La commission des affaires économiques a poursuivi les auditions successives des dirigeants de la Confédération paysanne et de la Confédération nationale des syndicats d'exploitants familiaux (MODEF).
Nous poursuivons aujourd'hui les auditions des syndicats agricoles dans la perspective de la discussion du projet de loi de modernisation agricole avec M. Philippe Collin, porte-parole de la Confédération paysanne, et M. Jacques Bonati, juriste.
Comme vous le savez, l'examen de ce texte s'inscrit dans un contexte de crise profonde et multisectorielle de l'agriculture qui nécessite, certes, des aides d'urgence mais également des mesures plus structurelles qui seront inscrites dans le projet de loi que le ministre Bruno Le Maire doit présenter d'ici la fin de l'année.
Si vous en êtes d'accord, je vais vous donner la parole pour une dizaine de minutes, ce qui laissera le temps ensuite aux membres de la commission de poser leurs questions.
En l'absence, pour l'heure, de canevas législatif sur lequel nous pourrions réagir, je vais vous présenter la vision de la Confédération paysanne sur quelques uns des grandes thèmes évoqués par le ministre chargé de l'agriculture : l'alimentation, les territoires ruraux, la compétitivité et le revenu des exploitations.
En ce qui concerne l'alimentation, elle se trouve au centre des débats de société depuis l'augmentation très forte, il y a deux ans, des prix agricoles. Toutefois, bien que certains aient à l'époque prédit que les prix resteraient durablement élevés, force est de constater qu'aujourd'hui, tous les secteurs de l'agriculture sont en crise, sans que se dégagent de réelles perspectives pour les producteurs. Les annonces qui pourraient être faites la semaine prochaine par le Président de la République ne changeront pas à cet égard fondamentalement la donne. La question est donc de savoir quelle alimentation voulons-nous dans le cadre de quelle politique agricole commune, c'est-à-dire de quelle souveraineté alimentaire souhaitons-nous disposer, de quel droit à consommer et à produire de la façon que l'on choisit ? A cet égard, il convient de trouver des alternatives aux systèmes de production qui reposent sur des importations massives d'intrants en provenance de l'autre bout de la planète. Ces systèmes de production ont des impacts considérables sur les territoires du Sud comme du Nord, certains étant surexploités, d'autres sous-exploités. Enfin, on sait aujourd'hui que les systèmes de production ont également un impact sur la qualité intrinsèque des produits, quelles que soient les productions.
La réorientation de ces systèmes de production permettrait en outre une meilleure occupation des territoires grâce à une valorisation du travail plus que du capital. On peut en attendre un meilleur développement de l'ensemble du territoire et une meilleure compréhension du métier d'agriculteur. En effet, si aujourd'hui les territoires ruraux redeviennent attractifs, il est impérieux d'y maintenir l'activité agricole et de s'efforcer de rapprocher les agriculteurs du reste de la population. La relocalisation des productions et des échanges constitue à cet égard un enjeu majeur. Aujourd'hui, on assiste à un développement fort des circuits courts, et notamment des AMAP (associations pour le maintien d'une agriculture paysanne) car les consommateurs sont de plus en plus désireux de développer un lien avec les producteurs et de mieux connaître l'origine des produits. L'augmentation de la distance entre producteur et consommateur a à cet égard atteint ses limites. Le législateur pourrait se saisir de cette question en favorisant le maintien de zones agricoles à la périphérie des villes et en contribuant au maintien de la diversité des productions sur l'ensemble des territoires.
La notion de compétitivité des exploitations suscite en revanche une certaine perplexité au sein de la Confédération en ce qu'elle véhicule une notion de violence dont on ne voit pas bien à l'encontre de qui elle devrait s'exercer. S'agit-il de compétitivité vis-à-vis des autres pays au niveau mondial, vis-à-vis des autres pays au niveau communautaire ou encore vis-à-vis de ses voisins paysans? Cette vision nous paraît aller à l'encontre de l'objectif de création d'une société plus harmonieuse et consacrer un système où tout le monde est l'ennemi de tout le monde. Il y a donc lieu d'interroger cette notion de compétitivité et son lien avec les revenus. Les agriculteurs ont certes envie de gagner leur vie et il est évident qu'il faut mettre en place des dispositif garantissant un revenu aux paysans, mais faut-il lier cet objectif à la notion de compétitivité ? Aujourd'hui on s'aperçoit que la recherche d'exploitations toujours plus grosses, à travers des restructurations soutenues par les politiques publiques, est inefficace en raison de l'absence d'économies d'échelle en agriculture. Au final, les gains de productivité sont captés par la structure elle-même. Bien plus, l'augmentation des quantités produites tend à diminuer le nombre de paysans en activité sans produire un quelconque gain financier pour le consommateur : comme le montre la crise du lait, il n'y a pas de lien entre prix payé par le consommateur et prix payé au producteur. Ainsi, compétitivité et revenus ne sont pas nécessairement compatibles. A cet égard, des limites doivent être portées à l'industrialisation de l'agriculture : rien n'oblige à suivre l'exemple des pays d'Amérique du Sud qui reposent sur une agriculture latifundiaire, des États-Unis ou encore des zones de production très extensives comme l'Australie, la Nouvelle-Zélande ou même la Russie. Nos territoires reposent en effet sur des équilibres très différents de ces zones qui appellent des systèmes de production différents.
A vous entendre, il semblerait que vous attendiez du projet de loi de modernisation agricole qu'il décrète le bonheur et l'amour dans les campagnes ! Si on peut souscrire à certaines de vos aspirations, il serait néanmoins préférable, dans la perspective de l'examen de ce texte, de formuler des propositions concrètes. En avez-vous élaboré ? Par ailleurs, j'entends bien vos arguments sur la compétitivité, mais le débat est ancien : déjà, la rémunération de l'agriculteur ne relève pas que de son activité économique mais également de son action sur le milieu rural, qui est prise en compte dans le cadre du deuxième pilier de la PAC, consacré au développement rural, dont la part s'est encore accrue après le bilan de santé et qui devrait vraisemblablement s'accroître encore après 2013.
