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Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Séance du 21 octobre 2009 à 9h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

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Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

La commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a entendu Mme Marie-Pierre Comets et M. Marc Sanson, commissaires de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), ainsi que de Mme Marie-Claude Dupuis, directrice générale de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), sur les événements nucléaires de Cadarache.

PermalienPhoto de Christian Jacob

Nous avons souhaité faire le point rapidement sur l'incident qui a eu lieu à Cadarache en entendant l'Autorité de sûreté nucléaire. M. André-Claude Lacoste, son président, étant en déplacement à l'étranger, nous recevons Mme Marie-Pierre Comets et M. Marc Sanson, commissaires du collège de l'Autorité, qui nous indiqueront comment de tels dysfonctionnements ont pu se produire. Pour donner à la Commission une vision globale et bien que l'Agence pour la gestion des déchets nucléaires ne soit pas directement concernée par l'incident de Cadarache, j'ai souhaité que nous entendions aussi sa directrice générale, Mme Marie-Claude Dupuis. Dans un deuxième temps, je proposerai à la Commission d'auditionner les responsables du CEA et d'AREVA, le premier étant titulaire de l'autorisation et la seconde exploitant de l'Atelier de technologie du plutonium (ATN) du site de Cadarache. Notre ordre du jour prévoyant une autre audition ce matin, le temps nous est compté. Aussi, après que nos invités auront pris la parole, j'inviterai un seul représentant de chaque groupe à poser une question, ce qui ne nous empêchera pas d'approfondir la question ultérieurement.

PermalienMarie-Pierre Comets, commissaire de l'Autorité de sûreté nucléaire

Je vous prie d'excuser notre président, qui participe, en Corée du Sud, à la réunion de l'Association internationale des régulateurs nucléaires. L'Autorité de sûreté nucléaire, l'ASN, est heureuse d'être entendue par le Parlement car elle a vocation à rendre compte, comme elle le fait chaque année en présentant à l'OPECST son rapport sur l'état de la sûreté nucléaire et de radioprotection en France.

L'ASN est une autorité administrative indépendante chargée, au nom de l'État, du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour protéger les travailleurs, les patients, le public et l'environnement des risques liés aux activités nucléaires. Elle contribue à l'information des citoyens.

En matière de sûreté nucléaire, l'exploitant d'une installation est le premier responsable de sa sûreté. La démarche de sûreté passe d'abord par les dispositions prises à tous les stades de la vie d'une installation, depuis la conception jusqu'au démantèlement, pour en assurer le fonctionnement normal, prévenir les accidents et en limiter les effets. Elle comporte aussi le retour d'expérience, qui consiste en la déclaration d'événements significatifs pour la sûreté – car des événements se produisent inévitablement, des écarts apparaissent par rapport à ce qui était prévu –, leur analyse, les conséquences qu'en tire l'exploitant concerné et ce que peuvent en tirer les autres exploitants. La déclaration des événements est donc extrêmement importante.

À l'atelier de technologie du plutonium de Cadarache (ATPu), le CEA est le titulaire du décret d'autorisation, l'opérateur industriel étant AREVA. L'atelier, destiné à fabriquer du combustible MOX, un mélange d'oxydes d'uranium et de plutonium, a fonctionné de 1964 à 2003 ; il est en phase de démantèlement, lequel a été autorisé par un décret du 6 mars 2009.

Le 6 octobre dernier, le CEA a déclaré à l'ASN un incident survenu dans cette installation. Cet incident consiste en la sous-estimation de dépôts de plutonium dans l'installation, une sous-estimation connue par le CEA depuis juin 2009. La déclaration écrite a été précédée par une information orale que l'administrateur général adjoint du CEA est venu donner au président de l'ASN le 1er octobre.

