Audition de M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement, sur le programme A400M.
La séance est ouverte à 10 heures
Je souhaite la bienvenue en votre nom au délégué général pour l'armement, M. Laurent Collet-Billon.
Votre audition était prévue avant l'interruption de nos travaux mais n'avait pu se tenir puisque vous deviez alors accompagner le ministre pour les réunions du 24 et 25 février qui ont notamment permis d'évaluer les nouvelles possibilités de coopération militaire entre pays de l'Union européenne.
Vous vous étiez exprimé devant la presse pour dénoncer le retard du programme A400M et nous avons été nombreux à nous inquiéter des difficultés de la renégociation du contrat entre les États et EADS.
Vous allez nous détailler l'accord qui a été trouvé.
De façon plus générale, la dégradation de nos finances publiques va nous conduire à contenir au plus juste les coûts des programmes d'armement. C'est une question que nous avons étudiée l'année dernière notamment à l'occasion du remarquable travail réalisé par Mme Adam et MM. Beaudoin et Fromion sur l'exécution de la LPM 2003-2008.
Comment la DGA pense-t-elle contenir la dérive si fréquente en la matière ?
Vous pourrez évoquer aussi, si vous le souhaitez, la nouvelle impulsion que pourrait connaître l'Europe de la Défense du fait de l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne.
Par ailleurs, à l'occasion d'un déplacement à Djibouti, nous avons entendu les inquiétudes des personnels qui craignent la mise en place d'une nouvelle RGPP. J'espère que vous pourrez nous rassurer sur ce point qui me préoccupe beaucoup.
Je vous remercie de votre invitation et de la possibilité que vous m'offrez de faire connaître mon appréciation sur la situation du programme A400M.
Beaucoup de choses ont été dites ou écrites sur ce programme depuis le mois de décembre 2008. Comme vous le savez, un accord a été trouvé au début du mois entre les États clients et EADS sur les conditions de sa poursuite. C'est le moment idoine pour dresser un premier bilan et tracer des perspectives.
Pour commencer, quelques mots sur la crise que nous venons de traverser. J'évoquerai la menace qui pesait alors sur la satisfaction du besoin militaire. J'indiquerai ensuite la façon dont la crise a été surmontée ainsi que le résultat obtenu, en vous donnant les clés des négociations qui ont été menées ces derniers mois. Enfin, je vous ferai part de mes réflexions sur les leçons à tirer de ce qui s'est passé.
Le programme de l'A400M porte sur 180 appareils pour sept nations avec des quantités très variables : l'Allemagne a commandé 60 appareils, la France 50, l'Espagne 27, le Royaume-Uni 25, la Turquie 10, la Belgique huit dont un pour le Luxembourg. Le contrat a été signé en mai 2003 entre l'OCCAR représentant les États et Airbus Military. Il faut rappeler qu'il y avait eu une première signature de contrat en 2001, mais qu'il n'avait pas abouti en raison de l'opposition du Bundestag. Entre 2001 et 2003, l'Allemagne a d'ailleurs réduit sa commande, passant de 70 à 60 avions. Durant cette période, il n'y a eu aucune autre variation des termes du contrat, ce qui laissait à l'industriel le temps d'en mesurer toutes les implications.
Le contrat a été fondé sur le concept d'approche commerciale, qui vise à s'inspirer des méthodes de management des programmes aéronautiques civils. Il était présenté par l'industrie comme applicable à un avion de transport militaire et devait apporter plus d'efficacité que les méthodes traditionnelles de gestion des programmes militaires.
Il s'est traduit pour l'A400M notamment par le fait que les États se sont ainsi engagés sur la totalité des commandes, avec des clauses de dédit assurant qu'en cas de réduction de la commande par un État, les autres parties ne seraient pas affectées. À ce propos, je me félicite de la globalisation des commandes, que ce soit pour le VBCI, le Rafale ou les FREMM, car cela marque l'entrée dans la loi de programmation militaire et donne de la visibilité à l'industrie.
Le maître d'oeuvre s'est engagé sur la fourniture de produits répondant aux spécifications, dans des délais et des prix convenus à l'avance. Il disposait de toute latitude sur l'optimisation des solutions techniques et sur l'enchaînement des activités de développement, d'industrialisation et de production. En particulier, les États avaient renoncé à la possibilité de valider eux-mêmes, au fur et à mesure du développement, les solutions techniques retenues par l'industriel, se concentrant sur la certification et la qualification de l'avion une fois que celui-ci aurait été développé et essayé en vol.
