COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mercredi 12 mai 2010
La séance est ouverte à 9 heures 30.
(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la commission)
La Commission des affaires sociales entend Mme Danièle Karniewicz, secrétaire nationale de la Confédération française de l'encadrement – Confédération générale des cadres (CFE-CGC), sur la réforme des retraites.
Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui, dans le cadre de nos auditions des partenaires sociaux sur la réforme des retraites, Mme Danièle Karniewicz, secrétaire nationale de la CFE-CGC, en charge de ce dossier au sein de sa Confédération, qui est également présidente du conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS).
C'est avant tout, madame, la responsable de la CFE-CGC que nous souhaitons entendre, afin de connaître la position de votre organisation sur la situation de notre système de retraite et les propositions de réforme qui vous paraissent les plus propres à préserver notre modèle par répartition.
Le constat nous est commun à tous : celui d'un important déficit cumulé. En dépit de la reprise de la dette par la Caisse d'amortissement de dette sociale (CADES) en 2008, le déficit cumulé depuis 2005 du régime de base, géré par la CNAVTS, est de 17,9 milliards d'euros ; il devrait s'accroître de 8 milliards cette année et s'aggraver au rythme de 10 milliards d'euros par an les années suivantes. Le déficit de la plupart des régimes de retraite devrait connaître une aggravation similaire, notamment celui de l'Association générale des institutions de retraite des cadres, l'AGIRC, et de l'Association pour le régime de retraite complémentaire, l'ARRCO. Aujourd'hui, ces caisses doivent prélever sur leurs réserves pour financer les retraites.
Pour ma confédération, un tel déficit n'est plus tenable. Il pose une question majeure bien qu'insuffisamment débattue : celle du niveau des pensions, qu'il faut distinguer du niveau de vie. Je parle là du revenu de remplacement, le taux de remplacement étant le rapport entre la première pension de retraite et le dernier salaire d'activité. En valeur relative, celui-ci ne cesse de baisser pour les salariés du privé. C'est là un point fondamental du débat autour des retraites. En effet, à la différence de ceux relevant d'autres régimes, les salariés du privé n'ont aucune lisibilité sur le taux de remplacement. Le taux de 72 % que l'on affiche est un taux moyen, qui n'a rien à voir avec les taux effectifs. Si l'État garantit un taux de remplacement net de 85 % aux salariés ayant travaillé à temps complet et justifiant d'une carrière complète entièrement cotisée au SMIC, les autres ne savent pas aujourd'hui quel sera le montant de leur retraite. C'est là un point crucial, car si rien n'est fait ou si les décisions prises sont insuffisantes, le niveau des pensions constituera automatiquement la seule variable d'ajustement, au détriment des salariés les plus jeunes. Si l'on veut que ceux-ci retrouvent confiance dans notre système de retraite, le rendez-vous de 2010 doit être l'occasion de poser la question de la lisibilité du niveau des pensions.
C'est avec cet objectif de lisibilité que nous préconisons l'instauration d'un « bouclier retraite ». Nous ne demandons pas un taux de remplacement garanti de 70 ou 75 % pour tous, tel qu'il existe dans d'autres régimes, mais un niveau de pension minimal pour chacun. Il s'agit de mettre fin à la dégradation du montant des retraites et de donner à l'ensemble des Français, qui contribuent au système de retraite durant toute leur vie professionnelle, l'assurance que le rendement de leurs cotisations ne baissera pas en deçà d'un certain niveau, qui reste à définir. Aujourd'hui, certains bénéficient d'un taux de remplacement de 50 % seulement, et demain certains partiront avec un taux de 40 %, voire de 30 %. La garantie d'un niveau de pension minimal serait un moyen de redonner confiance, notamment aux plus jeunes, dans notre système de retraite.
L'instauration d'une telle garantie suppose de consentir des efforts importants. À système constant – imaginer d'autres systèmes permet surtout de ne pas affronter la réalité –, assurer le financement de notre système de retraite suppose que l'on joue sur l'un de ces trois leviers : la durée d'assurance, le montant des cotisations ou des ressources affectées aux régimes de retraite, ou le niveau des pensions. Notre objectif étant de préserver, voire d'améliorer le niveau des pensions, il reste les deux premières variables d'ajustement : le niveau des ressources affectées au système de retraite, qui représentent actuellement treize points de PIB et dont ma confédération juge qu'elles devront être augmentées, et la durée de cotisation, elle-même dépendant de l'âge légal de départ à la retraite et du nombre d'annuités requises. Or, des mesures telles que le recul de l'âge de départ ou l'accroissement du nombre d'annuités ne devant produire leurs effets qu'après 2020, elles ne combleront pas les déficits actuels des caisses, qui devront chaque année trouver d'autres sources de financement. La nécessité pour notre système de retraite de trouver des ressources supplémentaires reste donc entière.
En ce qui concerne la durée d'assurance, la CFE-CGC préfère qu'on recule l'âge légal d'ouverture des droits à la retraite plutôt qu'on augmente le nombre d'annuités. En effet, c'est le meilleur moyen d'ajuster les financements d'ici 2025. De toute façon, les jeunes actifs savent très bien qu'ils ne partiront pas à la retraite à soixante ans. Le vrai problème qui se pose à eux est celui du niveau de pension auquel ils auront droit au moment de leur départ.
Quoi qu'il en soit, aucune de ces solutions n'est satisfaisante, comme le montrent les projections rendues publiques, hier, par le Conseil d'orientation des retraites (COR). Dans le scénario le plus pessimiste, celui d'un âge légal de soixante-cinq ans et de quarante-cinq annuités de cotisation, les besoins de financement ne seront couverts qu'à hauteur de 60 % à l'horizon 2030. Refuser d'envisager une augmentation des recettes revient donc à consentir à voir le niveau des pensions se dégrader dans des proportions considérables. Je préfère que l'on joue sur le levier du niveau des cotisations, y compris salariales – même si ce type de solution ne remporte pas un franc succès au sein de ma propre confédération – plutôt que de mettre en place des systèmes privés d'épargne salariale qui offrent des garanties insuffisantes. Il s'agit de trouver ensemble les moyens qui nous permettront de préserver le niveau des pensions. À la différence de ceux qui ne proposent aucune solution de financement, ce qui revient à consentir tacitement à la dégradation du niveau des pensions, j'assume mes choix. Je défends le régime par répartition, parce que c'est un régime solidaire et qui contribue au « bien vivre ensemble », mais les limites de la solidarité, c'est la redistribution : il faut un équilibre entre ceux qui participent à la solidarité et ceux qui en bénéficient. L'allongement de la durée de cotisation pénalise d'abord les plus modestes et les femmes.
Pour ma part, je pense que le premier paramètre à modifier est l'âge légal de départ à la retraite à l'horizon 2025. Quant au paramètre du nombre d'annuités, on ne pourra pas repousser ce curseur indéfiniment, sinon les salariés ayant commencé à travailler après vingt-deux ans devraient partir à la retraite à 67, voire à 70 ans : on devrait considérer une durée de cotisation de 41,5 ou 42 annuités comme une carrière complète. Pour toutes ces raisons, le critère de l'âge est meilleur et plus rassurant pour les plus jeunes.
Par ailleurs, le fait de travailler plus tôt ne justifie pas, à mes yeux, qu'on puisse partir plus tôt. Aujourd'hui, en effet, travailler plus tôt, c'est d'abord cotiser plus tôt. Est-il juste que les jeunes en apprentissage puissent cotiser, et non les élèves ingénieurs ? On ne devrait plus opposer ainsi les parcours professionnels : il faut donner aux étudiants la possibilité de cotiser, comme cela se fait dans d'autres pays, au moins pendant les périodes de stage, les stagiaires travaillant autant, sinon plus, que les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée indéterminée. Là encore, l'âge me semble une variable plus fédératrice que le nombre d'annuités.
L'autre question sensible du point de vue de la durée de cotisation est l'emploi des seniors, voire l'emploi en général, l'insertion dans le marché de l'emploi étant très difficile dans notre pays. Certes, cette question fait l'objet de négociations dans les entreprises, mais les progrès sont insuffisants, et il ne faut pas attendre que les comportements changent, ce qui demande toujours beaucoup de temps, pour agir sur les retraites.
Le problème de la pénibilité est un problème difficile. L'incapacité à travailler du fait de l'usure professionnelle doit être distinguée de la retraite. Cette impossibilité de continuer à travailler, inaptitude au travail ou invalidité, est un risque aujourd'hui financé en partie par la solidarité, au même titre que le chômage ou la maladie. Aucun pays n'en assure le financement par son système de retraite. Mais si l'on considère que notre système a suffisamment de marges de manoeuvre pour le faire, allons-y ! Continuons à charger la barque. Je ne nie pas que l'allongement de la durée de cotisation pose un vrai problème de ce point de vue, mais c'est par une consolidation des mécanismes de solidarité qu'il convient de le résoudre.