Le MOX était fabriqué dans des « boîtes à gants », à partir de poudres d'oxydes d'uranium et de plutonium. Des poussières de poudre et des morceaux de pastille se sont accumulés dans ces boîtes au cours de l'exploitation. Ces dépôts de plutonium, qui n'étaient ni visibles ni accessibles pendant l'exploitation…

PermalienMarie-Pierre Comets, commissaire de l'Autorité de sûreté nucléaire

… avaient été évalués à 8 kilos. À ce jour, après les premières opérations de démantèlement, 22 kilos de plutonium ont été récupérés ; le CEA estime que la quantité totale, une fois le démantèlement achevé, pourrait s'élever à 39 kilos. Les dépôts ont donc été très sous-estimés, ce qui pose le problème du risque de criticité : quand une masse de matière fissile trop importante est rassemblée au même endroit, le risque existe du démarrage d'une réaction nucléaire non contrôlée libérant une grande quantité d'énergie et de rayonnements. Il y a donc un risque d'irradiation pour les travailleurs. À ce jour, soixante accidents de criticité ont été relatés dans le monde. Le dernier s'est produit en 1999 à Tokaï Mura, au Japon, dans une usine de fabrication de combustible ; plus de 130 personnes ont été irradiées et deux sont décédées. Il s'agit donc d'un sujet sérieux que l'ASN a traité avec sérieux. Pour se prémunir contre un tel risque, des marges de sûreté importantes sont prises, qui se traduisent par des limites sur la quantité de matière fissile admissible en un même lieu et en un même poste de travail.

Quelle a été l'action de l'ASN ? Le CEA ayant, le 1er octobre, signalé oralement l'incident, elle a demandé qu'il soit déclaré, ce qui a été fait le 6 octobre. Elle a mené, le 9 octobre, une inspection réactive, et saisi l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, qui a remis son rapport le 14 octobre. Le même jour, elle a pris trois mesures : elle a classé l'incident au niveau 2 de l'échelle INES ; elle a dressé un procès-verbal ; elle a suspendu les opérations de démantèlement.

Pour chaque événement, l'exploitant propose un classement, mais la responsabilité du classement relève de l'ASN. Le CEA a proposé de classer l'incident au niveau 1 de l'échelle INES. L'ASN l'a classé au niveau 2, d'une part parce qu'il a conduit à la réduction des marges de sécurité prévues pour prévenir un accident de criticité, d'autre part à cause de l'absence de détection pendant l'exploitation du plutonium accumulé sur l'installation et de la déclaration tardive à l'ASN, qui traduit un défaut de culture de sûreté.

L'ASN a d'autre part dressé un procès-verbal à l'exploitant pour non-respect de l'article 54 de la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, qui dispose qu'« en cas d'incident ou d'accident, nucléaire ou non, ayant ou risquant d'avoir des conséquences notables sur la sûreté de l'installation,(....) l'exploitant d'une installation nucléaire de base (…) est tenu de le déclarer sans délai à l'ASN et au représentant de l'Etat dans le département du lieu de l'incident ou de l'accident ». Or, nous avons appris au cours de l'inspection réactive du 9 octobre que le CEA connaissait cette sous-évaluation depuis juin ; la déclaration aurait dû être effectuée à ce moment-là.

La suspension du démantèlement s'explique par la réduction des marges de protection contre le risque de criticité par rapport à celles qui avaient été définies lorsque l'ASN a autorisé ces opérations. Il revient à l'exploitant de démontrer la sûreté de son installation dans la nouvelle configuration. Cela n'ayant pas été fait, l'ASN a suspendu les opérations de démantèlement et soumis leur reprise à son accord, en en précisant les conditions.

L'ASN va s'assurer que le retour d'expérience de cet incident est bien acté. Pour cela, elle a déjà écrit à AREVA pour l'installation Melox à Marcoule et les usines de La Hague, ainsi qu'au Délégué à la sûreté nucléaire de défense pour les installations qu'il contrôle – ce sont là les installations les plus concernées. Nous écrirons ensuite aux autres exploitants. Enfin, conformément à notre mission d'information du public, la lettre de suite d'inspection a été publiée sur notre site le 19 octobre.

Outre la plaquette de présentation de l'ASN, vous trouverez dans le dossier que je vous ai remis la note de présentation de l'incident, notre communiqué de presse du 14 octobre, la copie de notre décision de suspension des opérations de démantèlement et des prescriptions relatives à leur reprise, l'avis rendu par l'IRSN et la lettre de suite d'inspection.

PermalienMarie-Claude Dupuis, directrice générale de l'Agence pour la gestion des déchets radioactifs

Après avoir décrit les missions de l'Agence pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, je préciserai sa mission concernant les matières radioactives, dont le plutonium.

