La Commission entend la communication de M. Charles de Courson, représentant de l'Assemblée nationale au conseil d'administration de l'Établissement public de financement et de restructuration (EPFR).
Nous allons entendre la communication qu'a souhaité présenter M. Charles de Courson, représentant de l'Assemblée nationale au conseil d'administration de l'établissement public de financement et de restructuration (EPFR) depuis 2002. Ce souhait est légitime : il convient que notre Commission soit régulièrement informée de l'activité de l'établissement public chargé de gérer le soutien de l'État au Crédit Lyonnais dans le cadre du cantonnement de ses actifs mis en place par le protocole de 1995. Je présume que Charles de Courson ne se bornera pas à un compte rendu descriptif des activités de l'EPFR. Il souhaitera sans doute nous informer sur les actions contentieuses qu'il a engagées à titre personnel pour tenter de faire trancher la question de la capacité juridique du consortium de réalisation à compromettre. Chacun se souvient à la suite de nos auditions de la fin 2008 que cette question était un sujet de débat sur l'un des dossiers symboliquement et politiquement les plus lourds du CDR : l'affaire « Adidas–Tapie ».
Il se trouve que nous venons de recevoir le référé de la Cour des comptes que nous attendions, concernant la défaisance du Crédit Lyonnais, référé extrêmement intéressant qui procède à bon nombre de mises au point utiles. La Cour y fait notamment état de ces contentieux, et lève des points que la commission avait mentionnés. Nous attendons pour la semaine prochaine un dernier document de la Cour des comptes : un rapport particulier sur l'EPFR.
La communication de notre collègue nous donnera peut-être l'occasion de procéder – enfin – à la publication du rapport par lequel notre Commission devait regrouper le compte rendu de ses auditions depuis septembre 2008, accompagné des prises de position des groupes, de nos recommandations de méthode en cas de défaisance et de divers courriers permettant de compléter l'information de nos concitoyens.
Comme je l'ai rappelé au cours de notre réunion du 14 septembre dernier, mon prédécesseur, suivi par notre Commission, avait souhaité que le rapport contienne les réponses aux questions en suspens, en particulier sur les sommes revenant aux époux Tapie. Ce n'est qu'en septembre dernier que nous avons reçu les réponses que nous attendions. Mais la réponse du ministre du Budget, François Baroin, qui précisait le montant de la dette fiscale des époux Tapie, apportant le dernier paramètre de calcul, est couverte naturellement par le secret fiscal. La réponse de Mme Christine Lagarde ne donne aucun élément d'appréciation, renvoyant les parlementaires à la saisine des juridictions compétentes s'ils estiment ses réponses insatisfaisantes.
Nous pourrons sans doute, à brève échéance, prévoir de clore ce cycle de nos travaux et de publier notre rapport d'information.
Il me semble en effet utile de faire, comme chaque année depuis 7 ou 8 ans, un compte rendu de mon mandat. Le rapport d'activité se divise en trois parties. La première décrit l'organisation du cantonnement des actifs du Crédit lyonnais. La deuxième partie est consacrée à la mission de surveillance de l'EPFR, et la troisième à sa mission de financement. Aujourd'hui, je commenterai également le référé de la Cour qui porte sur six points, ainsi que la réponse du Gouvernement.
Le bilan de l'EPFR est le suivant à fin 2009. À l'actif, il ne reste quasiment rien : les disponibilités, qui s'élevaient à 974 millions d'euros en 2004, sont tombées à 104 millions d'euros à fin 2008, 106 à fin 2009. Il reste 3 millions d'immobilisations et 5 millions de créances en valeur nette comptable. Au passif, il ne reste que des dettes, soit 4,4 milliards d'euros à la fin 2009 correspondant aux différentes tranches de l'emprunt auprès du Crédit Lyonnais encore en vigueur. Je vais me concentrer sur les « risques non chiffrables », qui sont liés à des contentieux dont il est difficile d'évaluer le coût – actions en comblement de passif, en soutien abusif, en responsabilité ou autres – ou à des garanties de passif accordées par le CDR. L'EPFR garantit ces risques à 100 %.