L'usure professionnelle différée se traduit par la réduction de l'espérance de vie dans certains métiers et là, la difficulté est réelle : tout le monde ne bénéficie pas du même « droit de tirage » dans un système de retraite par répartition. Mais, faut-il financer ce qui serait un véritable « permis de tuer », puisqu'il s'agirait de laisser des salariés dans un poste pendant trente ans tout en sachant que cela réduit leur espérance de vie ? En tout état de cause, on ne pourra jamais prendre en compte toutes les pénibilités de tous les métiers, même à l'aide du critère de l'espérance de vie. La résolution de cette question passe d'abord par la prévention via l'amélioration de l'organisation et des conditions de travail, qui relève des entreprises et des branches professionnelles, l'État ne devant contribuer qu'à titre complémentaire : ce n'est pas à un régime collectif de retraite de supporter l'ensemble de cette charge.
La thématique des ressources est incontournable. La retraite étant considérée comme un salaire différé, principe qui fonde notre système, elle doit être d'abord contributive, les droits à la retraite étant fonction des cotisations versées. La préservation de notre système par répartition suppose donc un élargissement de l'assiette des prélèvements au-delà des salaires. Que l'on augmente la contribution sociale généralisée (CSG) ou que l'on instaure une cotisation sociale sur la consommation, comme la CFE-CGC le préconise depuis longtemps, cela relève au fond de la même logique : il s'agit de consacrer une plus grande part du PIB aux retraites. L'essentiel est de constituer des marges de manoeuvres pour ne pas laisser filer les déficits de 10 à 15 milliards d'euros par an et préserver ainsi le niveau des retraites.
Il faut aussi poser le problème des exonérations de charges sociales, dont le coût dépasse les 30 milliards d'euros : il faudra bien un jour évaluer leur impact sur l'emploi et, s'il y en a, le coût des emplois ainsi créés.
Il y a cette année deux rendez-vous importants en matière de retraites : en ce moment, au Parlement s'agissant du régime de base ; en octobre et en novembre, avec les partenaires sociaux s'agissant de l'AGIRC et de l'ARRCO. Nous devons élaborer ensemble un consensus : il ne faudrait pas que l'État laisse l'AGIRC et l'ARRCO se débrouiller seuls face au problème du financement de notre système de retraite.
Certains parlent d'édifier une maison commune des retraites. Quelles convergences mettre en place pour unifier les différents régimes de retraite ? Le taux de cotisation vous semble-t-il une bonne piste ? Le Fonds de réserve pour les retraites doit-il jouer un rôle à l'horizon 2020, 2030, ou à plus court terme ? Quelles mesures concrètes proposez-vous pour améliorer les retraites des femmes, cette question s'inscrivant dans la problématique plus large de l'incidence des inégalités professionnelles sur le niveau des retraites ?
Vous dites qu'on ne trouvera pas de solution au déficit des régimes de retraite sans modifier le niveau des pensions, l'âge légal ou le taux de cotisations. Considérez-vous que l'état du marché de l'emploi n'est pas un élément décisif ? Pourtant, si le taux d'emploi des seniors et des jeunes n'augmente pas, aucune réforme ne permettra de revenir à l'équilibre. Le bouclier retraite que vous préconisez sera-t-il défini en valeur absolue ou calculé en fonction du dernier salaire ? Puisque vous ne souhaitez pas que le système des retraites prenne en compte la pénibilité, envisagez-vous la mise en place d'un mécanisme pour compenser les effets de la discontinuité des carrières et de la précarité ?
Je suis étonné de vous voir contester ainsi la prise en compte de la pénibilité, alors que tous les partenaires sociaux reconnaissent des critères de pénibilité tels que le travail posté, selon les métiers et les branches concernés. Vous parlez de la nécessité de trouver des ressources nouvelles : cela ne pose-t-il pas la question des exonérations de cotisations sociales et celle de l'élargissement de l'assiette aux richesses issues de la spéculation, le Président de la République lui-même reconnaissant aujourd'hui la nécessité de faire contribuer les revenus du capital au financement des retraites ? Les projections du COR le confirment : si on joue sur les deux seuls leviers de l'âge légal et de la durée de cotisation, il faudra travailler 70 ans pour avoir droit au niveau de pension actuel, qui est déjà insuffisant depuis la réforme Balladur de 1993. Plus généralement, il faut poser la question de la redistribution de la richesse à un moment où les revenus du capital augmentent, quand ceux du travail ne font que baisser. Jouer sur ces seuls leviers ne permettrait de financer que 53 % des pensions à leur niveau actuel. N'y a-t-il pas d'autres paramètres tels que la situation de l'emploi ou la politique salariale ?
Puisque les partenaires sociaux font preuve d'une grande responsabilité dans la gestion des régimes complémentaires, pourquoi ne pas leur confier la gestion du régime général ? Un régime universel de retraite intégrant les 38 régimes actuels et les régimes complémentaires ne permettrait-il pas plus de lisibilité et d'équité ? Que pensez-vous de l'instauration d'un régime par points ou en comptes notionnels permettant une retraite à la carte ? Êtes-vous satisfaite des modalités actuelles de financement des avantages de vieillesse à caractère non contributif par le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) ?
Monsieur Jacquat, je ne vais pas défendre la solution d'une maison commune des retraites qui n'est pas la mienne. La question d'une réforme de l'architecture du système de retraite ne manque pas d'intérêt, en ce qu'elle permettrait une remise à plat des questions de solidarité et favoriserait une plus grande lisibilité et la convergence des différents régimes ; mais une réforme systémique prendrait des années, et l'urgence d'aujourd'hui c'est la question du financement. La diversité de nos régimes de retraite est l'héritage d'une logique par métiers, qui est encore très prégnante aujourd'hui : la remettre en cause ne sera pas une mince affaire.
Il est vrai que les différences de traitement, qui en sont la conséquence, heurtent les attentes de nos concitoyens en matière d'égalité de traitement : le rendez-vous Retraite 2010 ne saurait faire l'impasse sur cette exigence d'égalité, très forte dans le domaine des retraites. Les salariés du privé ont le sentiment que l'État les laisse tomber, quand ils voient que la question du niveau de leurs futures pensions n'est jamais évoquée. Et ne croyez pas que l'affichage de mesures telles que la prise en compte des vingt-cinq dernières années, au lieu des six derniers mois, pour le calcul de la retraite des fonctionnaires suffise à les rassurer !
Parlons plutôt du taux de remplacement : de ce point de vue, il y a aujourd'hui un fossé entre le traitement réservé aux salariés du privé, soit trente millions de personnes, retraités compris, et ceux relevant d'autres régimes, qui bénéficient d'un taux de remplacement garanti de 75 %. Et si les primes ne sont pas comprises dans le calcul de ce taux, c'est qu'elles n'ont pas été soumises à cotisation. Si on ne parvient pas à faire converger les deux régimes, qu'on rassure au moins les salariés du privé, notamment les jeunes : qu'ils sachent au moins quel niveau de pension ils pourront espérer. C'est l'objectif du bouclier retraite que nous proposons. Or, je crains que ce rendez-vous de 2010, avec ces deux séries de négociations séparées, l'une pour le public, l'autre pour le privé, n'aboutisse, modifications des paramètres de calcul des pensions mises à part, à offrir trop de garanties aux uns et aucune aux autres.
Je me réjouis de ne pas avoir à me prononcer sur le sort du Fonds de réserve pour les retraites en tant que présidente du conseil d'administration de la CNAVTS, les organisations représentées au sein du conseil s'étant prononcées contre notre proposition d'utiliser le fonds pour faire face aux besoins les plus urgents. L'objectif assigné au fonds à sa création était de constituer une réserve destinée à lisser les besoins de financement du système de retraite après 2020 et de faire face aux déficits des régimes. Or, ni les 34 milliards d'euros dont il dispose aujourd'hui, ni les 60 à 80 milliards d'euros dont il devrait disposer à l'horizon 2025, selon les dernières projections, ne lui permettront d'atteindre son objectif initial. Autrement dit, il ne pourra jamais répondre à sa mission fondamentale. Certes, on peut toujours considérer qu'y toucher serait un crime de lèse-majesté. Pour ma part, j'estime qu'il vaut mieux chercher d'autres solutions de financement à long terme et mobiliser le fonds pour faire face aux échéances plus urgentes.
Vous m'interrogez sur la retraite des femmes. Si la mutualisation des risques que permet la répartition apporte déjà des correctifs précieux au bénéfice des femmes – je pense notamment aux droits dérivés –, la retraite ne peut pas corriger toutes les inégalités de la vie professionnelle. Pour ma part, je souhaiterais que les femmes obtiennent davantage de droits propres, les droits dérivés ne reflétant pas une conception de la société qui me convient.
C'est une vraie question et nous n'allons pas y répondre aujourd'hui ! Les droits propres devraient permettre d'intégrer au parcours professionnel les périodes telles que les congés maternité. On devrait attacher des droits à ces périodes elles-mêmes, plutôt que de tenter de corriger les inégalités au moment de la retraite, d'autant que la situation familiale ou matrimoniale des assurées peut avoir changé entre-temps : aujourd'hui, des femmes qui n'ont pas cotisé suffisamment doivent se contenter d'une retraite dérisoire si elles se séparent de leur conjoint. Je voudrais au passage relever une injustice : alors qu'on permet aux salariés jouissant de droits propres de cumuler emploi et retraite, les veuves qui ne bénéficient que d'une pension de réversion, parce qu'elles se sont consacrées à leur famille, n'ont pas le droit de cumuler cette pension avec un emploi.
