La mission d'information sur les questions mémorielles a tout d'abord procédé à l'audition de M. Jean-Denis Bredin, avocat, membre de l'Académie française.
Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Jean-Denis Bredin.
Cher maître, cette mission dont l'objectif est de réfléchir aux questions mémorielles a été créée il y a un peu plus de deux mois. Après que le Président de la République eut émis l'idée de confier la mémoire d'un enfant déporté à chaque élève de CM2, nous avons pensé que les parlementaires devaient participer à la réflexion, d'autant que les lois mémorielles adoptées ces dernières années ont soulevé et soulèvent encore beaucoup de questions. Sans revenir sur ce qui a été fait, il nous faut nous interroger pour essayer de faire mieux à l'avenir.
Avocat, professeur de droit privé, vous nourrissez aussi une passion pour l'histoire et vous êtes l'auteur de nombreuses études et biographies. Votre livre consacré à l'affaire Dreyfus, paru en 1983, a connu un retentissement tout particulier.
Notre mission sera donc très heureuse de recueillir votre opinion sur les thèmes auxquels elle consacre sa réflexion.
Je tiens tout d'abord à préciser que, si je me suis intéressé à l'histoire comme beaucoup, je ne suis pas un historien de métier et n'ai d'ailleurs pas signé les pétitions qui ont circulé récemment chez les historiens contre les lois mémorielles.
Lorsque j'ai commencé à étudier l'affaire Dreyfus, j'ai eu la chance de travailler avec la fille d'Alfred Dreyfus, qui était encore en vie. J'ai ensuite travaillé sur l'abbé Sieyès, sur Necker, ou encore sur Charlotte Corday. J'ai également été professeur de droit pendant vingt ans, avocat pendant plus de vingt ans. Cela suffit-il à faire un juriste ? Je n'en sais rien…
Je commencerai mon propos en insistant sur la méfiance qu'il faut entretenir à l'égard du droit. Le doyen Carbonnier, notamment, en a bien décrit les maladies dans son livre Droit et Passion du droit : l'inflation du droit, maladie nouvelle, ne nous laisse pas de répit et la multiplication des lois peut conduire à une certaine indifférence à la loi. Néanmoins, il faut convenir que l'attente des citoyens en matière législative est plus vive qu'elle ne l'était autrefois.
Notre société est également en proie à une passion « victimologique ». Tout tend à devenir pénal. Mon droit devient la mesure du droit. Garapon et Salas, entre autres auteurs, ont étudié le rôle médiatique du procès pénal et ont évoqué à ce sujet la « République pénalisée », le « temps des victimes », la « plainte infinie des victimes qui alimente sans cesse le besoin de punir ». Dans un volume de mélanges offerts à un de mes collègues universitaires, je me suis amusé à mettre en scène le procès de la liberté, où comparaissent deux témoins à charge : la vérité et la sécurité.
J'en viens maintenant à la question des lois, de l'histoire et de la mémoire.
L'expression « devoir de mémoire » est équivoque car le mot « devoir » peut revêtir de nombreux sens différents. Le livre bouleversant de Primo Levi, Le Devoir de mémoire, explore ce qu'est la mémoire mais n'assigne pas au mot « devoir » un sens étymologique.
Par ailleurs, nous avons quelque raison de nous montrer prudents sur l'histoire officielle. Peu avant sa mort, René Rémond a écrit de beaux textes sur le droit de dire l'histoire, sur l'instrumentalisation du passé, sur le rite incantatoire d'une histoire officielle. Pierre Nora et d'autres personnalités ont déjà exposé à la mission d'information le danger de ces histoires officielles que plusieurs Présidents de la République avaient eux-mêmes dénoncées.
Il faut se garder de transformer la mémoire en histoire. Les deux notions doivent être bien distinguées. La mémoire, c'est la vie, qui est portée par des groupes en évolution permanente ; l'histoire, elle, appartient à tous et à personne, ce qui lui donne vocation à l'universel. Malgré cela, tout le monde peut s'intituler historien – c'est un peu une maladie française ! – dès lors qu'il a touché à l'histoire.
La mémoire a pour objectif la fidélité, l'histoire a pour objectif la vérité, écrivait François Bédarida. Nous avons tous connu, dans nos études, des mémoires détournées. Ainsi la mémoire qu'enseignait Barrès au moment de l'affaire Dreyfus se réduisait-elle à un cimetière : la nation, affirmait-il dans un texte au demeurant assez beau, c'est « la possession en commun d'un antique cimetière ». Je pourrais aussi évoquer les travaux d'Arno Meyer, de Tzvetan Todorov et de beaucoup d'autres. Le culte de la mémoire, qui peut se transformer en frénésie, doit se distinguer du souci de l'histoire.
À cet égard, la question de la commémoration est une des difficultés que rencontre le Parlement. Mona Ozouf, qui a écrit d'excellents textes sur ce sujet, a remarqué notamment que le choix des événements pour la commémoration de la révolution de 1789 est arbitraire mais qu'il se veut heureux. Il s'agit de sélectionner des faits qui peuvent être agréables : les États généraux, le serment du Jeu de paume, le 14 juillet – même si cette date aurait pu poser un petit problème –, la nuit du 4 août. Cependant, à partir de 1793, la commémoration devient plus incertaine et même disparaît. Pour reprendre la comparaison de Mona Ozouf, la commémoration ressemble à l'éloge funèbre, qui n'évoque de la personne que ce qu'elle avait de bien, pas ce qu'elle avait de mauvais. En cherchant à chasser les ombres de l'histoire, elle en reprend, non pas les mots, mais la stratégie.
L'histoire elle-même n'est pas sans difficultés et sans contradictions. Il existe presque autant d'histoires de la Révolution que d'historiens et d'écrivains qui ont travaillé sur ce sujet. François Furet a bien analysé ce fait dans Penser la révolution française. L'histoire d'Albert Soboul fait de la Révolution une suite de révolutions successives. Pour Tocqueville, la Révolution française n'est que l'explosion locale d'idées universelles que la révolution intellectuelle des Lumières portait en elle. Avec un certain pessimisme, Edgar Quinet considère que les Jacobins refont la royauté et note l'adoration des Français pour le pouvoir absolu : c'est l'habitude séculaire de la servitude qui explique que les Français aient voulu réinventer un pouvoir absolu. Aux yeux de Mme de Staël, l'Ancien Régime et la Révolution ne sont pas foncièrement différents : de Louis XIV à Louis XVI, un véritable modèle de gouvernement arbitraire s'est développé, dit-elle, et seul Necker, s'il avait joué le rôle historique qu'il aurait dû jouer, aurait pu contrecarrer cette évolution ; si, dans cette période, la tyrannie ne s'est pas installée, c'est que les moyens manquaient pour l'établir, mais la mentalité était la même ; toutes les vanités sociales, dit encore Mme de Staël, réapparaissent sous Bonaparte, cortège du despotisme que la France attendait.
Que de commémorations et de lois mémorielles avons-nous évitées, tant notre histoire comporte de pages sombres ! Sans doute les Réformés pourraient-ils demander la commémoration du massacre de la Saint-Barthélemy. Il semble en revanche inenvisageable d'évoquer une commémoration des massacres de septembre 1793. La loi Couthon du 10 juin 1794 a supprimé tout recours aux avocats, au motif que les coupables n'y ont pas droit et les innocents n'en ont pas besoin, et tout recours aux témoins : la Terreur se plaçait ainsi au-dessus de toute justice. Faudra-t-il un jour commémorer d'une manière ou d'une autre le génocide vendéen, qui a fait 100 000 morts sur une population de 600 000 ou 700 000 habitants ? J'ai aussi été amené à me pencher sur la répression que Fouché conduisit à Lyon. Il fit détruire de nombreuses maisons et tuer 4 000 à 5 000 personnes « seulement », alors qu'une loi de la Convention disposait que « la ville sera détruite ». Cela ne l'empêchera pas de devenir ministre de la police et d'être fait duc d'Otrante.
De ces pages terribles, nous devons retenir que l'histoire de France n'est pas une histoire simple. Même un auteur aussi complet et aussi impartial en apparence qu'Ernest Lavisse parle très peu, par exemple, des mutineries de 1917. Sans doute s'agit-il de peu de chose à l'échelle de l'histoire de notre pays, mais il faut savoir que le gouvernement avait décidé que les exécutions auraient lieu dans les vingt-quatre heures suivant la décision judiciaire, de manière à ce qu'on ne risque pas de se voir apporter la preuve que l'on s'était trompé... Cela donna lieu à de nombreuses fusillades mais aussi, après la guerre, à quantité de révisions qui établirent que l'on avait exécuté des soldats en mission dont on avait cru qu'ils étaient des traîtres.
En matière de lois mémorielles, il convient donc d'être prudent. L'histoire française est fort compliquée et la loi, non plus que la justice, ne peut redresser l'histoire. Paul Ricoeur, auteur notamment de La mémoire, l'histoire, l'oubli, disait fermement que l'histoire est une permanente réécriture et que la loi ne peut pas dominer l'écriture de l'histoire : le jugement judiciaire n'est pas le jugement historique. Georges Duby, quant à lui, estimait que l'enseignement de l'histoire est une école de la critique raisonnable, ou encore une école de la raison et de l'intelligence du citoyen majeur. Voilà ce que peut être l'histoire, voilà ce qu'elle n'a pas toujours été. Il ne faut pas qu'elle soit gênée par des lois qui lui imposeraient un chemin. Cela dit, toutes les lois mémorielles ne font pas cela. La loi Gayssot, par exemple, n'empêche pas les écrivains d'écrire. Nous devons toutefois nous souvenir que notre histoire est dure, acharnée, et que nous ne réussissons guère à nous défaire d'une certaine tendance au parti pris.