Cette solution nous plaçait en position de dépendance par rapport à l'industriel. Jusqu'au premier essai en vol, nous n'avions aucune visibilité ou presque, contrairement aux programmes habituellement suivis par la DGA.
De ce fait les signaux d'alerte ne sont apparus que courant 2008 et ce, de façon progressive. Ce n'est qu'en décembre 2008 que nous avons été informés de la gravité du problème. Le retard dépassait très largement le seuil contractuel à partir duquel des pénalités peuvent s'appliquer. Il n'y avait pas que cela.
Cette crise a été, en fait, exceptionnelle à plusieurs titres. D'abord par son ampleur financière avec un surcoût potentiel de plusieurs milliards d'euros pour un contrat de 20 milliards.
Exceptionnelle par l'annonce des difficultés rencontrées par l'industriel pour respecter le contrat. Avec un retard de trois à quatre ans, il souhaitait retransférer les risques vers les États alors même qu'il s'agit d'un contrat commercial. Il soutenait également que certaines exigences techniques étaient intenables. Seulement cinq ans après la signature du contrat, il était donc dans une position très défensive.
Exceptionnelle enfin par son environnement international : sept pays fondateurs étaient concernés, qui n'avaient pas forcément la même façon d'appréhender le problème.
Au final, il s'est bien agi d'une crise existentielle pour le programme.
La situation a été examinée sous l'angle des droits et obligations de chacune des parties au contrat, des centres d'intérêt des pays partenaires, des conséquences sur la satisfaction du besoin militaire et des répercussions sur le tissu industriel. Je vais détailler l'analyse sur le besoin militaire.
Pour réaliser ses missions de transport, l'armée de l'air dispose actuellement de 51 Transall en fin de vie, 14 C-130H, 19 Casa CN 235, cinq gros porteurs Airbus (deux A340 et trois A310) et 14 ravitailleurs C-135FR et KC135. J'ai cité tous les types d'appareils contribuant à ces missions, que ce soit au titre de leur emploi principal ou qu'ils soient utilisés au transport de troupes ou de matériels de façon secondaire. Cette flotte ne permet d'assurer que 25% du besoin de transport de fret défini par le Livre blanc; on est donc très loin du compte.
Je rappelle que le contrat opérationnel prévoit que l'on puisse projeter un échelon d'urgence interarmées en moins de cinq jours, à 8 000 km de la métropole, avec, au même moment, l'engagement de nos forces dans d'autres opérations.
Le retrait programmé des flottes vieillissantes des Transall et des avions ravitailleurs C-135 et KC-135 rend encore plus crucial le besoin de renouvellement et de complément de cette flotte.
Le programme A400M, couplé avec le programme MRTT, visait à renouveler les capacités de transport tactique et stratégique et à les adapter aux conditions des engagements futurs, à longue distance, avec des matériels plus lourds et plus volumineux, comme par exemple le VBCI qui pèse plus de 25 tonnes, soit bien plus qu'un AMX 10 RC. Il s'agit de renforcer les capacités de projection sur tous les théâtres, sur des terrains qui ne seront pas nécessairement bien aménagés.
C'est la capacité de projection de nos forces armées qui devait s'en trouver renforcée. À lui seul, l'A400M peut assurer le transport logistique inter théâtre de personnels et de matériels, le transport tactique intra théâtre à partir de plates-formes sommaires de troupes et de matériels, le transport de parachutistes et de matériels en environnement hostile ainsi que le ravitaillement aérien.
Le renoncement à l'A400M aurait posé un problème majeur pour nos forces armées. Il n'y a pas d'avion équivalent sur le marché international ni aujourd'hui ni dans les 10 ans ou 15 ans à venir. Le C130J dispose certes d'une capacité tactique, avec ses possibilités d'atterrissage sur pistes sommaires, mais la charge qu'il peut emporter est limitée à une partie de la gamme des blindés actuels. Il ne peut pas transporter les véhicules blindés de type VBCI.
Le C17 est spécialisé dans le transport stratégique mais ne dispose pas des capacités tactiques de l'A400M. Nous avons envisagé une flotte mixte de C17 et de C130J, mais le coût d'achat et d'entretien des C17 est trop élevé. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous souhaitions poursuivre ce programme. Bien entendu, il n'était pas non plus question de le faire à n'importe quelles conditions et à n'importe quel prix.
Le processus de résolution de la crise s'est fait en deux temps. Une première phase, allant de la fin de 2008 jusqu'à la mi-2009, a été consacrée au diagnostic de la situation. Une seconde phase a été réservée à la négociation.
