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Intervention de Danièle Karniewicz

Réunion du 12 mai 2010 à 9h30
Commission des affaires sociales

Danièle Karniewicz, secrétaire générale de la CFE-CGC :

Le constat nous est commun à tous : celui d'un important déficit cumulé. En dépit de la reprise de la dette par la Caisse d'amortissement de dette sociale (CADES) en 2008, le déficit cumulé depuis 2005 du régime de base, géré par la CNAVTS, est de 17,9 milliards d'euros ; il devrait s'accroître de 8 milliards cette année et s'aggraver au rythme de 10 milliards d'euros par an les années suivantes. Le déficit de la plupart des régimes de retraite devrait connaître une aggravation similaire, notamment celui de l'Association générale des institutions de retraite des cadres, l'AGIRC, et de l'Association pour le régime de retraite complémentaire, l'ARRCO. Aujourd'hui, ces caisses doivent prélever sur leurs réserves pour financer les retraites.

Pour ma confédération, un tel déficit n'est plus tenable. Il pose une question majeure bien qu'insuffisamment débattue : celle du niveau des pensions, qu'il faut distinguer du niveau de vie. Je parle là du revenu de remplacement, le taux de remplacement étant le rapport entre la première pension de retraite et le dernier salaire d'activité. En valeur relative, celui-ci ne cesse de baisser pour les salariés du privé. C'est là un point fondamental du débat autour des retraites. En effet, à la différence de ceux relevant d'autres régimes, les salariés du privé n'ont aucune lisibilité sur le taux de remplacement. Le taux de 72 % que l'on affiche est un taux moyen, qui n'a rien à voir avec les taux effectifs. Si l'État garantit un taux de remplacement net de 85 % aux salariés ayant travaillé à temps complet et justifiant d'une carrière complète entièrement cotisée au SMIC, les autres ne savent pas aujourd'hui quel sera le montant de leur retraite. C'est là un point crucial, car si rien n'est fait ou si les décisions prises sont insuffisantes, le niveau des pensions constituera automatiquement la seule variable d'ajustement, au détriment des salariés les plus jeunes. Si l'on veut que ceux-ci retrouvent confiance dans notre système de retraite, le rendez-vous de 2010 doit être l'occasion de poser la question de la lisibilité du niveau des pensions.

C'est avec cet objectif de lisibilité que nous préconisons l'instauration d'un « bouclier retraite ». Nous ne demandons pas un taux de remplacement garanti de 70 ou 75 % pour tous, tel qu'il existe dans d'autres régimes, mais un niveau de pension minimal pour chacun. Il s'agit de mettre fin à la dégradation du montant des retraites et de donner à l'ensemble des Français, qui contribuent au système de retraite durant toute leur vie professionnelle, l'assurance que le rendement de leurs cotisations ne baissera pas en deçà d'un certain niveau, qui reste à définir. Aujourd'hui, certains bénéficient d'un taux de remplacement de 50 % seulement, et demain certains partiront avec un taux de 40 %, voire de 30 %. La garantie d'un niveau de pension minimal serait un moyen de redonner confiance, notamment aux plus jeunes, dans notre système de retraite.

L'instauration d'une telle garantie suppose de consentir des efforts importants. À système constant – imaginer d'autres systèmes permet surtout de ne pas affronter la réalité –, assurer le financement de notre système de retraite suppose que l'on joue sur l'un de ces trois leviers : la durée d'assurance, le montant des cotisations ou des ressources affectées aux régimes de retraite, ou le niveau des pensions. Notre objectif étant de préserver, voire d'améliorer le niveau des pensions, il reste les deux premières variables d'ajustement : le niveau des ressources affectées au système de retraite, qui représentent actuellement treize points de PIB et dont ma confédération juge qu'elles devront être augmentées, et la durée de cotisation, elle-même dépendant de l'âge légal de départ à la retraite et du nombre d'annuités requises. Or, des mesures telles que le recul de l'âge de départ ou l'accroissement du nombre d'annuités ne devant produire leurs effets qu'après 2020, elles ne combleront pas les déficits actuels des caisses, qui devront chaque année trouver d'autres sources de financement. La nécessité pour notre système de retraite de trouver des ressources supplémentaires reste donc entière.

En ce qui concerne la durée d'assurance, la CFE-CGC préfère qu'on recule l'âge légal d'ouverture des droits à la retraite plutôt qu'on augmente le nombre d'annuités. En effet, c'est le meilleur moyen d'ajuster les financements d'ici 2025. De toute façon, les jeunes actifs savent très bien qu'ils ne partiront pas à la retraite à soixante ans. Le vrai problème qui se pose à eux est celui du niveau de pension auquel ils auront droit au moment de leur départ.