M. Guy Geoffroy, Vice-président, remplace M. Bernard Accoyer à la Présidence.
Vous avez, au détour d'une phrase, utilisé la formule « enseigner la mémoire », alors que votre démonstration tend à affirmer qu'il n'est ni envisageable ni souhaitable de le faire. Pourriez-vous revenir sur ce point ?
Je me suis sans doute trompé d'expression. Vous avez raison : il ne s'agit pas d'enseigner la mémoire, mais de reconnaître la mémoire en un certain nombre de cas et de circonstances, notamment les commémorations. Dans le choix des commémorations de 1789, il était inévitable que l'on retienne certains événements et que l'on en écarte d'autres.
Nous ne pouvons qu'approuver vos propos sur l'inflation législative que nous vivons quotidiennement sans arriver à la maîtriser. Elle contribue à éloigner la loi du citoyen. Nul n'est censé ignorer la loi : encore faut-il que celle-ci soit suffisamment accessible !
Je partage aussi l'analyse selon laquelle l'histoire se réécrit à chaque époque par l'interrogation de l'époque sur le passé. Nous interrogeons la Révolution à partir de nos préoccupations actuelles. Quant à l'histoire des femmes, cette grande oubliée, c'est parce que des féministes se sont interrogées sur son absence qu'elle a pu se développer.
Le rôle du Parlement n'est pas, à mon sens, de voter des lois mémorielles. Nous n'avons pas à écrire une histoire officielle. Ce domaine appartient aux historiens, y compris dans l'enseignement. Si nous voulons que cet enseignement soit une formation à l'esprit critique, il ne faut pas d'histoire officielle. Les enfants doivent pouvoir constater que l'histoire s'écrit avec des témoignages parfois contradictoires.
Quel est, dès lors, le rôle du Parlement dans les commémorations ? Et quel rôle les commémorations jouent-elles dans la nation ? Sont-elles utiles, indispensables, faut-il les multiplier, en supprimer, ou encore en choisir d'autres ?
Je partage votre sentiment au sujet des lois mémorielles. L'histoire doit permettre aux enfants, mais aussi à ceux qui ne sont plus des enfants, de devenir sans cesse plus intelligents, plus sensibles, plus savants. J'ai eu la chance d'avoir d'admirables professeurs d'histoire. Pour moi, il n'y avait pas d'endroit où l'on devient plus intelligent que le cours d'histoire. L'inconvénient était que l'histoire s'arrêtait alors à 1875…
Je crois qu'il appartient au Parlement de reprendre en main le problème des commémorations. On en a trop fait, dont certaines n'étaient probablement pas utiles. Sauf erreur de ma part, la première loi de commémoration fut celle qui proclama que Clemenceau et Foch avaient bien mérité de la patrie. Rien de plus naturel, mais on a fait par la suite un peu n'importe quoi et il faudra que le Parlement remette de l'ordre. Il y a trop de commémorations, il y en a d'inutiles, certaines se démodent. C'est une tâche nécessaire mais très difficile : supprimer une commémoration en France est proprement épouvantable !
La France a trop aimé les commémorations. Problème supplémentaire : elle en a fait parfois des fêtes. Le Parlement a ici un rôle essentiel.
L'histoire est affaire de vérité et la mémoire est affaire de fidélité, avez-vous dit. C'est une merveilleuse définition, mais conduit-elle à une synthèse ou à une impasse ? Si l'histoire et la mémoire doivent être objets d'éducation, l'histoire permet de construire une personne rationnelle, consciente, lucide et critique dont on ne peut exclure qu'elle ait un petit côté faustien – je suis l'esprit qui toujours nie. Or, dans le même temps, il faut former un citoyen, membre volontaire d'une communauté qui porte des valeurs transmises, elles, par la mémoire plutôt que par l'histoire. Si s'intéresser à la Révolution française revient à additionner les massacres de septembre, les colonnes de Thureau, etc., la vision que l'on en retirera sera quelque peu pessimiste ! Comment faire pour éviter l'impasse et pour réussir la synthèse ?
C'est le grand problème de l'histoire de France : elle aurait dû se dérouler autrement ! (Sourires) Il n'en reste pas moins que l'enseignement de l'histoire telle qu'elle fut, avec ses complications, ses difficultés, est essentiel pour la formation de l'intelligence. J'ai remarqué que Charlotte Corday a fait l'objet de deux sortes d'écrits : ceux qui font d'elle une héroïne fabuleuse qui a mis fin à la vie d'un monstre ; à l'inverse, ceux qui en font une héroïne infâme, payée par les Girondins réfugiés à Caen. En 1940, elle apparaît même comme ayant tué un Juif – car Marat devient Juif en 1940 – dans certains écrits…
Un bon professeur est celui qui enseigne la complexité de l'histoire. Cette complexité rend plus intelligent, permet à l'enfant et à l'adolescent de réfléchir et de lire, même si, comme vous l'avez relevé, il faut se garder de le rendre trop pessimiste. L'enseignement de l'histoire ne doit pas lui apprendre le dégoût de sa patrie. Je pense que l'histoire de France a suffisamment de belles pages pour éviter cela, mais il faut en effet y veiller. Un historien qui enseignerait la Révolution à travers la seule Terreur ne ferait pas son métier.
Qu'en est-il de la construction d'une mémoire européenne ? Dans mon département du Nord, on est en train de mettre au jour des fosses communes où reposaient des soldats australiens, canadiens, allemands. Avec nos voisins européens et avec différents autres pays, nous avons une histoire commune même si nous ne la voyons pas forcément de la même manière. Comment créer entre nous une mémoire commune ?
On ne peut en effet se soustraire à l'étude d'une mémoire à la fois commune et différente, la mémoire européenne. À certains moments, les cultures se sont complètement confondues, à d'autres elles se sont entièrement séparées. Ce qui a empoisonné la recherche historique et la mémoire, c'est la mémoire partiale, non objective. Or la mémoire européenne doit à tout prix être objective, sérieuse et réfléchie car elle est encore plus compliquée que la mémoire de la France.
Dans cet ordre d'idées, il me semble qu'il faudrait que l'on communique les programmes au Parlement afin que celui-ci puisse à tout le moins signaler ce qui ne lui semblerait pas raisonnable.
Il ne s'agirait pas, bien entendu, de refuser les programmes, mais d'obtenir, le cas échéant, des explications ou des précisions et d'émettre des propositions. J'estime qu'il devrait en aller de même pour l'enseignement du droit. D'une manière générale, les disciplines gagnent à se renseigner autour d'elles.
Après avoir souligné l'équivoque de l'expression « devoir de mémoire » et mis en garde contre le danger des histoires officielles dans votre propos liminaire, vous parlez de « mémoire objective ». Peut-il y avoir une mémoire objective ?
La mémoire peut chercher à être objective. Avoir une mémoire individuelle très forte n'interdit pas que l'on cherche à rendre sa mémoire objective, mais la mémoire individuelle n'a pas vocation à être objective : sa vocation est de porter le souvenir. Là est la différence théorique avec l'histoire. Cela dit, certains historiens portant la mémoire ont essayé aussi de porter sur elle un regard objectif.
J'en reviens à l'expression « devoir de mémoire ». À l'occasion de la mort du dernier poilu, le Président de la République a prononcé un discours qui a porté principalement sur les horreurs de la guerre. Cela aurait été impensable il y a trente ou quarante ans, lorsque l'on mettait l'accent sur la victoire. Sur un même événement, le devoir de mémoire n'est pas le même selon l'époque où l'on vit.
Je partage votre sentiment. Le devoir de mémoire ne reste pas forcément le même de génération en génération. Il aurait été en effet fort difficile d'affirmer il y a quarante ans que cette guerre fut cruelle, abominable, etc. Force est de constater, par exemple, que l'on n'écrit pas l'histoire de sa famille à un âge avancé comme on l'eût fait à vingt ou vingt-cinq ans. De plus, le monde dans lequel nous vivons change tellement qu'il est normal que le devoir de mémoire évolue. La mémoire ne doit pas méconnaître les devoirs de mémoire : elle doit même interroger ceux qui portent, par devoir, la mémoire. Mais l'histoire, elle, doit essayer de rechercher où peut se trouver la vérité. C'est ce que, très souvent, l'histoire de France n'a pas fait, notamment pour la Révolution et l'Empire.
Les femmes, hormis quelques figures emblématiques, sont étrangement absentes de l'histoire et cela n'a pas été sans incidences. J'estime qu'il faudrait réintroduire l'histoire des femmes dans les livres d'histoire, où des figures comme Flora Tristan ou Jeanne Deroin n'apparaissent jamais. Si l'on veut montrer aux enfants que les femmes ont été très présentes, à certaines périodes, dans la sphère publique, le problème doit être posé. Malgré des avancées, nous ne sommes pas au bout du chemin !
Nous sommes même au tout début... Le xixe siècle s'est efforcé d'effacer le rôle des femmes. La France ne saurait s'enorgueillir du moment où elle a accordé le droit de vote aux femmes, ni d'ailleurs des débats auxquels cela a donné lieu ! La Révolution leur a toutefois reconnu le plus beau des destins : celui d'être les mères de grands révolutionnaires… Il existe des textes proprement insensés et l'on devrait écrire une histoire de France vue sous cet angle.
Cette histoire existe mais reste relativement peu connue.
Par exemple, il faudrait se demander pourquoi la Révolution française n'a pas reconnu le droit de vote aux femmes alors que beaucoup d'entre elles y ont pris une part active.