Cette période de diagnostic de six mois a été très serrée. Nous nous sommes concertés avec nos partenaires pour engager des revues techniques, afin de se convaincre que l'avion était techniquement réalisable et que le niveau de performances attendu n'avait rien d'utopique. Nous voulions également disposer de notre propre estimation des délais.
Nous voulions aussi mesurer le niveau d'exigence financière de l'industrie et voir si un accord entre les deux parties était possible.
Nous voulions enfin vérifier que l'industriel était vraiment capable de mener à bien le projet. Comme les décisions à venir avaient des impacts financiers pour chaque pays, il était hors de question de prendre des décisions autrement qu'à l'unanimité.
Nous avons également défini le cadre juridique qui, au regard des règles régissant le contrat A400M, a permis à la fois de préserver nos droits et de faciliter la discussion avec Airbus Military. Il s'agit de la procédure de moratoire ou de standstill. Cette façon de procéder a aussi présenté l'intérêt de laisser les travaux prévus au contrat se dérouler, évitant ainsi d'aggraver le retard.
Nous sommes arrivés ensemble à la conclusion que cela valait la peine de chercher un accord avec EADS sur les conditions de poursuite du contrat. Pour cela, nous devions bien entendu entamer des négociations avec l'industriel. C'est la décision unanime qui a été prise le 24 juillet lors d'une réunion des ministres de la défense au Castellet à l'initiative du ministre de la défense Hervé Morin.
À cette occasion, les Britanniques ont indiqué qu'ils souhaitaient réduire leur commande pour rester dans les limites de leur enveloppe budgétaire.
La phase de discussion a duré jusqu'à la fin de l'année 2009. Réalisée par des représentants désignés par les États avec leurs équipes d'experts, cette analyse a traité des spécifications techniques, du calendrier de livraison, des clauses commerciales et du soutien initial. Nous avons également fait appel à un cabinet spécialisé qui a mené une enquête de coûts.
Au final, nous avons conservé l'essentiel des spécifications techniques. Nous avons maintenu le principe de responsabilité de l'industriel sur la totalité du périmètre du contrat. Nous avons accepté que les appareils soient livrés en plusieurs étapes avec des standards successifs, les rattrapages d'un standard à l'autre étant à la charge de l'industriel. C'est tout à fait faisable, nous pratiquons déjà cette politique sur d'autres équipements, à l'instar du Rafale,
Sur le plan financier, les négociations ont été particulièrement âpres. Les États se sont accordés pour apporter collectivement les compléments financiers a minima pour écarter le scénario d'arrêt du programme.
Je vais les indiquer, avec les précautions qui s'imposent tant que l'avenant au contrat n'est pas formellement signé.
Il est prévu que les États renoncent aux pénalités liés aux retards, qui pouvaient s'élever au total à 1,2 milliard d'euros. Ils acceptent une hausse de prix correspondant à deux milliards d'euros hors taxes, ce qui augmente de 10% le prix du contrat.
Des nouveaux profils de paiement seront définis qui, pour la part française, s'inscriront intégralement dans les enveloppes de ressources prévues, d'une part dans la LPM jusqu'en 2014, d'autre part dans la période 2015-2020. L'avenant au contrat, qui pourrait être signé en juin 2010, en fixera le détail.
En complément, et en dehors du cadre du contrat, les États vont apporter 1,5 milliard d'euros d'investissements avec, en contrepartie, une rémunération perçue sur les ventes de l'A400M à l'exportation. Le terme consacré pour ce mécanisme est l'Export Levy Facility. Un équivalent français est constitué par la procédure dite de l'article 90. J'ajoute qu'il s'agit non pas d'une aide financière, mais d'un investissement à long terme. Il nous permet de recevoir un retour sur les ventes futures à l'exportation. Nous tablons sur un volume de ventes variant entre 200 et 300 appareils..
L'entreprise prendra à sa charge tout le reste des surcoûts du programme. Il est néanmoins assez difficile de parler de ce sujet à sa place, je n'en parlerai donc pas.
Les augmentations de prix consenties dans le cadre du contrat se font au prorata des quantités commandées. Pour la France, cela fait une part de 50180e, soit 670 millions d'euros TTC sur l'ensemble de la durée du programme, ce qui correspond à 550 millions d'euros hors taxe. Maintenant que l'avenir du programme est stabilisé, nous devons poursuivre les négociations sur les prestations de soutien initial non encore commandées et reprendre les discussions sur la préparation du soutien en service avec nos partenaires notamment avec les Britanniques et les Espagnols.
