Audition de M Louis Gallois, président d'EADS
La séance est ouverte à neuf heures.
J'ai le plaisir d'accueillir en votre nom M. Louis Gallois, président d'EADS.
Les actualités concernant l'entreprise que vous présidez ne manquent pas et nous avons souvent abordé des questions qui la touchent directement, qu'il s'agisse de l'A400M ou des perspectives américaines pour les avions ravitailleurs. Vous nous donnerez les dernières informations sur ces questions – le général Abrial, que nous avons entendu la semaine dernière, s'est montré modérément optimiste sur les perspectives de percée des industries européennes aux États-Unis. Nous avons aussi tout récemment eu connaissance des problèmes de livraison de l'hélicoptère TIGRE à l'Allemagne.
Pourriez-vous, également, faire un point sur les résultats d'EADS ainsi que sur les perspectives du groupe à court ou moyen terme ?
Enfin, je note que, malgré les difficultés liées aux taux de change et, peut-être, à la production de l'Airbus A380, l'horizon de votre entreprise semble s'éclaircir en raison notamment du dynamisme des pays émergents et de la remontée du dollar, laquelle favorise bien évidemment nos exportations.
S'agissant, tout d'abord, du domaine civil, EADS ne va pas mal : non seulement la crise a été plus modérée que prévu puisque nous n'avons jamais autant livré d'avions qu'en 2009 – et il en sera de même en 2010. Cela s'explique notamment par la fin de la dépendance exclusive d'Airbus à l'endroit du binôme Europe–États-Unis, les deux continents représentant respectivement 19 % et 11 %, soit seulement au total 30 % de nos commandes contre 70 % pour l'Asie, le Moyen-Orient et l'Amérique latine, régions du monde qui ont été moins touchées par la crise. L'Europe est encore une zone de dépression économique : c'est la seule dans le monde où le trafic ne reprend pas. Cette diversification de son carnet de commandes a donc profité à EADS : depuis que je travaille dans le secteur de l'aéronautique, c'est la crise qui a eu le moins de conséquences pour l'aviation commerciale.
La situation diffère s'agissant d'Eurocopter puisque le cycle des hélicoptères civils est à peu près analogue à celui des avions d'affaires. En l'occurrence, la reprise sera longue car il conviendra d'abord d'écouler les 500 hélicoptères existants sur le marché de l'occasion avant que ne reprenne le marché du neuf.
En ce qui concerne le secteur militaire, nous n'avons pas subi en 2009 de problème budgétaire particulièrement pénalisant. Certes nous avons été confrontés aux difficultés de certains programmes – et au premier chef celui de l'A400M –, mais c'est indépendant de la conjoncture. Je suis préoccupé par la perspective des réductions budgétaires en Europe dans le secteur de la défense, notamment au Royaume–Uni, en Allemagne, en Espagne et en France. J'ai eu récemment l'occasion de le dire : d'une part, les capacités en recherche et développement (R&D) des entreprises de défense doivent être maintenues – sinon nous ne pourrons pas les reconstituer lorsque la situation redeviendra plus favorable ; d'autre part, le risque existe, pour les programmes en coopération, que des stratégies différentes se mettent en place dans les pays que je viens de citer et conduisent à impacter de manière non coordonnée les programmes en coopération.
J'ajoute que si nous prévoyons un résultat d'exploitation de l'ordre du milliard d'euros en 2010, notre capacité bénéficiaire devrait être plus élevée : nos couvertures de change figeant le cours de l'euro par rapport au dollar jusqu'en 2012 inclus, nous ne profiterons pleinement de la baisse du dollar que l'année suivante – je rappelle que dix centimes en moins, c'est un milliard de résultats supplémentaires pour nous. Malgré cela, notre horizon s'éclaircit nettement : avec un dollar à 1,20 euro, nous sommes très proches de la parité de pouvoir d'achat située à 1,18 euro ainsi que de la moyenne de l'euro depuis sa création. Un tel équilibre ne peut donc qu'accroître notre compétitivité.
Avec 9,8 milliards en fin 2009, notre trésorerie nette – brute, elle s'élève à 13 milliards – est excellente et nous permet en particulier de financer des programmes en cours dont l'A350.