L'ANDRA, établissement public industriel et commercial, a été créée par la loi du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs, désormais codifiée aux articles L. 542-1 et suivants du code de l'environnement. Sa mission a été précisée par la loi de programme du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des déchets et matière radioactifs. L'agence, indépendante des producteurs de déchets radioactifs, est placée sous la tutelle conjointe des ministères chargés de l'énergie, de l'environnement et de la recherche. En effet, elle ne traite pas uniquement des déchets produits par la filière électronucléaire, qui ne représentent que 62 % de son inventaire ; le reste provient des secteurs médical, de la recherche et de la défense.

L'Agence doit prendre en charge les déchets radioactifs pour les stocker et assurer ainsi la protection des hommes et de l'environnement à long terme. Nous disposons de solutions pour près de 90 % des déchets produits en France. Ainsi, nous stockons en surface, dans l'Aube, les déchets d'exploitation, de maintenance et de démantèlement des centrales nucléaires, et ceux qui proviennent de l'industrie médicale. C'est notre première mission : nous sommes un opérateur industriel, et nous exploitons trois centres de stockage.

Notre deuxième mission consiste à trouver une solution de stockage de long terme pour les déchets à vie longue, qui sont classés en deux catégories. La première est celle des déchets à vie longue de faible activité, qu'on ne produit plus beaucoup mais dont le stock est de 100 000 mètres cubes. Le Gouvernement nous a autorisés à lancer un appel à candidatures aux communes volontaires pour les stocker. Malheureusement…

PermalienMarie-Claude Dupuis, directrice générale de l'Agence pour la gestion des déchets radioactifs

Non, les choses ne se présentent pas ainsi. Nous avons reçu quarante candidatures et le Gouvernement a sélectionné deux sites dans l'Aube mais malheureusement les conseils municipaux concernés se sont rétractés.

Nous travaillons aussi à un projet de stockage géologique en grande profondeur des déchets issus du retraitement du combustible usé de la filière électronucléaire. Le volume concerné est faible puisque les déchets de haute activité à vie longue, qui concentrent à eux seuls 95 % de la radioactivité, ne représentent que 0,2% du million de mètres cubes de déchets radioactifs recensé en France. Mais ces déchets demandent une attention toute particulière car ils sont dangereux. Pour ceux-là, le concept de référence est celui du stockage à grande profondeur, et nous disposons d'un laboratoire souterrain situé dans la Meuse, à la limite de la Haute-Marne.

La loi nous par ailleurs donné des missions d'intérêt général, au nombre desquelles l'élaboration de l'inventaire national des déchets et des matières radioactives, que nous sommes tenus de mettre à jour et de publier tous les trois ans. C'est le lien que nous pouvons avoir avec ce qui s'est passé à Cadarache, et c'est pourquoi j'insisterai sur ce point.

L'article L.542-1-1 du code de l'environnement distingue très nettement matières et déchets radioactifs : une matière radioactive est « une substance dans le code pour laquelle une utilisation ultérieure est prévue ou envisagée, le cas échéant après traitement ». Quant aux déchets radioactifs, ce sont « des substances dans le code pour lesquelles aucune utilisation ultérieure n'est prévue ou envisagée ». L'ANDRA est chargée de trouver une solution pour les déchets ultimes, qui n'ont plus d'usages possibles ; en l'espèce, avec le plutonium, on parle de matière. Il existe une obligation de déclaration des déchets et des matières radioactifs, qui concerne tous les exploitants d'installations nucléaires de base et d'installations classées amenées à utiliser des sources radioactives. L'ANDRA, qui collecte ces informations, a ainsi recensé 1 121 sites en France où existent des substances radioactives. Les usines de La Hague et de Marcoule concentrent à elles seules 90 % de la radioactivité, puisque c'est là que sont entreposés les déchets de haute activité.