En ce qui concerne l'emploi, madame Touraine et monsieur Gremetz, j'ai bien dit qu'il était une priorité en matière de retraite : il constitue, avec la croissance, une variable essentielle. Mais, les difficultés qu'on rencontre dans ces domaines ne justifient en rien l'immobilisme sur les retraites, d'autant qu'elles aggravent encore les déficits des régimes. En vérité, notre système de retraite aurait dû être réformé il y a vingt ans, quand notre économie allait mieux : c'est alors qu'il aurait fallu poser, comme d'autres pays l'ont fait, la question de la démographie des régimes et anticiper les problèmes. Ce n'est pas pour autant qu'il faille s'opposer à la mise en place d'incitations à la création d'emplois, telles que les exonérations de charges patronales, pourvu que celles-ci favorisent réellement l'emploi. Dans le cas contraire, il ne faut pas hésiter à les remettre en cause.
Ce n'est pas mon rôle d'opérer cette distinction. Mais, tant que ces dispositifs favorisent l'emploi, même peu qualifié, il faut les maintenir.
Bien évidemment, monsieur Gremetz, la politique salariale joue également un rôle fondamental dans l'équilibre des caisses de retraite, puisque les cotisations de retraite pèsent sur la masse salariale. Savez-vous que les revenus de 33 % des affiliés de l'AGIRC sont en dessous du plafond de la sécurité sociale ? On voit qu'il y a un vrai problème de grille salariale dans notre pays, et ce n'est pas sans conséquence pour les retraites. Nous pouvons en revanche nous féliciter de notre politique familiale, puisque notre taux de natalité nous permet d'envisager un âge de départ à la retraite plus précoce qu'en Allemagne.
La valeur du bouclier retraite devra évidemment être proportionnelle au salaire, la carrière devant traduire la reconnaissance du mérite et du travail. Conformément à ce principe, il faut préserver le lien entre le salaire et la retraite. La vraie question est de savoir quel salaire devra servir de base de calcul pour fixer le taux de remplacement. Le problème n'est pas aussi simple que dans la fonction publique, où le dernier traitement est toujours le meilleur, ce qui – autre inégalité entre les deux régimes – n'est pas forcément le cas dans le privé, où les parcours professionnels sont plus heurtés. Il faudra donc retenir une autre base de calcul.
Quelle est votre position à propos de la prise en compte des vingt-cinq dernières années au lieu des six derniers mois pour le calcul de la pension des fonctionnaires ?
Sans vouloir faire de provocation, je dirais que je m'en moque un peu. Peu importent les paramètres de calcul : ce qui compte, c'est le résultat.
Il ne faudrait pas laisser croire aux Français qu'elle suffirait à tout régler, alors qu'elle ne résoudra aucun problème, quand elle ne contribuera pas à accentuer les écarts de traitement si elle aboutit à garantir à la fonction publique un niveau de pension supérieur au privé.
En ce qui concerne la question de la précarité, la CNAVTS a entamé en 2008 une réflexion sur les moyens de limiter l'incidence des cassures dans les parcours professionnels, telles que la maladie ou le chômage – sur le niveau des pensions. Aujourd'hui, en effet, les périodes de chômage sont prises en compte pour le calcul des retraites, non pas sur la base du salaire d'activité, mais sur des bases forfaitaires. Cette réflexion recoupe la question de l'assiette des cotisations, une assiette plus large devant permettre de mieux valoriser ces périodes de rupture.
Comment pourrais-je nier la pénibilité au travail, monsieur Gremetz, alors qu'ayant travaillé dans l'industrie chimique, j'ai pu y mesurer les effets du travail posté ? Je dis simplement que c'est d'abord au sein des entreprises que ces difficultés doivent être résolues, via une autre organisation du travail, et que la pénibilité ne pourra pas être financée par les régimes de retraite. Cette question relève davantage de la santé au travail et doit, en tant que telle, faire l'objet d'une prise en charge au niveau de l'entreprise et des branches professionnelles, ce qui n'exclue pas une contribution de la collectivité au titre de la solidarité nationale. J'ajouterais, au risque de vous déplaire, que la durée d'exposition à la pénibilité ne me semble pas devoir nécessairement ouvrir droit à une retraite anticipée, même si ce critère ne peut pas être négligé. La CFE-CGC préconise d'ailleurs la mise en place d'un « curriculum laboris » tenu par la médecine du travail, qui permettrait de mesurer l'exposition au risque ou à la pénibilité durant le parcours professionnel. Ces questions me semblent, en effet, relever d'abord d'une logique médicale.
Il faudrait peut-être inscrire cette question de la pénibilité dans une logique de réinsertion professionnelle, qui permettrait à des salariés de s'orienter vers d'autres emplois, plutôt que dans une logique de retraite anticipée. Sans remettre en cause les acquis de la fonction publique, comment ne pas s'interroger sur l'étendue des avantages liés à la reconnaissance de la pénibilité dans certaines filières, quand on voit que beaucoup d'infirmières exercent dans le privé après avoir fait valoir leurs droits à la retraite anticipée dans le public ?
Les infirmières qui ont élevé trois enfants peuvent en effet prendre leur retraite après quinze ans de service.
En tout cas, c'est ainsi que l'opinion publique le perçoit.
Monsieur Gremetz, j'ai décidément un problème de compréhension avec vous ! Je n'ai pas pu dire que l'âge et la durée de cotisation étaient les seuls leviers sur lesquels jouer puisqu'il s'agit pour moi d'un seul et même levier : celui de la durée d'assurance, le deuxième levier étant celui des ressources. Dans cette perspective, il est évidemment envisageable de taxer davantage les revenus financiers ou de réexaminer certains allègements de charges patronales. Je n'ai cependant pas les éléments pour dire jusqu'où il faut aller dans ce domaine : je sais simplement que, s'agissant de trouver les moyens de financer 50 % des besoins de financement de nos régimes de retraite, il faut tout envisager, y compris les mesures que vous proposez, pourvu qu'elles aient une crédibilité économique. Mais en tout état de cause, elles ne suffiront pas à elles seules. C'est pourquoi il faut poser la question de l'élargissement de l'assiette.
En matière de retraite, l'horizon de la réforme ne doit pas être trop lointain. Si l'horizon 2050 est intéressant pour les experts du COR, il est trop lointain pour l'ensemble des Français ; en revanche, 2020 est trop proche en ce qu'il ne nous laisse pas le temps d'agir. L'année 2030 me semble le bon horizon, et pas uniquement dans le scénario le plus pessimiste des 65 ans et des 45 annuités : il s'agit simplement de faire le constat qu'en 2030 l'âge d'ouverture des droits ne sera sans doute plus soixante ans.
Non, monsieur Préel, je ne souhaite pas que les partenaires sociaux gèrent le régime de base. Si, de l'avis unanime des partenaires sociaux, la gestion de l'AGIRC et de l'ARRCO a été plus rigoureuse que celle du régime de base, c'est que nous n'avons pas le choix : n'ayant pas le droit de faire du déficit, nous ne pouvons qu'ajuster les paramètres, ce qui revient à abaisser le niveau des pensions. En effet, on peut bien reconnaître aux régimes par points tous les avantages qu'on veut : ils n'ont pas celui de faire des miracles. Le nombre de points est le seul élément de lisibilité, et lorsqu'on se refuse à modifier les autres critères, la valeur du point devient la seule variable d'ajustement. Comme nous nous refusons à reculer l'âge de départ à la retraite, qui reste fixé à soixante-cinq ans dans les régimes de retraite complémentaire AGIRC et ARRCO – nous avons au contraire mis en place, via l'Association pour la gestion du fonds de financement (AGFF), un mécanisme de cotisation supplémentaire permettant aux affiliés de faire valoir leurs droits à la retraite avant soixante-cinq ans – nous avons dû diminuer le rendement du point.
Je souhaite que l'État joue un rôle important dans la gestion des régimes des salariés du privé, notamment de la CNAVTS, qui est un dispositif plus solidaire. En matière de protection sociale, comme dans le domaine de santé publique, l'État est incontournable : au-delà de la gouvernance, c'est le « vivre ensemble » qui est en jeu.
Un régime par points ou en comptes notionnels, ce dernier tenant compte de l'espérance de vie, n'offre pas une plus grande lisibilité sur le montant des retraites, qui reste la variable d'ajustement. La retraite à la carte est une autre question. Il y a une fausse retraite à la carte, qui consiste à ne pas remettre en cause l'âge théorique de départ à la retraite de soixante ans, ce qui revient, étant donné la situation démographique de nos régimes de retraite, à accepter une dégradation de fait du niveau des pensions. Une telle attitude est irresponsable.
La vraie retraite à la carte serait d'avoir la possibilité de partir plus tôt. Personnellement, je préfère un système obligatoire : la responsabilité d'un régime de protection sociale est aussi de construire l'avenir de ces affiliés, malgré eux s'il le faut. Les paramètres d'un tel système, tels l'âge de départ à la retraite ou la durée d'assurance, qui doivent être des repères pour tous, doivent être définis pour tous.
