Audition des représentants des syndicats du groupe SNPE, dans le cadre du projet de loi (n° 1216) relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014
La séance est ouverte à onze heures quinze
Mes chers collègues, nous sommes très heureux de recevoir ce matin les représentants syndicaux de la société nationale des poudres et explosifs (SNPE). M. Thierry Colin représente la CGT, M. Daniel Delahaie la CFTC, M. Christian Durou pour FO, M. Didier Remacle pour SUD, M. Christian Vella pour la CFE-CGC et M. Jean-Pierre Viganego pour la CFDT.
Le projet de loi de programmation militaire comporte, vous le savez, un chapitre sur l'ouverture du capital de certaines entreprises du secteur de la défense. L'article 11 du texte a trait à la SNPE.
Je rappelle qu'en 1971 le service des poudres de la défense a changé de statut avec la création de la société nationale des poudres et explosifs (SNPE) détenue par l'État. Cette entreprise fabrique notamment du propergol, nécessaire à la propulsion des fusées Ariane, mais aussi des missiles balistiques M51. La propulsion de ces engins nécessite toutefois d'autres composants apportés par la société Safran.
Pour consolider l'entreprise en lui permettant de participer à des recompositions industrielles, le projet de loi propose de transférer l'entreprise au secteur privé. Ce domaine étant hautement stratégique, il est prévu de la soumettre à des clauses spécifiques de protection des intérêts nationaux, comme c'est par exemple le cas pour Thalès. L'article 11 autorise cette procédure et donne par ailleurs plus de souplesse à la SNPE dans la création d'alliances ou de rapprochements dans les domaines d'activité non stratégiques.
En préambule, vous devez savoir, mesdames et messieurs les députés, que l'ensemble de nos déclarations repose sur une vision commune, les six organisations syndicales ayant décidé de porter le même message.
Dans un contexte économique mondial très difficile, et alors que nous connaissons la plus grave crise financière depuis les années 1920, le Gouvernement croit bon, dans le cadre du projet de loi de programmation militaire 2009-2014, d'inscrire la SNPE et sa filiale SME (SNPE matériaux énergétiques) sur la liste des sociétés privatisables.
Cette décision a été prise et annoncée en même temps que le Gouvernement faisait part de son aide au secteur bancaire, faisant ainsi réagir l'ensemble des personnels sur un plan politique, et non en fonction d'un positionnement envers un projet industriel, comme s'il fallait à tout prix faire rentrer de l'argent dans les caisses de l'État en bradant la SNPE à Safran. L'État a en effet affiché sa volonté de voir la SNPE adossée au groupe Safran : cette démarche est clairement présentée dans le cadre du projet Herakles.
Dans ce contexte, cette décision coupe toute possibilité aux organisations syndicales de pouvoir prendre position sur un véritable projet industriel.
Mais qu'en est-il exactement ?
Ce projet existe depuis plus de 10 ans, autant d'années pendant lesquelles la SNPE a subi les campagnes de presse les plus désobligeantes, créant le doute, la suspicion, et affichant la volonté des présidents de Safran de se servir de SME comme monnaie d'échange. Les éléments présentés semblent faire peu de cas des personnels de notre groupe, tant et si bien que chaque article de presse n'a fait que renforcer le sentiment du personnel de la SNPE d'appartenir à un même groupe et de partager des valeurs.
La délégation générale pour l'armement (DGA) et certains membres des ministères ont savamment orchestré et alimenté cette campagne de presse visant tant la direction de la SNPE-SME que son personnel. Une telle campagne est-elle ou était-elle nécessaire ? Pourquoi la DGA a-t-elle clairement demandé que la SNPE s'adosse à Safran ? C'est une décision arbitraire ! Il est vrai que le lobbying de Safran auprès de la DGA n'est pas neutre.
Mesdames et messieurs les députés, pensez vous qu'il soit sain que, depuis plus de dix ans, un certain nombre de conseillers proches des différents ministres de la défense poursuivent leur carrière dans le groupe dont ils ont soutenu le projet contre la SNPE ? Dans le privé, il existe des clauses de non concurrence !
Notre groupe n'a à recevoir de leçon de personne, comme en témoignent sa production industrielle, ses études technologiques, ses résultats économiques, ou sa politique sociale. La qualité de tout ce travail est le fruit de l'ensemble du personnel de la SNPE, et ce depuis plusieurs années.
SME dégage des bénéfices, et les négociations entreprises par notre ancien président, M. Jacques Zyss, avec le groupe Total, contre lequel la SNPE avait engagé une procédure devant les tribunaux lors de la catastrophe d'AZF, ont abouti à ce jour à une indemnisation de la part de Total. Nous estimons donc que la donne a complètement changé et qu'il est important que vous vous prononciez en faveur d'un « sursis à statuer ». Nous vous demandons de retirer la privatisation de SNPE-SME du projet de la loi de programmation militaire. Il faut d'ailleurs rappeler que lorsque M. Francis Mer était ministre des finances, la baisse de l'action SNECMA avait alors été avancée pour retirer la SNPE de la liste des sociétés privatisables et pour reporter le projet.
Plus que jamais nous estimons que l'État doit demander que des propositions de création d'un pôle fort et compétitif dans le domaine de la défense lui soient faites par les industriels ; ce n'est qu'au vu d'un projet cohérent que l'État doit prendre ses responsabilités, et non pas l'inverse. Il est important de valider et de favoriser la pertinence d'un dossier industriel plutôt que de reconnaître des amitiés.
Légiférer alors qu'un nouveau président arrive à la tête de SNPE sans aucune connaissance dans le secteur de la défense et de l'armement et lui demander de se prononcer sur des mesures immédiates dans un domaine aussi complexe n'est pas une démarche crédible de la part de l'État.
Mesdames et messieurs les députés, vous vous devez de prendre toutes les garanties sur un sujet aussi important qui touche aux droits régaliens du chef de l'État. Vous vous devez aussi de résister aux pressions que le ministère de la défense ne manquera pas d'exercer à votre encontre.
