COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION
Mercredi 28 avril 2010
La séance est ouverte à dix heures
(Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente de la Commission)
La Commission des affaires culturelles et de l'éducation entend M. Patrick Brouiller, président de l'Association française des cinémas d'art et d'essai (AFCAE), Mme Anne Durupty, directrice générale déléguée du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), M. Victor Hadida, président de la Fédération nationale des distributeurs de films (FNDF), M. Jean Labé, président de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF), M. Étienne Ollagnier, co-président du Syndicat des distributeurs indépendants (SDI), Mme Carole Scotta, co-présidente des Distributeurs indépendants réunis européens (DIRE), et M. Yves Sutter, membre du conseil d'administration de l'Union des Cinémas (UNICINE), sur la distribution et l'exploitation cinématographiques.
Mesdames, messieurs, je vous remercie de participer à cet important débat que la Commission des affaires culturelles a souhaité organiser sur la distribution et l'exploitation cinématographiques. Il s'agit de notre première table ronde sur le cinéma, un secteur que notre Commission tient à mieux comprendre et à soutenir, dans un contexte législatif et économique qui a beaucoup évolué au cours de la dernière année.
Du point de vue législatif, des ordonnances ont été prises pour réformer le secteur, dont la législation n'avait pas réellement évolué depuis 1956. Le deux projets de loi de ratification qui ont été déposés au Sénat concernent une ordonnance portant principalement sur le CNC et le code du cinéma et une autre relative à la régulation du secteur.
Par ailleurs, dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2009, l'adoption d'un amendement de M. Laurent Hénart a permis de rassurer les professionnels de l'exploitation cinématographique, à la suite de la réforme de la taxe professionnelle. Il prévoit la possibilité d'une exonération totale de la nouvelle contribution économique territoriale (CET) pour la petite et moyenne exploitation, c'est-à-dire pour les établissements réalisant un nombre d'entrées annuel inférieur à 450 000, et d'une exonération partielle, dans la limite de 33 %, pour tous les autres. Pour m'être entretenue personnellement avec les représentants du cinéma, je sais que cette disposition répond à une inquiétude majeure quant à la pérennité de certaines exploitations, notamment de proximité.
Enfin, M. Michel Herbillon, vice-président de la Commission, qui ne peut malheureusement pas être présent aujourd'hui, m'a informée hier qu'il venait de déposer une proposition de loi sur la problématique de l'équipement numérique des salles de cinéma. Elle vise à généraliser et rendre obligatoire le versement d'une « contribution numérique », système déjà expérimenté dans le cadre de montages contractuels entre distributeurs et exploitants. L'objectif est d'accompagner la profession dans la mutualisation des financements nécessaires à sa modernisation et à son développement futurs.
Du point de vue économique, l'industrie cinématographique traverse une période de transition et doit relever des défis importants. J'en retiendrai trois principaux, sur lesquels j'aimerais que vous nous éclairiez.
Le premier est celui de la transition vers le numérique. Quel est votre sentiment sur l'initiative de M. Herbillon ?
En deuxième lieu, si le secteur de l'exploitation se porte globalement bien, avec des fréquentations en hausse, la petite et la moyenne exploitations subissent actuellement des baisses très importantes de leur chiffre d'affaires. Quelles solutions pouvons-nous envisager pour maintenir un réseau de cinémas sur l'ensemble de notre territoire ?
Enfin, la chronologie des médias, déjà réformée dans le cadre de la loi du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, dite « HADOPI 1 », fait encore l'objet de critiques aux deux bouts de la chaîne cinématographique : source d'inquiétude pour les exploitants, elle est jugée insuffisamment ambitieuse par d'autres. Le rapport Zelnik revient d'ailleurs sur cette question, en jugeant les délais encore trop longs et particulièrement inadaptés s'agissant de la VOD. Qu'en pensez-vous ?
Je propose à Mme Durupty, représentante du CNC, de faire le point sur la situation générale du secteur, puis je donnerai la parole aux représentants de la Fédération nationale des cinémas français et de la Fédération nationale des distributeurs de films. Je demanderai ensuite à quelques collègues d'exprimer leurs réactions. Dans un deuxième temps, nos autres invités interviendront.
Je pense parler au nom de l'ensemble des professionnels en exprimant toute ma satisfaction que votre Commission organise cette table ronde sur le cinéma, secteur effectivement confronté à des enjeux très importants.
Globalement, les résultats de l'exploitation sont très bons : en 2009, on a presque atteint 201 millions d'entrées, un chiffre que l'on peut qualifier d'historique, le meilleur en tout cas depuis 1982 ; et sur les premiers mois de l'année 2010, la fréquentation des salles a augmenté d'environ 10 %. D'un point de vue structurel, deux facteurs essentiels expliquent cette situation.
Tout d'abord, la diversité et la qualité du parc de salles sont tout à fait remarquables. Notre pays compte 2 060 établissements cinématographiques exploitant 5 470 salles, et contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays européens, ce nombre est en légère augmentation par rapport aux années précédentes. En outre, cette croissance est diversifiée : une dizaine de multiplexes ont ouvert en 2009, mais aussi dix-sept salles mono-écran. Environ la moitié de ces établissements sont classés « Art et essai ».
De même, il faut souligner la diversité et la qualité de l'offre de films, notamment s'agissant de la production nationale. Celle-ci a certes pâti d'un tassement des financements dû à la crise économique, mais reste néanmoins très dynamique. La part de marché du cinéma français était de 37 % en 2009 : c'est un peu moins qu'en 2008, année marquée par le succès de Bienvenue chez les Ch'tis, mais c'est encore dans la moyenne des dix dernières années, où l'on a oscillé entre 35 et 45 %. Là encore, le résultat est remarquable par rapport aux pays voisins.
Contrairement à ce que l'on croit, la concentration de la fréquentation a plutôt tendance à diminuer. Par exemple, en 2009, 50 films, dont 18 français, ont réalisé plus d'un million d'entrées, et 100 films plus de 500 000 entrées. Or ces 100 films sont d'une grande diversité de genre et d'origine. Il faut saluer le travail des distributeurs qui les portent jusqu'à leur public.
