vrai qu'il s'agit dans ces pays d'un syndicalisme de services, qui offre souvent plus d'intérêt à adhérer pour les salariés qui peuvent ainsi profiter de mutuelles ou de vacances par exemple. Nous avons mis en oeuvre depuis longtemps des réformes en matière de relations sociales, notamment avec la loi Larcher et la loi du 20 août 2008 de rénovation de la démocratie sociale qui traite de la représentativité, des règles de validité des accords collectifs et du financement des organisations syndicales et patronales. S'il est vrai que la parution du rapport de M. Haddas Lebel est venue donner tout son intérêt à la proposition de résolution, il me semble qu'il convient d'apprécier préalablement la façon dont les dispositions de la loi de 2008 sont appliquées avant de mener l'investigation que vous proposez. Par ailleurs, des négociations paritaires, certes, un peu lentes, sont en cours notamment sur ces questions. Il n'est donc pas opportun de décider de la création d'une commission d'enquête alors que ces négociations se poursuivent, alors que nous insistons tous sur la primauté de la négociation sociale. Il importe également de ne pas créer des éléments de contrainte en créant une commission d'enquête qui débouchera nécessairement sur des propositions d'adaptation dans des conditions qui pourraient manifester un acte de défiance à l'égard des partenaires sociaux. Cette proposition de résolution ne nous paraît donc pas opportune, tant que les dispositifs de la loi de 2008 n'ont pas été véritablement évalués.
Je ne reviendrai pas sur les conditions difficiles de ce débat. La création d'une commission d'enquête constitue en tout état de cause un droit pour les groupes politiques et nous n'avons donc pas l'intention de remettre en question cette possibilité pour eux de pouvoir enquêter sur les sujets de leur choix. Sur le fond, on peut toutefois s'étonner que l'on donne une priorité aux conditions de financement des syndicats, plutôt qu'à la manière dont se noue le dialogue social dans notre pays. Toute une série de sujets reste aujourd'hui à l'abandon dans la mesure où les partenaires sociaux ne peuvent pas intervenir correctement, par exemple selon la taille des entreprises ou selon les territoires. Le plus important reste de faire prévaloir un dialogue social de qualité. À cet égard, on peut s'interroger sur le fait de savoir si la France dispose d'un dialogue social digne d'une démocratie moderne. Le recours à la loi est d'autant plus une tentation que les partenaires sociaux ne disposent pas des instruments adaptés. La proposition de résolution comportait des ambiguïtés dont atteste d'ailleurs l'amendement présenté. Elle donnait le sentiment provocateur de rechercher les fraudes du côté des organisations syndicales. L'amendement vise certes de façon plus acceptable à examiner les mécanismes de financement des partenaires sociaux : encore faudrait-il être sûr que le changement de rédaction témoigne véritablement d'un changement de la démarche et qu'il ne s'agit pas d'une sorte de camouflage imaginé par le groupe Nouveau Centre. La transparence ne peut être que positive, dès lors qu'il existe une volonté de donner aux organisations syndicales les moyens d'un dialogue social positif et modernisé. Il ne faudrait pas que l'objet de la commission d'enquête soit de faire apparaître les organisations syndicales comme toutes fraudeuses. C'est tout l'enjeu de ce débat.
Cette proposition de résolution ne fera pas l'objet d'amendement de la part du groupe GDR. Il appartient, en effet, à chaque groupe politique d'utiliser librement son droit de tirage conformément à notre Règlement. J'aurais aimé qu'il en soit de même lors de l'examen de notre proposition de résolution relative aux causes des drames intervenus chez France Télécom, alors que nous avons été obligés de la retirer suite aux amendements adoptés par la majorité. Il s'agissait d'une véritable négation du droit de tirage. Il est incontestable que cette proposition de résolution traduit une suspicion vis-à-vis des organisations syndicales de salariés et épargne très largement les organisations patronales. Pourquoi continuer à ignorer les caisses noires de l'UIMM et leurs 600 millions d'euros ? Pourquoi minorer l'impact de la loi de 2008 qui fait d'ores et déjà obligation d'établir des comptes annuels, de les publier et de les faire certifier au-delà d'un certain seuil ? En 2003, un groupe de travail réunissant, sous l'égide du ministre du travail, cinq confédérations syndicales a étudié longuement ce sujet et le document signé des cinq trésoriers dressait un constat sévère, dénonçant des incidents altérant l'image du syndicalisme et relevant parfois de l'abus de biens sociaux. Je note qu'a également été publié en mai 2006 le rapport Haddas Lebel, qui proposait plus de transparence, un nouveau statut fiscal et la publication des subventions publiques. Je rappelle également que l'argent des syndicats d'employeurs résulte de ponctions sur la valeur ajoutée produite par les salariés, alors que la cotisation des syndicats de salariés est, comme l'a rappelé Valérie Rosso-Debord, librement consentie : la différence est notable. Nous n'amenderons pas cette proposition de résolution du Nouveau Centre, même si nous estimons que le danger de jeter une suspicion uniquement sur les organisations de salariés est grand. Je ne sais pas si, dans un délai si bref, les conditions du débat nous permettront de nous exprimer demain. Il est bien dommage d'en arriver là sur un sujet aussi important !