Précisément, s'agissant des programmes, Airbus a repris le contrôle de la production de l'A380, rendue très complexe en raison des desiderata des compagnies – chacune d'entre elles ayant singularisé ses appareils. Nous sortirons vingt avions cette année contre dix l'an passé. Airbus doit maintenant veiller à baisser le coût de la production – qui est excessif – de façon à ne plus perdre d'argent sur cet appareil, ce qui devrait être le cas d'ici quatre à cinq ans.
Le premier A350 doit quant à lui voler en 2012, la première livraison étant effectuée en juillet 2013 : nous nous en tenons à ce calendrier particulièrement exigeant, tant est difficile sur un plan technique la sortie d'un avion construit en matériaux composites, comme l'attestent d'ailleurs les multiples retards du Boeing 787. J'estime que la gestion du programme A350 est de bien meilleure qualité que celle des programmes précédents.
J'ajoute qu'une décision sera annoncée dans les mois prochains quant à la remotorisation de l'A320.
En ce qui concerne l'A400M, les MSN 1 et 2 volent déjà. Le troisième appareil subit un certain nombre de tests – mais il devrait également voler dans les prochains mois – et un quatrième sortira avant la fin de l'année. En l'état, nous pouvons affirmer que l'avion est sain, que les essais de décrochage ont été concluants et que le moteur est bon. Nous attendons du consortium des différents motoristes une version renforcée du calculateur FADEC et, malgré quelques contentieux, j'espère que nous parviendrons à trouver rapidement un accord financier avec eux. Quoi qu'il en soit, je me félicite que le groupe Safran ait pris le leadership en la matière.
Par ailleurs, le système de contrôle de vol dit FMS, dans ses applications militaires, présente de redoutables difficultés techniques.
La gestion de la charge – embarquement, débarquement, ouverture de la soute en vol, parachutage des charges… – n'a quant à elle pas encore été testée. Là aussi, les défis techniques sont considérables.
J'ajoute qu'en mars dernier, nous avons signé un accord dit des « têtes de principes » avec les sept États parties prenantes du projet, accord que nous devons aujourd'hui transformer en amendement au contrat. Nous avons en l'occurrence accepté que les commandes d'avions puissent passer de 180 à 170, les États ayant quant à eux acté une augmentation des prix de 10 %, soit de deux milliards d'euros. La réduction de cible est un problème important pour nous car nous aurons à amortir les frais de développement sur moins d'avions, ce qui ne manquera pas de renchérir nos coûts. Au final, j'espère que nous parviendrons à une signature avant l'été même s'il est plus réaliste de penser qu'elle interviendra à l'automne.
S'agissant du calendrier, la première livraison – avec trois ans de retard – est prévue pour janvier 2013, le retard moyen s'élevant à 4 ans en raison d'un ralentissement du rythme de production des avions. J'ajoute que les dix premiers d'entre eux seront vraisemblablement destinés à la France. La livraison comprendra en outre quatre standards : l'IOC, incluant l'ensemble des performances civiles et une partie seulement des performances militaires, ainsi que les standards 1, 2 et 3. Ce dernier, qui concerne la capacité de vol sans visibilité à basse altitude et en pilotage automatique, n'a été demandé que par les Allemands.
Les surcoûts sont estimés à 5,2 milliards d'euros, au-delà de notre provision initiale de 2,2 milliards. Ces 5,2 milliards se répartissent comme suit : 1,8 milliard de plus pour EADS – notre provision totale pour ce programme s'élevant donc à 4 milliards ; deux milliards pour les États auxquels s'ajoute 1,5 milliard d'intéressement, remboursés sur les exportations – j'escompte que celles-ci s'élèveront à 400 à 500 appareils. Ceux-ci, malgré l'augmentation de prix de 10 %, demeureront moins chers à la tonne transportée que le C–130 et le C–17. Dans ces conditions, j'ai toutes les raisons de penser que le milliard et demi sera remboursé. Je précise que cet intéressement sera compris dans notre chiffre d'affaires et ne pèsera pas sur notre résultat.
J'ajoute que l'accord prévoit également la possibilité de discuter la clause de révision de prix.
En ce qui concerne le maintien en condition opérationnelle (MCO), les pourparlers entre les Français et les Anglais ont bien avancé et nous espérons que les Allemands s'y joindront.