Le plutonium, matière radioactive, doit être déclaré à l'Agence. AREVA, en sa qualité d'exploitant industriel, a déclaré à l'ANDRA la présence de plutonium dans l'atelier de Cadarache. Mais, comme je l'exposais précédemment, l'inventaire national distingue déchets et matières, et nous sommes beaucoup moins précis pour ce qui concerne les matières parce que nous ne sommes pas chargés de leur traçabilité mais de l'information générale à donner au public. C'est d'ailleurs le premier objectif de l'inventaire : informer le public de l'existence de matières radioactives sur certains sites. En second lieu, il permet la définition du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs. Ce plan est défini tous les trois ans par le ministère de l'environnement, en collaboration étroite avec l'ASN ; le ministère et l'autorité mettent actuellement la dernière main au nouveau plan de gestion, qui sera vraisemblablement publié à la fin de l'année. Dans le cadre de ce plan, l'État est très vigilant quant au volume de ces matières en France, car si elles devaient perdre leur qualité de matières « valorisables », elles deviendraient des déchets pour lesquels l'ANDRA devrait trouver une solution de stockage de long terme. Aussi longtemps qu'il s'agit de matières valorisables, elles sont sous la responsabilité de leurs propriétaires. Certaines peuvent être vendues, et certaines peuvent même être exportées pour être retraitées et récupérées…

PermalienPhoto de Yves Cochet

Non ! Elles ne reviennent pas en France !

PermalienMarie-Claude Dupuis, directrice générale de l'Agence pour la gestion des déchets radioactifs

Je donnais cette indication comme exemple de la différence entre matières radioactives valorisables et déchets : si les matières peuvent faire l'objet d'un commerce, encadré certes, il n'en est pas de même pour les déchets, la loi du 28 juin 2006 interdisant le stockage en France de déchets étrangers.

La comptabilité des matières radioactives, dont le plutonium, est du ressort de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, qui trace ces matières pratiquement au gramme près et qui fait ensuite rapport dans le cadre du traité Euratom et de l'AIEA. Pour sa part, l'ANDRA raisonne en quantité globale, les recensions de déchets nucléaires se faisant à l'échelle de la tonne : ainsi, pour l'atelier de Cadarache, AREVA nous a déclaré la présence d'une tonne environ de matière nucléaire. Par ailleurs, il y a une différence entre ce que l'exploitant déclare à l'ANDRA et ce que nous publions sur les matières sensibles.

PermalienPhoto de Yves Cochet

Et qu'en est-il alors de la transparence ?

PermalienMarie-Claude Dupuis, directrice générale de l'Agence pour la gestion des déchets radioactifs

La préparation de l'inventaire national se fait sous l'égide d'un comité de pilotage qui réunit, outre des représentants de l'ANDRA, des représentants du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, de l'ASN et des principaux producteurs de déchets radioactifs. Y participent également, en tant qu'observateurs, un représentant de l'OPECST – qui suit très régulièrement nos travaux, et par lequel nous avons encore été auditionnés en mai – et un représentant de la Commission nationale d'évaluation. Par ailleurs, pour le prochain inventaire, il est prévu d'élargir le comité de pilotage à un représentant du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire et à des représentants d'associations de défense de l'environnement.

PermalienMarie-Claude Dupuis, directrice générale de l'Agence pour la gestion des déchets radioactifs

L'ANDRA a l'habitude de travailler avec les associations Robin des Bois et France Nature Environnement, dont les représentants siègent dans notre instance de gouvernance qui traite de la gestion de la subvention publique.

En résumé, l'inventaire national des matières radioactives en France recense 71 tonnes de plutonium pour l'ensemble des sites relevant d'AREVA, principalement à La Hague et à l'usine de Marcoule, dont une tonne déclarée sur le site de Cadarache. S'agissant de transparence, nous n'allons pas plus loin car c'est le rôle de l'IRSN dans le cadre du traité Euratom. De plus, s'agissant de matières sensibles, il ne serait pas de bonne pratique de publier la liste précise des sites où se trouve chaque gramme de plutonium en France.

PermalienPhoto de Christian Jacob

Je vous remercie. La parole est aux représentants des groupes.

