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Commission des affaires sociales

Séance du 17 février 2010 à 9h30

Résumé de la séance

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La séance

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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 17 février 2010

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la commission)

La Commission des affaires sociales entend M. Bertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires, sur le rapport relatif aux prélèvements obligatoires des entreprises dans une économie globalisée.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Nous avons le plaisir d'accueillir M. Bertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires, qu'accompagnent Mme Catherine Démier, secrétaire générale du Conseil, et M. Maximilien Queyranne, rapporteur général.

Au moment où nous réfléchissons aux moyens d'alléger les charges sociales et de réduire le déficit de la sécurité sociale, je suis certain que M. Fragonard, avec toute la compétence que nous lui connaissons, pourra nous éclairer sur l'évolution possible d'un système qui concerne à la fois la compétitivité des entreprises, la réduction de nos déficits et l'équité fiscale.

PermalienBertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires

Comme vous l'avez indiqué, je viens vous présenter, en qualité de suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires, l'étude que, à la demande du président de la commission des finances du Sénat, nous avons consacrée aux prélèvements obligatoires des entreprises dans une économie globalisée. Philippe Séguin, qui présidait le Conseil, a mené les débats sur l'étude jusqu'à son adoption en octobre 2009. Je ne commenterai pas les événements intervenus depuis lors.

Notre premier constat est que le taux de prélèvements obligatoires sur les entreprises est en France beaucoup plus élevé que dans la plupart des pays concurrents.

En 2008, les entreprises ont supporté dans notre pays 327 milliards d'euros de prélèvements obligatoires au sens de la comptabilité nationale. Elles auraient même payé près de 370 milliards si l'on élargit ce champ à la TVA que les entreprises ne peuvent déduire – les rémanences fiscales –, aux taxes environnementales telles que la taxe intérieure sur les produits pétroliers, ou encore à certaines charges qui ne sont pas comptabilisées dans les prélèvements obligatoires, comme les taxes finançant l'apprentissage, la formation professionnelle ou l'effort de construction.

La part des prélèvements obligatoires des entreprises dans la richesse nationale était supérieure en France de 5,7 points à la moyenne européenne en 2006 ; ce pourcentage serait un peu supérieur à 6 points, si l'on excluait la France du calcul de la moyenne européenne. Cela représente à peu près 100 milliards d'euros. Autrement dit, un tiers des prélèvements obligatoires opérés en France se situe au-dessus de la moyenne européenne.

Cet écart spectaculaire s'explique par plusieurs facteurs et en premier lieu par un niveau global de prélèvements obligatoires plus élevé en France qu'ailleurs. La dépense publique étant plus forte dans notre pays, il faut bien l'alimenter : si la machine dépense, il faut la nourrir. Autant dire qu'il n'est pas de grande réforme fiscale qui ne soit accompagnée d'un effort de maîtrise de la dépense publique.

L'écart s'explique aussi par un élément qui, pour être moins connu, n'en est pas moins très important : les conventions de présentation. En France, l'essentiel des prélèvements dont les entreprises sont le véhicule sont classés dans les prélèvements obligatoires : protection sociale, régimes de retraite complémentaire obligatoire, assurance maladie, par exemple. Ce n'est pas le cas dans certains autres pays anglo-saxons et notamment aux États-Unis, où une partie de ces dépenses, même si elles sont financées par les entreprises et bien que, dans les faits, elles soient très largement généralisées, ne sont pas comptabilisées dans les prélèvements obligatoires car elles n'ont pas, juridiquement, la qualité d'obligation et de généralité qui justifierait ce classement. Or, les seuls régimes de retraite correspondent à 2 points de PIB. Il faudrait donc comparer des champs de dépense comparables. La surtaxation des entreprises en France est un élément culturel ancien : nous avons décidé de très longue date de faire de l'entreprise le véhicule de la perception des prélèvements obligatoires. Ces derniers pèsent pour deux tiers sur le facteur travail. On a donc opté pour un salaire direct relativement modéré et pour un gros salaire indirect, au contraire de pays voisins qui ont fait des choix différents, parfois même très différents.

Cela dit, il ne faut pas sous-estimer l'ampleur des prélèvements obligatoires opérés sur les entreprises, mais cela renvoie à la question plus vaste du coût relatif du travail en France. En effet, ce n'est pas parce que le taux de prélèvements obligatoires est très élevé que le coût du travail l'est forcément beaucoup plus que dans les autres pays. On notera toutefois que ce taux, historiquement fort, s'est stabilisé, et qu'il a même diminué d'un demi-point en 2007 et en 2008, après que des efforts significatifs eurent été faits, principalement au titre de l'impôt sur les sociétés et de la taxe professionnelle. Les entreprises ont ainsi bénéficié de 12 milliards d'euros de réduction de prélèvements obligatoires. Les lois de finances pour 2009 et 2010 devraient amplifier ce phénomène, notamment par la suppression de l'imposition forfaitaire annuelle et par la profonde réforme de la taxe professionnelle. Nous n'en avons pas tenu compte dans nos estimations d'octobre 2009.

Cela étant, quel que soit le jugement que l'on porte sur le niveau des prélèvements obligatoires, il serait trop court de s'en tenir à un constat global, puisque les entreprises n'ont pas la même sensibilité à ces prélèvements selon leur taille, leur secteur d'activité ou la pression exercée par la concurrence internationale.

Aussi avons-nous examiné, comme l'avait souhaité le président Arthuis, la structure et l'efficacité des prélèvements obligatoires au regard de deux impératifs : l'attractivité du territoire et la compétitivité des entreprises. Nous avons distingué les deux notions pour analyser les facteurs qui interviennent dans la localisation des entreprises ainsi que ceux qui déterminent leur compétitivité et leurs coûts de production.

Pour ce qui est de l'attractivité du territoire, il ressort de notre étude que la France a privilégié depuis très longtemps le maintien d'un taux d'imposition des bénéfices élevé, compensé par des mesures de réduction de l'assiette de cette imposition. C'est un trait constant de notre fiscalité et, dans tous ses rapports, le Conseil des prélèvements obligatoires souligne, d'une part, la lourdeur du prélèvement et, d'autre part, la persistance de taux élevés associés à des assiettes réduites. On a abouti à cette situation par des mécanismes fiscaux qui favorisent certains types d'activité : les groupes grâce au régime d'intégration fiscale ; le capital investissement par la très large déductibilité des charges financières d'emprunt ou par l'exonération des plus-values de cession de titres de participation ; les activités de recherche par le biais du crédit d'impôt recherche, calculé en volume depuis 2008.