Vous avez, à juste raison, souligné la nécessité de renforcer la confiance des jeunes générations dans notre système de retraite. Ne pourrait-on pas, dans cette perspective, intégrer les périodes de stage dans la base de calcul du montant de la retraite ?
Si tout le monde comprend bien la nécessité de réformer notre système par répartition, cette réforme ne sera acceptée que si elle est juste. Est-il équitable de réserver le même traitement à un salarié qui est entré à seize ans en apprentissage et à quelqu'un qui a suivi un long cursus universitaire ? Autrement dit, comment prendre en compte les carrières longues ?
Nous sommes en effet attachés au dispositif « carrières longues ». Ne pourrait-on pas, comme vous l'avez vous-même suggéré, ouvrir à ceux qui font de longues études la faculté de cotiser à ce titre pendant cette période, voire après ? On pourrait s'inspirer du mécanisme qui permet aux parlementaires de cotiser double, afin de compenser la brièveté de leur « carrière ».
Étant donné le pessimisme des scénarios du COR, où trouver des ressources supplémentaires pour nos régimes de retraite ? Quelles sont vos solutions pour réduire la pénibilité au travail ?
Ne faudrait-il pas prendre en compte un parcours professionnel d'ensemble, qui permettrait de valider périodes de formation, stages, périodes de chômage ? Le bouclier retraite que vous préconisez ne pourrait-il pas comporter aussi un montant plafond ? S'agissant de la pénibilité, ne faudrait-il pas renforcer le rôle et les missions de la médecine du travail, aujourd'hui en grande difficulté, afin d'accompagner le salarié tout au long de sa carrière, ce qui préviendrait beaucoup de difficultés ?
Je prie par avance toutes les dames ici présentes d'excuser une question qui pourrait passer à leurs yeux pour une provocation. Comment assurer une égalité de traitement entre les hommes et les femmes, alors que les femmes cotisent moins longtemps, ayant des carrières plus courtes, alors qu'elles bénéficient d'une espérance de vie plus longue ? Comment assurer l'équité du système tout en ne pénalisant pas trop nos compagnes ?
Mon attachement à l'âge de soixante ans n'est pas la défense dogmatique d'un symbole de la gauche : il s'agit simplement de laisser aux salariés la liberté de faire d'autres choix de vie. Nous y tenons aussi comme le seul moyen de prendre en compte les carrières longues. L'ajustement se fera tout seul, ceux qui y trouveront bénéfice pouvant toujours continuer à travailler au-delà de soixante ans.
En ce qui concerne le financement, pourquoi ne pas taxer plus fortement ces formes de salaires déguisés que sont l'intéressement et la participation ?
En matière de pénibilité, il convient de distinguer le curatif du préventif. Dans ce dernier domaine, il reste beaucoup à faire. On pourrait au moins imposer à certaines entreprises un guide des bonnes pratiques. S'agissant de prendre en compte l'ensemble du parcours professionnel, avec ses pics et ses creux, ne pourrait-on pas adapter les mécanismes du compte épargne-temps ?
La garantie d'un taux de remplacement pour les régimes privés de retraite doit-elle être financée par ces régimes eux-mêmes ou par une intervention de l'État ?
Je voudrais d'abord répondre à la question de M. Préel sur les droits non contributifs. À mon sens, les droits contributifs et les droits non contributifs doivent faire l'objet de modalités de financement distinctes, les cotisations patronales et salariales ne devant financer que les droits contributifs. Quant au financement des droits non contributifs, aujourd'hui pris en charge par le FSV, il doit être assis sur une autre base, qui permettrait une meilleure prise en compte des périodes de chômage ou de maladie. D'une façon générale, les droits non contributifs doivent relever de mécanismes de solidarité comme le mécanisme de compensation démographique : ce sont aujourd'hui 5,6 milliards d'euros qui sont transférés à ce titre de la CNAVTS vers d'autres régimes.
S'agissant de la prise en compte des périodes de formation, il faut au moins l'envisager pour les périodes de stage, de plus en plus nombreuses et de plus en plus longues, mais qui rapportent peu, hormis l'indemnité de stage obligatoire. Quant aux années d'études, il me semble légitime, aujourd'hui où il est possible d'intégrer dans le calcul de sa retraite des périodes d'engagement associatif ou civique, d'intégrer aussi ces périodes d'investissement intellectuel dans l'avenir. Il y a certes, monsieur Dord, la solution du rachat, qui vaut pour les années d'études et pour les trimestres de cotisation manquants. Mais, parce que cette solution est actuariellement neutre, son coût est trop élevé pour la plupart des jeunes actifs, et il ne fait que s'élever tout au long de la carrière. C'est pourquoi la solution du rachat – je le dis avec d'autant plus d'humilité que la CFE-CGC l'avait soutenue à l'époque – ne répond pas réellement au besoin. Il vaudrait mieux s'inspirer du système allemand. Quelle que soit la mesure qui sera finalement adoptée, il restera le problème des générations intermédiaires, dont les années d'études ne seront pas prises en compte.
L'école étant aujourd'hui obligatoire jusqu'à seize ans, monsieur Jeanneteau, le problème des carrières longues n'est plus aussi brûlant qu'en 2003. D'une façon plus générale, les jeunes entrent de plus en plus tard sur le marché du travail. En outre, l'apprentissage se fait désormais dans le cadre du contrat d'alternance, qui permet de poursuivre ses études jusqu'à vingt-quatre ans parfois. Au risque de ne pas vous convaincre, je vous répète qu'il ne faut pas opposer les deux types de parcours que vous avez évoqués : les deux travaillent autant, mais l'un a le droit de cotiser, l'autre non. Ce n'est pas une question de justice, mais de considération de l'apport de chacun à la société. Comment justifier qu'on tienne compte, au titre de la solidarité nationale, du chômage, de la maladie, de la maternité, et non de la formation des jeunes, alors que c'est notre richesse de demain ?
Êtes-vous favorable au maintien de la possibilité de départ anticipé à la retraite après quinze ans d'activité pour les fonctionnaires ayant élevé trois enfants ?
Tant qu'on n'a pas de lisibilité sur l'ensemble du système, il vaut mieux maintenir les avantages familiaux. Je souligne simplement la nécessité, dans la perspective des efforts à consentir, de réfléchir aux moyens de faire converger les différents régimes.
J'ai un peu de mal à comprendre vos propos sur l'absence de solidarité nationale envers ceux qui font des études longues, alors que celles-ci sont en grande partie prises en charge par l'État.
Il est vrai que les études supérieures représentent un coût pour la Nation et que ceux qui ont commencé à travailler à dix-sept ans n'ont pas bénéficié de cet investissement.
Le même raisonnement pourrait conduire à contester la prise en compte de la maladie, les périodes d'arrêt maladie étant déjà prises en compte par notre système d'assurance maladie. La retraite compense aussi en partie l'inégalité salariale entre les hommes et les femmes. Les étudiants sont la seule catégorie pour laquelle ce mécanisme de « double solidarité » semble inenvisageable. C'est un choix politique, et je le désapprouve.
N'ayant pas évalué l'intérêt de chacune des niches fiscales repérées par la Cour des comptes, monsieur Issindou, je ne peux pas vous dire si je suis favorable à une taxation renforcée de l'intéressement et de la participation. Il n'y a pas de tabou dans ce domaine : il s'agit de savoir quel est l'impact de la défiscalisation en cause. Si l'intéressement joue un grand rôle dans la signature d'accords d'entreprise, c'est précisément parce qu'il est moins taxé que le salaire. Dès lors, si la taxation devenait identique, n'assisterait-on pas à un recul de la participation et de l'intéressement. Je suis, en effet, convaincue qu'en fait les employeurs raisonnent à enveloppe constante, englobant les salaires, les cotisations sociales et l'intéressement. Ne risque-t-on donc pas d'obtenir un effet positif sur les recettes inférieur à celui que l'on espère ?
Je répète qu'il faut distinguer entre la pénibilité immédiate et la pénibilité différée. La première relève à mes yeux de la santé au travail. Quant à la pénibilité différée, mesurée par l'espérance de vie, sa prise en compte n'est pas conforme à la logique de nos régimes de retraite, même si cela parait plus juste à nos concitoyens. Vous avez raison, madame Dalloz, de distinguer le curatif du préventif. Même s'il faut compenser les dommages subis par les générations qui ont été exposées, c'est en faisant porter tous les efforts sur la prévention qu'on évitera le curatif. Or, la prévention relève en premier lieu de la responsabilité des employeurs, parce que ce sont eux qui disposent des leviers d'action, même si l'État doit les accompagner. Il est vrai qu'on peut continuer à transférer la charge de ces dommages sur la branche accidents du travail-maladies professionnelles de l'assurance maladie !
Il faut avoir conscience, par ailleurs, que la complexification des parcours professionnels rend de plus en plus difficile la prise en compte d'une pénibilité définie par métier. D'une façon plus générale, je suis favorable à l'établissement de passerelles afin de favoriser les réorientations professionnelles et le libre choix, et pas seulement pour la retraite.