Les dossiers de risques non chiffrables en suspens sont au nombre de cinq.
L'affaire Executive Life, extrêmement complexe, rebondit périodiquement car, outre la transaction pénale effectuée avec le Parquet fédéral de Californie, il reste que de nouveaux intervenants, plusieurs groupements américains, demandent des indemnités importantes, sur la base du bénéfice qu'ils auraient pu réaliser si le Crédit lyonnais n'avait pas fait un montage illégal du point de vue du droit américain.
Cette affaire suit son cours. Il a déjà été déboursé 650 millions de dollars, ce qui doit permettre d'éviter une nouvelle phase, celle du jugement par un tribunal dans sa forme de jury populaire. La situation reste extrêmement difficile.
Le deuxième dossier de risque non chiffrable est celui d'AIG contre le CDR, car en marge de l'affaire Executive Life, se sont développées d'autres actions engagées par AIG venant aux droits de la société SunAmerica, actionnaire minoritaire d'Aurora, nouvelle dénomination d'Executive Life. Là encore, il s'agit de demandes fondées sur un manque à gagner ; et on assiste à maints recours et renvois. La situation est délicate et l'on est tenté de composer, car, compte tenu de la jurisprudence américaine en ce domaine, une condamnation pourrait se traduire par une indemnisation jusqu'à trois fois le profit non réalisé du fait du montage illégal.
Le troisième dossier est celui du groupe Adidas. Le CDR a été condamné par le tribunal arbitral à verser 240 millions d'euros aux mandataires liquidateurs de la SNC GBT, 45 millions d'euros au titre du préjudice moral des époux Tapie, 105 millions d'euros au titre des intérêts légaux sur préjudice matériel, 13 millions enfin au titre des « frais de liquidation » déjà encourus. Le montant de 45 millions d'euros versés aux époux Tapie au titre du préjudice moral est bien une première dans l'histoire des juridictions ! En effet, l'avantage de cette indemnisation, très profitable aux époux Tapie, est qu'elle est exonérée de tout impôt. En outre, les 260 millions d'euros ont été versés à une entreprise du groupe qui portait les titres Adidas, dont Bernard Tapie est propriétaire à 98 %. Après paiement des impôts de l'entreprise, ce dernier a dû conserver environ 170 millions d'euros, qui ne sont pas taxés à l'impôt sur le revenu tant qu'il ne dissout pas l'entreprise. Au total, le patrimoine des époux Tapie a dû s'accroître d'environ 215 millions d'euros.
C'est de plus une entreprise purement patrimoniale, sans salariés, sans activité économique.
La question s'est posée de savoir si monsieur Tapie a bénéficié du bouclier fiscal. Le secret fiscal ne permet pas de le savoir, mais en faisant l'hypothèse que monsieur Tapie a été soumis à l'ISF pour un patrimoine d'environ 200 millions d'euros, il a vraisemblablement été bénéficiaire du bouclier fiscal puisqu'en 2009, ce bien ne pouvait être considéré comme un bien professionnel, Monsieur Tapie étant alors interdit.
Ce dossier touche à sa fin et les sommes ont été versées. Une dernière question se pose, qui porte sur la manière dont le CDR a financé ces sommes, lesquelles s'élevaient à 314 millions d'euros nets. Il l'a fait grâce à 44 millions d'euros de disponibilités et surtout 270 millions d'euros qui lui ont été transférés par l'EPFR. Ce dernier a lui-même pu financer cette somme en s'endettant : il y a donc eu une remontée de l'endettement de l'EPFR, liée au paiement de l'affaire Tapie.
Le quatrième risque non chiffrable est relatif au groupe IFI. Significativement moins importante que les trois précédentes, cette affaire est en voie de règlement.
Le rapport de l'EPFR mentionne deux autres risques non chiffrables. Le premier risque concerne l'affaire Fonds TurboAuchan, reposant sur un montage réalisé – à la limite de l'abus de droit fiscal – par le Crédit Lyonnais, montage qui vaut au CDR et à la société ARJIL d'être assignés par Auchan. Après avoir été déboutée en première instance, la société Auchan a décidé de faire appel. Le second risque concerne l'affaire SGN, pour de faibles montants.