Ce choix a des effets économiques incertains. Une chose est sûre : afficher un taux de prélèvement « facial » élevé d'imposition des sociétés n'est pas un très bon argument de vente. Certes, la plupart des chefs d'entreprise poussent l'analyse au-delà du seul taux facial, mais l'inconvénient est incontestable. Au surplus, notre système fiscal, parce qu'il intègre régulièrement des variations d'assiette, est insuffisamment prévisible. Son instabilité est due à des modifications fréquentes. Ainsi, le crédit d'impôt recherche a été modifié presque chaque année depuis sa création en 1983, et les exonérations générales de cotisations sociales ont changé douze fois en quinze ans. Cette instabilité et un taux facial de prélèvements obligatoires élevé ne sont pas de nature à attirer des entreprises sur notre territoire.

En revanche, lorsque nous faisons un effort de ciblage, y compris par des dépenses fiscales, notre attractivité est réelle ; mais la difficulté est alors d'apprécier la valeur de la dépense fiscale consentie et sa structure. Le Conseil des prélèvements obligatoires avait souligné que la structure de notre fiscalité privilégie les grandes entreprises – le MEDEF considère que notre point de vue est excessif et qu'il n'y a pas d'éléments probants en ce sens – et certaines activités financières telles que les opérations à effet de levier, dites leverage buy out, plus que le soutien de l'activité des PME innovantes ou des entreprises de taille intermédiaire. Notre rapport penche en faveur d'un rééquilibrage de l'effort fiscal, mais cette thèse est très controversée.

La France a indéniablement perdu en compétitivité au cours des dernières années, notamment par rapport à l'Allemagne. C'est un élément fondamental car la France, quoi que l'on en dise à l'extérieur, est une économie largement ouverte aux échanges internationaux, qui contribuent deux fois plus à la richesse nationale que ce n'est le cas aux États-Unis ou au Japon. Il est vrai que nous sommes en ce domaine un peu au-dessous de l'Allemagne, mais nous sommes très exposés à la concurrence internationale et nous avons des atouts - une bonne spécialisation industrielle et des avantages comparatifs dans les services, essentiellement grâce au tourisme.

Cela étant, la France perd de sa compétitivité. Depuis 2003, elle a cédé des parts de marché par rapport aux autres pays de l'OCDE et de l'Union européenne, et ses positions dans la haute technologie et le haut de gamme, qui étaient une des forces de notre économie, se sont érodées depuis 1995 ; sa balance commerciale s'est creusée quasi continûment depuis 2002, en raison du ralentissement de ses exportations ; sa compétitivité-coût s'est dégradée, ce qui signifie que ses coûts de production augmentent plus vite que ceux des pays de l'OCDE et de l'Union européenne ; elle n'a maintenu sa compétitivité-prix par rapport à ces pays que par une réduction des marges des entreprises, ce qui ne peut durer. Et si la France a de petits exportateurs et des champions nationaux, elle n'a pas su, à la différence de l'Allemagne, faire émerger d'entreprises de taille intermédiaire. Enfin, nous peinons à réorienter nos exportations vers les nouveaux pays industrialisés, dont le taux de développement est extrêmement élevé.

La structure et le poids des prélèvements obligatoires jouent-ils un rôle dans notre perte de compétitivité ? Cette interrogation centrale renvoie à la question précédemment abordée de l'importance, dans nos prélèvements obligatoires, des prélèvements qui pèsent sur les coûts de production, dont j'ai dit qu'ils sont sensiblement plus élevés que la moyenne européenne.

Comment se situe notre coût du travail au regard de ce qu'il est chez nos concurrents ? D'évidence, aucune compétition n'est possible avec les pays en développement : en 2006, le coût horaire industriel moyen en France était évalué à environ 25 dollars en France contre 5 dollars en Pologne et 0,50 dollar au Sri Lanka. Cela explique sans doute que le crédit d'impôt sur les sociétés pour relocalisation créé en 2004 n'ait pas eu de résultats probants, non plus que le crédit d'impôt de taxe professionnelle institué en 2005 pour lutter contre les délocalisations – mesure qui relevait davantage de l'aménagement du territoire que de l'amélioration de la compétitivité globale de notre économie.

Pour autant, le coût moyen du travail en France est comparable à celui qu'il est dans les autres pays développés de la zone. Les chiffres présentés dans le rapport concernant la France doivent être un peu corrigés mais, quoi qu'il en soit, le coût du travail en France n'est pas déraisonnable. Cela étant, nous pouvons toujours souhaiter améliorer notre compétitivité-prix, ce qui renvoie à l'allégement des charges.

La France a choisi, depuis une vingtaine d'années, d'orienter les allégements fiscaux vers le soutien de l'emploi peu qualifié et, dans la période récente, vers le soutien au revenu des salariés. Quelque 45 milliards de réduction de prélèvements obligatoires ont été mobilisés en 2008 en faveur de ces objectifs par le biais d'allégements généraux, d'allégements ciblés, d'exemptions de cotisations sociales et de taux réduits de TVA pour certains secteurs intensifs en main-d'oeuvre.

Cette politique était vraisemblablement nécessaire compte tenu d'un élément propre à notre pays et qui l'a distingué de ses grands concurrents : la montée rapide du salaire minimum, certes positive pour les salariés concernés, mais qui, par son intensité, a rigidifié notre marché du travail. Il était logique d'essayer de compenser ces effets par un allégement des coûts qui, au demeurant, par un effet boule de neige, facilite ensuite l'augmentation du SMIC. On a certes gagné de l'emploi, l'allégement des coûts du travail non qualifié jouant dans le rééquilibrage partiel du marché du travail. Mais ces choix, et c'est l'axe de notre rapport, conduisent à privilégier les secteurs intensifs en main-d'oeuvre peu qualifiée et protégés de la concurrence internationale, qui ne jouent ni pour la compétitivité ni pour l'attractivité de notre économie. Ce n'est qu'assez récemment que la préoccupation d'attractivité et de compétitivité s'est développée : elle s'est traduite par les réformes successives de la taxe professionnelle que nous analysons, à l'exception de la dernière.

Ces choix complexes n'ont pas toujours démontré leur efficacité, y compris pour la politique de l'emploi. Ainsi, des taux réduits de TVA sur certains secteurs intensifs en main-d'oeuvre, que Philippe Séguin, en présentant le rapport en octobre 2009, avait jugés avec assez de maussaderie.

Il est évident que les allégements généraux de cotisations sociales se traduisent, toutes choses égales par ailleurs, par l'augmentation du coût de la main-d'oeuvre qualifiée. Or, c'est sur ce coût que se joue une bonne partie de la compétitivité. Nous n'avons pas voulu opposer ces deux politiques – la décision revient à la représentation nationale –, mais il nous a semblé important de montrer ce qui avait été à l'oeuvre ces vingt dernières années et qui a rendu les cotisations patronales fortement progressives à mesure que le revenu du travail s'élève, ce qui pourrait nuire à la productivité du travail des entreprises exposées à la concurrence internationale.