Même dans les groupes ou les sociétés qui prétendent ne plus connaître de tels phénomènes, il reste des préjugés instinctifs. Ainsi, pour qu'une femme soit acceptée à l'Académie française, il faut qu'elle ait du génie, alors qu'il suffit à un homme d'avoir des dons normaux. Ce cas de figure se rencontre partout.
N'avez-vous pas le sentiment que les dates de la mémoire sont liées maintenant à des communautés qui ont été opprimées et qui veulent que l'on se souvienne de cette oppression ? En d'autres termes, la mémoire peut-elle être laïque ? Vous avez affirmé qu'elle ne peut jamais être objective, mais ne devient-elle pas de plus en plus subjective sous l'influence de certains groupes de pression ou de certaines communautés religieuses ?
Les élus sont confrontés à la multiplication des dates de commémoration. Comme ils éprouvent de la compassion pour les personnes qui ont vécu des choses douloureuses, il leur est de plus en plus difficile de faire face. J'ai ainsi vu arriver, le 8 juin, la commémoration des morts pour la France en Indochine, dont j'ignorais l'existence. En outre, les anciens combattants et résistants, qui atteignent maintenant des âges avancés, voudraient que le 27 mai 1943, jour de la première réunion du Conseil national de la Résistance, devienne aussi une date officielle. Nous respectons bien entendu ces personnes, qui on fait preuve d'héroïsme, si bien qu'il est très gênant pour nous de leur répondre : « N'en rajoutons pas ! » Nous avons alors la faiblesse de porter leur cause. Si cette demande arrive jusqu'au Parlement, je ne sais pas quel sera notre vote. Nous sommes capables d'ajouter des dates de commémoration alors que nous trouvons déjà celles qui existent trop nombreuses.
Votre analyse est juste. De plus en plus, les personnes qui on souffert ou dont la famille a souffert veulent des commémorations et ont l'impression de subir une injustice si elles n'en bénéficient pas. Il vous faudra résister à la multiplication des commémorations officielles, d'autant que celles-ci perdraient de leur valeur à devenir trop nombreuses. Il n'est pas aisé de d'opposer à l'appétit actuel de mémoire, de droit, de célébration, mais c'est à mon sens une de vos missions.
Vous avez affirmé à juste titre que la loi Gayssot n'a pas empêché que l'on continue à écrire l'histoire. En dépit de cela, comment jugez-vous le risque qui pourrait naître de ces lois assorties de sanctions pénales ? La sanction peut en effet, qu'on le veuille ou non, faire peser une sorte d'insécurité juridique sur la recherche historique.
Il faudra éviter de multiplier de telles lois. La tâche n'est pas facile car nous vivons une époque où les gens veulent cela à tout prix. Il faudra donc essayer de faire comprendre les choses : c'est le rôle des historiens et des politiques au sens large. Nous ne pouvons aller vers un système où nous commémorerions tous les malheurs de la France, de l'Europe ou du monde, quelle que soit l'importance que nous y attachons dans notre mémoire et notre coeur.
Je me permettrai de communiquer à la mission d'information une note précisant un ou deux points.
La mission d'information a ensuite procédé à l'audition de M. Paul Thibaud, philosophe, président d' « Amitié Judéo-chrétienne de France ».
Je salue en notre nom à tous M. Paul Thibaud, journaliste, essayiste et philosophe, et je le remercie d'avoir répondu à notre invitation.
Vous vous êtes personnellement engagé contre les lois mémorielles, notamment en publiant dans le magazine Marianne de fin décembre 2005 une pétition pour défendre la liberté de débattre. Ce texte demandait l'abrogation de toutes les lois mémorielles au motif qu'elles débordent le domaine de la loi. Il déclarait que, si les gouvernements doivent s'appuyer sur une conscience historique commune, « le pouvoir ne saurait régler, encore moins arrêter, les perpétuels réaménagements de la conscience collective, le travail de la mémoire, le dialogue continué avec le passé qui est indissociable de l'exercice des libertés publiques ». Il s'agit ainsi de défendre la liberté d'expression, sans laquelle « le mot de République perd tout son sens ». Nous avons donc souhaité vous entendre expliquer votre point de vue.
Je suis contre l'ensemble des lois mémorielles, mais je préconise, au vu de la multiplication des demandes, une politique mémorielle, ce qui est une tout autre chose.
Certaines des lois mémorielles pénalisent une opinion scandaleuse, sur le modèle de l'article 34 de la loi Gayssot. Elles sont irréprochables au regard de leur constitutionnalité. En revanche, les autres sont des lois déclaratives qui consacrent un fait, ou supposé tel, ou portent un jugement, par exemple en qualifiant de génocide les massacres d'Arméniens, ce qui n'est pas le cas, ou de crime contre l'humanité l'esclavage des Africains et la traite transatlantique. Ces affirmations n'ont pas, en principe, de conséquence pénale. Il en est d'autres, comme la loi Taubira, qui donnent des conseils pour élaborer les programmes ou même orienter la recherche en faisant appel à la mémoire des descendants des victimes, c'est-à-dire à la mémoire collective des Antillais. Toutes ces lois, apparemment différentes, aboutissent au même résultat.
Même purement déclaratives, elles risquent d'avoir des effets semblables à ceux des lois pénales. Elles désignent des victimes, donc des descendants de victimes, c'est-à-dire des ayants droit, qui vont porter plainte parce qu'ils sont offensés par quelqu'un qui ira contre l'appréciation consacrée par la loi. Même si l'action judiciaire contre Pétré-Grenouilleau n'est pas allée à son terme après la levée de boucliers des historiens, la porte a été ouverte. Incontestablement. Or la pénalisation réduit le champ de la discussion, non seulement entre historiens, mais surtout dans l'opinion publique. La loi Gayssot permet de dire ce qu'on veut à l'École des hautes études ou dans un séminaire du CNRS, mais interdit de le publier. Je ne connais pas de science humaine qui puisse exister portes fermées ! Une telle régression est inadmissible car elle est un danger pour la vérité qui ne gagne rien à devenir officielle.
Ainsi, la première réaction suscitée par le révisionnisme de Faurisson a été de refuser de discuter avec lui. Je m'honore d'avoir persuadé Pierre Vidal-Naquet de répondre d'une manière qui a laissé des traces. Objectivement, le révisionnisme du personnage, qui oscille entre l'odieux et le dingue, a provoqué des recherches sur la Shoah, lesquelles ont fait progresser la connaissance. Autre exemple, Jean-Claude Pressac, révisionniste, doutait. Il s'est rendu à Auschwitz où il a trouvé des preuves matérielles qui n'avaient jamais été réunies. La science réelle avance en réfutant les absurdités proférées par certains. Le plus important pour moi, s'agissant de la citoyenneté, est de casser la concurrence entre victimes, devenue inévitable. On a vu comment « Gayssot » donnait naissance, en réaction, à « Dieudonné ».
Il n'empêche que, dans bon nombre de ses interventions, Dieudonné dénonce la sanctuarisation de la Shoah. C'est aussi ce que son public ressent. Cette attitude perpétue les querelles entre catégories, qui ne peuvent que déchirer la communauté civile, nourrissant au plan national la haine de soi, qui est tout à fait perceptible dans ce pays. Si on veut une mémoire partagée, elle passe par le désenclavement des mémoires particulières.
Il ne suffit pas de dire que les lois mémorielles sont mauvaises, il faut une politique de mémoire. À défaut de légiférer sur des sujets qui concernent non pas des actes, mais des opinions, les politiques doivent s'appuyer sur des informations et des jugements qui concernent le passé, pour envisager un avenir. Ils doivent constamment les réinterpréter.
La distinction introduite par Ricoeur entre devoir de mémoire et travail de mémoire est importante. Il récusait le devoir de mémoire pour inciter les gens à ne pas rester crispés sur la situation initiale comme un coquillage s'accroche à son rocher. Le travail de mémoire suppose à la fois le souvenir des faits et la distance qui nous en sépare. Les interprétations auxquelles le passé donne lieu l'intègrent à notre vie de façon créative et toujours mobile. Par exemple, la mémoire de la Première Guerre mondiale n'est pas du tout la même qu'il y a quarante ans. Elle a été considérée successivement comme la défense du droit, la première étape d'une guerre de Trente ans, puis un grand massacre. À tort ou à raison, mais tel est le travail de mémoire. Le souvenir se transforme ; les hommes politiques ont quelque chose à dire car ils participent à cette réinterprétation, comme tout le monde. Tout le monde ressasse le passé, porte des jugements sur tel ou tel épisode et l'intègre à sa vision du monde.
Il faut rendre plus exacte et plus exigeante la présence en nous du passé national.
Les historiens ont aussi un rôle à jouer, mais ils ne décident pas de tout. Ils apportent par leur travail des bribes de réponse aux inquiétudes de leurs contemporains. Ils réinterrogent le passé, en l'envisageant sous un angle différent.
Quel est le rôle des députés ? Beaucoup ont répondu qu'il fallait voter des résolutions, au lieu de lois mémorielles. Ce serait mieux. Mais, si le Parlement avait ce pouvoir, il faudrait aussi s'en méfier parce que les résolutions risquent d'être autant de réponses à des demandes particulières. Ce particularisme m'inquiète tout autant que le caractère légal de la réponse. Comment les députés pourraient-ils résister aux demandes pressantes de groupes minoritaires qui demandent avec passion la reconnaissance d'une souffrance à laquelle, à tort ou à raison, ils s'identifient ? C'est en puisant dans votre déontologie et votre expérience politique que vous pourrez répondre. Ce type de résolution risque de se multiplier.
