Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Louis Gallois

Réunion du 2 juin 2010 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Louis Gallois, président d'EADS :

S'agissant, tout d'abord, du domaine civil, EADS ne va pas mal : non seulement la crise a été plus modérée que prévu puisque nous n'avons jamais autant livré d'avions qu'en 2009 – et il en sera de même en 2010. Cela s'explique notamment par la fin de la dépendance exclusive d'Airbus à l'endroit du binôme Europe–États-Unis, les deux continents représentant respectivement 19 % et 11 %, soit seulement au total 30 % de nos commandes contre 70 % pour l'Asie, le Moyen-Orient et l'Amérique latine, régions du monde qui ont été moins touchées par la crise. L'Europe est encore une zone de dépression économique : c'est la seule dans le monde où le trafic ne reprend pas. Cette diversification de son carnet de commandes a donc profité à EADS : depuis que je travaille dans le secteur de l'aéronautique, c'est la crise qui a eu le moins de conséquences pour l'aviation commerciale.

La situation diffère s'agissant d'Eurocopter puisque le cycle des hélicoptères civils est à peu près analogue à celui des avions d'affaires. En l'occurrence, la reprise sera longue car il conviendra d'abord d'écouler les 500 hélicoptères existants sur le marché de l'occasion avant que ne reprenne le marché du neuf.

En ce qui concerne le secteur militaire, nous n'avons pas subi en 2009 de problème budgétaire particulièrement pénalisant. Certes nous avons été confrontés aux difficultés de certains programmes – et au premier chef celui de l'A400M –, mais c'est indépendant de la conjoncture. Je suis préoccupé par la perspective des réductions budgétaires en Europe dans le secteur de la défense, notamment au Royaume–Uni, en Allemagne, en Espagne et en France. J'ai eu récemment l'occasion de le dire : d'une part, les capacités en recherche et développement (R&D) des entreprises de défense doivent être maintenues – sinon nous ne pourrons pas les reconstituer lorsque la situation redeviendra plus favorable ; d'autre part, le risque existe, pour les programmes en coopération, que des stratégies différentes se mettent en place dans les pays que je viens de citer et conduisent à impacter de manière non coordonnée les programmes en coopération.

J'ajoute que si nous prévoyons un résultat d'exploitation de l'ordre du milliard d'euros en 2010, notre capacité bénéficiaire devrait être plus élevée : nos couvertures de change figeant le cours de l'euro par rapport au dollar jusqu'en 2012 inclus, nous ne profiterons pleinement de la baisse du dollar que l'année suivante – je rappelle que dix centimes en moins, c'est un milliard de résultats supplémentaires pour nous. Malgré cela, notre horizon s'éclaircit nettement : avec un dollar à 1,20 euro, nous sommes très proches de la parité de pouvoir d'achat située à 1,18 euro ainsi que de la moyenne de l'euro depuis sa création. Un tel équilibre ne peut donc qu'accroître notre compétitivité.

Avec 9,8 milliards en fin 2009, notre trésorerie nette – brute, elle s'élève à 13 milliards – est excellente et nous permet en particulier de financer des programmes en cours dont l'A350.

Précisément, s'agissant des programmes, Airbus a repris le contrôle de la production de l'A380, rendue très complexe en raison des desiderata des compagnies – chacune d'entre elles ayant singularisé ses appareils. Nous sortirons vingt avions cette année contre dix l'an passé. Airbus doit maintenant veiller à baisser le coût de la production – qui est excessif – de façon à ne plus perdre d'argent sur cet appareil, ce qui devrait être le cas d'ici quatre à cinq ans.

Le premier A350 doit quant à lui voler en 2012, la première livraison étant effectuée en juillet 2013 : nous nous en tenons à ce calendrier particulièrement exigeant, tant est difficile sur un plan technique la sortie d'un avion construit en matériaux composites, comme l'attestent d'ailleurs les multiples retards du Boeing 787. J'estime que la gestion du programme A350 est de bien meilleure qualité que celle des programmes précédents.

J'ajoute qu'une décision sera annoncée dans les mois prochains quant à la remotorisation de l'A320.