Compte tenu de ce constat nuancé, la situation financière du pays, et plus encore depuis la crise, rendait inconcevable de suggérer que la compétitivité de notre économie passait par un allégement massif des charges. Avec des recettes fiscales en chute et des comptes publics dégradés, le premier effort doit porter sur la dépense publique, et ensuite seulement sur la structure des prélèvements, sans parier sur une baisse prononcée et rapide de leur niveau aussi longtemps que nos comptes seront aussi massivement déséquilibrés. En tenant compte de ce contexte, le conseil a proposé cinq pistes d'évolution.

Il convient d'abord de pousser l'analyse des prélèvements obligatoires qui pèsent sur les entreprises pour mieux appréhender leur incidence économique réelle.

Il faut ensuite cesser de rechercher, comme on le fait depuis vingt ans, une assiette miracle pour les recettes, car il n'en existe pas. Certaines assiettes sont plus favorables à certaines activités que d'autres, en particulier celles qui ne pèsent pas sur les coûts de production, mais nul ne trouvera une assiette qui n'aura pas d'effet négatif sur l'activité ou sur les revenus des ménages. L'exercice est donc vain. Au demeurant, le recours à des assiettes substitutives présente des risques propres : évasion du capital et découragement de l'investissement en cas de taxation trop forte du capital, effets inflationnistes de court terme en cas de taxation de la consommation, risque d'effet dépressif sur la demande en cas de taxation des revenus des ménages. Enfin, la position concurrentielle d'une économie en perte de compétitivité ne serait pas non plus durablement améliorée par un simple basculement d'assiette, l'évolution des salaires finissant par absorber la baisse des charges.

Aussi convient-il, plutôt que de rechercher une assiette miracle, de tenter de privilégier les bases larges et les taux bas. Or, les gouvernements successifs ont choisi l'option inverse, tellement il est tentant d'asseoir une politique sectorielle par le « mitage » de l'assiette. De manière plus raisonnable, nos principaux concurrents s'en sont, dans l'ensemble, tenus à une plus grande neutralité des prélèvements obligatoires au regard de l'activité, ils ont moins fait d'entorses aux règles d'universalité de l'assiette, et ils ont affiché une baisse du taux facial de l'impôt sur les sociétés, ce qui n'est pas neutre.

Il se trouve par ailleurs que l'efficacité des politiques décidées en France en ce domaine est peu évaluée et qu'elle n'est pas toujours démontrée. Il conviendrait sûrement de s'interroger sur le maintien de certains dispositifs adoptés avec des intentions très louables, mais dont on n'est pas assuré qu'ils favorisent l'attractivité du territoire et la compétitivité des entreprises.

En matière fiscale, l'assiette de l'impôt sur les sociétés pourrait être élargie, ce qui permettrait une baisse du taux facial. À cette fin, la déductibilité des intérêts d'emprunt pourrait être plafonnée ou le niveau de détention du régime « mère-fille » des sociétés mères et filiales augmenté. Ainsi favoriserait-on des opérations réelles plutôt que des montages financiers qui accroissent à terme notre endettement.

En matière de prélèvements sociaux, le Conseil des prélèvements obligatoires recommande de s'interroger sur l'ensemble des dispositifs d'allégements de cotisations et d'exemptions d'assiette, qui représentent l'équivalent de 6,6 points de cotisations vieillesse déplafonnées. Une baisse uniforme des taux serait au demeurant plus profitable aux secteurs exposés à la concurrence internationale mais, comme je l'ai indiqué, une politique de ce type a ses limites, car il importe de savoir quelles conséquences elle aurait sur le coût du travail au voisinage du SMIC, et donc sur l'emploi faiblement qualifié.

Nous avons aussi suggéré de favoriser l'émergence d'entreprises de taille intermédiaire. Notre rapport montre que le taux d'impôt sur les sociétés des grandes entreprises est plus bas que la moyenne. Peut-être faut-il en débattre.

Il nous paraît également nécessaire de simplifier et de stabiliser les prélèvements obligatoires, car l'instabilité persistante nuit à la définition de stratégies à long terme par les entreprises.

Enfin, sans remettre en cause l'optimisation fiscale, nous en appelons à des procédures d'encadrement et de suivi permettant de corriger ces mécanismes quand il le faut.

En conclusion, et Philippe Séguin avait beaucoup insisté sur ce point, quelles que soient les options retenues en matière de prélèvements obligatoires, la priorité est de ne consentir de dépenses que si elles sont strictement nécessaires.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Nous pouvons partager cette conclusion. Avant de donner la parole à ceux de mes collègues qui souhaitent vous interroger, j'aimerais, pour alimenter le débat, communiquer à la Commission les conclusions d'une étude fort intéressante. On y lit que « l'écart d'État providence » entre les États-Unis et l'Europe – notamment les Pays-Bas – serait en réalité presque nul. La démonstration est la suivante : si l'on tient compte, d'une part, des avantages sociaux non obligatoires mais très fréquemment procurés par les grandes entreprises à leurs salariés, et qui ont représenté 4 % du PIB en 2004, d'autre part des 700 dollars de dons par habitant rapportés aux 60 dollars qui constituent la moyenne des dons par habitant en Europe de l'Ouest et, enfin, des impositions indirectes – car en Europe, ce que l'on donne est visible, mais ce que l'on reprend par le biais de la TVA l'est moins, notamment pour les bas salaires – alors on constate que le niveau d'« État providence » est le même en Europe qu'aux États-Unis.

PermalienPhoto de Martine Billard

Mais on ne peut tout mélanger ! Les dons sont une affaire privée !

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

L'étude conclut incidemment, que le plus keynésien de tous les présidents américains a probablement été George W. Bush.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

L'étude souligne pourtant que les dépenses fédérales, hors défense, ont augmenté de 23 % entre 2001 et 2005. C'est que, rappelle son auteur, « les Américains ont toujours eu la dépense sociale honteuse : ils veulent bien dépenser pour les pauvres, et massivement, mais sans le dire », alors que l'Europe estime être généreuse, mais que les chiffres disent autre chose.

Je tiens ce document à votre disposition.

PermalienPhoto de Dominique Dord

Il n'est pas très surprenant que notre pays soit un de ceux où les prélèvements obligatoires sont les plus élevés, puisqu'on y est obsédé par l'égalité, nous le savons au moins depuis Tocqueville. C'est pourquoi les tenants des thèses libérales et ultralibérales n'ont aucune chance de les voir prospérer. En quelque sorte, nous sommes condamnés à des dispositifs de prélèvements obligatoires élevés, dont on peut dire qu'ils sont consubstantiels à la passion de la redistribution qui nous anime. À l'inverse, il n'est guère étonnant que les États-Unis, où l'on a élevé le libéralisme en dogme, aient la dépense sociale « honteuse ». Cela étant, la France, insérée dans une économie ouverte, ne peut ignorer le choc entre le modèle social qui est le sien et des modèles sociaux tout autres, notamment ceux des pays émergents. Ce choc, la différence spectaculaire du coût horaire industriel moyen en France et au Sri Lanka – 25 dollars contre 0,50 dollar, a indiqué M. Fragonard – le résume à elle seule.