Si le Gouvernement avait le droit de suspendre le vote de telle ou telle résolution, on serait ramené au cas précédent. Une résolution autorisée par le Gouvernement aurait le même effet jurisprudentiel qu'une loi déclarative. On tourne en rond.
Il faudrait plutôt élargir la réflexion sur un point important, abordé par la loi Taubira : les programmes scolaires. Là-dessus, les politiques ont un rôle à jouer. Les programmes scolaires ne sont pas uniquement affaire de spécialistes. Ils répondent à une nécessité qu'Hannah Arendt a très bien exprimée dans son célèbre texte sur l'éducation : « prendre la responsabilité du monde devant les générations qui viennent ». Il faut leur donner les clefs de l'univers dans lequel nous les mettons. C'est notre devoir le plus strict.
Quels sont les éléments essentiels d'intelligibilité du monde à notre époque ? À mon avis, c'est aux politiques de les désigner. À eux ensuite de passer la main aux historiens. Dans cette perspective, quels doivent être les programmes scolaires ? Il faut surtout les élargir. Avec la mondialisation, on ne peut pas enseigner l'histoire de France comme on l'enseignait du temps où la France était une île ! Nous avons désormais besoin de connaître le point de vue des peuples étrangers sur tel ou tel événement. Quand j'étais élève, on m'expliquait que l'alliance de revers entre François Ier et le Grand Turc, contre Charles Quint, était du vrai travail ! Ensuite, j'ai rencontré des Hongrois qui pensaient différemment parce qu'ils en avaient vu les conséquences. Je ne dis pas que François Ier avait tort et les Hongrois raison. Mais l'histoire est ainsi faite. À un moment donné, François Ier a jugé qu'il était plus important de combattre l'empire de Charles Quint que d'avoir une politique de chrétienté. Il faut permettre d'accéder à une intelligibilité du monde qui comporte plusieurs facettes. Si l'on veut comprendre l'Europe de l'Est, il faut savoir que, sur la question du Grand Turc, nous sommes profondément divisés. Les mémoires sectorielles vont à l'opposé de cet élargissement indispensable de notre horizon. Il faut élargir notre mémoire, et non la rétrécir. Céder à des lobbies mémoriaux serait catastrophique.
En ce qui concerne la colonisation, puisque c'est de cela qu'il s'agit, Pierre Vidal-Naquet, connu pour son anticolonialisme, a écrit dans le Monde que la colonisation n'était pas sans qualités – je pourrai vous donner les références précises – en tant qu'étape de l'unification du monde. Cela ne signifie pas qu'elle s'est déroulée dans la courtoisie et la bonté. Mais comprendre la colonisation, c'est comprendre le jeu des forces et des civilisations qui est, après le reflux de la décolonisation, à l'origine de la mondialisation. Il est très important d'avoir une vision de la colonisation à cause de la mondialisation, qui en est en quelque sorte la suite. Il faut s'ouvrir l'esprit non seulement dans l'espace, mais aussi dans le temps.
Autre question, non moins importante, celle du christianisme. Si le christianisme est en crise, il faut évidemment s'interroger sur ses origines, pour comprendre sa fin éventuelle en Europe, aussi mécréant soit-on. On est obligé, devant cet événement considérable qu'est la crise présente du christianisme, de s'interroger. Les bons et braves laïcs qui veulent l'ignorer font comme si le christianisme était tout-puissant et les assiégeait. Or ce n'est pas vrai. Il faut s'élargir l'esprit et répondre aux demandes particulières par une proposition plus générale.
Dernier point que je voudrais aborder : la Shoah. En réalité, derrière la loi Gayssot, qui a tout déclenché, se profile la reconnaissance tardive de la Shoah. Là aussi, il faut se demander pourquoi. Les guerres anti-hitlériennes, ont été, en gros, des guerres patriotiques. Les opposants à Hitler en Europe s'appelaient Churchill, de Gaulle, Sikorski. Autant de leaders nationaux. Ce sont les nations européennes qui ont combattu le nazisme. Ce fait a masqué le caractère proprement antisémite de ce régime. C'est un problème considérable. Que la mémoire de la Shoah soit remontée, c'est une chose dont il n'y a pas à s'étonner, encore moins à s'indigner, mais elle s'est manifestée en disant qu'il n'y avait pas eu de pire souffrance. Je pense que c'est tout à fait contestable. Les Ukrainiens morts de faim, les Arméniens poussés en troupeaux dans le désert pour y mourir, c'est l'équivalent des Juifs de Transylvanie débarqués à Auschwitz pour aller directement à la chambre à gaz. Qui d'entre nous aurait le courage de dire qu'une situation est pire qu'une autre ? Le classement des victimes est un exercice obscène. La Shoah n'a pas été seulement une horreur, elle a été perpétrée par un régime qui entendait nier, et même détruire, le code moral essentiel de l'humanité. Le racisme, l'éloge de la force – les forts qui ont tous les droits sur les faibles – , c'est toute cette antimorale nazie qui a été emblématisée par la Shoah. Il faudrait maintenant comprendre que, depuis 1945, toute notre histoire – la Déclaration universelle des droits de l'homme, la prépondérance du droit, probablement excessive, sur la politique – est une réaction de toute l'humanité « civilisée », comme on dit, contre la Shoah.
Il faudrait, en ce qui nous concerne, nous Français, abolir la loi Gayssot, mais pour la remplacer par quelque chose, par exemple une déclaration des présidents de groupes de l'Assemblée nationale et du Sénat reconnaissant que la mémoire de la Shoah est l'événement sur lequel repose le socle moral de la politique de l'humanité que nous voulons mener : la paix perpétuelle en Europe, la lutte contre les excès de tout genre, la limitation du politique. Il faudrait le dire une bonne fois pour toutes, parce que c'est vrai.
Que faire avec la mémoire ? Se constituer un corpus commun de valeurs, pour continuer à avancer. Les lois mémorielles sont inutiles mais une réflexion sur ce que l'on doit enseigner aux nouveaux arrivants est nécessaire.
Vous avez distingué la loi Gayssot, porteuse de sanctions pénales, des autres lois déclaratives qui ne seraient pas constitutionnelles. Des réformes sont en cours, dont l'une permettrait à chaque citoyen de soulever devant le juge l'exception d'inconstitutionnalité. Quelles seraient les conséquences si elle était utilisée contre des lois mémorielles non pénales que personne n'aurait eu l'idée de déférer devant le Conseil constitutionnel ?
Si l'article 34 de la Constitution n'est pas modifié, les lois mémorielles ne font pas partie du domaine de la loi. Quant aux conséquences à en tirer, c'est l'affaire des tribunaux et du Conseil constitutionnel.
Je vous remercie de la passion que vous mettez dans vos propos.
Je fais partie d'une génération de politiques qui n'ont pas vécu la dernière guerre mondiale, mais dont la vie a été marquée par les témoignages de leurs parents et grands-parents. On a peut-être un peu oublié au fil des années, mais nous avons lu Le Journal d'Anne Franck, et d'autres ouvrages. Et nous avons abordé notre vie d'adulte avec une certaine conscience, dont nous avons tiré profit pour oeuvrer en politique.
Ce qui me gêne dans les lois mémorielles, c'est qu'elles donnent l'impression que les politiques seraient habités de certitudes et qu'ils auraient le pouvoir d'arrêter le temps. Vous, historiens et philosophes, êtes en questionnement perpétuel, vous nous l'avez expliqué. La lecture de votre pétition « La liberté de penser » donne le sentiment que l'émergence d'un politiquement correct, qui s'affirme de plus en plus, réduit notre champ de liberté, surtout d'expression. C'est vraiment ce que je voudrais mettre en avant au sein de ce groupe de travail. Qu'en pensez-vous ?
La liberté de débattre est absolument essentielle et je ne crois pas du tout à la distinction entre la recherche scientifique et la diffusion dans les médias. Cette distinction n'est pas tenable.
Cela dit, je répète qu'il ne faut pas s'en tenir à des positions négatives. Il faut progresser dans l'intelligence du monde dans lequel nous vivons, élargir notre vision du monde.
Pour cela, il faut écouter certaines demandes qui montent autour de nous, et qui sont irrépressibles. Le traitement de la colonisation et de la décolonisation est un problème. La pensée n'a pas suffisamment avancé sur ce sujet. Les rapports avec l'Algérie sont très malsains. Une commission d'historiens, mixte, devrait déblayer le terrain. D'abord celui des faits : combien de morts ? Qui les a tués ? Quels sont les mécanismes qui ont conduit à la bataille d'Alger ? Les accords d'Évian qui ont été signés n'ont pas été respectés. Ils comportaient en effet l'amnistie des deux côtés, en Algérie comme en France, pour tous les événements de guerre. Il y a là toute une source de conflit. D'un certain côté, ces accords avaient un côté idéaliste. Ils avaient été imaginés par un certain nombre d'officiers, en général gaullistes de gauche – Vincent Monteil, le général Buis,…qui croyaient à la réconciliation entre Algériens à la fin de la guerre. Ils se sont trompés et les harkis ont vu de quoi il retournait. À l'erreur s'est ajoutée aussi la fourberie de certains.