Sur la forme, c'est parce que nous avons demandé un délai pour pouvoir modifier notre proposition de résolution que nous l'examinons en urgence. Sur le fond, et sans rappeler le précédent du financement des partis politiques, tout le monde reconnaît aujourd'hui qu'il existe un problème de financement des partenaires sociaux. Nous avons ainsi tout intérêt à mettre en place une commission qui enquête pour trouver des solutions qui nous sortent de l'ambiguïté actuelle et permettent d'assurer l'indépendance et la légitimité des syndicats. C'est tout l'esprit de cette résolution qui pourrait déboucher sur des propositions, pourquoi pas un financement public, par exemple, qui simplifierait peut-être les choses. La position commune de 2008 évoquée par le rapporteur témoigne de l'accord de quatre syndicats patronaux et de salariés pour un tel travail et tout le monde est d'accord pour aller vers plus de transparence.
Si le Nouveau Centre l'accepte, je peux essayer de demander au Gouvernement de reporter le débat sur cette proposition de résolution à la semaine prochaine. Si je comprends les arguments du rapporteur, la création d'une commission d'enquête pose néanmoins problème. Qu'on le veuille ou non, elle sera perçue, sur le plan de la méthode, comme une marque de suspicion et de défiance. L'exposé des motifs nourrit d'ailleurs largement cette prévention. Par ailleurs, il nous faut travailler sérieusement. Cette commission d'enquête devrait rendre ses conclusions au début du mois de décembre, ce qui représente, pour ceux qui en seront membres, un véritable défi pendant cette période budgétaire. Cette commission d'enquête qui, pourrait être créée ultérieurement, pose aujourd'hui véritablement problème et les conditions dans lesquelles elle travaillera risquent de nuire à l'image de sérieux de notre Assemblée.
Je m'associe au concert de ceux qui s'étonnent de notre calendrier contraint sur un sujet aussi peu anodin que la transparence des financements des partenaires sociaux. Il n'est pas correct de travailler dans de telles conditions ! Je soulignerai mon accord avec le rapporteur sur l'importance du dialogue social dans une démocratie apaisée qui ne peut pas reposer sur le flou en matière de financement des acteurs. La tendance est, en effet, partout à la transparence, y compris dans le monde politique. En revanche, je m'interroge pour savoir s'il n'y a pas un paradoxe à affirmer la prééminence de la démocratie sociale tout en créant dans le même temps une commission d'enquête, sans dialogue et consensus préalables. La position commune de 2008, évoquée par le rapporteur, a débouché sur une loi concertée avec les partenaires sociaux. Je ne pense pas qu'une commission d'enquête soit le bon outil. Demeure un point de désaccord : Francis Vercamer a été actif sur la loi portant sur la réforme de la démocratie sociale, qui comporte des dispositions sur le financement qui me semblent plus ambitieuses que celles que pourraient proposer une commission d'enquête. La loi, qui fait désormais obligation d'établir les comptes annuels, d'en assurer la publicité et la certification, est suffisante. Il faut laisser le temps de sa mise en oeuvre. En définitive, j'estime qu'il vaudrait mieux imaginer des sanctions si les termes de la loi n'étaient pas respectés, plutôt que de créer une commission d'enquête.
Je suis tout à fait d'accord avec ce qui vient d'être dit par Dominique Dord et le président Méhaignerie. Même si telle n'est sans doute pas l'intention des auteurs de cette proposition, la création d'une commission d'enquête serait un signe de défiance vis-à-vis des partenaires sociaux. On comprend l'exigence de transparence et d'exemplarité portée par nos concitoyens et d'ailleurs, les dirigeants politiques font preuve, concernant leur rémunération, de la plus grande transparence. Il serait logique que, de même, cette exigence s'applique aux principaux dirigeants syndicaux. Pour autant, une négociation sur le paritarisme est en cours et il faut la laisser aller jusqu'à son terme. Par ailleurs, l'arsenal juridique mis en place par la loi de 2008 n'est pas encore complètement entré en vigueur et il convient donc de le laisser vivre. C'est pourquoi je ne juge pas opportune la création d'une telle commission d'enquête.