Les deux principaux risques sont donc Executive Life d'une part et AIG d'autre part. Je rappelle qu'AIG, en faillite, a été renfloué à hauteur de 100 milliards de dollars par le Gouvernement fédéral américain. Mais, globalement, le processus de défaisance tend à s'achever.
Le bilan de l'EPFR retrace 4,4 milliards d'euros de passif, pour seulement 100 millions d'euros d'actif. Le financement de ce passif se fait par le truchement de deux prêts, et bientôt trois. Le premier prêt, dit « tranche 1 », s'élève à 2,64 milliards d'euros. Arrivant à échéance à la fin de l'année 2014, il est faiblement rémunéré, au taux EONIA sans marge. Le deuxième prêt se monte à 1,73 milliard d'euros, au taux EONIA. Le troisième, d'un montant de 1,2 milliard d'euros, n'est que partiellement utilisé. L'EPFR a donc pour seule perspective financière le remboursement de ses emprunts, fin 2014.
Jusqu'en 2007, l'établissement a reçu une dotation annuelle de l'État, permettant de réduire de façon continue les dettes depuis 2003. Deux nouveaux tirages ont toutefois été nécessaires en 2008 – 154 millions d'euros – et 2009 – 117 millions d'euros –, afin de financer, à hauteur de 80 % environ, le coût des affaires dites « Tapie » et il n'y a plus eu de dotations de l'État. Or, en application des dispositions organiques, les opérateurs de l'État à partir de 2011 ne peuvent augmenter leur endettement au-delà d'un an ; je me suis d'ailleurs opposé à ce titre en conseil d'administration à l'augmentation – certes modeste – de l'endettement de l'EPFR.
En principe, la dissolution de l'EPFR devrait intervenir fin 2014. Je suis de longue date partisan d'une dissolution anticipée, l'État reprenant la dette de l'EPFR, après négociation avec le Crédit Lyonnais.
J'en viens maintenant au référé de la Cour des comptes, qui évoque six points.
Le premier point concerne les conditions de financement de l'EPFR, dont je viens de parler longuement. La Cour, qui n'évoque pas la question de la capacité d'endettement des opérateurs, s'étonne en revanche de l'absence de dotations du budget de l'État à l'EPFR.
Ces dotations sont inscrites chaque année dans le compte d'affectation spéciale Participations financières de l'État, mais elles ne sont pas versées.
Les Rapporteurs spéciaux demandent d'ailleurs chaque année au Gouvernement de leur indiquer, au moment de l'examen du projet de loi de finances, la répartition prévisionnelle des sommes inscrites sur le CAS. Mais seul le projet de loi de règlement fournit, ex post, des informations valables.
La Cour recommande d'apurer progressivement la dette de l'EPFR, sans attendre l'échéance de 2014. En réponse, le Gouvernement indique que « l'intérêt financier pour l'État de rembourser de manière anticipée l'emprunt contracté par l'EPFR dont l'échéance contractuelle est le 31 décembre 2014, ne paraît pas avéré compte tenu du taux exceptionnellement bas – EONIA sans marge – de cette dette, inférieur au coût de refinancement de l'État ».
Il me semble que la solution que je préconise – à savoir la reprise par l'État de la dette de l'EPFR – répondrait à la fois aux critiques de la Cour et aux remarques du Gouvernement. Une telle reprise de dette appellerait nécessairement une mesure législative, précédée d'une négociation avec le Crédit Lyonnais.
Le deuxième point soulevé par la Cour concerne le champ de la garantie du CDR envers le Crédit Lyonnais. La Cour estime que l'EPFR a excédé l'autorisation de garantie ouverte par le Parlement.