Il faut comprendre. Je suis contre les mémoires partielles parce qu'elles ne permettent pas de comprendre. Comprendre, c'est ce qui nous libère. L'accusation nous rive au mal que nous dénonçons, tel un φαρμακον1. Il faut aller vers la compréhension de soi, et des autres. Il faudrait une commission de « compréhension » franco-algérienne, et non pas de « justice et paix », parce que, pour juger, il faut comprendre. Il faudrait des stratégies d'élargissement et d'enrichissement de la mémoire. On n'a pas le droit d'ignorer. On peut ignorer beaucoup de choses, mais ce n'est pas un droit. C'est toujours un défaut. Il faut lutter contre l'ignorance : limiter la connaissance à certains objets – par exemple, réduire la guerre d'Algérie à la bataille d'Alger et aux tortures du général Massu et du général Aussaresses – est une forme d'ignorantisme. Il y a eu des horreurs, et des choses moins horribles.
Pour la première fois, on a vraiment entendu parler de la nécessité absolue de la liberté d'expression. Voilà ! Nous sommes aujourd'hui à la merci d'un trio infernal – le politiquement correct, la pensée unique et le terrorisme intellectuel – qui nous empêche de parler et de mettre face à face des idées différentes. M. Thibaud a le mérite de dire que la vérité ne peut être démontrée que si elle est falsifiable. Si on commence à la protéger par des lois, alors la vérité ne sera plus une vérité. Je partage complètement son point de vue.
En le lisant, j'avais remarqué qu'il avait été l'un des seuls à voir que l'amendement que j'avais déposé à l'article 4 de la loi du 23 février 2005 était beaucoup plus modéré, plus équilibré que la loi Taubira, parce qu'il laissait la place à d'autres points de vue. Je regrette d'avoir opté pour « en particulier » au lieu de « aussi », qui aurait été beaucoup plus clair.
En tout cas, une de vos expressions m'a frappé, qui vous est commune avec Alain Finkielkraut, c'est la haine de soi. Pourriez-vous développer ? Quel est le rapport entre l'enseignement de l'histoire, ou un certain enseignement de l'histoire et la haine de soi ?
La haine de soi française est évidente pour moi. À quoi la renvoyer ? Comment l'expliquer ? Je crois qu'elle remonte très loin dans l'histoire de France. On ne peut pas comprendre 1789 sans une certaine haine de soi. D'ailleurs, un auteur comme Burke l'a très bien compris. Il s'est demandé pourquoi les révolutionnaires voulaient tout recommencer à zéro. N'avaient-ils donc pas d'estime de leur pays ? Ils n'ont pas de constitution, disait-il. Pourquoi y a-t-il un côté antifrançais dans les Lumières françaises ? Pourquoi Voltaire se réjouissait-il de la défaite des armées françaises à Rossbach et de la perte des « arpents de neige » du Canada ? La France est atteinte d'un syndrome qui a fait sa faiblesse et sa grandeur. Elle veut recommencer à zéro ; d'où l'éclat de 1789 en Europe. Les révolutionnaires se sont détachés de la France pour parler à l'ensemble de l'humanité. Nous sommes toujours aux prises avec la même difficulté. Tantôt les Français se surestiment parce qu'ils se confondent avec l'humanité, tantôt ils se sous-estiment parce qu'ils ne sont pas à la hauteur de leurs prétentions. Encore une fois, il faut essayer de comprendre pourquoi. « Ni rire, ni pleurer, comprendre » disait Spinoza. C'est toujours ce qu'il faut essayer de faire.
Quant à votre amendement, il avait le tort de ressembler beaucoup trop à ce à quoi il répondait. Au moins aviez-vous le mérite de ne pas indiquer aux chercheurs de travailler dans telle ou telle direction, et de telle ou telle manière.
Je ne suis pas totalement d'accord avec certaines choses que vous avez dites.
Je conviens avec vous que le Parlement n'a pas pour tâche de parler de tout sujet historique. Mais il lui incombe de fixer des règles de vivre-ensemble. Il faut donc constituer un consensus commun pour avancer. Quand on décide de célébrer des dates symboliques, marques de notre histoire commune, c'est précisément pour définir dans quel sens on va construire la nation. Il me semble un peu dangereux de se passer de la connaissance d'un certain passé, ne serait-ce que pour éviter de recommencer certaines erreurs. C'est la raison pour laquelle on célèbre la guerre de 1914 ou la victoire de 1945. La loi Gayssot a été votée parce qu'on s'est rendu compte que, le temps passant, les témoins disparaissant, certains préjugés risquaient de ressurgir, ceux-là même qui avaient conduit à des catastrophes historiques, comme la Shoah.
Je rappelle que nous ne sommes pas dans un pays de liberté d'expression, de pensée ou de recherche absolue. Nous avons – malheureusement, diront certains – une loi sur la presse qui interdit d'injurier ou de diffamer. Je ne comprends pas pourquoi on réclamerait la liberté absolue pour certains de dire tout, alors que, pour vivre ensemble et pour se respecter les uns les autres, nous avons posé des règles interdisant de parler de la vie privée, de l'orientation sexuelle, d'injurier quelqu'un en se fondant sur l'apparence ou la couleur de peau. Pourquoi la recherche historique s'abstrairait-elle de règles qui sont valables pour toute forme de publication, quelle qu'elle soit ?
Par ailleurs, l'histoire a souvent été écrite par les vainqueurs. Vous refusez les mémoires sectorielles. Mais vous faites un contresens sur la signification de ces lois. La mémoire de l'esclavage était restée dans des cercles limités. Aux Antilles, on n'avait pas besoin d'expliquer ce qu'était l'esclavage ; la colonisation non plus. La tentative qui a été faite – peut-être s'agit-il d'une erreur – par la loi Mauroy en 1983, puis par la loi Taubira, visait à faire partager ces histoires sectorielles, pour les faire entrer dans le récit national. Si, aujourd'hui, on vient nous dire que ce n'est pas souhaitable, c'est que, d'une certaine façon, on ne souhaite pas que le récit national intègre cette mémoire, qui n'est pas celle d'une communauté particulière. Elle concerne la nation tout entière puisque c'est bien la République, et non tel ou tel Antillais dans son coin, qui a décidé d'abolir l'esclavage. Je ne comprends pas que la République soit compétente pour abolir l'esclavage, compétente pour décider de telle ou telle commémoration, pour rendre certains faits constitutifs de crimes contre l'humanité, mais qu'elle ne le soit pas pour faire le rapprochement entre l'abolition de l'esclavage, et le fait de considérer que l'esclavage est un crime contre l'humanité. Je persiste à penser que faire de l'esclavage un crime contre l'humanité, loin d'être la manifestation d'une mémoire sectorielle, réaffirme les valeurs fondamentales de notre République. Si, aujourd'hui, on n'est pas d'accord sur ce point, c'est un accroc à notre pacte républicain.
Pour en revenir à M. Pétré-Grenouilleau, une fois de plus, ce n'est pas une bagarre entre descendants d'esclaves. La personne la plus active dans cette affaire a d'ailleurs des ascendants libanais. De surcroît, il a été désigné comme délégué interministériel par le Gouvernement. Il est étrange de sortir systématiquement cette affaire qui est un épiphénomène, une sorte de dérapage. Si toutes les lois mémorielles devaient être condamnées, ou critiquées, au motif qu'un individu a fait une erreur, il n'en resterait pas beaucoup…
Il y a une contradiction entre la nécessité que vous soulignez de créer un consensus constitutif de la nation et la volonté de se priver des moyens de rappeler les valeurs de notre vivre-ensemble, et celles qui en sont bannies. Il ne peut pas y avoir équivalence entre les gens qui admettent la Shoah, et ceux qui proclament comme Faurisson que c'est une invention des Juifs pour faire parler d'eux.
Là-dessus, nous serons facilement d'accord. Mais faut-il légiférer pour autant ? Sur certains personnages aussi connus que Shakespeare, Jeanne d'Arc ou Jésus de Nazareth, il arrive de temps en temps que certains soutiennent des thèses invraisemblables. On les laisse parler, on leur répond quelquefois…
Mais quand la thèse aberrante aboutit à faire six millions de victimes, cela pose tout de même un problème !
Il ne se passe rien de plus. La Shoah étant ce qu'elle est, il est normal qu'un certain nombre de dingues viennent nous dire qu'elle a été inventée.
Vous estimez que la commémoration permet de désigner des écueils sur lesquels il ne faudrait pas s'échouer à nouveau, tels l'esclavage ou le massacre des Juifs. Je ne suis pas sûr que notre rapport à l'histoire fonctionne de cette manière. Ou, alors, c'est présupposer que l'on ne garde de l'histoire que ce qui est mauvais et, a contrario, que le bon, c'est nous. Dans la tête de ceux qui raisonnent de la sorte, il y a l'idée que nous allons inaugurer le règne de la bonté sur Terre, et que, avant, régnaient les ténèbres extérieures et que les autres agissaient mal. Notre rapport au passé ne doit pas être un rapport de dénonciation. Non, on ne commémore pas 1914 pour dire que ce fut un horrible massacre ! On le commémore pour se poser des questions. Comme je vous l'ai indiqué, les discours du 11-novembre ont considérablement changé. Je suis pour continuer à commémorer, quitte à changer à nouveau de discours. C'est un môle, ce sont des événements auxquels il faut toujours revenir pour comprendre notre histoire.
Prenez le 14-Juillet, par exemple. Que commémore-t-on ? Personne ne sait exactement ! 1789 ou 1790 ? Le coup de main sur la prison de la Bastille – qui n'a pas que des aspects glorieux – pour libérer quatre types plus ou moins douteux en massacrant les Suisses et le gouverneur, ou bien la grande fraternisation du Champ de Mars avec l'évêque d'Autun célébrant la messe devant les foules venues de toutes les provinces pour fêter l'union de la nation française ? Cette ambivalence nous force à réfléchir à la Révolution française, à son commencement et à son destin. Il y a matière à réfléchir. Désigner uniquement les événements à ne pas reproduire fausse le rapport avec le passé.