Votre question relative au rôle de l'État dans le financement du bouclier retraite est très pertinente, pour ne pas dire sensible, monsieur Heinrich. On m'oppose en effet que l'État n'a pas à intervenir dans la gestion de l'AGIRC et de l'ARRCO, alors que ces régimes prennent en charge la moitié de la retraite de certains salariés. Que puis-je répondre à cela ? Tant pis pour les malheureux salariés du privé, qui n'ont pas, comme les fonctionnaires, la chance d'être employés par l'État !
Les ressources supplémentaires devront d'abord être recherchées dans une augmentation des cotisations, celles-ci devant être réservées au financement des droits contributifs, qu'il s'agisse de la CNAVTS ou de l'AGIRC-ARRCO. Les efforts devront être demandés à la fois aux salariés et aux employeurs.
Il faudra aussi transférer certaines cotisations vers les régimes de retraite.
C'était envisageable avant la crise. Désormais, cela ne pourra sans doute pas se faire avant 2020. On pourrait également envisager le transfert d'une partie de la cotisation d'assurance maladie, ce transfert devant être compensé par un élargissement de l'assiette de ce prélèvement. D'une façon générale, il faudra réfléchir à l'élargissement des assiettes de prélèvement, afin d'assurer le financement des dépenses socialisées, telle que la branche famille, une grande partie de l'assurance maladie et les droits non contributifs de la branche vieillesse.
Je vous rejoins, madame Carillon-Couvreur, en ce qui concerne la fixation d'un plancher. En effet, ce ne sont pas les catégories socioprofessionnelles supérieures que je cible, mais les classes moyennes, celles qui payent tout et ne reçoivent rien. Celles-ci ont le droit de bénéficier d'un montant plancher garanti.
Je fais partie de ceux qui demandent que l'on reconsidère le fonctionnement de la médecine du travail, afin de la cibler sur les populations exposées, qui devraient bénéficier de visites plus fréquentes et de démarches de réinsertion professionnelles.
Je vous répète qu'il faudrait élargir l'assiette des prélèvements. J'ai évoqué l'instauration d'une TVA sociale ou l'augmentation de la CSG, voire une taxation plus forte des revenus financiers même si les montants en cause restent loin du compte. Cela permettrait de transférer une partie des cotisations patronales d'assurance maladie, par exemple, vers le régime de retraite. Un point de CSG correspond à 2 points de cotisation d'assurance maladie.
L'allègement des cotisations patronales bénéficierait in fine aux salariés, qui seraient, eux, taxés par le biais de la consommation.
La Commission des affaires sociales entend M. Raphaël Hadas-Lebel, président du Conseil d'orientation des retraites, sur la réforme des retraites.
Nous avons le plaisir d'accueillir M. Raphaël Hadas-Lebel, président du Conseil d'orientation des retraites. Il était déjà venu nous présenter le septième rapport du COR sur les systèmes de retraite par points ou en comptes notionnels. Il vient aujourd'hui nous présenter le huitième rapport du COR, intitulé « Retraites : perspectives actualisées à moyen et long terme en vue du rendez-vous de 2010 », ainsi que les simulations portant sur les variantes de durée d'assurance et d'âge de la retraite qui ont été rendues publiques hier. Ces deux documents apportent une contribution au débat en cours sur la réforme des retraites.
Vous l'avez rappelé, M. Yves Guegano, secrétaire général, Mme Selma Mahfouz, secrétaire générale adjointe, et moi-même étions venus vous parler du septième rapport adopté par le COR le 27 janvier 2010. Rédigé à la demande du Parlement, en application d'un article de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, ce rapport explorait les voies d'une réforme systémique en examinant les modalités techniques de remplacement du calcul actuel des pensions personnelles par les régimes de base d'assurance vieillesse légalement obligatoires, soit par un régime par points soit par un régime en comptes notionnels. Avec le huitième rapport du COR, notre réflexion porte aujourd'hui, dans le cadre du rendez-vous sur les retraites, sur une réforme paramétrique du système actuel.
Après le 27 janvier 2010, le COR a continué ses travaux et, le 14 avril, au cours d'une réunion à laquelle participaient notamment MM. Denis Jacquat et Pascal Terrasse, nous avons adopté ce rapport. Les précédentes projections ayant été fondées sur les données de 2007, le huitième rapport actualise les perspectives de notre système de retraite à moyen et long terme en évaluant les conséquences de la crise sur son évolution, étant entendu que ces effets se conjuguent au choc démographique déjà connu.
Ce rapport aurait aussi dû intégrer, à titre illustratif, les simulations, demandées par certains membres du conseil, des effets d'éventuelles mesures portant sur la durée de cotisations ou les bornes d'âge pour la liquidation des droits. Mais, une bonne partie des organisations syndicales ont contesté le principe même de simulations fondées sur des hypothèses qu'elles estimaient inacceptables, et le choix des variantes a suscité un très vif débat. Ayant pris acte de la persistance de forts désaccords encore aggravés par des fuites dans la presse, j'ai décidé que le COR élaborerait un rapport consacré à l'évaluation des besoins de financement du système de retraite et que, un peu plus tard, le secrétariat général, sous ma responsabilité, rassemblerait les simulations demandées dans un dossier distinct du rapport. C'est ce dossier que j'ai rendu public hier soir.
Avant de vous présenter ce dossier, je traiterai des enseignements à tirer du huitième rapport.
Pour analyser les effets de la crise sur notre système de retraite, il fallait envisager différents scénarios économiques eux-mêmes fondés sur plusieurs hypothèses. Aucun élément de nouveau n'étant intervenu en matière démographique et les prochaines hypothèses de l'INSEE ne devant être publiées qu'à la fin de l'année 2010, nous avons maintenu inchangées les hypothèses retenues à ce sujet en 2007 : taux moyen de fécondité de 1,9 enfant par femme, solde migratoire positif de 100 000 personnes par an, espérance de vie à la naissance d'environ 84 ans pour les hommes et de 89 ans pour les femmes. On peut penser que le taux de fécondité augmentera très légèrement, comme l'espérance de vie, et que le solde migratoire restera stable. Le travail fait en 2007 restait donc largement valable.
En revanche, les perspectives économiques n'étaient plus les mêmes qu'en 2007. Étant donné les incertitudes persistantes sur les répercussions à long terme de la crise sur l'économie, le conseil a souhaité disposer de trois scénarios reposant sur des hypothèses différentes sur les taux de chômage et les taux de productivité horaire du travail, dont l'évolution a une incidence directe sur les cotisations qui financent les systèmes de retraite.
Trois scénarios illustratifs ont été retenus. Le scénario A, le plus favorable, est fondé sur l'hypothèse d'un taux de chômage à long terme de 4,5 % en 2020 et d'un taux de croissance annuelle de la productivité horaire du travail de 1,8 %, c'est-à-dire la tendance des bonnes années de la décennie. Le scénario B, moins favorable, est fondé sur l'hypothèse d'un taux de chômage de 4,5 % en 2024 – dix ans plus tard, donc, que ce qui avait été prévu en 2007 – et d'un taux de croissance annuelle de la productivité du travail de 1,5 %. Dans le scénario C, l'hypothèse est que le taux de chômage reste à 7 %, proche de ce qu'il était en 2008, et que le taux de croissance annuelle de la productivité du travail reste assez faible, à 1,5 %.
Ces trois scénarios alternatifs traduisent des conséquences à long terme possibles de la crise sur l'économie. Dans le scénario A, la crise n'aura été qu'une parenthèse désagréable ; dans le scénario B, ses effets pour notre économie sont plus graves ; dans le scénario C, elle aura des conséquences durables sur l'emploi et la productivité, sinon jusqu'à 2050, en tout cas assez largement au-delà de 2020. Certains, s'interrogeant sur ces projections, ont évoqué Nostradamus. Je rappelle que je ne prends aucun engagement personnel pour 2050. Je rappelle aussi que le MEDEF avait demandé au conseil de se fonder sur des hypothèses économiques encore plus noires, ce que nous avons refusé. Cela étant, je conviens que des incertitudes demeurent.
De ces différents scénarios, on peut tirer deux enseignements principaux. En premier lieu, le besoin de financement du régime des retraites dépendra de l'évolution de la croissance et du chômage. C'est ce qui nous a conduit à l'évaluer, en 2050, à 72 milliards d'euros, soit 1,7 point de PIB dans le scénario A, à 103 milliards d'euros, soit 2,6 points de PIB, dans le scénario B et à 115 milliards d'euros, soit 3 points de PIB, dans le scénario C. Logiquement, le scénario A aboutit à un besoin de financement annuel du même ordre de grandeur que ce qui ressortait des projections de 2007.
Le second enseignement, tiré du huitième rapport, est plus préoccupant. Indépendamment de ce qu'il adviendra en 2050, la crise a des conséquences immédiates : dès 2010, le besoin de financement du système de retraite est de 32 milliards d'euros, soit 1,7 point de PIB – c'est-à-dire le résultat que nous n'attendions qu'en 2050 – et de 40 milliards en 2015, soit entre 1,8 à 1,9 point de PIB.
