La mémoire partagée, avez-vous dit, doit être le désenclavement des mémoires particulières. Si revendication mémorielle il y a eu, c'est que l'histoire a très longtemps été écrite par les mêmes personnes, en particulier les hommes. Jusqu'à présent, la place des femmes dans l'histoire est sacrément minimisée. Tant que la recherche en histoire délaisse certaines périodes, certains sujets ou certains points de vue, des groupes de la population peuvent se sentir exclus de l'histoire. Ce ne sont pas forcément des minorités : les femmes sont même majoritaires.
En même temps, je suis contre le fait que le Parlement fixe les programmes d'histoire, a fortiori les programmes de recherche. Sur la décolonisation et la guerre d'Algérie, ce serait dramatique. Le président de l'Assemblée nationale hurlerait contre la durée des débats car on pourrait y passer des années et des années ! Peut-être une commission mixte – en tout cas, pas le Parlement en tant que tel – pourrait veiller à ce que l'ensemble de l'histoire soit étudiée, afin d'éviter que des parties de la population ne se sentent, à juste titre, exclues. Mais ce n'est pas à nous de décider des programmes.
Un dernier point sur la Shoah, et notre rapport au passé. Il y a tout de même une spécificité de la Shoah, et aussi de l'extermination des Tziganes. Pourquoi ? La volonté d'extermination, au nom d'une conception raciale, de ces deux peuples ne se limitait pas à un seul pays. Le pouvoir politique nazi entendait les pourchasser à l'échelle de la planète, c'est-à-dire à une ampleur jamais égalée. Élue de la première circonscription de Paris, j'ai l'occasion, au moment des Journées de la déportation et des cérémonies devant les plaques des écoles, de travailler avec des enfants sur la Shoah et, depuis quelques années, sur l'extermination des Tziganes. Les explications que nous donnons sont destinées non seulement à éclairer le passé, mais à guider l'avenir, contre le racisme. Nous mettons en garde contre le danger de classer les populations par catégorie raciale, qui risque de déboucher sur un désastre. Tel est l'intérêt des commémorations. Qu'il y en ait trop, j'en conviens. Un jour, il faudra s'interroger sur la guerre de 1914. Les célébrations du 11-novembre avaient un sens tant qu'il restait des anciens combattants. Je vais peut-être déclencher un scandale, mais un jour viendra où la Grande Guerre fera partie de l'histoire et ne fera plus l'objet de commémorations. D'ailleurs, il y a cent ans, nos prédécesseurs devaient sans doute célébrer d'autres dates.