En ce qui concerne la loi sur la presse, elle interdit des actes, et non des opinions. On considère une injure comme un acte. Si je vous injurie, c'est comme si je vous donnais un coup.
C'est l'interdiction de nuire qui est la base de toutes les régulations de la presse. Ce ne sont pas les opinions qui sont condamnées, c'est une certaine action contre son prochain. De même, le viol de la privauté est sanctionné en tant qu'acte d'agression. Je pense que votre objection ne vaut pas.
Je suis plus sensible à votre argument selon lequel, l'histoire étant écrite par les vainqueurs, elle oublie les vaincus. C'est vrai. Mais faut-il pour autant faire de la défaite un droit éternel sur le reste de l'humanité ? Les vaincus doivent être intégrés peu à peu dans le récit. Et commençons par le commencement, c'est-à-dire par nos malheureux ancêtres les Gaulois qui ont passablement trinqué. J'ai appris le latin en traduisant les massacres de Jules César, qui avait la main lourde. Quand une cité lui résistait, ses habitants étaient passés au fil de l'épée. C'est ainsi que cela se passait à l'époque. Cesser de faire passer les Gaulois pour de parfaits sauvages, déclarer qu'il y avait au mont Beuvray une grande agglomération, n'est pas la même chose que de commémorer les souffrances des Gaulois. Pourtant, ils ont incontestablement souffert.
Autre événement beaucoup plus proche. Dans mon pays, les « colonnes infernales » sont passées. C'était sous la République, et elle a massacré mes ancêtres. C'est comme ça. Cela fait partie du travail de réflexion sur la Révolution française. Il n'y a pas à isoler tel ou tel événement. Vous aurez compris que je suis Nantais. Or Nantes évoque quelque chose d'autre. Dans mon enfance, quand j'allais au musée d'histoire locale, au château de Nantes, il y avait des choses sur la traite. Il y en a un peu plus maintenant, mais ce n'est pas une nouveauté. La traite, nous l'avons apprise à l'école, et en nous promenant le dimanche. On n'en a peut-être pas assez parlé, mais il n'y a pas eu dissimulation. Encore une fois, c'est isoler tel ou tel aspect qui me gêne. C'est pourquoi nos représentants devraient essayer d'élargir la question.
L'histoire n'est pas monolithique. Il y a toujours eu dans la société française des gens qui se sont battus. S'agissant de l'esclavage, certains philosophes se sont levés pour expliquer qu'il était contraire aux principes de la République.
On m'a fait lire Montesquieu quand j'étais au collège, notamment le célèbre passage que vous connaissez.
Chacun a apprécié des choses différentes dans vos propos. C'est tout leur intérêt. Pour ma part, j'ai apprécié votre suggestion d'une politique de mémoire. Je ne suis pas loin de partager votre critique des lois mémorielles.
La politique mémorielle passe, selon vous, par un élargissement de la mémoire. Je trouve cette approche très intéressante et on s'efforce de la respecter, y compris dans l'enseignement, en ne montrant pas les Croisades du seul côté des Croisés, venus d'Occident. Nous avons tous appris la conquête de l'Amérique en 1492. Quand, en 1992, on a organisé des séminaires sur la conquête de l'Amérique, nous avons entendu des Indiens d'Amérique du Nord nous expliquer qu'il ne s'agissait pas d'une découverte puisque eux étaient déjà là. C'est nous qui les avons découverts ! Je me souviens de Grand Louis qui nous a fait changer de point de vue. C'était passionnant. Pour avoir été en Hongrie, je comprends très bien ce à quoi vous avez fait allusion. Les Hongrois n'ont pas la même vision que nous de François Ier, et ils nous en veulent aussi pour la perte d'une partie de leur territoire.
Je partage moins votre point de vue sur le rôle du Parlement, qui est tout de même l'objet de notre réflexion. Je ne suis pas sûre que ce soit aux politiques de faire les programmes d'histoire, je suis même sûre du contraire. La preuve en est que je nous mets au défi, tous les 577, de nous mettre d'accord sur des programmes d'histoire. Les nuits promettraient d'être longues ! En plus, ce n'est pas notre rôle. Si les programmes sortent du Parlement, ce sera une histoire officielle. À nouveau, on la suspecterait, même si nous parvenions à un consensus. Il faut distinguer la politique de mémoire de l'enseignement de l'histoire, qui devrait être le plus large possible et donner simplement des dates – et non les dates – de référence, car les dates ne sont pas les mêmes selon le point de vue que l'on adopte. L'histoire de la Révolution n'obéit pas aux mêmes césures selon qu'il s'agit d'histoire politique ou économique. La guerre aussi a changé le cours de la Révolution. Laissons un peu d'autonomie à ceux qui enseignent, faisons confiance à leur intelligence, laissons-les aussi s'adapter à leur public, qui va de l'école primaire à l'université.
Oui à la politique de mémoire, non à l'histoire que nous écririons !
Quant au rôle de l'histoire, je pense très sincèrement qu'elle ne donne pas de leçons. L'histoire est faite pour comprendre le passé, et partant le présent, mais elle ne donne pas de leçon pour l'avenir. Sinon, cela se saurait : ni les massacres, ni les guerres ne recommenceraient…L'histoire a un autre rôle.
Vous dites que ce n'est pas aux politiques d'écrire l'histoire. Nous sommes d'accord. Mais c'est aux hommes politiques de poser des questions aux historiens. Il faudrait définir les rôles et distinguer celui qui interroge de celui qui répond. Qu'avons-nous besoin, nous et nos enfants, de comprendre ? C'est à cette question qu'il vous appartient de répondre. Mais ce n'est pas vous qui irez dans le détail.
Dans certains domaines, la recherche historique française est en retard. D'autres pays travaillent beaucoup plus vite sur des sujets d'actualité, sur leur passé immédiat, à commencer par les États-Unis. Je pense en particulier à la guerre d'Algérie : on a du mal même avec les connaissances factuelles.
Sans doute la passion nous conduit-elle à nous étriper à propos d'un passé récent – et lointain. Je pense à la commémoration du baptême de Clovis.
En gros, Clovis est une invention de la IIIe République, par opposition à Charlemagne. Clovis était le roi des Francs, donc de France. Il n'a pas essayé d'être empereur. Il aurait pu être tenté, parce que l'Empire d'Orient était en déclin. Il a choisi une autre politique. Il a tout de même eu le mérite de se convertir à la religion de la majorité de ses sujets, au lieu de les convertir à la sienne à coups de sabre... Ce n'est pas si mal. Juridiquement, il a fait un droit unique pour les Francs et les Gallo-Romains. Je crois que Clovis est un grand personnage.
La mémoire partagée, avez-vous dit, doit être le désenclavement des mémoires particulières. Si revendication mémorielle il y a eu, c'est que l'histoire a très longtemps été écrite par les mêmes personnes, en particulier les hommes. Jusqu'à présent, la place des femmes dans l'histoire est sacrément minimisée. Tant que la recherche en histoire délaisse certaines périodes, certains sujets ou certains points de vue, des groupes de la population peuvent se sentir exclus de l'histoire. Ce ne sont pas forcément des minorités : les femmes sont même majoritaires.
En même temps, je suis contre le fait que le Parlement fixe les programmes d'histoire, a fortiori les programmes de recherche. Sur la décolonisation et la guerre d'Algérie, ce serait dramatique. Le président de l'Assemblée nationale hurlerait contre la durée des débats car on pourrait y passer des années et des années ! Peut-être une commission mixte – en tout cas, pas le Parlement en tant que tel – pourrait veiller à ce que l'ensemble de l'histoire soit étudiée, afin d'éviter que des parties de la population ne se sentent, à juste titre, exclues. Mais ce n'est pas à nous de décider des programmes.
Un dernier point sur la Shoah, et notre rapport au passé. Il y a tout de même une spécificité de la Shoah, et aussi de l'extermination des Tziganes. Pourquoi ? La volonté d'extermination, au nom d'une conception raciale, de ces deux peuples ne se limitait pas à un seul pays. Le pouvoir politique nazi entendait les pourchasser à l'échelle de la planète, c'est-à-dire à une ampleur jamais égalée. Élue de la première circonscription de Paris, j'ai l'occasion, au moment des Journées de la déportation et des cérémonies devant les plaques des écoles, de travailler avec des enfants sur la Shoah et, depuis quelques années, sur l'extermination des Tziganes. Les explications que nous donnons sont destinées non seulement à éclairer le passé, mais à guider l'avenir, contre le racisme. Nous mettons en garde contre le danger de classer les populations par catégorie raciale, qui risque de déboucher sur un désastre. Tel est l'intérêt des commémorations. Qu'il y en ait trop, j'en conviens. Un jour, il faudra s'interroger sur la guerre de 1914. Les célébrations du 11-novembre avaient un sens tant qu'il restait des anciens combattants. Je vais peut-être déclencher un scandale, mais un jour viendra où la Grande Guerre fera partie de l'histoire et ne fera plus l'objet de commémorations. D'ailleurs, il y a cent ans, nos prédécesseurs devaient sans doute célébrer d'autres dates.