Il faut en effet deux conditions pour que le CDR soit appelé en garantie du Crédit Lyonnais : une condition de date d'une part, une condition de liste d'autre part. Toute affaire postérieure au 31 décembre 1993 ne peut entraîner l'appel en garantie du CDR ; or, à l'exception de l'affaire Adidas, toutes les affaires Tapie sont postérieures à cette date. Mais l'affaire Adidas ne remplit pas la condition de liste : en effet, une annexe au protocole du 5 avril 1995, approuvée par le Parlement dans la loi du 28 novembre 1995, établit la liste des affaires pouvant entraîner l'appel en garantie du CDR. Or, cette liste ne mentionne pas l'affaire Adidas. La Cour des comptes considère donc que la lettre ministérielle en date du 17 mars 1999 permettant l'appel en garantie du CDR dans les affaires dites « Tapie » a méconnu le champ de l'autorisation donnée par le Parlement.
Lorsque l'État a organisé la défaisance du Crédit Lyonnais, une contribution forfaitaire de 12 millions d'euros a été demandée à la banque. Lorsqu'a été rendue la décision d'arbitrage, le Crédit Lyonnais a refusé de régler les 12 millions d'euros, n'ayant pas été partie à l'arbitrage – il ne l'avait pas souhaité, pour des raisons d'image. Le CDR a cédé les droits de recouvrement de cette contribution aux liquidateurs du groupe Bernard Tapie. La Cour note qu' « à ce jour ceux-ci n'ont pris aucune initiative pour recouvrer cette créance et n'en ont pas signifié le transport au débiteur ». Ce n'est pas tout à fait exact : les avocats de Bernard Tapie ont indiqué par courrier que celui-ci prenait à sa charge les 12 millions d'euros.
Le Gouvernement indique que « l'EPFR a bien notifié au CDR sa position sur le nécessaire recouvrement de cette franchise dans un courrier du 10 octobre 2007 [et que] le CDR a par ailleurs obtenu in fine une solution équivalant, du point de vue des finances publiques, à celle qui aurait consisté à obtenir que le Crédit Lyonnais s'acquitte auprès du CDR de la franchise en question ».
Bernard Tapie a donc accepté de voir réduite de 12 millions d'euros la somme qui lui a été attribuée par l'arbitrage, afin d'éviter le recours qu'aurait pu intenter le Crédit lyonnais contre cet arbitrage. Si cette opération n'a effectivement pas nui aux intérêts du Trésor public, le problème juridique demeure : l'État pouvait-il, sans solliciter l'autorisation du Parlement, accepter cette « contraction » entre créance et dette sur 12 millions d'euros ?
La Cour des comptes a raison formellement lorsqu'elle dit que l'on ne peut étendre le champ des garanties sans passer par le Parlement mais elle omet de souligner qu'en l'espèce, cela n'a pas eu d'incidence financière pour l'État.
Le troisième point abordé par la Cour des Comptes est le dispositif des risques non chiffrables, c'est-à-dire les risques non évalués. Ceux-ci sont couverts par la garantie à 100 % de l'EPFR, autant dire de l'État. Les critiques de la Cour portent sur la confusion des responsabilités entre les différents niveaux de décision impliqués dans le suivi de la défaisance du Crédit lyonnais. Le Gouvernement considère, quant à lui, que les rôles de chacun sont bien définis par le protocole à chaque étape du processus mais il admet qu'un guide des procédures serait bienvenu et a demandé à la mission de contrôle de le rédiger d'ici à la fin de ce trimestre.
Le quatrième point soulevé par la Cour concerne la prise en charge du risque non chiffrable après l'arbitrage Adidas-Tapie.
Selon la Cour, l'EPFR n'aurait pas dû prendre en charge ce risque. Mais il est l'actionnaire unique du CDR. Il est donc nécessaire de distinguer l'analyse juridique de la situation financière. C'est ainsi que le mécanisme de remontée du résultat du CDR vers l'EPFR rend équivalent pour ce dernier la prise en charge directe ou non d'un risque non chiffrable.
Sur le cinquième point, relatif à la mission de contrôle considérée par la Cour comme peu performante entre 2007 et février 2010, le Gouvernement a précisé, qu'à sa demande, l'EPFR, l'Agence des participations de l'État et la mission de contrôle avaient élaboré un projet de convention définissant précisément la nature des contrôles à effectuer avant la prise en charge par l'EPFR des risques non chiffrables, qui sera prochainement soumis au conseil d'administration de ce dernier.