En ce qui concerne l'A400M, les MSN 1 et 2 volent déjà. Le troisième appareil subit un certain nombre de tests – mais il devrait également voler dans les prochains mois – et un quatrième sortira avant la fin de l'année. En l'état, nous pouvons affirmer que l'avion est sain, que les essais de décrochage ont été concluants et que le moteur est bon. Nous attendons du consortium des différents motoristes une version renforcée du calculateur FADEC et, malgré quelques contentieux, j'espère que nous parviendrons à trouver rapidement un accord financier avec eux. Quoi qu'il en soit, je me félicite que le groupe Safran ait pris le leadership en la matière.

Par ailleurs, le système de contrôle de vol dit FMS, dans ses applications militaires, présente de redoutables difficultés techniques.

La gestion de la charge – embarquement, débarquement, ouverture de la soute en vol, parachutage des charges… – n'a quant à elle pas encore été testée. Là aussi, les défis techniques sont considérables.

J'ajoute qu'en mars dernier, nous avons signé un accord dit des « têtes de principes » avec les sept États parties prenantes du projet, accord que nous devons aujourd'hui transformer en amendement au contrat. Nous avons en l'occurrence accepté que les commandes d'avions puissent passer de 180 à 170, les États ayant quant à eux acté une augmentation des prix de 10 %, soit de deux milliards d'euros. La réduction de cible est un problème important pour nous car nous aurons à amortir les frais de développement sur moins d'avions, ce qui ne manquera pas de renchérir nos coûts. Au final, j'espère que nous parviendrons à une signature avant l'été même s'il est plus réaliste de penser qu'elle interviendra à l'automne.

S'agissant du calendrier, la première livraison – avec trois ans de retard – est prévue pour janvier 2013, le retard moyen s'élevant à 4 ans en raison d'un ralentissement du rythme de production des avions. J'ajoute que les dix premiers d'entre eux seront vraisemblablement destinés à la France. La livraison comprendra en outre quatre standards : l'IOC, incluant l'ensemble des performances civiles et une partie seulement des performances militaires, ainsi que les standards 1, 2 et 3. Ce dernier, qui concerne la capacité de vol sans visibilité à basse altitude et en pilotage automatique, n'a été demandé que par les Allemands.

Les surcoûts sont estimés à 5,2 milliards d'euros, au-delà de notre provision initiale de 2,2 milliards. Ces 5,2 milliards se répartissent comme suit : 1,8 milliard de plus pour EADS – notre provision totale pour ce programme s'élevant donc à 4 milliards ; deux milliards pour les États auxquels s'ajoute 1,5 milliard d'intéressement, remboursés sur les exportations – j'escompte que celles-ci s'élèveront à 400 à 500 appareils. Ceux-ci, malgré l'augmentation de prix de 10 %, demeureront moins chers à la tonne transportée que le C–130 et le C–17. Dans ces conditions, j'ai toutes les raisons de penser que le milliard et demi sera remboursé. Je précise que cet intéressement sera compris dans notre chiffre d'affaires et ne pèsera pas sur notre résultat.

J'ajoute que l'accord prévoit également la possibilité de discuter la clause de révision de prix.

En ce qui concerne le maintien en condition opérationnelle (MCO), les pourparlers entre les Français et les Anglais ont bien avancé et nous espérons que les Allemands s'y joindront.

Parmi les leçons à tirer de cette expérience, la première est qu'il ne faut pas se lancer dans un programme de très haute technologie comme celui-là sans analyser l'ensemble des risques technologiques. De plus, on peut s'interroger sur la pertinence d'un contrat à prix fixe sur un programme de très haute technologie. Par ailleurs, l'A400M a été géré comme un programme commercial et non comme un programme militaire comme il aurait dû l'être. De ce point de vue, la perte de contact avec les clients a été une grave erreur. De surcroît, sa gestion a été confiée à notre filiale espagnole, CASA, insuffisamment dotée en ressources. Cela nous a d'ailleurs conduits à l'intégration de la division MTAD Military Transport Aircraft Division au sein d'Airbus et à renouveler les équipes de direction. Enfin, nous devons réfléchir aux spécifications des avions : est-il réaliste de demander à ce qu'un appareil de transport militaire ait les performances d'un avion de combat en vol en basse altitude alors que la réserve d'énergie n'est pas comparable ? En l'occurrence, la discussion ne s'est pas déroulée comme il l'aurait fallu et EADS a fait preuve d'une double faiblesse en signant ce contrat irréaliste et en sous-estimant les exigences de sa gestion.