Le travail que nous avons réalisé maintient notre commande de 50 avions. Le premier avion sera livré à la France au début de l'année 2013, nous disposerons de sept avions à la fin de 2014 et de 35 appareils à la fin de 2020, le dernier avion étant livré en 2024. Le nouveau calendrier induit donc un retard de quatre à cinq ans dans la mise en place de cette capacité opérationnelle nouvelle. J'insiste sur ce point : outre la dimension financière, les États font bien un effort conséquent en assouplissant le calendrier des livraisons.
Pour compenser ce retard, le ministère de la défense prévoit, pour le transport tactique, de prolonger certains C160 Transall entre 2015 et 2018 et d'acquérir huit cargos légers de type Casa CN-235. Pour le transport stratégique, la défense aura recours, en fonction de ses besoins, à des locations notamment dans le cadre du contrat SALIS qui sera prolongé au-delà de 2010. En cas de besoin, nous pourrions également avoir accès aux contrats de location de C17 de l'OTAN.
Les besoins financiers du programme A400M et les coûts des mesures palliatives resteront dans l'enveloppe totale prévue pour le programme A400M dans la loi de programmation militaire 2009-2014. La charge financière supplémentaire apparaîtra au-delà de 2020 et sera étalée sur plusieurs années, en accompagnement du nouveau calendrier de livraison des avions. La répartition par année pourra être précisée lorsque les plans de paiement sur la période 2010-2014 auront été affinés.
L'investissement français dans le cadre de l'Export Levy Facility serait quant à lui de l'ordre de 400 millions d'euros.
C'est donc un très bon accord qui va conforter une activité industrielle majeure employant quelque 12 000 personnes en France et plus de 40 000 en Europe.
Quelles leçons devons-nous tirer de ces difficultés ? Je crois avant tout qu'il faut écarter définitivement les contrats commerciaux. On peut bien sûr également parler de la problématique de la coopération, des difficultés à aligner les positions des uns et des autres, de la relation entre les pays clients et l'industriel à travers l'OCCAR, mais il faut être lucide sur le constat principal : l'industriel n'a pas su exécuter le contrat tel qu'il l'avait signé. Il y a clairement eu un problème d'organisation et de pilotage industriel. EADS et Airbus en ont tiré les conséquences en matière d'organisation mais ils doivent entreprendre un travail plus profond sur leurs capacités de conduite des programmes.
Vous avez indiqué que les surcoûts n'affecteraient pas l'équilibre de la LPM 2009-2014. Vous soulignez pourtant que l'État va les prendre en charge. Comment concilier ces deux engagements ? Par ailleurs, il a été fait état de dépenses supplémentaires pour les États de l'ordre de 3,5 milliards d'euros. Pouvez-vous confirmer ce chiffre ?
Le surcoût net s'élève à 2 milliards d'euros auxquels il faut ajouter 1,5 milliard d'euros d'investissement. Pour cette dernière somme, il ne s'agit pas d'une nouvelle dépense puisque c'est une subvention remboursable, comme je l'ai précédemment indiqué. J'ajoute que nous devons garder à l'esprit que les États ont renoncé à exiger 1,2 milliard d'euros de pénalités ; nous avons donc fait un effort très conséquent..
Comment seront financées ces dépenses ? Seront-elles prélevées sur le seul budget de la défense ?
Les sommes que j'évoquais sont globales et concernent tous les pays parties au contrat. S'agissant des 1,5 milliard d'investissement, la France en prendra à sa charge 400 millions d'euros sur un financement interministériel.
Les engagements financiers de la LPM seront respectés et le budget de la défense ne sera pas dégradé. Pour préserver cet équilibre, nous avons toutefois accepté de décaler les livraisons et de ne disposer que de 35 appareils en 2020.
Vous avez détaillé les différentes étapes de la crise de ce programme et les conséquences dramatiques sur son calendrier et sur son équilibre financier. Comme vous l'avez souligné, les difficultés sont essentiellement liées à des insuffisances dans la conduite des opérations. Quelles mesures entendez-vous prendre, au sein même de la DGA, pour éviter que cette situation se reproduise ?
Je relève que le contrat opérationnel aérien n'est rempli qu'à hauteur de 25 %, niveau qui m'apparaît extrêmement préoccupant. Vous avez indiqué que le ministère avait mis en place des solutions palliatives mais vous n'avez pas évoqué les MRTT. Où en est ce programme ?
Je rappelle que le programme A400M est un programme sous la responsabilité de gestion de l'OCCAR et qu'il s'inscrit dans une logique commerciale. Au vu des résultats, il est évident qu'il faut à l'avenir renoncer à ce type de contrat car il ne permet pas aux États de vérifier que les différents jalons sont franchis dans les temps. Nous allons donc revenir à une méthode plus ordinaire, relevant de la procédure décrite par l'instruction générale 1514 pour la conduite des programmes d'armement. Elle est peut-être plus contraignante mais elle nous permet de maîtriser les risques et de nous assurer du bon déroulement du programme. Par ailleurs, je crois qu'EADS doit faire un effort très important pour améliorer sa culture du management.