PermalienPhoto de Christophe Bouillon

Au nom du groupe SRC, je vous remercie, Monsieur le président, d'avoir permis la tenue de cette audition. Elle ne permet toutefois pas d'écarter d'emblée la création d'une commission d'enquête parlementaire. Le sujet est en effet suffisamment grave pour que nous disposions du maximum d'informations sur cet incident, qui révèle tout à la fois des erreurs d'appréciation, des dysfonctionnements et un évident manque de réactivité des autorités compétentes. À entendre Mme Comets et à lire le communiqué de l'ASN, on prend conscience que la sous-estimation a conduit à réduire fortement les marges de sécurité destinées à prévenir un accident de criticité, avec ce que cela implique de risques potentiels pour les travailleurs chargés du démantèlement. La présence de cette masse de plutonium aurait pu déclencher une réaction en chaîne, catastrophique pour eux et pour la population alentour. L'ASN a pris la mesure de ce risque en classant l'incident au niveau 2 de l'échelle INES. Si l'on ajoute à cela la découverte récente d'un dépôt d'uranium à retraiter dans un site russe abandonné, vous comprendrez nos inquiétudes, nos interrogations et notre demande d'une plus grande transparence. On ne peut se contenter des premières réactions étonnées du ministre de l'écologie, il faut aller plus loin et viser la transparence absolue.

S'agissant de l'atelier de Cadarache, plusieurs questions se posent, notamment sur le délai entre la découverte de l'incident par le CEA ou AREVA et le moment où l'information a été signalée. Il apparaît que l'erreur d'estimation a été connue en juin mais qu'il a fallu attendre octobre pour que cette grave situation soit déclarée. Comment fonctionne la chaîne d'information ? Comment admettre de tels délais ?

L'ANDRA estime à 82 tonnes le stock total de plutonium en France ; dans un tel contexte, on peut se demander quelle est la marge d'incertitude de ce calcul, sachant que l'Agence estime à une tonne « à peu près » la quantité de plutonium présente sur le site ! Dans ce domaine, l'à-peu-près n'est pas permis. La transparence et la meilleure prise en compte des risques doivent conduire à ce que soient garantis des moyens de contrôle et d'information plus fiables. C'est pourquoi la création d'une commission d'enquête ne doit pas être écartée.

PermalienPhoto de Serge Grouard

Le groupe UMP vous remercie, Monsieur le président, d'avoir organisé ces auditions. Vous nous avez dit, Madame Comets, qu'à l'atelier de Cadarache, l'évaluation initiale était de 8 kilos de plutonium, que le CEA estime maintenant ces dépôts à 22 kilos, et que le poids total de plutonium récupéré dans l'atelier ATPu sera peut-être de 39 kilos. Pourtant, l'accumulation des poussières de MOX dans les « boîtes à gants » est un phénomène connu ; comment, alors, expliquer cet écart de 8 à 39 kilos ?

Vous avez évoqué le risque d'accident de criticité. Pouvez-vous nous dire quelle marge demeurait, dans le nouveau contexte déclaré, pour prévenir le déclenchement d'un tel accident ? Vous nous avez expliqué avoir dressé un procès-verbal et prescrit des mesures correctrices ; sont-elles prises ? Considérez-vous qu'il y aurait matière à sanctions et, si oui, lesquelles ? Vous avez ordonné la suspension des opérations de démantèlement : où en est-on ? Enfin, si la France a la réputation d'avoir une gestion rigoureuse de sa filière nucléaire, ce n'est peut-être pas le cas partout : disposez-vous d'évaluations de la situation dans d'autres pays ?

Nous entendons « donner corps » au Grenelle de l'environnement, affirmant ainsi une forte ambition en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Notre pays est en pointe sur ce sujet ; nous avons été suivis par nos partenaires de l'Union européenne et nous espérons que le sommet de Copenhague aura des résultats fructueux. Parmi les facteurs qui placent la France en bonne position dans ce domaine, il y a, on le sait, le fait que l'énergie utilisée est principalement issue de la filière électronucléaire. Nos concitoyens le savent et ils considèrent que la gestion rigoureuse de cette filière est assurée. Il ne faudrait pas que des événements comme celui qui vient de se produire se renouvellent, sous peine que le doute pointe et que le consensus assez large qui prévaut sur la filière nucléaire ne soit remis en cause.

PermalienPhoto de Yves Cochet

Je compléterai les questions posées par mes prédécesseurs, avec lesquels je m'accorde, si ce n'est sur les derniers propos de M. Grouard. Je considère en effet qu'il n'y a pas de consensus national sur le nucléaire. Peut-être existe-t-il au Parlement, où les lobbies sont à l'oeuvre, mais pas au sein de la population.