Reste le dernier point abordé par la Cour, qui intéresse tout particulièrement la commission des Finances, soit la capacité juridique du CDR à compromettre.
En droit français, l'article 2060 du code civil interdit à l'État de compromettre sauf autorisation législative expresse. « On ne peut compromettre sur les contestations intéressant les collectivités publiques et les établissements publics ». La Cour des comptes considère qu'il y a eu défaut d'autorisation législative en l'espèce.
Il y a eu 7 arbitrages dans l'histoire du CDR, quatre à l'étranger où l'interdiction de compromettre ne vaut pas. En France, on connaît trois arbitrages qui concernent deux affaires de faible importance et l'affaire Tapie.
Je rappelle que je suis l'auteur d'un recours devant le tribunal administratif de Paris contre les instructions données par la ministre de l'Économie et des finances aux trois représentants de l'État de ne pas s'opposer au recours à l'arbitrage par le CDR dans l'affaire Tapie.
Mon recours vise à attaquer ces instructions ministérielles qui aboutissent à un complet détournement des droits du Parlement et de l'article 2060 du code civil.
Il suffirait donc, pour pouvoir compromettre, de créer un faux nez de l'État sous forme d'établissement public lui-même assorti d'une filiale à 100 % sous forme d'une société privée autorisée, elle, à compromettre.
J'ai été débouté devant le tribunal administratif qui a considéré que les instructions ministérielles ne méconnaissaient par les dispositions de l'article 2060 du code civil. Le tribunal a estimé que le CDR possédait une réelle autonomie en raison de la composition de son conseil d'administration et en se prévalant de certaines conclusions du rapport de la Cour des comptes pour l'année 2008, dont l'interprétation me surprend.
Mon appel devant la Cour administrative d'appel a été rejeté le 31 décembre 2010, pour un motif de forme : mon recours était trop tardif. J'aurais dû le faire dans les deux mois suivant la date des instructions de la ministre. Or, je n'ai eu connaissance de cet acte que lorsque j'ai interrogé la ministre lors de son audition par la commission des Finances.
La cour d'appel ne s'est donc, hélas, pas prononcée sur le fond.
En conclusion, il serait judicieux que les députés proposent un amendement à une loi de finances qui clarifie les conditions du recours à l'arbitrage. Il conviendrait de réaffirmer que l'on ne peut recourir à l'arbitrage, de manière directe ou indirecte, sans une disposition législative.
La représentation nationale ne peut laisser le trou béant en matière de jurisprudence, qui n'a pas été comblé par la décision de la Cour administrative d'appel de Paris. Or, l'encadrement de l'arbitrage prévu par l'article 2060 du code civil est une protection pour l'État et les collectivités publiques.
Je tiens à féliciter Charles de Courson pour sa ténacité et pour la qualité de son travail.
Merci M. le rapporteur général. Dans cette affaire, le Gouvernement a tort juridiquement et politiquement. Nous devons maintenir en droit français l'interdiction, pour l'État, de recourir à la procédure d'arbitrage, sauf disposition législative. Si le Gouvernement était venu devant le Parlement pour demander l'autorisation de recourir à l'arbitrage, nous aurions eu un vrai débat, clair et transparent. En l'occurrence, ce qui est critiquable du point de vue des droits du Parlement et de la morale publique, c'est l'absence de disposition législative. De ce point de vue, la Cour des comptes a raison.
Hélas, la thèse du tribunal administratif défendant l'autonomie du CDR est risible. Qu'est-ce qu'une société anonyme dont le but est de perdre de l'argent ? C'est contraire au droit des sociétés. Quel est l'objet du CDR ? Perdre 4 ou 5 milliards d'euros ? Il en a perdu 15, ce qui était prévisible. J'ai donc été sidéré par la position du tribunal. Lorsqu'on examine l'utilisation qui est faite du rapport de la Cour des comptes par le tribunal administratif et lorsqu'on compare avec la réalité de ce qu'a écrit la Cour, on est étonné d'une telle thèse.