Ensuite, s'il est évident que les crises que traverse l'agriculture sont le résultat tant d'un manque de régulation au niveau international que du mouvement de dérégulation à l'oeuvre au niveau communautaire, on constate également que ces crises ont un impact différent selon les territoires en fonction, notamment, du degré d'organisation des producteurs. Ces crises touchent moins les producteurs qui se sont organisés pour créer de la valeur ajoutée ou qui se sont regroupés pour investir dans la transformation de leurs produits. Comment favoriser au niveau national ce type d'organisation sera vraisemblablement un des axes majeurs du texte de loi. Avez-vous à cet égard des propositions à formuler ?
Enfin, force est de constater que la compétition peut être violente entre pays de l'Union européenne en particulier sur le marché des produits agricoles : en avez-vous discuté avec vos homologues au niveau communautaire et quelles évolutions attendez-vous de la PAC dans ce contexte ?
Je ne pense pas que la loi de modernisation agricole puisse être dissociée des évolutions de la politique agricole commune attendues en 2013. Pourquoi anticiper cette échéance ? Un autre texte devra t-il être examiné après ? Force est de constater qu'aujourd'hui, l'essentiel des décisions sont prises à Bruxelles et non à Paris – ce qui n'exonère aucunement la responsabilité du ministre de l'agriculture dans la prise de ces décisions, puisque celui-ci siège au conseil des ministres européen.
Je souhaiterais soulever une question de fond qui concerne notre conception des aides agricoles : doit-il s'agir d'aides aux paysans ou d'aides aux produits ? Pour ma part, je crois que l'aide au paysan ne permet pas de faire vivre un agriculteur : lorsque les prix des produits sont trop bas, aucun subside public ne peut suffire à garantir un revenu suffisant. En revanche, l'intervention sur les marchés afin de constituer des prix de soutien est une solution efficace. L'aide au paysan ne doit venir qu'en compensation d'un handicap spécifique.
S'agissant de la compétitivité, il convient effectivement de s'interroger sur ce que l'on veut promouvoir à travers ce mot : s'agit-il d'efficacité ou de compétition ? A cet égard, il faut bien distinguer la compétitivité de la taille des unités agricoles. On a vu de grandes exploitations non rentables et de petites surfaces performantes. Seules la technicité et la rationalité de l'organisation prévalent en réalité. Chacun doit rechercher une forme d'efficacité sans laquelle le système ne peut se perpétuer, aussi bien dans l'intérêt du producteur que dans celui de son interlocuteur.
Personne ne s'oppose à un développement des circuits courts de distribution, mais ils ne sont pas toujours adaptés : ils me semblent ainsi difficilement applicables à une région fortement urbanisée comme l'Ile-de-France. Plus généralement, on ne peut pas se passer des intermédiaires que sont les commerçants. La légitimité de leur intervention ne fait pas débat. Il y a certainement au sein de cette profession de mauvaises pratiques, mais aucune corporation ne peut garantir la vertu de la totalité de ses membres.
Je conclurai mon propos par une considération internationale sur le rôle de la France vis-à-vis des pays pauvres afin de battre en brèche une idée assez répandue selon laquelle « on n'a pas à exporter ». Or je crois dans le devoir de la France, terre fertile, de se montrer solidaire envers les autres nations moins bien dotées en terres arables. Je l'ai constaté personnellement au cours d'un déplacement en Egypte. Nous avons une responsabilité envers le monde qui nous interdit de rejeter par principe toute forme d'exportation de notre production agricole en direction du Sud.
Votre syndicat s'est souvent retrouvé, avant les autres, en phase avec les attentes de la société et du monde agricole. J'aimerais aujourd'hui confronter votre position à deux exemples concrets. En premier lieu, quel est votre sentiment au sujet de la crise laitière ? La solution est-elle dans la contractualisation, le maintien de quotas, le versement d'indemnités compensatoires de handicaps ou autre ? Ensuite, comment appréhendez-vous la crise dans le secteur des fruits et légumes qui est confronté à deux difficultés majeures identifiées de longue date : d'une part, la relation entre les producteurs et la GMS (grandes et moyennes surfaces) et, d'autre part, le poids inégal des charges patronales pesant sur les producteurs dans les différents pays de l'Union, la France exposant aujourd'hui ses agriculteurs à des distorsions de concurrence qui ne sont plus tenables ?
La crise économique globale remet doucement en cause le dogme de l'ouverture des marchés et du « laissez faire » généralisé au niveau mondial. La lutte contre les paradis fiscaux en est un exemple parmi d'autres.
Qu'en est-il de l'organisation des filières et de leur rationalisation ? Prenons l'exemple de la filière porcine où le taux d'organisation avoisine les quatre-vingt-treize pour cent : cela n'empêche pas le kilogramme de porc de se vendre à peine au prix d'une euro le kilo au cadran à Plérin !
Nullement. Nous prônons plutôt un encadrement, un accompagnement de la filière allié à une meilleure régulation du marché par les Etats. Ainsi puis-je expliquer la crise du lait : au-delà d'une inadéquation ponctuelle de l'offre et de la demande, le marché communautaire, qui est globalement autosuffisant, est aujourd'hui déséquilibré par des prix mondiaux qui dépendent principalement des exportations australiennes et néo-zélandaises… Lesquelles ne comptent pourtant que pour quatre pour cent des volumes produits ! Les quotas aujourd'hui vilipendés existent depuis 1984, même s'ils ont été mal intégrés à la politique agricole commune à l'occasion de l'élargissement de l'Union. Or, les surplus de production jouent un rôle déterminant dans la formation des prix. Une meilleure organisation ne changera rien à cet état de fait. Les relations entre les producteurs et les distributeurs ne sont pas renégociés chaque jour : elles reposent sur des contrats tacites. D'ailleurs la contractualisation existe déjà dans le secteur laitier, elle existe également dans le secteur des céréales où la profession est bien organisée, 75 % de la production étant commercialisée par des coopératives : cela n'a pas empêché les prix des céréales de chuter à moins de 100 euros la tonne. Dans ces conditions, les autorités communautaires ont beau jeu de demander aux producteurs de s'adapter mais alors que la crise fait rage depuis plusieurs mois, on ne voit pas de quelles adaptations la politique communautaire a fait l'objet pour aider les agriculteurs.