Dans ce contexte, deux pistes devraient être creusées, qui ne le sont pas suffisamment.

La première est celle d'une régulation internationale, inexistante à ce jour, tendant à un libre-échange organisé ou, selon le point de vue que l'on adopte, à un protectionnisme ciblé, une formule dont l'Organisation mondiale du commerce n'a pas trouvé la recette. Pourrait-il s'agir d'une taxe carbone aux frontières ou d'une TVA sociale ? Les deux idées ont été évoquées sans que suite leur ait été donnée.

J'en viens à la seconde piste. Philippe Séguin a souligné diverses fois le scandale que représente la mauvaise gestion de sommes considérables issues des prélèvements obligatoires. Chacun conviendra qu'il est d'une extrême gravité que la Cour des comptes refuse de certifier les comptes de certains organismes qui opèrent la redistribution ! Il y a là des marges de progrès certaines. Que l'on admette des prélèvements obligatoires élevés, soit, mais ils doivent être gérés à l'euro près, sans dérapage, abus ou tricherie d'aucune sorte.

En calculant que le niveau des prélèvements obligatoires en France est comparable à celui des pays développés équivalents, le Conseil a-t-il tenu compte de ce que, aussi élevés soient nos prélèvements obligatoires, nous sommes désormais incapables d'assurer notre train de vie, puisque nous ne cessons de creuser le déficit de nos comptes, déjà abyssal ?

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Nous avons tenu compte des charges financières, mais pas du capital de la dette.

PermalienPhoto de Marisol Touraine

Je souhaite revenir sur la comparaison que vous avez faite, monsieur le président, entre les États-Unis et l'Europe en matière de protection sociale. Il me paraît en effet qu'il y a une contradiction majeure entre les propos que vous avez tenus et vos appels réitérés à l'efficacité de la dépense. S'il suffisait de comparer le niveau de la dépense sociale pour apprécier celui de l'État providence, les classements internationaux seraient simples. Mais ce qui compte, c'est de rapporter la dépense engagée – qu'elle soit publique ou privée est un choix politique – à la qualité des services rendus et à la capacité d'assurer la protection de l'ensemble de la population. Or il me semble difficile de défendre la thèse selon laquelle la protection sociale et le niveau de solidarité sociale aux États-Unis seraient équivalents à ce qu'ils sont en Europe. On peut défendre l'idée que la solidarité doit être assurée par des fonds privés – ce n'est pas mon opinion –, mais on ne peut dire qu'en matière de protection sociale les États-Unis feraient mieux que la Suède.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

L'étude dont je vous ai livré les conclusions tendait à faire réfléchir sur les pièges statistiques en matière de dépenses sociales. En vous les communiquant, je n'exprimais pas mon point de vue, mais celui de l'auteur de l'étude.

PermalienPhoto de Marisol Touraine

Je remercie M. Fragonard, qui nous a montré que les choses ne sont pas aussi tranchées qu'on veut bien le dire, et que l'attrait d'un territoire ne dépend pas uniquement du niveau de la fiscalité. Le rapport qui nous a été présenté le montre bien, en indiquant que la France occupe le troisième rang mondial en termes d'attractivité pour les investissements directs étrangers, malgré une fiscalité qui n'est sans doute pas la meilleure, à la fois parce qu'elle est excessivement complexe et parce qu'il existe une différence entre les taux affichés et la réalité. Je n'aurais pas d'objection à l'instauration d'un dispositif fiscal ainsi conçu que les taux affichés seraient plus conformes à la réalité.

L'idée la plus intéressante, qui conduit à des interrogations compliquées, est que notre fiscalité a privilégié l'emploi plutôt que la compétitivité. S'il en est ainsi, peut-on s'aventurer à privilégier la compétitivité sans porter atteinte à l'emploi ? Les deux objectifs sont-ils nécessairement contradictoires ou n'est-ce qu'une question transitoire ? Le rapport montre que les allégements fiscaux sur les bas salaires, dont bénéficient les entreprises, sont doublement négatifs : ils n'ont pas favorisé l'emploi de manière aussi significative qu'on le dit, mais ils favorisent les trappes à bas salaires. Cela dit, il ne suffit pas de supprimer ces exonérations pour tout régler, et il faut soigneusement analyser l'impact qu'aurait leur suppression pour des secteurs en difficulté. En effet, les conséquences des mesures fiscales ne sont pas symétriques. On sait qu'augmenter la TVA d'un point, par exemple, freine la consommation, mais que la baisser d'un point n'entraîne pas de relance équivalente de la consommation.

En résumé, nous sommes d'accord pour modifier l'assiette des prélèvements obligatoires, mais comment passer d'un mécanisme favorisant l'emploi à un mécanisme favorisant la compétitivité ? Iriez-vous jusqu'à dire que, si exonérations il doit y avoir, elles ne doivent plus porter sur le même niveau de salaire ?

Parviendra-t-on à répondre au souci de simplification exprimé par le Conseil en différenciant davantage les prélèvements obligatoires en fonction des secteurs, de leur exposition à la concurrence internationale et de la taille des entreprises, ce qui pourrait en effet être une solution ?

PermalienPhoto de Martine Billard

Nous avons tous réagi lorsque vous avez affirmé que « le coût du travail n'est pas déraisonnable ». Le discours politique consistant à réclamer un abaissement de ce coût n'est-il pas quelque peu absurde ? Il est peu vraisemblable que nous arrivions à « rattraper » le Bangladesh ou même la Pologne ! Quelles pourraient être, au contraire, les mesures fiscales susceptibles de décourager les entreprises françaises qui délocalisent en invoquant le coût du travail ?

En matière de compétitivité, il est notoire que la France est mal placée dans les secteurs exportateurs et qu'elle manque d'entreprises de taille intermédiaire. Les politiques menées jusqu'à présent ne sont guère parvenues à rééquilibrer les choses. Quels sont les moyens fiscaux qui pourraient contribuer à la constitution de PME un peu plus « musclées » et se substituer aux multiples mesures fiscales en faveur de petites entreprises qui, dans la plupart des cas, ne sont pas en situation d'exporter ?

Vous indiquez que la baisse de la TVA pour l'hôtellerie-restauration se traduirait, au mieux, par la création de 6 000 emplois, ce qui est dérisoire en comparaison des engagements pris. La suppression de l'autorisation administrative de licenciement devait se traduire, elle aussi, par des créations massives d'emploi, sans grand résultat !

De ce point de vue, il est surprenant de vous entendre conclure que la seule solution soit la réduction des dépenses. Ne vaudrait-il pas mieux remettre en cause cette baisse de la TVA, ainsi qu'un certain nombre d'exonérations qui favorisent des secteurs non soumis à la concurrence ? Quel est l'intérêt, par exemple, d'exonérer des entreprises multinationales de restauration rapide pour des emplois qu'elles créeraient de toute façon, tant elles ont besoin du marché français ?