L'abaque actualisé associé aux projections vise à illustrer la diversité des choix possibles pour assurer, à un horizon donné, l'équilibre financier du système de retraite et à fournir des ordres de grandeur des efforts nécessaires pour y parvenir. Il associe les trois leviers que sont le rapport entre la pension moyenne nette et le revenu moyen net d'activité, le niveau des ressources mises à la disposition du système de retraite et l'âge effectif moyen de départ à la retraite – qui n'est pas l'âge légal mais l'âge constaté de la cessation d'activité. On se rend compte que les conditions de l'équilibre du système de retraite en 2020 sont un peu plus difficiles à réaliser qu'elles ne l'étaient en 2007.
Je me dois de souligner que l'abaque montre quels sont les leviers à actionner, mais ne dit pas quelles sont les mesures à prendre. Certains membres du conseil nous ont demandé de faire des simulations visant à apprécier quels seraient les effets sur le financement du système de retraite de mesures portant sur la durée de cotisation ou sur le déplacement des deux bornes d'âge. C'est ce qui a conduit le secrétariat général du COR à procéder, sous ma responsabilité, aux travaux complémentaires dont je vous ai parlé. Le conseil, qui avait approuvé la disjonction entre le rapport et le dossier technique au cours de sa réunion du 14 avril, n'a pas pris position sur ces simulations.
Le dossier préparé par le secrétariat général du COR comprend, outre une synthèse des travaux, plusieurs documents. Le premier est une note de présentation générale qui décrit les leviers sur lesquels on peut agir. Le secrétariat général n'a pas pu travailler sur l'ensemble de ces leviers, à la fois parce qu'il n'est pas de sa compétence, en matière de financement, de définir la politique fiscale de l'État, parce qu'il manquait de temps et parce que cela ne lui a pas été demandé. Un deuxième document présente le résultat des simulations réalisées à partir des données transmises par la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAVTS), par le régime de la fonction publique de l'État et par l'Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO) et en fonction de possibles transferts de cotisations de l'UNEDIC, vers le système de retraite. Ces données font également l'objet de notes séparées. On retiendra qu'actionner les trois leviers évoqués peut donner lieu à des décisions différentes, sur lesquelles le COR n'est pas habilité à faire des préconisations.
Le secrétariat général du COR rappelle que les ressources mises à disposition du système de retraite sont multiples : cotisations sociales et patronales, avec un taux de prélèvement global égal à 28,8 points par rapport aux rémunérations brutes ; les impôts et taxes affectés, dont la CSG ; les contributions publiques, par le biais du budget de l'État, pour couvrir les besoins du service des pensions de l'État et pour prendre en charge les cotisations de certains régimes spéciaux. J'observe à ce propos que, pour la fonction publique d'État, les simulations reposent sur la situation en 2000, alors que l'État a réalisé depuis lors, pour couvrir les besoins, des efforts supplémentaires que l'on peut évaluer à 0,5 point de PIB et qui viennent en déduction des besoins globaux de financement des régimes de retraite. Autres ressources, les transferts d'organismes tiers, telle la prise en charge par la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) des cotisations dues au titre de l'assurance vieillesse des parents au foyer. Le dossier mentionne aussi le transfert de cotisations un moment envisagé de l'UNEDIC vers la CNAVTS ; il a fallu y renoncer en raison de la crise, mais on pourrait envisager, à nouveau, un transfert de l'ordre de 0,4 point de PIB en 2020 si, comme il découle du scénario A, le régime d'assurance chômage redevenait excédentaire à partir de 2015.
Enfin, s'agissant du Fonds de réserve pour les retraites, l'idée générale est de l'utiliser entre 2020 et 2040 pour lisser les hausses possibles de cotisations. En retenant l'hypothèse d'un taux de rendement annuel de ses actifs de 4 %, le fonds disposerait de quelque 70 milliards d'euros en 2020.
Par ailleurs, le secrétariat général du COR rappelle que, depuis 2006, l'annexe 5 au projet de loi de financement de la sécurité sociale recense les niches fiscales et sociales sur lesquelles on peut travailler. Le COR avait évoqué la question en 2007, soulignant qu'il fallait examiner la légitimité de ces dispositifs au regard des objectifs visés en matière d'épargne retraite, de participation et d'intéressement. Le COR ne dit pas de choses nouvelles sur ce sujet, car cette question n'y a pas été abordée récemment.
Le document traite ensuite du deuxième levier, le rapport entre la pension moyenne, qui augmente encore légèrement, et le revenu moyen d'activité. On souligne que le fait que les pensions soient, depuis 1993, indexées sur les prix contribue à faire baisser mécaniquement ce rapport, si les salaires augmentent plus vite que les prix. Il convient donc de parler d'une augmentation moins rapide des pensions que des salaires et non, conformément aux engagements pris par le Président de la République, d'une baisse du montant des pensions.
Le troisième levier, l'âge effectif moyen de départ à la retraite, fait l'objet du deuxième document. Nous y soulignons, à nouveau, que l'âge effectif moyen de départ à la retraite est l'âge observé de la cessation d'activité et non pas l'âge légal. Il ressort des simulations que l'application de mesures relatives aux deux bornes d'âge – âge d'ouverture des droits et âge du taux plein – n'a pas un effet rigoureusement homothétique : déplacer de 1 an le curseur, pour la durée ou pour l'âge, n'aura pas une incidence de 1 an sur les départs effectivement constatés, parce qu'il existe des assurés à qui la mesure ne s'appliquerait pas et parce que les situations sont complexes.
N'ayant pu, faute de temps, procéder à des simulations tous régimes confondus, le secrétariat général du COR s'est concentré sur la CNAVTS, le régime des fonctionnaires de l'État et l'ARRCO et il a examiné trois variantes principales. Je rappelle que les pensions versées par ces trois entités représentent actuellement près de 70 % de la masse des pensions versées par l'ensemble des régimes de retraite.
La variante 1 concerne l'augmentation progressive de la seule durée d'assurance requise pour obtenir une pension à taux plein, en prolongeant, au-delà de l'échéance prévue en 2020, du principe, posé par la réforme Fillon de 2003, d'un rapport constant entre la durée de cotisation et la durée de la retraite en fonction de l'espérance de vie à 60 ans. Selon nos simulations, la durée d'assurance requise pour bénéficier d'une pension à taux plein passerait à 41,5 ans pour la génération 1960, qui aura 60 ans en 2020, et à 43,5 ans pour la génération 1990, qui aura 60 ans en 2050. C'est uniquement après 2020 qu'une mesure de ce type produirait des effets, relativement limités jusqu'en 2030, car ils sont progressifs, mais durables. En 2050, le solde de la CNAVTS serait amélioré de 10 milliards d'euros, soit 15 % de son besoin de financement.
La variante 2 est fondée sur l'hypothèse d'un relèvement progressif, d'un trimestre par an, de 60 à 63 ans de l'âge d'ouverture du droit à la retraite et de 65 à 68 ans de l'âge du taux plein à partir de 2011. Pour être plus précis, il faut bien comprendre qu'il s'agit de mesures concernant les générations : parler de 2011, c'est parler de la génération qui aura 60 ans à cette date, donc celle qui est née en 1951. De même, la situation de 2025 concerne la génération née en 1962. Dès lors, personne n'a besoin de se presser de prendre sa retraite dans l'idée de ne pas être affecté par le recul des bornes d'âge, puisque, quelle que soit cette évolution, l'application des nouvelles mesures se fera en fonction de l'année de naissance. Si l'on reporte de la sorte de trois ans les deux âges légaux, l'effet sera logiquement beaucoup plus immédiat et les gains nettement plus importants – 17 milliards d'euros en 2030, soit 50 % du besoin de financement –, mais l'effet de ces mesures s'atténue avec le temps pour s'établir à 18 milliards d'euros en 2050, soit 27 % seulement du besoin de financement.
La variante 3, qui combine les évolutions de la durée d'assurance requise et des bornes d'âge, aboutit à un cumul des effets, la différence avec la variante 2 n'étant pas très importante.
Le secrétariat général du COR a ensuite approfondi ses travaux en procédant à des simulations complémentaires à visée illustrative, qui ne constituent en rien des pistes de réforme. Ces hypothèses beaucoup plus dures, qui ont suscité les réserves des organisations syndicales, sont des tests de sensibilité aux hypothèses d'allongement de la durée d'assurance requise, de relèvement des âges de la retraite et de combinaison des deux types d'évolution.
La variante de sensibilité 1a, s'écartant de la loi Fillon, prévoit l'augmentation de la durée de cotisation de un trimestre par an à partir de 2013 pour aboutir à 45 annuités en 2028. L'accélération du calendrier aurait pour effet d'accélérer les résultats, qui seraient déjà significatifs en 2030 et deux fois meilleurs en 2050, 31 % des besoins de financement étant ainsi couverts.
La variante de sensibilité 2b est fondée sur l'hypothèse d'une hausse des bornes d'âge d'un trimestre par an à partir de la génération 1951 jusqu'à la génération 1970. L'âge d'ouverture des droits passerait de 60 à 65 ans en 2035, l'âge du taux plein de 65 à 70 ans en 2035. Dans ce cas, les deux tiers des besoins de financement seraient couverts en 2030, mais cette proportion diminuerait ensuite pour aboutir à la moitié seulement du besoin de financement en 2050.
