Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Raphaël Hadas-Lebel

Réunion du 12 mai 2010 à 9h30
Commission des affaires sociales

Raphaël Hadas-Lebel, président du Conseil d'orientation des retraites :

Vous l'avez rappelé, M. Yves Guegano, secrétaire général, Mme Selma Mahfouz, secrétaire générale adjointe, et moi-même étions venus vous parler du septième rapport adopté par le COR le 27 janvier 2010. Rédigé à la demande du Parlement, en application d'un article de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, ce rapport explorait les voies d'une réforme systémique en examinant les modalités techniques de remplacement du calcul actuel des pensions personnelles par les régimes de base d'assurance vieillesse légalement obligatoires, soit par un régime par points soit par un régime en comptes notionnels. Avec le huitième rapport du COR, notre réflexion porte aujourd'hui, dans le cadre du rendez-vous sur les retraites, sur une réforme paramétrique du système actuel.

Après le 27 janvier 2010, le COR a continué ses travaux et, le 14 avril, au cours d'une réunion à laquelle participaient notamment MM. Denis Jacquat et Pascal Terrasse, nous avons adopté ce rapport. Les précédentes projections ayant été fondées sur les données de 2007, le huitième rapport actualise les perspectives de notre système de retraite à moyen et long terme en évaluant les conséquences de la crise sur son évolution, étant entendu que ces effets se conjuguent au choc démographique déjà connu.

Ce rapport aurait aussi dû intégrer, à titre illustratif, les simulations, demandées par certains membres du conseil, des effets d'éventuelles mesures portant sur la durée de cotisations ou les bornes d'âge pour la liquidation des droits. Mais, une bonne partie des organisations syndicales ont contesté le principe même de simulations fondées sur des hypothèses qu'elles estimaient inacceptables, et le choix des variantes a suscité un très vif débat. Ayant pris acte de la persistance de forts désaccords encore aggravés par des fuites dans la presse, j'ai décidé que le COR élaborerait un rapport consacré à l'évaluation des besoins de financement du système de retraite et que, un peu plus tard, le secrétariat général, sous ma responsabilité, rassemblerait les simulations demandées dans un dossier distinct du rapport. C'est ce dossier que j'ai rendu public hier soir.

Avant de vous présenter ce dossier, je traiterai des enseignements à tirer du huitième rapport.

Pour analyser les effets de la crise sur notre système de retraite, il fallait envisager différents scénarios économiques eux-mêmes fondés sur plusieurs hypothèses. Aucun élément de nouveau n'étant intervenu en matière démographique et les prochaines hypothèses de l'INSEE ne devant être publiées qu'à la fin de l'année 2010, nous avons maintenu inchangées les hypothèses retenues à ce sujet en 2007 : taux moyen de fécondité de 1,9 enfant par femme, solde migratoire positif de 100 000 personnes par an, espérance de vie à la naissance d'environ 84 ans pour les hommes et de 89 ans pour les femmes. On peut penser que le taux de fécondité augmentera très légèrement, comme l'espérance de vie, et que le solde migratoire restera stable. Le travail fait en 2007 restait donc largement valable.

En revanche, les perspectives économiques n'étaient plus les mêmes qu'en 2007. Étant donné les incertitudes persistantes sur les répercussions à long terme de la crise sur l'économie, le conseil a souhaité disposer de trois scénarios reposant sur des hypothèses différentes sur les taux de chômage et les taux de productivité horaire du travail, dont l'évolution a une incidence directe sur les cotisations qui financent les systèmes de retraite.

Trois scénarios illustratifs ont été retenus. Le scénario A, le plus favorable, est fondé sur l'hypothèse d'un taux de chômage à long terme de 4,5 % en 2020 et d'un taux de croissance annuelle de la productivité horaire du travail de 1,8 %, c'est-à-dire la tendance des bonnes années de la décennie. Le scénario B, moins favorable, est fondé sur l'hypothèse d'un taux de chômage de 4,5 % en 2024 – dix ans plus tard, donc, que ce qui avait été prévu en 2007 – et d'un taux de croissance annuelle de la productivité du travail de 1,5 %. Dans le scénario C, l'hypothèse est que le taux de chômage reste à 7 %, proche de ce qu'il était en 2008, et que le taux de croissance annuelle de la productivité du travail reste assez faible, à 1,5 %.