La génération de mes enfants a été beaucoup plus sensibilisée à la Shoah que la mienne. Pourtant, nous étions contemporains, mais la Shoah était masquée par tout autre chose. Sur les 700 000 Français tués pendant la guerre, 70 000 ou 80 000 étaient juifs. Or ces victimes étaient cachées par les autres, morts dans des bombardements ou autrement. La Shoah a pris une importance tout à fait centrale par la suite. Et on a eu tort de la lire uniquement à travers le prisme de l'horreur. Il est beaucoup plus important d'analyser la suite des événements comme le refus de cette anti-Europe qu'a été le nazisme. C'est un point central de l'évolution des consciences depuis l'après-guerre. Il y aurait d'autre chose à dire que de dénoncer Hitler et les chambres à gaz, et à faire que de transformer Birkenau en must touristique – ce qui est tout de même gênant – : essayer de comprendre comment notre conscience a évolué devant la provocation hitlérienne, sur laquelle il faut d'ailleurs revenir. Dans quelle mesure le nazisme est-il un phénomène allemand ? Européen ? Dans quelle mesure le nazisme est-il lié à l'histoire du christianisme ? Pourquoi cet antichristianisme est-il né en terre de chrétienté ?
La nécessité de comprendre devrait toujours être mise en avant car c'est elle qui nous libère, en définitive. Il importe d'être libéré par la connaissance, et non terrorisé par le pointage des horreurs.
Je vous remercie d'avoir illustré votre pétition. Grâce à vous, nous avons eu aujourd'hui la liberté de débattre.
Puis la mission d'information a auditionné M. André Kaspi, professeur émérite à l'Université de Paris I, président de la commission sur l'avenir et la modernisation des commémorations publiques.
Je suis heureux d'accueillir M. André Kaspi, historien, grand spécialiste des États-Unis. Votre présence parmi nous, monsieur Kaspi, est notamment motivée par le travail que vous menez à la tête de la commission chargée de réfléchir à l'avenir et à la modernisation des commémorations et célébrations publiques. Cette commission, qui a débuté ses travaux il y a six mois, doit rendre ses conclusions à la fin de l'année. Elle est chargée d'établir un bilan des commémorations actuelles et de présenter toute proposition permettant de mieux y associer les citoyens, notamment les jeunes. Il serait évidemment déplacé de vous demander de nous livrer ses conclusions par anticipation ; nous souhaiterions néanmoins être éclairés sur ces aspects, que vous connaissez particulièrement bien. Je vous propose que vous nous livriez votre appréciation générale, puis que nous vous posions quelques questions.
Je vous suis particulièrement reconnaissant de l'accueil que vous me réservez.
La commission de modernisation des commémorations publiques, que le secrétaire d'État chargé des anciens combattants m'a demandé de présider, travaille depuis le mois de décembre 2007 et est sur le point de conclure sa réflexion, même si elle est censée prendre fin en décembre 2008. Elle poursuit trois objectifs.
Premièrement, nous réfléchissons au nombre de commémorations publiques, plus particulièrement de celles relevant du ministère de la défense, à travers le secrétariat d'État aux anciens combattants. Nous ne nous occupons donc ni du 14 juillet ni de la Journée commémorative de l'abolition de l'esclavage mais exclusivement des neuf ou dix commémorations nationales établies par une loi ou un décret. Elles commencent en avril avec la Journée nationale du souvenir de la Déportation et s'achèvent le 5 décembre avec la Journée d'hommage aux morts pour la France pendant la guerre d'Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie. Une dixième commémoration, passée dans l'usage, n'est pas tout à fait fixée : le 17 juin, en l'honneur de Jean Moulin. En ajoutant les deux journées ne relevant pas de notre compétence, cela fait douze, contre cinq ou six jusqu'en 1999 : leur nombre a donc doublé en dix ans. La France est-elle entrée dans une sorte de spirale commémorative ? Que signifie ce phénomène ?
Deuxièmement, nous réfléchissons aux publics auxquels ces journées s'adressent. La réponse est généralement « les jeunes », catégorie assez vague qui va jusque vingt-quatre ou vingt-cinq ans. À l'autre bout de l'échelle, les associations d'anciens combattants – que j'ai reçues l'une après l'autre, car il est très difficile de les faire se rencontrer – sont présentes aux cérémonies mais de moins en moins, par lassitude ou par incapacité physique. Entre les deux, la grande majorité de la population n'assiste plus guère aux cérémonies, surtout si elles sont nombreuses. Autrement dit, trop de commémoration tue la commémoration.
Troisièmement, nous réfléchissons au contenu des journées commémoratives, afin de rendre plus vivant ce rituel un peu pesant, fait de minutes de silences et d'interminables dépôts de gerbes. L'enjeu consiste à donner à ces événements la signification qu'ils méritent afin que les citoyens se les approprient.
Notre méthode de travail a été classique : nous avons auditionné des personnalités venues d'horizons divers, des administrateurs, préfets et sous-préfets, des enseignants, des journalistes, des élus, etc.
Vous souhaitez, monsieur le président, que je vous communique les conclusions de la commission… Je m'en garderai bien ! Non pas qu'elles soient secrètes, mais le consensus ou du moins l'accord très majoritaire est requis. Je peux en revanche vous en présenter les grandes lignes.
Il est impossible d'engager une révolution brutale car elle susciterait immédiatement une levée de boucliers, en particulier de la part des associations d'anciens combattants, mais il convient peut-être de privilégier certaines dates par rapport à d'autres. Outre le 14 juillet, nous avons pensé que deux dates, le 11 novembre et le 8 mai, méritent d'être mises en avant, l'une et l'autre faisant l'objet d'un large consensus dans l'opinion publique. Les autres commémorations perdureraient mais ne prendraient plus la même ampleur.
Par ailleurs, il nous semble que, pour telle ou telle commémoration, les lieux de mémoire devraient être précisés. Ainsi, au lieu de commémorer la guerre d'Indochine sur l'ensemble du territoire national, une ville pourrait être retenue, par exemple Fréjus.
Nous voudrions aussi que certaines commémorations n'aient pas lieu tous les ans mais tous les cinq ou dix ans. Le 6 juin n'est pas une commémoration nationale en France, ni même en Grande-Bretagne, mais le Débarquement revêt une importance régionale très marquée en Normandie, y compris pour le tourisme de mémoire ; sur le plan national, cette date pourrait être commémorée tous les cinq ou dix ans.
Nous devons procéder avec tact et non prendre des décisions immédiates, brutales. Lorsque nous interrogeons les associations d'anciens combattants, nous obtenons toujours la même réponse : « Vous pouvez changer quelque chose mais ne touchez pas à la date qui nous concerne et surtout attendez que nous ayons disparu ! » Ce raisonnement reporte bien loin les changements que nous pourrions imaginer, d'autant que certaines associations font adhérer les conjoints d'anciens combattants, voire leurs descendants. Quoi qu'il en soit, le système doit être modifié.
En ce qui concerne le déroulement des cérémonies, il faut distinguer la communion – c'est-à-dire la réunion des anciens combattants, qui savent de quoi il est question – et la transmission. Beaucoup de nos jeunes, contraints d'assister aux cérémonies, ignorent à quoi elles font allusion. Si la communion doit évidemment continuer à rassembler dans un rituel des personnes faisant partie intégrante de la mémoire, la transmission doit utiliser d'autres canaux : le cinéma, le théâtre, la chanson, le ravivage de la flamme de l'Arc de triomphe…
L'État joue un rôle important mais, au fond, les initiatives locales sont certainement plus importantes encore. Chaque commune est dépositaire d'une histoire, chaque région est pourvue de lieux de mémoire ; toutes doivent être animées par la volonté de développer le sentiment identitaire. C'est à partir de cette réalité parlante et émouvante, témoignage de l'existence d'une mémoire locale et régionale inscrite dans la mémoire nationale, que les esprits des jeunes pourront être formés. Surtout, il importe de ne pas imposer d'en haut des formules qui ne s'appliqueront pas nécessairement à toutes les communes de France et à tous les milieux de la population française, d'autant que celle-ci est en transformation profonde. L'intégration des populations arrivées depuis peu doit précisément se faire par la transmission.
Je reprends au vol une de vos formules, potentiellement lourde de conséquences : le « tourisme de mémoire ». Au-delà de quelles limites le développement de ce tourisme particulier est-il susceptible de dévoyer le travail de mémoire ?
Peut-être avez-vous auditionné l'amiral Brac de la Perrière, président d'une association normande spécialisée dans la promotion du tourisme de mémoire, expression qui n'a rien de péjoratif. Des anciens combattants, des familles d'anciens combattants et même des citoyens n'ayant rien à voir avec le monde combattant viennent sur les lieux de mémoire pour les visiter. Les plages du Débarquement, par exemple, sont énormément fréquentées par des Français mais surtout par des étrangers, Anglais, Américains, Canadiens, Polonais ou Hollandais désireux de découvrir les champs de bataille de 1944. Cette forme de tourisme ne me semble nullement contradictoire avec le devoir de mémoire mais procède de l'envie de voir les lieux où l'histoire s'est déroulée.
Lorsque je parcours le boulevard Saint-Michel, au croisement avec la rue Racine, je ne puis m'empêcher de penser que Simon Petlioura fut assassiné ici même en 1926. En se promenant dans Paris et en lisant les plaques commémoratives, on apprend beaucoup sur la présence des étrangers, les combats livrés dans la ville, les personnalités ayant résidé dans tel ou tel immeuble. Chaque lieu, surtout en France, conserve une valeur de témoignage mise en valeur et alimentée par le tourisme de mémoire.
Même si les associations se rendent bien compte que la multiplication des cérémonies nuit à l'affluence des participants, chacune d'entre elles veut avoir sa propre journée du souvenir. Qu'en pensez-vous ?
Tout à l'heure, une de nos collègues a estimé que les commémorations servent à éviter de reproduire les erreurs du passé. Il me semble plutôt que commémorer consiste à magnifier le sacrifice, l'héroïsme ou d'autres valeurs positives. Votre commission a-t-elle réfléchi au contenu qu'il convient de communiquer à travers les commémorations ?