Je m'interroge sur le caractère urgent de cette proposition de résolution particulièrement au regard de l'histoire longue du syndicalisme. Les grands principes de la liberté syndicale ont été posés en 1884 par la loi Waldeck-Rousseau et depuis, toute évolution dans ce domaine ne s'est faite qu'après une longue réflexion et des négociations avec les intéressés. Ainsi, la loi de modernisation du dialogue social, que j'ai eu l'honneur de rapporter, s'est parfaitement inscrite dans cette tradition. Elle a souhaité mettre en place une culture de négociation, de compromis et de responsabilité, afin de sortir d'une logique de conflit. On ne peut ainsi aujourd'hui plus modifier le code du travail sans une consultation sociale préalable. Sur le fond, la proposition du groupe Nouveau Centre est bonne, mais elle me semble prématurée. Certes, à terme, une complète transparence sera nécessaire sur les finances des syndicats, en particulier concernant l'aide des collectivités locales, sujet encore trop opaque aujourd'hui. La loi de 2008 comporte des améliorations significatives en terme de transparence ; il faut la laisser porter ses fruits. La transparence s'est imposée à toutes les institutions politiques : elle ne pourra pas épargner les syndicats qui, d'une certaine manière, représentent également les citoyens.
Je regrette également le caractère quelque peu bâclé de notre débat : réunion de commission aujourd'hui, séance publique demain. Ce ne sont pas des conditions de travail satisfaisantes, alors qu'il n'existe aucune urgence particulière sur ce dossier. Certes, à lire le début de l'exposé sommaire de la proposition de résolution, on peut, un temps, croire aux belles intentions du rapporteur. Mais, il apparaît très vite que derrière, il s'agit bien de dénoncer certaines pratiques de financement des syndicats pourtant tout à fait légitimes, telles que les décharges de service ou la rémunération de missions d'intérêt général. Il est indiscutable que le caractère inquisiteur d'une commission d'enquête laisse entendre que certaines pratiques actuelles sont illégitimes. Une telle suspicion ne me semble pas de bon aloi par les temps qui courent.
Je suis tout à fait d'accord avec cette proposition de résolution. Il s'agit d'un acte politique courageux qui permet de briser un tabou. Encore aujourd'hui, sous prétexte de préserver le dialogue social, on maintient une opacité et une confusion propices à des pratiques, tant du côté patronal que syndical, particulièrement douteuses. On a parfois parlé de corruption ! Le rôle aujourd'hui dévolu aux syndicats et à la négociation collective implique que l'on connaisse les conditions dans lesquelles les accords sont conclus. Le rôle des collectivités locales dans le financement des syndicats doit, en particulier, faire l'objet d'une plus grande transparence. On a appris récemment que la CFDT disposait d'un fonds de réserve de 130 millions d'euros ; il serait intéressant de savoir dans quelles conditions il pourrait être utilisé. La loi de 2008 ne va pas assez loin selon moi. Il n'est donc pas prématuré du tout de se pencher sur cette question sans attendre un nouveau scandale ou les élections de 2012.
(M. Bernard Perrut, vice-président, prend la présidence de la séance)
Une fois n'est pas coutume, je suis tout à fait d'accord avec mon collègue Dominique Dord. Il existe une réelle ambiguïté dans le libellé de la commission d'enquête demandée. Si l'objectif est de vérifier que le financement des syndicats se fait conformément à la légalité, cet objectif est atteint par la certification des comptes instituée en 2008, certification qui constitue un véritable progrès. Si, en revanche, il s'agit d'enquêter sur l'opportunité de tel ou tel financement, l'objectif serait beaucoup plus discutable. On risque, en effet, de jeter en pâture médiatique, telle ou telle modalité de financement alors qu'elle peut correspondre à une logique précise et positive. Par exemple, concernant les crédits de la formation professionnelle qui sont utilisés au profit des responsables syndicaux : certes, il est probablement nécessaire de mieux flécher ces crédits sur des sujets qui nous préoccupent. Par exemple, nous sommes tous d'accord pour améliorer la formation en matière de détection des risques psychosociaux, tant pour les managers que pour les représentants des salariés. Il serait donc contreproductif de dénoncer sans distinction l'utilisation des crédits de la formation. De même, concernant les décharges de service dont bénéficient certains fonctionnaires, il serait hasardeux de pointer trop rapidement du doigt de tels dispositifs alors que, comme M. Darcos en a fait l'expérience à l'Éducation nationale, on a pu vérifier l'utilité de ces postes pour assurer le fonctionnement de structures essentielles pour la cohésion sociale. On voit donc que, dès l'exposé sommaire de la propositions de résolution, certains sujets sont délibérément visés pour faire polémique, et ce de manière hâtive.