Ces trois scénarios alternatifs traduisent des conséquences à long terme possibles de la crise sur l'économie. Dans le scénario A, la crise n'aura été qu'une parenthèse désagréable ; dans le scénario B, ses effets pour notre économie sont plus graves ; dans le scénario C, elle aura des conséquences durables sur l'emploi et la productivité, sinon jusqu'à 2050, en tout cas assez largement au-delà de 2020. Certains, s'interrogeant sur ces projections, ont évoqué Nostradamus. Je rappelle que je ne prends aucun engagement personnel pour 2050. Je rappelle aussi que le MEDEF avait demandé au conseil de se fonder sur des hypothèses économiques encore plus noires, ce que nous avons refusé. Cela étant, je conviens que des incertitudes demeurent.

De ces différents scénarios, on peut tirer deux enseignements principaux. En premier lieu, le besoin de financement du régime des retraites dépendra de l'évolution de la croissance et du chômage. C'est ce qui nous a conduit à l'évaluer, en 2050, à 72 milliards d'euros, soit 1,7 point de PIB dans le scénario A, à 103 milliards d'euros, soit 2,6 points de PIB, dans le scénario B et à 115 milliards d'euros, soit 3 points de PIB, dans le scénario C. Logiquement, le scénario A aboutit à un besoin de financement annuel du même ordre de grandeur que ce qui ressortait des projections de 2007.

Le second enseignement, tiré du huitième rapport, est plus préoccupant. Indépendamment de ce qu'il adviendra en 2050, la crise a des conséquences immédiates : dès 2010, le besoin de financement du système de retraite est de 32 milliards d'euros, soit 1,7 point de PIB – c'est-à-dire le résultat que nous n'attendions qu'en 2050 – et de 40 milliards en 2015, soit entre 1,8 à 1,9 point de PIB.

L'abaque actualisé associé aux projections vise à illustrer la diversité des choix possibles pour assurer, à un horizon donné, l'équilibre financier du système de retraite et à fournir des ordres de grandeur des efforts nécessaires pour y parvenir. Il associe les trois leviers que sont le rapport entre la pension moyenne nette et le revenu moyen net d'activité, le niveau des ressources mises à la disposition du système de retraite et l'âge effectif moyen de départ à la retraite – qui n'est pas l'âge légal mais l'âge constaté de la cessation d'activité. On se rend compte que les conditions de l'équilibre du système de retraite en 2020 sont un peu plus difficiles à réaliser qu'elles ne l'étaient en 2007.

Je me dois de souligner que l'abaque montre quels sont les leviers à actionner, mais ne dit pas quelles sont les mesures à prendre. Certains membres du conseil nous ont demandé de faire des simulations visant à apprécier quels seraient les effets sur le financement du système de retraite de mesures portant sur la durée de cotisation ou sur le déplacement des deux bornes d'âge. C'est ce qui a conduit le secrétariat général du COR à procéder, sous ma responsabilité, aux travaux complémentaires dont je vous ai parlé. Le conseil, qui avait approuvé la disjonction entre le rapport et le dossier technique au cours de sa réunion du 14 avril, n'a pas pris position sur ces simulations.

Le dossier préparé par le secrétariat général du COR comprend, outre une synthèse des travaux, plusieurs documents. Le premier est une note de présentation générale qui décrit les leviers sur lesquels on peut agir. Le secrétariat général n'a pas pu travailler sur l'ensemble de ces leviers, à la fois parce qu'il n'est pas de sa compétence, en matière de financement, de définir la politique fiscale de l'État, parce qu'il manquait de temps et parce que cela ne lui a pas été demandé. Un deuxième document présente le résultat des simulations réalisées à partir des données transmises par la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAVTS), par le régime de la fonction publique de l'État et par l'Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO) et en fonction de possibles transferts de cotisations de l'UNEDIC, vers le système de retraite. Ces données font également l'objet de notes séparées. On retiendra qu'actionner les trois leviers évoqués peut donner lieu à des décisions différentes, sur lesquelles le COR n'est pas habilité à faire des préconisations.