Cependant, au-delà de ces résultats globaux très réjouissants, les évolutions sont très contrastées selon les catégories d'exploitation. Ainsi, en 2009, alors que la croissance était de 8 % pour la grande exploitation – correspondant à plus de 450 000 entrées par an –, les résultats ont stagné dans la petite exploitation, où l'on observe même de fortes baisses depuis plusieurs années. Si la crise a eu paradoxalement un effet plutôt positif en attirant plus de monde dans les salles de cinéma, elle a au contraire pesé sur la fréquentation dans les petites villes et les zones rurales. Mais il existe des explications d'ordre structurel à la difficulté grandissante des petites exploitations à équilibrer leurs comptes. L'été dernier, la FNCF a tiré la sonnette d'alarme à ce sujet, et le Parlement l'a entendue en décidant d'élargir les possibilités d'exonération de la nouvelle contribution économique territoriale. De son côté, le CNC a pris des mesures d'urgence pour renforcer ses aides et travaille avec la Fédération pour alléger de façon durable les charges pesant sur les salles. Nous travaillons également avec le médiateur du cinéma et les distributeurs sur l'amélioration des conditions d'accès aux films. Si nous voulons préserver la diversité du parc de salles, élément essentiel du succès du cinéma en France, la plus grande vigilance s'impose.
Mais il est clair que l'enjeu majeur, pour l'exploitation et pour la distribution, est le passage à la projection numérique. Le CNC y travaille depuis plusieurs années, en étroite concertation avec les professionnels et avec la représentation nationale. Nos travaux nous avaient conduits à proposer un fonds de mutualisation, mais celui-ci n'a malheureusement pas été validé par l'Autorité de la concurrence. Il est vrai que pour des raisons historiques, les pratiques de notre secteur cohabitent souvent difficilement avec le droit de la concurrence. Il nous a donc fallu trouver, en urgence, d'autres solutions.
Il y a en effet urgence, pour l'ensemble du parc, à passer au numérique. Aujourd'hui, 20 % des salles – environ 1 000 – sont équipées. Pour l'essentiel, elles appartiennent aux grands circuits, pour lesquels il est plus facile de trouver les financements sur le marché. Si la petite et moyenne exploitations ne s'équipent pas rapidement, elles risquent de se retrouver marginalisées.
Nous avons donc élaboré, en étroite relation avec un petit groupe de députés et de sénateurs, deux outils complémentaires. Le premier consiste en un encadrement législatif destiné à garantir un certain nombre de principes : neutralité du système de financement par rapport aux relations entre exploitants et distributeurs ; liberté de programmation des exploitants ; maîtrise du plan de diffusion par les distributeurs ; organisation des contributions des distributeurs au bénéfice du financement des équipements des salles, de telle sorte qu'elles ne soient ni excessives par rapport aux économies effectivement réalisées par les distributeurs, ni d'une durée trop longue.
Cette organisation du financement ne sera cependant pas suffisante pour permettre l'équipement de toutes les salles en numérique, ce qui reste l'objectif du CNC. Nous avons donc préparé un deuxième outil, consistant en un système d'aides plus traditionnel, principalement destiné aux salles de un à trois écrans, qui éprouvent le plus de difficultés à trouver des moyens financiers pour s'équiper en matériel numérique. Les fonds proviendront du Fonds de soutien, du grand emprunt national – conformément à l'annonce faite par le Président de la République le 9 février dernier à l'occasion des Assises des territoires ruraux – et des collectivités locales, notamment les régions. Le CNC coordonnera l'ensemble de ces aides.
Des études sont également en cours pour attribuer une aide spécifique aux salles dites « peu actives », comme les salles saisonnières, particulièrement importantes dans les zones de montagne, ou les circuits itinérants, qui irriguent un nombre important de communes rurales.
Nous nous réjouissons du dépôt par M. Herbillon d'une proposition de loi poursuivant ces objectifs. Mais ce n'est que le début du travail en profondeur qu'il faudra effectuer. Un texte ne peut pas tout régler. Une des grandes vertus de cette proposition de loi est d'envisager, sans risque de difficultés au regard du droit de la concurrence, la création d'un comité de concertation institutionnalisé entre exploitants et distributeurs. Il me paraît essentiel que les professionnels travaillent ensemble à l'élaboration de bonnes pratiques et qu'un bilan régulier soit effectué, de façon à procéder aux ajustements qui se révéleraient nécessaires. Ce texte a également l'avantage de prévoir le recours au médiateur du cinéma pour résoudre les conflits qui pourraient apparaître en matière de financement de l'équipement numérique.
La question de ce financement est évidemment primordiale, mais les enjeux vont bien au-delà : ce sont les conditions mêmes de diffusion du film, et donc les métiers d'exploitant et de distributeur, qui vont être modifiés par la technologie numérique. Notre devoir est de faire en sorte que ce soit au bénéfice de la diversité culturelle, et non à son détriment. Cela n'est pas gagné d'avance, et c'est pourquoi de nombreux sujets doivent être débattus avec les professionnels et entre eux. Les engagements de programmation doivent-ils être revus ? Comment faut-il traiter la diffusion des programmes autres que les oeuvres cinématographiques ? On peut considérer cette table ronde comme le coup d'envoi de la concertation approfondie qui doit avoir lieu et à laquelle le CNC prendra toute sa part.
Je me réjouis de l'intérêt que la représentation nationale porte au cinéma en général, et à la salle de cinéma en particulier. Ce n'est pas le cas dans tous les pays d'Europe. En France, le cinéma reste très vivant. D'une grande richesse et d'une grande diversité, il continue à s'exporter, contribuant ainsi au rayonnement de la culture française.
Ce dynamisme s'explique par une longue tradition d'accompagnement : depuis de nombreuses années, les gouvernements successifs ont adopté une politique favorable à la production et à l'exploitation cinématographiques, avec la création du compte de soutien, l'encadrement des relations entre cinéma et télévision, les obligations de production et tout ce qui a entouré le débat sur l'exception culturelle. Dans notre pays, le cinéma est reconnu comme un art, et c'est ce qui justifie les mesures qui sont prises en sa faveur.
Le cinéma est par ailleurs la première pratique culturelle des Français, du moins lorsqu'ils sortent de chez eux. Le nombre annuel d'entrées est actuellement de 200 millions, alors qu'il était de 116 millions en 1992. A l'époque, pourtant, beaucoup nous prédisaient que les évolutions techniques permettant de voir les films à domicile allaient faire disparaître la salle de cinéma…
Si cette prédiction ne s'est pas réalisée, c'est parce que les exploitants ont opéré une véritable révolution et consenti des investissements très importants. Ce fut d'abord la création des multiplexes. Que n'a-t-on pas entendu à ce sujet ! On prétendait qu'ils seraient les porte-avions du cinéma américain, mais on s'aperçoit quinze ans plus tard que le cinéma français est celui qui a le plus profité de la création de ces nouveaux équipements. Plus il y a de salles, en effet, plus il y a de films, et plus les « petits » films, les plus fragiles, sont diffusés. Le grand nombre de spectateurs est donc lié aux investissements consentis – près de 2 milliards d'euros en quinze ans, ce qui est énorme pour un secteur comme le nôtre.