Je suis surprise que l'on assimile automatiquement commission d'enquête et stigmatisation. Il s'agit, au contraire, d'une simple et saine volonté de transparence sur un sujet majeur de notre vie sociale. Il est absolument nécessaire d'étudier les modalités de financement des acteurs du dialogue social. Le faible taux de syndicalisation dont souffre notre pays trouve probablement une partie de son origine dans le manque de confiance de nos concitoyens à l'égard des syndicats. Renforcer la transparence des comptes augmenterait très certainement cette confiance et donc la syndicalisation. Il s'agit d'un sujet d'autant plus important que les moyens consacrés par les entreprises et par les collectivités locales à la vie syndicale sont extrêmement importants. Cette transparence est nécessaire pour aboutir à une démocratie sociale apaisée et à un dialogue constructif avec les partenaires sociaux. Les prochaines échéances électorales sont un moment propice à une telle réflexion.
Quand les obligations comptables prévues par la loi du 20 août 2008 pour les organisations syndicales entreront-elles en application ? Si elles étaient d'ores et déjà en application, on verrait plus clair dans le financement de ces organisations et la moitié du chemin serait faite.
Je veux rappeler avant toute autre chose l'attachement du groupe Nouveau Centre à la place des corps intermédiaire, notamment des partenaires sociaux, dans notre démocratie sociale.
L'objectif des auteurs de cette proposition de résolution est de rendre pérenne et transparent le financement des organisations syndicales, et au besoin de proposer des modifications de leur mode de financement. Il ne s'agit pas de marquer de la défiance à l'égard des partenaires sociaux, mais simplement de s'assurer qu'ils ont les moyens d'accomplir leurs missions en toute indépendance. D'ailleurs, à entendre certains d'entre vous, j'ai l'impression qu'ils ne sont eux-mêmes pas très sûrs de la légalité du mode actuel de financement des syndicats. Cela justifie que l'on recense leurs financements de façon exhaustive et transparente, voire que l'on propose des financements alternatifs, car ce que l'on observe aujourd'hui est parfois à la limite de ce que l'on peut accepter. Je relève d'ailleurs que dans l'article 16 de leur position commune de 2008, les partenaires sociaux reconnaissent l'utilité d'une telle démarche.
Or pour ce travail, nous avons besoin des pouvoirs d'investigation dont seule une commission d'enquête est investie.
On nous objectera que le moment n'est pas opportun. C'est un reproche récurrent. Il y a toujours en France de fortes réticences au changement. Mais cela ne doit pas nous arrêter, et dans la mesure de ses moyens, notre groupe entend prendre des initiatives en vue de pérenniser un système indispensable au bon fonctionnement de notre démocratie.
S'agissant de l'obligation de dépôt des comptes certifiés, la loi du 20 août 2008 a prévu son application en 2010 s'agissant des organisations syndicales nationales, en 2011 s'agissant des organisations régionales et départementales, et en 2012 pour les autres syndicats. À ma connaissance, à ce jour, une seule confédération nationale de salariés a rempli cette obligation. La création d'une commission d'enquête ne pourrait qu'accélérer l'application de la loi : elle conduirait les syndicats à mettre de l'ordre dans leurs comptes pour être en mesure de nous répondre.
Pour ce qui est de la faiblesse de notre taux de syndicalisation par rapport à la situation de pays comparables, notre collègue Valérie Rosso-Debord a souligné qu'elle s'explique par le fait, que dans certains pays, différents services sont liés à l'adhésion à un syndicat – il peut s'agir, par exemple, d'une couverture complémentaire santé. Toutefois, là n'est pas la seule explication de la faiblesse de notre taux de syndicalisation : si le financement des syndicats gagnait en transparence et en pérennité, je suis persuadé que les salariés s'investiraient plus qu'aujourd'hui dans l'exercice de leur droit syndical. Cela irait dans le sens d'un renforcement de la représentativité des syndicats de salariés, conformément aux objectifs de la loi de 2008, dont on peut d'ailleurs souhaiter que les dispositions soient étendues aux organisations représentatives du patronat.
La commission d'enquête que nous souhaitons créer pourra proposer des modes de financement alternatifs, incluant éventuellement des financements publics, voire recommander d'encadrer certaines pratiques actuelles. Une étude exhaustive des modes de financements actuels des syndicats permettra d'assurer l'égalité de traitement entre organisations, l'ensemble des syndicats pouvant alors y accéder.
La Commission examine ensuite l'amendement AS 1 de M. Francis Vercamer.
Cet amendement vise à élargir le champ d'investigation de la commission d'enquête, afin d'écarter toute impression de suspicion envers les syndicats et afin que cette commission étudie l'ensemble des mécanismes de financement des partenaires sociaux, pour dégager des propositions permettant de garantir leur indépendance financière et leur légitimité. L'objectif et d'assurer la pérennité et la légalité de ces mécanismes de financements, pour développer la confiance du public envers les organisations syndicales.
La Commission adopte l'amendement AS 1.
Puis elle adopte l'ensemble de la proposition de résolution modifiée.
La séance est levée à dix-huit heures.