C'est la raison pour laquelle les aides accordées aux paysans doivent effectivement être des aides compensatoires de handicaps. Aujourd'hui c'est l'inverse : on aide plus ceux qui sont déjà les mieux dotés. Les aides céréalières sont plus importantes dans le bassin parisien que sur le reste du territoire français. Ce système marche sur la tête. Il faudrait rétablir un minimum d'intelligence dans l'allocation des aides.
Bien que ce ne soit pas strictement en lien avec la loi de modernisation, je rappelle aussi qu'il y a des choix qui ont été faits en matière fiscale et assurantielle, qui permettent aussi à ceux qui sont le mieux dotés en capital de pouvoir concentrer encore plus de capital : avec la DPI (déduction pour investissement) ce sont 140 millions d'euros par an qui vont directement aux 50 000 plus grandes fermes. Il faudrait vérifier la pertinence de ces choix.
Aucun système d'aide ne sera en mesure de régler la crise du lait : la baisse des prix a entraîné un manque à gagner de 2 milliards d'euros qui ne pourra être compensé par une quelconque aide publique. Ce n'est pas au contribuable de payer le prix du produit.
En ce qui concerne nos propositions concrètes, nous avons d'abord une demande concernant l'accès aux métiers. Nous sommes bien conscients que l'essentiel de la production et de la consommation passe désormais par des filières longues. Néanmoins, aujourd'hui, il y a une explosion du nombre d'installations sur des modèles atypiques, alors que seuls étaient reconnus autrefois des modèles avec une forte concentration de capital. Il faut donc que l'accès au métier et les aides évoluent sur ce point.
La relocalisation des productions est également un sujet majeur. On ne doit pas aboutir à un système dans lequel on finance des exportations de céréales à bas prix et où de l'autre coté on importe des millions de tonnes de soja. Chaque français a aujourd'hui derrière sa maison 650 mètre carrés de soja. Cette question a également partie liée avec la valorisation des sols. Évidemment je ne parle pas ici de l'exportation de vins et spiritueux ou de produits laitiers à haute valeur ajoutée.
Sur la question des fruits et légumes, je vous rappelle que le premier résultat des lois « Chatel » et « Lagarde » sur les rapports entre consommateurs et distributeurs a été une baisse des prix qui s'est aussitôt répercutée sur le producteur final. Pour nous, syndicalistes, cette situation est inacceptable. Si on poursuit dans ce domaine, il est évident qu'il faudra donner des garanties afin que le paysan ne puisse être contraint de vendre à des prix notoirement inférieurs au coût de production.
La représentation des producteurs au plan interprofessionnel ne peut se faire par un seul syndicat : il faut que tous les syndicats représentatifs puissent avoir leur mot à dire. Le contraire serait un déni de démocratie.
Juste un mot pour finir sur les charges sociales. Vouloir toujours poser les problèmes en terme de charges sans considérer que ces charges sont avant tout des cotisations destinées à assurer une protection aux salariés revient à remettre en cause le modèle français de protection sociale. Si on trouve normal que les arboriculteurs soient payés trois euros de l'heure, il faut le dire. Mais nous considérons que les agriculteurs doivent pouvoir vivre de leur travail et payer leurs droits à la santé et la vieillesse.
Je crois que vous êtes un peu loin de la réalité de la filière fruits et légumes. Je dois préciser que les maraîchers sont pris dans une compétition intra-européenne intense, et qu'il faut leur permettre dans d'être compétitifs. La compétition est là, et la question est de savoir si la France en relève le défi ou non, alors que la sphère sociale n'est pas européenne. Merci beaucoup.
Nous passons maintenant à l'audition du MODEF.
Permettez-moi tout d'abord de nous présenter : Jean-Marc Dellac, vice-président, arboriculteur du Tarn-et-Garonne, Alain Gagnerot, directeur de notre organisation, et moi-même paysan en Corrèze, maire de ma petite commune rurale et vice-président de ma communauté de commune.
Je voudrais également vous remercier de nous avoir invités à cette audition sur le futur projet de loi de modernisation agricole, qui s'inscrit dans un contexte où une très grande majorité des exploitants est désespérée et se demande si elle va pouvoir passer l'année.
La crise qui frappe les exploitants de plein fouet est d'une ampleur sans précédent et les actions des éleveurs laitiers tant sur la forme que sur le fond en témoignent. La désespérance est telle que les paysans, pour se faire entendre, en arrivent à détruire le fruit de leur travail. Ils sont aujourd'hui les laissés pour compte d'un système qui a fait le choix de la finance contre le travail en se lançant dans une guerre économique qui met les paysans du monde en situation d'affrontement permanent.
La dictature de la concurrence libre et non faussée avec son lot de déréglementation, de démantèlement de tout ce qui protège l'être humain, le travailleur de la terre, nous a conduit à la crise agricole d'aujourd'hui.
Il est trop facile d'imputer la crise agricole à la crise financière provenant des États Unis, comme si, la France, l'Europe n'étaient pas des acteurs de premier plan de ce que nous vivons aujourd'hui. Ce n'est d'ailleurs pas Bruxelles mais Paris et son ministère de l'Économie qui ont dénoncé l'accord interprofessionnel sur le lait en 2008 au prétexte qu'il faussait la concurrence. On peut également citer l'exemple de la fraise du Lot et Garonne où l'entente des producteurs avait été condamnée par la DGCCRF (Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes) il y a 6 ans.