En ce qui concerne les MRTT, nous allons lancer le programme très bientôt. Comme vous le savez, plusieurs pistes de démarche d'acquisition sont étudiées.
Je suis stupéfait d'entendre qu'aucune responsabilité n'est clairement identifiée sur ce dossier alors que les problèmes sont majeurs avec une dérive financière gigantesque. C'est un vrai scandale et il n'est pas possible que vous osiez nous présenter des explications aussi légères sur ce dossier. Au final, le problème reste entier : si la DGA n'est pas capable de suivre un tel programme ni de proposer de solutions durables pour éviter que cette situation se répète, à quoi sert-elle ?
J'ai le sentiment que les difficultés du programme A400M sont en partie liées à la découverte tardive des problèmes, comme si tous les acteurs avaient refusé de les voir plus tôt. Les responsabilités sont évidemment multiples ; la DGA, l'OCCAR, l'industriel mais aussi les États sont concernés. Sans chercher de bouc émissaire, il faut impérativement que nous fassions le point sur les difficultés, notamment sur le plan politique. Or j'ai l'impression que ce travail n'est pas prévu alors qu'il est indispensable.
Par ailleurs, je crois que ce dossier souffre d'un non-dit conséquent : depuis l'apparition des problèmes, on a beaucoup critiqué la position britannique alors même que les blocages venaient en fait de l'Allemagne. Quelle est la réalité ?
Le debriefing que vous appelez de vos voeux aura bien lieu, soyez-en assuré notamment sur le mode de fonctionnement de l'OCCAR et les adaptations à prévoir. L'état des lieux se fera de façon bilatérale avec nos partenaires et notamment avec l'Allemagne et le Royaume-Uni.
S'agissant de la responsabilité, je considère que l'industriel est le premier responsable puisque c'est lui qui avait souhaité recourir à un contrat commercial et qu'il a été incapable de tenir ses engagements. L'entreprise devait dans le même temps faire face aux difficultés de l'A380 qui mobilisait l'essentiel de ses moyens ; EADS ne disposait donc pas de suffisamment d'ingénieurs pour mener de front ces deux programmes. Je crois d'ailleurs que nous faisons face à une crise majeure en matière de recrutement et de formation de nos ingénieurs. Le besoin annuel est de l'ordre de 50 000 ingénieurs alors que nous n'en formons que 25 000 par an sans compter que près d'un tiers d'entre eux renoncent à une carrière technique.
Je crois qu'il serait utile que nous débattions de ces questions avec nos homologues britanniques et allemands.
Sur la position de nos partenaires, ni l'Allemagne ni le Royaume-Uni n'ont jamais souhaité sortir du programme. Même si les Allemands ont une contrainte capacitaire moindre puisque tous leurs Transall sont encore en état de voler, ils n'ont jamais voulu arrêter le programme. Il a néanmoins bien entendu fallu intégrer les spécificités allemandes en matière de gestion des grands programmes d'armements notamment en relation avec le Bundestag.
Il faut rappeler que l'A400M est un avion extraordinaire et que plus on en vendra, plus on en réduira le coût. Si La France en a déjà commandé 50 exemplaires, qu'en est-il de nos partenaires ? Leurs commandes ont-t-elles été validées ? Vous avez indiqué que l'on pouvait prévoir d'en exporter 200 à 300 : pouvez-vous préciser dans quels pays et dans quels délais ? Je souhaiterais savoir également à quels transferts technologiques l'appareil pourrait donner lieu, à quels développements ceux-ci pourraient aboutir et qui en sera propriétaire. Enfin, dans un contexte de pénurie d'ingénieurs, comment la maintenance de l'A400M sera-t-elle assurée ?
Il convient d'observer que l'A400M n'est pas le seul projet industriel à connaître des dérives, comme le montre par exemple aux États-Unis le JSF 35, dont le coût est passé de 70 à 130 millions de dollars. Pourriez-vous nous indiquer si les acquisitions intermédiaires notamment de C135 et la rénovation des Transall sont bien prises en compte dans l'enveloppe globale de la LPM ?
Une clause prévoit par ailleurs que si la commande est réduite de dix exemplaires, le prix de l'avion augmentera : qu'en est-il exactement ? Des locations d'appareils sont-elles prévues auprès de l'OTAN pour compenser notre déficit opérationnel ?