Durant les cérémonies, un texte du ministre est généralement lu par un élu ou un enfant, et ce dernier n'y comprend manifestement rien. Faut-il maintenir ce genre de cérémonial complètement dénué de sens ?
La présence des enfants à ces communions repose sur la contrainte. Ils sont incités à participer soit par leurs enseignants, eux-mêmes poussés par la municipalité, soit par leurs parents ou plutôt leurs grands-parents. En règle générale, ils ne comprennent ni le texte du ministre ni même le sens de la cérémonie. Il serait cependant extrêmement difficile de changer quoi que ce soit car les anciens combattants présents ne cherchent pas à transmettre mais à se rencontrer. Les seuls souhaits qu'ils expriment, c'est que les médias s'intéressent à eux et que l'école s'investisse davantage. Le directeur général de l'enseignement scolaire, que nous avons auditionné, nous a indiqué que toutes les journées thématiques signalées aux enseignants pourraient faire l'objet d'un manuel volumineux. Peut-être, au fond, ne faut-il rien changer aux cérémonies, si ce n'est réduire la présence des enfants ou modifier leur rôle, pour en finir avec ces rituels désuets.
Les valeurs à inclure dans ces commémorations doivent reposer sur trois piliers. Les valeurs républicaines : liberté, égalité, fraternité, démocratie ; les valeurs patriotiques : héroïsme, sacrifice, indépendance nationale, paix, engagement ; les valeurs sociales : adhésion à la nation, réhabilitation des victimes, respect, citoyenneté. Il est capital de savoir pourquoi l'on commémore.
Les États-Unis possèdent un Memorial Day, le dernier jeudi de mai. Ce système ne me paraît toutefois pas adaptable à la France car il ne correspond pas à notre mentalité et la date choisie provoquerait un sursaut d'indignation auquel les politiques ne résisteraient pas. Il vaut donc mieux ne pas le proposer.
D'après vous, comment la dimension européenne peut-elle être incluse dans cet ensemble de valeurs ?
Cette question est très importante car toutes les commémorations prévues par la loi sont nationales. Par ailleurs, à l'exception du 14 juillet, elles se réfèrent au XXe siècle – la guerre de 1870-71 n'est plus commémorée, hormis dans certaines localités, pas plus qu'Austerlitz, Bouvines ou Poitiers. Nous devons donc réfléchir à l'une des caractéristiques de la deuxième moitié du XXe siècle : la construction européenne. Mme Simone Veil nous a proposé de fixer cette commémoration au 9 mai, jour où Robert Schuman a lu la déclaration annonçant la création de la Communauté européenne du charbon et de l'acier. Je pense pour ma part que le 8 mai, date anniversaire de la chute du nazisme, pourrait faire l'affaire, même si la Russie, pour des raisons historiques, a retenu le 9 mai. Le 11 novembre prochain prendra certainement une dimension européenne car la France présidera alors l'Union européenne. Une autre date, le 27 janvier, ne fait pas partie de nos commémorations, quoique l'Organisation des Nations unies en ait fait la Journée internationale de la Shoah. La commémoration revêt avant tout une dimension nationale, elle célèbre l'union des citoyens d'une même nation ; or on peut penser que l'Europe n'est pas prête de constituer une seule et même nation.
Je trouve que les cérémonies officielles sont largement réservées aux officiels. Pourquoi les écoliers ne sont-ils pas obligés d'y participer, au moins une fois l'an ?
Dans la ville dont j'étais le maire jusqu'en mars dernier, les collégiens lisent les lettres, par exemple celles de jeunes soldats de la guerre de 1914. Ces lectures prennent une dimension de recueillement et d'émotion aujourd'hui absente des monuments aux morts. Les collégiens ont aussi participé à une cérémonie à l'occasion d'un déplacement à Lörrach, ville allemande jumelée avec Sens. Ne conviendrait-il pas d'inciter tous les élus locaux à travailler dans ce sens, en lien avec la communauté éducative ? Cela pourrait déboucher sur une fraternité d'avenir entre les jeunes. Cette piste est peut-être préférable à une nouvelle législation. En matière de mémoire, il faut intéresser les jeunes, ce que ne permettent pas des textes solennels et compliqués à comprendre.
Je retiens trois idées essentielles de votre témoignage. Premièrement, l'initiative est locale, elle émane d'une collectivité territoriale. Deuxièmement, la dimension européenne peut prendre toute sa valeur au travers du comité de jumelage. Troisièmement, la transmission doit aussi être assurée en dehors de la cérémonie. Toutes les initiatives sont possibles : lecture de lettres mais aussi théâtre, musique ou cinéma. Il n'est d'ailleurs pas obligatoire de les faire coïncider avec les journées commémoratives, qui sont toutes fériées.
J'ai justement déposé une proposition de loi tendant à instituer le 9 mai comme journée de l'Europe. Cette date me paraît intéressante à condition qu'elle soit l'occasion de célébrer les jumelages à travers toute l'Europe. Depuis 1945, un grand nombre de communes ont noué des partenariats très riches. Cette date serait un moment de fête pour faire vivre les jumelages, développer les échanges sportifs, culturels ou humanitaires et exalter l'Union européenne.
J'adhère pleinement à votre proposition, à condition que vous ne demandiez pas que l'on rende le 9 mai férié…
Il n'en est pas question, d'autant que le 8 mai, compte tenu du nombre de victimes de la Seconde Guerre mondiale, revêt une lourde charge émotionnelle.
À une époque, j'ai pu constater combien le monde éducatif et le monde combattant étaient séparés. Puis ils se sont retrouvés, au travers d'intervention d'anciens combattants devant les élèves, de l'organisation du concours national de la Résistance et de la Déportation puis du concours Rhin et Danube. Les anciens combattants étaient naguère considérés comme des va-t-en-guerre plutôt que comme les acteurs d'un drame contre leur gré. Les commémorations aux monuments aux morts étaient interprétées comme des exaltations bellicistes alors que les mouvements d'anciens combattants sont les plus pacifistes qui soient. Dans notre société, subsiste une distorsion de fait entre le lieu où l'histoire s'apprend et le lieu où elle a été vécue. Au-delà des interventions ponctuelles classiques, comme les visites de sites organisées par le Souvenir français, comment enrichir le lien entre monde éducatif et monde combattant ?
Entre les anciens combattants et les enseignants, la coopération se double d'une certaine méfiance réciproque. Les anciens combattants se plaignent souvent des manuels d'histoire. Il faudrait organiser des réunions pour faire comprendre aux anciens combattants les difficultés et les hésitations des enseignants et, inversement, pour que les enseignants saisissent l'utilité d'inviter des anciens combattants dans leurs classes, à condition, évidemment, que le témoignage de ceux-ci soit de bonne qualité. La coopération est indispensable. Avec les médias, c'est pareil : il faut leur présenter des sujets attirants et des dossiers de presse attrayants.
Le travail de mémoire ne doit pas se limiter à des célébrations obligées. Lorsque les représentants du monde combattant de ma commune m'ont demandé un local pour y installer un musée, nous avons finalement décidé, sur ma suggestion, de créer une maison du combattant et du citoyen. Outre l'aspect muséographique, ce lieu propose une partie dynamique, résultant d'un travail très approfondi accompli avec les enseignants du lycée, des collèges et des écoles, ainsi que des conférences drainant énormément de monde. La qualité du travail de mémoire dépend de la continuité de l'effort d'immersion dans la société locale. À cet égard, les responsables politiques ont un grand rôle à jouer.
Je partage tout à fait cet avis : la dimension locale tient une place essentielle ; l'incitation ne doit pas venir d'en haut mais naître des initiatives prises par les communes et les autres collectivités territoriales.
Il faudrait que la journée choisie ne soit pas chômée. En Angleterre, le 11 novembre n'est pas chômé mais presque tout le monde porte un coquelicot à la boutonnière, des manifestations officielles sont organisées localement avec les enfants des écoles et beaucoup d'émissions sont proposées à la télévision. Qu'en pense votre commission ?
En effet, les jours fériés ne sont pas favorables aux commémorations mais à la pêche à la ligne ! En Grande-Bretagne, on vote le jeudi et le taux d'abstention n'y est pas pour autant plus élevé qu'en France. Notre commission a pris en compte la donnée strictement française de jours fériés mais sans pouvoir beaucoup agir sur elle.
Nous sommes parfois saisis de conflits de commémorations à propos des dates du 5 décembre et du 19 mars. À Poitiers, au terme de longs mois de concertation, un monument départemental unique a été inauguré l'an dernier pour commémorer les conflits d'Indochine, d'Algérie, du Maroc et de Tunisie. Votre commission a-t-elle formulé des conclusions à ce propos ?
Nous pensons qu'il faut favoriser certaines commémorations et oublier progressivement les moins importantes. Le conflit entre anciens combattants d'Afrique du Nord est extrêmement vif : la FNACA, la Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Maroc et Tunisie, ne veut pas entendre parler d'un autre jour que le 19 mars, tandis que la date officielle, le 5 décembre, ne représente rien du point de vue historique.
Peut-être la bonne solution consisterait-elle à trouver une date pour commémorer tous les morts des guerres passées, présentes et malheureusement futures – car n'oublions pas les OPEX – les opérations militaires extérieures.
Nous souhaiterions que le 11 novembre soit consacré à tous les morts pour la France. Mais je ne me fais aucune illusion : nous pouvons proposer, c'est même notre but, mais la décision ne nous appartient pas et je ne suis pas certain qu'elle sera prise un jour !