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Dispose-t-on des derniers chiffres comparés du coût horaire du travail en Allemagne et en France ? Le très fort excédent de la balance commerciale allemande et le déficit de la balance commerciale française font aujourd'hui débat.

Pensez-vous que le salaire indirect, qui est en France important par rapport au salaire direct, fasse l'objet d'une perception suffisante ? N'atteignons-nous pas une limite quant à l'équilibre souhaitable entre ces deux formes de salaire ?

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Nous n'avons pas réalisé d'analyse détaillée sur les systèmes capables de gérer le choc dont vous avez parlé, madame Touraine. Nous avons seulement remarqué que les rapports abordant ces processus soulignent systématiquement la difficulté de les mettre en oeuvre, compte tenu des transferts non maîtrisés qu'ils comportent. Mais le fait qu'il n'y ait pas, à nos yeux, d'assiette miracle, ne signifie pas que d'éventuelles réorientations ne soient pas nécessaires. Il n'est pas question ici de « divine surprise », mais d'ajustements de quelques points.

Le coût du travail en France n'est pas déraisonnable par rapport à celui de nos concurrents, ai-je dit. Cela étant, gagner 1 ou 1,5 point revêt une importance stratégique. Il n'y a bien entendu aucune vraisemblance à ce que le coût du travail en France soit un jour le même qu'au Bangladesh. Il n'empêche : vis-à-vis de l'Allemagne, chaque point gagné a un sens.

PermalienPhoto de Jean-Jack Queyranne

Les derniers chiffres dont nous disposons sont ceux du coût complet du travail et non ceux qui prennent en compte la productivité. Bien que celle-ci soit supérieure en France, on constate depuis plusieurs années que le coût du travail progresse beaucoup moins vite en Allemagne que dans notre pays. Cette tendance, chez nos voisins, résulte d'un choix de politique économique tendant à favoriser l'activité d'exportation par rapport au soutien de la demande intérieure. Si la France a indéniablement perdu du terrain en termes de coût du travail et de compétitivité-coût de ses produits, la médaille a eu son revers pour l'Allemagne : ce pays étant plus exposé aux marchés d'exportation, en ce qui concerne notamment les biens d'équipement et l'industrie, il a connu une plus forte récession au cours de la dernière année. La demande intérieure n'y étant pas soutenue, l'économie dépend essentiellement de la demande extérieure, alors que le moteur de la croissance en France est plutôt la demande intérieure.

Quoi qu'il en soit, l'Allemagne a indéniablement fait le choix de se distinguer de ses concurrents européens en matière de coût du travail. Mais le consensus social existant à l'arrière-plan – les syndicats se sont engagés à ne pas demander de hausse des salaires en échange d'une augmentation du nombre d'heures travaillées – a fait l'objet d'interrogations, de même que la pertinence à long terme de ce choix pour l'économie allemande et pour les ménages, dont le niveau de vie a progressé moins vite qu'en France. Le problème, global, dépasse la seule question du coût du travail.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Il existe très peu d'études sur la perception que l'on a en France du salaire indirect. À l'évidence, un salaire indirect trop fort brouille la politique des entreprises et du pays en matière de protection sociale. La compréhension est vraisemblablement meilleure au Danemark, où la protection sociale est très avancée mais où l'on a fait un choix tout différent.

Il est très difficile de faire de la macroéconomie en direction des ménages. On n'arrive même pas à leur faire comprendre la logique de la dépense sociale financée par leurs salaires indirects en matière de santé. En 2004, le Parlement a adopté une disposition prévoyant l'envoi annuel à chaque assuré social d'un décompte des dépenses exposées à son bénéfice, mis en regard de ses cotisations. Ce n'est toujours pas fait ! Or, en matière de santé, les gens ont le sentiment que la sécurité sociale rembourse de moins en moins bien, qu'elle coûte très cher au pays mais qu'ils n'en bénéficient pas. Des analyses confirment cette sous-estimation de la dépense socialisée.

C'est également un problème de reconquête politique : il est plus facile d'expliquer les difficultés par des anomalies de la dépense que de dire aux gens que leur dépense est forte – ce qui est incontestablement le cas.

En ce qui concerne la TVA sur l'hôtellerie-restauration, nous n'avons pas prolongé notre analyse d'octobre 2009, aux termes de laquelle il n'était pas assuré que le nombre d'emplois créés correspondrait à ce qui figurait dans le schéma initial. Depuis lors, le dossier a connu des évolutions qu'il ne m'appartient pas de commenter.

Pour ce qui est des arbitrages en matière d'exonérations et de salaires, la France a ceci de particulier que le coût du travail au SMIC y est réglementé. Il n'y a pas lieu de le regretter ou de le discuter : il s'agit d'un acquis. La Cour des comptes a néanmoins signalé que c'était entrer dans une sorte de course diabolique que de vouloir « indemniser » l'augmentation du SMIC au moyen d'exonérations qui provoquent elles-mêmes une augmentation du taux de prélèvement pour les secteurs exposés à la concurrence.

Il est tout à fait possible de mener une politique qui soit moins active en termes d'augmentation du salaire direct pour le travail non qualifié et qui augmente en contrepartie les prestations sociales au bénéfice des ménages modestes. Cela suppose que l'on accepte de rendre plus redistributive notre protection sociale, et c'est là un débat que peu de gens veulent ouvrir. Pour améliorer la situation d'un ménage modeste, on peut choisir soit d'améliorer son salaire direct – augmentation que l'on sera contraint de compenser par des exonérations –, soit de le compléter par des prestations plus actives, ce qui implique, à prélèvements constants, que l'on accroisse la redistributivité et que l'on pourchasse les niches sociales qui immobilisent une part très significative des marges que l'on pourrait dégager.

Quant à la possibilité de conditionner les exonérations, souvent évoquée ces derniers temps, elle semble très difficile à manier. Ne serait-ce que juridiquement, il serait malaisé de faire varier les taux en fonction de la nationalité de l'entreprise, par exemple. On peut considérer qu'il est possible de stabiliser doucement, voire de réduire légèrement, les exonérations sur les bas salaires, mais tenter de les « bricoler » de l'intérieur s'apparente à une course sans fin. Du reste, on ne peut subordonner le bénéfice d'une même exonération à des objectifs multiples. La Cour des comptes l'avait dit il y a quelques années et le Conseil des prélèvements obligatoires le répète : il faut arrêter cette politique qui, toutes choses égales par ailleurs, se traduit par un renchérissement du coût du travail qualifié.

Plus globalement, le problème majeur est celui de la maîtrise de la dépense. Certes, notre société a sa logique propre qu'il serait illusoire de vouloir changer. Mais l'analyse de la composition de la dépense publique fait ressortir que l'on est très loin de l'optimum !

PermalienPhoto de Michel Heinrich

Les conclusions du rapport donnent matière à une ample réflexion. Certaines propositions sont assez facilement réalisables : ainsi, l'élargissement des bases et l'abaissement des taux donneraient de la lisibilité à une politique dont le grand défaut, comme vous le soulignez, est de modifier sans cesse les règles.