Comme l'a rappelé Mme Durupty, nous vivons un paradoxe : les Français nous plébiscitent, les entrées sont nombreuses, mais le secteur reste pourtant fragile. Il existe en effet deux types de salles : celles qui ne se sont pas suffisamment modernisées et sont en conséquence délaissées par le public, et celles qui au contraire ont investi, mais dont la rentabilité n'est pas garantie, dans la mesure où nous n'avons pas fait supporter aux spectateurs le coût de ces investissements. Le prix de la place de cinéma a augmenté à un rythme inférieur à l'inflation, et bien inférieur encore à l'augmentation du coût de la construction. Or les charges de toute nature tendent à augmenter : la climatisation des salles ou l'informatisation des caisses entraînent des frais supplémentaires. S'y ajoutent les dépenses bien normales effectuées pour rendre les salles accessibles aux personnes à mobilité réduite ou souffrant d'autres handicaps. Tout cela pèse sur la rentabilité des salles.
Toutes les catégories d'exploitation sont touchées, mais selon l'adage, quand les gros maigrissent, les maigres meurent : la rentabilité des grandes salles baisse, et la situation de la petite et moyenne exploitations est devenue critique. Nous avons donc cherché à alerter les journalistes, les parlementaires et le ministère sur la nécessité de prendre rapidement des mesures. Les élus sont généralement heureux de la présence d'un cinéma dans leur commune ou dans la communauté de communes, et la salle de cinéma est un lieu reconnu de mixité des publics ; mais malgré cela, les mesures prises en faveur de la petite et moyenne exploitations restent insuffisantes. Nous allons donc continuer à travailler avec le Centre national du cinéma sur ce sujet.
En ce qui concerne le numérique, la proposition de loi qui a été déposée est extrêmement importante, et j'en remercie son auteur. Le numérique représente un défi énorme pour l'ensemble du secteur, dont il est indispensable que les équilibres ne soient pas remis en cause par ce bouleversement : celui-ci doit rester uniquement technologique. Notre cauchemar serait que les écrans de toutes les salles de cinéma de France se transforment en grands postes de télévision diffusant les mêmes films, et d'abord ceux que le public demande le plus, c'est-à-dire les blockbusters – ou les cent films qu'évoquait Mme Durupty. Un tel affaiblissement de la diversité serait une perte pour tout le monde.
Cette proposition de loi a pour grand mérite de viser à instituer une obligation de contribution des distributeurs, via une « virtual print fee » (VPF) ou frais de copie virtuelle, plus communément appelée « contribution numérique » en français. A l'heure actuelle, une grande entreprise comme EuroPalaces est en train de négocier directement avec les majors américaines et avec les distributeurs français un système de contribution numérique directe, mais il est clair qu'on ne peut imaginer de telles négociations pour l'ensemble des salles françaises, notamment les plus petites. Celles-ci ont la possibilité de passer par un tiers opérateur, se chargeant de la négociation des contributions et de leur collecte au nom de l'exploitant, dans le cadre d'un contrat lui conférant soit un simple rôle de collecteur de VPF, soit également un rôle d'investisseur. Mais beaucoup de professionnels n'ont pas envie d'utiliser ce système : ils considèrent que le passage au numérique doit représenter une économie, laquelle est évidemment réduite par le recours à un tiers opérateur, puisque celui-ci doit se rémunérer. Ils privilégient donc les rapports directs entre exploitants et distributeurs. Mais si la loi n'impose pas un système de VPF, les plus gros distributeurs américains seront peu enclins à faire bénéficier les petites salles françaises de leur contribution… D'où l'importance de cette proposition de loi, à laquelle nous souhaitons néanmoins que certaines améliorations soient apportées.
Il est tout aussi important qu'elle soit adoptée rapidement car les grandes entreprises ont commencé leur mutation. Chez EuroPalaces, de nombreuses salles sont équipées. UGC avait déclaré « Nous serons les derniers » mais a également commencé. Il est vrai que le basculement vers le numérique est en quelque sorte « pollué » par l'arrivée de la 3D. Depuis Avatar, qui à cet égard a fait figure de déclencheur, le cinéma en trois dimensions est en effet à la mode. Il joue un rôle incontestable dans l'accroissement du nombre d'entrées que l'on peut observer en ce moment. En tout cas, dès lors que tous les grands circuits ont entrepris de passer au numérique, il faut absolument aider la petite et moyenne exploitations à effectuer elle aussi cette transition.
Cette réunion nous donne l'occasion de souligner l'enjeu que représente notre secteur pour le rayonnement culturel français. Permettez-moi tout d'abord rappeler ce qu'est un distributeur, dont on se représente souvent mal la tâche.
Le travail du distributeur ne se cantonne pas aux 100 films qui recueillent chaque année plus de 500 000 entrées ; il porte sur l'ensemble des 650 films présentés en moyenne tous les ans. Le lancement d'un film étant extrêmement coûteux, le distributeur élabore une politique éditoriale destinée à répartir les risques entre les films commerciaux et les films d'art et d'essai qu'il estime avoir l'obligation de défendre – car nous avons, nous aussi, nos coups de coeur, et il nous semble important de présenter ce type d'oeuvres au public. La diversité des oeuvres nous paraît essentielle.
La fédération que je représente est constituée d'environ 75 entreprises, allant de la très petite à la filiale d'une multinationale américaine. Elle représente 80 % des entrées en France, 75 % si on considère les seuls films français. Nous sommes donc représentatifs de la totalité des entreprises, mais aussi de toute la diversité des films projetés sur le territoire national. Nous sommes très attachés à cette diversité et vous demandons de continuer à oeuvrer à la défendre. Notre pays est le quatrième au monde en nombre de salles, il est l'un des tout premiers en termes de diversité des oeuvres projetées. Le Festival de Cannes témoigne de la contribution du cinéma au rayonnement culturel de la France : nous devons préserver tout cela.
J'en viens à la proposition de loi de M. Herbillon. Nous prenons acte de la volonté des pouvoirs publics de réguler la transition que doivent effectuer les salles vers le numérique. Il nous semble en effet important de préserver l'équilibre entre les différentes salles, et entre les différentes entreprises qui défendent les films ainsi que leur exposition auprès du public. Mais nous devons attirer votre attention sur le fait que la numérisation ne pose pas seulement un problème de financement : il faut aussi se préoccuper des conséquences que cette technologie peut avoir sur la diversité des films et sur la manière dont les oeuvres pourront vivre et rencontrer le public. La diffusion dans les salles doit, elle aussi, se caractériser par la diversité ; lors de nos discussions avec le CNC, nous avons évoqué les engagements de programmation qui pourraient être pris pour éviter les dérapages.