Le secrétariat général du COR rappelle que les ressources mises à disposition du système de retraite sont multiples : cotisations sociales et patronales, avec un taux de prélèvement global égal à 28,8 points par rapport aux rémunérations brutes ; les impôts et taxes affectés, dont la CSG ; les contributions publiques, par le biais du budget de l'État, pour couvrir les besoins du service des pensions de l'État et pour prendre en charge les cotisations de certains régimes spéciaux. J'observe à ce propos que, pour la fonction publique d'État, les simulations reposent sur la situation en 2000, alors que l'État a réalisé depuis lors, pour couvrir les besoins, des efforts supplémentaires que l'on peut évaluer à 0,5 point de PIB et qui viennent en déduction des besoins globaux de financement des régimes de retraite. Autres ressources, les transferts d'organismes tiers, telle la prise en charge par la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) des cotisations dues au titre de l'assurance vieillesse des parents au foyer. Le dossier mentionne aussi le transfert de cotisations un moment envisagé de l'UNEDIC vers la CNAVTS ; il a fallu y renoncer en raison de la crise, mais on pourrait envisager, à nouveau, un transfert de l'ordre de 0,4 point de PIB en 2020 si, comme il découle du scénario A, le régime d'assurance chômage redevenait excédentaire à partir de 2015.

Enfin, s'agissant du Fonds de réserve pour les retraites, l'idée générale est de l'utiliser entre 2020 et 2040 pour lisser les hausses possibles de cotisations. En retenant l'hypothèse d'un taux de rendement annuel de ses actifs de 4 %, le fonds disposerait de quelque 70 milliards d'euros en 2020.

Par ailleurs, le secrétariat général du COR rappelle que, depuis 2006, l'annexe 5 au projet de loi de financement de la sécurité sociale recense les niches fiscales et sociales sur lesquelles on peut travailler. Le COR avait évoqué la question en 2007, soulignant qu'il fallait examiner la légitimité de ces dispositifs au regard des objectifs visés en matière d'épargne retraite, de participation et d'intéressement. Le COR ne dit pas de choses nouvelles sur ce sujet, car cette question n'y a pas été abordée récemment.

Le document traite ensuite du deuxième levier, le rapport entre la pension moyenne, qui augmente encore légèrement, et le revenu moyen d'activité. On souligne que le fait que les pensions soient, depuis 1993, indexées sur les prix contribue à faire baisser mécaniquement ce rapport, si les salaires augmentent plus vite que les prix. Il convient donc de parler d'une augmentation moins rapide des pensions que des salaires et non, conformément aux engagements pris par le Président de la République, d'une baisse du montant des pensions.

Le troisième levier, l'âge effectif moyen de départ à la retraite, fait l'objet du deuxième document. Nous y soulignons, à nouveau, que l'âge effectif moyen de départ à la retraite est l'âge observé de la cessation d'activité et non pas l'âge légal. Il ressort des simulations que l'application de mesures relatives aux deux bornes d'âge – âge d'ouverture des droits et âge du taux plein – n'a pas un effet rigoureusement homothétique : déplacer de 1 an le curseur, pour la durée ou pour l'âge, n'aura pas une incidence de 1 an sur les départs effectivement constatés, parce qu'il existe des assurés à qui la mesure ne s'appliquerait pas et parce que les situations sont complexes.

N'ayant pu, faute de temps, procéder à des simulations tous régimes confondus, le secrétariat général du COR s'est concentré sur la CNAVTS, le régime des fonctionnaires de l'État et l'ARRCO et il a examiné trois variantes principales. Je rappelle que les pensions versées par ces trois entités représentent actuellement près de 70 % de la masse des pensions versées par l'ensemble des régimes de retraite.

La variante 1 concerne l'augmentation progressive de la seule durée d'assurance requise pour obtenir une pension à taux plein, en prolongeant, au-delà de l'échéance prévue en 2020, du principe, posé par la réforme Fillon de 2003, d'un rapport constant entre la durée de cotisation et la durée de la retraite en fonction de l'espérance de vie à 60 ans. Selon nos simulations, la durée d'assurance requise pour bénéficier d'une pension à taux plein passerait à 41,5 ans pour la génération 1960, qui aura 60 ans en 2020, et à 43,5 ans pour la génération 1990, qui aura 60 ans en 2050. C'est uniquement après 2020 qu'une mesure de ce type produirait des effets, relativement limités jusqu'en 2030, car ils sont progressifs, mais durables. En 2050, le solde de la CNAVTS serait amélioré de 10 milliards d'euros, soit 15 % de son besoin de financement.