Il est trop facile de dénoncer le manque d'organisation des producteurs pour justifier la crise agricole quand on interdit la maîtrise des volumes et des prix. L'idée de mettre en place un marché à terme sur la poudre de lait et le beurre comme outil de régulation et de stabilisation des prix paraît à cet égard déraisonnable, alors que dans le secteur des céréales en 2007, la hausse des prix puis leur chute leur chute un an après a été provoquée par le marché à terme de Chicago. Une tonne de céréales peut être virtuellement achetée et revendue 50 fois avant d'être physiquement livrée !
L'affirmation selon laquelle pour sortir de la crise il nous faut être compétitif et que cette compétitivité ne se mesure que par le prix s'avère complètement dogmatique. On en veut pour preuve qu'aujourd'hui, les prix des produits agricoles payés aux producteurs ne couvrent pas les coûts de production. L'exemple du lait est frappant comme l'est celui des fruits et légumes, de la viande ovine, du vin dans certaines régions, des céréales.
Le MODEF dénonce avec fermeté les orientations politiques qui nous ont amenés à cette situation. Le MODEF depuis des décennies avait prédit cette grave crise mais ses positions étaient caricaturées comme rétrogrades, ses propositions de changement de politique agricole balayées d'un revers de main car elles auraient remis en cause le pouvoir du capital.
Les produits agricoles ne peuvent pas être traités comme de simples marchandises en France, en Europe et dans le monde car ils sont à la base de la vie sur terre des êtres humains. L'agriculture est porteuse d'enjeux fondamentaux :
- l'éradication de la faim dans le monde, y compris dans notre propre pays,
- l'aménagement des territoires et de la vie dans les campagnes,
- la protection des sols et de l'eau, qui constitue le support de la vie végétale et animale,
- la lutte contre le réchauffement climatique,
- le droit des peuples à pouvoir se nourrir eux-mêmes pour garantir leur souveraineté alimentaire, leur sécurité alimentaire et, enfin, celui de pouvoir vivre dignement de son travail, de son métier d'agriculteur.
L'agriculture industrielle, l'agriculture capitaliste qu'on veut nous imposer, ne peut pas répondre à ces enjeux car son objectif est individualiste et ne vise qu'à rémunérer le capital au prix de l'exploitation de ses salariés. L'agriculture familiale, l'exploitation familiale telle que nous la défendons est seule à même de pouvoir répondre à tous ces enjeux. Solidaire, progressiste, à taille humaine, empreinte de bon sens, adaptée aux territoires, intégrée dans son environnement, elle est plus moderne que jamais.
Mais cela implique de bouleverser les politiques agricoles qui nous sont imposées, de refuser que les prix agricoles soient fixés par les 10 % de la production mondiale qui circule de continent en continent et qui sont joués en bourse et notamment à Chicago, de sortir l'agriculture de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Cela implique également de permettre à chaque pays ou groupe de pays de décider en toute souveraineté de sa politique agricole et de développer des échanges avec les pays du Sud sur la base de coopération pour aider ces pays à développer leur agriculture.
On voit bien au travers l'ensemble de ces enjeux, qu'il ne s'agit pas de modifier, réformer à la marge la politique agricole nationale, tant elle est dépendante des orientations de la PAC et de l'OMC. Nos propositions s'inscrivent dans une profonde réorientation de la PAC. Cette PAC doit se reconstruire autour du principe de souveraineté alimentaire. Le MODEF demande que la préférence communautaire en produits agricoles et alimentaires redevienne un instrument de régulation, soit adaptée et mise en application.
Si l'Union européenne (UE) est le premier exportateur de produits agricoles et alimentaires, elle est également le premier importateur. Son déficit agroalimentaire s'élève à environ 13 milliards de dollars. L'UE ne couvre que 25 % de ses besoins en protéines végétales destinées à l'alimentation animale. Rappelons que depuis 1962, date de la naissance de la PAC, puis avec l'accord de Blair House en 1992, l'UE a toujours abandonné l'alimentation animale au libre marché mondial. Pourtant l'alimentation animale est un élément stratégique dans la souveraineté alimentaire d'un pays. Il en est de même avec l'élevage ovin pour lequel l'UE est fortement dépendante de ses importations, de même pour les fruits et légumes.
La préférence communautaire est plus que jamais d'actualité, non seulement au regard de la souveraineté d'un peuple mais aussi au regard de la sécurité sanitaire des aliments et de la protection de l'environnement avec la réduction des émissions de C02. Tout concourre aujourd'hui à re-localiser les productions en Europe et dans nos territoires au plus près des bassins de consommation : le développement de productions de protéagineux permettrait par exemple de diversifier les assolements ce qui aurait des effets bénéfiques d'un point de vue économique, agronomique, écologique et social. L'application réelle de la préférence communautaire permettrait d'envisager des politiques agricoles à long terme, de repenser la répartition géographique des productions à l'intérieur de l'UE en intégrant les effets du réchauffement climatique dans un processus de développement durable. Les outils de cette préférence communautaire pourraient s'envisager sous la forme de taxes variables à l'importation, de sorte que les prix d'entrée soient égaux ou supérieurs aux prix du marché intérieur. En complément de ces taxes, des contingents et calendriers d'importations pourraient être créés dans le cadre d'accords de coopération avec les pays en développement en contrepartie d'une aide technique, économique et de formation pour aider au développement d'une agriculture vivrière.
Si la PAC doit se protéger des importations abusives à prix cassés et des dumpings de toute sorte, elle doit également tout mettre en oeuvre pour garantir des prix rémunérateurs et un revenu à la hauteur des compétences exigées aux exploitants familiaux.
Le MODEF propose ainsi que soit mis en place un système de prix minimum garantis pour les principales productions, à même de couvrir les coûts de production d'une exploitation engagée dans un mode de développement durable. Ces prix minimum garantis pourraient être établis à partir du réseau d'information comptable agricole (RICA) qui a été institué à la fin des années 1960 par la PAC et qui couvre toute l'UE sur la base d'un échantillonnage de 60 000 exploitations.