Nous souhaiterions également que les distributeurs soient aidés à proposer des films numérisés, afin que les oeuvres du patrimoine, mais aussi celles qui ne peuvent pas bénéficier d'un grand nombre de copies, puissent avoir l'exposition qu'elles méritent. L'objectif étant d'équiper les salles à bref délai, il est important de faire en sorte que ces oeuvres puissent être vues par le public.
Tels sont les deux points qui nous semblent devoir constituer la contrepartie de la contribution des distributeurs au financement de la numérisation des salles. Nous espérons qu'ils feront bientôt l'objet d'une concertation.
Les distributeurs, qui voient leurs coûts augmenter de manière exponentielle, sont dans une situation qui a des points communs avec celle des exploitants. Le secteur comprend des très petites, des petites, des moyennes, voire des grandes entreprises de distribution, qui sont confrontées à des problématiques différentes. Des garanties doivent être apportées quant à la répartition équitable des contributions demandées aux distributeurs pour l'équipement des salles en numérique. Il faut, de plus, que ces contributions soient bornées dans le temps. Ce qui va être le plus coûteux pour la filière cinématographique, c'est la conservation de possibilités de diffusion en argentique 35 mm en même temps que la promotion de la diffusion en numérique ; nous souhaitons donc que cette période de transition soit la plus courte possible. Cela permettrait tant aux entreprises de distribution qu'aux entreprises d'exploitation de participer à un cercle vertueux : des investissements continueraient à se faire, mais plutôt que de porter sur une technologie désormais bien installée, ils concerneraient le quotidien des exploitants – l'accueil du public dans les salles – et des distributeurs – la promotion des oeuvres.
Pour nous, la contribution demandée aux distributeurs doit être limitée à la transition numérique des salles de cinéma actuelles, dont il faut conserver le maillage. Elle est liée à l'économie que représente pour le distributeur l'utilisation d'un fichier numérique au lieu d'une copie 35 mm, mais elle doit donc être bien bornée, afin que cette économie bénéficie également à la rentabilité et au dynamisme du secteur de la distribution.
Par ailleurs, l'équité veut que, si les distributeurs contribuent à cette transition technologique, l'entrepreneur lui-même assume sa part de responsabilité : la contribution des exploitants sera une indication forte de leur propre implication. Mais nous aurons sans doute d'autres occasions de discuter de ces modalités pratiques, qui sont importantes car elles conditionnent la pleine adhésion de toutes les branches de la filière cinématographique.
Merci à tous les trois. Je vais maintenant donner la parole à quelques collègues, en commençant par M. Marcel Rogemont, qui préside le groupe d'études sur le cinéma.
Cette table ronde est une occasion de saluer le travail de qualité effectué depuis des années par le CNC, en particulier sur les questions qui nous occupent aujourd'hui. Le CNC sert même de Pygmalion à certains, mais quand Mme Durupty affirme qu'il a agi en relation avec la représentation nationale, je dois préciser qu'il s'agit d'une partie seulement de celle-ci ; je regrette que l'opposition n'ait pas été mieux associée à la préparation de la proposition de loi. En d'autres circonstances, mon groupe aurait très bien pu signer une proposition de loi sur ce sujet.
Sans être une profonde révolution, l'arrivée du numérique bouscule le secteur du cinéma. Elle a des conséquences sur les relations entre exploitants et distributeurs, mais aussi sur l'utilisation même des salles. En matière de diversification de l'usage de celles-ci, nous n'en sommes encore qu'au début. Et de même que la diffusion des films à la télévision est interdite le samedi, il faut se demander si l'on ne devrait pas, ce même jour, interdire celle des opéras dans les salles de cinéma : les films doivent conserver une place centrale dans l'ensemble des utilisations potentielles. N'oublions pas que s'il existe 5 470 salles en France, nous le devons à l'économie régulée du cinéma.
La proposition de loi de M. Herbillon apporte un début de solution. Je note que le CNC propose d'étendre les financements, notamment en direction du cinéma ambulant ou des petites salles. On a évoqué le grand emprunt national, dont le Président de la République a annoncé qu'il pourrait servir à soutenir les salles en milieu rural, ce dont nous nous réjouirions, mais aussi un appel aux collectivités territoriales. Or celles-ci subissent actuellement une recentralisation et un assèchement de leurs financements. Les conseils généraux et régionaux ont souvent apporté une aide aux salles rurales, mais on peut se demander s'il en sera ainsi à l'avenir, d'autant plus que la clause générale de compétence risque d'être remise en cause. Il importe donc de ne pas reporter sur les collectivités territoriales le financement de la numérisation.
En ce qui concerne les rapports entre distributeurs et exploitants, j'ai cru comprendre que des discussions étaient engagées sur la question du taux de location. Où en est-on à ce sujet ?
Quant à la chronologie des médias, elle est nécessairement le résultat d'un compromis. Mais ne risque-t-on pas de pénaliser les films qui ont besoin de temps pour trouver leur public ? La question est d'autant plus importante que l'on emploie tous les moyens du marketing pour obtenir le plus grand nombre possible d'entrées dans le délai le plus court possible.
Une anecdote pour conclure : j'avais souhaité voir le film Avatar dans une salle du circuit UGC, mais au dernier moment, constatant que je n'avais pas de lunettes, j'ai rendu le billet et je suis parti... Je suppose que le succès de la 3D n'est pas sans lien avec l'intérêt soudain éprouvé par ce réseau pour la numérisation des salles ! Mais ce que révèle cette anecdote, c'est que la numérisation doit être réalisée très rapidement, et non pas s'étaler sur quatre à six ans comme on le pensait initialement. Et si le processus doit s'accélérer, il importe de bien cerner les problèmes que cela pose, en particulier pour la petite et moyenne exploitations.
Pour conclure, je voudrais redire mon regret de ne pas avoir eu l'occasion de signer une proposition de loi sur ce sujet.
Notre collègue Herbillon a justement exprimé son souhait de permettre à tous ceux qui le souhaiteraient de cosigner sa proposition. La procédure de demande de cosignatures est en cours.
Par ailleurs, pour répondre à votre inquiétude, je me dois de souligner que M. Serge Lagauche, membre du Comité de suivi des ordonnances sur le cinéma, membre du groupe socialiste du Sénat, a été associé à la concertation avec le CNC.