Vous préconisez également l'annualisation du calcul des allégements afin de limiter la pratique, répandue dans le secteur financier, consistant à verser des rémunérations sur plus de douze mois. Cela me semble plus intéressant que de taxer tel ou tel bonus à tel ou tel taux.

Je suis heureux que vous appeliez de vos voeux l'émergence d'entreprises de taille intermédiaire. Alors que, des années durant, on a fustigé les entreprises familiales, on se rend compte aujourd'hui que ce tissu intermédiaire fait cruellement défaut. Le rachat de ces entreprises par de grands groupes contrôlés par des fonds de pension – donc généralement dépourvus de toute stratégie industrielle et ne visant que le rendement à très court terme – a des effets catastrophiques sur notre économie et sur l'emploi.

Vous recommandez aussi une modification considérable de nos pratiques en matière d'évaluation. Nous avons tendance à aller très vite lorsque nous votons de nouveaux allégements ou taxes – on peut penser à la taxe carbone, mais on peut aussi regretter que l'on n'ait jamais travaillé en profondeur sur une TVA sociale. Nous ne prenons pas le temps de mesurer l'impact réel de ces dispositions sur l'économie, ce qui est dommageable à leur crédibilité et à leur efficacité. La taxe carbone en est l'exemple type.

Enfin, pourquoi nos coûts de production augmentent-ils plus vite que dans les autres pays européens alors que le coût du travail, à quelques nuances près, est comparable ? Cela tient-il à l'investissement, à la productivité ?

PermalienPhoto de Michèle Delaunay

Il est en effet scandaleux que l'on n'ait pas mis en oeuvre la mesure permettant à toute personne de connaître ce que l'on dépense pour elle, en particulier en matière de santé. Pour ma part, j'ai toujours demandé – en vain – que l'on fournisse au patient la facture réelle après un séjour à l'hôpital ou en clinique, afin qu'il comprenne, par exemple, le coût que représente une simple ampoule de médicament. Ces mesures devraient pouvoir nous rassembler et nous devrions les rappeler au Gouvernement.

Le directeur général de l'INSEE nous faisait observer que les enfants pauvres sont pour la plupart issus de foyers où personne n'a de travail et que ce schéma se perpétue de génération en génération. Alors que vous avez semblé mettre en cause le coût du travail non qualifié, ne vaudrait-il pas mieux prendre en compte le coût du « non-travail » des personnes non qualifiées ?

On connaît la part que des prélèvements obligatoires, tels que la TVA, prennent dans le budget des ménages pauvres. Or vous n'avez pas évoqué l'idée, préconisée par certains, d'un impôt négatif.

Enfin, l'élargissement des bases ne traduit-il pas un retour au principe énoncé par le regretté Joseph Caillaux : les pauvres ne sont pas riches, mais ils sont nombreux !

PermalienPhoto de Jean-Luc Préel

Je vous remercie pour ce rapport qui alimentera nos réflexions et nos propositions. La question de l'attractivité du territoire et de la compétitivité des entreprises est essentielle, de même que celle, chère au président Méhaignerie, du rapport entre rémunération directe et indirecte.

Les exonérations de cotisations pèsent sur l'ensemble de la population dans la mesure où elles sont compensées par des impôts et taxes. Mais certaines demeurent non compensées. Leur montant et leurs conséquences sont un sujet de débat.

Sachant que les exonérations ne constituent pas un critère majeur pour la création d'emplois dans les grandes entreprises, ne pourrait-on les cibler sur les petites et très petites entreprises, notamment artisanales et commerciales ? Cela ne serait-il pas plus efficace en termes d'emploi, à défaut de l'être en termes d'attractivité économique ?

PermalienPhoto de Étienne Pinte

Nous regrettons tous depuis longtemps que les Français n'aient pas de meilleure appréciation de leurs dépenses de santé. Mais la culture française fait craindre que, si le décompte entre dépenses et cotisations n'est pas en faveur de telle ou telle personne, celle-ci ne se dise qu'elle a encore des « réserves » – par exemple x jours d'arrêt de travail. Pour des raisons psychologiques, donc, il se pourrait qu'un système de comparaison apporte des dérives.

La différence de culture économique entre l'Allemagne et la France est très ancienne. Depuis l'unité de 1870, la stratégie allemande a toujours été orientée vers l'exportation tandis que la stratégie française visait le marché intérieur élargi aux colonies. Ces choix totalement différents présentent chacun leurs avantages et leurs inconvénients selon la conjoncture. De ce point de vue, la disparité de situation actuelle n'a rien d'étonnant.

Enfin, dans quelle mesure pourra-t-on, en ciblant sur certaines professions des diminutions de prélèvements, provoquer la création d'emplois ? J'étais rapporteur des deux lois organisant la suppression de l'autorisation administrative de licenciement à l'époque où Philippe Séguin était ministre des affaires sociales. Nous avions alors été convaincus – faussement – par le CNPF que cette suppression créerait 400 000 emplois. Résultat des courses : zéro emploi ! Il est donc légitime de s'interroger sur les effets de la diminution de certains prélèvements, en particulier la TVA. Pour ce qui est de l'hôtellerie-restauration, nous ne disposons d'aucune réponse vérifiable.

PermalienPhoto de Michel Issindou

Ce rapport, d'une grande objectivité, est tout à fait éclairant. Nous apprenons ainsi que les prélèvements français, réputés les plus élevés d'Europe, ne le sont pas tant que cela puisque l'on fait entrer des éléments différents dans la comparaison. Il apparaît qu'ils n'entravent pas forcément la compétitivité des entreprises. En tout cas, ils n'expliquent pas la faiblesse du tissu industriel de PME en France par rapport à l'Allemagne. On sait aujourd'hui que ce ne sont pas les prélèvements obligatoires qui altèrent notre modèle industriel.

De même, il n'est pas du tout sûr que les allégements de cotisations sur les bas salaires soient d'une grande efficacité. Concernant les emplois qu'ils auraient permis de préserver ou de créer, les chiffres varient de 300 000 à 1,5 million, sans que l'on puisse déterminer s'il ne s'agit pas là que d'effets d'aubaine.

Ce qui est sûr, ce sont les effets improductifs d'un système qui fonctionne comme une trappe à bas salaires : on qualifie peu les personnes pour ne pas avoir à augmenter leur salaire au-delà de 1,6 SMIC. C'est peut-être ce qui explique la faiblesse des PME, dont les ouvriers sont peu qualifiés et ne peuvent passer à la vitesse supérieure parce qu'on ne leur en donne pas les moyens. On ne saurait parler de « grande réforme » de la formation professionnelle si l'on ne tient pas compte de ces éléments.