Comme mes collègues, j'aimerais savoir pourquoi un tel délai s'est écoulé entre le constat que la masse de plutonium présente à l'atelier de Cadarache avait été sous-estimée et la déclaration de l'incident. Ce délai est extrêmement grave. Qui faut-il accuser avec le plus de sévérité, de l'ASN qui n'a pas fait heure par heure son travail de gendarme du nucléaire, ou du CEA qui a les moyens de masquer une partie de ce qui se passe dans ses ateliers ?

Ce dysfonctionnement est d'une extrême gravité. On nous explique depuis des années qu'en matière nucléaire la France est la meilleure ; c'est vrai pour la technicité mais ce ne l'est plus pour la sûreté. Le délai entre la constatation de l'erreur d'estimation et la déclaration est stupéfiant. Qu'il y ait quelque jalousie et quelque concurrence sur les prérogatives, cela peut se produire entre administrations. Mais quand il s'agit de plutonium, on risque des accidents de criticité. Comment une telle méconnaissance de la masse réelle de plutonium sur le site a-t-elle pu perdurer ? Comment comprendre cette ignorance, tant au CEA qu'à l'ASN ? Vous nous dites que l'exploitant est le premier responsable de la sûreté. Soit, mais il en va de même avec les industriels, également responsables de la sécurité de leurs installations, et les agents des DRIRE se rendent sur place. Les inspecteurs de l'ASN ne sont-ils pas censés se déplacer indépendamment des rapports d'incidents qui leur sont faits ? Des inspecteurs de l'ASN se sont-ils rendus dans l'atelier de Cadarache entre juin et septembre 2009 ? Après tout, il n'y a en France que trois ateliers de technologie du plutonium, la matière radioactive la plus sensible qui soit. Les inspecteurs de l'ASN devraient y être présents assez souvent. Pendant trois mois et demi, ne s'est-il rien passé ?

J'insiste par ailleurs sur le fait que la sécurité n'a rien à voir avec la transparence, une transparence encore toute relative. Un système peut être très transparent et ne pas savoir compter les kilos de plutonium. Selon Mme Dupuis, l'IRSN doit en principe retracer « au gramme près » le plutonium présent sur les différents sites ; après quoi, on a d'un côté des estimations en tonnes, de l'autre des estimations faites au kilo, et qui passent du simple au quadruple ! Il est extrêmement grave de ne pas savoir, au gramme près en effet, combien il y a de plutonium dans ces « boîtes à gants » – et pas seulement là. Combien de plutonium, au gramme près et non pas à la tonne flottante, y a-t-il à l'usine Melox de Marcoule, et combien à La Hague ? La transparence est indispensable sur ces questions comme elle doit valoir aussi pour les sites classés Seveso.

Cet incident signale aussi un problème de sécurité. Le fait que le CEA ne sache pas compter des kilos de plutonium signifie que n'importe qui peut en soustraire une partie pour la revendre sur les marchés internationaux. Si ni l'ASN, ni le CEA, ni AREVA, ni EDF ne savent, à quelques kilos près, le stock exact de substances radioactives conservées sur les différents sites, la situation est très dangereuse car cela signifie que les trafics de matière fissile qui, on le sait, se font dans certains pays, peuvent également se produire en France. Autrement dit, le retraitement est une incitation à la prolifération et aux trafics. C'est pourquoi nous nous y opposons, comme s'y opposent certains pays nucléarisés qui procèdent au retraitement au pied de leurs centrales, ce qui évite des transports de matières dangereuses en camions jusqu'à La Hague. On se souvient qu'il y a quelques années Greenpeace avait arrêté un camion de la Cogema qui transportait du plutonium. Que les maires ne sachent pas exactement l'heure de transit de ces camions, on peut en discuter, car le nucléaire a toujours supposé une certaine opacité – sinon, ce serait trop dangereux. Mais alors, que l'on n'évoque pas la transparence !