Parmi les leçons à tirer de cette expérience, la première est qu'il ne faut pas se lancer dans un programme de très haute technologie comme celui-là sans analyser l'ensemble des risques technologiques. De plus, on peut s'interroger sur la pertinence d'un contrat à prix fixe sur un programme de très haute technologie. Par ailleurs, l'A400M a été géré comme un programme commercial et non comme un programme militaire comme il aurait dû l'être. De ce point de vue, la perte de contact avec les clients a été une grave erreur. De surcroît, sa gestion a été confiée à notre filiale espagnole, CASA, insuffisamment dotée en ressources. Cela nous a d'ailleurs conduits à l'intégration de la division MTAD Military Transport Aircraft Division au sein d'Airbus et à renouveler les équipes de direction. Enfin, nous devons réfléchir aux spécifications des avions : est-il réaliste de demander à ce qu'un appareil de transport militaire ait les performances d'un avion de combat en vol en basse altitude alors que la réserve d'énergie n'est pas comparable ? En l'occurrence, la discussion ne s'est pas déroulée comme il l'aurait fallu et EADS a fait preuve d'une double faiblesse en signant ce contrat irréaliste et en sous-estimant les exigences de sa gestion.
S'agissant des avions ravitailleurs américains, le groupe Northrop Grumman – dont je rappelle que nous étions les sous-traitants – a décidé de ne pas se présenter. Le nouvel appel d'offre est en effet ajusté sur un avion plus petit et moins capable que l'A330 MRTT et donc supposé moins coûteux.
De plus, Northrop Grumman n'a pas voulu en outre assumer le risque d'un contrat à prix fixe – c'était une nouveauté car les contrats à prix fixe n'existent pas aux États-Unis pour les contrats majeurs et innovants. Toutefois, pour nous, cela ne modifiait pas la donne puisque EADS North America, comme sous-traitant, était lié, quant à lui, à Northrop Grumman par un contrat précisément à un prix fixe.
Le maître d'oeuvre américain se retirant, nous n'avions pas d'autre choix que de le suivre. C'est alors que le Pentagone s'est retourné vers nous, en s'engageant à nous communiquer les éléments permettant de devenir maître d'oeuvre à notre tour, via notre filiale aux États-Unis, EADS North America. Face aux attentes des pays européens, et en particulier du Président français, il était important pour l'administration américaine de montrer que la concurrence était bel et bien réelle. Notre filiale américaine a pu avoir accès aux informations confidentielles nécessaires. Avant de prendre une décision définitive, nous avons fait savoir que nous aurions besoin de partenaires américains pour nous fournir les pièces sensibles. Je note d'ailleurs que M. Norm Dicks, président du sous-comité des appropriations de la défense de la Chambre des représentants – et par ailleurs représentant de l'État de Washington où se trouvent les usines de Boeing –, a fait une déclaration publique conseillant aux entreprises américaines de ne pas travailler avec nous. À la suite de cette déclaration, le Pentagone a été contraint de s'inscrire en faux, tandis que les autorités européennes ont fait part de leur plus vif étonnement. Depuis, nous avons mené des discussions avec certaines entreprises dont je tairai les noms pour qu'elles ne soient pas soumises à d'éventuelles pressions.
Au total, nous avons finalement décidé de nous engager pour deux raisons.
Tout d'abord, nous avons une chance de gagner sur le terrain de Boeing. Le processus de certification militaire de l'avion ravitailleur que nous devons livrer avant la fin de l'année à l'Australie est en cours – il a déjà été certifié civilement. Cet appareil est extrêmement proche de celui que veulent les Américains. Donc, à la différence de Boeing – qui sera contraint de prendre une provision pour risque sur le prix fixe puisqu'il lui faudra développer un avion et un système de ravitaillement très sophistiqué –, une grande partie des risques est derrière nous.
Enfin, EADS est ainsi reconnue comme un maître d'oeuvre crédible pour le plus important programme du Pentagone de la décennie ce qui, en termes d'image, est considérable, en particulier pour d'autres programmes en cours, avec le Département de la Défense, notamment d'hélicoptères. 200 personnes travaillent à temps plein sur ce projet. Le jeu en vaut la chandelle.
En la matière, Boeing fait preuve d'une grande agressivité ! Tous les jours, nous sommes soumis à de nouvelles offensives visant à déstabiliser notre offre. L'extrême nervosité des Américains démontre qu'ils redoutent réellement la compétitivité de notre offre.
J'ajoute que ce projet créerait 48 000 emplois aux États-Unis, 40 % des travaux étant par ailleurs effectués en Europe.