La variante de sensibilité 3b est la plus dure et c'est celle qui a retenu l'attention de la presse. Elle est fondée sur l'hypothèse d'une hausse de la durée de cotisation d'un trimestre par an à partir de 2013, soit 45 annuités à partir de la génération 1968, associée à la hausse des bornes d'âge d'un trimestre par an à partir de la génération 1951 jusqu'à la génération 1962 ; l'âge d'ouverture des droits passerait alors de 60 à 63 ans en 2025 et l'âge du taux plein de 65 à 68 ans en 2030. Dans ce schéma, la couverture du besoin de financement serait de 62 % en 2030.
Je tiens à rappeler, une fois encore, qu'il s'agit de simulations et non de propositions, et que le secrétariat général a tenu à distinguer variantes de base et tests de sensibilité. Que la presse n'ait pas relevé cette distinction, je n'y peux rien.
J'insiste sur le fait que les effets du déplacement des bornes d'âge portent sur des catégories de personnes différentes. Ainsi, si l'on modifie l'âge légal de départ à la retraite, cela aura surtout un effet sur les assurés qui auraient liquidé leurs droits à 60 ans, c'est-à-dire ceux qui avaient cotisé pendant un nombre de trimestres suffisant et qui ont donc des carrières longues. Aussi, quand on envisage des hypothèses de ce genre, il faut chercher s'il existe un moyen de traiter la situation spécifique de ces personnes dans l'esprit de ce qui a été fait lors de la réforme de 2003.
Le déplacement de la borne d'âge du taux plein concerne, au contraire, des assurés qui doivent attendre 65 ans pour liquider leurs droits car leur carrière a été courte et chaotique, en particulier les femmes.
C'est pourquoi nous avons élaboré une variante 2b, qui disjoint hausse de l'âge d'ouverture des droits et âge du taux plein.
Nous avons essayé de faire un travail honnête et rigoureux et nous avons travaillé en collaboration constante avec les caisses. La matière est technique, mais l'on sait que derrière les questions techniques se posent des choix politiques, car les retraites ne relèvent pas seulement de modes de financement mais d'un véritable choix de société.
S'agissant de la variante 3b, comment nous situons-nous actuellement par rapport à nos voisins ?
La France est, avec la Belgique, le seul pays ayant maintenu à 60 ans l'âge légal du départ à la retraite. En Suède, l'âge d'ouverture des droits est fixé à 61 ans, mais très peu d'assurés liquident leurs droits à cet âge car le montant de la pension dépendant de l'espérance de vie de la génération à laquelle on appartient, plus on prend sa retraite tôt plus le montant de la pension est faible. Aux États-Unis, l'âge légal d'ouverture des droits est fixé à 62 ans. En Allemagne, il est fixé à 63 ans, avec 35 annuités. En Espagne, l'âge légal est de 65 ans, mais une réforme est en préparation. Au Royaume-Uni, le Pension Act prévoit de le faire passer de 65 à 68 ans. En Italie, on relèvera progressivement l'âge légal, qui était originellement de 57 ans, à 61 ans en 2013, avec 35 ans de cotisation.
En Allemagne, l'âge du taux plein, qui est de 65 ans, va être porté à 67 ans en 2029. Il en ira de même en Espagne et aux Pays-Bas.
Je n'ai pas les éléments en tête pour ces deux pays. En Grèce, l'âge est 67 ans, mais je ne sais plus s'il s'agit de l'âge légal ou de l'âge du taux plein.
La variante 3b fait apparaître un taux de couverture du besoin de financement de 53 % en 2020, un pic de 62 % en 2030, puis 56 % en 2040 et 53 % en 2050.
Je vous remercie d'avoir précisé que ces travaux ne sont pas le fruit d'une « lubie » du conseil mais qu'ils ont été réalisés à la demande de certains de ses membres et non par le Gouvernement ; ce sont eux qui ont, par exemple, demandé que l'on retienne l'hypothèse d'un taux de chômage de 4,5 %. Quant à accuser le COR de jouer les Nostradamus, c'est vouloir ignorer qu'une personne qui ne travaille pas aujourd'hui, 12 mai 2010, et qui, de ce fait, ne cotise pas pour sa retraite, ne percevra pas une retraite à taux plein en 2050. Il est donc logique de faire des projections à cet horizon, comme on en avait fait à l'horizon 2040 au moment de la réforme de 2003.
Pour en revenir à l'Allemagne, l'ancien ministre des affaires sociales, M. Riester, a introduit un système subventionné d'épargne-retraite complémentaire par capitalisation. À ce jour, ce dispositif a séduit 13 millions de personnes.
Je vous remercie, monsieur Hadas-Lebel, pour le travail effectué. Nous disposons à présent d'un rapport, d'autre part d'hypothèses et de scénarios multiples. À nous de prendre nos responsabilités.
Je vous remercie pour toutes ces indications, qui nous invitent à beaucoup d'humilité car, en 2003, nous avions la certitude d'avoir réglé le problème des retraites. Pour autant, ce que vous nous avez exposé correspond à des calculs faits à un instant donné. Tout dépendant de la croissance et du taux d'emploi, nous avons bien du mal à maîtriser les perspectives. Chacun comprend aisément que plus on allonge la durée de cotisation et plus on retarde l'âge légal de départ en retraite plus la situation s'améliore.
Cela étant, on parle assez peu des cotisations. Pourtant, les augmenter contribuerait aussi à améliorer la situation, et ne pas jouer sur ce paramètre conduit à ne faire varier que l'âge de départ en retraite – compte-t-on le repousser jusqu'à 75 ans ? Ce n'est pas de bon augure. Si l'on veut sauver le système par répartition, il faudra consentir des efforts financiers. Une politique courageuse est nécessaire, qui doit conduire à l'affirmer.
Une part de l'effort doit incomber aux entreprises. Le Medef y est absolument rétif, arguant, comme toujours, de la préservation de la compétitivité. On peut entendre cet argument, mais dans certaines limites ! Les Français peuvent entendre qu'un point de CSG représente 11 milliards d'euros. L'effort nécessaire est considérable, mais il n'est pas insurmontable. Pour avoir une meilleure visibilité de ce que sera leur pension de retraite, pour avoir la garantie d'un niveau de pension acceptable, nos concitoyens sont prêts à un effort partagé, en particulier en épargnant.
Il serait possible de transférer à l'assurance vieillesse un demi-point des cotisations affectées à l'UNEDIC en revoyant la gestion du chômage des cadres, dont l'indemnisation, en France, est d'une générosité incomparable avec ce qu'elle est à l'étranger – au maximum 1,8 fois l'équivalent du SMIC contre 5 SMIC en France. L'effet d'aubaine est d'autant plus net que le principe de la négociation du départ à l'amiable a été adopté. Sur ce point précis, peut-être ne faudrait-il pas attendre 2015.
M. Hadas-Lebel a souligné que les hypothèses exposées ne sont pas des propositions. S'il était évident que, dès lors que ces hypothèses existaient, la presse allait les commenter, ce qui est incorrect, c'est d'entendre des politiques dire : « le COR propose que », alors que nul n'ignore la diversité de sa composition. Le COR dresse des constats et fait des hypothèses de travail en envisageant toutes les possibilités. À cet égard, pourquoi n'a-t-on pas réfléchi davantage à ce que représentent les exonérations de cotisations patronales, dont la Cour des comptes, sous l'autorité du regretté Philippe Séguin, avait noté que, ne créant pas d'emplois, elles n'ont qu'un effet d'aubaine ? Ces exonérations multiformes portent notamment sur les bas salaires et elles valent indifféremment pour les grands groupes et pour les très petites entreprises. Il est facile de dire que la suppression de ces dispositifs gênerait les entreprises, mais lesquelles ? Il faudrait examiner tout cela.
Nous sommes favorables au maintien de la solidarité nationale voulue par le Conseil national de la Résistance et pour cela à la contribution des salariés et des entreprises au financement des retraites. Mais s'il s'agit d'augmenter les cotisations, que l'on commence par rétablir l'équilibre des contributions entre salariés et employeurs ; cela financerait judicieusement le système des retraites.
J'ai noté avec intérêt que, pour la première fois, le Président de la République, lors du sommet social, a dit que, pour financer les retraites, chacun devrait faire un effort financier supplémentaire, hauts revenus et revenus du capital compris. La CSG frappe 95 % des salaires et des pensions de retraite, mais pas les revenus du capital. Ne faut-il pas creuser de ce côté-là aussi ? Or, rien n'a été dit à ce sujet, sans doute parce que cela n'a pas été demandé. Je le regrette, car toutes les pistes doivent être explorées.
Le COR joue un rôle pédagogique utile et j'espère que ces documents nous aideront à faire passer des mesures indispensables. Vous semblez redouter que vos conclusions ne donnent prise à la critique ; il n'y a pas lieu de la craindre, puisqu'elles sont objectives.