Les députés souhaitaient depuis plusieurs mois qu'une telle réunion ait lieu, surtout ceux qui sont élus dans des territoires ruraux et de montagne, où la situation des cinémas est particulièrement grave. Dans les Alpes-de-Haute-Provence, il ne subsiste qu'une douzaine de cinémas de proximité, dont un seul dispose de trois salles, les autres n'en ayant qu'une ou deux. Dans ma commune, Sisteron, j'ai dû racheter il y a une dizaine d'années les deux salles de cinéma dont l'exploitant avait fait faillite. La commune a dû beaucoup investir pour les moderniser, avec l'aide de quelques subventions. Mais avec la crise économique, la situation devient très difficile. J'ai décidé de les équiper de matériel de projection numérique, mais le coût d'équipement d'une seule salle est de 80 000 euros. Lorsque j'ai préparé la délibération, on m'a répondu qu'il n'y avait pas d'argent disponible. Il y a donc un vrai problème…
Vous l'avez dit, madame Durupty : dans l'ensemble le cinéma se porte très bien, sauf dans les zones rurales et de montagne. Si on ne fait rien dans les mois qui viennent, de nombreuses salles vont disparaître – c'est le cas de la plupart de celles qui sont situées dans mon département, et il en est de même pour les quinze salles du département voisin des Hautes-Alpes. Il faut donc un véritable plan Marshall pour sauver ces salles qui font partie de notre patrimoine et représentent parfois le dernier lien culturel dans une commune. La proposition de loi de notre collègue Herbillon arrive au bon moment, et je souhaiterais qu'un groupe de travail soit rapidement formé au sein de notre Commission pour l'examiner. Les députés des zones rurales pourraient ainsi se battre pour la survie de leurs salles.
C'est une question d'aménagement du territoire. On a mis beaucoup d'argent dans l'équipement des cinémas de grande ville, qui sont sans doute plus rentables, mais nous avons, nous aussi, le droit de voir des films ! Sur 650 films produits chaque année, il n'y en a que 100 qui marchent : quel gaspillage financier ! Si on consacrait tout cet argent à l'équipement des petites salles, on sauverait peut-être le cinéma rural.
Étant député de Paris, je n'ai pas nécessairement les mêmes préoccupations que M. Spagnou. Mais je ne m'en réjouis pas moins, comme mes autres collègues, de l'organisation de cette réunion, d'autant qu'elle montre que la situation du cinéma est plutôt bonne, même si des problèmes subsistent. Ce secteur qui, traditionnellement, a toujours été aidé par les pouvoirs publics, est donc capable de surmonter les défis, même d'ordre technologique. Ici même, à l'Assemblée, que de discours catastrophistes avions-nous entendus à propos de l'impact d'internet sur le nombre des entrées en salle ! Nous constatons aujourd'hui que la fréquentation des cinémas ne souffre ni du développement d'internet, ni de celui de la vidéo à la demande.
Je suis frappé par la grande inégalité qui caractérise l'exposition des nouveaux films, notamment des films en exclusivité. Je sais que chaque mercredi, les professionnels du secteur s'inquiètent, dès 14 heures, des premiers chiffres d'entrées d'un film, pour évaluer sa capacité à rester au moins une seconde semaine sur les écrans… Or, comme d'autres, sans doute, je cherche souvent à voir un film deux ou trois semaines après sa sortie, avant de m'apercevoir qu'il a déjà disparu des écrans. Je souhaite donc que, au-delà des cent films qui dépassent les 500 000 entrées, on se préoccupe aussi des autres.
Par ailleurs, dispose-t-on d'une première étude sur l'impact de la réforme de la chronologie des médias, votée ici même à l'unanimité ?
Enfin, vous avez évoqué le rôle des collectivités territoriales. Participez-vous au mouvement qui se développe dans le secteur culturel, notamment dans celui du spectacle vivant, pour s'alarmer de la réforme prévue de ces collectivités ? Une manifestation s'est déjà tenue le 29 mars ; serez-vous dans la rue le 6 mai ?
Soixante-dix films sont sortis au mois de mars ; et la sortie d'un film s'accompagne bien souvent de la naissance d'un distributeur. J'ai bien compris que le grand nombre de distributeurs indépendants est un facteur de diversité, mais les films ont souvent une durée de vie éphémère, et par ailleurs ce mode de fonctionnement a un coût important.
En milieu rural, certains exploitants ont de grandes difficultés pour mettre leurs salles aux normes, sans même parler de numérisation. La télévision numérique terrestre (TNT) ne représente-t-elle pas un concurrent important pour les cinémas ?
Enfin, même si cela fait partie des missions du CNC, le soutien au cinéma des pays en développement doit-il être une priorité ?
L'évolution des techniques de traitement de l'image et du son induit des interrogations très spécifiques. Quelles sont les conséquences du développement de la vidéo à la demande sur l'industrie cinématographique et son évolution ? A-t-on une idée de l'impact de la numérisation des salles sur les petits cinémas indépendants ? Sera-t-il possible, à terme, de réduire la fracture territoriale dans l'accès aux films, sachant que les salles parisiennes projettent déjà 98 % de l'offre de films sortis en exclusivité ?
Etant donné que le coût de distribution d'un film en 3D – et le succès d'Avatar nous fait entrevoir ce que sera le cinéma de demain – est supérieur d'un tiers à celui d'un film traditionnel, les aides seront-elles proportionnelles ? Quels seront désormais les critères d'attribution de ces aides ?
Je me réjouis du dynamisme dont fait preuve le secteur du cinéma. La progression des entrées en salle montre que le cinéma français parvient à tirer son épingle du jeu.
Comme notre collègue Bloche, pourriez-vous m'éclairer sur l'impact du raccourcissement de la chronologie des médias. Je salue le sens des responsabilités des acteurs de ce secteur, qui ont pris conscience, peut-être plus tôt que dans l'industrie de la musique, des risques associés au téléchargement et de la nécessité de proposer une offre légale sur internet et de faciliter une sortie plus précoce en DVD. Les spectateurs se réjouissent d'ailleurs de la modification de cette chronologie.
La numérisation, on l'a dit, est incontournable. Mais comment prendre en compte l'arrivée de la technologie 3D ? À Coulommiers, les collectivités sont en train de construire un multiplexe de quatre salles en collaboration avec l'exploitant d'art et d'essai local. Faut-il prévoir un équipement permettant de projeter en 3D, voire des écrans spécifiques ? Quels choix techniques devons-nous effectuer ?
Je partage la préoccupation de M. Spagnou : il faut trouver des dispositifs, des montages juridiques spécifiques pour permettre le maintien de salles de cinéma dans les territoires ruraux. Le CNC a un rôle crucial à jouer dans ce domaine.
Enfin, je voudrais exprimer mon grand regret que nos collègues de gauche s'élèvent systématiquement contre la réforme des collectivités locales. Cette réforme a justement pour vocation de mieux organiser notre territoire et de mieux identifier les compétences de nos collectivités, ce qui permettra de dégager des moyens, notamment pour aider les professionnels du secteur culturel, en particulier dans les zones rurales. Il faut en finir avec les mensonges proférés à ce sujet.