Par ailleurs, il manque bon an mal an une dizaine de milliards d'euros à notre régime de sécurité sociale – 5 milliards pour la branche maladie et 5 autres milliards pour les retraites –, abstraction faite de la période de crise que nous traversons. Or, le total des exonérations s'élève à 55 milliards, les allégements de cotisations sur les bas salaires représentant 31 milliards. En procédant à des modifications à la marge, par exemple en ramenant le seuil à 1,4 SMIC ou en excluant les entreprises qui délocalisent, il est possible de rétablir un équilibre. Contrairement à ce que l'on voudrait faire croire, le financement de la protection sociale n'est pas insurmontable. Mais il faudra que l'effort soit partagé entre les entreprises et les salariés.

Ce modèle social est le nôtre. La préférence donnée à un salaire indirect élevé par rapport au salaire direct correspond à un choix que nous avons fait et qui nous a permis d'amortir les effets de la crise. On ne peut s'en réjouir d'un côté et le dénoncer de l'autre. Il faut choisir son camp : soit notre modèle social peut perdurer, ce que j'espère, soit il faut le remettre en question, ce que je n'espère pas.

PermalienPhoto de Jacques Domergue

Il est surprenant que le coût du travail continue à augmenter alors que les emplois créés sont souvent exonérés de charges. On constate une déperdition d'emplois industriels et, en même temps, les futurs créateurs d'entreprise que j'ai rencontrés à Pôle emploi envisageaient d'ouvrir, qui un kebab, qui un magasin de moussaka, qui une officine de tatouage. C'est un peu effrayant !

Certes, notre système social est un formidable amortisseur en temps de crise, mais avons-nous encore les moyens de le financer, et même de l'accroître – nombre d'annonces du Président de la République vont en ce sens –, alors que notre compétitivité diminue et que nos déficits se creusent ?

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

S'agissant de la perception que l'on peut avoir des dépenses de santé nourries par le salaire indirect, nous avions déjà eu cette discussion, en son temps, avec Mme Simone Veil. Je ne crois pas que les gens soient aussi « basiques » que vous le craignez, monsieur Pinte. Si l'on explique à une personne la logique de la dépense qu'elle finance avec son salaire indirect, elle finit par comprendre. Encore faut-il qu'elle puisse l'observer. Je ne crois pas au réflexe qui voudrait que l'on se sente autorisé à dépenser sans compter lorsque l'on constate un « solde » défavorable. Tout le monde dépense déjà sans compter puisque la plupart des dépenses de soins font l'objet d'une prise en charge complète. Je reste convaincu que les gens doivent savoir ce que l'on fait de leur salaire indirect.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

C'est bien pourquoi la disposition votée par le Parlement en 2004 était bonne. Je regrette qu'elle ne soit appliquée que par certains régimes.

Pour ce qui est de la TVA sur l'hôtellerie-restauration, je répète que nous avons donné une appréciation datée d'octobre 2009. Il appartiendra au Parlement de se prononcer.

Par ailleurs, il faut souligner l'effort considérable qui a été consenti pour compenser les exonérations après la loi de 1993 et après différents perfectionnements destinés à contrer la ruse budgétaire. Certes, les 2 à 3 milliards d'euros encore non compensés sont fâcheux dans le paysage, mais il ne s'agit plus d'un élément majeur dans l'équilibre de nos finances. Bien entendu, je souhaiterais que le remboursement, techniquement possible, soit complet.

En revanche, les chiffres avancés par M. Issindou me surprennent. Ce qui manque aux comptes sociaux, ce n'est pas deux fois 5 milliards d'euros, c'est beaucoup plus ! Il faut donc y regarder à deux fois avant d'essayer de combler le déficit structurel en abaissant les exonérations sur les bas salaires. On devrait être sûr de maîtriser l'effet d'une telle baisse sur l'emploi, ce qui n'est pas si évident dans la conjoncture actuelle. De toute façon, les déficits sociaux sont tels qu'il semble difficile d'imaginer les résoudre par cette solution. Un déficit doit être traité comme tel, soit par la diminution des dépenses, soit par l'augmentation des recettes. Je ne crois pas à un « pontage » non douloureux avec les exonérations. La vraie question est celle de l'équilibre des régimes sociaux.

Même si nous avons progressé dans sa connaissance, le problème des niches et des exonérations est devant nous. Le fascicule Voies et moyens de la loi de finances est plus explicite, mieux documenté, mais le chantier reste immense pour arrêter la poussée législative – qu'elle soit d'origine parlementaire ou d'origine gouvernementale – tendant à multiplier niches et exonérations. On a beau afficher des règles vertueuses – évaluation, remise en cause tous les cinq ans, compensation de toute création par une suppression, par exemple –, la tendance globale de notre législation reste la multiplication des exonérations, tant en matière fiscale qu'en matière sociale.

L'exonération de charges sur les bas salaires est plus impressionnante parce qu'elle est massive, mais la somme des autres dépenses fiscales et sociales représente également un montant considérable. Il faut être beaucoup plus radical et énergique. La difficulté tient à ce qu'il est beaucoup plus facile d'adosser une politique à une dépense fiscale ou sociale que de lever la recette correspondante.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Lors de la discussion budgétaire de novembre 2007, il était apparu que l'ONDAM avait progressé moins vite que la richesse nationale et l'on pensait transférer 1,5 point de cotisations UNEDIC vers le régime vieillesse. Mais la crise a changé la donne.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

J'entends bien le propos de M. Issindou sur la valeur de notre système social. Cela étant, savoir si on le finance par le salaire direct ou par le salaire indirect est une autre question. Au Danemark, où la protection sociale ne le cède en rien à la nôtre, ce financement se fait par le salaire direct et la fiscalité. Il faut y réfléchir. Lorsque les prélèvements sont entourés d'obscurité, le citoyen a toujours le sentiment d'être brimé et d'avoir une sorte de créance sur la société.

Si nous avons indiqué à la fois que notre système n'était pas déraisonnable et qu'il se dégradait par rapport à l'Allemagne, c'est qu'il suffit de quelques points pour perdre de la compétitivité. Les taux de marge des entreprises sont souvent très faibles et ces points de coût salarial comptent beaucoup.

PermalienPhoto de Jean-Jack Queyranne

La comparaison de l'évolution des coûts salariaux fait apparaître un très net décrochage de la France par rapport à l'Allemagne. En revanche, selon les données de l'OCDE, le rythme de croissance de nos coûts salariaux a été inférieur à celui constaté au Royaume-Uni, au Danemark ou aux États-Unis.

C'est donc l'Allemagne qui se détache par rapport à ses concurrents. La conséquence en est, pour les entreprises françaises, une tendance à rogner sur les marges à l'exportation : ainsi, malgré la dégradation de la compétitivité-coût, la compétitivité-prix se maintient à peu près. Les entreprises allemandes en tirent un avantage pour les taux de marge et les fonds propres, et développent leur compétitivité hors prix, c'est-à-dire grâce à l'innovation et à l'amélioration de la qualité de leur offre. Elles ont aussi une plus grande faculté à répercuter la hausse de l'euro, en raison de la réputation de qualité des produits allemands.