Notre objectif est de sauvegarder le système de retraite et de rassurer les jeunes en garantissant un taux de remplacement satisfaisant et l'équilibre financier. Le taux de chômage de 4,5 % retenu me paraît un peu optimiste, mais l'espoir est permis. Le Parlement devra jouer sur les trois leviers. Aussi, pouvez-vous nous dire clairement comment les combiner pour maintenir le taux de remplacement et restaurer l'équilibre financier en 2020 ?
Je souhaite revenir sur les paramètres qui fondent vos analyses. Le taux de fécondité a varié – à la hausse – depuis 2003, et l'on peut peut-être parier sur une légère hausse d'ici 2050. D'autre part, vous tablez sur la stabilité du solde migratoire, mais il y a débat sur ce point, car certains secteurs en tension ont besoin d'une main d'oeuvre extérieure. Par ailleurs, comment le PIB 2050 a-t-il été calculé dans vos projections ?
C'est le PIB estimé pour 2050, en euros valeur 2008.
Enfin, avez-vous tenu compte des sommes qui seront disponibles dans le Fonds de réserve pour les retraites entre 2020 et 2040 pour apprécier le besoin de financement en 2050 ?
Si une mesure nouvelle est prise, s'appliquera-t-elle, par exemple, à l'infirmière qui a actuellement treize ans d'activité et qui a eu trois enfants, alors qu'elle pensait ainsi pouvoir liquider ses droits à retraite après quinze ans de carrière ?
La réforme doit être globale et elle doit aussi être l'occasion de réparer certaines injustices graves. Ainsi, des agriculteurs de La Réunion, en raison du mode de calcul actuel des pensions de retraite, perçoivent à ce titre un montant mensuel moyen d'environ 365 euros, alors que le seuil de pauvreté est d'un peu plus de 800 euros, et leur âge moyen de départ à la retraite de 62,7 ans.
Soit, mais le revenu cumulé des ménages demeure très bas. Et encore ne dis-je rien de la pénibilité de la culture de la canne à sucre. Je présume que d'autres catégories de salariés que les agriculteurs réunionnais se trouvent dans des situations similaires. Le COR pourrait-il envisager des simulations dont l'une des hypothèses serait l'alignement, à tout le moins, de ces pensions sur le seuil de pauvreté ?
L'hypothèse d'un taux de chômage de 4,5 % me paraît très ambitieuse. Est-elle fondée, pour une part importante, sur la prise en compte d'un effet démographique mécanique – moins de gens arrivant sur le marché du travail que de seniors prenant leur retraite ? S'il en est ainsi, l'estimation est moins inatteignable qu'on peut le penser.
À M. Jacquat, je dirai que les critiques dont le COR a fait l'objet sont peu nombreuses. Les membres du COR, quelles que soient leurs opinions, sont attachés aux travaux du conseil. Il n'y a jamais eu d'attaques véritables, mais des divergences d'interprétation. Les chiffres contenus dans le huitième rapport n'ont pas été contestés par les grandes centrales syndicales, et je rends hommage à la manière dont elles ont présenté ces travaux. Je ne sais pas ce qu'il en sera du dossier technique rendu public hier mais à ce jour je n'ai pas eu à défendre la légitimité des travaux du conseil.
Monsieur Issindou, nous aurions pu, si on nous l'avait demandé, simuler l'effet de la modification de telle ou telle cotisation. En revanche, le COR n'a pas compétence et n'est pas équipé pour faire des simulations relatives à la politique fiscale. Cependant, et pour répondre aussi à M. Gremetz, la note de présentation générale qui figure dans le dossier technique comporte tout un chapitre relatif au problème des ressources. On y expose la liste des leviers sur lesquels agir et les travaux réalisés par diverses instances, et on rappelle les prises de position du COR sur l'assiette des cotisations en matière de retraite, le fait qu'une annexe de la loi de financement de la sécurité sociale recense les niches fiscales et sociales, et aussi les observations de la Cour des comptes dans son rapport de 2007 sur la sécurité sociale. Autant dire que nous n'ignorons pas le levier des ressources, que nous avons mentionné pour que l'on ne se focalise pas sur un seul levier, mais nous ne pouvons pas faire de propositions en la matière – d'autant qu'il n'y aurait peut-être pas d'accord à ce sujet au sein du conseil et nous sommes mal équipés pour parler des recettes. En revanche, nous pouvons faire des simulations portant sur les cotisations et M. Gremetz, membre du COR, aurait pu demander la réalisation de simulations ; le conseil en aurait débattu. Ainsi, Force ouvrière nous avait demandé de simuler la charge supplémentaire que représenterait l'indexation des pensions de retraite au-delà des prix ; nous l'avons fait et cela figure dans le dossier.
J'avais suggéré une simulation sur les cotisations avant que vous ne preniez la présidence du COR. J'aurais dû réitérer ma proposition.
Monsieur Préel, je ne redoute pas l'interprétation de nos travaux. Nous avons mis sur la place publique des faits rassemblés avec honnêteté tout en prenant grand soin de souligner les limites et les faiblesses de notre méthode, en insistant sur le fait qu'en un mois et demi, nous n'avons pu couvrir le spectre complet des régimes d'assurance vieillesse ni procéder à un rebouclage macro-économique – par exemple, nous n'avons pas étudié les conséquences que le déplacement des bornes d'âge peut avoir sur les systèmes d'assurance contre l'invalidité ou d'indemnisation du chômage. Nous avons donc dit quelles sont les limites de nos travaux mais, cela étant, ils sont absolument fiables.
En vous reportant à la page 35 du huitième rapport, vous trouverez l'abaque relatif à l'horizon 2020 dans le scénario A. Il permet d'apprécier les conséquences du jeu des trois paramètres. Le point A représentant les conditions de l'équilibre des systèmes de retraite en 2020, dont on voit qu'il suppose une hausse du taux de prélèvement de 3,8 points, un recul de l'âge moyen effectif de départ d'un an et une baisse d'environ 6 % du rapport entre la pension moyenne nette et le revenu moyen net d'activité. Si, pour parvenir à l'équilibre, on souhaite jouer davantage sur l'augmentation des cotisations, on regardera le point C, et le point E si l'on souhaite jouer sur l'âge effectif moyen de départ à la retraite. L'outil est fiable et même si le calcul n'est pas garanti à la centaine de milliers d'euros près, il donne des ordres de grandeur intéressants.
Je ne suis pas sûr, monsieur Juanico, que le taux de fécondité atteindra 2 enfants par femme ; en tout cas, il n'ira pas au-delà. Quant au solde migratoire, il est subordonné à une immigration économique. Le schéma n'est pas le même selon qu'il s'agisse d'immigrants qui viennent pour travailler et donc cotiser ou s'il s'agit de familles qui ne travaillent pas et qui pèsent sur les régimes sociaux. Le fonds de réserve pour les retraites disposera d'environ 70 milliards en 2020, à moins qu'il ait été abondé d'ici-là par des ressources supplémentaires. La question principale est de savoir à quoi on le destine et sur ce point aucune véritable décision n'est prise. L'institution perdure…
C'est que ses actifs n'étant pas comptabilisés par la Commission européenne comme couvrant une partie de la dette publique, on a trouvé moins d'avantages à l'alimenter. Ces ressources existent, mais nous ne les avons pas prises en compte dans nos projections : ce sera un moyen parmi d'autres de couvrir le besoin de financement.
Pour l'infirmière comme pour les autres, ce qui compte, monsieur le Président, c'est la génération à laquelle elle appartient. L'infirmière ne peut arguer de ce qu'elle a eu un troisième enfant pour se constituer un avantage de retraite et que l'on ne saurait revenir sur ce droit acquis. La notion de droits acquis est difficile à interpréter ; jusqu'à présent, le seul droit acquis est celui de la pension effectivement liquidée.
Monsieur Lebreton, je ne connais pas le cas particulier des agriculteurs de La Réunion, mais j'ai le sentiment qu'il existe, en faveur de ceux qui par leurs cotisations n'ont pas atteint un montant suffisant de pension de retraite, des mécanismes spécifiques comme le minimum contributif et le minimum vieillesse.
La récupération sur succession concerne l'aide sociale, et certains départements ont instauré une franchise de 80 000 à 100 000 euros, sauf si les enfants ont des revenus élevés.
Monsieur Dord, la démographie a des effets de long terme. L'hypothèse d'un taux de chômage de 4,5 % a été reprise, parce que nous voulions un premier scénario comparable à l'un de ceux qui étaient envisagés dans les projections faites en 2007 avant la crise. Mais, la différence est qu'on atteint ce taux de 4,5 % seulement en 2024 et non plus en 2015 comme dans les projections précédentes.
Aucune étude ne montre un lien entre le niveau du taux de chômage et l'évolution démographique. Il peut y avoir un effet de court terme – s'il y a beaucoup de départs en retraite, cela offre des emplois aux plus jeunes – mais ce qui joue à long terme c'est surtout l'augmentation de la population active.
Autrement dit, le retour à au plein emploi en 2024 suppose le retour à une croissance qui s'est trouvée dégradée, dans l'idée que la parenthèse de la crise se referme – mais nous ne savons si elle se refermera, ni quand.
La séance est levée à douze heures cinquante-cinq.