Quoi qu'il en soit, aucune de ces solutions n'est satisfaisante, comme le montrent les projections rendues publiques, hier, par le Conseil d'orientation des retraites (COR). Dans le scénario le plus pessimiste, celui d'un âge légal de soixante-cinq ans et de quarante-cinq annuités de cotisation, les besoins de financement ne seront couverts qu'à hauteur de 60 % à l'horizon 2030. Refuser d'envisager une augmentation des recettes revient donc à consentir à voir le niveau des pensions se dégrader dans des proportions considérables. Je préfère que l'on joue sur le levier du niveau des cotisations, y compris salariales – même si ce type de solution ne remporte pas un franc succès au sein de ma propre confédération – plutôt que de mettre en place des systèmes privés d'épargne salariale qui offrent des garanties insuffisantes. Il s'agit de trouver ensemble les moyens qui nous permettront de préserver le niveau des pensions. À la différence de ceux qui ne proposent aucune solution de financement, ce qui revient à consentir tacitement à la dégradation du niveau des pensions, j'assume mes choix. Je défends le régime par répartition, parce que c'est un régime solidaire et qui contribue au « bien vivre ensemble », mais les limites de la solidarité, c'est la redistribution : il faut un équilibre entre ceux qui participent à la solidarité et ceux qui en bénéficient. L'allongement de la durée de cotisation pénalise d'abord les plus modestes et les femmes.

Pour ma part, je pense que le premier paramètre à modifier est l'âge légal de départ à la retraite à l'horizon 2025. Quant au paramètre du nombre d'annuités, on ne pourra pas repousser ce curseur indéfiniment, sinon les salariés ayant commencé à travailler après vingt-deux ans devraient partir à la retraite à 67, voire à 70 ans : on devrait considérer une durée de cotisation de 41,5 ou 42 annuités comme une carrière complète. Pour toutes ces raisons, le critère de l'âge est meilleur et plus rassurant pour les plus jeunes.

Par ailleurs, le fait de travailler plus tôt ne justifie pas, à mes yeux, qu'on puisse partir plus tôt. Aujourd'hui, en effet, travailler plus tôt, c'est d'abord cotiser plus tôt. Est-il juste que les jeunes en apprentissage puissent cotiser, et non les élèves ingénieurs ? On ne devrait plus opposer ainsi les parcours professionnels : il faut donner aux étudiants la possibilité de cotiser, comme cela se fait dans d'autres pays, au moins pendant les périodes de stage, les stagiaires travaillant autant, sinon plus, que les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée indéterminée. Là encore, l'âge me semble une variable plus fédératrice que le nombre d'annuités.

L'autre question sensible du point de vue de la durée de cotisation est l'emploi des seniors, voire l'emploi en général, l'insertion dans le marché de l'emploi étant très difficile dans notre pays. Certes, cette question fait l'objet de négociations dans les entreprises, mais les progrès sont insuffisants, et il ne faut pas attendre que les comportements changent, ce qui demande toujours beaucoup de temps, pour agir sur les retraites.

Le problème de la pénibilité est un problème difficile. L'incapacité à travailler du fait de l'usure professionnelle doit être distinguée de la retraite. Cette impossibilité de continuer à travailler, inaptitude au travail ou invalidité, est un risque aujourd'hui financé en partie par la solidarité, au même titre que le chômage ou la maladie. Aucun pays n'en assure le financement par son système de retraite. Mais si l'on considère que notre système a suffisamment de marges de manoeuvre pour le faire, allons-y ! Continuons à charger la barque. Je ne nie pas que l'allongement de la durée de cotisation pose un vrai problème de ce point de vue, mais c'est par une consolidation des mécanismes de solidarité qu'il convient de le résoudre.

L'usure professionnelle différée se traduit par la réduction de l'espérance de vie dans certains métiers et là, la difficulté est réelle : tout le monde ne bénéficie pas du même « droit de tirage » dans un système de retraite par répartition. Mais, faut-il financer ce qui serait un véritable « permis de tuer », puisqu'il s'agirait de laisser des salariés dans un poste pendant trente ans tout en sachant que cela réduit leur espérance de vie ? En tout état de cause, on ne pourra jamais prendre en compte toutes les pénibilités de tous les métiers, même à l'aide du critère de l'espérance de vie. La résolution de cette question passe d'abord par la prévention via l'amélioration de l'organisation et des conditions de travail, qui relève des entreprises et des branches professionnelles, l'État ne devant contribuer qu'à titre complémentaire : ce n'est pas à un régime collectif de retraite de supporter l'ensemble de cette charge.

La thématique des ressources est incontournable. La retraite étant considérée comme un salaire différé, principe qui fonde notre système, elle doit être d'abord contributive, les droits à la retraite étant fonction des cotisations versées. La préservation de notre système par répartition suppose donc un élargissement de l'assiette des prélèvements au-delà des salaires. Que l'on augmente la contribution sociale généralisée (CSG) ou que l'on instaure une cotisation sociale sur la consommation, comme la CFE-CGC le préconise depuis longtemps, cela relève au fond de la même logique : il s'agit de consacrer une plus grande part du PIB aux retraites. L'essentiel est de constituer des marges de manoeuvres pour ne pas laisser filer les déficits de 10 à 15 milliards d'euros par an et préserver ainsi le niveau des retraites.

Il faut aussi poser le problème des exonérations de charges sociales, dont le coût dépasse les 30 milliards d'euros : il faudra bien un jour évaluer leur impact sur l'emploi et, s'il y en a, le coût des emplois ainsi créés.

Il y a cette année deux rendez-vous importants en matière de retraites : en ce moment, au Parlement s'agissant du régime de base ; en octobre et en novembre, avec les partenaires sociaux s'agissant de l'AGIRC et de l'ARRCO. Nous devons élaborer ensemble un consensus : il ne faudrait pas que l'État laisse l'AGIRC et l'ARRCO se débrouiller seuls face au problème du financement de notre système de retraite.

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