Je souhaite maintenant aborder la question des hélicoptères Tigre. Nous en avons déjà livré onze à l'Allemagne, mais la Bundeswehr a interrompu les livraisons en raison d'un problème de harnais dû à des vibrations. Nous travaillons à résoudre cette difficulté constatée également sur les Tigre français, lesquels n'en demeurent pas moins opérationnels en Afghanistan. Nous fournirons deux hélicoptères modifiés d'ici la fin juillet pour des essais par les pilotes militaires allemands. Si ces essais sont positifs, nous sommes en mesure de livrer cinq hélicoptères au total d'ici la fin 2010.
Vous parlez de problèmes de harnais mais – la presse ayant évoqué des ennuis électriques – qu'en est-il précisément ?
C'est la même chose. Il s'agit des systèmes d'attache des faisceaux électriques.
Notre équipe étant entièrement constituée – y compris avec les fournisseurs américains –, nous déposerons notre dossier le 9 juillet, et le Pentagone devrait quant à lui prendre sa décision à la mi-octobre, quinze jours avant les élections de mid-term – ce qui ne constitue pas une date idéale, vous en conviendrez ! À cela s'ajoute qu'au début du mois de septembre aura lieu une réunion avec les deux entreprises afin de procéder aux derniers ajustements.
À entendre les experts de la commission Albright sur le nouveau concept stratégique de l'OTAN, nous pourrions assister à un durcissement des conditions d'exportation des matériels militaires des pays membres de l'OTAN vers ceux qui ne le sont pas. N'est-ce pas lié à la réponse qu'ont donnée trois pays européens à un appel d'offre russe sur des bateaux de défense ? Selon le Secrétaire général Rasmussen, ce type d'exportation doit faire l'objet d'une discussion au sein de l'OTAN, ce qui interdirait un traitement bilatéral des contrats. Si une telle logique était poussée à l'extrême, ne faudrait–il pas s'attendre à des conséquences négatives pour l'exportation des A400M vers des pays qui ne font pas partie de l'OTAN ?
Pourquoi les effets bénéfiques de la baisse de l'euro ne seront-ils sensibles que dans trois ans ?
En outre, vous avez déclaré voilà quelques années devant la commission des affaires économiques que, pour être compétitive face aux Américains qui sous-traitent 80 % de la construction de leurs appareils dans des pays dont le coût de la main-d'oeuvre est faible, EADS devait en faire de même à hauteur de 50 % au moins. L'évolution de la parité entre l'euro et le dollar modifie-t-elle la donne ?
Je ne pense pas que la proposition du Comité soit consensuelle et je n'imagine pas que des pays aussi soucieux de leur souveraineté que le Royaume-Uni, par exemple, acceptent de conditionner leur politique d'exportation en matière de défense à des décisions de l'OTAN. Un tel risque me semble donc à tout le moins modéré.
Par ailleurs, si la couverture de change que nous avons prise avait pour but de nous mettre à l'abri des conséquences d'une hausse excessive de l'euro, elle ne nous permet pas de bénéficier de sa baisse. La situation sera différente en 2013 où les protections de change que nous sommes en train de prendre tiennent compte du nouveau cours de la monnaie européenne. Quoi qu'il en soit, nous bénéficions d'ores et déjà de la baisse de l'euro en calculant des pertes – dans un certain nombre de contrats – en fonction du taux du jour du dollar : dès lors que celui-ci se renforce, les pertes diminuent. D'un autre côté, la dévalorisation d'un certain nombre d'éléments de notre bilan en euros impactera nos fonds propres, mais il s'agit de considérations exclusivement comptables auxquelles ni les analystes financiers ni les agences de notation n'accordent plus d'attention qu'il ne faut. Globalement, la baisse de l'euro est donc très favorable pour notre compte d'exploitation à partir de 2013 car, vous le savez, nous fabriquons très majoritairement en euros et nous vendons très souvent en dollars.
Je rappelle que Boeing sous-traite beaucoup, dont une grande partie de ses activités au sein même des États-Unis ; il en est largement ainsi – en Europe, en l'occurrence – s'agissant de la sous-traitance d'EADS pour l'A350.
Fait notable, toutefois, les transactions se font progressivement en dollars avec les entreprises sous-traitantes les plus importantes, de manière à ce que ces dernières partagent avec nous le risque de change.