J'ai la chance d'avoir dans ma commune un casino doté, en vertu de son cahier des charges, d'une salle de cinéma. Cette salle, numérisée depuis plusieurs années déjà, est très moderne, mais sa capacité est de 80 places et, en moyenne, elle accueille une vingtaine de spectateurs… Quand il y a un multiplexe à 20 kilomètres, les gens n'hésitent pas à se déplacer. Autrement dit, l'équipement numérique n'est pas une fin en soi ; quelle que soit la fierté qu'un élu local peut tirer d'avoir une salle de cinéma dans sa commune, il n'est pas toujours raisonnable de vouloir la conserver sans considération de sa rentabilité.
Monsieur Labé, vous dites qu'il y a d'un côté les cinémas qui n'ont pas investi et ne répondent plus aux attentes du public, et de l'autre ceux qui ont investi et n'arrivent plus à faire face à leurs charges. Vous n'avez pas été signataire de l'accord conclu fin 2009 par Canal + et une partie du cinéma français, et vous regrettez que la renégociation ne se déroule pas dans le cadre d'un front uni. Pouvez-vous nous dire où en sont les discussions ? Vous avez par ailleurs écrit qu'il faut proposer une série de mesures pour aider les établissements les plus fragiles. L'exonération de la contribution économique territoriale supposera que les communes votent cette mesure…
Madame Scotta, vous exprimez dans la presse les inquiétudes d'un secteur du cinéma fragilisé à l'extrême. Le principe de VPF retenu par la proposition de loi ne fait pas l'unanimité, faute de garanties sur les contreparties.
Enfin, les salles d'art et d'essai sont confrontées au vieillissement du public. Pour se maintenir, ce cinéma devra convaincre les jeunes, habitués à accéder aux divertissements chez eux ou sur leurs téléphones portables.
Pour conclure, ne craignez-vous pas que l'on en arrive à une « autodistribution », et notamment à l'utilisation de Facebook pour vendre des films ?
Je voudrais pour ma part aborder la question du cinéma itinérant, système qui fonctionne assez bien, en s'appuyant sur le réseau des salles polyvalentes, et qui a pu attirer un nouveau public grâce à la projection de films récents. Quelles sont vos propositions pour encourager ce cinéma qui va à la rencontre des habitants ?
Il est satisfaisant de constater que le cinéma français « marche ». Tous ceux, donc, qui disaient depuis les années quatre-vingt que le cinéma allait mourir – à cause de la télévision, à cause de Canal +, à cause des multiplexes – se sont trompés. L'existence de formes de cinéma diverses y est pour beaucoup, et ce serait une grande erreur de faire le procès des multiplexes car ils permettent à de nouveaux publics d'avoir accès au cinéma, par un processus identique à celui de la presse gratuite.
Le passage à la projection numérique est incontournable, mais le passage à la technologie 3D l'est-il ?
Par ailleurs, que pensez-vous de l'idée, dans une ville de 10 000 habitants qui se dote d'un multiplexe de huit ou neuf salles, de réserver 60 jours par an la salle principale aux spectacles vivants ?
Au-delà de la question du financement de la numérisation des salles, on voit bien que le problème est celui de l'équilibre général du système. Nous en reparlerons.
Madame Durupty, y a-t-il une réflexion en cours sur l'évolution des aides du CNC – aujourd'hui trop souvent liées à la sortie en salle ?
Je partage pleinement ce qu'a dit mon collègue Françaix sur l'importance des multiplexes. Il reste que la place du cinéma d'art et d'essai doit être maintenue. Comment voyez-vous l'évolution de son financement ? Bien entendu, la question est liée à la réforme des collectivités locales : va-t-on remettre en cause les équilibres actuels ?
Je voudrais, en préambule, saluer l'habileté diabolique de notre collègue Herbillon, qui parvient à se faire de la publicité un jour où il n'est pas là !
C'est décidément une grande journée pour lui car il accompagne le Président de la République en Chine !
Par ailleurs, je regrette les égarements langagiers de notre collègue Riester : nous sommes ici pour avoir des échanges intellectuels et il n'est pas dans nos habitudes d'accuser les uns ou les autres de mensonge.
En ce qui concerne les multiplexes, j'aimerais connaître votre sentiment sur la manière dont ils se sont accaparé les films d'art et d'essai et ont contribué à la baisse de fréquentation de certains cinémas.
D'autre part, en m'adressant plus spécialement à Mme Durupty au sujet des aides du CNC, j'aimerais comprendre pourquoi certains films ne bénéficient d'une aide que pour un très petit nombre de copies, ce qui conduit à une interruption très rapide de leur diffusion.
La très grande inquiétude des réseaux associatifs de cinéma est de savoir si, demain, l'on trouvera des solutions économiques acceptables leur permettant de fonctionner.
Il faut par ailleurs s'interroger, dans le cadre du passage au numérique, sur le sort des opérateurs projectionnistes…
Je propose maintenant à ceux de nos invités qui ne sont pas encore intervenus de s'exprimer, puis les premiers intervenants pourront à leur tour répondre aux diverses questions qui viennent d'être posées.
Pour le professionnel que je suis, il est très réjouissant de voir l'intérêt que porte la représentation nationale aux problèmes majeurs qui nous occupent actuellement. Les précédents avaient, déjà, été résolus par la mise en place d'un encadrement législatif ou réglementaire.
Le sujet est aujourd'hui particulièrement sérieux. Ne pas bien prendre le virage du numérique, c'est remettre en cause le système français. Cela fait plus de cinquante ans que, par une volonté publique permanente, nous avons réussi, par une forme élaborée de mutualisation, à faire exister à la fois un cinéma industriel, générant beaucoup d'entrées, et un cinéma d'auteur. Très souvent d'ailleurs, des films d'auteur ont permis de découvrir des talents qui, ensuite, ont réalisé des films porteurs.
Les salles d'art et d'essai relèvent majoritairement de la petite et moyenne exploitations et se trouvent surtout en milieu rural – parce qu'il y a une volonté publique pour cela : il faut se garder d'oublier les 1 500 à 1 800 salles qui vivent grâce aux collectivités territoriales, soit par mise à disposition d'équipements, soit en bénéficiant de subventions.
Le numérique, sur lequel nous travaillons depuis plus de deux ans et demi, nous ne l'avions pas voulu. La seule alternative qui a été offerte jusqu'à présent est le recours à de nouveaux entrants, les tiers opérateurs – collecteurs ou investisseurs – qui proposent de jouer un rôle d'interface entre exploitants et distributeurs. Mais pour ma part, en tant qu'exploitant, j'ai une négociation directe tous les lundis matins avec mes amis distributeurs – et je rassure Mme Langlade, ma programmation ne s'adresse pas seulement au troisième âge ! L'adoption de la proposition de loi, au demeurant susceptible d'être améliorée, est indispensable pour permettre à chaque exploitant de choisir la manière dont il va passer au numérique, étant entendu que ce passage est impératif. Quatre éléments sont essentiels : la contribution numérique obligatoire, la transparence des contrats liant les exploitants aux distributeurs et les tiers investisseurs à ces derniers, l'encadrement des contributions – à défaut duquel le système serait inefficace –, la déconnexion entre la programmation du film et la négociation de la contribution.