On peut également envisager des aides compensatrices de handicap naturel et structurel, ou bien une maîtrise des productions à la hauteur des besoins alimentaires des consommateurs de l'UE. Cette maîtrise ou régulation des volumes de production nécessite une politique publique qui pourrait être confiée à des offices d'intervention.
Si le gouvernement français s'engageait à défendre une telle réforme de la PAC pour 2013, une loi de modernisation agricole prendrait alors tout son sens. Pour le MODEF cette loi devrait aborder plusieurs problématiques.
Un premier sujet de réflexion concerne le partage de la valeur ajoutée. Les réformes successives et notamment la dernière en date qui s'est traduite par la loi de modernisation de l'économie (LME) ont libéralisé les relations fournisseurs distributeurs. Aujourd'hui le pouvoir a été donné à la grande distribution, qui rackette de manière légale les fournisseurs que sont les agriculteurs et leurs coopératives. Elle pratique des marges abusives et joue sur les importations pour casser le marché agricole.
Le MODEF revendique une révision de la LME avec la mise en place d'un coefficient multiplicateur plafond. Cette mesure obligerait le distributeur à répercuter les variations de ses prix d'achat aux consommateurs et les inciterait à acheter aux agriculteurs à des prix raisonnables pour conserver une marge unitaire attractive. Notre mouvement revendique également l'interdiction de vente à perte calculée à partir du prix unitaire facturé par le fournisseur, l'interdiction de refacturer aux fournisseurs des frais de mise en rayons, stockage et toute coopération commerciale. L'interdiction de vente à perte devrait être étendue à toute la filière agricole y compris à la production.
Le MODEF considère également nécessaire de développer des modes de commercialisation alternatifs à celui de la grande distribution qui occupe une position de quasi monopole. Toutes les pistes doivent être explorées, et une piste prometteuse pourrait résider dans l'agriculture périurbaine. Du fait de sa proximité avec les bassins de consommation, cette agriculture périurbaine doit être aidée et protégée par les collectivités territoriales et incitée à s'organiser collectivement pour transformer, valoriser et commercialiser des productions adaptées à ces bassins captifs de consommation.
Le futur projet de loi de modernisation agricole devra également aborder le sujet de la transformation des contrats d'intégration en contrats de coopération ou contrats équitables. La contractualisation serait devenue un outil idéal de régulation si l'on en croit le ministre de l'agriculture et la FNSEA. Pour le MODEF cette contractualisation ne remplacera jamais le système de quotas ou des quantités garanties, comme pour le lait par exemple. En effet, un contrat est un acte volontaire et individuel. De fait, la contractualisation donne le pouvoir aux organismes stockeurs et aux transformateurs. La contractualisation peut aboutir, comme sur le marché du Cognac, à un double marché avec un marché contractuel à un prix donné et un marché parallèle à prix cassé, composé par les agriculteurs qui n'ont pas accès aux contrats. Pour le MODEF, il conviendrait d'exiger donc dans un premier temps l'interdiction des contrats d'intégration en les remplaçant par des contrats équitables.
Il faudra également permettre la pérennisation et développement de la protection sociale agricole. Le MODEF est très attaché à la défense du système de protection sociale dont les grands principes sont issus du programme national de la Résistance. Or, au fil des réformes, ces principes sont remis en cause au profit d'une marchandisation de la santé. Les inégalités se creusent, particulièrement en zone rurale, avec la fermeture des hôpitaux publics de proximité et l'insuffisance du nombre de médecins. Pour le MODEF, la santé ne doit pas être considérée comme un coût mais comme un atout et chacun doit pouvoir se soigner selon ses besoins.
Le MODEF mène avec acharnement depuis sa création la bataille des retraites. D'abord seul jusqu'en 1997 puis avec l'ANRAF (Association nationale des retraités agricoles de France), le MODEF n'a pas ménagé sa peine dans les luttes pour une retraite minimum à 80 % du SMIC brut. Nous proposons :
- de revenir à une durée de carrière de 37,5 années pour bénéficier d'une retraite à taux plein en prenant en compte la pénibilité du travail et en appliquant un coefficient de 1,1 pour chaque année cotisée ;
- de porter la retraite minimum à 1 000 euros par mois pour tous, chefs d'exploitation, conjoints, aides familiaux ;
- de prévoir une exonération de CSG et de CRDS pour toute retraite inférieure à 1000 euros.
Nous proposons également un financement faisant appel à une solidarité nouvelle et des cotisations sociales différenciées en faveur des bas revenus.
Les propositions que fait le MODEF ont un coût qu'il faut mettre en parallèle avec le véritables gâchis humains d'une politique agricole qui vide nos campagnes de 60 000 actifs familiaux agricoles par an. Parmi l'ensemble des catégories socioprofessionnelles, l'agriculture est celle où l'on rencontre le plus de disparités et les revenus les plus faibles. Comment peut-on oser taxer de la même manière les 54 % d'exploitations qui dégagent un revenu par actif non salarié inférieur au SMIC et les 16 % d'exploitations qui dégagent un revenu supérieur à 2 SMIC et qui bénéficient du plafonnement de leurs cotisations sociales ?
Pour en finir avec de telles injustices le MODEF propose d'aménager les taux de cotisations afin que les exploitations qui dégagent un revenu inférieur au SMIC par actif familial bénéficient d'une réduction de 50 % du montant de leurs cotisations sociales au même titre que les employeurs de main d'oeuvre qui bénéficient d'exonération de cotisation sur les bas salaires.
S'agissant des nouvelles sources de financement, la PAC a provoqué depuis 1992 une baisse de plus de 30 % des prix à la production sans que celle-ci soit répercutée au consommateur. Ce sont ainsi environ 12 milliards d'euros par an qui sont venus grossir les bénéfices de l'agroalimentaire et de la grande distribution. Partant de ce constat et d'un besoin de financement nouveau de la protection sociale, le MODEF fait des propositions pour élargir le champ d'application des cotisations sociales aux bénéfices des grosses sociétés agroalimentaires, centrales d'achat et de distribution ainsi que les banques agricoles. Il n'y a aucune raison que seuls les agriculteurs soient taxés sur le revenu du travail et du capital, cet élargissement ne serait que justice. Il conviendrait également de taxer les dividendes versés aux actionnaires et les revenus financiers des entreprises qui détournent le fruit du travail des agriculteurs et des salariés. On pourrait également assujettir aux cotisations sociales les anciens terrains agricoles, transformés en terrains de chasse ou terrains de loisirs.