PermalienMarie-Pierre Comets, commissaire de l'Autorité de sûreté nucléaire

S'agissant des délais, je vous ai indiqué qu'une information orale a été donnée pour la première fois le 1er octobre 2009 par l'administrateur général adjoint du CEA au président de l'ASN. À la suite de cette information, l'Autorité a demandé au CEA une déclaration écrite, qui lui est parvenue le 6 octobre. Le 9 octobre, nous avons dépêché à Cadarache une inspection réactive, au cours de laquelle nos inspecteurs ont appris que le CEA était au courant depuis juin de la fausseté de l'estimation initiale. Nous avons alors dressé un procès-verbal ; nous l'avons transmis au procureur, qui décidera des suites à donner. Nous avons aussi suspendu les opérations de démantèlement en attendant de disposer des informations permettant de déterminer les conditions de sûreté dans lesquelles le démantèlement pourra reprendre.

PermalienPhoto de Yves Cochet

Le CEA vous a-t-il expliqué la raison de ce retard de trois mois dans la déclaration ?

PermalienMarie-Pierre Comets, commissaire de l'Autorité de sûreté nucléaire

Le procureur tranchera. En ce qui me concerne, je vous donne la chronologie des faits. Eussions-nous eu l'information en juin, nous aurions pris les mêmes décisions : classement de l'incident au niveau 2 et suspension des opérations de démantèlement en attendant d'avoir une vision plus précise de l'inventaire consolidé des matières radioactives.

Je rappelle que l'ASN traite de la sûreté nucléaire ; la responsabilité du volet « sécurité » et du suivi des matières nucléaires revient au Haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer. La France est, avec la Corée du Sud, un des rares pays où l'Autorité de sûreté nucléaire n'est pas chargée du contrôle des matières nucléaires.

S'agissant des quantités de plutonium, la première estimation, réalisée pendant l'exploitation, était de 8 kilos. Après que l'opération de démantèlement a commencé, on en a trouvé 22 kilos. Toutes les boîtes n'ayant pas encore été démontées, on estime maintenant la quantité totale de plutonium sur le site à 39 kilos. Cette substance doit être manipulée avec de grandes précautions. C'est ce qui explique l'existence des « boîtes à gants », sorte d'aquariums en verre blindé dans laquelle le MOX, constitué de poudre d'oxydes d'uranium et de plutonium, est compacté pour former des pastilles. Il y a 450 de ces boîtes à l'atelier de Cadarache.

PermalienMarc Sanson, commissaire de l'Autorité de sûreté nucléaire

Cent cinquante boîtes ont été démantelées ; 300 doivent donc encore l'être. La nouvelle estimation s'explique par le fait que les premières boîtes démantelées sont celles qui contenaient le plus de plutonium. C'est ce qui conduit à estimer l'ensemble à 39 kilos.

L'autorité a effectivement un pouvoir de sanction – mesures administratives et, le cas échéant, poursuites pénales. Au nombre des premières, on distingue la mise en oeuvre, c'est-à-dire l'obligation de faire, la consignation d'office – l'ASN peut obliger l'exploitant à mettre de côté l'argent nécessaire à la réalisation des travaux – et l'exécution d'office. La suspension d'une opération n'est pas une sanction mais une mesure conservatoire qui a d'ailleurs une durée limitée. Nous voulons disposer d'une vision parfaitement claire de la quantité de plutonium encore présente dans les « boîtes à gants » pour déterminer si les opérations de démantèlement peuvent reprendre dans des conditions normales.

PermalienMarie-Claude Dupuis, directrice générale de l'Agence pour la gestion des déchets radioactifs

S'agissant du degré de finesse avec lequel nous gérons les déchets et les matières radioactifs, je tiens à préciser que l'ANDRA a pour mission principale de trouver une solution sûre pour traiter tous les types de déchets. À cette fin, nous les recensons au litre près, parfois même à la fiole près sur certains sites pollués dont la charge est revenue à l'Etat du fait de la défaillance de l'exploitant. L'inventaire national des déchets nucléaires est donc très précis. Quant aux matières radioactives, elles ne relèvent pas de la responsabilité de l'Agence, qui se limite à publier des informations générales à leur sujet. Quand je parle de tonnes, il ne s'agit pas d'incertitudes mais d'arrondis. Je le répète, le responsable de la sécurité est l'IRSN ; l'Institut considère qu'en matière nucléaire, la sécurité repose sur la comptabilité, qui doit être précise, sur le confinement – et aussi longtemps que le plutonium était dans les « boîtes à gants », personne ne pouvait l'en soustraire – et sur les mesures de protection, par exemple les règles d'accès aux sites. Mais, je le répète, ces questions ne sont pas de la compétence de l'ANDRA.