Le numérique peut être une chance pour améliorer l'accès aux films sur l'ensemble du territoire. Bien sûr, il faudra que, tant les distributeurs que les exploitants, aient des obligations à remplir à moyen et à long termes, en contrepartie du soutien public.
Le danger serait de créer un cinéma à deux vitesses, avec d'un côté les salles capables de passer elles-mêmes au numérique et de l'autre toutes celles qui seraient dépendantes de la subvention publique. Il est indispensable d'accompagner les salles les plus fragiles. Et il est tout simplement républicain d'assurer en la matière l'équité entre les territoires.
Quant à la rotation des films, elle existe, c'est vrai, sur certains marchés à forte concurrence, mais je rappellerai que les salles d'art et d'essai conservent la même programmation un peu plus longtemps que les autres…
L'équilibre entre les différentes formes d'exploitation est fragile, mais il est clair qu'il ne peut pas y avoir diversité de la création s'il n'y a pas diversité des distributeurs et diversité des lieux de diffusion. Paris est la première ville au monde en termes d'offre cinématographique, et en province la diversité de l'offre est grande aussi ; il ne faudrait pas qu'un changement technique remette cela en cause. Certains exploitants indépendants souhaitent pouvoir se regrouper pour faire face aux évolutions. Il faut absolument offrir aux exploitants un choix, et non leur offrir comme seule alternative les tiers collecteurs ou investisseurs.
Je représente un regroupement de onze distributeurs. Nos films font parfois plus de 500 000 entrées, voire plus d'un million, mais parfois moins, sans qu'il s'agisse de sorties non rentables : le métier de distributeur est aussi de concevoir une sortie en imaginant le potentiel d'un film. On peut très bien distribuer un film qui fera 100 000 entrées si on a organisé sa sortie sur la base de cette hypothèse. Malheureusement, les coûts de sortie augmentent d'année en année – mais heureusement, la publicité pour le cinéma est interdite à la télévision !
Le numérique peut être un élément de fluidité et d'économie pour les distributeurs et les exploitants. Nous sommes très en faveur d'un encadrement de la numérisation des salles, dans un triple souci d'équité, de transparence et de solidarité de la profession – solidarité autour du cinéma : quelles que soient les tentations, il faut que les salles conservent cette vocation. Si les grandes salles se mettent à diffuser du foot ou du rugby, les films qu'elles diffusaient vont passer dans les salles moyennes, et par un effet de domino il n'y aura plus de place dans les petites salles pour les petits films ! Bien sûr, il faut faire une distinction, dans le « hors-film », entre ce qui est culturel et ce qui ne l'est pas : il est bien que, dans les zones rurales, il puisse y avoir des séances dédiées au théâtre ou à l'opéra.
En ce qui concerne la chronologie des médias, nous nous réjouissons de l'augmentation de l'offre légale en VOD, même si le secteur peine encore à générer des revenus comparables à ceux des autres. Je souligne qu'en parlant de piratage, on oublie de parler des marchands de DVD pirates qu'on voit dans toutes les stations du métro parisien… Il serait urgent de lutter contre ce phénomène, qui contribue à dégrader la valeur du film et nuit à l'ensemble de la filière du cinéma.
La numérisation est aussi un très grand pas écologique, puisque les copies argentiques ne pollueront plus nos terrains vagues… Bien évidemment, cette révolution numérique doit maintenant se faire le plus rapidement possible, à l'aide d'un texte législatif. Il est clair que tous les distributeurs ne pourront pas cumuler longtemps la distribution sur supports argentique et numérique.
Nous parlons aujourd'hui d'une seule voix autour du numérique, mais nous représentons des entreprises très différentes, tout en défendant une même idée, celle de la diffusion des films dans les salles : il faut absolument veiller à ce qu'elle continue, et à cet égard le numérique est un facteur d'évolution. On ne peut pas dire si, demain, tous les films seront vus en relief ; mais il faut, autant que faire se peut, anticiper sur toutes les nouvelles formes de diffusion, tout en s'attachant à défendre les grands principes qui font de la France un grand pays de cinéma.
Je vous précise que l'examen de la proposition de loi donnera lieu à des auditions, ouvertes à l'ensemble des membres de la Commission des affaires culturelles et de l'éducation, à l'occasion desquelles des suggestions d'amendements pourront bien évidemment être formulées.
Je m'exprime en tant que représentant du syndicat UNICINE.
Beaucoup d'entre vous ont évoqué les multiplexes, parfois en les opposant aux cinémas de proximité. Il me paraît important de rappeler qu'au sein même de la catégorie des multiplexes, les équipements sont très variables. La situation est bien différente au coeur de Paris ou d'une grande métropole de province et en périphérie ou ailleurs. Certains multiplexes sont en situation de concurrence, d'autres ne le sont pas : beaucoup constituent l'équipement unique d'une ville et, en conséquence, ont vocation à diffuser l'ensemble du cinéma. Au demeurant, la programmation est une partie à trois entre la salle de cinéma, les distributeurs et le public.
En ce qui concerne le numérique, je voudrais insister sur l'urgence de l'équipement des salles. Certains cinémas ont signé des accords avec des tiers investisseurs. D'autres se sont lancés en étant moins soutenus et ont financé sur fonds propres un début d'équipement – en équipant par exemple l'une de leurs salles. Mais on ne peut pas considérer pour autant qu'ils sont équipés en numérique. Aujourd'hui, sur les 350 établissements qui ont un équipement, seulement 60 ou 70 sont équipés à 100 % ; ce sont les multiplexes du groupe CGR, qui a équipé intégralement la plupart de ses cinémas, auxquels s'ajoutent des cinémas « mono-écran ». Il ne faut donc pas oublier les cinémas dont l'équipement est encore très partiel lorsqu'on réfléchit au soutien financier qui doit être apporté – l'unanimité se faisant sur l'idée que l'investissement ne doit pas être assumé à 100 % par les salles puisque les économies industrielles qui vont en résulter ne leur profiteront pas.
Le syndicat que je représente réunit vingt-quatre distributeurs indépendants de tailles variées – petits ou moyens. Comme l'a souligné Mme Carole Scotta, les films qui sortent en France sont eux-mêmes très variés et le nombre de copies n'est pas l'élément déterminant de la rentabilité d'un film. Les films d'art et d'essai représentent environ 50 millions d'entrées par an, soit 25 % du total des entrées.