La loi de modernisation agricole devra en outre permettre une maîtrise de 1'accès au foncier.
Je vais vous interrompre, M. le Président, pour donner la parole à M. Jean Gaubert, afin qu'il puisse vous poser ses questions, puis vous laisserai poursuivre votre présentation.
Vous nous avez présenté un véritable programme ! Vous vous apprêtiez à soulever la question du foncier et de l'installation des jeunes et des moins jeunes. J'insiste à cet égard sur le fait que l'on doit aussi pouvoir choisir d'embrasser la carrière d'agriculteur après une première étape dans la vie professionnelle et se lancer après 45 ans dans un projet dût-il ne durer que 15 ou 20 ans.
Le problème des contrats d'intégration est resté en suspens, en dépit des engagements pris à l'occasion de la loi d'orientation agricole. Ces contrats déséquilibrés et léonins expliquent que les agriculteurs soient inquiets lorsqu'on leur expose la nécessité de renforcer la contractualisation. Or celle-ci peut pourtant avoir quelques vertus, et n'est pas scandaleuse en soi.
Le fait que la préférence communautaire ait été abandonnée soulève en effet d'importantes difficultés. On peut notamment s'étonner du fait que nous importons des produits qui ne correspondent même pas aux standards de production, notamment sanitaires et environnementaux, que nous imposons à nos productions nationales.
S'agissant des retraites, il conviendra de s'interroger sur leur niveau, mais aussi sur l'assiette des cotisations, qui n'est plus adaptée à une agriculture et à des revenus marqués par une forte volatilité d'une année à l'autre.
J'en reviens à la question foncière. La politique agricole nationale et européenne, que ce soit à travers les lois d'orientation ou la PAC, privilégie l'agrandissement des plus grosses exploitations au détriment de l'installation et des petites exploitations. Selon le service central des études statistiques du ministère de l'agriculture, la surface moyenne des exploitations était de 21 hectares en 1980, 31 hectares en 1990, 75 h hectares en 2005. Les exploitations de plus de 200 hectares représentent 5 % de l'ensemble des exploitations et cultivent presque 20 % de la surface agricole utile totale. Une exploitation sur 5 exploite plus de 200 hectares. Les très grosses exploitations de 1000 à 1500 hectares se développent de plus en plus, écrasant sur le passage les petites et moyennes exploitations.
Le foncier agricole est un outil de travail permanent « qu'on hérite de nos aînés et qu'on emprunte à nos enfants » comme le disait Saint-Exupéry. Il ne peut pas être soumis aux lois du marché libre et à la spéculation.
Si on considère que l'agriculture durable ne peut pas être capitaliste et doit rester à taille humaine, alors le marché du foncier doit être régulé par un établissement public national décliné aux niveaux régional et départemental et répondre à des règles strictes pour donner priorité à l'installation et aux agrandissements des plus petites structures. Avec 330 000 exploitations agricoles professionnelles, le secteur de l'agriculture productive a largement atteint son seuil critique. Si aucune politique ne vient contrarier cette érosion du nombre d'exploitations, il est évident que des zones entières parmi les plus défavorisées vont être abandonnées à la non culture avec toutes les conséquences néfastes que cela aura d'un point de vue social, économique et en termes d'aménagement du territoire et de paysage. Si une réorientation de la PAC est vitale, une loi foncière sera également nécessaire pour pérenniser l'agriculture familiale et ne pas ouvrir le marché du foncier à des fonds d'investissements ou à de grosses sociétés qui, avec le marché des quotas carbone et les biocarburants, convoitent ces surfaces susceptibles de servir de pièges à carbone ou de produire de l'énergie renouvelable.
Un nouveau financement de l'agriculture doit être mis sur pied. La crise financière mondiale remet sur le devant de la scène les problèmes de financement de l'agriculture productive. Ces problèmes sont décuplés avec cette crise. Les banques sont de plus en plus réticentes à octroyer des prêts aux exploitants familiaux que ce soit des prêts de trésorerie ou des prêts pour investissement. Pourtant certains investissements sont devenus obligatoires pour exploiter : mise aux normes des bâtiments d'élevage, mise aux normes phytosanitaires, mise aux normes du matériel et des bâtiments dans le cadre de la prévention des accidents et maladies professionnelles, etc... Les banques exigent des cautions, des garanties pour se couvrir alors que ces mêmes banques continuent à jouer au « monopoly » mondial. À la moindre petite défaillance de l'exploitant, les banques n'hésitent pas à réclamer le remboursement total du prêt et à obliger l'exploitant à engager une procédure collective de règlement amiable, redressement judiciaire ou liquidation pour insuffisance d'actif.
Au vu des besoins d'investissements en agriculture, de la frilosité des banques à accorder des prêts, de la faiblesse des capacités de remboursement des exploitants, il est important de revoir la politique publique de financement agricole. L'État doit s'engager dans une vaste politique de bonification d'intérêts avec des taux à 0 %, y compris pour l'acquisition de foncier, et un plafonnement par actif familial.
Le futur projet de loi de modernisation agricole devra en outre prévoir la création d'une caisse mutuelle de garantie des aléas climatiques. Le fonds national de garantie des calamités agricoles géré par l'État a été mis en place par une loi de 1964. Jusqu'aux alentours des années 1980, le système d'indemnisation, malgré ses imperfections, permettait aux exploitations de passer le cap difficile d'un sinistre climatique. En effet le niveau des prix agricoles assurait alors sur une période de 5 ans une trésorerie suffisante pour faire face aux chutes des volumes de production d'une année sinistrée, aidé en cela par les prêts calamités et les indemnisations. Mais avec les réformes libérales successives de la PAC, les prix agricoles se sont alignés sur les bas prix des cours mondiaux. Cette situation a fragilisé les exploitations, fortement réduit les fonds de roulement et rendu le système du fonds de garantie des calamités agricoles d'autant plus insuffisant que l'État se désengage financièrement et progressivement depuis une quinzaine d'années. De plus le réchauffement climatique a pour effet de multiplier les sinistres. Une réforme s'avère donc indispensable pour prendre en compte ces évolutions. Les agriculteurs ont plus que jamais besoin d'un système de garantie plus performant avec une meilleure indemnisation.