EADS a incité ses sous-traitants à produire en « zone dollar » et, ainsi, à se délocaliser. Peut-on espérer que la nouvelle situation de change entre l'euro et le dollar modifiera la donne ? Dans la région Midi-Pyrénées et l'agglomération toulousaine, où le secteur de l'aéronautique est très implanté, les craintes sont grandes – tant pour les activités civiles que militaires –, en particulier pour les sous-traitants de deuxième et de troisième niveau.
Si tout le monde reconnaît que l'A400M est un appareil remarquable, en quoi ses avancées technologiques profiteront-elles au développement des futurs programmes ?
En outre, la politique de réduction des déficits menée par l'ensemble des États européens impactera-t-elle la R&D d'EADS ?
Enfin, en quoi votre entreprise bénéficiera-t-elle du grand emprunt ?
Pendant la crise, nous n'avons pas diminué les charges confiées à notre sous-traitance en Midi-Pyrénées notamment, tous les maîtres d'oeuvre ne peuvent en dire autant. Je ne méconnais certes pas les craintes qui se font jour mais, en l'état, elles sont infondées. Les difficultés rencontrées par le groupe Latécoère ne sont en rien de notre fait, bien au contraire, puisque nous avons soutenu celui-ci à travers des avances de trésorerie et en finançant une partie de ses investissements pour l'A 350. Nous ne méconnaissons donc pas nos responsabilités à l'endroit des sous-traitants, mais ils ont également un devoir de compétitivité. De ce point de vue-là, certains segments banalisés et à faible valeur ajoutée peuvent faire l'objet d'une délocalisation. Notre filiale Aérolia comptera bientôt une implantation en Tunisie. Cela ne veut pas dire que nous quittons l'Europe mais au contraire que nous renforçons la compétitivité de nos fabrications européennes.
Je rappelle, de surcroît, que nous travaillons pour l'essentiel au sein de nos quatre pays domestiques et que, comparativement à d'autres entreprises françaises, notre production est particulièrement bien implantée sur le territoire national : c'est ainsi qu'EADS réinjecte plus de 13 milliards d'euros vers la sous-traitance en France.
Nous sommes par ailleurs très soucieux de travailler avec l'ensemble des maillons de notre chaîne de sous-traitants. Le fonds Aerofund que nous avons mis en place avec Safran et la Caisse des dépôts et consignations vise précisément à aider la restructuration des plus petits d'entre eux. Au final, je considère que la relation qu'a établie Airbus avec ses sous-traitants est aujourd'hui bien meilleure qu'il y a quatre ou cinq ans.
Quoi qu'il en soit, en tant qu'ancien directeur général de l'industrie, soyez persuadés que je suis particulièrement attaché au maintien d'une industrie forte dans notre pays et que je suis particulièrement préoccupé par le risque de désindustrialisation.
Oui, monsieur Deflesselles, l'A400M, est utile pour d'autres programmes et nous avons d'ores et déjà beaucoup appris de lui. Il s'agit notamment de la première aile composite que nous ayons faite.
Avec 2,8 milliards d'euros, notre effort de R&D n'a jamais été aussi important. Dans ce contexte, le grand emprunt constitue une bonne chose et servira notamment au développement des technologies nécessaires à la définition d'une nouvelle génération d'hélicoptères X 4 – succédant éventuellement aux Dauphins – mais aussi à l'élaboration de l'avion du futur dans le cadre du CORAC – appareil entièrement composite et électrique qui intéresse Dassault, Safran, Latécoère ainsi qu'une partie de notre chaîne de sous-traitance – et, enfin, à la préparation d'Ariane 6 à travers la constitution d'intégrateurs et de démonstrateurs de technologies. J'ajoute que nous discutons avec Thales sur un certain nombre de programmes satellitaires.
Le retard de trois à quatre ans de l'A400M n'est-il pas une aubaine pour la concurrence ?
Combien de salariés employez-vous en France, en Europe et dans le monde ?
Quid de votre chiffre d'affaires ?
Enfin, quelle est la position internationale d'EADS dans le secteur militaire et aéronautique ?
Êtes-vous satisfait de l'actuelle organisation managériale de votre entreprise ? La composition actuelle de votre actionnariat permet-elle d'envisager l'avenir avec sérénité ?
Enfin, n'éprouvez-vous pas des difficultés à recruter des ingénieurs ?