Je tiens à remercier Charles de Courson pour l'éclairage qu'il apporte à la représentation nationale et, en particulier aux députés qui, comme moi, n'étaient pas élus au moment où ces faits se sont déroulés.
Je souhaiterais que l'on revienne sur la séquence qui commence avec la cession contestée des parts d'Adidas au Crédit lyonnais qui s'en porte acquéreur puis les revend avec une plus-value, ce qui donne naissance au litige que nous connaissons et qui se poursuit avec la lettre du ministre de l'économie du 17 mars 1999, adressée au président du Crédit lyonnais au moment où l'établissement était sur le point d'être privatisé.
J'ai participé à cela à l'époque et j'ai d'ailleurs été très critique. M. Edmond Alphandéry, alors ministre des finances était venu expliquer devant l'Assemblée nationale que la privatisation du Crédit lyonnais permettrait d'éponger les dettes. Le Crédit lyonnais a certes été privatisé, mais la différence entre le montant de la recapitalisation de la banque – en plus des 15 milliards d'euros qu'aura coûté la structure de défaisance – et ce que sa vente a rapporté, aboutit à un déficit d'environ 24 milliards d'euros !
La création d'une structure de défaisance a été une erreur. Il aurait été plus judicieux de laisser le Crédit lyonnais gérer ses « actifs pourris », puisque cela relevait de sa responsabilité. Si nous devons être confrontés à l'avenir à une situation de cette nature, il faudra surtout éviter de reproduire un tel mécanisme.
Dans cette affaire, les tiers – principalement d'autres banques – ont été remboursés jusqu'au dernier euro par le contribuable pour une somme de l'ordre de 70 milliards de francs, soit 10 milliards d'euros. C'est d'ailleurs ce qui est en train de se reproduire au niveau international avec les dettes d'État : nous remboursons les acteurs détenteurs d'actifs pourris à des taux d'intérêts très élevés sans aucune contrepartie de leur part à l'effort de redressement.
Nous devrions adopter un amendement qui évite, la prochaine fois qu'un tel cas se reproduira, de renouveler une telle structure. Ce montage a permis de déconsolider la dette du Crédit lyonnais qui risquait la faillite. Par ce mécanisme, on a sorti 150 milliards de francs d'actifs qui ont été garantis par l'État, ce qui a conduit à 15 milliards d'euros de pertes. Sans cela, la banque aurait disparu. Mais la structure a été conservée au moment de la privatisation, faute de quoi le Crédit lyonnais n'aurait pas été privatisable.
Je souhaiterais revenir sur la lettre du 17 mars 1999 qui aurait abouti à six contentieux. Pourquoi y a-t-il une discussion sur le fait que le résultat de la séquence arbitrale était couvert ou non par cette lettre énumérant les garanties de l'État au Crédit Lyonnais ?
Par ailleurs, la sentence arbitrale prévoit le versement de 45 millions d'euros au titre du préjudice moral. La Cour des comptes indique que cette indemnité visait à réparer le préjudice moral causé par les agissements graves imputés au Crédit lyonnais et à l'une de ses filiales. Pourquoi les frais liés au préjudice moral ont-ils été mis à la charge du CDR et non de la structure juridique LCL qui est la continuatrice du Crédit lyonnais ?
Lors de la privatisation du Crédit lyonnais, la décision a été prise de purger la banque de tous ses passifs. Tout a donc été « rapatrié » sur le CDR pour permettre la privatisation dans les meilleures conditions possibles. C'est donc l'État qui a tout pris en charge.
Pour ce qui concerne la première question, la Cour des comptes a considéré que la garantie en question n'était pas prévue dans la liste fixée par voie législative et qu'il fallait, par conséquent, retourner devant le Parlement pour compléter cette liste. Les magistrats ont raison en droit. Dans les faits, cela n'aurait rien changé au coût final ; mais au moins aurions-nous eu un débat devant la représentation nationale.