Nous sommes évidemment très soucieux de ce que toutes les salles puissent se doter d'un équipement numérique. Les grands réseaux ont eu les moyens de se lancer plus tôt, l'arrivée de tiers investisseurs a accéléré le mouvement. Il est donc très important que l'ensemble des salles puissent s'équiper rapidement. La phase de transition doit être la plus courte possible car actuellement, nous sommes amenés à sortir des films à la fois en 35 mm et en numérique, ce qui est évidemment plus coûteux.
Un encadrement nous paraît donc très nécessaire, et nous nous réjouissons du dépôt d'une proposition de loi. Nous regrettons cependant la position prise par l'Autorité de la concurrence concernant le fonds de mutualisation, qui nous paraissait être la solution la plus équitable. Le texte proposé suscite par ailleurs de notre part quelques inquiétudes : nous sommes favorables à une participation des distributeurs au financement de l'équipement, mais il faudra examiner de près les questions de l'amortissement des matériels et de la durée de la contribution.
Je propose aux premiers intervenants de reprendre la parole, puis nous nous séparerons, mais nous aurons très prochainement l'occasion d'approfondir toutes ces questions.
J'ai quelques regrets d'avoir cité le chiffre de 100 films faisant plus de 500 000 entrées… Mon but était de souligner la moindre concentration de la fréquentation – car il s'agit d'un record –, et non pas du tout de donner à ces films une valeur particulière. Je précise par ailleurs que l'an dernier, 588 films inédits sont sortis. Parmi eux, ceux qui ont « raté » la rencontre avec le public vont pouvoir très rapidement chercher à le conquérir en VOD. Le CNC accorde des aides non seulement pour la diffusion en salles, mais aussi pour l'édition en vidéo et, depuis deux ans, pour la numérisation des films et leur exploitation en vidéo à la demande (VOD).
La concurrence de la TNT fait certainement partie des facteurs de fragilisation des petites salles, mais on a bien vu jusqu'à présent la capacité du cinéma en salle à surmonter des phénomènes du même type.
Oui, nous accordons des aides aux réalisateurs de films d'autres pays, en particulier les pays en développement, par le biais du Fonds Sud Cinéma. Dans la sélection du Festival de Cannes, beaucoup de films ne sont pas français mais sont néanmoins financés par le CNC.
En ce qui concerne la numérisation, le CNC prépare un premier volet d'aide centré sur environ 1 000 salles pour lesquelles les contributions des distributeurs ne suffiront pas. Nous estimons que le montant global nécessaire est approximativement de 75 millions d'euros. La plus grande partie de ces fonds proviendront du grand emprunt et du fonds de soutien. Nous n'avons donc pas d'inquiétude sur la possibilité de parvenir, moyennant un apport raisonnable des régions et des communes, à réunir en trois ou quatre ans les sommes nécessaires.
L'autre volet que nous sommes en train de préparer est une aide aux salles « peu actives », réalisant en moyenne sur l'année moins de cinq séances hebdomadaires. Cette aide concerne 280 établissements, auxquels nous allons envoyer très prochainement un questionnaire afin de mieux évaluer leur activité, leurs perspectives et leurs besoins de numérisation. Nous nous rapprocherons de chaque collectivité concernée pour définir une aide adaptée. Par ailleurs, pour les 130 circuits itinérants, l'objectif est de trouver un équipement technique adéquat ; nous allons prochainement communiquer aux équipementiers un cahier des charges et, là aussi, nous mettrons en place une aide spécifique.
S'agissant des petites salles, j'ai bien compris qu'au-delà des aides à la numérisation, votre souci porte sur les problèmes d'exploitation en général. Si les transformations liées au numérique appellent une concertation suivie entre exploitants et distributeurs, il paraît clair que cette concertation doit aussi porter sur la nouvelle équation économique à laquelle est aujourd'hui confrontée la petite exploitation.
Il faudrait beaucoup plus de temps pour répondre à l'ensemble des questions posées…
En ce qui concerne la chronologie des médias, et au-delà du fait que nous aimerions que la loi HADOPI entre en application le plus rapidement possible, il est bien difficile de faire un bilan car on ne sait pas si le phénomène « 3D », qui stimule la fréquentation, va perdurer. On constate cependant que la petite et moyenne exploitations stagnent, voire régressent.
Faut-il s'équiper en 3D ? Dès lors qu'une salle investit dans un équipement numériquz, la réponse est oui. La télévision elle-même va d'ailleurs être en partie en 3 D dans quelque temps.
Que penser d'une grande salle à caractère polyvalent ? Compte tenu des contraintes actuelles des finances locales, il ne sera pas possible de multiplier les équipements ; la cohabitation des usages, qui se pratique déjà, paraît une solution raisonnable.
En ce qui concerne le numérique, nous avons toujours dit qu'il valait mieux partir tard et aller vite ; maintenant que le mouvement est lancé, il faut que l'ensemble du secteur suive, la cohabitation des deux systèmes étant forcément plus onéreuse. La proposition de loi de M. Herbillon est donc très utile.
On sort en France à peu près 600 films par an – un peu plus si l'on inclut les rééditions. De fait, même si nous avons un grand parc de salles, il n'est pas possible de tout projeter. Quand on veut sortir une quinzaine de films par semaine, beaucoup ne trouvent pas leur public. Pour notre part, s'agissant du cinéma français, nous sommes favorables à des passerelles entre les différentes aides du compte de soutien, sans obligation de sortie en salle. S'agissant du cinéma américain, on se demande pourquoi certains films refusés par les filiales des majors sortent néanmoins en salle. Pour le cinéma des « autres nationalités », il serait utile de faire un bilan des aides et de se demander si la sortie en salle du plus grand nombre de films possible n'est pas en réalité un facteur de fragilisation.
S'agissant enfin des compétences des collectivités territoriales, nous avons interrogé le ministre de la culture et le cabinet du Président de la République, qui nous ont l'un et l'autre répondu que le cinéma continuerait à en faire partie.
Je voudrais pour ma part insister sur l'importance de la sortie en salle. Dans le système actuel, les aides proviennent de la santé du cinéma : c'est une répartition de sommes prélevées sur les tickets d'entrée. C'est donc une forme d'« auto-aide », qui doit rester cantonnée au cinéma et exclure toute porosité.
Par ailleurs, il est très souhaitable de ne plus opposer multiplexes et salles d'art et d'essai, cette diversité favorisant la diffusion des films. Enfin, les distributeurs acceptent le principe d'une contribution à la numérisation des salles, mais demandent qu'on veille à retenir une solution équilibrée.
La séance est levée à 12 heures 30.