Pour ce qui est de l'évaluation des mesures fiscales, en dépit de son expertise juridique, l'administration française semble en retard par rapport aux autres pays développés, tant au stade de la proposition de mesures nouvelles qu'à celui de l'évaluation ex post. Nous avons notamment des difficultés à apprécier les stratégies d'optimisation des entreprises. Par exemple, il existe indéniablement des marges de manoeuvre importantes pour faire rentrer des recettes au niveau de la déductibilité des intérêts d'emprunts au titre de l'impôt sur les sociétés. Alors que les Allemands ont mis en place un système rigoureux, le dispositif français encadre la sous-capitalisation mais ne concerne pas l'endettement bancaire, si bien qu'il favorise l'endettement des entreprises auprès des banques au lieu de les inciter à développer leurs fonds propres. Une action dirigée contre ce type de niche aurait donc un sens économique.

Il existe, en effet, un paradoxe français : l'impôt sur les sociétés, c'est-à-dire l'impôt sur le revenu des entreprises, est comparativement assez faible, alors que les impôts sur les coûts de production sont plus élevés. Comme l'entreprise raisonne en termes de résultat opérationnel, elle doit prendre en compte ces impôts sur les coûts de production. En revanche, lorsqu'elle envisage un nouvel investissement, elle ne prend pas en compte l'impôt sur les sociétés. Il y aurait donc une logique à améliorer le rendement de cet impôt par rapport à ceux qui frappent les coûts de production. En élargissant ses bases, on pénalisera plutôt les sociétés qui sont à même de pratiquer l'optimisation fiscale, à savoir les grandes entreprises.

De fait, les exonérations de charges sont déjà ciblées sur les petites entreprises. Le taux d'exonération de celles de moins de dix salariés est de 13 %. Il est de 8 % pour celles ayant entre dix et vingt salariés, de 6 % entre vingt et cinquante, de 3 % au-delà de cinq cents – la cause en est que les petites et très petites entreprises servent des salaires moins élevés. La logique de compétitivité ne peut justifier un ciblage accru. Quant aux effets sur l'emploi, ils n'ont pas été étudiés, mais je ne suis pas persuadé que l'on puisse gagner davantage sur ce plan.

PermalienPhoto de Pierre Cardo

En développant les sociétés qui ne récupèrent pas la TVA, ne favorise-t-on pas l'évaporation des recettes, puisque les clients ont alors tendance à payer en espèces ?

Par ailleurs, les zones franches urbaines et les zones de redynamisation urbaine visent à favoriser l'implantation d'entreprises sur une partie du territoire plutôt qu'ailleurs. En termes macroéconomiques, n'est-ce pas une erreur fondamentale que de dépenser ainsi l'argent de l'État, puisque la dépense correspond, non à une création, mais à un simple transfert ?

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Gilles Carrez et moi-même sommes un peu inquiets au sujet de la possibilité de faire passer sur les dividendes une partie des bénéfices – donc de diminuer les cotisations sociales –, telle qu'elle est prévue dans le projet de loi relatif à l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée qui sera discuté en séance publique aujourd'hui. Cette disposition peut se traduire par une forte « optimisation ». Nous soutiendrons un amendement à ce sujet.

PermalienPhoto de Maxime Gremetz

J'invite tout le monde à lire le rapport, qui remet en cause certaines vérités assenées.

Les exonérations de cotisations patronales sur les bas salaires (1 à 1,6 SMIC) s'élèvent à 25 milliards d'euros. S'appliquent-elles de la même façon à toutes les entreprises françaises, qu'elles soient petites ou grandes ?

PermalienPhoto de Jean-Luc Préel

J'aimerais connaître le coût que représentent ces exonérations au bénéfice des grandes entreprises. Ne serait-il pas plus efficace de faire basculer la dépense vers les petites entreprises ?

PermalienPhoto de Jean-Jack Queyranne

Le taux de cotisation sur les bas salaires privilégie les petites entreprises, mais la différence s'efface progressivement pour les salaires plus élevés. À 1,6 SMIC, il ne reste plus que 4 points d'écart entre les petites entreprises bénéficiant de l'aide à l'embauche et les autres. La différence existe, mais elle n'est pas massive.

PermalienPhoto de Jean-Jack Queyranne

Le rapport analyse la panoplie d'exonérations que l'on a développées en faveur de certaines zones. Au-delà du coût global – 1,2 milliard d'euros par an –, on peut s'interroger sur leur sélectivité. Une fois créés, ces dispositifs ont tendance à se diffuser. Le rapport entre coût et effet sur l'emploi, mesuré pour les zones de revitalisation urbaine, est peu favorable.

Nous avons également mené une analyse géographique concernant à la fois les allégements généraux et les allégements ciblés, d'où il ressort que les principales zones bénéficiaires sont des zones rurales ou touristiques, ce qui s'explique par les niveaux de salaires qui y sont pratiqués. En revanche, les niveaux d'exonération sont beaucoup plus faibles dans les bassins en cours de désindustrialisation qui connaissent de vraies difficultés d'emploi.

PermalienPhoto de Jean-Jack Queyranne

Le rapport indique que des bassins d'emploi comme ceux de Calais, de Boulogne-sur-Mer et de Saint-Omer, de Saint-Denis ou de Béziers, où le taux de chômage était compris en 2008 entre 10 et 13 %, ne bénéficient que de taux d'exonération très réduits : presque 4 % pour Saint-Denis, entre 1 et 2 % pour les autres bassins d'emploi. En revanche, la Corse, la Lozère, la Dordogne, le Cantal, la Bretagne intérieure et la Basse-Normandie bénéficient de taux dépassant 10 %. Ce problème de ciblage concerne, non pas seulement les exonérations zonées, mais aussi les allégements généraux.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

De vos interventions, je tire deux leçons.

Premièrement, nous avons à dire la vérité sur les chiffres. Ceux-ci montrent que les dépenses sociales ont continué de progresser assez fortement en 2009, ce qui signifie que l'on ne peut pas dire que les acquis sociaux ont reculé.

Deuxièmement, nous avons à élaborer une pédagogie quant au poids du salaire indirect en France et à la nécessité d'assurer la compétitivité des entreprises.

Nous comptons sur vous pour nous aider dans la préparation du budget de 2011.

PermalienCatherine Démier, secrétaire générale du Conseil des prélèvements obligatoires

La Commission des finances de l'Assemblée nationale vient de demander au Conseil des prélèvements obligatoires une nouvelle étude consacrée aux dépenses fiscales et à leur équivalent dans le domaine social pour ce qui est des entreprises. La problématique portera notamment sur l'impôt sur les sociétés et sur l'impôt sur le revenu des travailleurs indépendants. Vous serez destinataires de ce travail, que nous espérons terminer à l'automne.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Cela nous sera très utile.

Madame, messieurs, nous vous remercions.

La séance est levée à onze heures vingt-cinq.