Un nouveau président du groupe SNPE, une nouvelle donne économique, un nouveau délégué général pour l'armement, vous avez là, mesdames et messieurs les députés, toutes les raisons de surseoir à l'inscription en question.
Si un groupe européen devait voir le jour dans le secteur de la défense, pensez vous d'ailleurs qu'il puisse ignorer l'existence d'EADS ?
L'année 2009 doit permettre au nouveau président du groupe SNPE de procéder au redressement d'EURENCO et des autres filiales en difficulté, mais pas dans la précipitation. Le groupe pourra alors jouer de toute sa solidarité vis-à-vis des personnels, comme il l'a toujours fait. Ce ne sera pas le cas si vous privatisez SME et mettez ainsi dans la rue tous les salariés et toutes les populations qui les soutiennent qu'il s'agisse des sous-traitants ou des commerçants.
Enfin, a-t-on mesuré les conséquences d'une telle décision sur le plan de la sécurité quand les salariés sont envahis par le doute, quand ils sont en proie à l'incertitude et au mécontentement ? Non ! Nous ne fabriquons pas du « chocolat », mais des matières fortement énergétiques ! Ce risque s'est accru depuis ces quatre dernières années car nous avons recruté des personnels très jeunes, en phase de formation sur des postes sensibles et à risques.
La SNPE est un groupe appartenant à l'industrie chimique, ce qui nécessite des compétences bien spécifiques, incompatibles avec une gestion sur le modèle de l'industrie métallurgique.
D'aucuns ont sciemment distillé à la presse des informations visant à déstabiliser l'ensemble des personnels, en mettant en avant la nécessité de missionner comme président un « redresseur de sociétés », alors que les résultats sont là, après un lourd investissement des personnels, à tous les niveaux de la hiérarchie. Ces mêmes personnes, tant à la DGA qu'au ministère de la défense et au sein de l'État, veulent à n'importe quel prix la disparition de la SNPE au profit de Safran. Elles porteront la responsabilité de tous les problèmes graves que déclenchera cette orientation, à commencer par les mouvements sociaux à venir.
Avez-vous ou ont-ils vraiment mesuré l'impact d'une telle décision sur les mouvements sociaux en Aquitaine, compte tenu des problèmes de Ford et de Sogerma ? La région Aquitaine a-t-elle les moyens de se priver d'un éventuel reclassement des personnels de l'industrie automobile ? Préférez-vous voir un embrasement social du bassin aéronautique aquitain ? La vraie mission d'un parlementaire consiste-t-elle à mettre les citoyens dans la rue alors que l'on peut avancer par étape sans créer de troubles ni susciter de doutes ?
Certes, l'appétit de Safran est grand, et comme cette entreprise intervient avant tout dans le domaine mécanique, sans s'intéresser à la chimie, elle n'hésitera pas à se séparer de certains secteurs, comme la sécurité automobile de SME, qui pourtant est reconnue mondialement depuis une dizaine d'années pour la qualité de ses produits pour airbags.
Pas de leçon sur le plan social !
À une époque, le président de Safran se permettait dans ses courriers de comparer le personnel de SME à des « pompistes » qui ne faisaient que remplir une structure ! Il aurait mieux fait de réfléchir aux moyens d'appliquer une politique sociale cohérente, qui aurait sûrement empêché une grève de plusieurs semaines sur le site du Haillan de la Snecma propulsion solide (SPS) lors des dernières négociations salariales de 2008 et, plus encore, évité quelques mois plus tard de devoir demander à la SNPE-SME de lui prêter des personnels pour l'aider à rattraper le retard pris par le programme M51 !
Les présidents Jean Faure, Jacques Loppion et Jacques Zyss avaient su, d'une part, éviter le démantèlement de notre groupe et, d'autre part, procéder progressivement au redressement de la situation de notre entreprise. Le limogeage de notre dernier président doit-il être pris comme la volonté de nommer un liquidateur et de faire ainsi disparaître le groupe SNPE alors que la situation économique est assurée grâce à l'indemnisation versée par Total ? Je remarque d'ailleurs que l'État semble se réjouir de ne pas être représenté dans ce procès autrement qu'au travers de la SNPE.
Nous espérons que, sur ce sujet, il n'y a pas eu de délit d'initié de la part de Safran.
Le personnel de SME est fier de son appartenance au groupe SNPE. Nos racines sont historiques autant que notre attachement à l'État. Monsieur le président, je me permets à cet égard de vous remettre trois livres : Les poudriers pendant la Résistance à Saint-Médard-en-Jalles, Histoire des moulins à poudre de Saint-Médard de la Révolution à nos jours et Les cent ans du syndicat de Saint-Médard-en-Jalles. Les stèles à l'entrée de nos usines où sont gravés les noms des personnels morts pour la France témoignent d'ailleurs de notre histoire et de notre implication. Les « poudriers » ne laisseront pas l'État les transformer en harkis du secteur de la défense ! Les nombreuses difficultés des personnels ont créé un très fort esprit de corps à l'intérieur du groupe ; à chaque fois nous avons su nous serrer les coudes, la solidarité a pu jouer pleinement, quel que soit le site. Ne vous trompez pas, le personnel de la SNPE a encore en mémoire le sacrifice toulousain dont il a fait l'objet de la part du Gouvernement.
Priver la SNPE de sa légitimité historique et scientifique dans le domaine des poudres et explosifs, avant même que son nouveau président-directeur général ait été en mesure de soumettre à l'État son diagnostic et ses propositions stratégiques pour l'entreprise, serait plus qu'une faute, ce serait une erreur, financièrement, socialement, stratégiquement et politiquement. Rien ne l'impose.
Tout changement ne doit-il pas se faire dans le respect des identités de chacun ? Il existe certainement des solutions pour la création d'un pôle de défense stratégique. Au moment où s'accélère le processus de décision concernant le projet tendant à rapprocher les activités stratégiques du groupe SNPE et de Safran en matière de propulsion et de matériaux énergétiques, aucun argument sérieux ne peut être avancé pour justifier la création envisagée, ou le passage de l'entité Herakles sous le contrôle de Safran.
Il ne s'agit pas là de plaider en faveur des intérêts de la SNPE, mais de se situer à un niveau supérieur, celui des intérêts de l'État.
Les modestes synergies industrielles d'un rapprochement entre chimistes et mécaniciens sont pour l'essentiel déjà mises en oeuvre au sein du groupement d'intérêt économique qui permet aux équipes de Safran et de la SNPE de travailler harmonieusement ensemble.
Sur le plan social, les statuts des personnels sont différents, les uns dépendant des conventions collectives de la chimie, les autres de la convention collective de la métallurgie. Un statut unique aura pour conséquences un coût non négligeable et, bien entendu, comme vous le comprendrez, un climat social dégradé. Avons-nous aujourd'hui, en cette année 2009 qui s'annonce difficile, les moyens de vivre une telle situation ?
Il n'y a rien à gagner sur le plan industriel à rapprocher les deux entités.
Enfin, mesdames et messieurs les députés, il vous faudra bien tenir compte de la décision du conseil constitutionnel en date du 29 décembre 2008 sur la loi de finances rectificative pour 2008, qui vous a demandé de revoir votre copie sur le régime d'octroi des garanties de l'État pour la dépollution de certains terrains de la SNPE.
Mesdames et messieurs les députés, vous avez à ce jour, et en toute sérénité, toutes les raisons de surseoir à l'inscription demandée.
Le groupe SNPE emploie 3 620 personnes, réparties dans trois branches : SNPE matériaux énergétiques, Isochem et Bergerac Nitro Cellulose. L'ensemble des activités du groupe présente une cohérence certaine dans notre métier de base, c'est-à-dire la chimie des matériaux énergétiques et les étapes chimiques qui y aboutissent. Il faut relever que l'activité de phosgénation a été supprimée à la suite de l'accident de Toulouse alors que la SNPE n'y était pour rien : aucune fuite dans l'établissement, aucun danger pour l'environnement. Une décision purement politique a torpillé un projet industriel et supprimé 600 emplois d'un coup.
Tout le monde connaît l'expérience de la SNPE en matière stratégique et spatiale. On connaît un peu moins sa spécialisation dans le domaine des risques pour l'environnement, notamment en ce qui concerne les risques des sites classés Seveso. Dans ce domaine, notre société est un spécialiste mondial des études de sécurité pour les entreprises. Elle est aussi un spécialiste mondial dans le domaine de la démilitarisation, par exemple pour la destruction d'anciens explosifs et obus. Elle dispose ainsi de toutes les qualités nécessaires pour agir dans les nouveaux métiers de l'environnement, qui prennent de plus en plus d'ampleur depuis que s'est tenu le Grenelle de l'environnement.
La SNPE doit rester dans sa configuration actuelle. Toutes les activités sont complémentaires : nous travaillons dans la chimie, les explosifs, les propergols ou la sécurité environnementale ; nous disposons de spécialistes qui effectuent de la formation au profit des entreprises qui manient explosifs et produits chimiques ; la SME comporte même une filiale dénommée, très clairement, SME Environnement.
Elle dispose de toutes les capacités pour rester un groupe purement chimiste. Entrer dans un ensemble hybride de chimie et de métallurgie ne lui apportera rien.
Le conseil d'administration a appris lundi dernier qu'une proposition d'arrangement a été formulée par Total à la suite de l'accident de l'usine AZF. L'importante indemnité offerte contribuera largement à la réindustrialisation de certains de nos sites, sachant que les résultats du groupe sont déjà positifs, la SME dégageant de très importantes marges.
Nous vous demandons, mesdames et messieurs les députés, de supprimer l'article 11 du projet de loi de programmation et de laisser la SNPE continuer à vivre et même à prospérer.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je tiens tout d'abord à vous remercier de me permettre, au nom de mon organisation syndicale CGT-Force ouvrière, de vous soumettre notre avis sur le projet de loi. Son article 11, s'il était voté en l'état, aurait en effet des conséquences fort négatives sur le développement industriel du groupe SNPE et de toutes ses composantes, mettant en péril la pérennité de milliers d'emplois.
Depuis plusieurs années maintenant, un lobbying effréné ne cesse d'être mené par quelques hauts fonctionnaires et quelques dirigeants de Safran – les uns ne finissant-ils pas par être employés par les autres ? – pour pouvoir aquérir la branche « propulsion solide » de SNPE. Aujourd'hui, au vu des derniers événements qui ont secoué le microcosme du groupe SNPE, notamment la cessation brutale des fonctions de notre dernier président, ce qui lui a été annoncé par la presse, ce lobbying semble avoir gagné la partie. Ce président avait pourtant réussi à redonner vie et espoir à ce groupe qui, à son arrivée, était voué aux soins palliatifs de fin de vie à la suite du terrible accident industriel de Toulouse. Nous avons appris hier le dénouement heureux de la transaction qu'il avait entreprise et menée avec le groupe Total. L'accident d'AZF avait en effet anéanti en partie la santé industrielle et économique de notre groupe.
Il faudra que vous teniez compte de cette nouvelle bonne santé économique avant de prendre une décision sur le retrait ou le maintien de l'article 11 qui veut marier la carpe et le lapin, le chimiste et le mécanicien, la tuyère et le bloc de propergol. Pour les autres entités du groupe SNPE, aucun projet industriel pérenne n'existe aujourd'hui. M. Daniel Garrigue, député de la Dordogne, l'a d'ailleurs reconnu le 24 novembre 2008 lors d'une rencontre avec les représentants du syndicat Force ouvrière du site ; M. Édouard Pinot, conseiller industriel du ministre de la défense, a été obligé de le reconnaître le 4 novembre 2008, lorsqu'il recevait les fédérations syndicales du ministère de la défense accompagnées des délégués syndicaux centraux de la SNPE.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, sachez raison garder. La SNPE, c'est près de 4 000 emplois. L'alliance qui vous est proposée ne concerne que 1 200 personnes. Que faites vous des 2 800 autres ? Permettrez-vous le maintien de l'article 11 en l'état, nourrissant ainsi à terme un peu plus ce fléau qu'est le chômage, avec tout son cortège de misères et de malheurs qui l'accompagne ? Permettrez-vous, par une décision irraisonnée, la possible privatisation de la force de dissuasion nucléaire française ? Force ouvrière ne s'y résout pas et j'espère vous en avoir convaincu.
En revanche, en marge de cette loi de programmation militaire, vous avez le pouvoir de proposer de nouvelles missions et de nouvelles orientations au groupement d'intérêt économique initialement conclu entre la SNECMA et la SNPE, qui assure parfaitement, depuis plus de vingt ans maintenant, l'adaptation et le développement des missiles servant à la force de dissuasion nucléaire française.
Mesdames et messieurs les députés, dans le cadre du projet de loi de programmation militaire, vous allez bientôt être en position de décider, comme le prévoit son article 11, de privatiser ou non la SNPE.
Nous allons vous remettre une pétition des salariés du groupe que nous représentons, lancée par l'intersyndicale, qui démontre qu'une majorité du personnel est hostile à ce projet. Nous allons vous en expliquer les raisons et attirer votre attention sur trois points qui sont porteurs pour nous d'une très grande inquiétude.
La privatisation et les projets qui pourraient lui succéder constituent, selon nous, des sources de dangers tant pour la sécurité publique et l'environnement, que pour l'équilibre social et pour l'indépendance nationale de notre industrie de défense.
Nous espérons, en vous exposant notre argumentaire, vous faire prendre conscience des spécificités de notre activité industrielle, pour que vous puissiez mesurer les risques liés à l'éventuelle adoption de l'article 11.
Avant de développer les points essentiels de cette présentation, il nous semble important d'apporter quelques éclairages sur la nature de l'activité de notre groupe et sa configuration par filiales et par sites, ce qui permettra de mieux cerner le contexte dans lequel cette privatisation est envisagée.
Nous avons appris par la presse que la privatisation était envisagée sans que jamais, la direction du groupe ne nous en informe ; il a fallu que le conseil des ministres du 29 octobre 2008 le confirme. Dans les mêmes articles de presse, il est fait état du rachat de la filiale principale de notre groupe par le groupe Safran. La direction de notre groupe n'a jamais confirmé ce projet ; en revanche M. Claude Guéant, secrétaire général de l'Élysée, a répondu à nos interrogations par un courrier que l'on peut considérer comme une confirmation. Vous en jugerez vous-même puisque nous avons joint ce document au dossier que nous allons vous remettre.
L'activité de la principale filiale du groupe, SME, est centrée autour du site de Saint-Médard-en-Jalles où l'on fabrique le propergol pour la propulsion du M51, ce qui est une activité stratégique. Cette matière combustible est coulée sur place dans des structures destinées à être assemblées pour assurer la propulsion du missile. Sur le même site se trouve également le secteur automobile où sont fabriqués des blocs de la même matière, destinés à être assemblés dans les générateurs de gaz qui gonflent les airbags. Toujours sur ce site, Roxel, une filiale à 50 % de SME, a une activité centrée sur l'armement tactique. Le site compte environ 1 052 salariés : 252 pour Roxel et 800 pour SME, dont 200 personnes travaillant pour le secteur automobile.
Ce dernier a été conçu pour diversifier l'activité du groupe. Dans les périodes où l'activité stratégique était faible, du personnel était affecté à ce secteur en pleine activité ; aujourd'hui, avec la crise de l'automobile, c'est l'inverse. Cette dualité de l'activité stratégique et du secteur automobile est un avantage économique et social qui équilibre les opportunités d'obtenir des marchés et de maintenir l'emploi.
Le site de Saint-Médard est au coeur du groupe ; l'en séparer serait condamner ce qu'il restera de celui-ci.
SME possède également d'autres sites. Parmi eux figure le centre de recherche du Bouchet (CRB) qui compte 221 employés. C'est le cerveau du groupe. De renommée internationale pour ses capacités de recherche scientifique, il constitue un atout inestimable. Pour comprendre le rôle central du CRB, il faut par exemple savoir que si son activité de recherche cessait aujourd'hui, ce serait la fin du groupe dans 10 ans. Ses activités sont, pour 35 %, constituées d'études pour les filiales EURENCO, Sécurité Auto, Pyroalliance et Structil. Si ces entités quittent le groupe, 35 % des salariés verraient leur emploi remis en cause.
La synergie est réelle entre propulsion, poudres, explosifs et générateurs de gaz. Ce sont des domaines liés, intervenant dans les matériaux énergétiques. Nous sommes les seuls en Europe à travailler dans le domaine des matériaux énergétiques et nous sommes mondialement reconnus.
Le site de Toulouse (200 employés) fabrique le perchlorate utilisé par le site de Saint-Médard où est fabriqué le propergol ; il en produit aussi pour Ariane au travers de la filiale Régulus (65 salariés) qui assure une partie de l'activité à Kourou. Une partie du perchlorate est stockée à Sainte-Hélène où travaillent une dizaine de salariés rattachés au site de Saint-Médard.
Pyroalliance (108 employés), qui est spécialisée dans la petite pyrotechnie pour les séparateurs d'étage d'Ariane ou pour les satellites, et Structil (77 employés) qui fabrique des matériaux composites pour le Rafale ou l'A380 sont également deux filiales de SME.
Enfin, SME possède EURENCO, divisée elle-même en plusieurs filiales dont EURENCO France (389 salariés) qui dispose d'un site à Bergerac, d'un autre à Sorgue et dont dépend PB Clermont (94 salariés) en Belgique.
En dehors de SME, le groupe SNPE a pour filiales Bergerac Nitro Cellulose (217 salariés) et ses sous-filiales Manuco (41) et Durlin France (35). Bergerac Nitro Cellulose est spécialisée dans la fabrication et la vente de nitrocelluloses industrielles utilisées pour les encres et vernis. Elle commercialise des nitrocelluloses énergétiques pour poudres et propergols.
La SNPE comprend également la filiale lsochem (444 salariés) qui propose des solutions adaptées au besoin de ses clients en synthétisant des intermédiaires et des principes actifs pharmaceutiques et agrochimiques. Le groupe a également quelques filiales à l'étranger.
La santé financière du groupe est bonne ; la tendance est à la hausse depuis quelques années, après des caps difficiles. Ce groupe a une cohérence industrielle liée à son histoire. Le privatiser revient à son démantèlement. Pour certaines branches, cela serait fatal.
Aujourd'hui, le seul argument que la direction du groupe a avancé en faveur de la privatisation de la branche stratégique SME consiste à dire que « c'est quand une entreprise va bien qu'il faut la privatiser ». Nous comprenons l'intérêt que cela peut représenter pour d'éventuels actionnaires privés, mais cela va à l'encontre de l'intérêt public.
La nature des produits utilisés pour la production, comme les opérations délicates dues à l'activité pyrotechnique, font de sites comme celui de Saint-Médard des sites classés Seveso II seuil haut. Cela implique une culture de la sécurité, une formation très spécifique, des procédures très contrôlées et de très importants budgets pour la sécurité tant du personnel que de la population alentour.
Aujourd'hui, parce que nous sommes une société nationale, l'État est directement responsable de la sécurité devant les salariés et la population. Si un accident se produit, il doit rendre des comptes. Il arrive que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) entre en conflit avec la direction ; cependant des moyens suffisants ont toujours été dégagés pour écarter les risques et prendre toutes les précautions nécessaires. Notre direction elle-même, quand elle était en conflit avec le groupe Total après l'explosion d'AZF, affirmait qu'une telle explosion n'aurait pas été possible sur notre site de Toulouse parce que nous ne sommes pas un groupe privé. Si, dans un futur proche, les décisions budgétaires venaient à se trouver placées sous l'influence d'actionnaires privés, dont le but est d'obtenir des dividendes, les risques seraient forcément augmentés de voir les budgets pour la sécurité réduits parce que ce sont des investissements non rentables. Les actionnaires n'ont eux, individuellement, aucun compte à rendre aux salariés ni à la population, ni même à la justice sur les conséquences d'une mauvaise gestion de la sécurité.
De plus, cette pression pour la rentabilité, qui est le moteur des sociétés privées, ne s'exerce pas que sur les budgets alloués à la sécurité. Elle s'exerce aussi sur le temps de travail rentable et le nombre de personnels. Des politiques de sous-traitance sont généralisées partout où cela est possible, ce qui conduit l'employeur principal à décliner toute responsabilité. Toutes ces pratiques sont autant de facteurs aggravants, autant de dérives possibles voire probables, dont on paye un jour le prix fort. Les permettre, alors qu'après 2001 la devise était de dire « plus jamais cela » serait impardonnable.
Mesdames et messieurs les députés, nous pensons que la responsabilité qui vous incombe est considérable.
La politique du groupe en matière d'environnement est sûrement perfectible, mais nous avons pu constater que beaucoup d'investissements ont été effectués dans le bon sens. Sur nos sites, des bacs de rétention protégeant les sols, des systèmes d'eau en circuit fermé et des unités de recyclage ont vu le jour. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, si ce qui pollue est rentable, nous doutons fort que la direction d'un groupe privé qui rend compte à ses actionnaires apporte autant d'intérêt à la recherche de modes de production propres.
Dans le cas d'une privatisation et d'un rachat privé, nous ignorons par ailleurs ce que sera l'avenir, à court terme, de 1 428 salariés du groupe.
Il s'agit d'abord des salariés du secteur automobile de Saint-Médard, activité qui n'intéresse visiblement pas Safran qui regroupe ses activités autour de l'industrie militaire tactique et stratégique. Les structures dans lesquelles est coulé le propergol à Saint-Médard sont fabriquées par la filiale Snecma Propulsion solide du groupe Safran. Les deux entreprises travaillent déjà ensemble dans la plus grande cohérence et de manière efficace. Un regroupement n'a donc aucun intérêt du point de vue de l'activité. On sait d'ailleurs que le groupe Safran s'est séparé de Molex en 2004, entreprise rentable, mais travaillant dans le secteur automobile. Cette entreprise, rachetée par des Américains, vient d'être abandonnée pour de la sous-traitance en Slovaquie. Malgré la pression de l'État, qui est le premier actionnaire de Safran, le groupe a refusé de reprendre Molex. Cet épisode nous fait craindre pour l'avenir du secteur automobile dans le cas d'un rachat de SME par Safran.
Il s'agit ensuite des salariés d'EURENCO (389 salariés), société pour laquelle le nouveau président du groupe, nommé par l'État pour mener à bien les projets en cours, a annoncé le 7 janvier dernier des réductions d'effectifs. Les difficultés d'EURENCO sont liées à des retards de commandes de l'État. Je relève que son activité ne correspond pas au type d'activités industrielles regroupées dans Safran.
Il s'agit également de Pyroalliance (108 salariés) et de toute la branche chimie du groupe SNPE, avec Isochem (344 salariés), PB Clermont (94 salariés) et Bergerac NC (217 salariés).
Nous sommes inquiets pour les parties de la société qui ne seraient pas rachetées et qui, sans être intégrées au groupe SNPE, sont en danger.
Si le groupe ou une partie de celui-ci était racheté, nos craintes de voir s'appliquer une politique de groupe privé sont fondées sur les conséquences d'une telle mesure en termes de sécurité mais elles le sont aussi sur ses conséquences en termes d'emploi. Il y a trop d'exemples de groupes qui se restructurent simplement pour réaliser plus de bénéfices. Notre groupe est financièrement cohérent, pourquoi le détruire ?
Enfin, nous sommes inquiets en ce qui concerne les projets relatifs à l'industrie de défense européenne notamment au vu des dernières déclarations du ministre de la défense sur ce sujet. À terme, il est question d'un partage européen de ces activités, ce qui n'est pas sans générer de nouvelles craintes pour les emplois. Est-il judicieux en ces temps de crise, de mettre en danger l'emploi là où l'activité existe ? Ne serait-il pas plus profitable de sauvegarder notre compétence industrielle ? Il faut savoir qu'aujourd'hui, il n'y a plus, en France, de fabrication de poudre pour les armes de la défense nationale ; nous sommes dépendant de l'étranger. Il en est de même pour les douilles combustibles équipant le char Leclerc.
Nous voudrions également attirer votre attention sur notre troisième crainte, celle de voir une partie de l'industrie de défense stratégique, avec son savoir-faire, passer pour tout ou partie dans des mains privées qui n'ont aucune légitimité à contrôler cette activité. Nous désapprouvons le fait que des actionnaires privés puissent s'enrichir grâce à des investissements qui appartiennent à l'État et dont la propriété est, de fait, celle des contribuables. Nous nous indignons encore plus qu'il puisse être décidé que l'État a la possibilité de se désengager de la défense d'une propriété collective alors que les électeurs n'ont jamais élu aucun député pour autoriser un Gouvernement à le faire. Nous continuerons à défendre ce que nous pensons être l'intérêt des salariés que nous représentons ici, mais aussi l'intérêt collectif et le bien public.
Nous ferons tout pour que ce débat soit porté à la connaissance de l'opinion publique et que chacun assume publiquement ses positions.
et M. Daniel Delahaie, représentant le syndicat CFTC. L'ensemble des déclarations qui viennent d'être faites synthétisent parfaitement notre position et nous nous contenterons d'apporter des précisions lors du débat.
Je retiens de vos déclarations que SME, filiale de la SNPE, est en bonne santé. Vous nous dites que si la SNPE a connu des difficultés, l'apport de Total devrait lui permettre d'apurer son passif et de repartir sur des bases saines, c'est bien cela ?
L'apport de Total permettra au groupe SNPE de connaître une situation économique positive. La situation actuelle a changé depuis la rédaction de l'article 11. On ne peut pas aujourd'hui demander à la SNPE de s'adosser à Safran dans les conditions proposées alors que 155 millions d'euros vont venir abonder ses caisses.
Cet abondement couvrira plus que la dette qui est de 130 millions d'euros.
Les documents préparatoires au comité de groupe qui doit se tenir fin janvier indiquent qu'à la fin 2008, la situation de la SNPE était positive sans l'apport de Total. Il faut en effet tenir compte de l'apport de capital qui a été fait par l'État par le transfert à la SNPE des actions de la société belge Tessenderlo.
Au titre de 2009, la SNPE va disposer de 155 millions d'euros supplémentaires lui permettant de procéder à des investissements pour développer de nouvelles activités.
Aujourd'hui la SNPE dispose à la fois d'une capacité d'autofinancement pour investir, de la paix sociale puisque les accords salariaux ont été signés par tous les syndicats et de possibilités de développement.
Par ailleurs, le durcissement de la réglementation en matière d'environnement fait que, dans le secteur stratégique, de nombreuses petites entreprises du secteur chimique n'arrivent plus à la respecter et ne peuvent donc plus produire en sous-traitance. La SNPE a en revanche les capacités pour reprendre ces fabrications.
La situation économique et industrielle a donc profondément changé depuis le moment où la privatisation a été décidée. L'article 11 n'est plus adapté à la situation de la SNPE.
À plusieurs reprises, vous avez soulevé le caractère stratégique de l'activité de la SNPE pour justifier qu'elle ne puisse passer dans le secteur privé. Cependant, une société privée comme Thalès intervient également dans des domaines stratégiques et elle est pour cela soumises à des règles spécifiques. Je ne considère pas que le statut de l'entreprise constitue en soi une protection des intérêts nationaux.
Le projet de loi de programmation militaire consacre une décision qui a été très longtemps controversée, le rattachement de la SNPE à Safran, sachant que Safran est intéressé avant tout par la filiale SME.
Je veux saluer l'effort de redressement considérable réalisé par l'ancien président Jacques Zyss.
Trois questions se posent en ce qui concerne l'article 11.
Quel est le projet industriel pour la partie de la SNPE qui n'intéresse pas Safran ? Aujourd'hui, il n'y en a pas. Le cabinet du ministre de la défense m'a parlé d'un portage par la société de prises de participations de l'État (SPPE) ; ce n'est en aucun cas un projet industriel.
La deuxième question concerne les activités d'armement et notamment les sites de Bergerac et de Sorgues. Je suis attaché à une défense européenne ; on n'évitera pas d'aller vers des accords de plus en plus poussés. Quelles sont les perspectives pour les activités d'armement ? Ces activités sont importantes pour la SNPE d'autant qu'elles concernent un enjeu stratégique, celui des munitions.
Dans la mesure où le changement de statut de la SNPE va forcément conduire à la remise en cause progressive de certaines activités, se pose aussi la question de la redynamisation de certains sites d'implantation. Nombre de sites industriels de la SNPE sont classés Seveso II et présentent un très grand intérêt, le ministère de la défense ayant toujours veillé très attentivement à leur protection. Malheureusement, on constate des lenteurs, notamment dans la mise en oeuvre, d'une part, des plans de protection contre les risques technologiques et, d'autre part, des opérations de dépollution.
Aujourd'hui, le projet pour la SNPE ne me paraît pas suffisamment élaboré, l'article 11 soulève d'importantes interrogations qui doivent être levées.
Les activités de défense du groupe SNPE sont stratégiques. Il me semble indispensable de préserver les secteurs stratégiques de la défense, et donc notre indépendance nationale. À ce titre, nous devons avoir une réflexion globale, au niveau national mais aussi et surtout au niveau européen. La situation de GIAT Industries, devenu Nexter, mérite par exemple d'être suivie avec beaucoup d'attention.
Je remarque que le groupe SNPE comprend aussi des activités non liées à la défense. Pour autant, la structure de cette société me semble globalement cohérente notamment grâce au centre de recherche du Bouchet. Le potentiel exceptionnel de cette implantation bénéficie certes à la SNPE mais plus globalement au secteur français de la défense et il importe de veiller au maintien de pareilles compétences.
Je crois aussi que nous ne sommes pas assez informés sur ce qui conduit le Gouvernement à envisager certaines évolutions industrielles. Le ministre de la défense nous a fait part de son accord pour que nous le soyons mieux, mais nous apprenons par la presse les décisions qui sont prises. Il en est ainsi de la montée de Dassault dans le capital de Thalès, ce qui l'amène désormais, si mes informations sont exactes, à y détenir 61 % des droits de vote. Or nous ne savons pas si le pacte d'actionnaires a été modifié, pas plus que nous ne connaissons les projets du nouvel actionnaire. Sur ces aspects industriels, le Parlement doit être mieux informé, le Gouvernement devant lui présenter les tenants et les aboutissements de tout projet industriel d'ampleur supposant une éventuelle évolution statutaire des entreprises.
En période de crise, la réforme ne saurait être subie, ni même consentie ; elle doit être partagée, certes pas de façon unanime mais à une majorité suffisante. Cet enjeu nous renvoie à la question du dialogue social et nous interroge sur l'état de la démocratie sociale. Je ne suis pas un ennemi du changement et je soutiens un certain nombre de réformes, au-delà parfois de la position de mon groupe. Cependant, pour réussir les évolutions nécessaires, il faut les conduire avec un souci de dialogue, d'information partagée et de recherche de solutions consensuelles. La recherche du consensus n'est pas un recul, c'est une nécessité pour nos sociétés modernes.
Nous avons besoin de plus d'information de la part du Gouvernement sur son projet pour le groupe SNPE. Pour des opérations comme celle qui a concerné Thalès et Dassault, le Parlement en général et la commission de la défense en particulier, doivent bénéficier des précisions nécessaires. Je mesure quel a pu être le rôle du Parlement dans l'évolution positive qui a par exemple conduit GIAT-Industries à devenir Nexter et nous devons nous en servir comme d'un exemple pour les changements à venir.
J'écoute toujours les représentants syndicaux avec intérêt d'autant que le dossier qui nous est présenté apparaît très bien construit. Le texte parle de privatisation, ce qui signifie, selon le scénario habituel, que nous allons vers des suppressions d'emplois. Je rappelle que 4 000 postes sont en jeu. Dans la période de chômage que nous connaissons, je ne voudrais pas assister, une fois de plus, à des suppressions d'emplois et à la disparition d'un groupe industriel qui fonctionne bien. Le dossier doit donc être examiné de très près au cours des travaux préparatoires de la commission. J'espère que nous pourrons arriver à une position consensuelle et de bon sens. Afin de défendre au mieux les intérêts des salariés, je n'exclus pas de déposer, si cela était nécessaire, un amendement de suppression de l'article 11.
Les représentants des organisations syndicales peuvent-ils nous apporter des précisions sur la situation du groupe EURENCO ?
Je tiens à souligner que les membres de la commission n'ont pas l'habitude de brader l'industrie de défense. En 2002, j'ai élaboré un rapport d'information sur la situation de GIAT-Industries, à la suite duquel la commission a conclu à l'intérêt de maintenir une industrie d'armement terrestre dans notre pays et d'accompagner l'évolution nécessaire de cette entreprise. Au reste, on a assisté à une évolution des esprits pour estimer qu'il était nécessaire, dans un contexte européen de plus en plus difficile, d'adosser Nexter à un autre groupe. Les personnels ont eux-mêmes admis, je le crois, que c'était l'intérêt bien compris de leur société. Cela dit, Nexter n'est pas concerné par le projet de loi de programmation, mais cet exemple me semble éclairant pour nos débats.
En ce qui concerne la SNPE, nous comprenons vos inquiétudes, mais, dans un contexte industriel qui évolue très fortement en Europe, tout le monde doit réfléchir aux évolutions qui s'imposent.
Il y a quelques années, le personnel d'encadrement de la SNPE se positionnait par rapport au projet industriel qu'on pouvait lui proposer. Aujourd'hui, le contexte l'a amené à évoluer vers un positionnement de nature politique. Je regrette cet amalgame : il est inopportun de mélanger des considérations qui ne se placent pas sur le même plan. Si des difficultés doivent être réglées à EURENCO, réglons-les, et intéressons-nous ensuite aux possibles évolutions. Si seule une approche générale est retenue, il y aura une réaction de l'ensemble du personnel et elle se fera par rapport à cette solution globale. Dans ce cas, la démobilisation affectera toutes les filiales et ce sera dramatique en termes de résultats. La France n'a pas besoin que le programme M51 soit perturbé par des grèves.
Les parlementaires doivent demander au Gouvernement d'élaborer un projet industriel au niveau européen, avec un positionnement clair vis-à-vis d'EADS. Tous les acteurs doivent être associés à cette réflexion qui n'est nullement idéologique, mais soucieuse d'une cohérence industrielle.
Pour éviter toute animosité inutile, toute construction européenne d'un pôle industriel ne devrait pas employer de termes historiquement marqués, comme Eurêka ou Herakles.
Créée en 2004, la filiale EURENCO est détenue à 60 % par la SME, à 20 % par Patria, une société finlandaise qui travaille dans le même secteur, et à 20 % par la société suédoise Saab. EURENCO devait constituer un pôle européen d'excellence pour la fabrication des poudres et explosifs ; un afflux extraordinaire de commandes de l'État était d'ailleurs annoncé. Au bout de cinq ans, il ne s'est rien passé. À cause notamment des retards de commandes de l'État, la situation financière de la filiale s'est significativement dégradée. Néanmoins, comme EURENCO fait toujours partie du groupe SNPE, elle a pu bénéficier de son soutien et maintenir 400 emplois. L'avenir semble s'améliorer, les commandes et la production augmentant.
Cette année, SNPE va bénéficier d'un apport financier qui va permettre l'apurement de sa situation, mais aussi le développement de l'activité d'EURENCO.
Je tiens à rappeler que la SNPE s'est initialement constituée à partir de dix poudreries. Nous exerçons tous le même métier, c'est-à-dire la chimie des matériaux énergétiques, quel que soit notre spécialité, qu'il s'agisse du propergol ou des explosifs à usage militaire. Tout l'acquis scientifique et technologique et toute l'histoire des poudres et explosifs se trouvent au centre de recherche du Bouchet. Il travaille sur les études et le développement, ainsi qu'à la recherche de produits nouveaux et d'applications nouvelles.
La création d'EURENCO a surtout profité à nos partenaires. La fabrication des poudres a quitté Bergerac pour la Finlande, et nous y avons perdu une part de notre expérience. Nous conservons cependant une dimension stratégique et nous sommes capables de produire des munitions pour nos armées. Le site de Sorgues est ainsi la dernière usine d'explosifs en France ; s'il ferme, il faudra les acheter à l'étranger.
Au final, EURENCO se trouve bien au sein de la SNPE, tant sur le plan économique que sur le plan scientifique ou technique.
Depuis la fermeture de l'usine de Bergerac, aucune poudre militaire n'est produite en France, la fabrication ayant été transférée en Finlande ou en Suède. En contrepartie, la fabrication des explosifs militaires devait être concentrée sur le site de Sorgues, mais tel n'a pas été le cas.
La SNPE n'a bénéficié d'aucun traitement satisfaisant, la presse ne manquant pas de relayer nos moindres difficultés pour fragiliser notre position. C'est d'ailleurs par cette voie que notre précédent président a appris qu'il était limogé. Ces pratiques ne nous donnent pas le sentiment d'être convenablement traités.
Aujourd'hui, le résultat net d'EURENCO est négatif. Si la filiale perd le soutien du groupe SNPE, quel sera son avenir ? Si Safran reprend SME, les personnels de SME ne risquent rien : leurs activités sont complémentaires de celles de Safran. Mais tous les autres secteurs n'intéressent pas Safran et les salariés risquent leur emploi.
La catastrophe d'AZF a abouti à l'abandon de la production de phosgène alors que la SNPE en était le leader mondial. Depuis 1971, la SNPE a réussi une incroyable reconversion, et ce bien avant GIAT ou DCN. Pour autant, nous n'avons jamais bénéficié du moindre soutien, tout écart étant systématiquement stigmatisé. Dans ce contexte, il est logique que nous soyons particulièrement attentifs à toute évolution statutaire et que nous craignions qu'elle ait un impact négatif sur les emplois.
Jamais nos chercheurs n'ont formulé autant de propositions qu'aujourd'hui, et cela vaut non seulement pour le secteur militaire mais aussi pour le secteur civil. La DGA nous a d'ailleurs attribué cette année des heures de recherche supplémentaires sur le projet Méduse ; c'est donc que les travaux du centre de recherche du Bouchet sont appréciés.
Nous n'avons cependant pas les moyens d'investir pour développer les travaux de nos chercheurs. Avec l'indemnisation versée par Total, ces sommes vont être disponibles. Donnez au groupe SNPE la possibilité de montrer qu'il a son propre savoir-faire et qu'il peut vivre sans Safran.
Les arguments que nous vous avons présentés vont-ils faire évoluer la position du Parlement ?
Nous sommes amenés à nous prononcer sur un projet de loi déposé par le Gouvernement. Si nous avons souhaité vous entendre, c'est justement pour nourrir notre réflexion et pour que nous puissions débattre de cet article en toute connaissance de cause. Je considère d'ailleurs comme particulièrement pertinents les éclairages que vous nous avez apportés.
Je reprendrai volontiers à mon compte l'analyse de notre collègue Daniel Garrigue.
Ne faudrait-il pas que nous demandions à Safran de venir s'expliquer ? En effet, une fois que cette société aura repris les activités qui l'intéressent, qu'adviendra-t-il du reste de la SNPE ? Nous devons demander à Safran quelle est sa logique industrielle et quel avenir il envisage pour les activités qui ne l'intéressent pas. Les emplois concernés sont trop stratégiques et qualifiés pour que ces activités soient confiées à une simple société de portage.
Je peux aussi témoigner que la SNPE est l'une des entreprises de la région Aquitaine qui a su le mieux se diversifier, y compris dans le domaine civil, comme le montre son succès remarquable dans le secteur des airbags. J'ajoute que la région Aquitaine va sans doute accompagner la SNPE pour le développement de ses activités de déconstruction et d'éco-construction.
Je suis défavorable à une audition par la commission de Safran ou de tout autre acheteur potentiel : l'article 11 du projet de loi se contente d'autoriser la privatisation de la SNPE mais il ne préjuge en rien de l'identité de l'acheteur ! Il n'appartient pas au Parlement de se prononcer sur ce point, sauf à manquer aux règles de droit commun des privatisations. Auditionner Safran créerait une rupture d'égalité préjudiciable au bon déroulement de toute privatisation.
Je rejoins cette analyse et je ne souhaite pas que la commission entende le groupe Safran ; ce serait conforter sa position d'acquéreur potentiel.
J'ai bien entendu les interrogations des membres de la commission sur la politique industrielle du Gouvernement et je m'engage à l'interroger, au nom de la commission, sur ses intentions et sur les montages qu'il envisage pour les filiales de la SNPE dont la reprise n'est pas envisagée. Copies du courrier et de la réponse seront d'ailleurs transmises aux représentants syndicaux.
La séance est levée à douze heures trente