Enfin, le rapport de la Cour des comptes est très critique pour les états-majors et la DGA sur les programmes comme sur les commandes : quelles réponses pouvez-vous lui apporter ?
L'A400M reste très compétitif, comme le montrent les études comparatives, et ce, malgré une augmentation du prix en série de 10 à 15 % : cela laisse donc présager de nombreux succès à l'exportation surtout qu'il n'a aucun concurrent sérieux, Tous ces éléments conduisent à penser que l'on peut tabler sur une exportation de 200 à 300 appareils. EADS estime qu'au-delà de ces prévisions, des exportations vers les États-Unis sont également possibles mais le contexte actuel doit nous inviter à la prudence.
Concernant la maintenance, nous en reprenons aujourd'hui l'étude sur la base de ce que nous savons de l'appareil ; mais la priorité, pour l'instant, est la finalisation de l'avenant au contrat.
Les transferts de technologies sont complexes à réaliser. Ce que l'on peut dire aujourd'hui, c'est que l'avion est bien conçu et bien avancé : les premiers essais en vol ont d'ailleurs été concluants. L'appareil a déjà atteint sa vitesse maximale.
Je vous confirme, monsieur Michel, que les solutions palliatives entrent dans l'enveloppe globale prévue par la LPM, à savoir les huit CASA 235 ainsi que la prolongation des Transall, dont 22 seront encore en état de vol en 2015 avant un retrait total prévu en 2018.
Une clause prévoit effectivement qu'au-delà de dix commandes unitaires supprimées, le prix pourra augmenter. Mais la commande globale restera, dans le pire des cas, comprise entre 170 et 180 appareils.
Le rapport de la Cour des comptes est actuellement étudié par mes services et j'y répondrai une fois cette analyse achevée.
Je me réjouis que l'on soit sorti de la crise et que la France ait joué un rôle déterminant en la matière. L'A400M est un programme européen majeur : l'avion est excellent et présente de belles perspectives d'exportations. Je m'inquiète en revanche, eu égard au calendrier des livraisons prévu, sur notre aptitude à conserver nos capacités dans le temps, notamment en termes de métiers. S'il faut attendre 2018 pour avoir des appareils capables d'atterrir en tout temps et disposant de toutes les capacités électroniques, il n'est pas sûr que les mesures intermédiaires prévues nous permettent d'ici là de préserver ces capacités humaines.
Par ailleurs, depuis trois ans que je suis rapporteur du budget de l'armée de l'air, on m'indique que la décision concernant les ravitailleurs sera prise dans l'année : je l'attends toujours. Je rappelle que nous n'avons qu'un porte-avions et que notre capacité de projection de puissance dépend de nos moyens en ravitailleurs. Si par malheur nous avions une rupture capacitaire pour ces appareils, nous perdrions notre capacité de puissance permanente y compris en matière de dissuasion. J'estime qu'il y là une urgence opérationnelle. Et si nous transférions nos moyens sur l'opérationnel, ce serait alors la dissuasion qui serait mise en cause : je ne peux accepter que ces problèmes nuisent à la composante aéroportée que j'estime indispensable.
Je suis également heureux qu'on soit sorti de cette crise, sauvegardant les 12 000 emplois concernés en France. Mais je m'interroge sur le maintien de nos savoir-faire et de nos capacités, notamment pour nos régiments parachutistes et pour le largage à haute altitude. Par ailleurs, les commandes des États seront-elles homogènes ou feront-elles l'objet de nombreuses options différentes, comme pour le NH90, qui avait donné lieu à une vingtaine de modèles ? Par ailleurs, quelles sont les conséquences de la dérive des coûts initialement prévus sur celui du futur MCO ?
Les premiers MRTT seront livrés en 2015. Par ailleurs, nous avons décidé, il y a deux ou trois ans, de prolonger les C135 pour passer le cap de 2015. En termes de dissuasion, le déploiement de l'ASMP A sera réalisé, comme prévu, d'ici à l'été.
S'agissant de la préservation des savoir-faire et des métiers, je vous invite à interroger le chef d'état-major de l'armée de l'air.
Je vous confirme, monsieur Folliot, que les commandes d'A400M ne donneront pas lieu à une multiplicité de modèles, contrairement au NH 90. Mais se posera naturellement la question du vieillissement des appareils, qui pourra différer selon les pays, avec les conséquences que cela peut avoir en termes de MCO. Nous y réfléchissons avec le Royaume-Uni et l'Espagne. L'Allemagne a souhaité avoir son propre dispositif, mais j'ai indiqué à mon homologue allemand que j'étais prêt à en discuter avec lui.