Après 2 ans d'expérimentation de l'assurance récolte mise en place par GROUPAMA et d'autres assureurs privés, le MODEF remarque que seulement 12 % de la SAU (surface agricole utile) est couverte par ces contrats et que ce sont les producteurs de céréales, oléo protéagineux, maïs et autres cultures industrielles qui ont souscrit ce type d'assurance, soit 1 producteur sur 4. Les viticulteurs, arboriculteurs et maraîchers y ont peu souscrit compte tenu du coût à l'hectare très élevé. Malgré la subvention d'État à la prime d'assurance, le coût net reste trop important pour les exploitants familiaux. Cette exclusion de fait des petits et moyens exploitants pourrait avoir des conséquences dramatiques en cas de sinistre et précipiter leur disparition. Pour le MODEF cette privatisation du système de garantie des calamités agricoles constitue un nouveau désengagement de l'État qui a pour effet d'accentuer les disparités de revenu et l'individualisme. Partant de ces constats, le MODEF propose la création d'une caisse mutuelle de garantie des aléas climatiques basée sur les principes de solidarité et de démocratie. Il propose une couverture obligatoire pour tous et un financement partagé entre l'État, l'UE, les industriels de l'agro fourniture et de l'agro alimentaire, la grande distribution, les banques et assurances agricoles ainsi que les agriculteurs eux mêmes. Cette répartition des financements rendrait la couverture financièrement acceptable par les agriculteurs. De plus, la caisse mutuelle pourrait, en plus de gérer les indemnisations, assumer d'autres missions comme le développement et la recherche de systèmes de prévention, la prospective sur l'évolution des cultures prenant en compte le changement climatique afin de garantir la sécurité alimentaire.
Dans des périodes de crise telle que celle que nous vivons les besoins de solidarité, d'équité, de démocratie sont vitaux.
Le projet de loi de modernisation agricole devra par ailleurs faire émerger une nouvelle gouvernance. Aujourd'hui, force est de constater que les pouvoirs au sein des coopératives, des chambre d'agriculture, de la MSA (mutualité sociale agricole) et d'autres organisations professionnelles agricoles se concentrent entre les mains d'une minorité triée sur le volet par cooptation, parrainage ou élections à étages. Ce mode de gouvernance délégataire et corporatiste est dépassé et contraire aux attentes des agriculteurs, des salariés et des citoyens. Dans une période où les enjeux de l'agriculture et de l'alimentation sont devenus des enjeux de société, le MODEF considère qu'il est nécessaire de revoir ces modes de gouvernance pour les ouvrir tant à l'intérieur du monde agricole, exploitants, salariés agricoles, qu'à l'extérieur avec les consommateurs.
Merci pour cette intervention très complète. Je passe maintenant la parole à M. Antoine Herth, puis je vous poserai moi-même quelques questions.
Merci pour ce tour d'horizon très riche et très complet ainsi que pour les documents que vous nous avez apportés, je me permettrais d'en prendre quelques uns pour les collègues commissaires qui ne pouvaient être présents ce matin. A cet égard, je tiens à excuser M. Michel Raison, qui est notre chef de file pour la préparation du projet de loi de modernisation agricole, et qui malheureusement ne pouvait pas participer à nos travaux.
Je souhaiterais tout d'abord que vous précisiez votre concept « d'exploitation familiale », notamment au regard du régime fiscal. Ces exploitations sont-elles imposées au forfait ou au réel ? Il s'agit d'un point très important, car la stimulation des activités économiques passe par des incitations fiscales, lesquelles supposent un minimum de transparence, notamment en termes de comptabilité.
J'ai été surpris par les propos de Jean Gaubert sur la nécessité de ne pas cibler uniquement les jeunes dans les aides à l'installation. Il est vrai que, selon les chiffres de la MSA, seules 30 à 40 % des installations concernent des jeunes de moins de 35 ou 40 ans. Il me paraît au demeurant essentiel de soutenir l'installation des jeunes, qui souffrent de handicaps spécifiques dans la maîtrise du capital nécessaire au développement de l'exploitation. Une généralisation, entraînant une diminution globale des aides à l'installation, ne me paraît pas être une option.
M. Dellac, vous êtes arboriculteur et vous êtes donc tout particulièrement concerné par la question de l'organisation des filières et du coût de la main d'oeuvre. Pouvez-vous nous préciser votre approche sur ce sujet ?
M. Mouzat, vous êtes éleveur en Corrèze, vous avez suivi nos travaux sur l'organisation des filières dans le cadre de la loi d'orientation agricole. J'avais eu le sentiment d'une certaine résistance de la filière bovine à l'idée d'un regroupement de l'offre. Où en est-on ?
Enfin, vous avez évoqué la question d'une taxation variable à l'importation. Que pensez vous de l'idée de généraliser la taxe carbone aux frontières de l'Union européenne, afin de rééquilibrer la compétition entre les productions nationales et les autres productions ?
Je vous remercie pour votre intervention qui constitue un programme très complet. Là où je ne vous suis pas, c'est sur l'OMC : il faut tenir compte du principe de réalité, on ne sortira pas de l'OMC. En revanche, je voudrais rebondir sur la question d'Antoine Herth : avez-vous réfléchi à l'instauration de la taxe carbone aux frontières de l'Union européenne ? Il me semble qu'il s'agit là d'une proposition intéressante pour favoriser la relocalisation de nos productions et qui est à la fois euro compatible, OMC compatible et en phase avec les orientations qui vont se dessiner lors du sommet de Copenhague. Sur la filière fruits et légumes, quelles sont les positions du MODEF sur deux points essentiels :
- d'une part, s'agissant des relations entre la GMS et les producteurs, pensez-vous qu'une plus grande structuration de l'offre soit nécessaire et doit-elle être facultative ou obligatoire ?