La variante 2 est fondée sur l'hypothèse d'un relèvement progressif, d'un trimestre par an, de 60 à 63 ans de l'âge d'ouverture du droit à la retraite et de 65 à 68 ans de l'âge du taux plein à partir de 2011. Pour être plus précis, il faut bien comprendre qu'il s'agit de mesures concernant les générations : parler de 2011, c'est parler de la génération qui aura 60 ans à cette date, donc celle qui est née en 1951. De même, la situation de 2025 concerne la génération née en 1962. Dès lors, personne n'a besoin de se presser de prendre sa retraite dans l'idée de ne pas être affecté par le recul des bornes d'âge, puisque, quelle que soit cette évolution, l'application des nouvelles mesures se fera en fonction de l'année de naissance. Si l'on reporte de la sorte de trois ans les deux âges légaux, l'effet sera logiquement beaucoup plus immédiat et les gains nettement plus importants – 17 milliards d'euros en 2030, soit 50 % du besoin de financement –, mais l'effet de ces mesures s'atténue avec le temps pour s'établir à 18 milliards d'euros en 2050, soit 27 % seulement du besoin de financement.

La variante 3, qui combine les évolutions de la durée d'assurance requise et des bornes d'âge, aboutit à un cumul des effets, la différence avec la variante 2 n'étant pas très importante.

Le secrétariat général du COR a ensuite approfondi ses travaux en procédant à des simulations complémentaires à visée illustrative, qui ne constituent en rien des pistes de réforme. Ces hypothèses beaucoup plus dures, qui ont suscité les réserves des organisations syndicales, sont des tests de sensibilité aux hypothèses d'allongement de la durée d'assurance requise, de relèvement des âges de la retraite et de combinaison des deux types d'évolution.

La variante de sensibilité 1a, s'écartant de la loi Fillon, prévoit l'augmentation de la durée de cotisation de un trimestre par an à partir de 2013 pour aboutir à 45 annuités en 2028. L'accélération du calendrier aurait pour effet d'accélérer les résultats, qui seraient déjà significatifs en 2030 et deux fois meilleurs en 2050, 31 % des besoins de financement étant ainsi couverts.

La variante de sensibilité 2b est fondée sur l'hypothèse d'une hausse des bornes d'âge d'un trimestre par an à partir de la génération 1951 jusqu'à la génération 1970. L'âge d'ouverture des droits passerait de 60 à 65 ans en 2035, l'âge du taux plein de 65 à 70 ans en 2035. Dans ce cas, les deux tiers des besoins de financement seraient couverts en 2030, mais cette proportion diminuerait ensuite pour aboutir à la moitié seulement du besoin de financement en 2050.

La variante de sensibilité 3b est la plus dure et c'est celle qui a retenu l'attention de la presse. Elle est fondée sur l'hypothèse d'une hausse de la durée de cotisation d'un trimestre par an à partir de 2013, soit 45 annuités à partir de la génération 1968, associée à la hausse des bornes d'âge d'un trimestre par an à partir de la génération 1951 jusqu'à la génération 1962 ; l'âge d'ouverture des droits passerait alors de 60 à 63 ans en 2025 et l'âge du taux plein de 65 à 68 ans en 2030. Dans ce schéma, la couverture du besoin de financement serait de 62 % en 2030.

Je tiens à rappeler, une fois encore, qu'il s'agit de simulations et non de propositions, et que le secrétariat général a tenu à distinguer variantes de base et tests de sensibilité. Que la presse n'ait pas relevé cette distinction, je n'y peux rien.

J'insiste sur le fait que les effets du déplacement des bornes d'âge portent sur des catégories de personnes différentes. Ainsi, si l'on modifie l'âge légal de départ à la retraite, cela aura surtout un effet sur les assurés qui auraient liquidé leurs droits à 60 ans, c'est-à-dire ceux qui avaient cotisé pendant un nombre de trimestres suffisant et qui ont donc des carrières longues. Aussi, quand on envisage des hypothèses de ce genre, il faut chercher s'il existe un moyen de traiter la situation spécifique de ces personnes dans l'esprit de ce qui a été fait lors de la réforme de 2003.

Le déplacement de la borne d'âge du taux plein concerne, au contraire, des assurés qui doivent attendre 65 ans pour liquider leurs droits car leur carrière a été courte et chaotique, en particulier les femmes.

C'est pourquoi nous avons élaboré une variante 2b, qui disjoint hausse de l'âge d'ouverture des droits et âge du taux plein.

Nous avons essayé de faire un travail honnête et rigoureux et nous avons travaillé en collaboration constante avec les caisses. La matière est technique, mais l'on sait que derrière les questions techniques se posent des choix politiques, car les retraites ne relèvent pas seulement de modes de financement mais d'un véritable choix de société.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion