Je compléterai les questions posées par mes prédécesseurs, avec lesquels je m'accorde, si ce n'est sur les derniers propos de M. Grouard. Je considère en effet qu'il n'y a pas de consensus national sur le nucléaire. Peut-être existe-t-il au Parlement, où les lobbies sont à l'oeuvre, mais pas au sein de la population.
Comme mes collègues, j'aimerais savoir pourquoi un tel délai s'est écoulé entre le constat que la masse de plutonium présente à l'atelier de Cadarache avait été sous-estimée et la déclaration de l'incident. Ce délai est extrêmement grave. Qui faut-il accuser avec le plus de sévérité, de l'ASN qui n'a pas fait heure par heure son travail de gendarme du nucléaire, ou du CEA qui a les moyens de masquer une partie de ce qui se passe dans ses ateliers ?
Ce dysfonctionnement est d'une extrême gravité. On nous explique depuis des années qu'en matière nucléaire la France est la meilleure ; c'est vrai pour la technicité mais ce ne l'est plus pour la sûreté. Le délai entre la constatation de l'erreur d'estimation et la déclaration est stupéfiant. Qu'il y ait quelque jalousie et quelque concurrence sur les prérogatives, cela peut se produire entre administrations. Mais quand il s'agit de plutonium, on risque des accidents de criticité. Comment une telle méconnaissance de la masse réelle de plutonium sur le site a-t-elle pu perdurer ? Comment comprendre cette ignorance, tant au CEA qu'à l'ASN ? Vous nous dites que l'exploitant est le premier responsable de la sûreté. Soit, mais il en va de même avec les industriels, également responsables de la sécurité de leurs installations, et les agents des DRIRE se rendent sur place. Les inspecteurs de l'ASN ne sont-ils pas censés se déplacer indépendamment des rapports d'incidents qui leur sont faits ? Des inspecteurs de l'ASN se sont-ils rendus dans l'atelier de Cadarache entre juin et septembre 2009 ? Après tout, il n'y a en France que trois ateliers de technologie du plutonium, la matière radioactive la plus sensible qui soit. Les inspecteurs de l'ASN devraient y être présents assez souvent. Pendant trois mois et demi, ne s'est-il rien passé ?
J'insiste par ailleurs sur le fait que la sécurité n'a rien à voir avec la transparence, une transparence encore toute relative. Un système peut être très transparent et ne pas savoir compter les kilos de plutonium. Selon Mme Dupuis, l'IRSN doit en principe retracer « au gramme près » le plutonium présent sur les différents sites ; après quoi, on a d'un côté des estimations en tonnes, de l'autre des estimations faites au kilo, et qui passent du simple au quadruple ! Il est extrêmement grave de ne pas savoir, au gramme près en effet, combien il y a de plutonium dans ces « boîtes à gants » – et pas seulement là. Combien de plutonium, au gramme près et non pas à la tonne flottante, y a-t-il à l'usine Melox de Marcoule, et combien à La Hague ? La transparence est indispensable sur ces questions comme elle doit valoir aussi pour les sites classés Seveso.
Cet incident signale aussi un problème de sécurité. Le fait que le CEA ne sache pas compter des kilos de plutonium signifie que n'importe qui peut en soustraire une partie pour la revendre sur les marchés internationaux. Si ni l'ASN, ni le CEA, ni AREVA, ni EDF ne savent, à quelques kilos près, le stock exact de substances radioactives conservées sur les différents sites, la situation est très dangereuse car cela signifie que les trafics de matière fissile qui, on le sait, se font dans certains pays, peuvent également se produire en France. Autrement dit, le retraitement est une incitation à la prolifération et aux trafics. C'est pourquoi nous nous y opposons, comme s'y opposent certains pays nucléarisés qui procèdent au retraitement au pied de leurs centrales, ce qui évite des transports de matières dangereuses en camions jusqu'à La Hague. On se souvient qu'il y a quelques années Greenpeace avait arrêté un camion de la Cogema qui transportait du plutonium. Que les maires ne sachent pas exactement l'heure de transit de ces camions, on peut en discuter, car le nucléaire a toujours supposé une certaine opacité – sinon, ce serait trop dangereux. Mais alors, que l'on n'évoque pas la transparence !