S'agissant des avions ravitailleurs américains, le groupe Northrop Grumman – dont je rappelle que nous étions les sous-traitants – a décidé de ne pas se présenter. Le nouvel appel d'offre est en effet ajusté sur un avion plus petit et moins capable que l'A330 MRTT et donc supposé moins coûteux.

De plus, Northrop Grumman n'a pas voulu en outre assumer le risque d'un contrat à prix fixe – c'était une nouveauté car les contrats à prix fixe n'existent pas aux États-Unis pour les contrats majeurs et innovants. Toutefois, pour nous, cela ne modifiait pas la donne puisque EADS North America, comme sous-traitant, était lié, quant à lui, à Northrop Grumman par un contrat précisément à un prix fixe.

Le maître d'oeuvre américain se retirant, nous n'avions pas d'autre choix que de le suivre. C'est alors que le Pentagone s'est retourné vers nous, en s'engageant à nous communiquer les éléments permettant de devenir maître d'oeuvre à notre tour, via notre filiale aux États-Unis, EADS North America. Face aux attentes des pays européens, et en particulier du Président français, il était important pour l'administration américaine de montrer que la concurrence était bel et bien réelle. Notre filiale américaine a pu avoir accès aux informations confidentielles nécessaires. Avant de prendre une décision définitive, nous avons fait savoir que nous aurions besoin de partenaires américains pour nous fournir les pièces sensibles. Je note d'ailleurs que M. Norm Dicks, président du sous-comité des appropriations de la défense de la Chambre des représentants – et par ailleurs représentant de l'État de Washington où se trouvent les usines de Boeing –, a fait une déclaration publique conseillant aux entreprises américaines de ne pas travailler avec nous. À la suite de cette déclaration, le Pentagone a été contraint de s'inscrire en faux, tandis que les autorités européennes ont fait part de leur plus vif étonnement. Depuis, nous avons mené des discussions avec certaines entreprises dont je tairai les noms pour qu'elles ne soient pas soumises à d'éventuelles pressions.

Au total, nous avons finalement décidé de nous engager pour deux raisons.

Tout d'abord, nous avons une chance de gagner sur le terrain de Boeing. Le processus de certification militaire de l'avion ravitailleur que nous devons livrer avant la fin de l'année à l'Australie est en cours – il a déjà été certifié civilement. Cet appareil est extrêmement proche de celui que veulent les Américains. Donc, à la différence de Boeing – qui sera contraint de prendre une provision pour risque sur le prix fixe puisqu'il lui faudra développer un avion et un système de ravitaillement très sophistiqué –, une grande partie des risques est derrière nous.

Enfin, EADS est ainsi reconnue comme un maître d'oeuvre crédible pour le plus important programme du Pentagone de la décennie ce qui, en termes d'image, est considérable, en particulier pour d'autres programmes en cours, avec le Département de la Défense, notamment d'hélicoptères. 200 personnes travaillent à temps plein sur ce projet. Le jeu en vaut la chandelle.

En la matière, Boeing fait preuve d'une grande agressivité ! Tous les jours, nous sommes soumis à de nouvelles offensives visant à déstabiliser notre offre. L'extrême nervosité des Américains démontre qu'ils redoutent réellement la compétitivité de notre offre.

J'ajoute que ce projet créerait 48 000 emplois aux États-Unis, 40 % des travaux étant par ailleurs effectués en Europe.

Je souhaite maintenant aborder la question des hélicoptères Tigre. Nous en avons déjà livré onze à l'Allemagne, mais la Bundeswehr a interrompu les livraisons en raison d'un problème de harnais dû à des vibrations. Nous travaillons à résoudre cette difficulté constatée également sur les Tigre français, lesquels n'en demeurent pas moins opérationnels en Afghanistan. Nous fournirons deux hélicoptères modifiés d'ici la fin juillet pour des essais par les pilotes militaires allemands. Si ces essais sont positifs, nous sommes en mesure de livrer cinq hélicoptères au total d'ici la fin 2010.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion