Je ne suis pas totalement d'accord avec certaines choses que vous avez dites.
Je conviens avec vous que le Parlement n'a pas pour tâche de parler de tout sujet historique. Mais il lui incombe de fixer des règles de vivre-ensemble. Il faut donc constituer un consensus commun pour avancer. Quand on décide de célébrer des dates symboliques, marques de notre histoire commune, c'est précisément pour définir dans quel sens on va construire la nation. Il me semble un peu dangereux de se passer de la connaissance d'un certain passé, ne serait-ce que pour éviter de recommencer certaines erreurs. C'est la raison pour laquelle on célèbre la guerre de 1914 ou la victoire de 1945. La loi Gayssot a été votée parce qu'on s'est rendu compte que, le temps passant, les témoins disparaissant, certains préjugés risquaient de ressurgir, ceux-là même qui avaient conduit à des catastrophes historiques, comme la Shoah.
Je rappelle que nous ne sommes pas dans un pays de liberté d'expression, de pensée ou de recherche absolue. Nous avons – malheureusement, diront certains – une loi sur la presse qui interdit d'injurier ou de diffamer. Je ne comprends pas pourquoi on réclamerait la liberté absolue pour certains de dire tout, alors que, pour vivre ensemble et pour se respecter les uns les autres, nous avons posé des règles interdisant de parler de la vie privée, de l'orientation sexuelle, d'injurier quelqu'un en se fondant sur l'apparence ou la couleur de peau. Pourquoi la recherche historique s'abstrairait-elle de règles qui sont valables pour toute forme de publication, quelle qu'elle soit ?
Par ailleurs, l'histoire a souvent été écrite par les vainqueurs. Vous refusez les mémoires sectorielles. Mais vous faites un contresens sur la signification de ces lois. La mémoire de l'esclavage était restée dans des cercles limités. Aux Antilles, on n'avait pas besoin d'expliquer ce qu'était l'esclavage ; la colonisation non plus. La tentative qui a été faite – peut-être s'agit-il d'une erreur – par la loi Mauroy en 1983, puis par la loi Taubira, visait à faire partager ces histoires sectorielles, pour les faire entrer dans le récit national. Si, aujourd'hui, on vient nous dire que ce n'est pas souhaitable, c'est que, d'une certaine façon, on ne souhaite pas que le récit national intègre cette mémoire, qui n'est pas celle d'une communauté particulière. Elle concerne la nation tout entière puisque c'est bien la République, et non tel ou tel Antillais dans son coin, qui a décidé d'abolir l'esclavage. Je ne comprends pas que la République soit compétente pour abolir l'esclavage, compétente pour décider de telle ou telle commémoration, pour rendre certains faits constitutifs de crimes contre l'humanité, mais qu'elle ne le soit pas pour faire le rapprochement entre l'abolition de l'esclavage, et le fait de considérer que l'esclavage est un crime contre l'humanité. Je persiste à penser que faire de l'esclavage un crime contre l'humanité, loin d'être la manifestation d'une mémoire sectorielle, réaffirme les valeurs fondamentales de notre République. Si, aujourd'hui, on n'est pas d'accord sur ce point, c'est un accroc à notre pacte républicain.
Pour en revenir à M. Pétré-Grenouilleau, une fois de plus, ce n'est pas une bagarre entre descendants d'esclaves. La personne la plus active dans cette affaire a d'ailleurs des ascendants libanais. De surcroît, il a été désigné comme délégué interministériel par le Gouvernement. Il est étrange de sortir systématiquement cette affaire qui est un épiphénomène, une sorte de dérapage. Si toutes les lois mémorielles devaient être condamnées, ou critiquées, au motif qu'un individu a fait une erreur, il n'en resterait pas beaucoup…
Il y a une contradiction entre la nécessité que vous soulignez de créer un consensus constitutif de la nation et la volonté de se priver des moyens de rappeler les valeurs de notre vivre-ensemble, et celles qui en sont bannies. Il ne peut pas y avoir équivalence entre les gens qui admettent la Shoah, et ceux qui proclament comme Faurisson que c'est une invention des Juifs pour faire parler d'eux.