Le retard sur un programme, monsieur Candelier, est toujours regrettable et notre métier est de livrer à l'heure. Cependant, trois ou quatre années de retard ne devraient pas avoir d'impact sur la concurrence faute d'un appareil équivalent en préparation. Nos clients n'en seront pas moins pénalisés en étant obligés de trouver des solutions intermédiaires pour pallier notre manquement, ce dont je ne me félicite évidemment pas. En outre, nous payons le prix fort et demandons aux États de partager une partie du surcoût induit. Je vous rappelle que le développement d'un avion coûte, en moyenne, 1,5 milliard d'euros par an. À effectif constant, plus un programme est long à réaliser, plus il est cher.
EADS fête ses dix ans cette année. Le groupe a créé en Europe 15 000 nouveaux emplois dans des secteurs de haute technologie : peu d'entreprises industrielles – et aucune dans le domaine de la défense – peuvent en dire autant. J'ajoute que la grande majorité de ces emplois – 97 % – sont en Europe, dans les quatre pays domestiques. Nous avons 119 500 employés en Europe dont 45 000 en France.
Notre chiffre d'affaires s'élèvera cette année à 43 milliards d'euros environ. Si nous avons devancé Boeing en 2008, ce dernier nous a rattrapés en 2009 et maintiendra son avance en 2010 avec un chiffre d'affaires de 48 milliards d'euros, notre écart se réduisant toutefois. Globalement, nous avons la même taille que l'entreprise américaine et nous sommes 1,5 fois plus importants que Lockheed Martin qui, avec 32 milliards d'euros, se situe au troisième rang mondial.
Nous sommes par ailleurs le premier industriel de défense en France et le second en Europe derrière BAe Systems. Enfin, nous sommes le premier hélicoptériste mondial même si, avec la commande de 2 000 Black Hawk par l'armée américaine, Sikorsky s'apprête à nous devancer.
Pour donner un ordre de grandeur, les États-Unis ont un programme de 400 à 500 avions ravitailleurs quand on en dénombre 14 en Grande-Bretagne et 14 en France.
S'agissant de son organisation, il faut rappeler qu'EADS a été constituée par le rapprochement de quatre sociétés, avec toutes les contraintes politiques que cela suppose, lesquelles n'ont pas facilité l'intégration et, donc, l'efficacité du groupe. Il a fallu le traumatisme de l'A380 pour que l'entreprise fasse l'effort d'intégration actuel, tant sur un plan interne – harmonisation des systèmes d'information ou des procédures – que sur un plan externe, en respectant un certain nombre d'équilibres entre les quatre pays.
S'agissant de l'actionnariat, aucun mouvement n'est actuellement envisagé et aucun problème n'est à signaler avec les actionnaires français et allemand.
Il n'en va pas de même, en revanche, s'agissant du recrutement des ingénieurs en aéronautiques : en Europe, la pénurie est devenue structurelle. Même si la France est un peu plus épargnée que l'Allemagne, les étudiants de Sup Aéro ne se dirigent pas moins en premier lieu vers le secteur bancaire…
Pourquoi les avances sur l'exportation de l'A400M sont-elles incorporées dans le chiffre d'affaires dès lors qu'un résultat ne peut être acquis qu'après un transfert de propriété ?
Il faut justement que nous démontrions aux commissaires aux comptes que les apports des États sont pour nous « en pleine propriété » même s'ils sont associés à des redevances sur les exportations.
Avec des sites de production un peu éclatés, ne rencontrez-vous pas avec l'A400M les mêmes difficultés qu'avec l'A380 ?
En outre, quelle est la différence de prix entre le premier et le quatrième standard ? L'un d'entre eux n'est-il pas plus performant au point que l'alignement de l'ensemble sur ce dernier, son prix fut-il le plus élevé, serait bien plus rentable ?
L'éclatement de la production est la contrepartie des coopérations industrielles mais ce dernier n'est pas plus important que celui de Boeing aux quatre coins des États–Unis – pays plus grand que l'Union européenne. L'essentiel est de savoir si les sites sont choisis en raison de leur savoir-faire – ce qui n'a pas toujours été le cas pour l'A400M – ou pour des raisons plus politiques qu'industrielles.
Les standards, quant à eux, se distinguent par leur logiciel et non leur prix ; il est bien prévu que l'ensemble des appareils soient « rétrofités » pour bénéficier du standard définitif le plus élaboré. Cela concerne seulement les logiciels, non les structures.
