J'en reviens à la question foncière. La politique agricole nationale et européenne, que ce soit à travers les lois d'orientation ou la PAC, privilégie l'agrandissement des plus grosses exploitations au détriment de l'installation et des petites exploitations. Selon le service central des études statistiques du ministère de l'agriculture, la surface moyenne des exploitations était de 21 hectares en 1980, 31 hectares en 1990, 75 h hectares en 2005. Les exploitations de plus de 200 hectares représentent 5 % de l'ensemble des exploitations et cultivent presque 20 % de la surface agricole utile totale. Une exploitation sur 5 exploite plus de 200 hectares. Les très grosses exploitations de 1000 à 1500 hectares se développent de plus en plus, écrasant sur le passage les petites et moyennes exploitations.
Le foncier agricole est un outil de travail permanent « qu'on hérite de nos aînés et qu'on emprunte à nos enfants » comme le disait Saint-Exupéry. Il ne peut pas être soumis aux lois du marché libre et à la spéculation.
Si on considère que l'agriculture durable ne peut pas être capitaliste et doit rester à taille humaine, alors le marché du foncier doit être régulé par un établissement public national décliné aux niveaux régional et départemental et répondre à des règles strictes pour donner priorité à l'installation et aux agrandissements des plus petites structures. Avec 330 000 exploitations agricoles professionnelles, le secteur de l'agriculture productive a largement atteint son seuil critique. Si aucune politique ne vient contrarier cette érosion du nombre d'exploitations, il est évident que des zones entières parmi les plus défavorisées vont être abandonnées à la non culture avec toutes les conséquences néfastes que cela aura d'un point de vue social, économique et en termes d'aménagement du territoire et de paysage. Si une réorientation de la PAC est vitale, une loi foncière sera également nécessaire pour pérenniser l'agriculture familiale et ne pas ouvrir le marché du foncier à des fonds d'investissements ou à de grosses sociétés qui, avec le marché des quotas carbone et les biocarburants, convoitent ces surfaces susceptibles de servir de pièges à carbone ou de produire de l'énergie renouvelable.
Un nouveau financement de l'agriculture doit être mis sur pied. La crise financière mondiale remet sur le devant de la scène les problèmes de financement de l'agriculture productive. Ces problèmes sont décuplés avec cette crise. Les banques sont de plus en plus réticentes à octroyer des prêts aux exploitants familiaux que ce soit des prêts de trésorerie ou des prêts pour investissement. Pourtant certains investissements sont devenus obligatoires pour exploiter : mise aux normes des bâtiments d'élevage, mise aux normes phytosanitaires, mise aux normes du matériel et des bâtiments dans le cadre de la prévention des accidents et maladies professionnelles, etc... Les banques exigent des cautions, des garanties pour se couvrir alors que ces mêmes banques continuent à jouer au « monopoly » mondial. À la moindre petite défaillance de l'exploitant, les banques n'hésitent pas à réclamer le remboursement total du prêt et à obliger l'exploitant à engager une procédure collective de règlement amiable, redressement judiciaire ou liquidation pour insuffisance d'actif.
Au vu des besoins d'investissements en agriculture, de la frilosité des banques à accorder des prêts, de la faiblesse des capacités de remboursement des exploitants, il est important de revoir la politique publique de financement agricole. L'État doit s'engager dans une vaste politique de bonification d'intérêts avec des taux à 0 %, y compris pour l'acquisition de foncier, et un plafonnement par actif familial.
Le futur projet de loi de modernisation agricole devra en outre prévoir la création d'une caisse mutuelle de garantie des aléas climatiques. Le fonds national de garantie des calamités agricoles géré par l'État a été mis en place par une loi de 1964. Jusqu'aux alentours des années 1980, le système d'indemnisation, malgré ses imperfections, permettait aux exploitations de passer le cap difficile d'un sinistre climatique. En effet le niveau des prix agricoles assurait alors sur une période de 5 ans une trésorerie suffisante pour faire face aux chutes des volumes de production d'une année sinistrée, aidé en cela par les prêts calamités et les indemnisations. Mais avec les réformes libérales successives de la PAC, les prix agricoles se sont alignés sur les bas prix des cours mondiaux. Cette situation a fragilisé les exploitations, fortement réduit les fonds de roulement et rendu le système du fonds de garantie des calamités agricoles d'autant plus insuffisant que l'État se désengage financièrement et progressivement depuis une quinzaine d'années. De plus le réchauffement climatique a pour effet de multiplier les sinistres. Une réforme s'avère donc indispensable pour prendre en compte ces évolutions. Les agriculteurs ont plus que jamais besoin d'un système de garantie plus performant avec une meilleure indemnisation.
Après 2 ans d'expérimentation de l'assurance récolte mise en place par GROUPAMA et d'autres assureurs privés, le MODEF remarque que seulement 12 % de la SAU (surface agricole utile) est couverte par ces contrats et que ce sont les producteurs de céréales, oléo protéagineux, maïs et autres cultures industrielles qui ont souscrit ce type d'assurance, soit 1 producteur sur 4. Les viticulteurs, arboriculteurs et maraîchers y ont peu souscrit compte tenu du coût à l'hectare très élevé. Malgré la subvention d'État à la prime d'assurance, le coût net reste trop important pour les exploitants familiaux. Cette exclusion de fait des petits et moyens exploitants pourrait avoir des conséquences dramatiques en cas de sinistre et précipiter leur disparition. Pour le MODEF cette privatisation du système de garantie des calamités agricoles constitue un nouveau désengagement de l'État qui a pour effet d'accentuer les disparités de revenu et l'individualisme. Partant de ces constats, le MODEF propose la création d'une caisse mutuelle de garantie des aléas climatiques basée sur les principes de solidarité et de démocratie. Il propose une couverture obligatoire pour tous et un financement partagé entre l'État, l'UE, les industriels de l'agro fourniture et de l'agro alimentaire, la grande distribution, les banques et assurances agricoles ainsi que les agriculteurs eux mêmes. Cette répartition des financements rendrait la couverture financièrement acceptable par les agriculteurs. De plus, la caisse mutuelle pourrait, en plus de gérer les indemnisations, assumer d'autres missions comme le développement et la recherche de systèmes de prévention, la prospective sur l'évolution des cultures prenant en compte le changement climatique afin de garantir la sécurité alimentaire.
Dans des périodes de crise telle que celle que nous vivons les besoins de solidarité, d'équité, de démocratie sont vitaux.
Le projet de loi de modernisation agricole devra par ailleurs faire émerger une nouvelle gouvernance. Aujourd'hui, force est de constater que les pouvoirs au sein des coopératives, des chambre d'agriculture, de la MSA (mutualité sociale agricole) et d'autres organisations professionnelles agricoles se concentrent entre les mains d'une minorité triée sur le volet par cooptation, parrainage ou élections à étages. Ce mode de gouvernance délégataire et corporatiste est dépassé et contraire aux attentes des agriculteurs, des salariés et des citoyens. Dans une période où les enjeux de l'agriculture et de l'alimentation sont devenus des enjeux de société, le MODEF considère qu'il est nécessaire de revoir ces modes de gouvernance pour les ouvrir tant à l'intérieur du monde agricole, exploitants, salariés agricoles, qu'à l'extérieur avec les consommateurs.