- d'autre part, sur les charges patronales, que proposez-vous ? Nos producteurs sont soumis à une compétitivité intra communautaire très forte alors que la fiscalité sociale n'est pas harmonisée.
S'agissant de la loi de modernisation de l'économie, celle-ci joue aujourd'hui le rôle de bouc émissaire : c'est pour moi une bonne loi qui a notamment permis de supprimer les marges arrière. Vous proposez en revanche un certain nombre d'idées neuves comme l'élargissement de la base fiscale agricole ou la couverture des risques climatiques. La création d'un établissement public ne paraît pas à cet égard indispensable mais l'instauration, en quelque sorte, d'un mécanisme de contribution volontaire obligatoire (CVO) est à creuser. Enfin, sur la gouvernance, l'unité du monde agricole et sa représentation sont des questions très importantes et particulièrement prégnantes dans le Lot-et-Garonne qui est le seul département français à connaître une compétition syndicale forte. Quelles sont vos propositions concrètes pour assurer la représentation des syndicats minoritaires ? faut-il la fonder sur les résultats des élections aux chambres d'agriculture ?
Promouvoir une agriculture familiale, c'est promouvoir une agriculture moderne, mais qui reste à taille humaine. C'est un choix qui est rationnel à la fois du point de vue économique et du point de vue de l'occupation du territoire. Il permet en outre de préserver la diversité des productions sur l'exploitation, comme le démontre a contrario la spécialisation au sein des grosses exploitations. Il faut qu'à chaque territoire, corresponde une organisation de l'agriculture adaptée.
Si les agriculteurs bénéficient de prix rémunérateurs, ils n'ont pas besoin de dispositifs fiscaux de soutien. Or, aujourd'hui, alors que bien souvent le conjoint travaille en dehors de l'exploitation, celui-ci voit quand même son salaire majoritairement voué au fonctionnement de l'exploitation.
Dans le secteur des fruits et légumes, la concurrence intra communautaire est effectivement très rude en raison des différences constatées en matière de charges. Il est vrai que la France est le pays où les coûts de production sont les plus importants, ce qui favorise les importations de produits agricoles ; mais ceux-ci ne sont pas pour autant vendus moins cher au consommateur. La GMS utilise néanmoins cet argument pour faire pression sur les prix payés aux producteurs. C'est pourquoi nous demandons l'instauration d'un coefficient multiplicateur. Un tel dispositif a été prévu par la loi relative au développement des territoires ruraux mais les pouvoirs publics n'en ont jamais fait usage. Ce que nous demandons, c'est qu'il soit effectivement appliqué lorsque les producteurs sont en difficulté. Mais nous réclamons également l'instauration d'un autre coefficient multiplicateur dans l'esprit de ce qui existait dans le cadre de la PAC avant 1986.
S'agissant des organisations de producteurs, il est clair que dans le secteur des fruits et légumes, l'organisation de l'offre est la plus faible et la plus vulnérable possible : moins de 50 % des producteurs appartiennent à une OP et, parfois, lorsqu'une OP est mise en place, ce n'est pas en vue de faciliter la commercialisation des produits et d'organiser la production, mais de permettre à un négociant de s'assurer d'un volume de produits à mettre sur le marché. Cette situation laisse donc toute latitude à la GMS pour agir à sa guise. C'est ainsi que, en l'absence d'entente entre les producteurs pour harmoniser les emballages, dans le secteur des prunes ou du raisin de table, la GMS impose désormais la vente uniquement en barquette plastique de 500g ou 750g : non seulement cela représente un coût considérable pour les producteurs mais cela pose également un problème pour l'environnement. La commercialisation via la GMS reste cependant le seul moyen de dégager des volumes. Le rapport de forces doit donc évoluer : pour reprendre l'exemple de la prune de table, dans le Lot-et-Garonne, une quarantaine d'opérateurs font face à 5 centrales d'achat pour la vente d'environ 20 000 tonnes de fruit. C'est la raison pour laquelle il est nécessaire d'instaurer un prix plancher fixé en fonction du coût de revient pour les producteurs qui leur permette de bénéficier d'un juste prix pour leurs produits.
Enfin, s'agissant de la représentation au sein des interprofessions, il faut organiser des élections démocratiques avec l'ensemble des organisations syndicales.
L'exemple de la crise laitière montre bien que l'organisation de l'offre n'est pas suffisante pour garantir des revenus aux producteurs. Le secteur laitier est un des secteurs les plus organisés avec de grosses coopératives comme SODIAAL. A cet égard, il serait intéressant d'interroger les agriculteurs sur l'évolution des coopératives. On peut notamment s'interroger sur les propositions avancées par Coop de France dans le cadre des groupes de travail sur le PLMA mis en place par le ministère de l'agriculture visant à faire des coopérateurs des actionnaires.
Sur les organisations de producteurs, personne ne prétend que leur développement est une condition suffisante pour régler le problème des prix rémunérateurs pour les producteurs, il ne fait guère de doute cependant que c'est une condition nécessaire. Or, il faut que l'on puisse tenir un discours consensuel et unitaire sur ce thème afin qu'il soit audible par l'ensemble des agriculteurs qui, intrinsèquement, préfèrent gérer individuellement leurs exploitations et leurs productions. Enfin, à titre personnel, je considère que l'évolution du monde coopératif vers une plus grande intégration de la transformation me paraît être une voie d'avenir.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du jeudi 22 octobre 2009 à 10 heures
Présents. - M. Jean Dionis du Séjour, M. Jean Gaubert, M. Antoine Herth
Excusés. - M. Jean-Michel Couve, M. Henri Jibrayel, Mme Frédérique Massat