L'A400M, on le voit, fait l'objet d'une bataille de chiffres. Selon mes informations, le budget initial était de 20 milliards d'euros pour 180 avions. Il s'établirait aujourd'hui à 27 milliards d'euros dont 4,2 milliards à la charge d'EADS, soit une augmentation de 38 % sur sept ans. Quels sont les chiffres réels ? Est-on sûr de disposer du premier appareil opérationnel en 2013 ? L'étalement des commandes jusqu'en 2020 ne va-t-il pas entraîner un nouveau surcoût ? Vous avez indiqué que la France prendrait à sa charge 400 millions d'euros ; selon mes informations, ce serait plutôt 554 millions d'euros. Qu'en est-il exactement ? Enfin, comment seront budgétairement imputés ces montants ? Je crois qu'un effort de transparence s'impose, car cette question pourrait bien faire l'objet un jour ou l'autre, étant donné les sommes en jeu, d'une commission d'enquête parlementaire.
Tout au long de ce dossier nous avons oscillé entre des déclarations d'optimisme et de pessimisme. À mon sens, ce projet était trop important et symbolique pour qu'on le laisse échouer. Aussi, je me demande si les industriels n'en ont pas tenu compte dès le début en acceptant un projet dont les perspectives financières n'étaient manifestement pas tenables, mais dont ils savaient qu'il serait sauvé.
Pour ma part, j'évalue le surcoût du programme pour la France à 1,07 milliard d'euros, en additionnant les 670 millions d'euros de renchérissement pur et les 400 millions d'euros d'avances remboursables. Pourriez-vous confirmer ce calcul ?
Cela correspond aux chiffres que j'ai évoqués, à savoir d'une part 550 millions d'euros hors taxes, soit 670 millions d'euros TTC pour l'augmentation de coût supportée par la France, et d'autre part 400 millions d'euros.
Nous sommes très transparents sur ces questions et je m'engage à répondre par écrit et plus précisément à toutes les questions que la commission jugera utile de m'adresser.
La négociation avec l'industriel porte sur les montants et les flux financiers. Au final, nous respectons les flux prévus en programmation jusqu'en 2020, le surcoût n'étant répercuté qu'après 2020,.
Mettre tous les acteurs sous pression ne suffit pas à garantir la pérennité d'un programme. Il faut en particulier pourvoir disposer de la ressource requise en ingénierie alors même que le programme A400M n'est pas le programme phare de cette entreprise. À mon sens, la crainte que l'on peut nourrir réside surtout dans le développement du successeur de l'A320 qui exercera une forte pression sur ces ressources. C'est pourquoi nous attachons une importance particulière à l'accomplissement rapide des essais en vol.
Je suis très heureuse que ce projet semble aboutir, notamment pour la construction de l'Europe de la défense. Compte tenu des enseignements du passé, et en particulier des conditions d'exécution de la programmation précédente, il est à craindre qu'au même titre que d'autres programmes d'équipement, l'A400M souffre encore de nouveaux surcoûts.
Vous avez annoncé vouloir reprendre en main les conditions de commande d'équipements militaires, notamment en vous interdisant de recourir aux contrats commerciaux. Pourriez-vous être plus précis sur ce point ? S'agit-il d'un changement de politique, voire d'un retour en arrière ? Cela me semble en effet contredire la politique menée depuis quelques années.
Sur le plan européen, l'OCCAR ne dispose pas de capacités comparables à celles des administrations d'États, comme la DGA. Faut-il conserver cet organisme ? Si oui, doit-on renforcer ses moyens ?
Plus généralement, c'est bien la question de l'Europe de la défense qui est posée. Compte tenu de la crise économique actuelle et du tarissement de certains budgets, cette perspective nous paraît être la seule possible pour maintenir une défense de premier plan. Lors d'un récent colloque auquel j'ai participé, vous avez tenu des propos peu optimistes sur l'Europe de la défense. Pourriez-vous préciser votre point de vue devant la commission ?
Je ne veux pas faire le procès de la DGA même en l'espèce j'ai l'impression qu'elle n'a pas été suffisamment présente. En ce qui concerne la maintenance, j'ai le sentiment que les autorités reviennent à des politiques plus sages et plus efficaces, au cas par cas. D'ailleurs, le fait d'avoir confié à un industriel la responsabilité de la maintenance du Rafale n'est pas en soi une mauvaise chose.
Pour le soutien du secteur aéronautique, les autorités devraient porter leur attention sur certains segments d'avenir, tels que la turbopropulsion. Il s'agit d'un défi technologique majeur pour la France.