Compte tenu des difficultés économiques et financières de l'Europe, ne craignez-vous pas un repli vers les industries nationales ou bien la définition de priorités différentes, lesquelles constitueraient autant de défis pour les futurs programmes d'armement ?
Le risque existe, je ne le mésestime pas, et il serait sans doute accru si nos programmes en coopération n'étaient pas performants. Or, il est de notre devoir de montrer que ces derniers sont moins chers que ne le seraient des programmes nationaux. Aucun pays d'Europe n'aurait pu s'offrir, seul, l'A400M. La crise doit être l'occasion de réaliser des économies par la mutualisation de nos efforts.
Si vous pouviez recommencer le programme de l'A400M, comment procéderiez-vous ? Les difficultés politiques et industrielles que vous avez rencontrées peuvent-elles servir de leçon afin de développer une industrie européenne de la défense digne de ce nom, notamment dans le secteur naval ?
L'environnement politique n'explique pas tout : EADS a sa part de responsabilité dont je ne veux pas m'exonérer. Nous avons signé un contrat de façon imprudente, mais nous l'avons mal appliqué et nous en payons le prix fort.
J'espère que les difficultés que nous avons connues auront des vertus pédagogiques. Je peux, en tout cas, vous assurer que nous cherchons à en tirer toutes les leçons.
Enfin, je le répète aussi, il convient d'appliquer avec rigueur les disciplines qui s'imposent.
En effet, même si l'environnement est fort différent. Ni Airbus, ni la maîtrise de ses processus industriels très complexes n'auraient été possibles sans le Concorde construit par SUD Aviation, un des ancêtres de l'Aérospatiale. De la même manière, l'A400M nous a permis d'accroître considérablement nos connaissances technologiques et de mieux maîtriser les programmes militaires ainsi que leur environnement.
Pour être croissante, la disponibilité de l'A400M soulèvera néanmoins des problèmes en matière de contrats opérationnels, le prolongement d'activité des C-160 Transall parvenant à peine à faire le lien.
Par ailleurs, la France ayant une certaine expérience d'externalisation en matière d'instruction, peut-on envisager un entraînement commun avec le Royaume-Uni et l'Allemagne ?
Je crains que la décision française sur les avions ravitailleurs ne se fasse attendre. Compte tenu des difficultés budgétaires des uns et des autres, n'est-il pas possible de trouver un accord avec les Britanniques ? Il y va de notre capacité de projection de forces !
Le général Palomeros m'a fait part des problèmes d'instruction des pilotes faute de pouvoir utiliser fréquemment les C-130 ou les C-160, les Casa C-295 ayant des capacités militaires plus limitées. L'idée d'un entraînement commun avec les pilotes britanniques me semble pertinente, les Allemands disposant également de fortes capacités de vol sur les Transall même si ces derniers sont très différents de leurs homologues français. C'est l'état-major de l'armée de l'air qui peut voir ce qui est possible.
Des discussions sont engagées avec les Britanniques sur les avions ravitailleurs. Ils en ont commandé 14 et, en l'état, nous leur louons des heures pour assurer le service de ravitaillement de la Royal Air Force. Compte tenu des contraintes budgétaires, ce nombre sera-t-il maintenu ? Pendant une période de transition au moins, Français et Britanniques peuvent peut-être utiliser des équipements communs mais je sais que chaque armée de l'air a ses propres contraintes d'emploi.
Je vous remercie pour la précision de vos réponses, monsieur le président.
Sachez combien nous sommes tous globalement satisfaits de votre superbe entreprise. Peut-être nos concitoyens ne se doutent-ils pas toujours, d'ailleurs, de l'ampleur de ses performances – dans un contexte financier difficile – tant en ce qui concerne ces remarquables appareils que sont, dans le domaine civil, l'A380, l'A330 et l'A350, que dans le domaine militaire où nous serions bien inspirés de faire preuve de fierté : outre que l'A400M est un prototype, songeons aux milliers de voitures rappelées chaque année en raison d'un problème de plaquette de frein sans que cela soit pour autant considéré comme une catastrophe ! J'espère donc que nous aurons enfin la joie de voir ce magnifique avion à Istres !
Enfin, malgré les critiques acerbes et injustes dont le Tigre fait l'objet, nous savons combien cet hélicoptère est extraordinaire en opération. Nous vous encourageons donc à poursuivre votre travail.
La séance est levée à dix heures trente.