La représentation nationale a pris connaissance de cette opération a posteriori. Si le Parlement avait été saisi de cette affaire en temps voulu, dans la transparence, elle ne se serait évidemment pas conclue de cette façon. Les parlementaires se seraient interrogés sur les conséquences qu'il y aurait eu à appeler le CDR en garantie. Imagine-t-on une majorité se dégager pour permettre un enrichissement supplémentaire de M. Bernard Tapie de 200 millions d'euros ? Jamais ! Cela ne se serait jamais produit.
Si le parlement n'a pas été consulté comme il aurait dû l'être c'est parce que cette opération, pour être menée à bien, supposait qu'elle soit faite en toute discrétion.
Par ailleurs, considérer la lettre du ministre de l'Économie et des finances comme justifiant l'appel en garantie du CDR ne tient pas. Une lettre ministérielle, quelle que soit la qualité du signataire, n'est pas supérieure à la loi. Il fallait donc clairement aller devant le Parlement. Juridiquement, c'est clair. Politiquement, chacun est libre de juger.
Je me permets de rappeler que même une lettre illégale peut créer des droits à l'égard de tiers. Cette lettre pouvait donc être utilisée par des tiers.
Bien sûr. Mais qui avait intérêt à agir ? Cette notion « d'intérêt à agir », très discutable, est fondamentale en droit français. Ainsi, j'ai été très choqué de constater j'étais pratiquement le seul à avoir été jugé recevable par le tribunal administratif au motif que j'appartenais à la commission des Finances de l'Assemblée nationale ! Y aurait-il donc une inégalité entre députés en fonction de la Commission à laquelle ils appartiennent ? C'est ridicule ! Les recours déposés par des contribuables ont été déclarés irrecevables. C'est incroyable ! On est quand même en démocratie ! Je ne parle là que de la décision sur la recevabilité prise par le tribunal administratif de Paris.
Et la cour administrative d'appel m'a déclaré irrecevable ! Je trouve cela incompréhensible du point de vue démocratique.
S'il était normal, pour pouvoir privatiser le Crédit lyonnais, de purger tous ses contentieux financiers, personne ne pouvait imaginer à l'époque, pas même les analystes, qu'il pouvait y avoir une quelconque indemnisation de préjudice moral ou, en tous cas, certainement pas à ce niveau-là.
Ce qui aurait été normal, y compris au regard des conditions de privatisation du Crédit lyonnais, c'est que le préjudice moral restât à la charge du Crédit lyonnais. Mais dans une telle hypothèse, nous comprenons que la banque aurait fait appel, faisant capoter la procédure d'arbitrage. Or, l'exécutif ne voulait pas de ce scénario. C'est la raison pour laquelle il fallait rester discret. Voilà pourquoi c'est le CDR qui paie ces fameux 45 millions d'euros de préjudice moral.
Je souhaiterais saluer le travail passionnant que Charles de Courson a réalisé. Sur le plan quantitatif, je crois qu'avait été évoqué, en 1996, le nombre de 2 600 contentieux. On a ensuite cité le chiffre de 250 à 300 dans les années 2007-2008. Faut-il comprendre que les six ou sept dossiers évoqués sont les derniers ? Est-on en train de solder ce contentieux ?
Je souhaiterais par ailleurs avoir un éclairage sur le volet Executive Life de l'affaire. Le préjudice, résultat d'un montage illégal du Crédit lyonnais, n'est pas chiffrable, mais nous disposons semble-t-il d'un plafond équivalent à trois fois le bénéfice potentiel. Qu'en est-il ?
Sur le volet Executive Life, un accord est intervenu à hauteur de 600 millions de dollars, alors que le bénéfice est estimé aux alentours d'un milliard de dollars. Pour un plafond potentiel de trois milliards de dollars, le préjudice est donc largement inférieur.
Le nombre de contentieux a considérablement diminué. Je n'ai évoqué devant vous que les principaux dossiers. Il en restait 71 au 31 décembre 2009 ; fin 2010, une cinquantaine d'affaires n'étaient pas encore closes.
Je vous remercie pour ces explications et cet échange.
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