En ce qui concerne Airbus et son organisation industrielle, je relève tout d'abord l'existence de tensions entre les sites de Toulouse et de Hambourg notamment pour l'A380. Dans le cas de l'A400M, c'est avec l'Espagne que des difficultés sont apparues. Cela rappelle celles que nous avions pu connaître dans le passé avec le Portugal pour la maintenance de certains avions de transport. Nous devons donc être très attentifs, dès à présent, sur ce que contiennent les appels d'offre, s'agissant en particulier de la maintenance pour éviter de retrouver de telles dissensions.
Je relève par ailleurs l'inquiétude des PME, qui attendent des signes de la part d'Airbus. Pour le moment, elles souffrent d'une quadruple crise : celle de l'A380, la baisse du plan de charge d'Airbus, les difficultés de Dassault avec le Rafale et, bien évidemment, celle de l'A400M.
Les contrats commerciaux ne sont pas pratiqués par la DGA. Il faut revenir à des contrats où l'industriel assume ses responsabilités, mais sur un périmètre raisonnable et sous le contrôle de l'État.
En ce qui concerne le programme Rafale, Dassault s'est vu confier la responsabilité de la cellule, tandis que l'État a conservé celle du moteur et des équipements. Or, ce programme semble fonctionner de façon très satisfaisante.
Les contrats doivent être suffisamment transparents pour l'État, en prévoyant son information régulière, en particulier lors du franchissement de paliers.
L'OCCAR ne dispose pas de centre technique en propre. Il faut donc se coordonner avec le Royaume-Uni, l'Allemagne, voire l'Italie et l'Espagne pour assurer les expertises qui lui sont nécessaires. C'est un enjeu considérable que de conduire des programmes multilatéraux alors que nous étions habitués à des programmes bilatéraux ou trilatéraux.
Cela ne nous empêchera pas de continuer à faire des achats sur étagères lorsque cela sera nécessaire.
En ce qui concerne la maintenance, je rappelle que c'est l'armée de l'air, au travers de la SIMMAD, qui lance les appels d'offre pour ses aéronefs et non la DGA.
S'agissant des problématiques industrielles et notamment des difficultés des PME, je vous confirme notre souhait de voir leurs intérêts pris en compte par les grands industriels. L'État dispose toutefois de marges de manoeuvre relativement faibles pour imposer des schémas de redistribution. Dans la mesure du possible, il nous faut passer des commandes en quantités suffisantes pour éviter que les sous-traitants n'assurent eux-mêmes les risques de série. De ce point de vue, le Rafale est produit dans les quantités initialement prévues, à savoir 11 appareils par an. C'est plutôt du côté du Falcon qu'il y a des baisses de commandes, et nous ne connaîtrons de difficulté industrielle sur le Rafale que si aucun contrat d'exportation n'est conclu. Mais je suis optimiste sur ce point.
Pourriez-vous évoquer le coût du MCO des Transall et sa répartition sur les deux programmations ?
L'Occident a du mal à supporter la mort au combat et envoie donc du matériel de plus en plus lourd pour protéger ses combattants. Dans cette perspective, ne serait-il pas utile de disposer de gros transporteurs tels que les Antonov ?
Quelle est votre position sur les transferts de technologies en faveur de concurrents qui auront vite fait de dépasser notre pays?
Qu'en est-il des possibilités d'exporter vers la Russie ? Ce pays a de grands besoins en matière de transport aérien militaire. Vous semble-t-il concevable de lui vendre des A400M ?
La mesure palliative concernant les C130 Transall représente un coût d'environ 100 millions d'euros dont environ 50 millions d'euros dans la LPM actuelle. Ces coûts sont estimatifs au stade actuel.
Sur les transferts de technologies, je suis peu inquiet car peu de pays disposent des capacités industrielles suffisantes pour fabriquer des avions dont la conception est particulièrement complexe, notamment pour le fuselage et les voilures. Par exemple, seule l'Ukraine maîtrise la propulsion à hélice avec un moteur de 10 000 chevaux.
En ce qui concerne la Russie, il faudra d'abord voir si ce pays est candidat à un tel achat et dans cette hypothèse il reviendra au Gouvernement d'autoriser l'exportation, voire d'éventuels transferts de technologies. Le SGDSN sera au coeur du processus.
En effet, la décision devra être collégiale.
Je vous remercie de ces précisions.
Mes chers collègues, je tenais à vous préciser que les armées proposent d'organiser des stages d'immersion dans les forces pour les parlementaires. Je vous écrirai prochainement en ce sens pour recenser vos souhaits et établir un calendrier prévisionnel.
La séance est levée à 11 heures 30.