On s'est enfin interrogé sur la nécessité de transparence à propos des établissements classés Seveso. À ce sujet, le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire a décidé de créer un groupe de réflexion appelé à concilier transparence et lutte contre la malveillance.

PermalienMarc Sanson, commissaire de l'Autorité de sûreté nucléaire

L'atelier de technologie du plutonium de Cadarache a fait l'objet d'une quinzaine d'inspections de l'ASN au cours des trois dernières années. Cela étant, on ne peut entrer dans les « boîtes à gants ». Il ne peut donc y avoir que des inspections visuelles d'une installation qui comporte de nombreux recoins ; de plus, il s'agit d'équipements lourds qui ne peuvent être déplacés. On ne peut donc faire qu'une évaluation initiale, puis la réviser. Nous faisons des milliers d'inspections ; à l'atelier de Cadarache comme ailleurs, elles ont été faites sérieusement.

PermalienPhoto de Christian Jacob

Soit, mais une inspection a-t-elle eu lieu entre juin et octobre 2009 ?

PermalienMarc Sanson, commissaire de l'Autorité de sûreté nucléaire

Une inspection a eu lieu en juillet, mais elle ne portait pas sur le contrôle des matières – nous n'avions pas alors connaissance d'un incident.

PermalienPhoto de Yves Cochet

Si je vous entends bien, vous avez été prévenus oralement le 1er octobre de la sous-estimation de la quantité de plutonium trouvée dans l'atelier, mais les responsables du CEA ne vous ont dit qu'ensuite qu'ils avaient fait ce constat en juin. Autrement dit, le CEA s'est aussi rendu coupable, le 1er octobre, de mensonge par omission. Il est donc doublement coupable !

PermalienMarie-Pierre Comets, commissaire de l'Autorité de sûreté nucléaire

Le 1er octobre, l'administrateur général adjoint du CEA est venu informer le Président Lacoste, mais il n'a pas précisé qu'il était au courant depuis juin.

PermalienMarc Sanson, commissaire de l'Autorité de sûreté nucléaire

Le CEA a expliqué qu'il attendait d'avoir une estimation claire du problème avant de le déclarer.

PermalienMarie-Pierre Comets, commissaire de l'Autorité de sûreté nucléaire

Vous nous avez interrogés sur la coopération internationale. Elle existe bien sûr, et nous traiterons avec nos homologues du retour d'expérience sur cet incident pour faire le bilan qui s'impose.

PermalienPhoto de Christian Jacob

Merci à tous les trois pour votre disponibilité et pour la grande précision de vos réponses. Nous entendrons des représentants du CEA et d'AREVA pour avoir les informations les plus complètes possibles.

PermalienMarie-Pierre Comets, commissaire de l'Autorité de sûreté nucléaire

Nous sommes heureux d'avoir été entendus par votre commission et nous sommes prêts à vous présenter notre rapport annuel, comme nous le présentons à l'OPESCT.

PermalienPhoto de Yves Cochet

Monsieur le président, êtes-vous d'accord sur le principe de la création d'une commission d'enquête parlementaire ?

PermalienPhoto de Christian Jacob

Cette décision relève, vous le savez, du vote par l'Assemblée d'une éventuelle proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête. C'est à la Conférence des présidents de décider si un débat sur une proposition de résolution sera inscrit à l'ordre du jour.

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 21 octobre 2009 à 9 heures

Présents. - M. Jérôme Bignon, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Yves Cochet, Mme Claude Darciaux, M. Albert Facon, M. Daniel Fidelin, Mme Geneviève Gaillard, M. Jean-Pierre Giran, M. François Grosdidier, M. Serge Grouard, M. Michel Havard, M. Christian Jacob, M. Armand Jung, M. Jacques Kossowski, Mme Conchita Lacuey, M. Pierre Lang, M. Jacques Le Nay, Mme Christine Marin, M. Philippe Meunier, M. Bertrand Pancher, M. Yanick Paternotte, M. Christian Patria, M. Jean-Luc Pérat, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, M. Martial Saddier, M. Philippe Tourtelier

Excusés. - M. Joël Giraud, Mme Fabienne Labrette-Ménager

Assistait également à la réunion. - Mme Aurélie Filippetti